Pédagogique - Opéra de Reims
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Pédagogique - Opéra de Reims
Dossier Pédagogique SAISON 13-14 LA BELLE HELENE d’Offenbach GENERALE OUVERTE AUX SCOLAIRES JEUDI 15 MAI 20h SAMEDI 17 MAI 20h30 DIMANCHE 18 MAI 14h30 DUREE DU SPECTACLE 2h30 AVEC ENTRACTE La déesse Vénus offre Hélène, reine spartiate, en récompense au prince troyen Pâris, avant de faire souffler un vent de débauche sur toute la Grèce… Si Jacques Offenbach et ses librettistes Meilhac et Halévy détournent les codes de l’opéra sérieux à travers une parodie des mythes de l’Antiquité grecque, c’est pour mieux se jouer des travers de la société du Second Empire. La comédie de boulevard aurait-elle trouvé son pendant lyrique ? Ouvrant la voie à l’opérette tout en conservant certains traits de l’opéra, Offenbach initie, en maître de l’opéra-bouffe, un genre à la fois pétillant et caustique. Dans une mise en scène flirtant volontiers avec la comédie musicale, Bernard Pisani dévoile une somptueuse Belle Hélène, élégante et raffinée, mais aussi tonique, frivole, cocasse… avec, pour écrin, des décors puisant dans la sensualité des peintures d’Alma-Tadema. Opéra de Reims 13 rue Chanzy 51100 Reims Location tél : 03 26 50 03 92 [email protected] Page | 1 SOMMAIRE PRESENTATION GENERALE DE L’OPERA p. 4 SYNOPSIS p. 4 JACQUES OFFENBACH 1819-1880 p. 6 FICHE IDENTITE DE L’ŒUVRE p. 8 L’ŒUVRE ET SA GENESE p. 9 L’ŒUVRE ET SA RECEPTION p. 9 LES PISTES D’EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES p. 10 LE MYTHE DE LA BELLE HELENE p. 10 DE LA PARODIE DE L’ANTIQUITE A LA SATIRE SOCIALE DU SECOND EMPIRE p. 13 UNE BELLE HELENE CENSUREE p. 15 LES FASTES DU SECOND EMPIRE p. 17 QUELQUES PISTES D’ECOUTES p. 19 LES CLEFS DE LA MISE EN SCENE p. 23 POUR EN SAVOIR PLUS p. 28 LA BELLE HELENE A L’OPERA DE REIMS p. 29 LA PRODUCTION p. 29 LA NOTE D’INTENTION DU METTEUR EN SCENE p. 29 LA BIOGRAPHIE DE BERNARD PISANI P. 30 ANNEXE P. 31 Page | 2 « Une musique du déguisement de la mélancolie, de la nostalgie d'une innocence perdue qui revêt pour cela l'habit de la gaîté la plus folle et la plus exubérante. » René Leibowitz GRAVURE DE FRAIPONT (1864) BN, Paris. Page | 3 PRESENTATION GENERALE DE L’OPERA SYNOPSIS L’action se passe à Sparte et à Nauplie avant la guerre de Troie. Acte I A Sparte, devant le temple de Jupiter. Le berger Pâris, paré de la faveur de Vénus à laquelle il vient d’accorder le prix suprême de la beauté, s’apprête à toucher la récompense promise : l’amour de la « belle Hélène », reine de Sparte. Secondé par l’augure Calchas, il n’a aucune peine à gagner le cœur d’Hélène, d’autant qu’il a remporté le concours d’intelligence organisé par Agamemnon... Seulement, il faut éloigner le mari gênant ; Calchas, en sa qualité d’augure, annonce que Jupiter ordonne que le roi Ménélas parte à l’instant même pour la Crète. Le roi, peu méfiant, finit par se résigner. Il s’éloigne en confiant sa femme et son honneur à ses hôtes. Acte II Le palais de Ménélas et d’Hélène. Hélène lutte contre Pâris et Vénus. Elle ne veut pas tromper son mari, sauf peut-être...en songe. Calchas devra prier les dieux de lui envoyer un rêve dont Pâris sera le personnage principal. Or, ce rêve se transforme en réalité car Pâris, déguisé en esclave, s’est approché de la reine. Celle-ci, croyant vraiment rêver, ne pense pas à le repousser... Soudain, Ménélas entre et les surprend. A ses hôtes, il demande compte de l’outrage fait à son honneur. Les rois sont complètement ivres. Toutefois, ils chassent Pâris et Hélène en a le cœur gros. ACTE II LE DOUX RÊVE DE LA BELLE HELENE… PHOTO DU SPECTACLE Page | 4 Acte III Sur la plage de Nauplie. Vénus, voulant venger son protégé, répand une épidémie amoureuse dans Sparte. Ce ne sont plus qu’intrigues et rendez-vous. Agamemnon et Calchas reprochent à Ménélas son égoïsme : il aurait dû sacrifier son bonheur conjugal au bonheur de tous. Il faut maintenant apaiser la déesse par un sacrifice. Ménélas fait donc venir l’augure de Vénus qui expose le désir de la déesse : la reine devra l’accompagner à Cythère et y présider un sacrifice. Hélène hésite : elle a reconnu Pâris sous les dehors du prêtre, mais son époux lui ordonne de le suivre. Elle obéit. La barque s’éloigne. Alors Pâris se fait connaître et déclare à Ménélas qu’il emmène Hélène à Troie. La « guerre de Troie » aura bien lieu ! ACTE III SUR UNE PLAGE A NAUPLIE PHOTO DU SPECTACLE Page | 5 JACQUES OFFENBACH 1819-1880 Né à Cologne (Allemagne) en 1819 dans une modeste famille juive, Jacques Offenbach révèle très jeune ses dons pour le violoncelle. Son père l’envoie poursuivre ses études musicales à Paris. À 14 ans, il est admis en classe de violoncelle du Conservatoire et débute sa carrière de soliste virtuose. L’année suivante, il rejoint l’orchestre de l’Ambigu-Comique (qui s’appellera plus tard l’Opéra Comique). Chef d’orchestre en titre de la Comédie française en 1850, il est vite apprécié pour ses « petites » compositions : valses, romances, arrangements. En 1855, il ouvre son théâtre, les Bouffes-Parisiens, afin d’y représenter ses propres œuvres. Influencé par Rossini et Mozart, il invente l’opéra bouffe français à l’humour débridé et à la satire mordante, avec la complicité des excellents librettistes Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Entre 1858 et 1869, Orphée aux Enfers(1858), La Belle Hélène(1864), Barbe-Bleue(1866), La Vie parisienne(1866), La Grande-Duchesse de Gérolstein (1867), La Périchole (1868) ou encore Les Brigands (1869) font les beaux soirs du Théâtre des Variétés. Le célèbre compositeur enthousiasme le public du Second Empire, avide de plaisirs et de dérision. Il obtient la nationalité française en 1860. Sous la Troisième République Offenbach se tourne vers la féerie, tout en se consacrant à son testament romantique, Les Contes d’Hoffmann, créés quelques mois après sa mort. Il est enterré au cimetière de Montmartre et son tombeau a été réalisé par Charles Garnier (architecte de l’Opéra de Paris). Offenbach composa 90 opérettes, opéras-bouffes ou « bouffonneries musicales ». Ses œuvres scéniques reflètent la joie de vivre du Second Empire ; elles sont comiques, satiriques et parfois même immoralistes (éloge du mariage à trois, dieux démystifiés, bourgeois débauchés…) d’où son côté populaire. La musique de son Orphée aux enfers (le « galop final »), récupérée par le french cancan, est devenue l’une des musiques les plus mondialement connues, symbole de la vie parisienne de l’époque. Malgré la légèreté apparente de ses sujets, sa composition musicale n’en est pas moins des plus abouties et digne des grands maîtres de l’opéra. « Bourreau de travail, il dut torturer son corps, atteint par la goutte, par une incessante activité créatrice et par un souci de la perfection auquel il sacrifiait tout – santé, amitié, repos, temps libre. Il s’est battu jusqu’à la nuit de son décès, remboursant des dettes considérables dont il n’était pas le seul responsable. Sans