Éditorial Bruno Moyen, président de la maison de la
Transcription
Éditorial Bruno Moyen, président de la maison de la
Éditorial Bruno Moyen, président de la maison de la photographie et de l’image Si la photographie et les voyages en Orient ont été mes principales occupations, je le dois en partie à l’inspiration de quelques défricheurs, la plupart suisses ou allemands. Pour les suisses, bien sur, Nicolas Bouvier s’imposait, par sa conception “routarde” du voyage et je ne perçu que plus tard mes affinités avec le coté plus spirituel d’Ella Maillard. Il manquait sans doute un aspect plus “déjanté” et suicidaire, présent dans chaque authentique voyage, celui-la même que l’on trouve chez Annemarie Scharzenbach, découverte sur le tard. La Maison de la Photographie et de l’Image organise donc, à l’ancien Musée de peinture de Grenoble du 4 au 31 mars 2010, une exposition intitulée “Si d’aventures…” consacrée à Annemarie [Minna Renée] Schwarzenbach (1908-1942) en écho à la Journée de la femme et au thème «Aventures humaines» proposé cette année par le Printemps du livre de Grenoble. Aventurière, auteure, journaliste, poétesse, épistolière et photographe, elle est une des figures les plus intéressantes de la scène culturelle suisse des années 30-40. Ellipses 13 © Marilia Destot éditorial 1 Celle que Roger-Martin du Gard remerciait de «promener sur cette terre son beau visage d’ange inconsolable» a laissé de ses voyages comme de ses errances, des reportages photographiques socialement engagés, des récits de voyage à la fois poétiques et saisissants. Les Archives littéraires suisses à Berne conservent le fonds «Annemarie Schwarzenbach» : articles, manuscrits, une partie de sa correspondance et 7000 photographies, dont 62 épreuves sont montrées à l’occasion de l’exposition. Les images choisies suivent Annemarie Schwarzenbach dans trois de ses principaux voyages : dans la région industrielle de Pittsburgh (janvier 1937) et à travers les Etats du Sud des Etats-Unis (novembre-décembre 1937), en compagnie de la photographe Barbara Hamilton-Wright ; à travers la Perse, l’Afghanistan et l’Inde, lors de son quatrième voyage en Orient, en compagnie d’Ella Maillart, de juin 1939 à février 1940 ; vers l’Afrique, enfin, lors de son dernier voyage qui la mena de Lisbonne au Congo, de mai 1941 à juin 1942. Parallèlement, une exposition rassemblant le travail de photographes contemporains qui exprimeront pour chacun ce que représente l’Aventure humaine dans toutes ses composantes (reportages, création, introspection, marginalité, ailleurs…) sera présentée dans la salle Matisse de l’ancien musée de peinture. Comme chaque année, ces travaux ont été sélectionnés par nos soins sur dossiers en tachant de presenter les branches multiples de la photographie d’aujourd’hui. Malgré la selection à l’aveugle, nous retrouvons cette année des photographes deja presentés les année precedentes. Qu’ils soient remerciés pour leur talent confirmé … Bien sur le theme predisposait à une majorité de dossiers «reportages», mais la poesie et la photographie conceptuelle y trouve aussi sa place. Merci donc aux nouveaux venus Alain Doucé, Dominique Combarnous, Gregoire Montjaux, Remi Oudinot, Sebastien Berlendis, et à Jean Pierre Angei, Marilia Destot, Halim Zenati et Elizabeth Filezac de l’Etang que nous retrouvons avec plaisir. A Massana (Erythrée italienne) © Annemarie Schwarzenbach éditorial 3 Si d’aventures... « Je ne veux pas être où je suis et je ne puis être où je veux : misère de part et d’autre ! » Les confessions Saint Augustin Annemarie Schwarzenbach, «l’exilée» Michel-Ange (1475-1564) Adam et Ève chassés du Paradis, 1508-12 Fresque du Plafond de la Chapelle Sixtine Chapelle Sixtine, Vatican La tradition philosophique est hantée par l’idée d’une conscience malheureuse qui erre sans repos et que représente l’exil. L’exil est aussi un thème éminemment littéraire et artistique. Il a été traité par des artistes renommés de nombreux pays et de différentes époques de la Renaissance à l’Art moderne. Les peintures et dessins notamment de Michel-Ange, Jean-Baptiste-Camille Corot, Alexandre Cabanel, Herbert Draper et plus récemment Gustav Klimt, Pablo Picasso ont mis souvent en scène des personnages religieux ou mythologiques tel Ulysse, qui ont perdu «leur jardin d’Eden»... Lorsqu’Orphée perd définitivement Eurydice, c’est pour ne pas avoir accepté la nécessité de l’exil voulu par Zeus, et s’être retourné vers sa bien-aimée avant d’arriver dans le monde des vivants. L’exil qui consiste dans sa signification première, en la privation d’un lieu pour un individu ou un peuple, se révèle être dans son état fondamental, une errance parfois volontaire aussi bien géographique qu’ontologique, consécutive à un manque ou à la perte de centralité. Cette absence d’attache fonde Jean-Baptiste-Camille Corot (1796–1875) Orphée ramenant Eurydice des enfers, 1861 Huile sur toile Museum of Fine Arts, Houston, Texas. Si d’aventures... 