Hors-Série Luxe - Le Temps Media
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BUONOMO & COMETTI Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Mercredi 4 décembre 2013 LUXE Aure Atika la sublime Enchantements d’un hiver 2 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe ÉDITO Ilétaitunefois… SOMMAIRE C’est un peu brutal comme question, oui, je sais. Mais ce numéro tout entier est traversé par cette interrogation, alors autant plonger tout de suite dans le vif du sujet. Le luxe, oui, bien sûr. Mais pour qui, pour quoi? Qu’est-ce qui anime ceux qui font? Qu’est-ce qui provoque le désir chez ceux qui achètent ce que les autres auront fait? Qu’est-ce qui émeut ceux qui admirent ce qui aura été fait, parce que l’acte d’achat n’est pas une fin en soi? On peut être l’artisan le plus talentueux de tous les temps, si une création ne parvient pas à toucher l’âme de l’enfant qui sommeille à l’intérieur des hommes et des femmes de ce temps, à quoi bon? On peut jouir de toute la fortune du monde, si l’on n’a plus de rêve, si plus rien ne relève de l’inaccessible, à quoi cela sert-il? «Avec les clients fortunés, il n’est pas question de parler d’argent, il faut juste les faire rêver», confie Geoffroy Ader, l’expert horloger de Sotheby’s (p. 18). Il a dit cela dans un contexte particulier: il était question de ces montres qui réveillent les passions enfantines, ces «toys for boys» qui donnent à celui qui les achète le sentiment de s’approprier une portion du pouvoir d’un héros, d’un Felix Baumgartner, d’un James Bond, d’un Cousteau… Mais fortune ou pas, le rêve est le seul moteur de ce numéro. Ses pages sont autant d’invitations à la rêverie, une suite d’aspirations et de fantasmes. On y découvre des histoires insolites, des destins extraordinaires, et pourtant bien réels. Il y a, par exemple, l’histoire de ce grand marchand de joaillerie newyorkais, le plus respecté du milieu, Lee Siegelson, qui a la perfection La belle actrice Aure Atika nous a fait l’honneur de poser pour notre portfolio en page10. On pourra la découvrir sur les écrans le 18 décembre, dans Nesma, un film tunisien d’Homeida Behi. On la verra également dans Deux temps trois mouvements de Christophe Cousin en janvier 2014, et dans Avis de mistral, de Rose Bosch. Elle tourne actuellement le film Papa was not a Rolling Stone de Sylvie Ohayon, produit par Pathé, et la saison 2 des Hommes de l’ombre, une série télévisée sur les coulisses du pouvoir français, qui sera diffusée sur France 2. Rencontre avec Lee Siegelson, le plus grand marchand de pierres précieuses et de joyaux anciens. Au-delà du réel Des objets qui n’existent pas, mais qui font déjà rêver. Par Emmanuel Grandjean DR 10 18 Toys for boys Portfolio Portrait of a Lady avec Aure Atika Réalisation: Isabelle Cerboneschi Photographies et stylisme: Buonomo & Cometti 18 Toys for boys Ces montres qui sont l’objet des passions masculines. Par Vincent Daveau et Isabelle Cerboneschi 20 24 Targa Florio A l’école du luxe Cinq diplômés de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne livrent leur vision sur les métiers du secteur. Par Emmanuel Grandjean 24 Le clan des Siciliens Récit, au volant d’une Ferrari, de l’hommage du Cheval cabré à la plus vieille course automobile du monde. Par Pierre Chambonnet 28 Aubazine, là où tout a commencé Comment l’architecture cistercienne a inspiré les codes de la maison Chanel. Reportage. Par Isabelle Cerboneschi 33 Portfolio Fées d’hiver Réalisation, photographies et stylisme: Buonomo & Cometti 42 Yiqinq Yin, à fleur d’âme La couturière raconte des histoires non pas avec des mots, mais avec des plis et des drapés. Interview exclusive. Par Isabelle Cerboneschi 44 28 Aux sources de Chanel Retour vers le futur Sélection de produits high-tech au look discret, avec une touche «vintage» en plus. Par Mehdi Atmani 46 Conte d’hiver Un siècle pour épouser un prince. Les confidences d’une robe de dentelle blanche qui aurait appartenu à Mata Hari. Par Isabelle Cerboneschi 50 Le parfum au fil des pages Comment mettre romans et écrivains en flacons. Par Valérie D’Hérin 54 Duff Goldman, sculpteur sur glaçage Rencontre avec le roi de la pâtisserie outre-Atlantique. Par Catherine Cochard 58 Le manège enchanteur A la découverte d’un univers onirique en plein Paris. Par Eva Bensard 60 La passion du rhum Il y a des rêves, des histoires. Il était tellement de fois… L’actrice Aure Atika porte une bague haute joaillerie en or blanc ornée d’une émeraude forme coussin taillée «takhti» de 26,54 carats sertie de rubis forme cabochon et pavée de diamants et bracelet en or rose et opale serti d’améthystes (333,45 carats), d’émeraudes, de rubellites et pavé de diamants. Le tout Bulgari. Portfolio 1 Portrait of a Lady Guest star Aure Atika Réalisation Isabelle Cerboneschi Photographies et stylisme Buonomo & Cometti Make-up Régine Bedot, agence Marie-France Thavonekham Coiffure Stéphane Bodin, agence Marie-France Thavonekham Assistant Robert Liptak 8 PIERRE CHAMBONNET Qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant? Chasseur de trésors Par Isabelle Cerboneschi ISABELLE CERBONESCHI Par Isabelle Cerboneschi comme obsession, et qui espère sans doute ne jamais atteindre son Graal. (p. 4) Il y a les rêves éveillés de ces designers qui rêvent demain comme on chante, et qui nous voient déjà voyager dans la stratosphère en ballon. (p. 8) Il y a les visions des étudiants de l’ECAL pour un luxe à venir. (p. 20) Il y a la folle équipée de ces grands enfants gâtés qui disputent la «Targa Florio», cette course mythique en Sicile où tous les dépassements sont permis, surtout les dépassements de limite de vitesse, à bord de leur Ferrari. (p. 24) Il y a la légende de ce monastère de Corrèze, autrefois un orphelinat, qui serait resté inconnu si l’une de ses pensionnaires, nommée Gabrielle Chanel, n’y avait pas été abandonnée par son père et ne s’était pas inspirée de cette architecture cistercienne pour créer les codes de sa maison, qui a 100 ans cette année. (p. 28) Il y a l’histoire de la couturière Yiqing Yin, qui crée des robes comme des carapaces immatérielles qui l’aident à conjurer son histoire d’enfant déracinée de la manière la plus poétique qui soit. (p. 42) Il y a les désirs de ces enfants nés à la croisée de deux siècles, rêvant de ces objets high-tech qui les font entrer dans le futur, tout en les maintenant dans l’illusion du passé. (p. 44) Il y a le conte de cette robe qui aurait appartenu – le saura-t-on jamais? – à Mata Hari, passée entre des mains diverses pour arriver enfin entre celles d’une princesse qui en a fait sa robe de mariée. (p. 46) Il y a les histoires, toutes les histoires racontées par les parfums qui sentent l’encre et évoquent des personnages ayant existé, ou pas, quelle importance? (p. 50) Il y a la trajectoire de Duff Goldman, ce sculpteur devenu pâtissier, qui réalise les rêves plus grands que nature des grands enfants de Los Angeles. (p. 54) Il y a ce musée des arts forains où l’on peut s’adonner à l’oubli de soi, prendre l’enfant que l’on a été par la main et abandonner les fardeaux de la vraie vie à l’entrée. (p. 58) Il y a l’histoire du rhum, boisson de pauvres hères et de marins jusqu’à la fin du XIXe siècle, et qui est en train de supplanter le whisky sur les grandes tables. (p. 60) Il y a le beau destin de ce quarantenaire savoyard, qui est parti à Paris et en est revenu afin de transformer de ses mains une vieille ferme en chalet de ses rêves, où le mot luxe se susurre. Un acte fondateur qui lui a permis de réparer sa propre histoire et se réinventer. (p. 62). DR FRÉDÉRIC LUCA LANDI 4 On attend également la sortie de Rebecca Gomez sur France 2. C’est après avoir vu son interprétation de la reine Isabelle de France, dans la mini-série Un Monde sans fin, produite par Ridley Scott, que nous avons eu envie de lui demander d’incarner ces femmes dans toute la puissance de leur féminité. Elle illumine de sa beauté notre portfolio «Portrait of a Lady». I. Ce. 60 Tous les chemins mènent au rhum Plongée dans l’univers aromatique de l’alcool tropical. Par Manuella Magnin 62 Ecrin rupestre La ferme d’alpage qui se rêvait chalet de luxe. Par Géraldine Schönenberg 65 Cadeaux Chics planètes Par Emmanuel Grandjean. Illustrations: Xénia Laffely Iris van Herpen haute couture. Collier haute joaillerie «Rayons précieux» en saphirs jaunes, grenats Mandarin et diamants de la collection «Pierres de Caractère Variations», Van Cleef & Arpels Lary: robe longue brodée, bracelets manchettes et escarpins de la collection automne-hiver 20132014 Armani Privé Editeur Le Temps SA Place Cornavin 3 CH – 1201 Genève Président du conseil d’administration Stéphane Garelli Directrice générale Valérie Boagno Rédacteur en chef Pierre Veya Rédactrice en chef déléguée aux hors-séries Isabelle Cerboneschi Portfolio 2 Fées d’hiver Réalisation, photographies et stylisme Buonomo & Cometti Make-up et coiffure Mina Matsumura Mannequins Nika Cole IMG Models, Paris Lary Arcanjo Next Models Management, Paris Assistant Robbie Liptak Nika: robe en silicone découpée au laser, collection «Beyond Wilderness» automne-hiver 2013-2014 Rédacteurs Mehdi Atmani Eva Bensard Pierre Chambonnet Catherine Cochard Vincent Daveau Valérie d’Hérin Emmanuel Grandjean Manuella Magnin Géraldine Schönenberg Assistante de production Géraldine Schönenberg Traduction Dominique Rossborough Photographies Véronique Botteron Buonomo & Cometti Pierre Chambonnet Sylvie Roche Illustratrice Xénia Laffely Responsable production Nicolas Gressot Réalisation, graphisme, photolitho Cyril Domon Christine Immelé Mathieu de Montmollin Correction Samira Payot Conception maquette Bontron & Co SA Internet www.letemps.ch Michel Danthe Courrier Case postale 2570 CH – 1211 Genève 2 Tél. +41-22-888 58 58 Fax+41-22-888 58 59 Publicité Le Temps Media Case postale 2564 CH – 1211 Genève 2 Tél. +41-22-888 59 00 Fax+41-22-888 59 01 Directrice: Marianna di Rocco Impression IRL plus SA La rédaction décline toute responsabilité envers les manuscrits et les photos non commandés ou non sollicités. Tous les droits sont réservés. Toute réimpression, toute copie de texte ou d’annonce ainsi que toute utilisation sur des supports optiques ou électroniques est soumise à l’approbation préalable de la rédaction. L’exploitation intégrale ou partielle des annonces par des tiers non autorisés, notamment sur des services en ligne, est expressément interdite. ISSN: 1423-3967 cartier.com Bague Haute Joaillerie Genève - 35, rue du Rhône - 022 818 54 54 4 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe HAUTE JOAILLERIE LEESIEGELSON, chasseurdetrésors SIEGELSON Il est le plus respecté de tous les marchands de pierres précieuses et de haute joaillerie. Lee Siegelson ne se contente pas de collectionner les plus grands noms de la joaillerie. Il est en quête des plus belles pièces, celles qui ont marqué un tournant dans l’histoire des maisons. Rencontre. Par Isabelle Cerboneschi PARIS L e nom de Siegelson est un signe de reconnaissance discret dans le monde de la haute joaillerie. Il y a ceux qui savent, et les autres. Mais ceux qui le connaissent s’accordent tous à dire que Lee Siegelson est actuellement le plus grand marchand de pierres précieuses et de joyaux anciens. Il est né au milieu des bijoux et des pierres, mais cela n’a jamais été un vaccin contre le manque de goût. Son goût, il l’a façonné. Il relève de l’acquis plus que de l’innée. La maison existe depuis environ cent ans à New York et Lee Siegelson représente la troisième génération. «J’ai commencé à travailler en 1992, mon père est décédé en 1994 et j’ai repris la tête de l’entreprise à ce moment-là. Je n’y connaissais rien. Depuis, j’ai forgé ma propre voie, trouvé mon chemin, achetant ce qui me plaît.» Des bijoux où règne l’équilibre en toute chose, l’alliance parfaite entre le design et la réalisation, l’adéquation des pierres et de la techni- que. Le prix n’est pas un critère déterminant, ce qui est paradoxal chez un marchand. Lee Siegelson parle de ses bijoux comme le ferait un conteur et on se laisse emporter par ses histoires. Si les joyaux l’entourent, luimême n’en porte pas. Pas même une montre: «Je suis banalement l’archétype du joaillier qui n’est pas capable de faire réparer sa montre, ou qui la laisse dans son tiroir parce que le bracelet est cassé, bref, je suis sujet aux mêmes problèmes que tout le monde.» Tout le monde, peut-être pas. Il n’est pas donné à tout le monde d’apercevoir ne serait-ce qu’une fois dans sa vie un collier ayant appartenu à la duchesse de Windsor, d’acquérir la bague en cristal de roche sertie d’un diamant que Suzanne Belperron avait dessinée pour elle-même, d’avoir possédé la Rose Vanderbilt, merveilleuse broche historique ayant appartenu à Mathilde Bonaparte. > Suite en page 6 Lee Siegelson: «Ce qui compte, lorsque vous tenez un bijou, que vous le soulevez et le regardez, c’est l’émotion. Vous bouleverse-t-il ou pas? Le porteriez-vous? Aimeriez-vous le posséder? Là est toute la question…» www.dior.com 6 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe Collier Art déco en émeraudes gravées, saphirs et diamants, Cartier Paris, 1925, en provenance de la collection Lillian S. Timken. > Suite de la page 4 Le Temps: Votre travail est une chasse au trésor. Que chassezvous? Lee Siegelson: Quel que soit son domaine de prédilection, un collectionneur doit se donner les moyens d’acheter ce qu’il considère comme être le meilleur sur le marché. Le caractère unique d’une pièce, sa perfection, voilà ce que je recherche. Sachant que c’est une notion subjective. J’essaie de trouver les plus beaux bijoux que des maisons comme Cartier, Van Cleef & Arpels, Boucheron, Bulgari ont pu créer au fil du temps. Des pièces signées de grands designers, des joyaux qui ont marqué un tournant dans l’histoire de ces sociétés, qui ont rompu avec les traditions. Prenez un bijou de Suzanne Belperron, par exemple. Son style était sa signature. Aujourd’hui, tout le monde adore, mais on oublie qu’à l’époque certains trouvaient son travail révoltant. Seuls quelques initiés, des collectionneurs comme la duchesse de Windsor, ou Daisy Fellowes notamment, ont compris son travail. La fortune et le goût ne vont pas toujours de pair. Elles, elles avaient les deux. Comment reconnaît-on une pièce qui a le potentiel de marquer un tournant dans l’histoire de la haute joaillerie? Celles qui ont été créées sans aucun compromis, comme n’importe quel chef-d’œuvre. On se trouve face à la forme la plus pure que l’on ait pu imaginer. Tout est intentionnel, aucune erreur n’a été commise. Plus vous regardez l’objet, plus vous comprenez pourquoi le créateur a choisi cette sélection particulière de pierres, pourquoi et comment le joaillier l’a fabriqué. C’est ce niveau-là de réalisation que je souhaite acquérir et offrir. Je n’ai pas d’autre échelle de valeur. Ce n’est pas une question de prix: toutes mes pièces sont au même niveau, qu’elles valent des millions ou des milliers de dollars. Prenez cette manchette de Cartier (ci-dessous) confectionnée dans les années 30: même si elle n’est pas sertie, vous ressentez la puissance du design. Ce bracelet pourrait avoir été créé aujourd’hui: il est intemporel et passe le test du temps. Si je comprends bien votre démarche, les bijoux que vous exposez ne disent pas «je coûte cher» mais «je suis beau», tout simplement? Exactement. C’est en cela que mon approche est différente. En ce qui concerne les bijoux anciens, les acheteurs aimeraient posséder une formule magique afin de savoir ce qui doit être acheté ou pas. Ainsi, ils pourraient décider, par exemple, de n’acquérir que des pièces signées Cartier dans les années 19201930. Or, même si la créativité de la maison à cette époque fut extraordinaire, il est des pièces, si je ne vous dis pas qui les a faites, que vous ne regarderiez même pas. Quels critères retenez-vous alors? Ce qu’il faut retenir, ce sont des bijoux où se conjuguent à la fois un design extraordinaire, un l’artisan pour créer une œuvre. Or ce n’est pas votre problème. Tout ce qui compte, finalement, ce n’est pas de savoir s’il a travaillé un an pour créer un objet mais si celui-ci est beau! merveilleux savoir-faire – les solutions techniques trouvées pour articuler la pièce, pour la sertir – et un parfait sens des proportions. La proportion est essentielle. L’émotion aussi. A cette époque, les joailliers travaillaient main dans la main avec les designers. Ils formaient de véritables équipes en quête de perfection, à la fois dans les proportions et dans la sensibilité. Ils ont un attrait particulier. On se rend compte qu’elles transgressent les règles de la bijouterie de notre temps, les proportions sont différentes, mais de manière intangible. C’est là que résidait le génie français de l’époque. L’artisan et son sens des proportions ont donné son âme à la pièce. Ce sont des valeurs sous-estimées; aujourd’hui, au lieu de vous parler d’émotion, on vous explique combien de temps il a fallu à Vous trouvez que cette sensibilité chez les joailliers français de la première partie du XXe siècle s’est perdue au fil des décennies? Les Français avaient une sensibilité, une délicatesse, un goût, un sens des proportions et un savoirfaire qui faisaient la différence, ce qui aujourd’hui est difficile à retrouver. Il régnait à Paris une atmosphère, une esthétique particulières. Il y a eu des pièces magnifiques fabriquées chez Cartier à New York, par exemple, mais elles n’étaient pas comparables à celles fabriquées chez Cartier à Paris. Lors de la dernière Biennale des antiquaires, à Paris, l’an passé, vous avez pourtant dédié une vitrine entière au joaillier américain Paul Flato. Cet exemple est parlant. Regardez ce bijou (photo p. 7 en bas), je pense que c’est l’une des pièces les plus importantes du design américain du XXe siècle. Elle incarne Hollywood. Elle a été conçue pour Linda Porter, la femme de Cole Porter. Paul Flato était surnommé «le joaillier des stars». Dans les années 1935 à 1940, toutes les stars achetaient des bijoux avec sa signature. Elles sortaient en société, arborant leurs propres parures, se faisaient photographier en les achetant, elles les aimaient tellement qu’elles les portaient sur les plateaux de tournage. De nos jours, les stars sur les tapis rouges portent des bijoux qui ne leur appartiennent pas. Elles ne les portent pas parce qu’elles les aiment, mais parce qu’on les a payées pour cela, ou parce qu’on les leur a prêtés. Contrairement aux actrices du temps de Paul Flato qui savaient que leur collection allait être auscultée, scrutée, commentée, et qui adoraient les porter. En parlant d’actrice qui aimait ses bijoux, étiez-vous présent à la vente aux enchères de ceux d’Elizabeth Taylor en décembre 2011? Oui, j’y étais. Cette vente était un événement. Elizabeth Taylor avait collectionné et amassé tellement de joyaux! Elle vivait une histoire d’amour avec ses bijoux. Les lots sont partis à des prix exorbitants. Je dois avouer que les années 1960-1970 ne sont pas ma période favorite en joaillerie. Pour moi, ce qui compte avant tout, c’est le design. La provenance vient en second. Bulgari a racheté des pièces, comme l’a fait Cartier. Pour ces maisons, c’était aussi une manière de prouver à leurs clients que le bijou qu’ils achètent aujourd’hui passera le test du temps, comme toutes les autres pièces de la maison avant elles. Mais dans 50 ans, les joyaux créés aujourd’hui auront-ils leur place dans les salons, les ventes aux enchères? Toute prédiction est délicate… On peut ne pas être du métier et comprendre que l’on se trouve devant une pièce exceptionnelle, lorsque cela nous arrive. Oui, on le ressent. Regardez ce collier (ci-dessous), il ne s’agit que de trois grosses pierres. Son histoire a commencé quand quelqu’un les a posées sur une table et a décidé de placer celle-là ici, cette autre là, et la dernière comme ça. Même si je passais une journée entière à chercher une autre configuration, je sais que je ne trouverais pas. C’est comme un chef-d’œuvre d’architecture. Je vous montre cette pièce, car il s’agit d’un simple collier avec trois pierres, mais la composition est élégante, la forme des pierres est magnifique, leur couleur est puissante, la proportion est harmonieuse, l’exécution est parfaite. Or de nos jours, certaines personnes sont prêtes à dépenser des millions pour une pièce qui viole ces principes. Pourtant, même quand on achète un bijou pour sa valeur d’investissement, au final, celui-ci devra bien être porté. Si une pierre de valeur peut indiquer le niveau du compte en banque de son propriétaire, elle ne dit rien de son goût, de son style ou de son élégance. Bague en platine sertie d’un diamant Golconda de 33,03 carats. Siegelson. Bracelet art moderne en argent et or Cartier, 1930. Sautoir Art déco aiguesmarines, saphirs et diamants, Cartier Londres 1929. Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Le MET accueille les joyaux de JAR Vous est-il arrivé de regretter d’avoir vendu un bijou? Oui, une pièce en particulier… Il m’est aussi arrivé de regretter un bijou parce que j’aimais l’admirer ou parce que j’étais fier de posséder cette pièce rare et d’avoir la chance de l’exposer. Mais avant tout, je suis un marchand de pierres et de joaillerie, je ne suis pas un musée. Vendre, c’est mon métier. Vous parlez d’un bijou en particulier. Puis-je vous demander lequel? La Rose Vanderbilt. Une broche en diamants que Theodore Fester avait créée en 1855 pour la princesse Mathilde Bonaparte. La collection de cette dernière est réapparue sur le marché en 1902. Cette broche en forme de rose, presque de la taille d’une main, est sertie de diamants taille rose provenant d’une ancienne mine du Brésil. Au XIXe siècle, des fleurs, tous les joailliers en faisaient. Mais, à mes yeux, celle-ci est la plus belle jamais créée. C’est une pièce qui devrait être au Louvre. J’aurais dû la racheter. Ce n’est qu’après m’en être séparé que j’ai réalisé ce qu’elle représentait… Existe-t-il un joaillier contemporain dont les créations aient ce pouvoir de «passer le test du temps», comme vous dites? Oui, Joël Rosenthal (lire cicontre). Peu importe que vous aimiez chacune de ses créations. Il y a dans ses bijoux une telle sensibilité! Je sais que nous continuerons à les regarder dans 50 ans. La première fois que j’ai rencontré Joël Rosenthal, j’avais 24 ans: je lui ai serré la main, il m’a dit qui il était et m’a invité à venir le rencontrer, je ne savais même pas à qui j’avais affaire. J’ai sonné à sa porte et quand il m’a reçu, il a déposé quelque chose PH entre mes mains. Là, immédiatement, j’ai été frappé par l’esthétique hors du commun de cet objet. C’est de loin l’homme qui a le plus influencé les créateurs contemporains. De tous les bijoux qui sont passés entre vos mains, y en a-t-il un qui ait provoqué une émotion particulière? En 1960, la collection d’une héritière américaine, Lillian S. Timken, a été mise en vente par ParkeBernet (la galerie a été rachetée en 1964 par Sotheby’s, ndlr). Cette femme possédait ce que j’ai toujours considéré comme la plus belle collection de bijoux Art déco qui soit. En consultant le catalogue original de cette vente, page après page, que ce soient des bijoux de Cartier, de Chaumet, de Van Cleef & Arpels, de Boucheron, ou des pierres elles-mêmes, j’étais confronté à tout ce que je recherchais, tout ce dont je rêvais en termes d’esthétisme. Un collier, en particulier, avait attiré mon attention. J’en avais même utilisé la photo comme fond d’écran. Il faisait partie de ma vie quotidienne. Puis, un jour, quelqu’un m’a contacté pour me dire qu’il avait un collier Cartier à me montrer. Il est venu avec une simple diapositive. Dès que j’ai mis l’image devant la lumière, j’ai vu qu’il s’agissait du collier de mon fond d’écran. Je l’ai acheté sans même demander à voir le bijou original. J’avais évidemment une grande confiance en la personne qui me le présentait. Pour moi, ce collier représente le meilleur de cette période. Toutes les maisons ont été influencées par les pays où elles étaient implantées, Cartier a merveilleusement su s’imprégner de la culture indienne et l’incorporer dans une esthétique française. JOZSEF TARI/COURTESY OF JAR, PARIS Votre compagnie existe depuis une centaine d’années. Autrefois, les maisons comme Cartier ou Bulgari, par exemple, ne rachetaient pas leurs propres créations pour enrichir leur collection privée. C’est un phénomène nouveau, et une nouvelle forme de concurrence. Le marché est-il devenu plus difficile? Parfois nous recherchons les mêmes choses, parfois non. Ce qui est passionnant avec Cartier, c’est qu’ils ont réussi à bâtir la meilleure collection possible. Cette maison, plus qu’aucune autre, est parvenue à retracer son histoire à travers des pièces exceptionnelles, mais bien précises. Ils comblent les manques petit à petit, au fil du temps. Il leur arrive de refuser une pièce magnifique parce que cela ne correspond pas à leur priorité. Laissant aux marchands comme moi une superbe opportunité d’achat. Joël Arthur Rosenthal est le joaillier le plus influent et le plus discret qui soit. Le Metropolitan Museum of Art lui dédie une exposition. Un événement. JAR, trois lettres seulement pour celui qui est considéré comme le plus grand des joailliers de notre époque. Deux consonnes et une voyelle que tous les collectionneurs et les passionnés de haute joaillerie prononcent comme s’il s’agissait d’un code secret leur permettant de reconnaître les initiés. JAR pour Joël Arthur Rosenthal. L’homme est né dans le Bronx, mais a su en sortir. Il a étudié l’histoire de l’art et la philosophie à Harvard, puis en 1966 est arrivé à Paris. C’est là qu’il a rencontré son alter ego, Pierre Jeannet, avec qui il a écumé les antiquaires, les musées, les galeries d’art et ouvert sa première boutique de broderie rue de l’Université. Mais peindre des fleurs sur des canevas ne lui suffisait pas: il voulait les dessiner avec des pierres précieuses. La boutique n’aura vécu que onze mois. En 1976, Joël Rosenthal retourne à New York où il travaille pour Bulgari. Mais il revient à Paris en 1978 avec une seule idée en tête: ouvrir sa propre maison sous ses initiales: JAR. Il s’installe place Vendôme. La particularité de sa boutique, c’est qu’on doit la connaître pour la reconnaître. Pas de bijoux en vitrine. Pas d’enseigne. Rien. Il faut sonner et si l’on a la chance d’être reconnu, on peut entrer. Quant à pouvoir acheter une pièce, c’est encore une autre aventure. Joël Rosenthal est l’homme le plus libre du monde. Il s’est offert le luxe de choisir depuis la première PUBLICITÉ Quelles qualités un bijou doit-il posséder pour vous émouvoir? Un bijou peut avoir la bonne provenance, avoir été fabriqué par un artiste connu, la technique peut être intéressante, le matériau peut avoir été utilisé de manière originale, mais, au final, il peut tout simplement ne pas être beau! C’est pour cela qu’il n’existe pas de formule magique. Ce qui compte, lorsque vous tenez la pièce, que vous la soulevez et la regardez, c’est l’émotion. Ce bijou vous bouleverse-t-il ou pas? Le porteriez-vous? Aimeriezvous le posséder? Là est toute la question… Retranscription et traduction: Dominique Rossborough OT OS : SI EG ELS O N Villeret Collection Collier en forme de ceinture pavé d’aigues-marines et de rubis, dessiné par le duc Fulco di Verdura pour Paul Flato, New York, 1935. BLANCPAIN BOUTIQUES RUE DU RHÔNE 40 · 1204 GENEVA · TEL. +41 (0)22 312 59 39 BAHNHOFSTRASSE 28 · PARADEPLATZ · 8001 ZURICH · TEL. +41 (0)44 220 11 80 www.blancpain.com pierre jusqu’à la femme qui portera le bijou. Une fois à l’intérieur, c’est ici, dans une petite pièce sombre, que l’on découvre l’art de JAR. Le maître de maison ne supporte guère les commentaires, surtout s’ils sont élogieux. Alors on regarde en silence. Joël Rosenthal est un peintre dont les multiples touches de couleurs seraient des pierres précieuses ou fines. Ses roses semblent avoir éclos, là, juste sous nos yeux, ses papillons vont sans doute s’envoler si l’on n’y prend garde. La nature sous ses doigts est à la fois magnifiée et respectée pour ce qu’elle a de plus magique. Aucune matière ne lui fait peur. Il a réintroduit l’argent noirci dans la haute joaillerie, il use du platine ou de l’aluminium indifféremment. C’est la première fois que le Met accueille un designer de haute joaillerie vivant. Au total: 400 pièces sont présentées. Un événement à la hauteur du talent decemagiciendescouleurs.I.Ce. Jewels by Jar, Metropolitan Museum of Art, New York, jusqu’au 9 mars 2014. www.metmuseum.org 7 8 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe > En ballon au-dessus du monde PHOTOS: DR Contempler la planète bleue depuis la stratosphère. Et fuir dans l’espace intersidéral notre quotidien parfois sidérant. C’est le space trip que propose une start-up de l’Arizona. World View promet d’embarquer dans trois ans ses premiers passagers à bord d’un caisson panoramique accroché à un gigantesque ballon rempli d’hélium. L’ascenseur des étoiles s’arrêtera à 30 kilomètres au-dessus de la Terre, soit deux fois plus haut que le plus élevé des vols commerciaux. Le voyage aller prendra une heure et demie, le retour sur le plancher des vaches, entre vingt et quarante minutes. Une évasion brève mais totale à un prix quasi d’ami: 75 000 dollars. www.worldviewexperience.com FUTUR Au-delàduréel Ils n’existent pas encore, mais font déjà rêver. Voici trois véhicules inspirés par la science et la fiction pour s’évader vers le futur, sur terre, dans l’air où à la surface des mers. Le luxe de demain. Par Emmanuel Grandjean > En super-yacht à la surface de l’océan Le mariage improbable entre du microplancton et un squale géant? Un Nautilus revisité, à la fois fuselé comme un bolide des mers et blindé comme la barrière de corail? Les super-yachts imaginés par Zaha Hadid empruntent à tout cela: à l’océan, à la vitesse et à l’imaginaire de Jules Verne. Créée pour l’armateur allemand Blohm + Voss, cette collection de cinq bateaux baptisée «Unique Circle» porte la griffe de l’architecte anglo-irakienne. Un style typique qui assume son goût pour les lignes organiques, les looks d’ovni futuriste et cette esthétique d’archiluxe parfois critiquable. Destinée aux très grosses fortunes, cette flotte complètement personnalisable prendra la mer d’ici à deux ans. L’architecture navale élevée au rang des beaux-arts. www.blohmvossyachts.com > En voiture-lumière sur les routes du futur Ross Lovegrove imagine le futur. C’est son boulot de designer visionnaire. Sa première collaboration avec le fabricant automobile Renault débouche donc sur un véhicule probable, mais pas impossible. Le constructeur français, qui vise le marché des véhicules électriques a laissé au Britannique le soin de customiser sa Twin’z. Lovergrove en a fait une voiture-lumière, dont l’intérieur et l’extérieur brillent comme ces poissons des hauts fonds. Un concept car ludique et artistique dont la couleur bleu intense rappelle celle du peintre Yves Klein et ses enjoliveurs végétaux qu’une auto zéro pétrole roule pour la nature. www.rosslovegrove.com/renault THERE ARE EXCEPTIONS TO EVERY RULE. CHAQUE RÈGLE A SON EXCEPTION. ROYAL OAK EN OR ROSE SERTIE DE DIAMANTS. GENEVE BOUTIQUE AUDEMARS PIGUET, PLACE DE LA FUSTERIE 12 TEL: +41 22 319 06 80 MONTRES PRESTIGE, GRAND HOTEL KEMPINSKI TEL: +41 22 732 83 00 10 Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Portrait ofalady Réalisation Isabelle Cerboneschi Photographies et stylisme Buonomo & Cometti Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 PORTFOLIO Page de gauche. L’actrice Aure Atika porte un ensemble Petrus Christus composé d’un pourpoint à basque en mosaïque de dentelles rebrodées et de guipures de Solstiss ainsi que des cuissardes maison en fine faille de soie appliquées de dentelles rebrodées et guipures et voile en dentelle de Lyon noire, collection automne-hiver 20132014 Franck Sorbier haute couture. Collier haute joaillerie en platine serti d’une tourmaline de 63,85 carats, d’une perle naturelle, d’onyx et de diamants, Cartier. Collier et bague Fleur du Jour, collection «Hôtel de la Lumière», en or blanc serti de diamants avec broche détachable en or blanc serti de tourmalines, de diamants et de saphirs roses, Boucheron. 11 12 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe PORTFOLIO Long fourreau Madame Georges Hugo en crêpe avec décolleté en collerette de volants d’organza et tulles plissés et effrangés, collection automne-hiver 2013-2014 Alexis Mabille haute couture. Collier et boucles d’oreilles haute joaillerie de la collection «Red Carpet 2013» en or blanc et jaune serti de spinelles cabochons (120,5 carats), de tsavorites et de diamants de couleurs, Chopard. M ESURE ET DÉMESURE TONDA 1950 Or rose serti de diamants Mouvement automatique extra-plat Bracelet veau Hermès Made in Switzerland www.parmigiani.ch STUDIO PARMIGIANI GSTAAD ASCONA GIOIELLI-OROLOGI HERSCHMANN | BASEL GÜBELIN | BERN GÜBELIN | CRANS-MONTANA L’ATELIER DU TEMPS GENÈVE AIR WATCH CENTER, BENOIT DE GORSKI, GÜBELIN | INTERLAKEN KIRCHHOFER KLOSTERS MAISSEN | LAUSANNE GUILLARD | LUGANO GÜBELIN | LUZERN GÜBELIN | MONTREUX ZBINDEN NEUCHÂTEL BONNET | ST. MORITZ GÜBELIN | VILLARS-SUR-OLLON BRÄNDLI CREATION & CO ZERMATT HAUTE HORLOGERIE SCHINDLER | ZÜRICH GÜBELIN, ZEIT ZONE 14 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe PORTFOLIO Robe longue bleu saphir brodée de pierres et de paillettes, collection automne-hiver 2013-2014 Elie Saab haute couture. Sur l’index, bague Liens Haute Joaillerie en or blanc, sertie de diamants taille brillant, d’un saphir taille coussin de 10,69 carats et de saphirs taille triangle, Chaumet; sur l’auriculaire, bague Flashforward en or blanc sertie d’une tourmaline de 8, 83 carats, de diamants, de saphirs bleu clair, de saphirs bleu marine et de tourmalines Paraïba, haute joaillerie Louis Vuitton. Sur le majeur, bague Liens Haute Joaillerie en or blanc sertie d’un saphir taille émeraude (10,81 carats) entouré de diamants baguettes et pavée de diamants et de saphirs, Chaumet. Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe PORTFOLIO Collier Luda en or blanc serti de diamants taille brillant et poire, et d’un cabochon d’émeraude de Zambie Gemfields de 21,37 carats; bague Emeraude Cabochon Dévotion en platine sertie de diamants taille brillant et d’un cabochon d’émeraude de Zambie Gemfields de 15,65 carats. Le tout Fabergé. 15 * Haute Technologie Montre en céramique high-tech*. Complication phase de lune avec compteur en aventurine. Mouvement mécanique à remontage automatique. Réserve de marche 42 heures. www.chanel.com 18 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe Zenith El Primero Stratos Flyback Striking 10th. Tribute to Felix Baumgartner. Boîtier acier. Calibre chronographe automatique. ZENITH Louis Vuitton Tambour Twin Chrono. Boîtier or blanc de 45,5 mm de diamètre. Calibre de manufacture LV175. Felix Baumgartner, détenteur d’un record hors norme: un saut en chute libre de 39000 m d’altitude. Il portait à cette occasion une Zenith El Primero Stratos Flyback Striking 10th. MÉCANIQUES Toysforboys TAG Heuer Carrera MikroPendulum. Boîtier titane, 45 mm. Chronographe au 100e de seconde régulé par aimants. Les hommes ont tous rêvé un jour d’être un héros de roman, un astronaute, un être invincible ou un aventurier. Il suffit de voir les produits proposés par les horlogers lors des salons pour être convaincu que ces fantasmes demeurent toujours en bonne place dans leur hypothalamus, au point de représenter un argument de vente imparable. homme à avoir franchi le mur du son en chute libre avec sa montre Zenith El Primero Stratos Flyback Striking 10th qui vient de gagner le Prix de la montre sport au Grand Prix d’horlogerie de Genève 2013. Mais il y a également eu Steve McQueen avec sa Monaco de TAG Heuer, ou James Bond, incarné à l’écran par des acteurs comme Sean Connery ou Daniel Craig qui portaient respectivement une Rolex Oyster Perpetual Submariner puis une Omega Seamaster. Ils ont tous laissé une part d’eux-mêmes dans ces montres. Quelque chose d’indicible que l’acquéreur rêve de posséder lui aussi, comme s’il s’offrait, avec sa montre, une partie de la panoplie du héros qu’il rêve secrètement d’incarner. La montre comme l’expression du moi profond Ce phénomène d’appropriation répond au désir de l’homme d’être le héros de sa propre histoire. L’accroche de la nouvelle identité visuelle de Zenith à ce propos est claire: «Follow your own star», une façon de dire combien il est essentiel de suivre ses rêves de grands enfants. Voilà pourquoi les amateurs de sensations fortes, en quête d’un produit magnifiant leur virilité en leur donnant l’impression qu’ils sont de la trempe des héros, cherchent à s’approprier un instrument conforme à leur univers onirique. Un adulte dont l’enfance aura été baignée par l’envie de devenir pilote s’intéressera de façon certaine aux marques ayant des accointances avec cet univers. Il choisira un chronographe Breitling, une montre Type 20 Zenith pour le lien qui unie la marque à Blériot, ou un chronographe Breguet Type XXII si son rêve était de devenir pilote de chasse. Si le même adulte a un jour conçu l’idée d’être astronaute dans sa jeunesse, il y a toutes les chances qu’il craque pour un chronographe Speedmaster Moon Watch Professionnal dont l’utilité véritable a été révélée grâce au film Apollo 13. Quant aux fans de voitures, ceux qui, enfants, restaient plantés devant la télévision à regarder les Grands Prix et à lire Michel Vaillant, la bande dessinée de Jean Graton retraçant l’univers de l’automobile, ils n’auront d’yeux que pour des pièces les replongeant dans cet univers. Lorsque l’on interroge Olivier Martins – avocat bruxellois et collectionneur – sur ses inclinations horlogères, il répond qu’il est passionné depuis l’enfance par les voitures de sport et qu’à ce titre il a choisi de s’offrir, dès qu’il en a eu les moyens, un chronographe Daytona de Rolex. Parce que cette montre, selon lui, incarne toute sa passion pour l’automobile et que «la Daytona de Rolex est à la montre ce que Porsche est à la voiture de sport». D’autres retiendront le chronographe Mille Miglia de Chopard parce que cet instrument, inspiré des voitures de collection, leur rappelle le véhicule qu’ils bichonnent et sortent dès les beaux jours. Ou celui qu’ils rêveraient de posséder dans leur garage. Et comme le monde est bien fait, les marques s’arrangent pour occuper tous les secteurs susceptibles de toucher au cœur l’enfant intérieur: du guerrier au skipper, de l’aventurier au marin, du cosmonaute au sportif d’élite. PHO T L’ éventail des jouets pour adultes est immense et comme le relevait très justement Jean-Frédéric Dufour, directeur général et président de Zenith, lors du dernier Salon horloger de Bâle: «Ce qui différencie véritablement les adolescents des hommes dans la force de l’âge tient fondamentalement à la taille et au prix de leurs jouets.» Il est fort bien placé pour savoir qu’afin de réussir dans le secteur horloger, il faut vendre du rêve. Et la méthode la plus efficace pour y parvenir est de réveiller l’enfant qui sommeille dans un cerveau d’adulte. «Il existe une vraie différence d’appréciation chez les consommateurs entre une célébrité et un héros, poursuit-il: une célébrité, c’est un grand professionnel dans son domaine, dont l’aura a une durée de vie limitée dans le temps. Tandis qu’un héros, c’est une personnalité destinée à passer les générations et à s’imposer dans les esprits comme la figure emblématique d’une réussite dans un domaine spécifique.» Une remarque qui a son importance: quand on parle de héros, le fantasme à l’origine de l’acte d’achat est encore plus puissant. Et plus durable. Des héros qui ont inspiré l’histoire horlogère, il y en a eu pléthore: Cousteau et sa Blancpain Fifty Fathoms, Sir Edmund Hillary et la Rolex Explorer, Neil Armstrong et son Omega Speedmaster, Felix Baumgartner, le premier OS: DR Par Vincent Daveau et Isabelle Cerboneschi Omega Speedmaster Céramique Noire. «The Dark Side of the Moon». Boîtier de 44,25 mm. Calibre Omega Co-Axial 9300. Un joujou extra A écouter les uns et les autres, à regarder l’environnement horloger, un type de montres en particulier se détache nettement du lot, lorsqu’il s’agit d’évoquer les pièces susceptibles de faire rêver les grands enfants. Les chronographes ont un net avantage sur tous les autres instruments. «Chez l’homme c’est viscéral, l’esprit de compétition est chevillé au corps, expliquait Hamdi Chatti, directeur Montres et Joaillerie chez Louis Vuitton Horlogerie au sujet de la Louis Vuitton Tambour Twin Chrono lors du dernier Salon horloger de Bâle. Et dans son esprit, tout est souvent une question de temps… Aussi, virilité oblige, il adore tout ce qui lui permet de se mesurer aux autres et, par conséquent, il affectionne les gardetemps donnant les moyens de relever les différences de performances entre les protagonistes.» La mise au point du Tambour Twin Chrono est le résultat du désir de disposer d’un modèle mécanique innovant, capable de chronométrer une épreuve où deux protagonistes s’affrontent en une joute Audemars Piguet Chronographe Royal Oak Offshore. Boîtier de 44 mm en céramique. Calibre automatique de manufacture: 3126/3840. IWC Grande Montre d’Aviateur Calendrier Perpétuel Edition «Le Petit Prince». Boîtier or rose de 46 mm. Calibre automatique. Luxe DR PHOTOS: Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Girard-Perregaux Chrono Hawk Céramique. Boîtier en céramique de 44 mm. Calibre automatique GP03300. Urwerk EMC. Boîtier titane et acier 43 x 51 mm. Calibre de manufacture UR-EMC. amicale. «L’idée de départ était de proposer un instrument doté d’une fonctionnalité dédiée aux régates de l’America’s Cup, poursuit Hamdi Chatti. Mais, dans l’absolu, cette montre peut mesurer n’importe quel événement ayant le même départ mais ayant une fin différente. Il ne s’agit pas d’un chronographe à rattrapante, mais d’un garde-temps doté d’un calibre original formé de quatre mouvements distincts destinés l’un à afficher l’heure, l’autre le temps de départ et celui du premier événement, le troisième affiche le temps du second événement car les deux mouvements ont été enclenchés ensemble et le quatrième affiche la différence de temps entre les deux arrivées.» Mais cette construction innovante peut faire rêver d’autres sportifs que les seuls régatiers. «Elle offre l’opportunité de réaliser trois actions simultanées nécessitant, sans cette invention, le recours à trois chronométreurs: un pour mesurer le premier temps, un pour le second et un troisième pour mesurer l’écart existant», poursuivait Hamdi Chatti. Elle est l’outil dont ont rêvé tous les garçons, tous les jeunes athlètes se mesurant à un concurrent. Pouvoir lire immédiatement la différence qui sépare la course de deux sportifs est un luxe auquel aucun horloger n’avait vraiment réfléchi auparavant. Ce chronographe marque l’aboutissement d’une fonctionnalité. Même si une telle mécanique n’est pas accessible au plus grand nombre, chacun est en droit de rêver de posséder un jour des garde-temps extraordinaires taillés pour des êtres sortant de l’ordinaire. C’est d’ailleurs le propre des concept watches de faire rêver les amateurs. Réveiller le désir d’accéder à l’exceptionnel Les marques savent de mieux en mieux réveiller les envies des consommateurs en titillant la corde sensible de l’émotion. Celle consistant à faire ressurgir les rêves de toujours est de toutes la plus efficace. On sait ce ressort utilisé par IWC qui, avec la Grande Montre d’Aviateur Edition «Le Petit Prince» éditée à 270 exemplaires en or rouge, a su graver les esprits et rappeler que l’on a tous un jour rêvé d’être cet enfant ingénu en quête de réponses existentielles. C’est bien joué! D’autant que ce choix n’est pas courant, les maisons préférant attiser chez l’adulte le désir de posséder un jouet qui soit mieux que celui du camarade de jeu: c’est-àdire en avance sur les autres, plus innovant, plus performant comme peut l’être le chronographe Royal Oak Offshore Céramique. C’est aussi la démarche suivie par Girard-Perregaux qui, avec le chrono Hawk Céramique, a su faire un choix stratégique associant sportivité, modernité et tradition. Comme le confiait Stefano Macaluso, son directeur général, à Bâle: «Un chronographe est plus compliqué à réaliser qu’un tourbillon, mais une manufacture doit avoir un chronographe dans son catalogue parce que c’est la montre qui réveille les envies en exacerbant les performances. En cela, c’est un vrai «toy for boys.» Avant d’ajouter: «Ces considérations valent essentiellement pour les Occidentaux, car les Asiatiques sont plus pragmatiques et ils préfèrent des produits plus utiles, intégrant un quantième complet ou les montres intensément futuristes comme celle que nous venons de présenter et dotée d’un échappement Constant des plus innovants (qui vient d’ailleurs de rece- voir l’Aiguille d’or du Grand Prix d’horlogerie de Genève, ndlr).» Dans ce secteur également, la concurrence est rude. A ce propos, Guy Seymon, l’ingénieur chargé du développement des concept watches chez TAG Heuer est clair: «Les engins que nous mettons au point comme le MikroPendulum S sont vraiment taillés pour tester des solutions d’avenir et véhiculer nos valeurs. Seulement, nous ne perdons pas de vue que ces F1 de l’horlogerie ont également pour effet de réveiller l’enfant qui sommeille en tout homme.» C’est exactement l’orientation prise par Richard Mille, ou par Urwerk. Leurs créations futuristes, qu’il s’agisse de la RM 11-01 R. Mancini dédiée aux fanatiques de football comme de la dernière EMC, ont pour objet de titiller chez les grands enfants un tantinet fortunés, cette envie de s’incarner en superhéros disposant de montres exclusives. Et le recours à ces stimuli fonctionne à merveille, car comme le dit Geoffroy Ader, l’expert horloger de Sotheby’s: «Avec les clients fortunés, il n’est pas question de parler d’argent, il faut juste les faire rêver.» PUBLICITÉ CHARME | ÉCLAT Chopard Mille Miglia Zagato. Boîtier en acier DLC. Calibre automatique. Série limitée à 500 exemplaires. Rolex Oyster Perpetual Cosmograph Daytona Platinum. Boîtier en platine, lunette Cerachrom marron, bracelet platine. Calibre automatique. Richard Mille RM 11-01 R. Mancini. Boîtier titane, bracelet caoutchouc. Calibre de chronographe automatique flyback. F.P. Journe Tourbillon Historique. Boîtier argent et or rouge. Calibre manuel à tourbillon. Edition: 99 exemplaires. HORLOGERIE BIJOUTERIE JOAILLERIE Basel Bern Davos Genève Interlaken Lausanne Locarno Lugano Luzern St. Gallen St. Moritz Zermatt Zürich Berlin Düsseldorf Frankfurt Hamburg München Nürnberg | Wien | Paris | bucherer.com 19 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe Lalumièreaucarat www.josephinechoquet.ch «Vendôme» est une lampe de luxe. En quoi est-elle différente d’une lampe «normale»? Cette lampe en cristal de Baccarat a nécessité un tour de main expert et des gestes extraordinairement précis. Ce savoir-faire unique, cette méticulosité, cette patience dans la fabrication: voilà le luxe. Votre référence en design c’est… Aucune. Le design aujourd’hui s’inspire de