doute quelques-uns de ses personnages prêchent-ils l’abandon ; la vie d’Offenbach a été celle d’un lutteur acharné. » Robert Pourvoyeur, Offenbach, « Solfège », Seuil, 1994, p. 22. Page | 6 JACQUES OFFENBACH PAR LUI-MEME Mon cher Bourdin* Vous me demandez quelques détails sur ma vie, pour L'Autographe ; les voici : Je suis venu au monde à Cologne : le jour de ma naissance, je me rappelle parfaitement qu'on me berçait avec des mélodies. J'ai joué de toutes sortes d'instruments un peu, de violoncelle beaucoup - Je suis arrivé à Paris à l'âge de treize ans. J'ai été au Conservatoire comme élève, à l'Opéra-comique comme violoncelliste, plus tard au ThéâtreFrançais, comme chef d'orchestre. J'ai frappé avec courage, mais vainement, pendant une dizaine d'années à la porte de l'Opéra Comique pour me faire recevoir un acte. J'ai créé, alors, le théâtre des Bouffes Parisiens : dans l'espace de sept ans, je me suis reçu, monté et joué une cinquantaine d'opérettes- J'ai abdiqué, comme directeur, il y a deux ans. Comme compositeur, j'ai commencé par les Deux Aveugles et je viens de finir par les Géorgiennes. Il me sera beaucoup pardonné parce que je me suis beaucoup joué. Je suis Français depuis trois ans, grâce à l'empereur qui a daigné m'accorder mes lettres de grande naturalisation. J'ai été nommé chevalier de la Légion d'honneur, il y a deux ans. Je ne vous parle ni de mes nombreux succès ni de mes quelques chutes : le succès ne m'a jamais rendu fier, la chute ne m'a jamais abattu. Je ne vous parlerai pas non plus de mes qualités, ni de mes défauts. J'ai pourtant un vice terrible, invincible, c'est de toujours travailler. Je le regrette pour ceux qui n'aiment pas ma musique, car je mourrai certainement avec une mélodie au bout de ma plume. Bien et toujours à vous. Jacques Offenbach (25 mars 1864) *journaliste au Figaro Page | 7 FICHE IDENTITE DE L’ŒUVRE La Belle Hélène est un opéra-bouffe en trois actes de Jacques Offenbach sur un livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, créé à Paris, au théâtre des Variétés, le 17 décembre 1864. L’INTRIGUE EN BREF Il s’agit d’une adaptation sur un mode humoristique du récit mythologique de l’enlèvement d’Hélène par Pâris et des événements à l’origine de la guerre de Troie. Le compositeur et ses librettistes parodient les grands opéras de la période romantique qui traitent habituellement de manière sérieuse des héros et des récits de l’Antiquité. LA PORTEE SUBVERSIVE DE L’ŒUVRE : La Belle Hélène dénonce, sous couvert de la Grèce antique, les travers de la société du Second Empire, légère, frivole, axée sur les plaisirs de toutes sortes. RÔLES ET VOIX Pâris, fils de Priam, ténor Ménélas, roi de Sparte, ténor Agamemnon, roi des rois, baryton Achille, roi de Phtiotide, ténor Ajax I, roi de Salamine, ténor Ajax II, roi des Locriens, baryton Hélène, reine de Sparte, mezzo-soprano Oreste, fils d’Agamemnon, soprano Bacchis, suivante d’Hélène, mezzo-soprano Léoeuna, hétaïre, soprano Parthoénis, hétaïre, soprano Gardes, esclaves, peuple, princes, princesses Pleureuses d’Adonis, suivantes d’Hélène ORCHESTRE 2 flûtes Hautbois 2 clarinettes Basson 2 cors 2 cornets à piston Trombone Une paire de timbales Percussions Cordes A NOTER : Offenbach surprend en choisissant une voix de mezzo-soprano et non de soprano pour le rôle d’Hélène. Veloutée et sensuelle, cette tessiture permet d’illustrer les déchirements amoureux de l’héroïne, tout à la fois amoureuse de Pâris mais soucieuse aussi d’être une épouse fidèle. Page | 8 L’ŒUVRE ET SA GENESE La Belle Hélène est le premier fruit de la collaboration de Meilhac et Halévy avec Offenbach. Ensemble, ils produiront treize autres œuvres (la Vie parisienne, la Grande-duchesse de Gérolstein ou la Périchole). Offenbach ayant abandonné la direction des Bouffes-Parisiens, l’œuvre est donnée au Théâtre des Variétés avec un orchestre réduit, des chœurs peu satisfaisants et un budget étroit pour les décors et les costumes. A ces difficultés s’ajoutent la rivalité haineuse entre les interprètes des rôles d’Hélène (Hortense Schneider) et d’Oreste (Léa Silly) ainsi que la menace de censure, le personnage de Calchas étant perçu comme une caricature du clergé. L’ŒUVRE ET SA RECEPTION Après des répétitions difficiles et houleuses, la création de La Belle Hélène, le 17 décembre 1864, remporte un triomphe. La « profanation de l’Antiquité », comme pour Orphée, est certes critiquée mais elle contribue grandement au succès. Seuls quelques spectateurs se rendent compte de la portée sociale et politique de l’œuvre. La princesse de Metternich, la femme de l’ambassadeur d’Autriche-Hongrie déclare : « Nous avons eu tord d’assister à la première ; notre nom figurera dans tous les journaux, et il n’est pas agréable pour une femme d’être allée quasi officiellement à une pareille pièce… » (propos cités par Laurent Fraison, Avant-Scène Opéra, p. 16.). L’œuvre fera le tour du monde et donnera son nom à une station de métro de Budapest ainsi qu’à un dessert glacé… Page | 9 LES PISTES D’EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES LE MYTHE DE LA BELLE HELENE Qu’on la nomme "belle Hélène", "Hélène de Troie", "Hélène de Sparte", "Hélène d’Egypte", "fille de Léda" ou "la plus belle femme du monde", c’est toujours à la protégée d’Aphrodite et à la fille spirituelle de Pandore que l’on se réfère. Hélène est la fille de Zeus et de Léda. Désirée par tous les princes de Grèce pour sa très grande beauté, elle choisit comme mari Ménélas, roi de Sparte. Les époux eurent une fille, Hermione. Tout paraissait pour le mieux mais c’était sans compter les tours d’Aphrodite qui avait promis à Pâris l’amour de la plus belle femme du monde. Aidé par la Déesse, le jeune homme s’embarqua pour Sparte et fut reçu chez Ménélas qui rendit hommage au prince étranger selon les règles de l’hospitalité. Mais, le dixième jour, il dut partir pour la Crète. Pâris profita alors de l’occasion pour faire la cour à Hélène. Elle accepta donc les trésors dont il lui fit cadeau et elle le suivit à la tombée du jour. Le couple s’enfuit et arriva à Troie où leur mariage fut célébré. Iris, la messagère des Dieux, apporta la nouvelle à Ménélas qui, fou de colère, décida de lever une expédition avec son frère Agamemnon ainsi que tous les rois et héros de Grèce. La guerre de Troie, racontée dans l’Iliade d’Homère, dura près de 10 ans et accorda la victoire au roi outragé. DE LA BEAUTE D’HELENE…. HOMERE : L'ILIADE, CHANT III VERS 156-158 Il ne faut pas s’indigner si les Troyens et les Achéens aux belles jambières endurent de si longues souffrances pour une telle femme ; elle ressemble si fort, quand on la regarde, aux déesses immortelles. ISOCRATE, ÉLOGE D'HELENE, X §17 (Zeus) la pourvut d'une beauté propre à attirer tous les regards et à susciter toutes les rivalités. Page | 10 EN CLASSE HISTOIRE DES ARTS Comme de nombreux mythes, celui de la « belle Hélène » a donné lieu à une production immense et variée, touchant toutes les époques et privilégiant tel ou tel aspect d’un récit polymorphe. L’étude de ce mythe et des écritures artistiques qui en émanent, s’intégrera, au collège, dans la thématique : « Arts, mythes et religions » et au lycée dans celle dédiée à « Arts et sacré » et plus précisément « l’art et les grands récits (religions, mythologies) : versions, avatars, métamorphoses ». ARTS DU LANGAGE Les sources littéraires sont nombreuses. Elles sont répertoriées sur le site : http://www.mediterranees.net/mythes/troie/helene/index.html Quelques exemples : - Homère, extraits de L'Iliade : chant III (vers 146-180, 383-421, 422-446), chant VI (342-368), chant XXIV (vers 761-776). - Homère, Odyssée, IV. - Apollodore, Bibliothèque (III, 1). - Euripide, Hélène (vers 15-30). - Isocrate, L’Eloge d’Hélène. - Ovide, Héroïdes XVI et XVII. - Leconte de Lisle, Hélène, drame antique (1852). Page | 11 ARTS DU QUOTIDIEN - Amphore attique à figures noires représentant le « jugement de Pâris », 560-540 av. J.