5 Herbert Draper (1863 - 1920) Ulysse et les sirènes Tate galery un état de conscience qui dévoile une autre réalité au monde. Ce que l’on pleure dans l’exil, c’est l’origine, la naissance, la nuit que l’on quitte pour la lumière. L’exilé a perdu la mémoire, sa raison de vivre, et n’en garde que des bribes… L’exilé est un nostalgique qui, tel le Voyageur de Caspar David Friedrich, contemple de toute sa hauteur une mer de nuages. C’est le point de vue du travail littéraire et photographique d’Annemarie. Ainsi, c’est pour retrouver cette largeur de vue, vivre enfin, quitter une mère possessive, s’éloigner d’un monde qui peu à peu est recouvert du nuage noir du nazisme, qu’Annemarie Schwarzenbach, solitaire par nature et dotée d’une sensibilité exacerbée, doit partir d’Europe et «s’exiler» aux EtatsUnis, en Perse, en Afrique... pour témoigner, par l’écriture et par la photographie, des peuples et des individus, de leurs conditions de vie, de leurs coutumes, de leurs espoirs. Mais cet exil, qui lui permet «d’être présente au monde», prépare ses retrouvailles avec «Dieu». Annemarie va mourir dans la fleur de l’âge au sommet de son art, le 15 novembre 1942, des suites d’un accident de vélo, à Sils en Engadine. Un autre exilé, écrivain hanté par la mort (il ne rédigea pas moins de 37 testaments), c’est Stendhal l’européen. Son passeport pour Dieu ? Beyle le demande italien et compose son épitaphe milanaise dans ses testaments de 1836, 1837 et 1840 : Arrigo Beyle Milanese, «Ci-git Stendhal le Milanais». Tout comme Annemarie Schwarzenbach, cet immigré volontaire est un amant éternel à jamais insatisfait, aimant sa mère d’un amour exclusif et pathogène, possédant une conscience politique aiguë, s’adonnant à la vie, frôlant la mort. Ces deux exilés ne pleurent pas une parcelle de terre mais ils pleurent ce rapport à l’être qu’ils ont perdu et qui les définissait. Leur suractivité dans l’écriture, leur sensibilité extrême à l’image, leur sens esthétique, constituent en effet des formes de conscience qui permettent de donner l’illusion de maîtriser la réalité dans des mondes en marge du réel par crainte d’être rattrapés par le néant : «Je ne vis que Caspar David Friedrich (1774-1840) Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818 Huile sur toile Kunsthalle Hambourg Si d’aventures... 7 lorsque j’écris» avoue Annemarie. Tout se passe comme si Schwarzenbach, comme Stendhal, ne pouvait vivre que dans sa propre échappée solitaire, passant son temps à fuir... pour mieux se trouver. L’exil lui est nécessaire pour prendre conscience de ce qu’elle perd. «L’Ange dévasté» D’une beauté ambiguë, Annemarie Schwarzenbach, qui fait rêver bien des hommes, ne peut se passer de la complicité érotique et émotionnelle des femmes. Son enfance est marquée par une mère despotique qui l’appelle souvent son «petit page». Leurs rapports ne sont qu’une suite de déconvenues oscillant entre adorations et reniements. Enfant et adolescente, les photos prises en général par sa mère Renée la montrent en culottes courtes ; plus tard, photographiée par Marianne Breslauer, on la voit en chemise et cravate puis en costume cravate, les cheveux coupés comme un garçon, décontractée ou athlétique, parfois sa cigarette aux doigts, cultivant très jeune une apparence androgyne. Son allure aristocratique, mince et élancée, et son visage à la fois robuste et angélique, prêtent à confusion. Son visage «d’ange dévasté», apprécié de Thomas Mann qu’elle rencontre en 1931, exerce sur tous ceux qui l’approchent une réelle fascination. Partagée entre une famille pro-nazie et ses amis de gauche, Erika et Klaus Mann, les «enfants terribles», tiraillée entre l’envie de partir d’Europe et le devoir de revenir, entre le rêve d’une terre de promesses et la réalité d’une scène politique où elle pense être utile, sa vie ne sera qu’une suite d’allers-retours ne la laissant jamais en paix avec elle-même. Passionnément amoureuse d’Erika qui ne répond pas à ses attentes, amie avec Klaus qui l’initie à la drogue en 1932, elle sera d’un soutien sans faille dans leur combat anti-nazi, aussi bien intellectuellement que financièrement. En 1933, elle termine son roman Le Refuge des cimes et part en reportage dans les Pyrénées espagnoles avec la photographe Marianne Breslauer. Son existence et ses sentiments deviennent spontanément un sujet littéraire, mais aussi un sujet photographique. Le domaine de l’écriture et de la photographie est justement celui où la réalité prend sa vraie dimension. En d’autres termes, le mondeextérieur comme le monde-intérieur n’existe réellement qu’à partir du moment où il lui est possible de le traduire en mots... Ou en photos. En avril, elle conçoit une revue antifasciste Die Sammlung, mais elle se sent incapable de demeurer plus longtemps sous le «nuage noir» qui commence à souiller l’Europe depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Ses amis Klaus et Erika, opposants de toujours au nazisme, se sont volontairement exilés dès mars 1933. Klaus écrira Le Tournant, œuvre magnifique qui dépeint ces temps sombres et la vie intellectuelle des Allemands en exil. «La maison brûle (…) elle brûle, nous en souffrons, toute l’humanité en souffrira», écrit Annemarie Si d’aventures... 