tout, tout le temps, partout. Chacun de mes projets naît d’une banque d’images soigneusement classées, ce qui me permet de cerner l’univers dans lequel je m’engage. Personnellement, je suis davantage séduite par des formes issues de l’art contemporain que par celles du «design produit». Les designers que j’apprécie vont dans cette voie. Ce sont des gens comme Muller Van Severen, le studio TOOGOOD, Michael Anastassiades, Peter Alexander ou encore Becky Beasley. Dans quelle direction s’oriente désormais votre carrière? Nous avons décidé avec Virgile Thévoz – un designer de ma volée – de mettre en commun nos compétences et de travailler quelques mois sur des projets en vue de gagner une visibilité sur la scène du design actuel. Je souhaite également trouver une activité dans le «trendforecasting» qui consiste à imaginer les futures tendances dans le domaine du design. ECAL/NICOLAS GENTA Sa lampe s’appelle «Vendôme». Comme la place de Paris où s’active le top de la joaillerie mondiale. «Vendôme», c’est donc un luminaire «tout ce qui brille» avec ses éléments en cristal de Baccarat qui s’enfilent comme les perles d’un collier. Joséphine Choquet, sa designer, vit entre la France et la Suisse. Elle s’en va bientôt pour Bruxelles suivre le développement d’une autre de ses lampes pour L’ArcoBaleno, la galerie de design d’Ambra Medda, la fondatrice et ancienne prêtresse de Design Miami/. ECAL > Joséphine Choquet, 25 ans Le luxe pour vous c’est… Une notion intemporelle qui véhicule un savoir-faire singulier, précis et minutieux. DESIGN Al’écoleduluxe Depuis six ans, l’Ecole cantonale d’art de Lausanne forme ses designers aux métiers du luxe. Le mariage de la forme, du prestige et du savoir-faire en compagnie de cinq diplômés de la volée 2012-2013. Par Emmanuel Grandjean Le design? On a tous notre petite idée sur la question. Disons que c’est une manière d’allier la fonction à l’esthétique, de faire d’un objet pratique un outil à la fois confortable et beau, d’en éluder la nature brutalement industrielle. Mais le design de luxe c’est quoi? La même chose, mais en plus chic? «C’est mettre en avant l’artisanat, la tradition et le savoir-faire dans la production d’objets», explique le designer Nicolas Le Moigne, qui dirige le Master of Advanced Studies in Design for Luxury and Craftmanship à l’ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne. Autrement dit de magnifier ce que notre société de la précipitation tend à délaisser parfois: l’art du geste, la noblesse du matériau et la patience dans la fabrication. Créé en 2007 par Pierre Keller, directeur de l’ECAL jusqu’en 2011, et réorienté par son successeur Alexis Georgacopoulos, ce postgrade forme ainsi des designers au haut de gamme. Chaque année, une petite dizaine d’étudiants venus d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord et du Sud viennent chercher à Lausanne ce supplément d’excellence. Un surplus prodigué par un casting de partenaires cinq étoiles: Hermès, Baccarat, Christofle. Et Vacheron Constantin, qui vient de s’engager dans l’aventure comme partenaire principal pour trois ans. «Pour nos étudiants, ces collaborations sont une opportunité rare de pouvoir toucher à l’exigence de belles maisons et, dans le cas de Vacheron Constantin, de pénétrer l’univers de la haute horlogerie.» Cinq diplômés de ce master de prestige présentent ici leurs travaux. Et expriment, à travers leurs beautés d’intérieur, ce design magnifique. www.ecal.ch L’empilagedecristal LAS GENTA «Bricks». Un nom qui claque comme du verre qui se brise. «Bricks», objet paradoxal à la fois sacrément charpenté et fragile comme du cristal de Baccarat. Un vase 50% féminin, 50% masculin, né de deux créateurs: Aurélie Mathieu, la designer, et Philippe Karrer, graphiste et éditeur à Bâle. Même si, pour l’heure, la première poursuit son parcours en solo, un pied dans l’atelier du designer Jean-Baptiste Auvray, un autre chez elle pour mener des projets personnels, comme récemment avec Calvin Klein pour qui elle a dessiné des bijoux. www.aureliemathieu.com Qu’est-ce qui vous a amenée au design et au Master Luxe de l’ECAL, en particulier? Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours voulu faire du design. Le choix du Master Luxe est arrivé à un moment charnière de ma carrière, où après avoir travaillé pendant trois ans au sein de l’agence que j’avais cofondée, j’ai senti le besoin de me spécialiser dans un domaine où les beaux matériaux et les savoir-faire seraient valorisés. Ce master était le moyen idéal d’acquérir un regard pointu sur cet univers, d’avoir la chance d’approcher des maisons du luxe, tout en ECAL > Aurélie Mathieu, 28 ans ECAL/NICO 20 développant une identité personnelle. Avec «Bricks», vous êtes entrée dans l’univers du verre. Comment ce vase est-il né? Je me suis inspirée des jeux de construction et de l’esthétique du groupe Memphis. C’est aussi la réinterprétation audacieuse d’un classique de Baccarat, où la fragilité du cristal devient partie intégrante du design. Le designer qui vous fait vibrer? Arne Jacobsen. Le luxe pour vous c’est… La possibilité de combiner dans un même projet des matériaux haut de gamme avec des savoirfaire uniques, sans contraintes, ni de temps ni d’argent. 22 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe ECAL/AXEL CRETTENAND ECAL Ledesignenchanté > Fabien Gerlier, 28 ans Ses présentoirs-sculptures viennent d’animer les vitrines de la boutique Hermès de Zurich. Des objets en métal et en marbre sur lesquels reposent des vêtements et des accessoires qu’un subtil éclairage métamorphose en images. Grâce au jeu de l’ombre et de la lumière, ce designer d’Annecy, travaillant à Paris, fait apparaître un alpiniste escaladant une montagne ou une danseuse en tutu créée grâce à la superposition de bijoux, d’un Carré et d’une ceinture. Fabien Gerlier, c’est la lanterne magique réenchantée. Qu’est-ce qui vous a amené au design et au Master Luxe de l’ECAL, en particulier J’ai découvert le mot design lorsque j’avais 13 ans. A cette époque, j’aimais déjà dessiner et bricoler. Aujourd’hui, le design me permet d’allier ces deux qualités: créativité et technicité. J’ai décidé de suivre le Master Luxe avec le souhait de m’orienter vers un design plus qualitatif. J’avais travaillé pour des entreprises fabricant leurs produits en Asie, en privilégiant le prix au détriment de la qualité. M’orienter vers le luxe signifiait pour moi travailler un produit de valeur dans tous les sens du terme. Faire le choix de l’artisanat et des savoir-faire d’exception plutôt que de la production de masse. Sortir ainsi des produits impersonnels et jetables pour créer de l’intimité grâce à la sémantique de l’objet. Vous avez créé une manière de présenter le luxe avec des présentoirs-sculptures. Quelle différence avec une vitrine qui exposerait des objets de consommation courante? cargocollective.com/fabiengerlier Les «présentoirs-sculptures» ne sont pas la finalité de la vitrine. Au contraire, ils tendent à s’effacer, d’où leur finesse et leur sobriété, pour laisser place aux produits qui, eux, sont les pièces maîtresses de la composition. C’est grâce à eux que l’ombre se crée. Cette ombre n’est que l’âme de l’objet, sa propriété intrinsèque, sa vraie nature et les valeurs de sa marque. Ce système pourrait fonctionner avec des objets de consommation courante, mais ici il est question d’affirmer la part de poésie, de rêve et d’imaginaire que l’on retrouve dans une marque telle qu’Hermès. Votre influence design? Aucune en particulier. Tout dépend du moment et du projet, il s’agit de se nourrir partout même loin des champs propres au design. Le luxe pour vous c’est… Un formidable moyen pour faire perdurer des savoirfaire ancestraux, mais aussi un laboratoire pour demain. Une façon de dire: «consommer moins mais consommer mieux». Leurreetlamanière cargocollective.com/virgile2 Vous avez créé un kit de pêche de luxe. Quelle différence avec un set «normal»? Le luxe se distingue dans mon projet de «kit de pêche» par la mise en valeur de techniques artisanales propres au savoir-faire horloger suisse, et donc à une certaine culture de l’identité. Sans pour autant arborer l’étiquette «made in Switzerland» reconnue comme gage de qualité, j’ai cherché à démocratiser l’idée du luxe à travers des moyens artisanaux, qui non seulement mettent en valeur les matériaux utilisés, mais rendent également l’objet fonctionnel et attrayant. Du point de vue des coûts de production, le kit reste bon marché à produire en série et le prix de vente, par conséquent, en bénéficie. Le luxe se dévoile donc davantage à travers les finitions choisies et l’histoire qui s’en dégage que par sa valeur pécuniaire. Le designer qui vous fait vibrer? Mathieu Matégot, designer français des années 1950, spécialisé dans les objets en tôle perforée. Il a su donner une direction au design moderne avec un style et une efficacité qui lui sont propres. Le luxe pour vous c’est… Démocratiser l’idée du savoirfaire, le rendre accessible et indispensable, contrairement au luxe que l’on connaît, souvent inabordable. Sans tomber dans le luxe de masse, offrir des alternatives d’exception reconnues pour leur engagement en faveur d’une production artisanale. Le luxe reste finalement un bon moyen de perpétuer les traditions et donc la culture. ECAL/VIRGILE THÉVOZ Il aurait voulu être architecte. Et puis il a découvert le terrain de jeu du design et son champ expressif qui s’étend à l’infini. A cheval entre la Suisse, où il a ses contacts, et Londres, où il souhaite s’installer, Virgile Thévoz, le designer-pêcheur, a emprunté le savoir-faire horloger pour fabriquer ce kit de pêche complètement précieux. ECAL > Virgile Thévoz, 25 ans L’artdelatable ECAL/GREGORY SYRVET Pour son diplôme de master, le Lausannois Gregory Syrvet a produit cette petite table. Un guéridon à l’élégance très «Années folles» qui ne renie pas sa totale contemporanéité. Son plateau en argent lustré comme un miroir porte la signature de Christofle. Sa structure en aluminium assume son origine industrielle. «S-Table», c’est l’alliance réussie du chic et de la machine. www.gregorysyrvet.ch ECAL > Gregory Syrvet, 28 ans Vous avez créé un objet de luxe. Quelle différence avec un objet «normal»? Un objet qui prétend au luxe tient tout d’abord au choix de la matière dans laquelle il va être réalisé. Il doit aussi être le garant d’une expérience, d’un tour de main unique. La différence est là. Le designer qui vous fait vibrer? Les Français Ronan et Erwan Bouroullec pour le côté conceptuel et l’Allemand Konstantin Grcic pour l’aspect technique, vu qu’à l’origine j’ai une formation dans ce domaine. Cela dit, l’art et la photographie m’intéressent aussi. Je pense aux images de Gregoire Alexandre, qui sont à la fois minutieuses et extrêmement chargées. J’aime ce genre de décalage. Les blogs sont également une source importante pour rester au courant et trouver l’inspiration. Le luxe pour vous c’est… Mettre en valeur un art parfois centenaire, celui du cristal chez Baccarat ou du travail de l’argent chez Christofle. Pour un designer, côtoyer ces marques de luxe, c’est aussi la chance de pouvoir travailler des matériaux précieux et de suivre des processus sinon difficilement accessibles. T H E A MP05-LaFerrari. A truly exceptional watch. A world record-holder. 50-day power reserve and a high-tech design developed with Ferrari. Limited edition of 50 pieces. BOUTIQUE GENEVE 78 rue du Rhône / 3 rue Céard R T O F F U S I O N 24 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 RENE PHOTO AGENCY Luxe PHOTOS: PIERRE CHAMBONNET Ferrari a rassemblé en Sicile une armada, en provenance de 20 pays. Autant d’équipages qui profitent de l’occasion pour se tirer la bourre durant trois jours de course, entrecoupés de haltes dans des palaces. Dans ce parc auto de prestige, la 308 GTB qui porte le numéro 19, la «mienne» (en photo). LE CLAN DES SICILIENS Lesoleil,Ferrarietmoi La «Targa Florio» 2013, version Ferrari, a réuni une centaine de bolides en Sicile, dans une compétition où les chevaux-vapeur le disputent à l’ego. La route, elle, a été peu avare en virages et en émotions, lovées entre deux nids-de-poule. Récit, au volant d’une 308 GTB, de l’hommage du Cheval cabré à la plus vieille course automobile du monde. Par Pierre Chambonnet U n trou de souris entre deux épingles, dans la folle procession. Catapulté par son V12 hurleur, le dossard no 62 se faufile, comme aspiré par les rares espaces libres. Vitesse hallucinante, freinages à la limite. Cette Ferrari 599 GTO, immatriculée à Genève, est la version routière d’un prototype de course qui se mesure en centaines de chevaux (près de 700!) et en centaines de milliers de francs. Pour l’heure, elle déchire la quiétude de la campagne sicilienne qu’elle avale sous ses roues, entre Caltanissetta et Agrigente. Un coin sublime. Du moins on l’imagine. 11 octobre 2013, 8h15. Nous sommes sur la plus grande île de Méditerranée sous un soleil déjà implacable, au beau milieu d’un slalom infernal qui célèbre la Targa Florio, la plus vieille course automobile du monde (lire page 26). Entre une 275 GTB et une Challenge Stradale, elle-même talonnée par une F40 et deux Superamerica. Nous – ma copilote rivée sur le road book et moimême –, dans un équipage improvisé et attelé à une 308 GTB. Oui, la voiture de Magnum. La voiture m’a été prêtée par Gino Forgione, un passionné à la générosité peu commune et surtout à la confiance aveugle. Le patron de Modena Cars à Genève, la plus grande concession Ferrari d’Europe, est en Sicile en compagnie de quelques-uns de ses clients, pour participer avec une petite centaine d’équipages au «Ferrari Tribute», l’hommage du constructeur de Maranello à la Targa Florio. C’est dans le cadre de ce rallye historique que le Cheval cabré célèbre aujourd’hui l’épreuve légendaire, aussi illustre que les Mille Miglia, et qui se passait en Sicile. Un gymkhana qui a été interrompu à la fin des années 70. Trop meurtrier. Ferrari a rassemblé sur place une conséquente armada. Autant de bolides, en provenance de 20 pays, qui profitent de l’occasion (5000 euros de frais d’inscription par équipage et les frais d’acheminement des véhicules à la charge des participants) pour se tirer la bourre. Cannonball au soleil, durant trois jours de course, entrecoupés de haltes dans des palaces. La messe noire des hommes en rouge Officiellement, rien d’une orgie célébrée sur l’autel de la puissance. Mais un paisible rallye de régularité au milieu de paysages sublimes. La réalité? Le démon de la vitesse qui chatouille de sa fourche des sportives de prestige à la beauté du diable. Assez vite, l’escorte de police sera à ranger dans la catégorie souvenirs. Dès la sortie de Palerme, quelques lignes blanches et panneaux de limita- tion de vitesse plus tard, la maréchaussée indigène ne concernera plus que le rétroviseur. F430, Scuderia Spider, 458 Italia, F12 Berlinetta, etc. A la station essence, pour abreuver les fauves, le pompiste aux joues empourprées de ce bourg agricole se remet difficilement de ses émotions. Il ne sait plus où donner ni de la pompe ni du regard, dans ce catalogue géant de la marque italienne. C’est tout le savoir-faire mécanique de l’Italie du Nord qui est venu chanter dans l’île du Sud. Chanter? Chaque voiture (1965 la plus vieille, 2013 la plus récente) est venue raconter, dans le crépitement de ses soupapes, une part du rêve Ferrari. Au final, une sensation étrange: la même que l’on peut éprouver, toutes proportions gardées, dans la Galerie des offices à Florence, au milieu de la foison des chefs-d’œuvre Renaissance. Dans la multitude des pièces de haute complication «made in Maranello» et réunies en Sicile, la pléthore finit par rendre presque banales les prodigieuses mécaniques. Dans ce parc auto, une 308 GTB donc. La «mienne». Mécanique à l’ancienne: boîte en H (levier de vitesses manuel), la pédale d’embrayage dure des sportives, et une direction non assistée. Pas d’arceau de sécurité, pas d’airbags, pas d’assistance électronique… La mécanique des puristes Dans l’habitacle, deux sièges habillés d’un cuir caramel patiné et posés au ras du sol tremblent sous les coups de boutoir du moteur. Qui a de beaux restes. Posé sur notre nuque, un V8 central de 1985, atmosphérique s’il vous plaît. La mécanique des puristes. Je tente de suivre le rythme, dans le cortège de cylindres déchaînés. Soudain, au détour d’un virage, la vallée des temples, les vestiges de la Grèce antique, Luxe 25 RENE PHOTO AGENCY Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 PHOTOS: PIERRE CHAMBONNET Le son du V8 Ferrari, une tessiture unique. «Je crois entendre encore, Caché sous les palmiers, Sa voix tendre et sonore. O souvenir charmant! Folle ivresse! Doux rêve!» La Romance de Nadir, «Les Pêcheurs de perles», Bizet autour d’Agrigente. «Pas le temps», me sermonne ma copilote, le nez dans le road book. Les églises arabo-normandes et leurs mosaïques byzantines? Même refrain. Pas un regard pour les Christ pantocrator de Monreale et de Cefalù. Un autre dieu nous occupe. Mélangez des chevaux-vapeur à des numéros de dossard et à de forts tempéraments. Inutile d’agiter. Vous obtiendrez très vite une émulsion fiévreuse, un mélange instable. C’est bel et bien la possibilité de rouler vite qui motive en grande majorité (totalité?) les participants. L’aspect régularité du rallye (des chronométrages à des moyennes de 40 km/h environ) représente certes un défi, avec un classement à l’issue et donc un esprit de compétition, mais secondaire. De mon côté, je me considère comme un garçon raisonnable. Et pourtant. Il aura suffi qu’on me prête un V8 pour que la partie reptilienne de mon cerveau reprenne le dessus. Concrètement, de l’attentisme angoissé qui a accompagné la phase d’observation, je suis finalement passé à l’étape «je mets la pression», avec une rapidité déconcertante. Les naseaux qui fument Courir avec des Ferraristes? Il faut bien avouer que l’orgueil se cabre, le goût de la performance part au galop. Limite les naseaux qui fument. Assumons donc ici le magnétisme absolu de ces voitures rouges, qui parlent une langue que l’on comprend instinctivement. Cette langue, c’est celle que parlent aussi les autres participants. Des habitués de ces cavalcades sauvages, où les chevaux-vapeur le disputent au caractère. «Quand on achète une Ferrari, c’est l’un des signes que l’on a un ego un peu particulier, nous glissera sans fard l’un d’eux. Et le rallye nous révèle chacun, en faisant ressortir notre personnalité à 2000%.» Mais les pilotes amateurs sont loin de se limiter à la caricature. Ils ne sont pas uniquement de grands enfants gâtés par la vie qui baladent leurs jouets à grand bruit partout dans le monde. C’est d’abord une bande soudée de copains passionnés, généreux et enthousiastes. Même si quelques chiens fous se sont égarés dans le cortège. Les cylindres aboient, la caravane passe Aux repas, on commente les exploits du jour (lire page 26), ils sont nombreux, avec 1200 km de course en trois jours. Les vannes elles aussi sont pléthoriques, et n’épargnent pas le Cheval cabré lui-même. Elles attestent le plus souvent d’un profond sens de l’autodérision. Des gosses turbu- lents en famille. Car Ferrari en est clairement une. Partout, au passage du convoi, le même folklore. Les cylindres aboient, la caravane passe. Les chiens eux-mêmes se taisent pour écouter la cavalerie. Dans ces villages pauvres du sud de l’Europe, les gens applaudissent le convoi de dizaines de millions de francs. «Gaz! Gaz! Gaz!» hurlent les spectateurs, poussettes et vieillards compris. Les moteurs récitent alors un solfège unique, des tessitures reconnaissables entre mille et qui fendent tous les visages d’un sourire jubilatoire. Passé le malaise que suscite le fait de conduire une voiture valant l’équivalent de plusieurs milliers de smic, on découvre le bonheur de véhiculer aussi facilement ce lien entre passionnés. Deux mondes qui se croisent. Le partage, à l’image de ce patron genevois Ferrariste qui, chaque année, participe bénévolement à des baptêmes de piste pour des enfants malades sur le circuit de Dijon, avec le même enthousiasme. Bilan des courses? Dans la folle cavalcade qui prend pour prétexte un monument de l’histoire du sport auto, cette «Targa Florio» représente un plaisir immense et luxueux. Un hommage au culte de la vitesse, habillé de ses plus beaux atours transalpins. Du rêve enchâssé dans des cylindres, qui pétarade dans une parade unique. C’est bruyant, désorganisé et surtout joyeux. C’est l’Italie. Une arène mobile mais aussi une caravane de fête. Tout le génie de la marque de Modène: du (très) exclusif et en même temps universel. De la passion réservée aux élites, mais communicative car immédiatement compréhensible. La magie du grand cirque Ferrari. Du rêve, à échappements. > Suite en page 26 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe SurlapistedesMadonies Entre 1906 et 1977, une partie des routes de Sicile se transformaient en circuit, pour une empoignade légendaire. Parmi les plus grands à s’y être imposés: Stirling Moss et Nino Vaccarella, ou encore Jo Siffert J usqu’à 900000 spectateurs sur les routes de Sicile, dans ces années folles. C’était les temps héroïques durant lesquels la course se gagnait en tenant le volant d’une seule main, sur des circuits de fortune délimités par des bottes de paille. Cette époque insensée, c’est Nino Vaccarella en personne qui l’évoque, lors de la remise des prix de l’édition 2013 de la «Targa Florio»: «J’ai la chance d’être encore en vie. Beaucoup de mes amis pilotes se sont tués en course.» Le pilote italien, né à Palerme, a aujourd’hui 80 ans. Ancien instituteur, il est une légende du monde automobile. Il s’est imposé dans toutes les plus grandes épreuves, dont les 24 Heures du Mans et la Targa Florio, à cinq reprises. Le championnat se courait alors sur des prototypes à boîte manuelle, qui embarquaient des moteurs «jusqu’à 5 litres et 1000 CV», se souvient Nino Vaccarella. Des montures autrement plus difficiles à dompter que les voitures de course actuelles, bardées d’assistances électroniques. Le pilote sicilien a roulé sur les routes sinueuses de la Targa qui dominent la mer, non loin de Palerme, notamment au volant de la sublimissime Ferrari 330 P4 (no 224) – sans doute la plus belle voiture jamais produite. Aujourd’hui, le rallye de régularité n’a, en théorie, plus rien à voir avec une épreuve de vitesse. A l’aide de road books (des guides d’itinéraire très détaillés), les participants suivent un parcours sur lequel ils sont chronométrés par endroits: ils doivent alors rouler à une vitesse moyenne de 40 km/h… Le circuit des Madonies représente des portions d’asphalte de plateau au milieu de terres agricoles, couvertes de bosses, de nidsde-poule et de zones effondrées, faute d’entretien. «Avec l’état des routes d’aujourd’hui, on ne pourrait plus rouler avec nos voitures d’alors, on les casserait», semble s’excuser le héros. Le bitume des Madonies défoncé, c’est un peu la mémoire d’une course mythique insultée. P. C. PHOTOS: PIERRE CHAMBONNET 26 > Paroles de gentlemen (drivers) Les pilotes amateurs ne sont pas généreux qu’au volant. A l’heure de la pause, ils se donnent sans compter en exégèses de toutes sortes. Morceaux choisis Les besoins «C’est d’abord le rallye, le bonhomme il passe après.» Les affaires «On parle jamais business.» La performance «Il roule fort le Chinois. Sa femme, elle, a vomi.» «J’ai mis les gaz, j’ai soudé. Je comptais les piquets.» «Ces cons, ils avancent pas.» Les coqs «Je lui ai mis la pression.» «Une voiture, ça sert aussi sur