-C. (ci-contre). - Mosaïque de sol, « le jugement de Pâris », conservée au Louvre, département des antiquités grecques, étrusques et romaines. Cette mosaïque décorait la salle à manger d'une riche maison romaine à Antioche, au IIe siècle ap. J.-C. (Reproduction p. 19 du présent carnet d’opéra). ARTS DU VISUEL - Francesco Primaticcio, dit Le Primatice (15041570), l’Enlèvement d’Hélène. - Jacques-Louis David (1748-1825), Les amours de Pâris et d’Hélène. - Jean-Honoré Nicolas Fragonard (1732-1806), L’Enlèvement d’Hélène. - Henri Fantin-Latour (1836-1904), Hélène et ses prétendants. - Gaston Bussière (1862-1928), Hélène de Troie. ARTS DES SONS Richard Strauss : Hélène d’Egypte est un opéra en deux actes sur un livret d’Hugo von Hofmannsthal. Il est créé à Dresde le 6 juin 1928. Le célèbre compositeur situe l’action non pas avant la guerre de Troie (comme Offenbach) mais après : la magicienne Aithra interroge son coquillage qui sait tout et apprend que sur le bateau qui le ramène de la guerre, Ménélas projette de tuer sa femme Hélène, responsable des malheurs des Grecs. Page | 12 DE LA PARODIE DE L’ANTIQUITE A LA SATIRE SOCIALE DU SECOND EMPIRE Offenbach, dans La Belle Hélène, tout comme dans Orfée aux enfers, place l’action dans une Antiquité où la mythologie grecque est tournée en dérision. Les dieux sont relégués au rang d’accessoires et les héros virils et vertueux deviennent des personnages cupides, envieux et tricheurs (Calchas), débauchés et dépensiers (Oreste), geignards (Achille), jaloux (les deux Ajax), méprisants envers leur peuple (Ménélas) et, d’une manière générale, plutôt idiots ; ils passent leur temps à se chamailler, à jouer, à manipuler. Quant à la Belle Hélène, reine de Sparte, elle aurait voulu être une bourgeoise, rêve d’amour et prend un amant : Pâris, séducteur moins fougueux que poseur. Offenbach rejoint ainsi les Goncourt pour qui « l’Antiquité a peut-être été faite pour être le pain des professeurs »1 et Jules Valles qui, dans article paru dans l’Evénement, n° 105 du 17 février 1866, à l’occasion d’une représentation de l’opéra-bouffe d’Offenbach Barbe-Bleue, écrit : « Nous descendons des hauteurs de l’art solennel et vide dans le domaine de la bouffonnerie joyeuse. Bravo ! On fait bien de traîner devant la rampe et de livrer à la risée du peuple tous ces héros, ces dieux, qui depuis trois mille ans, six mille peut-être – on n’a jamais bien su ! – rôdent en caleçon abricot et en tricot de laine bleue, sans chaussettes, sur les planches d’un théâtre triste, où se tient la tradition comme un pompier. On nous dit que nous insultons « le vieil Homère ». Ah ! Ils me fatiguent avec le vieil Homère ! Ils sont toujours à nous parler de cet aveugle, et l’on passe pour une mauvaise nature s’il l’on ne se signe pas et si l’on n’ôte pas son chapeau devant cet immortel Patachon ! Pourquoi donc ne se moquerait-on pas du vieil Homère ? […] On nous rassasie de gravité et de morale ! Merci à vous qui jetez pour contrepoids dans la balance la gaieté à pleines mains, et qui attachez des grelots d’argent au plateau de fer ! Et toi, « vieil Homère », aux Quinze-Vingts ». JULES VALLES EN CLASSE LETTTRES / HISTOIRE : lire et commenter certains extraits du livret où la parodie de l’Antiquité est la plus mordante. L’enseignant trouvera, en ligne, l’intégralité du livret sur le site : http://www.mediterranees.net/mythes/troie/offenbach/helene3.html Le livret regorge de propos et dialogues humoristiques maniant joyeusement l’anachronisme : on parle volontiers l’argot (écrit dans le livret « Argos » pour le jeu de mots puisque l’Argos est la patrie d’Agamemnon….), un « dialecte » qui a de « l’avenir » ! 1 Edmond et Jules Goncourt, Journal, mémoires de la vie littéraire, texte établi par Robert Ricatte, coll. Bouquins, 2 vol. Robert Laffont, 1989, v.1, p. 821. Page | 13 ORESTE Un sacrifice, aujourd’hui ? A quelle occase ? CALCHAS Tiens, vous parlez l’Argos ? ORESTE Quand ça me vient ! Ce dialecte a de l’avenir… Un vent de débauche règne sur la Grèce et sur l’illustre famille des Atrides, désacralisant les personnages de la mythologie : ORESTE CHŒUR C’est avec ces dames qu’Oreste Fait danser l’argent à Papa ; Papa s’en fiche bien, au reste, Car c’est la Grèce qui paiera. Dansons, buvons ! Buvons, chantons ! Dansons, buvons ! Et trémoussons-nous avec nos verres ! L’institution du mariage n’est pas respectée et la morale en souffre un peu…. Ainsi, Pâris au premier acte affirme : PARIS Quand on est deux, l’hymen est une chaîne Dont il est malaisé de supporter le poids ; Mais on la sent peser à peine, Quand on est trois. HELENE Ah ! Délicieux ! Délicieux ! Page | 14 DU RIRE AUX LARMES… « Mais, à y regarder de plus près, les choses s’avèrent n’être pas aussi simples et, tout d’abord, la gaîté, l’humour et la bonne humeur qui se manifestent ici ne sont pas absolument univoques. Il va de soi, en effet, qu’une satire aussi évidente d’une époque donnée, une ironie et une raillerie aussi « datées », aussi liées à une situation et des événements précis n’auraient su garder leur fraîcheur et leur entrain et même pour le public contemporain d’Offenbach qui riait parce qu’il se reconnaissait sous les déguisements divers des personnages d’Orphée, de la Belle Hélène ou de La Vie Parisienne, la vue même de ces spectacles devait recéler une certaine ambiguïté. Ce public riait – c’est un fait – mais il riait parce que ce qu’il voyait était risible et puisqu’il s’agissait de lui-même, c’est donc qu’il était lui-même risible et s’il était luimême risible c’est donc que tout cela contenait également une part de tristesse. » RENE LEIBOWITZ, HISTOIRE DE L’OPERA, P. 170. Quelques critiques, indignés par cette caricature des rois de Grèce transformés en bouffons ridicules, crièrent à l’irrévérence, voire à l’injure. « On nous permettra de ne pas nous arrêter beaucoup à la Belle Hélène. De telles folies échappent au compte rendu. Il faut les voir pour s’en faire une idée. Le succès est incontestable, mais ce