9 Schwarzenbach de Berlin en 1933. Elle aussi va choisir la fuite. Le 12 octobre 1933 à la gare de Genève, Annemarie Schwarzenbach monte dans l’Orient-Express à destination d’Istanbul. Deux semaines plus tard, en Suisse alémanique, la Zürcher Illustrierte fait sa couverture avec son portrait pleine page. La rédaction y annonce que la « journaliste-photographe » se trouve en Orient pour un périple à travers la Turquie, la Syrie, la Palestine, l’Irak et la Perse, et qu’elle réserve à l’hebdomadaire l’exclusivité de ses reportages. Sous le choc de ce premier contact avec l’Orient, qui représente pour elle une «plongée dans l’intemporel et l’incertain», elle couche sur le papier ses réflexions d’ordre existentiel. Impossible en effet de taire plus longtemps l’angoisse engendrée par la plénitude et la solitude de ces contrées qui lui inspirent des descriptions particulièrement poétiques. Durant l’année 1934, elle participe à des fouilles archéologiques à Rayy, près de Téhéran. Cette découverte des colonies européennes, perdues dans les immensités de sable aux horizons irréels, lui inspire des nouvelles qui mettent en scène des Occidentaux à la dérive, cherchant à guérir leur mal de vivre. Ce voyage en Orient marquera profondément sa destinée. L’Orient devient pour elle le symbole de l’égarement existentiel de l’être humain. Ecrit cette année-là, Hiver au Proche-Orient révèle son talent littéraire. En août, elle assiste avec Klaus Mann au premier congrès des écrivains soviétiques à Moscou. En décembre, elle soutient publiquement le cabaret littéraire d’Erika Mann en proie aux attaques des sympathisants nazis suisses. En 1935, elle loue une maison à Sils, petit village à 10 km de Saint Moritz, qui fut cinquante ans plus tôt le refuge d’été de Nietzsche. Dans l’incapacité de choisir entre «le proche et le lointain», en proie à la dépression, Annemarie sombre dans la drogue. Cette année-là est marquée par une première cure de désintoxication et une tentative de suicide, mais aussi par son mariage avec Claude Clarac, diplomate français homosexuel en poste à Téhéran. Lors d’un séjour avec lui dans la vallée du Lahr, elle débute La Mort en Perse, un récit de voyage intérieur où chaque paysage dans sa minéralité reflète les tensions qui l’habitent. «Qu’allez-vous faire en Perse?» me demanda Malraux. Il connaissait les ruines de Raghès. Il savait aussi ce qu’est la passion de l’archéologie. Il avait beaucoup réfléchi aux passions humaines et savait les débusquer ; il avait tendance à ne pas en faire grand cas, sauf de ce qui finissait par en rester : la souffrance. Il me demanda : «Seulement à cause du nom? Seulement pour être très loin?» Et je songeai à l’épouvantable tristesse de la Perse...». À son retour en Suisse, Annemarie subit une nouvelle cure de désintoxication. Col de Lataband Vers Khyber © Annemarie Scwarzenbach «Où est la terre des promesses ?» Voyage dans les États du Sud des USA novembre/décembre 1937 En 1937, Annemarie Schwarzenbach sillonne avec Barbara Hamilton-Wright les États-Unis pour un reportage photographique sur le New Deal. De Pittsburgh à Savannah, elles dépeignent appareil à la main une grande fresque romanesque témoignant du quotidien des gens modestes, de la misère des ouvriers, de l’exploitation des petits fermiers et de la condition des femmes. L’enfant gâtée zurichoise analyse lucidement les causes structurelles du désastre, dénonce le racisme et la cruelle inconscience de l’industrie, tout en soulignant l’œuvre pionnière des premiers syndicats. D’une beauté rude, ses photos font voler en éclat le Rêve américain. Son travail photographique n’est pas sans rappeler celui des célèbres photographes américains Dorothea Lange et Walker Evans dont les images réalisées pendant la Grande Dépression, dans le cadre d’une mission confiée par la Farm Security Administration, comptent parmi les icônes du monde moderne. Lumberton, Caroline du Nord © Annemarie Scwarzenbach Barbara Wright © Annemarie Scwarzenbach Si d’aventures... 13 Colonie Suisse dans les Monts Cumberland. Grütli, Tenessee 1937 © Annemarie Scwarzenbach Ici, au bord d’un fleuve de l’Etat du Tennessee, un atelier de tissage de bas est en construction 1937 © Annemarie Scwarzenbach Si d’aventures... 15 Voyage en Afghanistan juillet 1939 - janvier 1940 Fin août 1939, au volant d’une Ford Roadster Deluxe, Annemarie Schwarzenbach est en Afghanistan en compagnie d’Ella Maillart, après avoir traversé avec elle les Balkans, la Turquie et l’Iran. Un goût commun pour les pays lointains a rapproché la photographejournaliste et l’exploratrice-écrivain. De cette excursion, elles rapportent leurs impressions transcrites en textes et en photographies. Cet incroyable et prémonitoire périple fut d’abord connu par La Voie cruelle, le beau livre d’Ella Maillart dans lequel Annemarie prend le pseudonyme de Christina. Le but ultime : retrouver le goût de vivre et se débarrasser des douleurs du passé domptées jusqu’alors à coup de drogues. Au terme du voyage, les deux femmes se séparent mais continueront de s’écrire. Annemarie reste une énigme aux yeux d’Ella qui demeure impressionnée par son énergie, sa volonté désespérée et son courage. Annemarie rejoint alors un camp d’archéologues français et poursuit la rédaction du recueil Les Quarante Colonnes du souvenir. Ses proses délicates, où les mots résonnent comme une prière, confirment la grande sensibilité de l’écrivain et montrent un dénuement moral extrême. Dans les articles regroupés sous le titre Où est la terre des promesses ?, les descriptions de la terre afghane et de la steppe immense alternent avec des réflexions pénétrantes Annemarie Schwarzenbach et Ella Maillart. Afghanistan Juillet 1939 - Janvier 1940 Les musiciens piano à soufflet. Bala Murgab © Annemarie Scwarzenbach Si d’aventures... 