la route.» «Dans la montagne, je lui ai montré qu’on pouvait jouer aussi ailleurs que sur autoroute.» La casse «Avec toutes ces bosses, j’ai pas mal touché aujourd’hui.» «Y a une boîte à Genève qui répare les jantes.» «Tant qu’elle pisse pas au garage…» La technologie «Faut reconnaître qu’ils ont du mérite. Avec ces boîtes manuelles, il faut avoir le poignet souple.» «Le compteur n’est pas juste? Normal, c’est une Ferrari.» «Ça a quasiment les mêmes performances qu’une F1 y a trente ans.» Les références «Les lacs gelés, c’est formidable.» «On serait aux Mille Miglia, à cette heure-ci, tu serais déjà au lit.» «vroooooooo-vroaaaaar». La sonnerie du portable d’un monsieur à fines moustaches. La puissance «Eh Jean-Luc, elle fait combien de chevaux la tienne?» Les excès de vitesse «Moi, j’ai jamais reçu les amendes.» Des policiers qui passent en groupe. «Demain, faudra qu’on aille leur parler.» Les réglages «Le problème, il est entre le volant et le siège du conducteur.» Le circuit «Tourner pour tourner, ça m’emmerde.» Les «progrès» «Pierre, faut que t’apprennes à te faufiler.» Deux jours plus tard. «Pierre, tu roules trop vite avec ma voiture.» Les émotions «Y avait Jean-Luc qui parlait plus, ce qui est très mauvais signe.» «Sur la vidéo, on voit Jean-Claude faire une belle salade de bras.» Les femmes «Elle m’a un peu énervé parce qu’elle pensait que je ne pouvais pas tenir la moyenne.» Monsieur: «Ça, c’est le grigio argento.» Madame: «C’est la même couleur que mon vernis à ongles, c’est la voiture qu’il me faut.» «Isabelle a dit: même Philippe, il y arrive.» «Isabelle, elle a tourné au Castelet.» L’énigme… «Elle avait le cul qui partait sans arrêt.» Un éblouissant jeu de couleurs « La couleur est incontestablement la plus belle manifestation de la lumière, et compte parmi les phénomènes les plus remarquables de la vie. » Eduard J. Gübelin (1913– 2005) Collier sertid‘un saphir 12,99 ct de Madagascar, une émeraude 1,66 ct de Colombie, un spinelle 5,45 ct de Birmanie et 134 diamants de 13,77 ct Luzern Zürich Basel Bern St. Moritz Genève Lugano Kuala Lumpur Hong Kong Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe NAISSANCE D’UNE MARQUE ChanelavantChanel Gabrielle Chanel a ouvert sa première boutique à Deauville en 1913, il y a cent ans. Elle a révolutionné la mode avec ses lignes épurées, ses emprunts au vestiaire masculin, son goût pour les matières «pauvres», son usage du noir et du blanc. Pour comprendre les origines de ce style éternel, les codes de la maison qui prévalent encore, il faut suivre ses traces, remonter à la source, à Aubazine, l’orphelinat où elle a passé sept ans de sa vie et où tout semble avoir commencé. Textes et photos par Isabelle Cerboneschi AUBAZINE ISABELLE CERBONESCHI 28 E n premier lieu, il faut oublier. Oublier l’aventurière, la modiste, la couturière, l’emprunteuse, l’avant-gardiste, l’amie de Picasso, de Dalí, de Stravinski, la maîtresse de Boy Capel, du duc de Westminster, de Hans Gunther von Dinklage, la femme en noir, la femme en blanc, la femme aux bijoux, l’empire, le No 5, le tailleur en tweed, le sac en cuir matelassé, la légende apocryphe. Tout ça, il faut l’oublier. Ensuite, il faut faire preuve de compassion. A l’égard de soimême, d’abord. Se donner la peine de poser un regard empli de bienveillance sur ses propres blessures. Et laisser affleurer au bord du cœur les peurs, les angoisses, la colère, peut-être, générées par les sentiments d’abandon, de trahison et d’humiliation. Qui n’a pas connu cela? Alors seulement, on peut s’essayer à regarder tout cela à hauteur d’enfant. Une enfant de 11 ans et demi qui vient de perdre sa mère. Une petite fille serrée contre ses sœurs, Julia (13 ans) et Antoinette (8 ans), dans la charrette d’un père qui la conduit vers son destin. Et son destin, en ce froid jour de mars 1895, va s’écrire derrière une longue façade de pierre terminée par une église, l’abbatiale Saint-Etienne. «A 12 ans, dira des années plus tard celle que l’on appelait Coco Chanel, on m’a tout arraché! Et je suis morte.» 3 Derrière le mur, un jardin monastique, une fontaine surmontée d’une croix, une bâtisse sans fioriture coiffée d’un immense toit pentu couvert de tuiles, des colonnades. L’orphelinat d’Aubazine. C’est ici, dans ce lieu clos, abrité du monde, que Gabrielle Chanel va passer sept années de sa vie. Que suis-je venue chercher à Aubazine, cette petite commune de Corrèze peuplée de 874 habitants, enchâssée au pied de collines et de forêts épaisses, loin de tout, où les hivers sont glaciaux? Tenter de comprendre. Essayer de décrypter. Découvrir, peutêtre. Remonter à la source, Gabrielle Chanel, photographiée par Man Ray en 1937. Elle porte les manchettes ornées de la croix de Malte dessinées par le duc Fulco di Verdura. Le monastère d’Aubazine, l’orphelinat qui a recueilli Gabrielle Chanel lorsque son père l’a abandonnée avec ses sœurs. aux origines. Chercher Chanel avant Chanel. «J’ai fait de la couture par hasard», dit-elle à Paul Morand1. Mais l’on sait que le style ne vient pas à soi par hasard. Il naît de l’observation de figures, de modèles, de choses aimées, ou pas, digérées, intégrées et transcrites dans son langage propre. Or faute d’exemples familiaux et féminins, le goût de Chanel a forcément dû se forger ici, à Aubazine, au milieu des sœurs vêtues de noir et blanc, dans ce monastère à l’élégance cistercienne, tout en épure. Son regard s’est heurté à ce style roman tourné vers l’essentiel. C’est donc ici qu’il faut MAN RAY TRUST/ADAGP PARIS 2012/PROLITTERIS 2013 ZURICH chercher. Es- sayer de faire parler les pierres. Et si elles n’ont rien à dire, écouter les fenêtres. Et si elles restent muettes, discerner le message dans les vitraux, dans le sol en mosaïque, de tout ce qui pourrait être une piste pour arriver au plus près, non pas du personnage, mais de ce qui fait l’essence de Chanel, de ce style unique, fortement identifiable, et qui perdure cent ans après. Par où commencer? Peut-être en mettant ses pas dans ceux de l’enfant et grimper une à une les marches usées qui mènent aux anciens dortoirs, comme elle l’a fait chaque jour. Mais avant d’arriver au premier étage, mon regard est happé par une fenêtre aperçue depuis l’escalier. Il ne cherche pas à sortir du cadre et à s’évader dans le ciel, non, il choisit de se poser sur l’encadrement qui se détache sur le mur blanc. Du temps où Gabrielle Chanel vivait ici, le cadre était peint en noir. Sont-ce ces fenêtres, devant lesquelles elle est passée tous les jours, qui lui ont inspiré le l’étui de son premier parfum, le No 5? Quand la pierre devient diamant Le sol de la galerie du premier étage est une étrange mosaïque de pierre, à la fois discrète et noble, arborant des motifs qui pourraient paraître ésotériques de prime abord: une lune, un soleil, quatre étoiles à cinq branches, plus loin une mitre d’évêque, une croix de Malte, une fleur stylisée, des triangles, des ronds. Si le Moyen Age était une époque imprégnée de symbolisme, il est certains signes, parmi ceux-ci, auxquels personne ne sait donner de sens. On y discerne toutefois ceux qui représentent le blason de la commune: «Au premier de gueules au soleil d’or soutenu de deux étoiles de même mises en pal, au second d’azur à la lune d’argent soutenue de deux étoiles de même mises en pal.» En clair: le blason est divisé en deux. La première moitié est rouge, ornée d’un soleil doré qui surmonte deux étoiles de même couleur. La seconde est bleue décorée d’une lune argentée et deux étoiles argent. Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 29 ROGER SCHALL/COLLECTION SCHALL ISABELLE CERBONESCHI A droite: Gabrielle Chanel dans l’escalier de sa villa La Pausa à Roquebrune, qu’elle a voulu identique à l’escalier (à gauche), qu’elle empruntait tous les jours, reliant l’abbaye d’Aubazine à l’église abbatiale Saint-Etienne. Je ne peux m’empêcher, en regardant les étoiles, de penser à la broche Comète que Mademoiselle Chanel a créée en 1932 pour son exposition Bijoux de Diamants. Une étoile à cinq branches. Le chiffre 5 dans la vie de Gabrielle Chanel est loin d’être anodin: c’est le nom qu’elle a donné à son premier parfum, c’est aussi le jour du mois qu’elle choisissait pour présenter ses collections: 5 février et 5 août. Cinq, enfin, c’est le nombre de lions de marbre qui veillent sur sa tombe dans le cimetière de Lausanne où elle repose. Tous les motifs du sol de mosaïque, d’ailleurs, évoquent la fameuse collection de bijoux présentée en 1932 dont il ne reste qu’une broche pour témoin (lire LT du 07.03.2012). «Les délicats motifs des bijoux de Mademoiselle Chanel sont principalement d’inspiration astronomique. De magnifiques boucles d’oreilles en forme d’étoiles de dimensions diverses; une superbe comète dont la queue s’enroule autour du cou devient un étincelant collier: des bracelets si fins qu’on dirait des faisceaux de lumière: des croissants de lune à fixer sur les chapeaux ou dans la chevelure: enfin, pièce unique montée sur or jaune, un éclatant soleil de diamants jaunes, assortiment de pierres sans pareilles» 4, écrivait Janet Flanner, journaliste du New Yorker, après le vernissage. Quant à la croix de Malte, on retrouve ce motif sur les manchettes précieuses que le duc Fulco di Verdura a dessinées à l’envi pour Chanel de 1933 à 1938 (photo p. 28). L’esprit vagabonde, il passe du sol en mosaïque en pierre aux joyaux. C’est comme si Gabrielle Chanel avait voulu transcender, transmuter serait plus juste, les éléments de cette enfance orpheline en la chose la plus précieuse qui soit… Un vitrail pour signature Les anciens dortoirs sont vides aujourd’hui. Seul le soleil les pénètre et laisse son ombre sur le parquet. On peut imaginer combien les jeunes filles ont dû avoir froid, ici, l’hiver, sous les toits, sans cheminée. En ouvrant une porte fermée à clé, on découvre, caché derrière une forêt de poutres et de débris, un oculus, immense, décoré de motifs géométriques qui s’entrelacent. En y prêtant attention, on peut y discerner les deux «C» embrassés du fameux logo. Ce double «C», on le retrouve aussi dans l’église et dans la chapelle, écrit en lettres de plomb sur les vitraux en grisaille. Combien d’heures Gabrielle Chanel les a-telle contemplés? Les jeunes orphelines étaient astreintes à exercer quotidiennement leur piété, et à suivre les messes quotidiennes. Pour ce faire, elles n’avaient pas besoin de quitter l’abbaye: il leur suffisait d’emprunter une porte située à l’extrémité de l’ancien dortoir des moines qui s’ouvre sur un escalier en pierre, 36 marches qui mènent jusqu’au transept de l’église abbatiale. Cet escalier a tant marqué Gabrielle Chanel qu’elle le fit reproduire dans sa villa La Pausa. Elle souhaitait faire construire «la villa méditerranéenne idéale» 4. sur un terrain de 2 hectares qu’elle avait acquis en février 1929, sur les hauteurs de Roquebrune. Or l’une des premières choses qu’elle a demandées à l’architecte Robert Streitz, chargé du projet, ce fut de recréer à l’identique l’escalier de l’abbaye d’Aubazine dans le hall d’entrée. Etrange requête, lorsque l’on sait tous les voiles dont elle avait revêtu son passé à l’orphelinat. «S’il est un mot, entre tous, que jamais les lèvres de Gabrielle Chanel ne prononcèrent, ce fut bien le mot «orphelinat». Elle s’attacha avec acharnement à effacer toutes traces du sort si cruel qui fut sien», écrivit Edmonde CharlesRoux2. Quant à Robert Streitz, il a eu l’élégance de ne jamais révéler la teneur de la conversation qu’il avait eue avec la Mère supérieure d’Aubazine lors de sa visite. L’escalier, lui, trône toujours dans le hall de la villa. L’abbatiale résonne des voix de quelques visiteurs qui s’en tiennent aux travées. A force de chercher des indices partout, mes yeux se posent sur chaque parcelle de mur, chaque statue. Ils remarquent enfin ce meuble de bois construit comme une architecture, qui s’impose à la croisée du transept, au pied du fameux escalier en pierre qu’empruntaient les orphelines tous les jours. Construite au XIIe siècle, cette armoire liturgique est considérée comme le meuble français le plus ancien. Ce n’est pas tant sa forme qui m’intéresse que les loquets terminés par des têtes d’animaux et le décor qui entourent les serrures: des bandes de laiton fixées par de gros clous coniques. Je ne peux m’empêcher de penser aux bagues avec des cabochons que portait Mademoiselle Chanel dans les années 30. Mais peut-être n’est-ce qu’une illusion, un mirage qui répond à la soif de celle qui cherche… > Aubazine, l’empreinte du XIIe siècle Aubazine est née d’un désir impérieux: celui de deux prêtres, dont l’un s’appelait Etienne, souhaitant vivre en ermites dans ce lieu qui, jusqu’au XVIe siècle, s’appelait encore Obazine. Par sa foi rayonnante, sa bienveillance et son intelligence, Etienne eut tôt fait d’attirer à lui nombre de disciples désireux de le suivre sur cette voie d’austérité. Il fit construire deux monastères, un pour les femmes dans le proche vallon du Coyroux, isolé au fond d’une gorge, et un pour les hommes, qui est devenu plus tard l’orphelinat où Gabrielle Chanel passa sept années de sa vie. La règle qui prévalait à Obazine était celle de saint Benoît ainsi que les usages monastiques cisterciens. L’évêque de Limoges a consacré les deux églises en 1142. Ce n’est qu’en 1860 que le lieu est devenu un ISABELLE CERBONESCHI orphelinat dirigé par la congrégation du Saint-Cœur de Marie. Depuis 1965, l’abbaye relève de l’Eglise grecque-melkite catholique, une église de tradition byzantine unie à Rome. Mais l’esprit cistercien reste inscrit dans la moindre de ses pierres. I. Ce. Note: Aubazine se visite. Des stages y sont régulièrement organisés. Renseignements: http//abbaye.aubazine.com Remerciements: un immense merci à Monsieur Luc-Emmanuel Feuillet, le conservateur de l’abbaye d’Aubazine, qui fut un guide précieux et patient dans les couloirs de l’abbaye le long des travées de l’église abbatiale Saint Etienne, ainsi qu’un merveilleux conteur de l’histoire d’Etienne d’Obazine. ALEXANDRE CÉALAC La mosaïque de pierre du premier étage du monastère d’Aubazine, qui représente le blason de la commune avec une lune, un soleil et quatre étoiles à cinq branches. Relevé à la plume du pavement de l’ancien orphelinat, 1996. Broche «Comète» originale créée par Mademoiselle Chanel en 1932 pour son exposition «Bijoux de Diamants». CHANEL JOAILLERIE 30 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe Chaneloularéinventiondesoi COLLECTION CHANEL, PARIS, FRANCE M Devant les écuries de Royallieu, Gabrielle Chanel, Léon de Laborde et Etienne Balsan. bien que passant parfois dans la région pour rendre visite à sa sœur, n’est jamais venu voir ses filles et encore moins les rechercher. Lorsqu’elles atteignent l’âge de 18 ans, Gabrielle et Adrienne, qui ne se destinaient pas au noviciat, quittent Aubazine pour un pensionnat, l’Institution Notre-Dame, situé à Moulin, une ville de garnison où était cantonné le 10e régiment de chasseurs à cheval. Deux ans plus tard, elles sont placées comme commises dans une maison spécialisée en «trousseaux et layettes». Mais le besoin de liberté de Gabrielle Chanel est plus fort que tout. Elle veut échapper à son destin et pense qu’une des manières d’y arriver, c’est de chanter dans un café-concert. D’après la légende, elle obtient un succès honorable à La Rotonde de Moulins, d’abord, puis à Vichy. C’est dans cette ville qu’elle rencontre Etienne Balsan, le premier homme qui s’occupera d’elle et le premier acteur clé de sa vie à venir. Dès lors, son destin va suivre un autre cours. Le seul point commun entre Etienne Balsan et Gabrielle Chanel est qu’ils sont tous deux orphelins. Mais lui a eu la chance de naître dans une famille fortunée de Châteauroux, propriétaire d’une usine de textile, les manufactures Balsan. Chanel s’installe dans sa propriété de Royallieu. Chez lui, elle croise le monde et le demi-monde, et surtout Boy Capel, qui deviendra son premier grand amour. Il sera bien plus que cela: un pygmalion, qui lui donnera le goût de l’art, de l’ésotérisme et de la lecture. En 1910, il l’aidera financièrement à installer un atelier de modiste à l’étage, au 21 rue Cambon et à ouvrir sa première boutique à Deauville trois ans plus tard, il y a cent ans. La légende Chanel pouvait commencer… Une légende dont les fondations s’appuient sur le manque. Il faut croire en effet que c’est dans ces manques – d’amour, de famille, d’argent, de tout – que Gabrielle Chanel a puisé la force de se façonner un destin unique auquel ses origines ne la vouaient pas. Et de s’offrir le luxe a posteriori de réécrire les pages de son passé, qui ne lui convenaient guère. ISABELLE CERBONESCHI algré toutes les biographies qui lui ont été consacrées, Chanel reste un mystère. Elle a créé un empire, mais sa plus grande création reste sans doute sa vie, qu’elle a inventée à partir d’une matière première pauvre et triste. A tous ses biographes, ceux qui l’ont crue ou ont feint de la croire, elle s’est inventé une enfance passée chez des tantes austères et exigeantes, un père parti faire fortune aux Amériques. La réalité était autre. Gabrielle Chanel est née le 19 août 1883, à l’hospice de Saumur. Le jour de sa naissance, son père, Henry-Albert Chanel, marchand forain de son état, «n’était pas là» 4, déclarera-t-elle des années plus tard. Ses parents n’étaient pas mariés. Son père avait déjà fait un enfant à Eugénie Jeanne Devolle, qu’ils prénommèrent Julia, une année avant la naissance de Gabrielle, et avait décidé de fuir une vie qui ne le tentait pas. Rattrapé par la famille de Jeanne, il fut contraint d’assumer son rôle et de reconnaître son enfant. Les Devolle le contraindront, une seconde fois, à épouser Jeanne un an après la naissance de leur deuxième fille. Le mariage eut lieu le 20 mai 1884. Six enfants sont nés de cette union: Julia, Gabrielle, Alphonse, Antoinette, Lucien et Augustin, qui ne vivra que quelques semaines. Les grossesses, la tristesse, la fatigue ont eu raison de Jeanne, qui est morte d’une maladie respiratoire en février 1895. Albert Chanel a 39 ans. Il se trouve bien trop jeune pour être veuf et affublé de cinq enfants. Il décide donc de placer les deux garçons dans des fermes – où les enfants étaient corvéables à merci – et d’abandonner les trois filles devant l’orphelinat d’Aubazine, en mars1895. Gabrielle Chanel a vécu ici jusqu’à l’âge de 18 ans avec ses sœurs et sa tante Adrienne, à peine plus âgée qu’elle. Voilà pour les origines. Inutile de dire que leur père, Mais ces pages-là, celles qu’elle a essayé d’effacer, on peut les lire malgré elle à travers les vêtements, les parfums et les bijoux qu’elle a créés sa vie durant. Sans cette histoire particulière, le style Chanel n’aurait pas existé. En tout cas pas tel qu’on le connaît et reconnaît. Les lignes simplissimes, une petite veste de tailleur lestée par une chaînette, des cardigans de laine inspirés de ceux des palefreniers de Royallieu, du tweed comme celui des vestes de son amant le duc de Westminster, du noir, du blanc comme les sœurs d’Aubazine, des ballerines bicolores parce que cela faisait paraître ses grands pieds plus petits, le double «C», sans doute le plus beau, le plus parfait des logos qui aient jamais été inventés, des perles, des manchettes byzantines, quelques symboles fétiches, l’étoile, le lion, son signe du zodiaque. Sa trajectoire fascine parce qu’il y est question de transformation. Dans son cas, cela relève de l’alchimie: elle est parvenue à transformer un matériau pauvre – son enfance, son adolescence, ses origines – en or. I. Ce. Bibliographie 1. L’allure de Chanel, Paul Morand, Hermann, 1976 2. Le Temps Chanel, Edmonde Charles-Roux, Ed. Chêne-Grasset, juillet 1996 3. Chanel, Henry Gidel, Grandes biographies, Ed. Flammarion, janvier 2000 4. Chanel, sa vie, Justine Picardie, Ed. Steidl, 2010 5. No 5 Culture Chanel, catalogue de l’exposition, Ed. de la Martinière, 2013 >> Retrouvez la suite du reportage photo sur www.letemps.ch/luxe Bouchon du flacon du parfum No 5 de Chanel. COLLECTION CHANEL, PARIS, FRANCE ISABELLE CERBONESCHI Une fenêtre du premier étage d’Aubazine qui a inspiré l’étui du parfum No 5. Etui pour le flacon du parfum No 5 de Chanel 1921. COLLECTION CHANEL, PARIS, FRANCE Un des vitraux de la chapelle d’Aubazine où l’on reconnaît dans les entrelacs le fameux double «C» du logo. Liveyour passion with Slimline Moonphase Manufacture Depuis la nuit des temps, la lune constitue une source d’inspiration, d’émerveillement et de passion pour tous. Équipée d’un calibre entièrement développé en interne, la Moonphase Manufacture de Frédérique Constant affiche les différentes phases de lune sur un design aussi fascinant et intemporel que l’astre lunaire. Plus d’informations + 41 (0) 26 460 72 50, [email protected] . w w w.frederique-constant.com <wm>10CAsNsjY0MDQx0TU2NrG0sAQA2Xr5yA8AAAA=</wm> <wm>10CFWMsQ4CMQxDvyiVnZheS0Z024kBsWdBzPz_xJUN63l79nHkpeHX235_7o8kKFmE5pg53Bu0JV1bcyXPOBhXDJHq0f98A3oIqOUYeVIYJpjP8kAx1kOtNdA-r_cXCouueYAAAAA=</wm> L’INVITATION AU VOYAGE - VENISE Téléchargez l’application Louis Vuitton PASS pour accéder à des contenus exclusifs. LUXE Fées d’hiver Réalisation, photographies et stylisme Buonomo & Cometti Piaget Rose piaget.com Or blanc, bague sertie diamant Boutiques PIAGET : Genève - rue du Rhône 40 • Lucerne - Grendelstrasse 19 • Zurich - Bahnhofstrasse 38 Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 35 PORTFOLIO Page 33: Nika: robe en silicone découpée au laser, collection «Beyond Wilderness» automne-hiver 2013-2014 Iris van Herpen haute couture. Collier haute joaillerie «Rayons précieux» serti de saphirs jaunes, grenats Mandarin et diamants de la collection «Pierres de Caractère Variations», Van Cleef & Arpels Lary: robe brodée, manchettes et escarpins de la collection automne-hiver 2013-2014 Armani Privé Lary: robe bustier en tweed et laine bouillie ornée de bandes de vinyle croisées et brodées, collection automne-hiver 2013-2014 Chanel haute couture. Bracelets Lion Rugissant, l’un en or blanc serti d’un diamant taille poire et de diamants taille brillant et l’autre en or blanc et onyx serti de diamants taille brillant, de la collection «Sous le Signe du Lion», Chanel haute joaillerie. Nika: robe en tulle de soie brodée de perles de cristal, collection automne-hiver 2013-2014 Chanel haute couture. Porté sur l’épaule: collier Lion Talisman en or blanc serti de diamants taille brillant (41,2 carats), de diamants taille rose (21 carats), de diamants taille baguette, taille poire, taille triangle et de spinelles noirs taille brillant, collection «Sous le Signe du Lion», Chanel haute joaillerie. 36 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe PORTFOLIO Robe du soir en soie frangée multicolore et gants de soie, collection automne-hiver 2013-2014 Dior haute couture. Boucles d’oreilles Exquise Rubis en or jaune serti de diamants, saphirs jaunes, rubis, saphirs roses et grenats spessartites; bague Fascinante Emeraude en or jaune serti de diamants, émeraudes, saphirs jaunes, saphirs roses, tourmalines Paraïba, grenats démantoïdes, grenats spessartites, saphirs violets, rubis et saphirs; bracelet Majestueuse Multicolore en or jaune serti de diamants, saphirs roses, saphirs jaunes, émeraudes, saphirs, grenats spessartites, grenats démantoïdes, rubis, saphirs violets et tourmali- nes Paraïba; porté en bracelet, collier Fascinante Emeraude en or blanc serti de diamants, saphirs, émeraudes, saphirs roses, saphirs jaunes, grenats démantoïdes, grenats spessartites, tourmalines Paraïba, saphirs violets, rubis et grenat tsavorite. Le tout de la collection «Cher Dior», Dior haute joaillerie. Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe PORTFOLIO Lary: manteau brodé et escarpins de la collection automne-hiver 2013-2014 Atelier Versace. Nika: combinaison brodée et escarpins de la collection automnehiver 2013-2014 Atelier Versace. Boucles d’oreilles en or blanc serties de diamants, Atelier Versace Joaillerie. 37 38 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe PORTFOLIO Robe en soie technique de la collection automne-hiver 2013-2014 Viktor & Rolf haute couture. Escarpins Iriza Glitter Rose Antique, Christian Louboutin. Collier et boucles d’oreilles motifs fleurs de camélia deux ors gravés et sertis de diamants, Buccellati. Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 PORTFOLIO Lary: plastron brodé de fleurs en sequins et paillettes et rebrodé de fleurs en tissu des années 1920 à 1950. Porté en jupe, un manteau au dos balancé et drapé en latex, le tout de la collection automne-hiver 2013-2014 Maison Martin Margiela haute couture. Escarpins Artifice, Christian Louboutin Nika: ensemble Verlaine & Vertige composé d’une veste nervurée en soie et d’une jupe en plumes, collection automnehiver 2013-2014 Yiqing Yin haute couture (lire interview p. 42). Escarpins Artifice, Christian Louboutin. 39 40 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe PORTFOLIO Robe Sabbat en mousseline crêpée à ourlet asymétrique drapée sur la poitrine ornée de basques et de pans de paillettes noires et d’une collerette de plumes et gants, le tout de la collection automne-hiver 2013-2014 Schiaparelli by Christian Lacroix. Swiss watches to dream of for 160 years Tissot Lady Diamonds rÉserve de marche de 80 heures Get in touch at www.tissot.ch Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe DR 42 HAUTE COUTURE YiqingYin, àfleurd’âme Yiqing Yin: «Le vêtement est un outil de construction de soi et un canal de communication avec l’autre.» P endant les défilés de Yiqing Yin, on voit des choses qui n’existent pas. Des robes taillées dans de l’eau, ou bien dans des nuages… Des robes en métamorphose. On les croirait vivantes. Ses collections de haute couture donnent le sentiment de ne plus rien comprendre, de ne savoir mettre de mots ni sur les matières ni sur les techniques. C’est voulu. Yiqing Yin souhaite que l’on ne comprenne pas. «Je suis ravie quand on me dit: je ne sais pas comment c’est fait!» Ses secrets de fabrication sont simples, dit-elle. «Des mix de techniques existantes, très pragmatiques. Mais j’essaie toujours, par le choix des matériaux, de la palette de couleurs, des textures, de faire en sorte que plus rien ne soit reconnaissable. J’essaie de perturber la lecture en ajoutant, dans les décorations, des matériaux très communs comme la gaze d’hôpital. On oublie les frontières, on ne discerne plus ce qui relève de techniques nobles ou vulgaires.» Yiqing Yin voulait devenir sculptrice. Elle a d’ailleurs étudié à l’Ecole nationale des arts décoratifs, mais lorsque ses mains ont rencontré la matière «tissu», elle a su que c’était à travers lui qu’elle allait s’exprimer. On pourrait tout aussi bien décider que ses créations relèvent de l’art poétique. Sauf qu’elles se portent sur un corps de chair et qu’en général on appelle cela un vêtement. Elle aime bien ce mot, d’ailleurs, «vêtement». Il revient souvent dans la conversation. Elle n’y voit rien de trivial. Au contraire. «Il n’y a rien de plus réel qu’un vêtement qui porte sa fonction et la fonction sociale de la personne qui l’habite. C’est le premier habitat du corps. Et même en l’absence du corps, il retranscrit l’histoire vécue de celui qui le porte», souligne-t-elle. Yiqing Yin a eu le destin perturbé des enfants déracinés. Quand elle avait 4 ans, ses parents ont dû quitter la Chine après les événements de la place Tiananmen. Ils se sont installés en France. Puis en Australie. L’idée du déracinement est très présente dans ses collections. Ou plutôt, celle d’enracinement. Elle a appris à faire façon de ces ruptures du destin: abandonner un pays, une culture, des amis derrière soi, pour aller vers l’inconnu, cela engendre des peurs profondes, mais permet aussi de faire de la place pour se réinventer. Ces interruptions expliquent peut-être sa technique de couture. Yiqing Yin dessine et conçoit environ 20% du vêtement. Le reste naît par accident, sur le La couturière Yiqing Yin raconte des histoires non pas avec des mots mais avec des plis et des drapés, et des détournements de tissu majeurs. Ses collections poétiques mêlent le noble et le trivial, les techniques de couture ancestrales et les matériaux technologiques. Le vêtement devient le vecteur d’une révélation de soi, et d’une possible transformation. Rencontre. Par Isabelle Cerboneschi mannequin, dans une rencontre, parfois une confrontation, entre les mains de la couturière et le tissu. Yiqing Yin sculpte debout. Le nom de Yiqing Yin a commencé à être connu du grand public lorsque Audrey Tautou, la maîtresse de cérémonie du dernier Festival de Cannes, est apparue dans une robe drapée, réalisée par la couturière de 28 ans (lire p. 43). Mais les professionnels la connaissent depuis quelques années. Elle a présenté sa première collection pendant le Festival international de la mode à Hyères en 2010. L’année suivante, elle défilait à Paris. Ce premier défilé «Ouvrir Vénus», présenté en juillet 2011, était très instinctif. «On était une bande de jeunes diplômés, on ne savait pas trop ce qu’on faisait ni où on allait. Tout tenait avec des fils, c’est le cas de le dire.» Il y avait peu de monde et la salle était minuscule. Mais elle a réussi, en une collection, à nous entraîner dans son univers onirique, pas toujours rose d’ailleurs. Et depuis, on la suit. Son deuxième défilé était plus construit. Elle avait mis sa technique au service d’une idée: celle de la métamorphose du corps humain en corps animal. «Le challenge était d’utiliser des techniques traditionnellement issues de la couture pour définir une nouvelle créature, avec différentes textures, différentes surfaces.» Et lorsqu’on l’écoute raconter ce qu’elle fait, et comment elle le fait, on devine qu’à chaque collection elle raconte, et réinvente aussi sa propre histoire. prends toujours en compte l’aspect photogénique des créations. J’ai fait une collection basée sur les multiples humeurs, liées aux lumières qui se reflétaient sur la nature aux différentes heures de la journée. J’ai essayé de rendre la réfraction de la lumière sur l’eau, grâce à des techniques variées et à des matériaux plus technologiques, comme cet organza cristal qui diffracte la lumière de façon différente selon l’angle où l’on se trouve et la matière que l’on place en dessous. J’aime ce genre de matériaux changeants. Pour la dernière collection, j’ai fait réaliser un velours épais, tissé sur des métiers traditionnels, par la maison Luigi Bevilacqua, de Venise. Il est rasé au sabre à la main et change de couleur selon l’inclinaison, la lumière, le mouvement. Vous utilisez aussi des matières qui n’ont rien à voir avec la couture. Comment les découvrez-vous? Parfois elles viennent à moi. J’aime bien fouiner aussi. Dans chaque collection, j’aime utiliser un ou deux matériaux impossibles. Par exemple, lors de la dernière collection, j’ai utilisé du «PVC prism-reflector» que l’on emploie normalement dans l’ameublement. Quand on le regarde de manière frontale, la matière laisse transparaître ce qu’il y a en dessous, mais en le diffractant comme un kaléidoscope. Tout ce qui est en vision périphérique reste opaque. Il a fallu tester sa résistance, sa capacité à être cousu. D’habitude il est thermocollé. On peut faire des housses de canapé ou des bouées avec ce matériau. Mais il avait un certain charme et je l’ai associé à des matières traditionnelles comme la dentelle de Calais rebrodée de cristaux. Le Temps: La femme qui semble se dessiner au fil de vos collections est-elle une chimère? Yiqing Yin: Oui, une femme chimère, un peu écorchée, mais toujours dans un processus de transformation. Jamais finie, jamais figée. C’est une proposition pour un nouvel idéal de beauté, moins convenu, un peu subversif. Quand on regarde vos défilés, on a le sentiment que le corps de la femme ne suffit pas. On rajoute, on transforme, on entaille, pour rehausser, bousculer un peu son anatomie ou ses proportions, on dessine de nouvelles ossatures. Mais cela ne donne rien d’étrange au niveau de la silhouette. Un lien très fort semble vous lier à la nature. Elle m’inspire. La lumière est très importante dans la construction de ma palette et dans mes choix de matériaux et de tissus. Je Yiqing Yin. Collection couture hiver 2013. SHOJI FUJII Vous aimez travailler des techniques traditionnelles comme les smocks ou le drapé, mais sous vos mains, ils ressemblent à autre chose. Les smocks, le drapé servent traditionnellement d’ornementation. Je préfère utiliser le potentiel dynamique du plissé pour faire la forme: le pli n’est plus juste une décoration, mais fait partie intégrante de la structure du vêtement. Dans un pli, dans un drapé, il y a autant de vide que de plein. Oui, il y a un espace de communication et un espace de respiration. Cela définit un vide autour Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Lesdessous delarobe d’AudreyTautou PHOTOS: SYLVIE ROCHE D’où vous est venu le goût de la couture? A l’origine, c’était plutôt une approche sculpturale. J’ai adoré l’exposition de Yohji Yamamoto aux Musée des arts décoratifs en 2005. Il y parlait de vêtements comme témoins identitaires. Il s’inspirait des vieux habits utilitaires, des uniformes de métier, parce qu’il n’y a rien de plus réel qu’un vêtement qui exprime sa fonction et la fonction sociale de la personne qui l’habite. Cet objet a une vraie utilité, qui est indispensable, mais au-delà de ce qu’il est, il illustre un univers de nondits, des choses impalpables, comme le caractère, l’humeur, les névroses de celui qui le porte. C’est un objet en trois dimensions qui recouvre un autre objet en trois dimensions, le corps. du corps qui devient une protection. La répétition de la même ligne droite dans la matière la rend plus forte. La mousseline de soie – un tissu impalpable et qui fuit dans les doigts – une fois plissée d’une certaine manière, avec une certaine longueur dans les courbes des smocks, va prendre une allure beaucoup plus rigide et aura cette mémoire de la forme. Elle ne changera pas au fil du temps. Elle sera sculptée, sans avoir besoin d’être entoilée. Sa rigidité est induite naturellement par l’accumulation de la matière. Avez-vous l’idée de carapace, de protection en tête quand vous créez vos collections? Ce n’est pas tant la notion de carapace que de paradoxe qui m’importe. Des vêtements qui évoquent une armure par leur volume vont surprendre par la légèreté du tissu. Il y a effectivement la notion d’armure dans les vêtements que je construis, mais aussi celle de seconde peau, de par la fragilité de la matière. Avez-vous fait de la plongée? Oui, j’ai ressenti ce sentiment d’être à la fois fascinée et aspirée par le vide. On perçoit de l’attrait et une forme de dégoût face aux écosystèmes bizarroïdes qu’on a envie de toucher sans oser, parce qu’on ne sait pas si ça va être dur ou visqueux, si ça va nous aspirer le doigt. On est entre deux mondes. Vous avez quitté la Chine quand vous aviez 4 ans. Or dans vos collections, je lis une tentative d’enracinement de force, comme si la nature voulait prendre posses- sion des robes pour essayer de les ancrer là, dans le présent. C’est joli comme image. Je ne me suis jamais posé cette question en ces termes, mais cela rejoint totalement ma vision. Les vêtements sont nos points de repère, des témoins de notre identité et de notre histoire. C’est le premier habitat du corps. Et même en l’absence du corps, il retranscrit l’histoire vécue. On perd cette notion-là avec la mode changeante et la fast fashion, mais auparavant, quand on voyait sur un portemanteau le manteau d’une personne particulière, cette personne pouvait ne pas être là, on la reconnaissait. C’était son manteau. On sent la présence dans l’absence. Ma réflexion de création vestimentaire est basée sur cela. Sur des thèmes beaucoup plus oniriques, plus légers, plus frivoles, certes, mais toujours pour proposer le vêtement comme une expérience d’identité. Quand j’étais petite, je changeais souvent de pays, d’environnement, d’amis, de famille. On y perd ses repères. Quand on voyage beau- coup, le vêtement est le premier abri du nomade. Il permet de se réapproprier son histoire, son identité. De renouer des liens avec les choses qui nous donnent de la force. En cela, le vêtement a une signification forte, au-delà du système de mode. C’est un outil de construction de soi et un canal de communication avec l’autre. Vous avez peu vécu en Chine, mais est-ce que ce pays transparaît d’une manière ou d’une autre dans vos collections? Pas de façon rationnelle. Mais quand je suis interviewée par des journalistes chinois, ce sont eux qui me font remarquer que dans telle collection, tel vêtement est d’inspiration chinoise. Je leur réponds que non, que mon inspiration est dégagée de toute connotation. Mais certainement que le fait d’avoir grandi entourée de beaux objets anciens – mes parents étaient antiquaires – a sans doute influencé de façon inconsciente mon monde créatif. Ce n’est pas quelque chose que je recherche, ni de calculé. Vous sculptez? Je moule plus que je ne couds un vêtement: j’ai besoin d’avoir le corps à la verticale, avec l’apesanteur, l’espace autour, projeter dans ma tête le vêtement en mouvement. Dans le flou (en couture, une technique de réalisation de vêtements dans des matières souples comme la soie, la mousseline, le voile, le velours, par opposition à la technique de fabrication de tailleurs, ndlr), on a une silhouette à peu près définie à 20% et tout le reste doit se chercher, en travaillant les volumes. Ça laisse la place aux accidents, qui sont les vrais miracles de la création. Il faut savoir s’arrêter et dire: «C’est fini.» Sinon, on peut toujours tout décaler d’un centimètre. Il faut savoir revenir en arrière. Sacrifier des choses. Ça peut rendre fou. Les vêtements flous peuvent ne jamais être finis. Il y a toujours un élément laissé à l’abandon, ou qui est encore en cours de métamorphose, mais ce n’est pas grave, parce que c’est quelque chose de vivant qui va respirer, bouger. Je ne fais jamais de vêtements figés, durs, caparaçonnés. Le vêtement sera fini par le corps de la femme qui le porte, par son identité, par sa voix… Le Temps: Comment vous êtes-vous rencontrées? Yiqing Yin: C’est sa styliste qui a arrangé notre rencontre. Audrey Tautou tenait à porter un vêtement de créateur et non pas la robe d’une marque d’un grand groupe. Un choix plus personnel, plus risqué, que je trouve courageux. On s’est rencontrées autour d’un déjeuner. On a ensuite organisé un long essayage de trois heures. Avant de dessiner sa robe, je voulais voir comment elle portait différents vêtements, me rendre compte de ce qui lui allait, comment elle réagissait. La haute couture, c’est une observation de la personnalité et du physique de la cliente. Je lui ai même fait porter des choses que je savais ne pas lui aller. Cela m’a beaucoup aidée. J’ai fait le dessin en deux jours. Combien d’essayages ont-ils été nécessaires? On n’en a fait que trois, ce qui n’est pas beaucoup pour une robe comme ça. On avait pris l’empreinte de son corps afin de réaliser un moulage, car on avait très peu de temps. Cela nous a permis de travailler sans devoir faire trop d’essayages. Y avait-il des contraintes à respecter? Elle m’a fait entièrement confiance. Sur les couleurs, la matière, le dessin, les détails, tout. Je voulais, et elle voulait aussi, que ce soit une robe signature. Elle avait le souci de mettre en avant mon travail. C’est un geste très généreux. Il y avait deux ou trois éléments à respecter: elle est petite, la taille doit donc être très marquée, il faut faire un petit buste et allonger les jambes. Je lui ai proposé quelque chose d’assez frais, pas trop glamour. Elle est plus gracieuse que voluptueuse. Elle fait une taille 32, mais est extrêmement bien proportionnée. Faire un vêtement pour elle, c’est comme faire un vêtement pour un mannequin, mais en rétrécissant tout, autant dans la longueur que dans la largeur. Propos recueillis par I. Ce. Les voiles Mumtaz Mahal Depuis septembre dernier, un film publicitaire façon court métrage signé Bruno Aveillan fait revivre la légende de Shah Jahan et son épouse Mumtaz Mahal dont l’amour a inspiré le fameux parfum Shalimar. Les vêtements de la campagne portés par Natalia Vodianova sont signés Yiqing Yin. >> Lire la suite sur www.letemps.ch REUTERS/ERIC GAILLARD Yiqing Yin. Collection couture hiver 2013. Vos vêtements ont l’art de raconter quelque chose de profond, de l’ordre de la faille, de manière à la fois douloureuse et poétique. Nous sommes des êtres complexes (sourire). La nature, le corps animal, l’écorché, tous ces thèmes qui sont récurrents dans mes collections sont des supports d’expression, des supports visuels. Mais avant cela, je fais tout une recherche sur le personnage, les émotions, les états d’âme que je souhaite exprimer. Et notamment dans la dernière collection. Le support graphique, c’était les fonds marins. Mais cette esthétique m’a servi à exprimer une forme de folie, une démence, l’amnésie, la perte de mémoire, de repères, le flottement, la sensation de se diffracter, le sentiment de s’enfoncer et de voir le monde à travers une bulle de glace ou d’eau. Lors du dernier Festival de Cannes, la robe tout en plissés et drapés de la maîtresse de cérémonie était signée Yiqing Yin. 43 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe HIGH-TECH Retourverslefutur A rebours du cycle ininterrompu d’innovations, le marché du hightech flirte avec le luxe. Cela donne des produits à la fois d’une grande sophistication technologique au look discret avec une touche «vintage» en plus. Par Mehdi Atmani C eci n’est pas un récit d’anticipation, mais le portrait fictif d’un gentleman high-tech. Celui d’un homme contemporain dont la figure est née d’une prise de pouvoir: celle des geeks raillés par tous sur les campus américains des années 70 devenus les maîtres du monde plus de quarante ans plus tard. Les insultes d’hier se muent donc en compliments. Les geeks d’hier sont devenus cool, et avec eux les perles technologiques qu’ils inventent sans cesse. Les nouvelles technologies ne sont plus l’apanage d’une caste d’informaticiens, mais du plus grand nombre. Le cyberespace n’existe plus. Il est l’espace dans lequel évolue notre gentleman hightech. Celui des objets connectés, extérieurs à lui-même ou arborés comme une seconde peau. Le marché des nouvelles technologies, dont le propre est d’enfanter en permanence de nouveaux objets dans un cycle d’innovations ininterrompu, l’a bien compris. Il investit dans des produits de niche, luxueux sans en avoir l’air, et terriblement intelligents. Car le chic à l’ère numérique réside dans l’art de ne plus être celui parmi le milliard d’utilisateurs Facebook, ou le fier propriétaire du dernier – mais si commun – smartphone dont l’effet de nouveauté est d’ores et déjà promis à ne durer que quelques mois jusqu’à la nouvelle trouvaille. A mesure que le luxe flirte avec le high-tech, il insuffle ce qui le définit: la rareté et l’exception. Celle du produit et de sa sophistication technologique, mais aussi le sentiment de singularité qu’il procure à son propriétaire. Si notre gentleman high-tech a le corps et l’esprit ancrés dans son temps, il jette avec envie des regards en arrière. Telle est la subtilité de notre époque: estomper avec grâce les frontières entre les générations, permettre de se réapproprier les valeurs de fiabilité du passé pour les combiner aux technologies du présent. Derrière ce qui ressemble aux courbes sensuelles d’un buffet scandinave des années 50 se cache une console hi-fi truffée de bijoux technologiques. L’art du remix et du mash-up, cet héritage d’Internet qui plaît tant à notre protagoniste. A rebours des nouveautés technologiques parfois alambiquées qui inondent sans cesse le marché, posons le regard sur quelques objets d’exception. XÉNIA LAFFELY 44 > Le vélo électrisant > Ceci n’est pas un radiateur > Métal hurlant A y regarder de très près, on le prendrait pour le roi Fixie. Du moins pas pour un vélo à assistance électrique. Mais le design chic des modèles récents, tel le Vanmoof 10 fabriqué par la société néerlandaise éponyme a tout pour séduire notre gentleman hightech. Rebuté à l’idée d’attaquer une journée de travail la chemise trempée sous le costume, ce cycliste urbain adepte des déplacements doux peut compter sur un concentré de technologies. Le vélo Vanmoof 10 est doté d’un écran de contrôle, d’une assistance moteur discrète et limitée qui s’estompe au-delà de 25 km/h. De plus, son GPS intégré permet le guidage et le traçage en cas de perte ou d’oubli. Le Blade Runner a des airs de culasse de moto ou de radiateur. Mais cet objet au look futuriste et trompeur n’est autre que le nouveau disque dur signé par Philippe Starck. Une forme de conservatisme à l’heure où toutes nos données numériques s’enregistrent dans le cloud. Le designer français offre ici un look robuste et novateur à ce bijou technologique qui dispose d’une capacité gigantesque de 4 TO, permettant de désengorger sérieusement l’ordinateur de notre gentleman high-tech. Portable, ce disque dur en aluminium pèse 2 kg et se transporte facilement. Et comme sur une culasse de moto, les ailettes assurent la circulation de l’air, pour empêcher la surchauffe. Le Blade Runner est édité seulement à 9999 exemplaires. Le préamplificateur 808 MKS de Burmester est un beau bijou à plus de 30 000 francs qui a d’abord eu les faveurs des conducteurs de Porsche Panamera et de Bugatti Veyron avant de séduire notre gentleman high-tech. Il doit sa paternité à l’Autrichien Dieter Burmester, collectionneur de guitares et créateur du must des systèmes audio, dans les voitures comme dans les salons. La preuve avec la cinquième génération du préamplificateur 808 lancé en 1980. Rutilant comme un miroir, il permet de configurer les entrées en fonction des différentes sources (CD, vinyle, tuner…) et d’ajuster au mieux le gain, soit le rapport entre l’entrée et la sortie. Il nettoie, épure et magnifie le son pour le transmettre à l’ampli qui le diffuse ensuite aux enceintes. > Le casque haute couture Toujours à la pointe du design audio, la firme danoise Bang & Olufsen lance le Beoplay H6, un casque qui propulse notre gentleman high-tech dans les hautes sphères. A sa structure chic, en aluminium anodisé, s’ajoute la douceur d’épais et d’élégants coussinets, dont le cuir est minutieusement traité en Nouvelle-Zélande. Inventeur de la première radio avec fonctionnement à bouton-poussoir en 1938, puis de la chaîne hi-fi moderne dans les années 50, Bang & Olufsen a toujours pris soin de l’ouïe des mélomanes. Au point de concurrencer, aujourd’hui, l’auriculothérapie pour détendre l’esprit. La stimulation par ce casque devrait en effet avoir raison de l’un des 120 points d’acupuncture que comptent les oreilles de notre héros des temps modernes. > Console «vintage» high-tech La tendance est au design scandinave des années 50, au bois verni, aux formes arrondies et aux piètements simples. La marque britannique Ruark Audio s’est inspirée des premiers meubles de télévision et des vieux postes de radio pour produire la console R7. En surface, elle mise sur la simplicité et des matériaux bruts avec