genre n’a pas toutes nos sympathies, et nous trouvons particulièrement regrettable que des hommes aussi distingués que Meilhac et Ludovic Halévy, qui ont mieux fait et qui ont mieux à faire, s’amusent à ces sortes de parodies.» Gustave Bertrand pour Le Ménestrel, N° 952 du 25 décembre 1864. Ce travestissement de l’Antiquité présente un reflet, à peine voilé, de la haute société et de ses mœurs légères avec ses rejetons des grandes familles, ses cocottes, gens d’esprit, nouveaux bourgeois, qui se pressent pour se faire voir au spectacle ou prendre des bains de mer nouvellement à la mode….. « Oui, avec Offenbach, Paris se moquait de soimême, de sa prospérité, de sa propension au plaisir, peut-être aussi de sa fin prochaine »2. La censure avait pourtant tenté de supprimer les propos les plus inconvenants. UNE BELLE HELENE CENSUREE Le livret de l’opéra fut scrupuleusement examiné le 18 octobre 1864, après la générale. La censure apporta des modifications sensibles dont voici quelques exemples rapportés par Jean-Claude Yon3 : « Le personnage de Calchas, raillerie féroce du clergé, est celui que les censeurs ont le moins apprécié. A la fin du troisième acte, il devait embarquer sur la galère de Cythère avec Hélène, être jeté par-dessus bord par l’équipage troyen et revenir sur scène pour dénoncer la supercherie de Pâris et appeler à la vengeance. L’opéra-bouffe se terminait ainsi sur un chœur guerrier des Spartiates brandissant leurs glaives tandis qu’Hélène et Pâris chantaient en coulisse un hymne à la 2 André Tubeuf, « Le Crépuscule des divas, ou Naissance de la parodie », in livret d’accompagnement du CD La Belle Hélène, EMI, 1985, p. 4. 3 Voir « bibliographie » dans la rubrique « pour en savoir plus », p. 28. Page | 15 gloire de Vénus. La censure n’a pas voulu de ce grand augure tombant à l’eau et l’acte entier a été refait car les mœurs dissolues suscitées par Vénus pour punir Ménélas étaient présentées d’une façon trop explicite, Oreste ayant par exemple volé la femme du forgeron Enthyclès et refusant de la ramener à son mari. Les interventions de la censure ont été moins importantes dans les deux premiers actes mais elle a supprimé de nombreuses répliques, tel ce quatrain chanté par Ménélas à son retour de Crète : Soit mais si vous laissez l’outrage Monter jusques au fond des rois, C’est fait à jamais des lois Qui régissent le mariage. On comprend ce que ces quatre vers pouvaient avoir de sulfureux… La censure a supprimé de même toutes les allusions à des personnages réels, comme l’ambassadrice d’Autriche, l’excentrique Pauline Metternich qui était reconnaissable lorsqu’Hélène évoquait la « femme du ministre de Macédoine avec ses tuniques courtes et ses cothurnes à talon ». De même les censeurs ont tenu à ce que Vénus ait promis « l’amour de la plus belle femme du monde » et non « la plus belle femme du monde » au fils du roi Priam, selon leur volonté systématique de substituer l’abstrait au concret. Les multiples changements de détails qu’ils ont imposés rendent parfois l’érotisme de la pièce encore plus diffus et, du coup, plus efficace… Un réel trouble sensuel envahit chaque soir la salle des Variétés lorsqu’Hortense Schneider invoque Vénus : Ah, malheureuses que nous sommes ! Beauté, fatal présent des cieux ! Il faut lutter contre les hommes, Il faut lutter contre les dieux. Vous le voyez tous, moi je lutte, Je lutte et ça ne sert à rien. Car si l’Olympe veut ma chute ? Un jour ou l’autre il faudra bien. Dis-moi Vénus, quel plaisir trouves-tu A faire ainsi cascader la vertu ? (II,4) Il n’est pas étonnant que La Belle Hélène ait pu, dans certains milieux, passer pour le comble de la licence et que Pauline Metternich, celle-là même que visait une réplique censurée, se soit vue reprocher par son mari d’avoir assisté à la première de l’ouvrage et ainsi « d’avoir été quasi officiellement à une pareille pièce ! » Jean-Claude YON, Offenbach, Gallimard, 2000, pp. 304-305. Page | 16 EN CLASSE HISTOIRE DES ARTS : Le professeur pourra étudier le rôle de la censure dans le livret de l’opéra et posera le problème de la liberté d’expression de l’artiste. Plus largement, il sera amené à mettre en lumière les liens qu’une œuvre d’art peut tisser avec un pourvoir. Ce travail peut s’insérer : - au collège dans la thématique : « Arts, états, pouvoir » - au lycée dans la thématique : « Arts et idéologies » LES FASTES DU SECOND EMPIRE EN CLASSE HISTOIRE : pour comprendre la charge subversive de La belle Hélène qui porte en elle une satire cachée du régime de Napoléon III, il est nécessaire de faire quelques rappels historiques sur l’importance des festivités à l’époque de Napoléon III. « Il est fréquent de percevoir le Second Empire comme un vaste spectacle du pouvoir en représentation ; pour Ferdinand Bac, témoin enfant des fastes de la cour, « il fut un beau théâtre qui flambera en quelques heures pour ensevelir sous des cendres toute la frivolité empanachée ». La mise en scène du pourvoir, cette incontournable « fête impériale », s’inscrit dans une société marquée par l’emprise du spectacle. La société du spectacle, dans toute son ampleur, sa diversité et sa complexité, comme la définit Christophe Charle, est aujourd’hui l’objet d’un intérêt renouvelé à la croisée de tous les champs de la recherche historique. Les souverains n’échappent évidemment pas à cette omniprésence du spectacle auquel est lié le régime lui-même, tant la représentation du pouvoir, telle que l’a voulue Napoléon III, est ponctuée par des fêtes et des spectacles donnant l’image de souverains évoluant dans le faste. » Xavier MAUDUIT, In Les spectacles sous le Second Empire, sous la direction de Jean-Claude YON, chapitre « les souverains au théâtre et le spectacle dans les palais impériaux sous le Second Empire », Armand Colin, Paris, 2010. A l’avènement du Second Empire une page de l’histoire de France est tournée. La société française change, elle aspire à la paix et au plaisir. Napoléon III veut faire de la France un Etat moderne et prospère et redonner à Paris son rôle de capitale-phare. Il fait développer l’industrie, rénover le commerce, créer un grand réseau ferroviaire pour relier la province à la capitale et surtout transformer Paris. Pour cela il charge le baron Haussmann de moderniser la capitale. Il se lance alors dans de grands travaux en abattant des quartiers insalubres, en créant de larges avenues, des jardins publics (Alphand), en apportant le confort moderne (gaz), en créant des gares (gares de l’Est puis du Nord). Pour réaliser ces grands travaux, l’Empire s’appuie sur les banquiers et les industriels, créant ainsi une riche bourgeoisie qui contribue au rayonnement de la nouvelle vie parisienne. L’empereur organise la première exposition universelle française en 1855 pour montrer à l’Europe et au monde la prospérité de la France…et où il invite de nombreux souverains étrangers (la Reine Victoria qui arrive gare de l’Est, le Tsar Alexandre II, le Roi de Prusse