17 et des crises de conscience aiguës. «Cet être doué de qualités rares, qui charmait tous ceux qui l’approchaient, eut une vie tragique. Bien que dans ses dernières lettres elle m’eût dit qu’elle comprenait enfin mes explications de deux ans auparavant, il est clair que ne pas parvenir à la sauver d’elle-même avait été un échec. Et je commençais à voir que tout au contraire c’était elle qui m’avait aidée dans une évolution qui devait me permettre d’assimiler l’enseignement de l’Inde» avouera Ella Maillart en 1950. Barrage Norris, Tenessee Novembre 1937 © Annemarie Scwarzenbach Maison coloniale © Annemarie Scwarzenbach En 1940, elle repart pour les Etats-Unis avec Margot von Opel qui, comme d’autres avant elle, espère pouvoir la sauver. En juin, elle rencontre Carson McCullers. Entre elles naît immédiatement une amitié intense, faite de la même douloureuse impossibilité de vivre ses rêves. Carson en tombe follement amoureuse sans qu’Annemarie puisse répondre à ses sentiments. «Je ne connais pas d’amie que j’ai autant aimée et dont la mort inattendue m’ait causé un si grand chagrin», écrira plus tard Carson McCullers au sujet d’Annemarie Schwarzenbach à qui elle avait dédié Reflets dans un œil d’or. Cette même année 1940 une crise psychotique terrasse Annemarie qui tente à nouveau de se suicider. Elle s’évade de la clinique dans laquelle elle est internée et les autorités américaines ne l’autorisent à rentrer en Europe qu’à la condition de ne plus remettre les pieds aux USA. Shabash Moulins à vent © Annemarie Scwarzenbach Si d’aventures... 19 Voyage en Afrique Mai 1941 - Mars 1942 En février 1941, elle rentre en Suisse et reprend son activité de journaliste. Sa mère, ulcérée par ce qui s’est passé aux États-Unis et par ses positions antifascistes lui donne une forte somme d’argent pour qu’elle quitte la Suisse. A la mi-avril Annemarie souhaite rejoindre les Forces Françaises Libres au Congo belge avec l’intention d’y faire ses preuves comme correspondante de guerre, à l’instar d’autres célèbres photographes comme Lee Miller ou Margaret Bourke-White. Mais bientôt confrontée à la suspicion et à l’hostilité locale, elle décide de se retrancher dans la solitude et «le baume des mots» de la poésie et parcourt la région armée de son appareil photographique. « C’est parfois comme si Tout se transformait en eau» constate la jeune femme qui, «ballottée en tous sens» au rythme labile du monde, tente bon gré mal gré de ne pas s’y «noyer de chagrin». Alors que la guerre dévaste l’Europe, elle rédige Rive du Congo, auquel viendra s’ajouter, près d’un an après lors de sa publication, Tétouan écrit fin mars 1942 au Maroc où elle retrouve son mari. Ces deux brefs cycles de poèmes seront illustrés par ses photographies. Vibrants de mystérieuses évocations, de visions fulgurantes et d’élans brisés, ils disent les tourments de la condition humaine, la souffrance d’exister, l’amour, la fraternité, la mort. Fleuve Ituri © Annemarie Scwarzenbach Si d’aventures... 23 Ne t’en laisse jamais distraire. Écris, chérie, écris, et prends soin de toi, comme je vais le faire de mon côté. (Je n’ai écrit que quelques pages à Sils, mais je crois qu’elles te plairont). Et, s’il te plait, n’oublie jamais ce qui nous touchait si profondément. Ton Annemarie, et toute son infinie tendresse». Pygmées dans la partie est de la forêt équatoriale, entre Beni et Irumu © Annemarie Scwarzenbach Elle y exprime la nostalgie de son pays natal. Toujours en 1942, pendant la traversée qui la ramène à Lisbonne, elle écrit En quittant l’Afrique qui retrace son séjour de dix mois sur ce continent. De retour en Europe cette année-là, elle écrit dans sa dernière lettre à Carson McCullers «Je veux à jamais te remercier. Si je retourne un jour en Amérique, j’aimerais que tu m’autorises à traduire Reflets dans un œil d’or. Carson, souviens-toi des moments où nous étions si bien ensemble. Souviens-toi que je t’aime et à quel point je t’aime. N’oublie jamais la terrifiante obligation d’écrire qui est la tienne. Vraiment redécouverte à partir de 1985, l’œuvre littéraire et photographique de Schwarzenbach sort progressivement de l’ombre : film, pièce de théâtre, colloques, articles critiques lui sont aujourd’hui consacrés. Le Centre culturel Suisse à Paris lui a rendu un vibrant hommage en 2008 pour le centenaire de sa naissance. Dominique Laure Miermont, germaniste de formation, qui exerce une activité de traductrice littéraire, contribue aussi, depuis plus de vingt ans, par son travail et la fondation en 2007 à Genève de l’association Les Amis d’Annemarie Schwarzenbach, à la reconnaissance de l’œuvre d’Annemarie Schwarzenbach «J’aimais le généreux courage avec lequel elle attaquait l’injustice, la droiture honnête avec laquelle elle se jugeait, la dignité avec laquelle elle supportait sa solitude, sa conviction que l’amour est un mystère que nous devons pénétrer» dit à son propos Ella Maillart dans La Voie cruelle. Féministe, humaniste, éprise d’absolu, d’une lucidité politique exceptionnelle, d’une beauté troublante, douée pour la photographie, l’écriture, le piano, l’équitation, le ski... Annemarie Schwarzenbach mérite que l’on parte à sa rencontre. Si d’aventures… Olivier Tomasini Congo de Léopoldville à Lisala Juillet 1941 © Annemarie Scwarzenbach Manifestations politiques © Léon Herschtritt Si d’aventures... 