le placage en noyer sombre. Celui-ci contraste avec le cœur technologique de la bête fait d’aluminium et de verre comprenant lecteur CD, tuner et amplificateur. La console peut aussi accueillir deux platines vinyle. Deux enceintes stéréo de 160 W cachées derrière une délicate toile marron suffisent à diffuser le fond sonore pour une soirée cocktail vintage. D’autant que les invités peuvent partager leurs playlists via Bluetooth et wi-fi. > L’ère des montres connectées Distance parcourue, rythme cardiaque, nombre de foulées… Les pros ne jurent plus que par le «data sport». Dans le sillage du phénomène Quantified Self, dont les adeptes quantifient leurs activités quotidiennes à l’aide de gadgets technologiques, plusieurs marques développent des produits dotés de composants miniaturisés pour rapprocher l’objet de son utilisateur. A l’instar de la montre Basis bardée de capteurs que l’utilisateur peut paramétrer à l’envi et selon son style de vie. La Basis est tout d’abord une montre connectée, mais pas uniquement. Elle recèle, sous le capot, un grand nombre de capteurs permettant de mesurer précisément l’activité du corps: accéléromètre, thermomètre dermal, capteur cardiaque optique et un capteur d’humidité. De nuit comme de jour, Basis enregistre absolument tout sans que notre gentleman high-tech ait besoin de l’activer. Le tout est synchronisé sur son ordinateur, téléphone portable ou tablette via Bluetooth. Qu’en pense notre gentleman high-tech? LONGCHAMP.COM 46 Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 CONTE D’HIVER «J’aiattenduunsiècle pourépouserunprince» Comment, après être passée entre plusieurs mains et une vente aux enchères, une robe de dentelle blanche qui aurait appartenu à Mata Hari au début du XXe siècle est devenue la tenue de mariée d’une princesse du XXIe siècle. De Londres à Cracovie, de Genève à Paris, confidences d’une robe. Par Isabelle Cerboneschi. Photographies: Sylvie Roche Préambule Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé, des événements ayant eu lieu, n’est pas une coïncidence. Chapitre un L’attente Je suis en apesanteur, suspendue à un cintre. Ma dentelle se détend, ma traîne prend ses aises. Je suis en attente, dans un dépôt de la banlieue de Londres. Nous sommes en l’an 2012. J’ai plus de 100 ans, mais je ne les fais pas. Ma dentelle est un peu jaunie par endroits, mais mes fleurs sont intactes. J’attends qu’une femme me comprenne, porte son regard sur moi. J’ai tant d’humiliations à racheter. Me refaire une virginité. C’est à cela que j’aspire. J’ai l’âme pure, quoi qu’on en pense. Je sais qu’en juin prochain, je changerai de main. Mon nom est sur la liste de la prochaine vente aux enchères orchestrée par Kerry Taylor, l’experte qui m’a rachetée lorsque ma précédente propriétaire a décidé de se séparer de moi. C’était une Allemande. Très belle. Elle m’avait découverte chez un marchand parisien au début des années 70. Il lui avait affirmé que j’avais appartenu à Mata Hari, je m’en souviens très bien. Mais ne comptez pas sur moi pour confirmer. J’ai promis de garder le secret de mes origines. Je n’avouerai jamais. Je ne sais qui va m’emporter, mais je rêve que l’on me désire. Comme à mes débuts. Lorsque ma première maîtresse m’avait choisie. Moi. Et pas une autre. C’était il y a plus d’un siècle. Mes voisines de cintre feignent de m’ignorer. Celles de «la haute», je parle de celles qui sortent des ateliers de haute couture et portent la griffe de grands couturiers, me méprisent. Ma présence leur est insulte. Pensez! J’ai senti la morsure du regard des hommes me traverser. Désirer follement tout ce que je dissimulais. Et peut-être pire encore: Je n’ai pas d’étiquette! Chapitre deux J’ai rencontré un elfe Je n’oublierai jamais ce jour. L’après-midi est déjà bien avancé lorsque la porte du dépôt s’ouvre sur une jeune femme aux cheveux rouges accompagnée d’un homme à la barbe de dandy. Je devine qu’il est son fiancé à sa manière de la caresser du regard. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit d’un prince polonais. Par la suite, je lui donnerai du «SAS», pour Son Altesse Sérénissime. Mais pour l’instant, je ne sais rien d’eux et je ne vois qu’elle. Elle et ses yeux de faon, immenses, qui dévorent son visage. Je l’entends expliquer à Kerry Taylor qu’elle cherche sa robe de mariée. La salle est glaciale. Le chauffage ne marche pas. Elle essaie malgré tout une demi-dou- Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 La princesse et moi. zaine de mes aristocrates voisines. Mais aucune ne lui va. Cela ne m’étonne pas. J’ai envie de hurler: «Regarde-moi!» A croire qu’elle m’entend. Sa main s’approche de ma dentelle. Elle tremble un peu. Si j’avais un cœur, à ce moment, il battrait la chamade. Elle m’essaie à même ses sous-vêtements. Le haut est trop grand. C’est normal, ai-je envie de lui dire, j’ai été conçue pour une femme qui portait un corset. La silhouette des femmes de la Belle Epoque n’avait rien à voir avec celle de ce joli petit elfe. Kerry Taylor fait son possible pour inviter son fiancé à regarder ailleurs. Cela ne se fait pas de voir la robe avant le mariage. Mais impossible de séparer ces deux-là, et surtout pas pour une histoire de superstition. Mademoiselle voudrait m’emporter, là, tout de suite. Inutile de m’emballer, je connais la réponse de Kerry Taylor. C’est «non». A cause de mon pedigree justement. Si le nom de Mata Hari fait grincer mes voisines de cintre, il pourrait en revanche me valoir une adjudication plus haute. Curieux paradoxe… Chapitre trois Mon destin contre un coup de marteau Londres, le 26 juin 2012. C’est mon tour. Je suis posée sur un mannequin, face à la salle, face à elle, mon elfe. Elle est au premier rang, à droite. Elle porte une petite robe Courrège rose pâle. Elle est pâle, elle aussi. Les enchères commencent. Elles montent rapidement. Il ne reste bientôt plus qu’elle et une personne au téléphone que je ne connais pas à se battre pour m’avoir. En d’autres circonstances je trouverais ça flatteur, si je n’avais déjà fait mon choix. Les objets ont une âme, quoi que certains en pensent. Vous croyez que vous nous choisissez? Cela ne m’étonne pas. L’humain est présomptueux. Nous sommes nombreux, dans le monde des objets, à choisir notre propriétaire. Et moi, je l’ai choisie, elle. Je la vois transpirer, perdre le peu de couleur qui lui reste. Et je comprends. Nous nous approchons dangereusement du seuil au-delà duquel elle ne pourra plus enchérir. Mais, pour l’instant, elle a la main. L’inconnu du téléphone sort de la course. Un silence s’instaure. Il ne dure que quelques secondes qui me paraissent des heures. J’attends le coup de marteau. Lorsqu’une voix, du fond de la salle, s’élève et enchérit. La petite main de Mademoiselle s’élève alors encore une fois. Je crains que ce ne soit la dernière. Boum! Le marteau frappe. Je suis sonnée. Nous appartenons l’une à l’autre. Contre toute attente, Kerry Taylor prend la parole et s’adresse à la salle: «Je suis très heureuse, car cette jeune femme vient d’acheter sa robe de mariée.» Et là, comme aux jours de ma gloire ancienne, je vois la salle entière qui applaudit. Chapitre quatre Onze mois d’errance J’avais oublié que les instants de grâce ne durent jamais longtemps. Depuis que Mademoiselle m’a achetée, je vis en réclusion, repliée sur moi-même dans un papier de soie au fond d’un cagibi, à Genève. Quelle faute dois-je donc expier? A-t-elle changé d’avis le jour où Madame, c’est ainsi que j’appelle sa mère, lui a rendu visite et que j’ai surpris ses propos: «Tu es bien courageuse, ma fille, de vouloir te marier dans la robe d’une femme qui fut une espionne, une courtisane et qui a fini fusillée.» Est-ce à cause de cette phrase qu’un jour Mademoiselle me confie sa sœur? Celle-ci m’emmène chez un couple charmant qui va chanter pour moi. Enfin c’est ce que je croyais car le sens de ce chant qui semble remonter aux origines du monde est une sorte de nettoyage énergétique censé me laver de tout soupçon. Quelque temps plus tard, Mademoiselle me glisse dans sa valise. Direction Paris. Madame nous accompagne. Nous partons toutes les trois en quête du tissu qui me servira de sous-robe. Cela fait longtemps que celle de mes origines est tombée en lambeaux. Et me porter à même la peau le jour de son mariage serait inconvenant. Nous avons visité tous les marchands de la ville, mais nulle part nous n’avons trouvé le tissu couleur chair parfait: trop rose, trop jaune, trop beige, trop rigide… En fin d’après-midi, dans une boutique située derrière le Crillon, on le découvre enfin. Un crêpe de soie magnifique, très souple, un tombé parfait, destiné à la maison Valentino. «C’est dommage d’en faire une sous-robe», se permet la vendeuse. J’ai très envie de lui répondre que Mademoiselle et moi-même méritons le meilleur. «le Marchand de sel», un ancêtre de SAS. Je le surnomme ainsi, car à l’époque il administrait les mines de sel royales de Wieliczka. Parce que les moines-ermites respectent les règles strictes héritées de l’ordre de Saint-Benoît, les personnes extérieures, et notamment les femmes, ne peuvent entrer dans la chapelle de Bielany que 12 fois par an, pour assister à des messes liturgiques. La famille de SAS, fait bien sûr exception. Le sol de la chapelle est trempé. Moi aussi. Monsieur son père agrippe Mademoiselle par le bras et l’emmène vers l’autel. Son prince la regarde, je le vois qui rougit, lui prend la main. Il ne la lâchera guère. J’entends lire la Première Lettre de saint Paul aux Corinthiens pour la première fois et cela me bouleverse. «J’aurais beau parler toutes les langues de la Terre, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères, et toute la connaissance de Dieu, et toute la foi, jusqu’à déplacer des montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien…» Il y a quelque chose de troublant, pour une robe comme moi, à balayer de ma traîne ces pierres vénérables arpentées l’année durant par des moines priant dans le silence. Cela ressemblerait à une forme de rédemption si je croyais au péché. Mais je ne suis qu’un vêtement. Je crois à la coexistence, pas toujours pacifique, de l’ombre et de la lumière, pour avoir vécu l’une comme l’autre. Je crois aux destins qui se façonnent, aux hasards qui n’en sont pas, aux âmes qui se cherchent et se trouvent. Je crois à la puissance créatrice de l’amour. Je suis une robe de dentelle blanche. J’ai plus de 100 ans, mais je ne les fais pas. J’ai vécu plusieurs vies. J’ai attendu un siècle pour épouser un prince… «Pour communiquer et recevoir Je me délivre nue Sans attente, ni devoir Ne plus vouloir, avoir, croire Esclave de l’univers, de ses déconvenues S’agenouiller naïve devant la vie Et faible, donner de tout son être, dire merci.»* (Carmen Campo Real) * Poème extrait du recueil «Cartilage», Carmen Campo Real, Ed. Slatkine, Genève, 2010. Unecourtisaneendentelle Saura-t-on jamais si la robe vendue à Londres par Kerry Taylor le 26 juin 2012 a véritablement appartenu à Mata Hari? Il existe bien une photo de la sulfureuse Néerlandaise datant de 1906, où on la voit poser dans une robe de dentelle blanche, similaire à celle de la vente, mais les motifs sont différents. Quand on pose la question à l’experte londonienne Kerry Taylor, qui a orchestré la vente, celle-ci parle plutôt d’une suspicion. «La robe provient de la collection de Heidemarie Garrigue Guyonnaud, explique-t-elle, une très belle femme allemande qui a collectionné des vêtements vintage pour les porter dans les années 60 et 70. Elle l’avait acquise auprès d’un marchand parisien au début des années 70, qui lui a affirmé que cette robe avait appartenu à Mata Hari, bien qu’il n’y ait aucune preuve de cela.» Ces robes de dentelle blanche étaient très en vogue au début du XIXe siècle. Celle-ci, de forme princesse, fait 86 cm de tour de poitrine et 66 cm de tour de taille. Etaient-ce les mensurations de Mata Hari, la fameuse courtisane jugée coupable d’«espionnage et d’intelligences avec l’ennemi» et fusillée le 15 octobre 1917? Qui peut le savoir? Après son exécution, nul n’a réclamé son corps… I. Ce un officier de la marine néerlandaise de dix-neuf ans son aîné en juillet 1895. Elle le suivra aux Indes néerlandaises, à l’ouest de Java, où il est nommé. C’est là qu’elle s’initie aux danses balinaises. De ce mariage peu heureux, son époux est violent et porté sur la boisson, naissent deux enfants dont un fils qui mourra en bas âge. En 1902, le couple retourne aux Pays-Bas et divorce. Pour survivre, la jeune femme, âgée de 26 ans, se rend à Paris où elle vit des largesses des hommes et embrasse la carrière de danseuse de charme. Le célèbre collectionneur Emile Guimet l’invite à présenter sa danse le 13 mai 1905: celle d’une princesse indienne qui termine entièrement dévêtue. Mata Hari est née. Le spectacle remporte un tel succès que l’impresario Gabriel Astruc décide de s’occuper de sa carrière et, pendant dix ans, Mata Hari se produira dans toutes les capitales, collectionnant les bijoux, les fourrures, les chiens, les diamants et les amants. Le reste, ses actes d’espionnage supposés ou réels, appartient à l’histoire. I. Ce Chapitre cinq J’ai épousé un prince Cracovie, le 1er juin 2013. Ce matin-là, le ciel a décidé de déverser sur nous ses bénédictions les plus empressées. Les plus humides surtout. Il pleut des rivières, mais Mademoiselle s’en moque. Elle jette un regard distrait à la fenêtre et remercie la vie. Dans la voiture qui la mène au monastère de Bielany, elle répète ses vœux en polonais. Je les connais par cœur. Nous approchons. Bielany fut construit entre 1609 et 1630 sur Srebrna Gora, la montagne d’argent, dans les environs de Cracovie, sur une terre offerte à l’ordre camaldule par celui que j’appelle Mata Hari, le mystère… Margaretha Geertruida Zelle (1876-1917) eut un destin pour le moins romanesque, et surtout contrarié. Son père, Adam Zelle, était un riche marchand avant qu’il ne fasse faillite en 1889. En 1890, ses parents se séparent, huit mois plus tard sa mère, Antje van der Meulen, décède: débuts de vie difficiles pour une jeune fille de 15 ans. En 1992, elle entre à l’Ecole normale de Leiden pour devenir institutrice, mais sa liaison avec le directeur de l’école fait scandale. C’est suite à une petite annonce matrimoniale qu’elle épouse Rodolphe MacLeod, 47 ©2013 Harry Winston, Inc. harrywinston.com DIAMOND DRAPERIE CROSSOVER NECKLACE by HARRY WINSTON GENÈVE 42, RUE DU RHÔNE +41 22 818 20 20 50 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe ROMANS OLFACTIFS Leparfumaufildespages PHILIPPE PACHE Quelques parfumeurs amoureux de livres se sont lancé le pari exquis de mettre romans, écrivains et personnages en flacons. Ces alchimistes ouvrent les portes de leurs bibliothèques olfactives d’un autre temps. Par Valérie D’Hérin «L a première réaction fut un bonheur extravagant, écrivait Borges dans les premières pages de la Bibliothèque de Babel. Tous les hommes se sentirent maîtres d’un trésor intact et secret.» Ce trésor, le parfumeur argentin Julian Bedel a cherché à le concentrer avec beaucoup d’élégance dans un jus boisé et frais nommé Biblioteca de Babel, pour Fueguia 1833. Celui qui s’en imprégnera sentira le cèdre, la cannelle, l’encens s’enchevêtrer entre les fibres de sa chemise. En lui, naîtra le sentiment exquis de se retrouver dans une bibliothèque aussi intime qu’universelle qu’il cachera entre les pans de sa chemise comme un trésor jalousement gardé. L’odeur du bois, de la poussière, des parfums hors du temps le plongera dans une sérénité à la frontière du mystique. Un autre parfumeur passionné, Christopher Brosius, propose un parfum au nom des plus explicites – In The Library – dont la note principale réinterprète l’odeur d’un de ses romans préférés retrouvé au hasard d’une visite à Londres dans une bouquinerie de quartier. Cette odeur si particulière qu’il appelle simplement «note de roman anglais» est suivie de notes cuirées et boisées et d’un soupçon de cire. Il a en commun avec Biblioteca de Babel, L’Air de Rien ou encore Opus II d’Amouage, de transporter dans son sillage l’évocation d’un lieu chargé d’érudition et de souvenirs. Un lieu où reposent des livres dans l’attente de leurs lecteurs. L’odeur de l’encre Le magazine Wallpaper*, l’éditeur allemand Gerhard Steidl et le parfumeur Geza Schoen sont à l’origine d’un projet surprenant appelé Paper Passion. Délaissant le bois des bibliothèques, ils ont mis en bouteille l’odeur du livre qui sort de l’imprimerie, de ces pages qui n’ont pas encore été tournées et retournées, de l’encre fraîche pour retrouver à même l’épiderme toute la sensualité du livre à une époque où les nouvelles technologies nous en détournent. Dans un petit livre blanc, entre des pages rouges prédécoupées, se cache un parfum composé à partir d’acides linoléiques et de résine de copaïba. Les odeurs du papier et de l’encre submergent et surprennent au débouché. Au bout d’une heure, il en reste une fragrance aussi intimiste qu’une lettre repliée au creux du poignet. Mais comment recrée-t-on l’odeur de l’encre qui va inscrire ses mots silencieux sous notre peau? Pour M/MINK, Ben Gorham, des parfums Byredo, a travaillé l’odeur d’un bloc d’encre originaire d’Asie avec le parfumeur Jérôme Epinette sur une base d’adoxal, d’encens et d’ambre tandis que pour El Mono de la Tinta, Julian Bedel explique qu’il a choisi de mettre l’accent sur les résines qui composaient les encres anciennes, en plus des cendres qui leur donnaient leur teinte noire et des résines qui servaient de liant. El Mono de la Tinta, nommé ainsi d’après le petit singe de l’encre décrit dans le bestiaire de Borges, possède l’odeur de la résine de bois de santal et du copaïba. Cet arbre d’Amazonie à l’odeur froide et résineuse rappelle l’odeur ennivrante qui fascinait tant ce petit singe noir, friand d’encre de Chine, qui attendait patiemment que l’écrivain termine son travail pour boire ce qui restait au fond de son encrier. Ces parfums sont des romans d’aventure dont les rebondissements se dévorent à fleur de peau comme Terre d’Hermès que JeanClaude Ellena a écrit comme «une histoire, avec des personnages, une mise en scène d’émotions olfactives», un parfum qu’il considère volontiers comme «lisible». «Hermès se considère comme un éditeur de parfums, au même titre que Frédéric Malle, explique JeanClaude Ellena. Nous les présentons dans une bibliothèque où les fragrances sont des romans (Terre d’Hermès, Jour d’Hermès…), des nouvelles (la série des jardins et des Colognes), des poèmes (les Hermessences), que je nomme parfois «Haïku.» S’il y avait un rayon «poésie» dans les parfumeries, Sweet Redemption et Liaisons Dangereuses, de Kilian Hennessy y seraient présents. Très influencé par les poètes maudits, ce dernier leur rend hommage dans l’ensemble de son Œuvre Noire – et tout particulièrement à Baudelaire. «On ne met pas Baudelaire en flacon, précise Kilian Hennessy. On ne cherche même pas. On essaie juste de traduire, dans une écriture contemporaine, l’esprit de Baudelaire, son univers sombre, sensuel, presque érotique, en se jouant des interdits de notre société avec le clin d’œil de la désinvolture.» Combien d’autres parfums puisent leurs notes dans la littérature sans que le nez le devine? Sophie > Suite en page 52 Unique. La preuve par deux. N O U V E AU Double Serum® Traitement Complet Anti-Âge Intensif Deux sérums en un qui concentrent 20 extraits de plantes parmi les plus performants dans un soin complet et intensif. Double Serum® agit sur tous les signes de l’âge : immédiatement le teint est éclatant, après 4 semaines, la peau est plus ferme, les rides réduites et les pores moins visibles*. 90%des femmes le trouvent plus efficace que leur sérum habituel**, découvrez pourquoi. Clarins, N°1 Européen des soins de beauté haut de gamme***. * Test de satisfaction – 197 femmes. 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Une fleur d’oranger imaginaire, un moucheron cru, en une heure s’unissent en moi, dirait-on, pour la perdition des âmes et des corps.» C’est sublime! C’est exactement l’odeur du gardénia qui possède à la fois un petit côté de la fleur d’oranger et du moucheron, ce champignon qui a une note un peu verte, crue, deux ingrédients qu’on utilise généralement pour recréer l’odeur du gardénia en parfumerie. «Alors, ma rivale ineffable n’a qu’à paraître, et tout gardénia que je suis, je faiblis, je me prosterne devant la tubéreuse.» Colette avait vraiment vu que la fleur d’oranger, le gardénia et la tubéreuse étaient des fleurs blanches appartenant au même univers bien qu’on se doute que c’est la tubéreuse qui va gagner le duel parfumé. La tubéreuse est beaucoup plus voluptueuse, plus puissante. Ce monologue évoquait pour moi la féminité du blanc crémeux, très pur, ce blanc un peu laiteux de la jeune fille jusqu’à l’odeur de la tubéreuse, de la femme affirmée, plus mûre. Ce monologue du gardénia corres- pondait au brief d’Organza. En passant du gardénia et en allant jusqu’à la frontière de la tubéreuse, j’ai fini par avoir toutes les femmes.» Personnages en flacon Julian Bedel, parfumeur de la maison Fueguia 1833, rappelle que le parfumeur, pour bien raconter une histoire, doit être un bon metteur en scène. «Ce qui me fascine dans un parfum, c’est l’évaporation de chaque ingrédient. Un absolu ou une huile essentielle de jasmin, par exemple, va se construire autour de 400 molécules. Si on utilise 100 ingrédients naturels dans une formule, on va donc finir avec 40 000 molécules et chacune d’elles va atteindre un point d’ignition et s’évaporer. Composer un parfum, pour moi, est comme écrire une pièce avec des personnages qui entrent et qui sortent. Il y a un récit auquel les ingrédients participent pendant les huit heures que dure le parfum sur la peau.» D’autres flacons ne contiennent en leurs cœurs qu’un seul et unique personnage littéraire qui attend de reprendre vie sur une peau, frémissant d’une impatience contrôlée par son créateur avant de sortir de son flacon. Qu’il s’agisse de l’émouvante Dame aux Camélias, de l’incroyable Orlando, une des plus belles révélations olfactives de cet automne, du bel Ernest Hemingway (1899) ou du sage Jules Vernes (1828), on ne saurait trop dire s’ils sont hommes ou femmes. De chaque gouttelette pulvérisée, une ombre s’étire, comme une multitude de petits «lui» ou de minuscules «elle». Si certaines se perdent dans l’air comme des âmes égarées, d’autres se posent sur l’épiderme, qu’elles confondent peut-être avec une page. Ces dernières années, les parfums littéraires se sont tellement multipliés que l’on peut se demander si le parfumeur ne pourrait être comparé à un écrivain. «Bien sûr, répond Pierre Guillaume. On parle bien de style d’écriture pour évoquer la façon de formuler, c’est-à-dire d’élabo- rer la formule d’une composition olfactive. En tant que parfumeur créateur, on est aussi confronté à la page blanche. L’enjeu est parfois semblable: raconter une histoire, engendrer une émotion où les mots sont remplacés par des notes olfactives…» «Je dirais que oui, je suis un écrivain de parfums, conclut Sophie Labbé. Les ingrédients sont mes mots. Les accords sont des phrases. Chaque parfum est un roman avec un début mais pas de fin. Un peu comme un roman, d’ailleurs, car il continue à s’écrire au fond de nous.» Dans la peau de Grey Comment la parfumeuse Sophie Labbé a créé l’odeur du personnage de «Fifty Shades of Grey». «L’année dernière, j’ai lu Fifty Shades of Grey, explique la parfumeuse Sophie Labbé. Dans de nombreuses pages, on décrivait l’odeur de cet homme et le pouvoir qu’il a sur la jeune héroïne. Chaque fois, je me disais que j’aimerais bien le sentir. J’ai choisi de travailler son odeur. Dans les pages du livre, j’ai appris que Christian Grey ne se parfumait pas. Il prend de nombreuses douches avec un gel douche d’une marque très élitiste. J’ai imaginé que cela pouvait être une note à la fois très propre, aldéhydée, et très boisée donc cédrée. On nous raconte aussi qu’il porte beaucoup de chemises en lin et je voulais avoir cet effet de textile, la fluidité, la propreté du lin. Ensuite, il y a sa peau, très sexy. Là, j’ai travaillé un musc, avec des notes ambrées, qui ont un côté animal, très prenant. Et une pointe de cumin pour un petit côté sale, un peu coquin. Il est écrit qu’il prend des bains au jasmin. J’ai donc rajouté une goutte de jasmin pour cette sensualité, cette part féminine qu’il a en lui aussi. Et puis, une note épicée – encens pour mon gel douche exclusif. Le musc est là pour apporter un côté peau propre, peau de bébé, car il a tout de même une profonde blessure liée à l’enfance.» PHOTOS: DR «Alors, ma rivale ineffable n’a qu’à paraître, et tout gardénia que je suis, je faiblis, je me prosterne devant la tubéreuse.» De haut en bas et de gauche à droite: Baudelaire, Byredo. Orlando, Jardins d’Ecrivains. Biblioteca de Babel, Fueguia. In the Library, CB I Hate Perfume. Liaisons dangereuses, by Kilian. 