Guillaume Ier, le Sultan Turc…). Paris est alors, et pour quelques décennies encore, une capitale mondiale dont les lieux de divertissements attirent une clientèle venue de partout dans le monde. La société du Second Empire est brillante et voulue comme telle par Napoléon III, en opposition à la vie de famille « casanière » que menait Louis Philippe aux Tuileries. Page | 17 La fête impériale brille de tous ses feux tout au long du règne de Napoléon III. Paris doit être une fête rythmée par des bals et des valses, comme le prouve le tableau de Jean-Baptiste Carpeaux, Bal costumé au palais des Tuileries au salon de 1867 (date de création de la Belle Hélène…) ou encore celui d'Henri Baron, Fête officielle au Palais des Tuileries pendant l'Exposition universelle de 1867. Les critiques se réjouissent de voir " les tulles, les gazes, les rubans, les fleurs qui se mêlent dans les toilettes des femmes " dans une ambiance d'élégance et de profusion de lumière et de draperies. A LIRE : le texte d’Emile Zola sur la « féérie de l’opérette » proposé en carnet de lecture p. 31. Paradoxalement, Zola critique vertement l’opérette qu’il juge comme un divertissement uniquement frivole. POUR APPROFONDIR : le professeur pourra trouver une analyse détaillée de ce tableau tant au niveau de l’esthétique que du contexte historique sur le site : http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=227&oe_zoom=432&id_sel=432 Page | 18 QUELQUES PISTES D’ECOUTES ACTE I, N°6 : LE JUGEMENT DE PÂRIS C’est moment clé pour comprendre l’opéra mais aussi le mythe de la belle Hélène. Grâce à ce jugement prononcé en faveur de Vénus (Aphrodite dans la mythologie grecque) lors d’un concours de beauté, Pâris bénéficiera de l’aide précieuse de la Déesse pour séduire Hélène, la plus belle femme du monde. Le célèbre récit prend la forme, comme de nombreux airs d’Offenbach, d’un rondeau, ici avec six couplets et un refrain : Evohé, que ces Déesses, Pour enjôler les garçons, Evohé, que ces Déesses, Ont de drôles de façons. EN CLASSE DES MELODIES FRAÎCHES ET AUTHENTIQUES « L’opéra bouffe est le produit corrompu d’une époque corrompue ; mais la musique d’Offenbach est une musique propre et saine. Ses mélodies, toutes simples qu’elles soient, sont toujours pleines de fraîcheur et d’une inspiration authentique ». EDUCATION MUSICALE On pourra envisager de faire chanter cet air, d’esprit populaire et dépourvu de toute forme d’exubérance vocale. Essentiellement syllabique, les quelques vocalises présentes sont trop brèves pour constituer de réelles difficultés : Albert EINSTEIN, La musique romantique, trad. J. Delalande, Gallimard, Paris, 1959. 1er Couplet Page | 19 A VOIR Le jugement de Pâris, chanté par le ténor Florian Laconi, mise en scène de Bernard Pisani (qui la reprend de façon identique pour l’opéra de Reims), direction de Dominique Trottein. http://www.youtube.com/watch?v=RBvdTe6PMj0 Page | 20 ACTE I, N°7, MARCHE ET COUPLETS DES ROIS Tour à tour, les rois de Grèce (qui participeront plus tard à la guerre de Troie) se présentent : d’abord les deux Ajax, puis Achille suivi de Ménélas et enfin Agamemnon. Le moment devrait être majestueux et solennel.…. Mais, Offenbach bouleverse les codes et tourne en ridicule la situation. Il utilise pour cela des effets syllabiques cocasses, en particulier ceux obtenus par des jeux de répétitions syllabiques. La musique, quant à elle, renforce l’effet comique par des appuis inappropriés entraînant les paroles à contresens et produisant des effets de bégaiements grotesques. Agamemnon, par exemple, semble tituber, il n’est pas un roi « barbu qui s’avance » mais « bu qui s’avance », « bu qui s’avance »…… Ménélas, le futur mari trompé, n’est plus « l’époux » de la reine mais le « poux » de la reine, le « é » passant bien vite aux oubliettes ! Musicalement, les syllabes répétées comme « poux » ou « bu » sont mises en lumière par l’accent naturel qui leur est porté, tombant sur le premier temps - temps fort - de la mesure à 2/4 à chacune des répétitions : Aucune distinction n’est opérée musicalement pour distinguer ces nobles rois. La musique, de forme strophique, est identique sur chaque couplet. « On peut analyser ces césures (« barbu qui s’avance, bu qui s’avance », dans La Belle Hélène) ou ces répétitions (« Il faut qu’un bon courtisan s’incline, qu’il s’incline » dans Barbe-bleu) comme l’expression d’une certaine désinvolture vis-à-vis du texte. (…) Mais il me semble qu’il s’agit d’abord d’un abandon quasi physique, de la part du compositeur, à cet effet grisant émanant des mots et des syllabes de la langue française. On trouvera cet effet dans les écoles d’« opérettes » dérivées de l’esthétique d’Offenbach (Londres, Madrid, Berlin, Vienne), sans parler des déluges syllabiques dans l’opéra bouffe italien. Mais chez notre musicien, cela verse dans l’ivresse pure, comme dans ce passage de Ba-ta-clan où les personnages ne semblent plus pouvoir se lasser de répéter à l’infini « Il demande une chaise. » (…) cette étrange ivresse verbale, fondée sans doute en partie sur la découverte tardive de la langue française, dont il semble user comme un jouet, est probablement aussi l’une des raisons pour lesquelles les poètes surréalistes - Breton en tête -, généralement peu férus de musique, vouaient au compositeur de La Belle Hélène un culte tout particulier. Robert POURVOYEUR, Offenbach, « Solfèges », Seuil, 1994, P. 170. Page | 21 COUPLET 1 COUPLET 2 Les deux Ajax Ces Rois remplis de vaillance, plis de vaillance, plis de vaillance, C’est les deux Ajax. (Les deux, les deux Ajax) Etalant t’avec jactance, t’avec jactance, t’avec jactance, Leur double thorax. (Leur dou, double thorax) Parmi le fracas immense des cuivres de Sax. Ces Rois remplis de vaillance, plis de vaillance, plis de vaillance, C’est les deux Ajax, les deux, les deux Ajax. Chœur Ces Rois remplis de vaillance, plis de vaillance, c’est les deux Ajax. Ces Rois remplis de vaillance, plis de vaillance, c’est les deux Ajax. Achille Je suis le bouillant Achille, bouillant Achille, bouillant Achille, Le grand Myrmidon, (Le Myr, le Myrmidon) Combattant un contre mille un contre mille, un contre mille, Grâce à mon plongeon. (Grâce au, grâce au plongeon) J’aurais l’esprit bien tranquille, N’était mon talon. Je suis le bouillant Achile, bouillant Achille, bouillant Achille, Le grand Myrmidon, Le Myr, le Myrmidon. COUPLET 3 COUPLET 4 Ménélas Je suis l’époux de la Reine, poux de la Reine, poux de la Reine, Le Roi Ménélas, (Le Méné, Ménélas) Je crains bien qu’un jour Hélène, qu’un jour Hélène, qu’un jour Hélène, Je le dis tout bas, (Il dit tout, tout, tout bas) Ne me fasse de la peine.. N’anticipons pas. Je suis l’époux de la Reine, poux de la Reine, poux de la Reine, Le Roi Ménélas, Le Méné, Ménelas. Chœur C’est lui l’époux de la Reine, poux de la Reine, le Roi Ménélas C’est lui l’époux de la Reine, poux de la Reine, le Roi Ménélas Agamemnon Le Roi barbu qui s’avance, bu qui s’avance, bu qui s’avance, C’est