23 Forêt équatoriale éléphants, entre Buta et Aketi © Annemarie Scwarzenbach Deh Hassan © Annemarie Scwarzenbach Si d’aventures... 27 Près de Lubero, à 1900 m d’altitude © Annemarie Scwarzenbach Mangbetu-Knabe près de Niangara © Annemarie Scwarzenbach Si d’aventures... 29 Repères biographique Naissance le 23 mai 1908, à Zurich 1930 -1933 1930 : se lie d’amitié avec Klaus et Erika Mann 1931-33 : plusieurs séjours prolongés à Berlin > Le refuge des cimes Octobre 1933 : Premier séjour départ au Proche-Orient (Turquie, Syrie, Liban, Palestine, Irak, Perse) 1934-1935 Avril 1934 : Retour en Suisse par Bakou > Hiver au Proche-Orient août 1934 : Congrès des Ecrivains Soviétiques à Moscou avec Klaus Mann Automne 1934 : Deuxième départ pour la Perse, Séjour archéologique à Rayy (1934) décembre 1934 : Retour en Suisse > Commence la rédaction de ses nouvelles orientales, La Cage aux faucons. Celles qui ont été conservées seront publiées en 1989 sous le titre « Bei diesem Regen » (Orient exils) janvier 1935 : Cure de désintoxication et tentative de suicide Avril 1935 : Troisième départ pour l’Iran 21 mai 1935 : Epouse un diplomate français, Claude Clarac, et rencontre la photographe américaine Barbara Hamilton-Wright > La mort en Perse >La Vallée heureuse 1936-1939 1936-1938 : Deux séjours aux Etats-Unis pendant lesquels elle réalise des reportages sur l’Amérique de la Grande Dépression et du New Deal. > Loin de New York (1936-38) Juin 1939 : Quitte Genève avec Ella Maillart pour gagner l’Afghanistan en voiture. > Les Quarante Colonnes du souvenir > Où est la terre des promesses ? 1940-1941 1940-1941 : Séjour aux États-Unis où elle fait la connaissance de Carson McCullers 1941-1942 : Séjour en Afrique (Congo) > Rives du Congo > Le Miracle de l’arbre > En quittant l’Afrique > Tétouan Fin mars 1942 : Retour en Europe 15 novembre 1942 : Meurt des suites d’une hémorragie cérébrale Annemarie Schwarzenbach 31 Jean Pierre Angei Jean-Pierre Angéi nous propose ici une déambulation. La recherche d’indices conduit notre regard sur l’image d’un gondolier et d’un canal, aux détails précis, avec une grande profondeur de champ et en clairs obscur…Venise ? La découverte des couloirs abandonnés d’un hôtel et des chambres aux couleurs de bonbon nous éloigne de cette certitude. La présence d’une vie passagère apporte le mouvement et nous fait passer d’un intérieur sans temporalité vers l’extérieur. Nous accompagnons le photographe dans son errance nocturne. Cette série est imprégnée de silence au-delà même de ce qui est suggéré dans chaque photographie. L’art pictural rejoint la photographie réaliste livrant au spectateur le chemin du regard posé sur ce lieu envahi tour à tour par la lumière dans lieux intérieurs et par les lueurs dans les extérieurs comme si l’exploration de ces espaces passaient par cette dualité apparemment opposée. Comme il se plait à le dire ; « il y a des chances pour que rien ne se passe et des chances pour que tout arrive » n’est-ce pas l’essence même de l’aventure ? Jean-Pierre Angei est né en 1968. Il mène un travail personnel qui s’étend sur plusieurs années, souvent emprunts de références cinématographiques (Antonioni, Jarmusch…) Photographe itinérant et indépendant, avançant sans contraintes ni buts prédéfinis. Il laisse venir l’instant sans le provoquer ; En 2004, il reçoit le 1° prix Univers d’Artiste de Dijon pour son « dream », rêve érotique à découvrir à travers 4 judas. Il propose des expositions personnelles et collectives de ses œuvres depuis 1993. Sabrina Mistral Jean Pierre Angei 33 Jean Pierre Angei 35 Sébastien Berlendis Au départ, il y a un film, profession reporter de Michelangelo Antonioni…et puis avec le désir de refaire le parcours de Jack Nicholson de Barcelone jusqu’à sa fuite à Tanger où il n’arrivera jamais, Sébastien Berlendis en arrivant vers Alméria s’arrête à Los Albaricoques, village où certains westerns de Sergio Leone ont été tournés… Il imagine une mise en scène où il ne surprend pas le moment mais le crée, tel un écrivain de la photographie. Une histoire alors se raconte… En découvrant cette suite d’images écrite à la manière des surréalistes, il est possible de penser à Duane Michals. Le photographe utilise la plongée totale puis un plan rapproché qui crée l’intimité avec une femme que le spectateur imaginera suivre dans une dérive paysagère. Il propose de continuer la route à ses côtés vers un lieu baigné par un soleil levant. Le grain des tirages devient alors plus fin… Le trouble provoqué par le changement de vêtements renforce l’idée de cet étirement du temps recherché par l’artiste. Sabrina Mistral Sébastien Berlendis 37 Sébastien Berlendis 39 Dominique Combarnous Toujours en noir et blanc, Dominique Combarnous s’est attaché à au fil du temps à capter des instantanés saisis au fils de ses voyages. Il se fait ainsi l’interprète de l’instant qu’il vit en travaillant la construction de l’image de façon humoristique et esthétique. Sensible à l’œuvre de Doisneau, Ronis, Koudelka, le photographe grenoblois sait se saisir avec talent de l’immédiateté d’une scène pour nous en donner une saveur