1828 Jules Verne, Histoires de Parfums. Passion Papier, Wallpaper Steidl. «Onracontedeshistoiresautraversdesparfums» DR Parce qu’elle rêvait de recréer une ambiance olfactive autour d’auteurs ou de personnages littéraires, la parfumeuse Anaïs Biguine, a conçu la marque Jardins d’Ecrivains. Elle nous raconte sa perception de George Sand, Gigi, ou Orlando. Le Temps: Comparez-vous parfois votre métier de parfumeur à celui d’écrivain? Anaïs Biguine: Les notes peuvent avoir le pouvoir des mots et raconter une histoire mais je n’aime pas non plus surestimer la réalisation d’un parfum, car la littérature reste incroyablement noble. On peut considérer le parfum comme un art mais il n’est pas classé comme tel. Toutefois, j’ai très envie de croire que l’on peut s’amuser à se dire que l’on raconte des histoires. C’est évidemment la vocation que j’ai puisque l’idée de Jardins d’Ecrivains est de recréer une ambiance olfactive en fonction d’un sujet littéraire. Votre premier parfum s’appelle George, en référence à George Sand. Comment choisissez-vous vos personnages? Commencer par George était comme une évidence, car j’étudie George Sand depuis maintenant vingt-cinq ans. Je me sens très proche d’elle. J’aime aller à Nohant, m’imprégner de l’atmosphère de sa maison… George est très engagé comme type de parfum. Il correspond à des gens qui sont dans un éveil permanent, qui donnent beaucoup, et exigent beaucoup d’eux-mêmes. C’est une armure. On peut aller à la guerre avec. Après George, j’ai eu besoin de légèreté. J’ai souvent besoin d’aborder un nouveau sujet en conséquence de celui que je viens de terminer. D’où Gigi… Oui, je suis passée à Gigi de Colette. J’ai adoré ce personnage dans l’insouciance, qui est complètement l’opposé de George Sand. Gigi représente un moment très particulier, furtif dans la vie, où on quitte l’enfance et on devient une femme. Et puis, sa naïveté, son inconvenance la rendent attachante. Colette aimait les fleurs blanches mais si je n’avais fait que des fleurs blanches, cela aurait fait vieille dame. Lorsque j’ai associé la tubéreuse et le cassis, on a eu tout de suite quelque chose d’extrêmement pétillant, qui exprimait la jeunesse. Comment est né Orlando? L’idée d’Orlando a pris le temps de germer. Je n’étais pas très disposée à faire quelque chose autour de Virginia Woolf sauf qu’elle a écrit un conte fantastique, qui ne ressemble à rien d’autre dans son œuvre. Un conte sur un homme qui s’appelle Lord Orlando, qui a 30 ans et qui va devenir le favori d’Elizabeth 1re à la condition qu’il ne vieillisse jamais, car elle trouve détestable les ravages du temps. Qu’à cela ne tienne, Orlando ne va pas vieillir. Il va traverser trois siècles, partir à Constantinople, devenir une femme, Lady Orlando, rentrer en Angleterre et y perdre tous ses droits. Je me suis dit que c’était un sujet sublime. Ce personnage hybride, c’était l’histoire d’un parfum mixte. Avec Constantinople, on avait une part orientale puis une traversée dans le temps sur plus de trois cents ans. C’est le fantasme de tout le monde de traverser les époques. Les pistes olfactives étaient très diverses. C’était un homme, c’était une femme. C’était l’Angleterre, c’était l’Orient. Je me suis dit qu’on allait faire quelque chose de doux mêlé d’épices, un oriental miellé. Il a de l’orange en tête, ce qui n’est pas classique, du gingembre, de la baie rose, de l’ambre, du musc. On est vraiment dans une senteur ancestrale. On pourrait imaginer que ce parfum existe depuis la nuit des temps. Vous avez réussi le pari d’un conte olfactif qui traverse le temps… Il n’a rien de moderne mais quand je vois ma fille le porter, on a l’impression que cette odeur émane d’elle. C’est vraiment un parfum de peau. Il se mélange parfaitement à l’épiderme. A la sortie, ce n’est presque pas un parfum, c’est l’amplificateur de ce que peut être une personne. Propos recueillis par V. D’H. hermès. le temps réinventé. arceau le temps suspendu oublier le temps, l’espace d’un instant, pour mieux se le réapproprier. d’une pression sur le poussoir, les heures et les minutes s’esquivent. quant à la trotteuse, imperturbable, elle poursuit sa course effrénée contre le temps. tandis que l’illusion s’opère, le mouvement continue de battre, grâce à une complication exclusive à hermès. une nouvelle pression et le temps reprend son cours. Pour information: +41 32 366 71 00, [email protected] Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe Bassiste de cœur, graffeur à l’adolescence puis sculpteur, rien ne prédestinait l’Américain à devenir le roi de la pâtisserie outre-Atlantique. C’était compter sans le regain d’intérêt de la société actuelle pour le fait main et l’artisanat. Par Catherine Cochard LOS ANGELES Créé par Duff Goldman et son équipe, cet éléphant est presque entièrement comestible. Une structure en sagex agit comme une ossature sur laquelle le pâtissier ajoute des couches de douceurs successives. SWEET! DuffGoldman, sculpteursurglaçage L os Angeles, l’usine à rêves. La mégapole est passée experte en création de stars éphémères, consommables rapides à destination d’un public aussi envieux que boulimique de ces histoires de gloire facile. Parmi ces people jetables, une nouvelle espèce voit le jour, plus méritante: les artisans stars. Duff Goldman fait partie des précurseurs en la matière. Loin de n’être qu’une «célébrité kleenex», le super-pâtissier a largement dynamité au compteur le quart d’heure warholien. Encore trentenaire, il règne depuis près de dix ans sur le marché de niche du gâteau sculpté. Une longévité qui atteste du sérieux de sa démarche et des bases solides qu’il est parvenu à construire d’est en ouest sur le marché expansif des Etats-Unis. Looké comme le membre d’un groupe de rock à tendance bruyante – long short baggy ultralarge, t-shirt de l’équipe des Lakers XXL, crâne glabre, tatouages et barbiche savamment taillée – Duff Goldman est né en 1974 à Détroit. Dès son plus jeune âge, il nourrit une passion pour la musi- que et plus précisément pour la basse dont il est un virtuose. Sa rencontre avec la gastronomie est dans un premier temps plus un moyen de continuer à faire de la musique qu’une vocation. «J’avais 14 ans lorsque j’ai commencé à travailler dans la boulangerie d’un centre commercial qui ne faisait que des bagels. C’était le job parfait pour financer ma vie de musicien puisqu’il ne fallait pas avoir de formation spécifique pour travailler.» L’expérience des cuisines, aussi modestes soient les produits qui en sortent, lui plaît énormément. Il tente ensuite sa chance auprès du meilleur restaurant de la ville de Baltimore, où il s’est établi. «Sans aucune hésitation, j’ai postulé comme cuisinier. Je n’avais bien sûr pas les qualifications nécessaires, mais je pense que mon audace a plu à la responsable, qui m’a reçu en entretien. Elle m’a expliqué que je n’avais pas le prérequis pour le poste, mais qu’elle avait tout de même quelque chose à me proposer, si cela m’intéressait. C’est ainsi que je suis devenu le préposé au pain et aux biscuits de l’adresse. C’est cette expérience qui m’a donné l’envie de persévérer en cuisine.» Après des études à l’Université du Maryland, Duff Goldman fait un passage dans une école d’art – il vient d’une famille d’artistes, luimême peint et sculpte depuis tout petit. «Mon truc à moi, c’était de réaliser d’énormes sculptures en soudant d’énormes morceaux de métal. J’aimais ce côté physique du travail avec la matière.» Il se dirige néanmoins ensuite vers le Culinary Institute of America, à Greystone dans la Napa Valley, en Californie. Une seconde révélation. «J’ai adoré ces études, mais surtout je me suis rendu compte que j’avais des aptitudes. Mon truc à moi, c’était la pâtisserie.» Pourquoi? «Parce que c’est beaucoup plus exigeant que de faire des sauces ou de cuire de la viande. Si une sauce manque de goût, vous pouvez toujours rajouter des ingrédients. Mais si vous vous trompez dans la recette de base d’un gâteau, une fois qu’il est cuit, il n’y a plus grand-chose à faire… Et je me suis rendu compte que les possibilités créatives étaient sans fin en pâtisserie. Je retrouvais le façonnage de la matière qui me plaisait PHOTOS: DUFF GOLDMAN – CHARM CITY 54 La star américaine des gâteaux extravagants, Duff Goldman. tant dans la sculpture.» Car les gâteaux qui l’ont fait connaître à travers tout le pays et sur lesquels il a bâti son empire sont des sculptures. A côté de l’offre classique du «layered cake», le client de Charm City Cakes, le nom des enseignes de Duff Goldman situées à Baltimore et à Los Angeles (Charm City Cakes West), peut aussi commander des pâtisseries reproduisant des voitures grandeur nature, des > Suite en page 56 Instrumentino Pink gold set with sapphires G E N E VA B O U T I Q U E , R U E D U R H Ô N E 2 7 - T E L . + 4 1 ( 0 ) 2 2 3 1 7 1 0 8 2 ABU DHABI • COURCHEVEL NEW YORK • PA R I S • DUBAI • PORTO CERVO • G E N E VA • • G S TA A D ROME • • K U WA I T • LONDON S BARTHELEMY T www• degrisogono• com • • MIAMI S MORITZ T • • MOSCOW TOKYO 56 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe «Les gens sont accros à leur portable. Ils ne savent plus rien faire sans la technologie! Soudain, ils créent un gâteau, le rapportent à la maison, le montrent à leur famille, ils en sont fiers! C’est pour ça que ces ateliers marchent si bien: les gens ont oublié qu’ils pouvaient créer des choses avec leurs mains!» Le gâteau qui fut servi lors de l’anniversaire de fans du film d’animation Wall-e. PHOTOS: DUFF GOLDMAN – > Suite de la page 54 maisons, des châteaux de contes de fées, des héros de bandes dessinées, des personnages de dessins animés ou de films en tout genre. La toute première fois qu’il s’essaie à la sculpture sur gâteaux, c’est lors d’un concours. «Tous les participants avaient réalisé des cakes de mariage, ultra-classiques. Moi, j’ai fait un gâteau en forme d’arbre avec des fruits aux branches… Je n’ai pas remporté le premier prix, car je n’avais respecté aucune des règles imposées, mais je me suis sacrément fait remarquer! Même le vainqueur savait qui avait réellement gagné!» Après plusieurs années d’expérience accumulée dans différentes cuisines réputées, Duff Goldman ouvre sa première adresse. «D’abord à Baltimore où j’habitais (et où il réside encore lorsqu’il n’est pas sur la côte Ouest pour ses affaires, ndlr). Au début, je créais les gâteaux dans la minuscule cuisine de mon appartement et j’expérimentais des recettes. Puis la demande a grossi, j’ai pu m’offrir un vrai atelier de cuisine et les commandes spéciales se sont enchaînées.» Avec une tendance marquée de cette demande en provenance de la côte Ouest. «Comme on me demandait toujours plus souvent de créer des gâteaux pour les premières des films à Hollywood, je me suis dit qu’il était temps d’ouvrir une seconde adresse à Los Angeles.» Le gâteau servi au président Obama à l’occasion du Commander in Chief’s Ball en janvier 2013. Parmi les nombreux cakes dévorés lors de ces événements, une réplique du train de Harry Potter, les deux robots de Wall-e ou des Schtroumpfs pour le long métrage retraçant les aventures des humanoïdes bleus. En mars 2008, une des créations de l’Américain est même entrée dans le livre des records. Il s’agissait du plus gros cupcake jamais réalisé. Entièrement comestible, la pâtisserie mesurait plus de 30,5 cm de haut pour un poids de 27,9 kg, soit 150 fois la taille ordinaire. Cette création nécessita 7,2 kg de beurre, 4,5 kg de sucre et 85 g de colorant alimentaire… UNE CHEVROLET GRANDEUR NATURE AVEC UN VRAI MOTEUR À L’INTÉRIEUR Dernièrement, en janvier 2013, Duff Goldman s’est illustré en réalisant un gâteau pour le président américain, Barack Obama, qui fut servi aux convives du chef de l’Etat – et à lui-même – lors du Commander in Chief’s Ball. Un cake «très spécial» pour le pâtissier. «Bien qu’on fasse chaque année des choses extraordinaires», se vante-t-il à peine. «On a, par exemple, reproduit une Chevrolet grandeur nature dans laquelle on a introduit un vrai moteur pour une marque d’automobile.» Comme pour bon nombre de ses cakes, Duff Goldman commence d’abord par construire une structure en sagex recouverte d’aluminium qui servira de socle sur lequel la matière comestible sera déposée. Tout ce qui se mange étant fait pour être mangé, pas de gaspillage promet l’artiste. «Il ne reste pas une miette de mes créations!» Coût de ce type de super-cakes? «Beaucoup d’argent.» Oui, mais combien? «Une somme vraiment coquette.» Duff Goldman ne répondra pas à cette question. En boutique, la tranche de gâteau ordinaire oscille déjà entre 5 et 10 francs. Si son entreprise est flamboyante, Duff Goldman en tant que personne n’est pas devenu une star uniquement grâce à son expertise en matière pâtissière. Dans le pays qui a quasiment inventé le genre de la téléréalité et où plus aucune activité humaine ne semble pouvoir échapper à sa mise en scène plus vraie que nature, le cake designer a eu droit à son propre programme, Ace of Cakes (l’as des cakes en français), sur la chaîne Food Network, de 2006 à 2011. «On n’en avait rien à faire des caméras, on faisait comme d’habitude. Le public a été très étonné, voire un peu choqué, de constater qu’on se servait de scies électri- CHARM CITY ques et d’autres outils utilisés généralement en menuiserie pour façonner nos créations! Cela a grandement contribué à la popularité du programme.» Depuis, d’autres formats avec d’autres designers de cakes ont vu le jour. «Mais je n’ai aucun souci à me faire copier, explique, avec un sourire en coin, Duff Goldman. Il suffit de goûter à nos cakes pour se rendre compte qu’il n’y a pas de compétition! Nous ne nous contentons pas de créer des sculptures avec des aliments, nous faisons aussi très attention au goût de nos créations!» Le fond et la forme. «Nous mettons régulièrement au point de nouvelles saveurs. Chaque semaine, nous tentons de nouvelles choses en laboratoire. Certaines finissent sur nos cartes, d’autres aux oubliettes.» Un autre aspect participe à démarquer Duff Goldman et sa société: il s’agit du bagage de ses employés. Tous proviennent de prestigieuses écoles d’art. «Il est plus facile d’apprendre à un artiste à cuire un gâteau que d’apprendre à un pâtissier à être créatif, original, inattendu, à avoir le sens des proportions, à savoir assortir les couleurs et à visualiser l’harmonie des formes, qu’il s’agisse ou non de la reproduction de quelque chose de préexistant.» Le pâtissier encourage clairement les aspirants artistes à postuler. Et ils sont nombreux à le faire, attirés par ce métier trendy de la côte Est à la côte Ouest des Etats-Unis. A la tête d’un empire sucré, quels sont les nouveaux projets de Duff Goldman? «Regardez derrière la vitre», dit-il en désignant la boutique de Melrose attenante à son atelier de création où s’affairent trois artistes ès cakes. Dans cet espace, une vingtaine d’enfants et leur maman s’appliquent à confectionner des gâteaux aux couleurs et aux formes plus extravagantes les unes que les autres. «Depuis que j’ai mis en place ces après-midi durant lesquels les clientes et leurs enfants peuvent décorer et créer leur propre cake, ça ne désemplit pas! Je ne m’attendais pas à un tel succès! Je veux donc ouvrir, dans les années qui viennent, une centaine d’adresses à travers le pays, qui ne feront que proposer ce type d’atelier.» On lui demande pourquoi, à son avis, ce programme connaît un tel succès. Il mime avec ses mains la manipulation d’un smartphone. «Les gens sont complètement accros à leurs portable, tablette électronique, etc. Ils ne savent plus rien faire sans l’aide de la technologie! Soudain, ils créent un gâteau, ils le décorent, le ramènent à la maison, le montrent à toute la famille, ils en sont fiers et en plus ils peuvent le partager et le manger! C’est pour ça que ces ateliers marchent si bien: les gens ont oublié qu’ils pouvaient créer des choses avec leurs propres mains!» > Le fait main, la virilité même Les nouvelles tendances – qu’on les aime ou qu’on les déteste – viennent souvent de ce côté-ci de la planète, des Etats-Unis. Et pourtant, le retour en grâce de l’artisanat et des professionnels qui utilisent leurs mains pour travailler, on aurait dû l’anticiper. Parce qu’à l’origine, ces métiers sont nés et se sont popularisés en Europe. Mais nul n’est prophète en son pays… Une création pâtissière à l’effigie d’un album de Nick Cave. Ainsi, chez les bobos de New York, de San Francisco ou de Los Angeles, on va chez le boulanger acheter son pain à 8 dollars comme on va au musée. Et celui qui pétrit la matière n’est pas un ouvrier de l’ombre mais une star. Comme Chad Robertson, le boss de Tartine Bakery & Cafe à San Francisco. Cet homme au physique de mannequin tourne chaque jour 240 miches en t-shirt Thom Browne et pantalon Dries van Noten avant de partir surfer. Les restaurants s’arrachent ses créations et les magazines comme Vogue, Vanity Fair ou le New York Times son interview. Quant aux investisseurs, ils sont nombreux à lui faire des appels du pied pour lui proposer une multiplication à l’internationale de ses pains cultes… Autre exemple, originaire lui aussi de San Francisco mais qui a depuis essaimé dans tout le pays, la Butcher Party. Vous avez deviné? En lieu et place d’un super DJ, l’attraction de ces soirées très spéciales consiste en la performance live d’un boucher travaillant sur une carcasse. Le métier connaît du reste un regain d’intérêt chez les jeunes et les consommateurs qui ont le temps, les moyens et la culture gastronomique pour acheter leur entrecôte chez le spécialiste ès viandes du coin. Un pro de la découpe qui incarne une certaine idée de la virilité à l’américaine et renvoie à la conquête de l’Ouest, ses figures tutélaires comme le cow-boy. C. Cd AVEZ-VOUS UN PEU DE TEMPS LIBRE EN 2100? MANERO CHRONOPERPETUAL Un quantième perpétuel avec affichage de la date, du jour, du mois et de la phase de lune qui ne nécessite jamais de correction: le mouvement de la Manero ChronoPerpetual ne nécessitera aucun réglage manuel jusqu’en 2100. D’allure classique et intemporelle, elle offre un affichage complet sous une forme parfaite. Une montre destinée aux connaisseurs qui apprécieront le magistral travail d’horlogerie traditionnelle et sa grande fonctionnalité. En version limitée et exclusive. ANCRÉE DANS LA TRADITION, PORTÉE PAR L’INNOVATION 58 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 PHOTO: PAVILLONS DE BERCY Luxe Le Théâtre du merveilleux, l’un des quatre espaces des Pavillons de Bercy, une invitation à retomber en enfance. JOUR DE FÊTE Manègeenchanteur L’ endroit aurait ravi Fellini. En plein quartier moderne de Bercy, non loin des bâtiments sans charme du Ministère français de l’économie et des finances, se niche une enclave d’un autre temps: derrière les hauts murs de la rue Lheureux, six entrepôts des années 1890 font revivre, sur près de 2 hectares, les riches heures d’un Paris festif et canaille. Au XIXe siècle, le quartier de Bercy était le «cellier du monde». Avec ses cabarets et ses guinguettes, il attirait une foule bigarrée de canotiers, d’ouvriers, de courtiers affairés et d’artistes éméchés. L’odeur du vin et des fûts a depuis longtemps disparu, mais les anciens chais construits par LouisErnest Lheureux, un proche d’Eugène Viollet-le-Duc, témoignent encore de ce passé vinicole, avec leurs charpentes métalliques, leurs portions de rails où circulaient les wagons-citernes et leurs voies pavées. Et si l’on n’y attrape plus la «fièvre de Bercy» (terme d’argot pour désigner l’ivresse), du moins peut-on y rêver tout son saoul. Restaurés, les lieux ont en effet été métamorphosés en palais fellinien par l’antiquaire et scénographe Jean-Paul Favand, lequel y a déployé en 1996 une partie de sa vertigineuse collection d’art forain et d’objets du spectacle. Avec ses milliers de sujets de manège, d’éléments de décors et de costumes de scène (dont des centaines de robes en strass et coiffes en plumes des Folies-Bergère), cet ensemble, réuni pendant quarante ans, est l’un des plus importants du monde. Se définissant comme un «montreur de curiosités», et non comme un collectionneur – «un terme sclé- Des manèges centenaires, un jardin surréaliste, une petite Venise… Cet univers onirique se niche en plein Paris, dans d’anciens chais du quartier de Bercy. Les lieux abritent des milliers de pièces foraines, réunies par l’antiquaire Jean-Paul Favand. Ce gigantesque «cabinet de curiosités» n’ouvre qu’à de rares occasions, notamment au moment des fêtes de Noël. Visite. Par Eva Bensard rosant», juge-t-il –, ce passionné de théâtre et «d’objets qui racontent une histoire» a créé dans ces anciens chais un musée onirique. S’y côtoient, dans une accumulation baroque sublimée par la lumière et la technologie, baraques de foire et chevaux de bois, automates et déesses foraines, robes de cancan et orgues de barbarie. Carrousels et limonaires Un centaure en haut-de-forme, voltigeant dans les airs, invite à franchir l’immense grille de l’entrée, et à basculer du côté du rêve. C’est un peu le syndrome Midnight in Paris, dont certaines scènes ont d’ailleurs été tournées ici. Comme dans le film de Woody Allen, on est brusquement transporté à la Belle Epoque. A la lueur des lampions et des girandoles, et au son du limonaire, s’anime une fête foraine de la fin du XIXe siècle. Pour ressusciter les vertus festives et exutoires de ces foires d’antan, où l’on goûtait au vertige de la vitesse sur les carrousels (manèges à plateau de bois tournant), et où l’on se défoulait avec les jeux de massacre et les cibles mécaniques, le maître des lieux a imaginé un musée-spectacle, sans vitrine de protection, ou pancarte «Prière de ne pas toucher». «Je ne voulais pas d’une muséographie traditionnelle. Il fallait que les gens puissent toucher et vivre les objets.» Ici, on monte donc sur les chevaux cabrés d’un carrousel 1900, on vogue dans les gondoles rococo, et on pédale énergiquement pour actionner la rotation du manège de vélocipèdes (tournis garanti). Rutilants aujourd’hui, ces objets centenaires ont subi une cure de jouvence entre les mains de restaurateurs. Le manège cycliste conçu en 1897 par les Belges Callebaut et Decanck a ainsi nécessité 25 000 heures de travail: il a fallu refaire le mât central, rentoiler les plafonds, renforcer les frontons, dont le bois était détérioré, et gratter trois strates de peinture. Ce grattage au scalpel est une étape indispensable pour les figures sculptées et les boiseries, lesquelles ont subi au cours du temps de nombreux repeints. Ce travail long et méticuleux permet de retrouver la polychromie originale, mais aussi de mettre en évidence la qualité de la sculpture. Certaines pièces se révèlent ainsi de très belle facture, à l’image de ce centaure à l’effigie d’Ali-Pacha, qui appartenait à Jean Cocteau, ou encore de ce cochon-gondole, dont la trogne expressive et le rendu naturaliste sont typiques du «grand» Bayol. Car l’art forain a, lui aussi, ses grands artistes. Il y a le Français Gustave Bayol, l’Allemand Friederich Heyn, le Belge Alexandre Devos, ou encore l’Anglais Savage. Tous ont des styles bien distinctifs, que les guides des arts forains enseignent à reconnaître. Votre monture est plutôt petite, a la tête tournée et une unique mèche frontale? Vous êtes sur un étalon français des ateliers Bayol. Votre cheval en impose, avec son harnachement d’apparat et sa queue en crin naturel? Vous enfourchez, dans ce cas, un beau canasson allemand, peut-être réalisé par Heyn lui-même. La revanche de l’art forain Ces sculpteurs font aujourd’hui l’objet d’un engouement croissant, dont a témoigné le succès de la collection Fabienne et François Marchal, dispersée à Drouot-Montaigne en 2011 (645 lots, du milieu du XIXe siècle aux années 1950). Mais cette reconnaissance est récente. Pendant longtemps, les objets forains ont été ignorés, et considérés, au mieux, comme des «curiosités». «Cette forme de mépris, quelque part, les a protégés», estime Jean-Paul Favand. Elle lui a, il est vrai, permis de dénicher et de sauvegarder d’authentiques raretés, à l’image du théâtre mécanique Morieux. Ce chef-d’œuvre d’art et de technicité était remisé en vrac dans un grenier belge, sans que personne s’en émeuve. Conçu en 1808 par Pierre Morieux, ingénieur français, ce procédé scénique associant des automates et des dioramas (des tableaux animés, selon le principe mis au point par Daguerre) pouvait plonger les foules du XIXe au cœur d’un «Carnaval sur la glace à Saint-Pétersbourg», ou de «l’Expédition Nansen au pôle Nord». Tout cela bien avant l’invention du cinéma. Jean-Paul Favand venait de trouver son Graal. De tels théâtres ont en effet complètement disparu, balayés par le tourbillon de l’image animée. Etudiées et inventoriées, les 3000 pièces détachées de la «mécanique Morieux» sont aujourd’hui précieusement conservées dans un entrepôt de Bercy. Mais certains de ses automates ont été intégrés dans la nouvelle «attraction» du musée: une féerie vénitienne qui fait revivre, à l’aide des dernières technologies numériques, la fantasmagorie des dioramas, cycloramas et autres lanternes magiques. > En pratique Musée des arts forains – Pavillons de Bercy, 53 av. des Terroirsde-France, 75012 Paris. Tél. + 33 (0) 1 43 40 16 22, www.pavillons-de-bercy.com et www.arts-forains.com D’ordinaire réservé aux groupes et aux «événements» (réceptions, tournages…), le musée est ouvert au public au moment des fêtes de Noël, du 26 décembre 2013 au 5 janvier 2014. 