Agamemnon ! (Aga, Agamemnon) Et ce nom seul me dispense seul me dispense, seul me dispense D’en dire plus long. (D’en di, dire plus long) J’en ai dit assez, je pense, en disant mon nom. Le Roi barbu qui s’avance, bu qui s’avance, bu qui s’avance, C’est Agamemnon ! Aga, Agamemnon ! Chœur Le Roi barbu qui s’avance, bu qui s’avance, C’est Agamemnon ! Le Roi barbu qui s’avance, bu qui s’avance, C’est Agamemnon ! Page | 22 Aga, Aga, Agamemnon ! EN CLASSE EDUCATION MUSICALE L’apprentissage vocal des couplets des rois est possible, en accordant une vigilance toute particulière au texte, déclamé dans un tempo allegro moderato. Seul le développement d’une articulation adaptée pourra permettre une bonne diction et intelligibilité de ces couplets. A VOIR LE COUPLET DES ROIS sur : http://www.youtube.com/watch?v=2yBrRy2OLVY dans la production de Laurent Pelly pour le Théâtre du Châtelet en 2001 avec : MICHEL SENECHAL : Ménélas, LAURENT NAOURI : Agamemnon, sous la direction de MARK MINKOWSKI. (photo du DVD de cette production ci-contre) Une réflexion avec les élèves pourra s’engager autour des moyens scéniques mis en œuvre pour servir le texte et la musique dans une surenchère d’effets comiques. ACTE III, N°21, TYROLIENNE AVEC CHŒUR Afin de duper Ménélas et d’enlever Hélène, Pâris s’est déguisé en grand Augure. « La galère, venant de la gauche, aborde au fond du théâtre : le grand Augure de Vénus est debout sur le pont, entouré de petits amours formant l’équipage de la galère. Le grand Augure, c’est Pâris, mais un Pâris méconnaissable, barbe frisée et tuyautée. Du reste, costume joyeux, couleurs claires, couronnes de roses, etc. Le grand Augure descend de la galère, rois et peuple se prosternent ». (Livret, acte III) La docte intervention du faux Augure se fait par une tyrolienne endiablée puisqu’enfin le règne de Vénus est « un règne joyeux » et qu’il faut être gai : « je suis gai, soyez gais, il le faut, je le veux ». Offenbach respecte les codes de ce type de chant particulier "Jodle" ou "Yodle" avec ses syllabes dépourvues de toute signification et le passage en voix de tête : Voilà qui contraste fort avec le maintien solennel que l’on attendrait d’un tel personnage. Page | 23 EN CLASSE En éducation musicale, le professeur pourra aborder la thématique de la musique et des arts du langage en étudiant les relations qui unissent texte et musique. Dans le cas présent, cette tyrolienne avec chœur a quelques « longueurs d’avance » sur le texte et la portée dramatique du livret. Offenbach se sert ici de la musique pour faire sentir au public la vérité cachée : bien avant les rois, nous avons deviné la véritable identité du soi-disant Augure. A VOIR - La tyrolienne avec chœur : http://www.youtube.com/watch?v=7trldSOwvoA dans la production de Laurent Pelly pour le Théâtre du Châtelet en 2001 avec : YANN BEURON dans le rôle de Pâris. - Comparaison possible avec la mise en scène de Pisani pour l’opéra de Reims : http://www.youtube.com/watch?v=ihr1fiBBtec On remarquera la chorégraphie « déjantée » s’inspirant de mouvements de danses aux horizons multiethniques sans aucune logique apparente. Elle contribue ainsi, tout comme la musique, à rendre ridicule et peu crédible le grand Augure. LES CLEFS DE LA MISE EN SCENE Les choix de mise en scène mettent en lumière une vision de l’antiquité fantasmée et distanciée, dans un esprit -tout comme le livret – proche de la parodie. Les décors s’inspirent très librement de l’antiquité avec ses escaliers imposants de marbre blanc, ses colonnes. Les costumes aussi témoignent de ce passé revisité avec leurs drapés, toges, sandales « spartiates » jusqu’à l’ultime tenue d’Hélène, digne d’une Cléopâtre hollywoodienne. Le tout est subtilement décalé avec l’introduction d’éléments plus contemporains comme les planches de Deauville au second acte évoquant la plage de Nauplie (voir photo p. 5) et soulignant aussi la vogue des bains de mer sous le second empire. De même, on remarquera la présence de l’Opéra Garnier (construit aussi sous le second empire dont la première inauguration eut lieu en 1867) dans le paysage lointain de Sparte. Page | 24 Le metteur en scène s’est aussi et surtout inspiré des peintures d’Alma-Tadema (1836-1912), qualifié de « peintre du marbre » sous l’ère victorienne. Il puise dans l’antiquité ses sujets et modèles. Le peintre avait découvert Pompéi lors de son voyage de noces en 1863. Avec une exceptionnelle collection de photographies d'antiquités romaines et grecques (pas moins de 168 volumes), il disposait d'un répertoire inépuisable d'objets de la vie quotidienne à Rome, Athènes ou Pompéi. Réellement amoureux de l'antiquité, il fit transformer sa maison du Regent's Park en villa pompéienne ! Ci-dessous, un des chefs-d’œuvre le plus célèbre du peintre dont la puissance repose sur l’alliance d’une grande richesse décorative et d’une forte tension dramatique : LES ROSES D’HELIOGABALE, 1888 HUILE SUR TOILE, 132.7 X 214.4 CM COLLECTION PEREZ SIMON, MEXICO Page | 25 L’opéra-bouffe La belle Hélène renoue donc avec l’antiquité non seulement dans son sujet mais aussi dans sa mise en scène. Plus largement, le peintre a influencé la mise en scène dans le raffinement et la délicatesse des couleurs, la pureté des lignes de la scénographie. Tout comme les personnages de ce tableau, la belle Hélène sera coiffée de couronnes de fleurs d’un rose très pâle. Lors du bain de la célèbre reine, ces mêmes roses introduisent subtilement des notes de couleurs dans un mouvement circulaire. Page | 26 EN CLASSE HISTOIRE DES ARTS : l’opéra et sa mise en scène, pourtant moderne, renouent avec l’antiquité, source inépuisable d’inspiration notamment à l’époque romantique dans laquelle l’opéra La Belle Hélène s’inscrit. L’étude de ce « retour au passé » peut s’insérer, au collège, dans la thématique « arts, ruptures, continuités » et au lycée dans « Arts, réalités, imaginaires ». DESIRS D’ANTIQUE « Centrée sur la figure emblématique de Lawrence Alma-Tadema, la première salle de l’exposition reflète le vif engouement de l’élite victorienne pour l’Antiquité. Nourrie d’une grande culture classique, la haute bourgeoisie de l’époque se passionne pour les découvertes archéologiques réalisées en Grèce et en Italie. Les plus belles pièces viennent enrichir les collections du British Museum et émerveillent le public londonien. Le très grand raffinement des décors révélés par les grands chantiers de fouille à Rome ou Pompéi entretient la nostalgie d’un âge d’or, d’un monde antique fait de luxe et de plaisirs dans des paysages nimbés de soleil. Les artistes qui entreprennent de redonner vie à ce monde antique fantasmé rencontrent alors un très grand succès. (…) Grâce à la justesse historique de ses reconstitutions, son sens de la scénographie et son goût pour les détails décoratifs, il rencontre rapidement un grand succès auprès de l’élite victorienne, séduite par l’élégance et le raffinement de ses tableaux. » Dossier pédagogique du musée