particulière : il en est ainsi de La petite vendeuse du Mekong. Fillette « grandissime » surplombant de toute sa fragilité le fleuve du Mekong sur lequel flottent deux embarcations pleines d’hommes… L’image construite d’une succession de bandeaux horizontaux avec la ligne d’horizon, le fleuve, les pirogues et la ligne du bras de l’enfant sur son plateau amplifie la perception de la silhouette enfantine que vient baigner avec délicatesse un rayon de lumière. Avec La fillette aux arceaux, c’est d’une photo au caractère très marqué qu’il est question. La dynamique engendrée par le mouvement de l’ enfant gravissant les marches conjointement aux courbes puissantes des arceaux associées aux lignes de la porte en fer forgé donne au photographe l’occasion de restituer une densité plastique particulière à une vision passagère. Ce que nous propose l’oeil de Dominique Combarnous de façon générale, c’est une réinterprétation de la veine humaniste qui l’a tant porté à ses débuts dans la photographie : on sent combien son attachement à l’Humain s’accompagne aussi d’un amour de la parole. Sa position d’auteur de la scène photographiée est largement dépassée quand il titre ses photos . Bien souvent, les mots choisis introduisent une pointe d’humour tendre ( la petite fille du Mékong ) ou grinçant ( En sortir vivant ) comme une sorte d’hommage rendu à certaines œuvres de Doisneau ( Porte de l’enfer, 1952). Le Noir et Blanc utilisé pour ces narrations esthétiques induit une distance poétique même quand le sujet choisi fait rupture : Fuck deportation qui transpose le tramway de Lisbonne dans une mémoire collective tragique se construit dans l’association ironique d’une forme symbolique ( le wagon) et d’ une inscription sauvage sur un mur. Au-delà des sujets et des mots, et au regard de La pétanque inversée, on perçoit combien la recherche formelle permise par la photographie est à son point d’orgue dans le travail de Combernous. Les enfants joueurs de pétanque, devenus ombres, animent la composition de façon surréaliste et magique. A elle seule, cette image peut symboliser la quête du photographe : jeux et effets de lumière à travers la vie quotidienne perçue comme un voyage réel ou onirique. Isabelle Varloteaux Les 2 baigneurs (Cap Vert, 2002) Dominique Combarnous 41 Né en 1953, Dominique Combarnous est devenu photographe amateur à l’âge de 21 ans. Très sensible à l’œuvre des photographies humanistes, il avoue avoir très vite une inclinaison pour les « photos dites de rue ». Au fil du temps et de ses voyages, il abandonne l’argentique au profit du numérique pour aller à la recherche d’images et de rencontres nouvelles, loin des contingences de son métier au sein de L’Office National des Forêts. La fillette aux arceaux (Bamako, Mali, 2007) La petite vendeuse du Mékong (Phnom Penh, Cambodge, 1994) En sortir vivant (Cap Vert, 2002) Pétanque inversée (Ségou, Mali, 2007) 43 Marilia Destot Avec sa série des Ellipses, Marilia Destot nous plonge dans un univers de poésie onirique et nous invite à partager son aventure esthétique.Auteur photographe d’origine grenobloise, formée à Paris, sa vie se partage depuis 2006 entre la France et les Etats-Unis. Exploratrice du médium photographique tout autant que de l’âme humaine qu’elle dévoile et interprète, Marilia Destot compose des images d’une grande sensibilité qu’elle offre ensuite au spectateur sous une forme séquencée. Cette invitation au partage s’appuie sur le jeu de la réminiscence que chacun peut évoquer au regard de ses photos : forêt animée par la blondeur d’une silhouette féminine, dune irisée par la lumière blanche d’un soleil voilé, ruisseau éveillé par les promesses d’une nature printanière, érable pourpre automnal et promeneur en harmonie, vaste étendue maritime couronnée de bandeaux nuageux que vient rompre brutalement une silhouette isolée… Cette série des Ellipses, que l’on a pu découvrir en 2007 à la Galerie Agnés Martel en Suisse, puis en 2008 à la BNF où elle fut primée à la Bourse du Talent, est une suite d’images assemblées dans un certain ordre, selon un espace particulier et une progression chromatique réfléchie. Chaque photo est composée in-situ par l’artiste avec une grande économie de moyen : une ou deux prises de vues de la même scène. En s’imposant cette rigueur, Marilia Destot déclare ne pas être « dans la production ni le contrôle, mais la recherche d’images ». Quand l’argentique lui impose un processus lent, qui permet de « se ré-attacher l’image », le numérique lui offre la possibilité de traiter le rendu colorimétrique et les densités de la photographie choisie. Chacune des compositions réalisée devient ainsi un tableau photographique. Si l’ellipse est à la langue française l’omission d’un ou plusieurs mots qui dans une phrase ne sont pas utiles à la compréhension, les Ellipses de Marilia, présentées en dyptiques sont des évidences esthétiques issues d’une sensibilité universelle que chaque Homme peut retrouver au fond de son être. Cet exercice de mémoire nous fait mesurer alors la puissance de l’image photographique : fragment de temps, d’espace, témoignage d’un choix artistique, la photo se suffit à elle-même pour toucher le spectateur dans son intimité et l’inviter à un voyage contemplatif. Si comme le déclare René Huygues « les images