Jacquemart-André produit à l’occasion de l’exposition « désirs et volupté à l’époque victorienne » du 13 septembre 2013 au 20 janvier 2014 http://Musee-jacquemartandre.com/site/default/files/editeur/Pdf /dossier_pedagogique_desirs_et_volupt e.pdf Quelques exemples : LITTERATURE Alfred de Vigny : Poème antiques et modernes (1822-1826) Théophile Gautier : le Roman de la momie (1826), Arria Marcella (1852) Banville : Cariatides (1842) Leconte de Lisle : Poèmes antiques (1852) Heredia : Les Trophées (1893) PEINTURE Le peintre Jacques-Louis David renoue, dès la fin du XVIIIème siècle, avec l’antiquité en proposant des tableaux de facture néoclassique parmi lesquels : Les Amours de Pâris et d’Hélène (1788), Le Retour de Brutus (1789) L’Enlèvement des sabines (1799) Périclès près de son fils 1807 Léonidas aux Termopyles (1814) MUSIQUE Les sujets d’opéras reflètent eux aussi cet engouement pour le passé : 1805 : Spontini, La vestale Les sujets d’opéras 1809 : Cherubini, Pygmalion 1812 : Rossini, Cyrus à Babylone 1819 : Mercadante, L’Apothéose d’Hercule 1831 : Bellini, La Norma 1851 : Gounod, Sapho 1858 : Offenbach, Orphée aux enfers 1863 : Berlioz, Les Troyens 1900 : Fauré, Prométhée A LIRE : François SABATIER, « l’amour du passé », in Miroirs de la musique, Paris, Fayard, 1995, T. 2, pp. 180-203. Page | 27 POUR EN SAVOIR PLUS… BIOGRAPHIE POURVOYEUR, Robert, Offenbach, « Solfèges », Seuil, 1994. RISSIN, David, Offenbach ou le rire en musique, Fayard, Paris, 1980. YON, Jean-Claude, Offenbach, Gallimard, 2000. Cette biographie est la première à retracer la carrière d'Offenbach dans toute sa richesse. Elle restitue l'ensemble des œuvres scéniques du maestro des Bouffes-Parisiens, leur genèse, leur fortune, leur postérité. YON, Jean-Claude, Les spectacles sous le second empire, Armand Colin, Paris, 2010. WEBOGRAPHIE Un musée virtuel dédié au compositeur ; de nombreuses images et caricatures : http://www.offenbachmuseum.com/ Un site très complet sur le compositeur et son œuvre : http://www.jacques-offenbach.de/ Le centre de documentation Jacques Offenbach : http://www.jacquesoffenbach.org/ L’intégralité du livret en ligne : http://www.mediterranees.net/mythes/troie/offenbach/helene3.html DISCOGRAPHIE SELECTIVE Jessye Norman (Hélène), John Aler (Pâris), Charles Burles (Ménélas), Gabriel Bacquier (Agamemnon), Jean-Philippe Lafont (Calchas), chœur et orchestre du Capitole de Toulouse, Michel Plasson (dir.) - EMI Classics, 1985 Felicity Lott (Hélène), Yann Beuron (Pâris), Michel Sénéchal (Ménélas), Laurent Naouri (Agamemnon), François Le Roux (Calchas), Marie-Ange Todorovitch (Oreste), chœur et orchestre des Musiciens du Louvre, Marc Minkowski (dir.) - Virgin Classics, 2000 (production mise en scène par Laurent Pelly au théâtre du Châtelet) Page | 28 LA BELLE HELENE A L’OPERA DE REIMS LA PRODUCTION Chef d’orchestre : CHRISTOPHE TALMONT Mise en scène : BERNARD PISANI Décors : ERIC CHEVALIER Costumes : FREDERIC PINEAU Lumières : JACQUES CHATELET Orchestre : OPERA DE REIMS Chœur : ENSEMBLE LYRIQUE CHAMPAGNE ARDENNE Chef de chœur : SANDRINE LEBEC Hélène : MARYLIN FALLOT Paris : MARC LARCHER Calchas : PHILIPPE ERMELIER Ménélas : FREDERIC LONGBOIS Agamemnon : OLIVIER GRAND Ajax 1 : YVAN REBEYROLLE Ajax 2 : JEAN-PHILIPPE CORRE Oreste : EUGENIE DANGLADE Achille : VINCENT DE ROOSTER LA NOTE D’INTENTION DU METTEUR EN SCENE Après une Grande-Duchesse de Gérolstein née à Marseille et Saint-Etienne et accueillie avec bonheur dans bon nombre de Maisons d’Opéra, j’ai aujourd’hui le privilège de me pencher sur cette Belle Hélène et d’y retrouver, avec quel plaisir, le Maître Offenbach à qui je dois, depuis Les Brigands (Maison de Radio France, Grand Théâtre de Genève et Opéra de Lyon), mon parcours lyrique. En premier lieu, choisir l’écrin adéquat pour « la plus belle femme du monde ». Sur proposition d’Eric Chevalier, concepteur du décor, qui m’accompagne dans cette belle aventure, l’œuvre sublime d’AlmaTadema sera déterminante : marbres somptueux aux lignes arrondies et sensuelles, camaïeux des tons et des nuances, pureté du style, la peinture d’Alma-Tadema est ici source d’inspiration pour une scénographie raffinée n’excluant aucunement certains traits d’humour tels l’Opéra Garnier dans le paysage lointain de Sparte ou les célèbres planches de Deauville à Nauplie, station balnéaire de l’acte II. Le mariage du décor et des costumes s’annonçant délicat, je fais appel, une nouvelle fois, à Frédéric Pineau à l’inspiration élégante et sobrement décalée. Quant au livret, dont j’ai tenu à respecter la dramaturgie, il est ici allégé au profit du rythme et d’une meilleure adaptation à l’oreille d’aujourd’hui. Le mouvement, libre et non figé, relève ici d’une exigence esthétique se référant aux émotions du danseur que je fus. Quant au texte parlé, il y sera apporté un soin égal à celui du chant, favorisant une situation vaudevillesque qui n’est pas sans rappeler le théâtre de Feydeau. En conclusion, j’ai souhaité cette Belle Hélène somptueuse, tonique, humoristique, frivole, un grand opéra-bouffe flirtant avec la comédie musicale. BERNARD PISANI Page | 29 BERNARD PISANI MISE EN SCENE ET CHOREGRAPHIE Danseur (sept ans à l'Opéra de Paris), comédien, chanteur et metteur en scène, Bernard Pisani interprète de nombreux succès de Jean Anouilh sous la direction de l'auteur, incarne Bonaparte dans La Révolution française au Théâtre Mogador puis, après plusieurs spectacles musicaux et de nombreuses dramatiques télévisées, réalise un rêve de toujours en interprétant Néron dans Britannicus qu'il met en scène au Nouveau Théâtre Mouffetard et au Palais des Festivals à Cannes. Suite à un concert donné à Radio France (Les Brigands d'Offenbach), Georges- François Hirsh lui offre le rôle de Don Pedro de Hinoyosa dans La Périchole, mise en scène par Jérôme Savary au Théâtre des Champs-Elysées. Antoine Bourseiller l'engage à l'Opéra de Nancy, puis Jean-Luc Boutté le dirige dans La Vie parisienne au Théâtre de Paris. Les grandes scènes lyriques de France et d'Europe l'accueillent. Il participe à une nouvelle production des Brigands d'Offenbach présentée par l'Opéra de Lyon à Saint-Etienne puis au Grand Auditorium Maurice Ravel de Lyon. Il se produit à l'Opéra Comique en récital dans Toute la Musique ! Qu'il présente régulièrement en France et à l'étranger. Il crée Les Anouilhesques (monologues, scènes et pages musicales du théâtre de Jean Anouilh) à Saint- Etienne et au Théâtre de la Pépinière-Opéra. En 1997, il chorégraphie et interprète La Dame Blanche de Boieldieu (Opéra Comique, Opéra de Tours et de SaintEtienne). Amoureux de la comédie musicale, il met en scène Irma la douce de Marguerite Monnot et Alexandre Breffort à Saint- Etienne, Tours, Nancy, Limoges et Metz. Il produit Le Barbier de Séville à Limoges, La Grande-Duchesse de Gerolstein à Marseille, Saint-Etienne, Avignon, Tours, Limoges, Toulon et Reims, La Fille de Madame Angot à Besançon et Limoges, Iphigénie en Tauride à Marseille, Angers et Tours, Le Téléphone de Menotti et La Servante maîtresse de Pergolèse à Angers, La Vie parisienne à Avignon, L’Amour masqué de Messager à Tours, Metz, Reims, Limoges, Saint-Etienne, Edimbourg et Bordeaux, Don Giovanni pour l’Opéra de Chambre de France, L’Enlèvement au sérail à Limoges, La Périchole à Metz, L’Opéra de quat’sous à Reims, Metz et Tours, La Belle-Hélène à Saint-Etienne, Metz et Avignon. Sous le patronage de l’Ambassade de France, il met en scène et joue, Jean Anouilh 20 ans après… à la Maison Française (University of New York) en hommage à l’auteur disparu. Page | 30 ANNEXE LE NATURALISME AU THEATRE LES THEORIES ET LES EXEMPLES EMILE ZOLA Extrait du chapitre consacré à « La féérie de l’opérette » Si la féerie doit trouver grâce pour la largeur poétique qu'elle pourrait atteindre, l'opérette est une ennemie publique qu'il faut étrangler derrière le trou du souffleur, comme une bête malfaisante. Elle est, à cette heure, la formule la plus populaire de la sottise française. Son succès est celui des refrains idiots qui couraient autrefois les rues et qui assourdissaient toutes les oreilles, sans qu'on pût savoir d'où ils venaient. Depuis qu'elle règne, ces refrains du passé ont disparu ; elle les remplace, elle fournit des airs aux orgues de Barbarie, elle rend plus intolérables les pianos des femmes honnêtes et des femmes déshonnêtes. Son empire désastreux est devenu tel, que les gens de quelque goût devront finir par s'entendre et par conspirer, pour son extermination. L'opérette a commencé par être un vaudeville avec couplets. Elle a pris ensuite l'importance d'un petit opéra-bouffe. C'était encore son enfance modeste ; elle gaminait, elle se faisait tolérer en prenant peu de place. D'ailleurs, elle ne tirait pas à conséquence, se permettant les farces les plus grosses, désarmant la critique par la folie de ses allures. Mais, peu à peu, elle a grandi, s'est étalée chaque jour davantage, de grenouille est devenue bœuf ; et le pis est qu'elle s'est ainsi élargie, sans cesser d'être une parade grossière, d'un grotesque à outrance qui fait songer aux cabanons de Bicêtre. D'un acte l'opérette s'est enflée jusqu'à cinq actes. Le public, au lieu de s'en tenir à un éclat de rire d'une demi-heure, s'est habitué à ce spasme de démence bête qui dure toute une soirée. Dès lors, en se voyant maîtresse, elle a tout risqué, menant les spectateurs dans son boudoir borgne, prenant d'un entrechat, sur les plus grandes scènes, la place du drame agonisant. Elle a dansé son cancan, en montrant tout ; elle a rendu célèbres des actrices dont le seul talent consistait dans un jeu de gorge et de hanches. Tout le vice de Paris s'est vautré chez elle, et l'on peut nommer les femmes auxquelles une façon de souligner les couplets grivois a donné hôtel et voiture. Cela ne suffisait point encore. L'opérette a rêvé l'apothéose. M. Offenbach, pendant sa direction à la Gaîté, a exhumé ses anciennes opérettes des Bouffes, entre autres son Orphée aux enfers, joué autrefois dans un décor étroit et avec une mise en scène relativement pauvre ; il les a exhumées et transformées en pièces à spectacle, inventant des tableaux nouveaux, grandissant les décors, habillant ses acteurs d'étoffes superbes, donnant pour cadre à la bêtise du dialogue et aux mirlitonnades de la musique tout l'Olympe siégeant dans sa gloire. D'un bond, l'opérette voulait monter à la largeur des grandes féeries lyriques. Elle ne saurait aller plus haut. Son incongruité, ses rires niais, ses cabrioles obscènes, sa prose et ses vers écrits pour des portiers en goguette, se sont étalés un instant au milieu d'une splendeur de gala, comme une ordure tombée dans un rayonnement d'astre. Même elle était montée trop haut, car elle a failli se casser les reins. M. Offenbach n'est plus directeur, et il est à croire qu'aucun théâtre ne risquera à l'avenir deux ou trois cent mille francs pour montrer une petite chanteuse, toute nue, sifflotant une chanson de pie polissonne, sous flamboiement de feux Page | 31 électriques. N'importe, l'opérette a touché le ciel, la leçon est terrible et complète. Je ne veux pas détailler les méfaits de l'opérette. En somme, je ne la hais pas en moraliste, je la hais en artiste indigné. Pour moi, son grand crime est de tenir trop de place, de détourner l'attention du public des œuvres graves, d'être un plaisir facile et abêtissant, auquel la foule cède et dont elle sort le goût faussé. L'ancien vaudeville était préférable. Il gardait au moins une platitude bonne enfant. D'autre part, si l'on entre dans le relatif du métier, il est certain qu'il était moins rare de rencontrer un vaudeville bien fait qu'il ne l'est aujourd'hui de tomber sur une opérette supportable. La cause en est simple. Les auteurs, quand ils avaient une idée drôle, se contentaient de la traiter en un acte, et le plus souvent l'acte était bon, l'intérêt se soutenait jusqu'au bout. Maintenant, il faut que la même idée fournisse trois actes, quelquefois cinq. Alors, fatalement, les auteurs allongent les scènes, délayent le sujet, introduisent des épisodes étrangers ; et l'action se trouve ralentie. C'est ce qui explique pourquoi, généralement, le premier acte des opérettes est amusant, le second plus pâle, le dernier tout à fait vide. Quand même, il faut tenir la soirée entière, pour ne partager la recette avec personne. Et le mot ordinaire des coulisses est que la musique fait tout passer. M. Offenbach est le grand coupable. Sa musique vive, alerte, douée d'un charme véritable, a fait la fortune de l'opérette. Sans lui, elle n'aurait jamais eu un si absolu triomphe. Il faut ajouter qu'il a été singulièrement secondé par MM. Meilhac et Halévy, dont les livrets resteront comme des modèles. Ils ont créé le genre, avec un grossissement forcé du grotesque, mais en gardant un esprit très parisien et une finesse charmante dans les détails. On peut dire de leurs opérettes qu'elles sont d'amusantes caricatures, qui se haussent parfois jusqu'à la comédie. Quant à leurs imitateurs, que je ne veux pas nommer, ce sont eux qui ont traîné l'opérette à l'égout. Et quels étranges succès, faits d'on ne sait quoi, qui s'allument et qui brûlent comme des traînées de poudre ! On peut le définir : la rencontre de la médiocrité facile d'un auteur avec la médiocrité complaisante d'un public. Les mots qui entrent dans toutes les intelligences, les airs qui s'ajustent à toutes les voix, tels sont les éléments dont se composent les engouements populaires. On nous fait espérer la mort prochaine de l'opérette. C'est, en effet, une affaire de temps, selon les hasards de la mode. Hélas ! Quand on en sera débarrassé, je crains qu'il ne pousse sur son fumier quelque autre champignon monstrueux, car il faut que la bêtise sorte quand même, comme les boutons de la gale ; mais je doute vraiment que nous puissions être affligés d'une démangeaison plus désagréable. Page | 32 Page | 33
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