constituent (…) une langue », alors celles de Marilia Destot expriment ce qu’il y a de plus suggestif et de plus profond pour toucher et émouvoir. L’intensité du travail de la jeune photographe réside dans une volonté affirmée de s’appuyer sur la technique pour traduire une esthétique riche de références historiques…« J’aspirais à capter toute la beauté qui se présentait devant moi et finalement cette aspiration a été satisfaite ». Cette déclaration de la pionnière du courant pictorialiste anglais, J.M.Cameron pourrait encore servir l’art de Marilia Destot, tant les correspondances esthétiques entre les deux femmes sont frappantes : le choix des sujets mais aussi l’usage du flou. Pour la jeune photographe grenobloise, celui-ci est évocation, suggestion, vibrato coloré, abstraction formelle qui permet de distancer la réalité dans une brume et de « créer cette impression de déjà-vu, de songe éveillé ». Marilia Destot 45 Au-delà de la vision d’un l’érable qui oppose son pourpre aux nuances verdoyantes de la praire ou de l’ondulation verdoyante d’une forêt de sapins qui en se poursuivant dans des courbes maternelles offre une évocation symbolique de la nature et de la fertilité ce sont de véritables correspondances esthétiques que nous offre la photographe à travers ses choix formels, chromatiques, symboliques … Dans chacune de ses compositions photographiques, Marilia Destot fait preuve d’une grande richesse de langage : son art s’appuie sur un vocabulaire formel et iconique très fort qui permet d’illustrer des valeurs ou des sentiments intrinsèques de l’Humain. Ce témoignage artistique témoigne d’une qualité humaine chez Marilia Destot qui avoue avancer vers « un espace temps imaginaire » tout en voulant « sonder notre présence au monde ». Née en 1977 à Grenoble, Marilia Destot fait ses études à l’Ecole Nationale de photographie Louis Lumière, à Paris de 1997 à 2000 puis intègre le Conservatoire des arts et Métiers en 2001. Très vite, elle entame une carrière de photographe et journaliste en free lance qu’elle partage entre la France et New York où elle s’installe en 2006. Connue pour ses collaborations dans les champs artistiques de la mode, de la danse et de l’édition, elle expose avec succès depuis 2000 en France ( Paris, Arles, Valenciennes, Grenoble…) en Suisse et aux Etats-Unis. La qualité esthétique de son œuvre lui vaut d’être plusieurs fois distinguée, notamment en 2008 lors de la 36e Bourse du talent où lui est décernée une mention spéciale. Isabelle Varloteaux Marilia Destot 47 Alain Doucé Alain Doucé a développé un long relationnel avec la neige et les ambiances hivernales. Accompagnateur en montagne, il la connaît bien et la photographie régulièrement lors de ses sorties en montagne. Pour ce projet, il a choisi de contrecarrer la monochromie des paysages enneigés par la flamboyance d’un parapluie multicolore. Au contraste des espaces chromatiques répond celui qui existe entre le formalisme du paysage et le caractère improbable et inadapté du parapluie dans l’espace montagnard. Ce parapluie incongru décale le regard, change notre perception et nous amène à nous questionner : un parapluie ? pourquoi ? Pour l’auteur, ce parapluie, objet étonnant, amusant, est un vecteur d’évasion et de voyage. Du parapluie et du paysage ; lequel s’accorde le mieux avec le personnage présent dans l’image ? Que font l’un et l’autre ici ? Quel est le but poursuivi et quel hasard (heureux malheureux ?) les a amené en ce lieu ? Chacun peut construire son histoire ; imaginer le cheminement, le voyage qui les a conduit ici. En jouant sur l’esthétisme et le sens, Alain Doucé invite celui qui contemple ses images à entrer dans le jeu ou bien .. se joue-t-il Passionné de montagne, Alain Doucé a construit son parcours professionnel dans le champ de la nature et de l’environnement. Depuis 2005, il est accompagnateur en montagne et a publié plusieurs ouvrages d’itinéraires de randonnées. Ses textes et photographies ont été présentées dans des magazines tels que Alpinisme et Randonnée, Dauphiné Montagne et son travail photographique a fait l’objet de plusieurs expositions. Alain Doucé 49 Alain Doucé 51 Elizabeth Filezac de l’Etang 53 Elizabeth Filezac de l’Etang 55 Grégoire Montjaux Photographe voyageur, Gregory Montjoux nous livre dans ce projet sa vision de Pahar Ganj, un quartier populaire du centre de New Delhi connu pour avoir été le quartier hippy de la ville. Gregory Montjoux ne prétend pas à l’exhaustivité et centre son travail sur ce seul quartier de NewDelhi. Ses photographies partent à la découverte de la rue Indienne et de ses contrastes, la rue inhumaine des grandes artères de circulation et des sans abris, la rue conviviale des petits commerçants, des boutiques grandes ouvertes sur le passage, la rue qui devient lieu de rencontre et d’échange. Et quand la rue devient ruelle, elle devient la rue intime, l’intimité de la pénombre des échoppes aux murs aveugles, celle de la vie de famille qui s’installe sur le pas des portes. On y découvre alors un petit havre de tranquillité protégée au milieu du bouillonnement incessant de la ville. Gregory Montjoux capte les gens dans leurs activités quotidiennes. Il nous fait découvrir des ambiances, le tumulte d’une agitation, des pratiques et des gestes qui appartiennent à un univers qui nous est étranger et rappelle ainsi l’un des objectifs du voyage : la découverte de l’autre dans ce qui le façonne le construit. Né en 1975, Grégory Montjaux pratique la photographie en autodidacte depuis 10 ans. Il met à profit ses voyages (Ladakh, Inde, Népal, Thailande, Laos) pour réaliser ses travaux photographiques. En 2007, ses photographies sont présentées dans le cadre d’une exposition collective « le regard d’Holga » à Villeurbanne et en 2010 il organise sa première exposition personnelle « Ladakh, chemin d’Himalaya » à Saint martin d’Hères (38). Grégoire Montjaux 57 Grégoire Montjaux 59 Rémi Oudinot Les images nous aspirent ; notre regard serpente le long d’une route, glisse le long d’une rampe d’un tapis roulant ou d’une carrosserie de voiture. Ici pas de cheminement ou d’errance contemplative mais un focus, une aspiration qui nous tire vers le fond et le centre de l’image comme s’il n’y avait pas de hors champ ou plutôt que l’important est au loin comme cette destination vers laquelle nous allons. Cette sensation est renforcée par des contours qui s’effacent et des lignes de fuites prononcées. Remi Oudinot nous nous livre ici des souvenirs intimes de voyages personnels ou professionnels : sélection d’images insolites et inédites qui, pour reprendre les termes de leur auteur, ‘nettoient le regard’. Le voyage apparaît comme une façon paresseuse de satisfaire sa rétine avide de nouveautés et de paysages inédits. Doit-on y voir une fuite du quotidien et du banal ? Peut-être. Mais c’est aussi des lieux improbables où l’on ne s’attarde pas volontairement. Lieux de transit et de passage : train, avion, voiture ; ce sont les incontournables de chaque voyage. Des espaces que l’on traverse et dont nous ne pouvons que de manière parcellaire et restreinte appréhender le contexte. Né en 1972 Remi Oudinot réside à Grenoble. Il obtient son premier appareil (un kodak Instamatic) à l’âge de neuf ans et découvre la photographie au Lycée. Il apprend et travaille la photographie en autodidacte. C’est à partir de 2003 qu’il présente ses images et sa première exposition a lieu à Grenoble en 2009. Rémi Oudinot 61 Rémi Oudinot 63 Halim Zenati De son travail de photographe qui s’attache à vouloir « résumer l’histoire en une fraction de seconde », Halim Zenati nous donne à voir une belle série de photos venues d’Algérie. Ses images en noir et blanc, réalisées au plus prés des gens sont réalisées le plus souvent au grand angle avec un choix délibéré de mettre en valeur les moments de la vie quotidienne qui construit un peuple ou une culture. Tous les sujets sont les siens « sauf la publicité » déclare t’il, et c’est principalement à travers l’Algérie et le Brésil qu’il construit son œuvre. Une scène de rue, une femme et deux enfants se croisant avec une bouteille de gaz, l’une sur la tête, les autres aux pieds… Un enfant assis au sol le regard porté sur un chat blotti dans la jante d’un véhicule… Un père tenant son fils dans une pose académique renforcée par une reproduction de la Joconde en arrière plan et que vient rompre le geste de l’enfant le doigt dans le nez… Un ensemble d’étagères peuplées d’enfants débordant de malice… Les scènes offertes au regard du spectateur sont avant tout des témoignages de rencontres faites au fil du temps qui induisent la tendresse et la complicité que l’auteur tisse avec ses sujets. Parfois c’est la qualité esthétique rencontrée avec le rendu des plis d’une burka et le fondu des palmiers dans la brume qui introduit une composante poétique à l’œuvre du photographe. Parfois aussi, au-delà de ses choix formels, c’est une forme de désespèrance ou d’humour qui surgit de la composition de Halim Zenati : Une silhouette au sommet d’un pic rocheux qui domine la ville…la solitude de l’homme face à l’activité urbaine ou peut être une vue du Christ de Rio revisitée … Parallèlement à ces travaux qui se rapprochent du documentaire avec une large place faite à la sphère artistique, le photographe apporte une force particulière à sa composition . Au-delà de la forme blanche d’un mur sur laquelle s’inscrivent un personnage immobile et un fragile panneau « agence reporter », on peut voir un hommage à l’âpreté du contexte historique de l’Algérie et plus particulièrement au photo-reportage algérien dont Hocine Zaouar est l’un des acteurs plus connus. Isabelle Varloteaux Halim Zenati 65 Autodidacte, Halim Zenati a découvre la photographie à l’âge de 20 ans tandis qu’il fait des études d’agronomie à Alger. En 1978,tout jeune diplômé , il travaille comme ingénieur et photographe pour le Ministère de l’Agriculture, et expose pour la première fois dans sa ville. En France depuis 1984, où il obtient un doctorat en informatique et communication, et s’installe à Grenoble . L’Algérie est au centre de son travail, comme en témoignent ses nombreux travaux photographique ou publications. Présent dans des collections publiques en France ( FNAC Paris, Artothèque Grenoble) et en Suisse (Musée de l’Elysée, Lausanne), Halim Zenati a collaboré également avec l’Institut du Monde Arabe Halim Zenati 67 Conception graphique et mise en page : Gaël Payan Commissariat des expositions : association maison de la photographie et de l’image. Prix du catalogue 15 € http://www.maison-photographie-image.com