60 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe Le rhum de mélasse ç ö (produit dérivé du raffinage du sucre) Obtenu par la fermentation alcoolique et la distillation des mélasses ou des sirops provenant de la fabrication du sucre de canne. Ce rhum, dit industriel, résulte de la fluidification de la mélasse qui est ensuite mise en fermentation et distillée. S’il est moins apprécié des connaisseurs, le rhum industriel (plus de 90% de la production mondiale) a bénéficié d’améliorations qualitatives ces dernières décennies. Diplomatico Reserva Exclusiva (Venezuela) Nez: doux, devenant puissant à l’aération, avec une dominante de fruits cuits, de tabac blond et de miel. Bouche: palette aromatique d’une grande intensité avec des fruits secs et compotés, caramel au beurre, miel d’acacia, havane, cuir tanné, bois de santal. Teneur en alcool: 40% vol. Prix: 56 fr./70cl www.rhumhouse.ch Matusalem Gran Reserva 15 (République dominicaine) Nez: fruits secs. Bouche: bouche onctueuse et suave, avec notes de caramel, de vanille et de pelures d’oranges confites, feuille de cigare fraîche. Structure élégante et d’une grande finesse. Teneur en alcool: 40% vol. Prix: 36 à 39 euros/70 cl* Botran Reserva (Guatemala) Nez: boisé, avec une nette dominante vanillée. Puis se développent des notes plus fruitées de raisins secs, de bananes séchées et d’abricots secs. Bouche: attaque d’abord moelleuse, mais le rhum révèle vite un caractère puissant, bien typé, avec des notes épicées bien marquées de girofle, de réglisse, de cacao et de café noir. Teneur en alcool: 40% vol. Prix: 31 à 33 euros/70cl* Deux types de rhums SPIRITUEUX Le rhum agricole Rhum vieux JM 1995 (Martinique) Un tout grand rhum, vieilli quinze ans en fûts de chêne. 70% du volume initial des fûts s’évaporent durant le vieillissement. Nez: opulent bouquet d’arômes fruités et végétaux. Bouche: attaque ronde qui rappelle la généreuse palette aromatique du nez. Finale exprimant le cacao, le tabac et un sublime bouquet d’épices. Teneur en alcool: 44,8% vol. Prix: 248 fr./70 cl www.rhumhouse.ch Quandlerhumtente Autrefois boisson des marins, esclaves et poilus de la Première Guerre, l’alcool tropical conquiert aujourd’hui de plus en plus d’amateurs au détriment de son cousin malté. Plongée dans un univers subtilement aromatique. Par Manuella Magnin Rhum vieux agricole Bielle 2003 (Marie-Galante) Elevé sept ans en fûts de chêne. Nez: fruité, nerveux sans être agressif. Notes de pain d’épices, de pain grillé, de farine et de céréales, ainsi que d’épices. Bouche: palette aromatique de grande qualité. Teneur en alcool: 53,1% vol. Prix: 107 fr./70 cl www.rhumhouse.ch PHOTOS: DR Rhum vieux Chamarel VO 2008 Première édition (île Maurice) Elevé trois ans en fûts de chêne. Nez: fruits blancs, vanille, foin coupé et sous-bois. Bouche: notes de cacao, de café et de poivre. Teneur en alcool: 46% vol. Prix: 68 fr./70 cl www.rhumhouse.ch 10 Cane (Trinidad) Nez: intense avec des arômes de vanille fraîche, de crème brûlée et d’épices de cuisson. Notes de caramel, de pommes caramélisées et de figues confites. Bouche: notes caractéristiques de canne à sucre, marquées par des arômes de poire, de vanille et un soupçon de cannelle, avec une touche finale de pommes caramélisées… Teneur en alcool: 40% vol. Prix: 69 fr./ 70 cl. En vente chez les cavistes. «D ans les années 70, en Guyane, les restaurateurs lavaient les vitres au rhum blanc», sourit Werner Girsberger, à la tête aujourd’hui de Rhum House. Sa société, spécialisée dans l’importation des meilleurs rhums du monde, vit de beaux jours. Grâce à la mondialisation et à la démocratisation des voyages dans les îles tropicales, l’engouement pour cette eau-de-vie du soleil n’a jamais été aussi fort. Il surpasse même l’attrait pour le whisky. Des blogs fleurissent un peu partout sur Internet. Les raretés s’arrachent à prix fort bien que l’on puisse © JONATHAN BLAIR/CORBIS (issu du jus de canne à sucre) Tout commence par le broyage de la canne à sucre qui donne un jus appelé vesou en créole. Ce jus est mis immédiatement à fermenter durant deux jours, puis distillé. C’est le rhum agricole connu pour sa fraîcheur et ses qualités aromatiques. Une partie du rhum agricole est conservée en rhum blanc. Le rhum ambré agricole est élevé sous bois durant dix-huit mois. Le rhum vieux agricole séjourne au minimum trois ans en fûts de chêne. se faire plaisir avec un budget tout à fait raisonnable. Les amateurs d’alcools forts se sont laissés séduire par cette boisson aux saveurs fruitées, épicées et intenses, plus abordable en termes de prix que les grands whiskys. «Boire un bon rhum, c’est voyager, faire revivre des souvenirs de vacances et élargir sa palette gustative», commente Johanna Biéler, gérante de l’enseigne Vom Fass à Lausanne, qui constate ces deux dernières années un réel attrait de ses clients, et surtout de ses clientes, pour cet alcool. Un monde d’épices Savourer cette eau-de-vie issue de la canne à sucre ou de la mélasse, c’est aussi découvrir les épices d’une autre façon. Olivier A. Martin, le talentueux chef aux commandes de l’Auberge communale de Bogis-Bossey, est une véritable encyclopédie du rhum. Il a appris à l’apprécier en Jamaïque et aux Bermudes où il a vécu six ans avant d’écumer toutes les distilleries des Antilles françaises. Dans la cave du chef, sise sur un marais, vieillissent des merveilles à l’instar de «L’Or des anges», une liqueur à base de rhum agricole blanc, d’orange et de sucre de canne, créée de concert avec Werner Girsberger. Un véritable délice conçu avec passion qui fait merveille dans un cocktail ou en fin de repas. Le chef s’est aussi associé à une star vaudoise de la vigne, Philippe Bovet à Givrins, pour concevoir un vin muté au rhum. Voyage d’est en ouest L’histoire de ce breuvage est liée aux conquêtes territoriales et aux grandes découvertes. Si, dans l’imaginaire, le rhum est une boisson des Amériques, la canne à sucre nous vient d’Asie. Cultivée très tôt dans le sous-continent indien, la canne va entreprendre un très long voyage d’est en ouest au fil des siècles. Avec l’expansion de la civilisation musulmane, elle apparaît tout d’abord dans le bassin méditerranéen, en Afrique du Nord, à Chypre, à Malte et en Sicile. Au «Unengouementrécent» La recette d’Olivier Martin La maison Dugas à Paris importe des whiskys et des rhums du monde entier. Son Brand Ambassador Rhums, Jérôme Ardes, explique le penchant pour l’alcool tropical. > Filet de chevreuil en double cuisson Jus corsé au rhum et boudin créole Le Temps: Depuis quand l’engouement pour le rhum est-il perceptible? Jérôme Ardes: «Le Mojito (cocktail à base de rhum cubain, ndlr) avait rendu cet alcool populaire. Mais la demande pour le rhum comme alcool a littéralement explosé depuis trois ans.» Les consommateurs boudent-ils le whisky au profit du rhum? «Les ventes de rhum auprès de nos clients restaurateurs et cavistes sont en plus forte progression que celles du whisky grâce à des rhums d’origines différentes et à des prix accessibles.» Quel est le public particulièrement intéressé par le rhum? «Le public est varié, avec plus de femmes que pour le whisky. La tranche d’âge est assez large, de 25 ans à 45 ans, voire un peu plus.» Quels sont les rhums les plus recherchés par les consommateurs? «Les rhums traditionnels un peu sucrés, avec beaucoup de rondeur et d’arômes, que l’on retrouve dans la typicité espagnole ou anglaise. Les rhums agricoles, plus secs, complexes et vifs, ont aussi un public de connaisseurs souvent au-dessus de 40 ans.» Pour 4 personnes Préparation: 30 minutes Cuisson: 1 heure 800 g de filet de chevreuil 1 carotte en cubes grossiers 2 échalotes ciselées 1 gousse d’ail émincée 1 bouquet garni (laurier, thym, romarin, marjolaine, céleri) 2 dl de vin rouge 2 dl de fond de gibier 2 c.s. de vieux rhum Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Millonario Solera 15 (Pérou) Nez: riche et chaleureux, avec une dominante de pruneaux, de caramel, de fruits tropicaux, de miel de châtaignier. Finale de noisettes et de clous de girofle. Bouche: attaque suave avec une certaine fraîcheur. On retrouve tout le fruité du nez, ainsi que le toffee, la banane flambée et la figue confite. Teneur en alcool: 40% vol. Prix: 44 à 47 euros/70 cl* Don Papa (Philippines) Nez: très fruité, dominé par des notes de mandarine très franches, complétées d’abricot, de framboise et de banane verte. Présence de vanille et de cannelle. Bouche: douce et très ronde, elle se montre très gourmande à la manière d’un cake aux fruits avec son zeste d’orange. Gingembre confit et épices douces la complètent. Teneur en alcool: 40% vol. Prix: 35 à 38 euros/70 cl* Angostura 1919 (Trinidad) Nez: doux de cacao, mélasse, toffee, vanille et caramel. Bouche: suave. Eclosion de saveurs généreuses et mielleuses. Notes de noisettes et de pain grillé. Teneur en alcool: 40% vol. Prix: 37 à 39 euros* Appleton 12 ans (Jamaïque) Nez: complexe de noix, muscade, zestes d’orange, vanille, pointe de mélasse, chêne grillé. Bouche: attaque généreuse et très moelleuse d’où se détachent le sucré, le crémeux et le beurré. Teneur en alcool: 43% vol. Prix: 35 à 38 euros* Cockspur 12 ans (Barbade) Nez: très intense, avec un boisé léger et quelques notes de biscuit sablé. On y trouve aussi de la pelure d’orge, du sucre brun et des fruits exotiques. Bouche: moelleux, très rond et velouté, avec une pointe de clou de girofle. Fin de bouche plus sec avec un joli relief. Teneur en alcool: 40% vol. Prix: 36 à 39 euros* dedétrônerlewhisky Esclaves, flibustiers et poilus Le mot «rum» est utilisé pour la première fois au XVIIIe siècle dans les îles anglaises. Un vocable à l’origine incertaine. Les historiens hésitent entre l’abréviation du terme latin saccharum (qui désigne la canne à sucre) ou du mot anglais rumbullion (grand tumulte). Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le rhum est la boisson des pauvres, des esclaves qui sont payés en alcool, des marins, des pirates et des flibustiers. Ceux-ci écumèrent les eaux des Caraïbes, surtout entre 1660 et 1713. Dans l’Histoire du rhum de A. Huetz de Lemps, l’auteur relève que l’un des gros problèmes des marines nationales était la désertion: les pirates avaient l’habitude de recruter leurs équipages en soûlant les marins dans les ports. Ivres morts, ils ne répondaient pas à l’appel, devenaient déserteurs et n’avaient plus d’autre issue que de s’enrôler à bord des bateaux des forbans. Plus tard, durant la Première Guerre mondiale, les poilus dans les tranchées boivent de grandes rasades de rhum pour affronter la mort. 50 g de beurre ramolli 1 c.s. d’huile d’olive 50 g de boudin créole sel, poivre Pour la marinade 1 l de vin rouge 400 g de résidus de pressage de vin (chez le vigneron) Faire suer les échalotes, l’ail et la carotte. Déglacer avec le vin rouge et le fond de gibier. Ajouter le bouquet garni et laisser mijoter à découvert pendant 30 à 40 min en remuant de temps en temps. Passer au chinois fin, incorporer le rhum, le beurre et le boudin créole émietté. Assaisonner et ne plus cuire, mais laisser reposer 3 min sur le coin du feu. Mixer le tout au Effondrement du cours du sucre Les colons et la bonne société lui préfèrent longtemps les eaux-devie de vin et de céréales, à l’instar du whisky. L’effondrement du cours du sucre de canne à la fin du XIXe siècle pousse les planteurs à trouver d’autres débouchés. C’est la modernisation des processus de distillation, la vogue des punchs et des cocktails ainsi que la démocratisation des voyages outre-mer qui donneront enfin à ce breuvage ses lettres de noblesse. Sans oublier la fameuse Route du Rhum, course de voile en solitaire, qui rallie tous les quatre ans dès 1978 Saint-Malo à Pointeà-Pitre en Guadeloupe. Une course créée en association avec les exploitants des distilleries. S’il est des alcools qui se démocratisent, le rhum a pris l’ascenseur social et se trouve désormais en très bonne compagnie sur les plus grandes tables et dans les clubs les plus fermés. Voir liste des revendeurs dans les régions frontalières de la Suisse sur www.dugas.fr PUBLICITÉ BEOF/CHF/F/250412 XIVe siècle, on la retrouve à Madère et dans les Canaries. En 1493, Christophe Colomb l’emmène dans ses bagages vers les Amériques. On la retrouve alors à Saint-Domingue tandis que les Portugais développent sa culture sur le continent sud-américain. L’objectif des conquistadors est de produire du sucre pour l’exporter vers l’Europe. Les livres d’histoire évoquent la première distillation de la canne vers 1630 à La Barbade. 61 Economie réelle Gestion de fortune performante Swiss finish Les 500 meilleures entreprises au monde dans votre portefeuille Sources: Le Guide du Rhum, Dugas, Paris. De la canne au rhum, INRA 1997. Histoire du rhum, Editions Dejonquères, 1997. Martinique, Guadeloupe, MarieGalante, visiter les distilleries, choisir les bouteilles, Editions Ibis Rouge 2002. Voyage aux pays du rhum, Editions du Cherche Midi (2011). www.rhumhouse.ch www.dugas.fr, www.oredesanges.ch www.oliviermartin.ch, www.vomfass-lausanne.ch www.philippebovet.ch mixeur plongeur et servir sans recuire. Préparer la marinade. Porter le vin rouge et les résidus de pressage du vin à petite ébullition. Retirer du feu. Assaisonner le chevreuil. Placer la viande dans une poêle avec 1 c.s. d’huile et une noisette de beurre et faire dorer sur toutes les faces. Retirer la viande bleue et la disposer dans la marinade à 40 °C. Laisser environ 10 minutes en la retournant de temps en temps. Dresser le chevreuil coupé en médaillons sur un plat de service chaud, napper de sauce et accompagner selon vos goûts d’airelles compotées au vieux kirsch, de spätzli à la farine de châtaigne et de choux de Bruxelles aux petits lardons. ■ Si vous êtes lassés du discours ésotérique de la “haute finance”, ■ Si vous considérez que la gestion d’un portefeuille doit reposer sur un concept simple et stable, ■ Si vous pensez que la performance d’un portefeuille se crée dans l’économie réelle, grâce à ses meilleures entreprises, ■ Si vous cherchez un guide expérimenté pour cibler vos choix de titres et une adresse pour sécuriser vos dépôts, ■ Alors nous devrions en parler. Les conseillers en gestion de patrimoines de la Banque Cantonale de Genève se tiennent à votre disposition pour partager leurs convictions et leur expérience avec vous. Satellite Galileo: 33°10’03.91”N – 31°21’34.23”E – 23’222 km Genève Zürich Lausanne Lyon Annecy Paris Dubaï Hong Kong www.bcge.ch/bestof +41 (0)58 211 21 00 62 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe ÉCRIN RUPESTRE Lafermed’alpagequi serêvaitchaletdeluxe PHILIPPE ECHAROUX A Flumet, village satellite de Megève, un agent immobilier s’est mué en bâtisseur, œuvrant en synergie avec les artisans du lieu, pour infléchir avec panache le destin d’un habitat vernaculaire. Par Géraldine Schönenberg Le volumineux espace de la pièce à vivre dont la carapace de bois s’illumine, à la nuit tombée, d’un éclairage indirect se diffusant sous chaque panne horizontale. P ierre Cellier est un enfant du pays. Petit Savoyard, il dévalait les pentes de l’Espace Diamant, ce domaine skiable qui s’étend du massif du Beaufortain au val d’Arly et dont Flumet est une des étapes de ce réseau de pistes tracées au cœur des forêts d’épicéas. Face au Mont-Blanc, sous le ciel flamboyant d’un automne au soleil tardif, le val d’Arly est baigné d’une douceur pastorale. Quelques vaches paissent de l’herbe encore verte à flanc de lopins abrupts, des cascades d’eau fraîche s’épuisent sous des monceaux de feuilles mortes. Ici et là, disséminées en altitude, se dressent des habitations traditionnelles. L’une d’entre elles, la Ferme du Passieu, présente, vue de l’extérieur, tous les atours de ce modèle de l’architecture vernaculaire du siècle passé: une bâtisse à gros volume de dimension rectangulaire bardée de bois à l’étage supérieur, censé abriter un grenier à foin ainsi que l’habitation familiale, et bâtie en dur au niveau inférieur pour accueillir vaches et cochons. Si sa structure architecturale n’en laisse rien paraître, élément du patrimoine savoyard semblant avoir traversé le temps, cette ferme datant de 1906 a pourtant subi une colossale transformation. Sous l’impulsion de Pierre Cellier, elle possède aujourd’hui l’âme d’une demeure de prestige offrant à la location à la semaine 650 m2 habi- tables et tous les accessoires de ce niveau de standing, «Je cherchais un «petit» endroit en haut de la montagne. Une amie de ma mère m’a dit: «j’ai exactement ce qu’il te faut», raconte-t-il en riant. La Ferme du Passieu était habitée par un guide de haute montagne et quelques copains logés dans plusieurs appartements. J’ai tout de suite été séduit par le volume et la charpente. Il y avait encore l’étable avec les caniveaux, ces urinoirs à vaches. Un jour, je suis allé à la quincaillerie, j’ai acheté deux masses et j’ai commencé les travaux, c’était il y a cinq ans.» Dès l’entrée, un autre monde s’ouvre. Au-delà du luxe. Malgré le gigantisme de l’espace caparaçonné de bois, l’on se sent subitement protégé de tout. Nous voici au cœur d’un de ces prodiges que devaient accomplir les compagnons charpentiers du Moyen Age. L’on est saisi par le volume monumental de cet habitacle de bois tout de verticalité, qui se déploie en un espace ouvert sur trois niveaux, semblant atteindre le ciel de la même façon qu’une flèche de cathédrale, cette charpente pyramidale qui surplombe certains clochers. Cet antre de bois unique en son genre, Pierre Cellier l’a extirpé du fond de ses tripes et de sa volonté. Gestionnaire d’immobilier bourgeois à Paris, le quadragénaire, dans un revirement soudain du destin, a donc entrepris il y a cinq ans ce chantier faramineux en parfait autodidacte. Le nouveau propriétaire, que l’on croit volontiers habité d’une vision alchimique pour arriver à façonner cet univers en état de grâce qui parle à notre âme primitive, décide de ne conserver «que les quatre murs et la charpente». Un ami architecte l’aidant simplement à obtenir le permis de construire et donnant son avis sur les parties les plus fragiles du bâtiment, s’ensuivent des années de supervision et de labeur quotidien avec les intervenants: quelques ouvriers de la région qui l’épaulent lors de la démolition puis un maçon, des ingénieurs, un plombier, un électricien et des menuisiers. Se sentir chez soi Une actrice clé de cette reconstruction, son amie d’enfance Béatrice Rosenthal, architecte d’intérieur de renommée internationale, est intervenue une fois le gros œuvre terminé pour imprimer sa vision raffinée quant à l’aménagement de cet espace décloisonné. «Je ne suis qu’un outil pour le client. Je dois arriver à créer un lieu dont il aurait rêvé, mais qu’il est incapable de mettre en œuvre, car il ne comprend pas forcément l’importance de l’éclairage, les objets, les formes, les tissus.» Son regard s’aiguise tout d’abord sur la structure de ce cocon de bois, affûtant l’espace, le rendant lyrique: «Cette charpente est exceptionnelle, explique-t-elle. En général, une charpente comporte peu de verticaux de dimension imposante. Ici, il y en a beaucoup, mais ils sont très fins, ce qui donne cet aspect très élancé. Je voulais absolument valoriser cette verticalité. Tout l’espace est traversant, des éléments horizontaux feraient barrière au regard.» Les directives de construction une fois posées, Béatrice Rosenthal s’attaque à la sphère décorative, habillant appartements privés et espaces de vie d’un luxe discret adoucissant l’intérieur de bois brut: fauteuils, canapés ou poufs tapissés de kilims anciens faits sur mesure, tapis aux tons chauds, mobilier précieux mais hétéroclite donnant l’impression que la maison a été meublée petit à petit. Le bloc technique qui surplombe l’escalier principal, escamotant garde-manger et appareils divers, par exemple. Peint en bordeaux, il est orné d’un tissu ouzbek dont les motifs circulaires colorés rappellent la suspension monumentale de forme tubulaire de l’entrée. De part et d’autre s’étendent plusieurs salons autour d’une cheminée au tracé simplissime encagée par une structure métallique aérienne en guise de bibliothèque, dessinée par Béatrice Rosenthal: «Pierre aime le design industriel. Ici il est un peu féminisé…» Dans la partie salle à manger, elle choisit des chaises aux dossiers de feutre de toutes les couleurs en écho à ceux de la tapisserie d’Ouzbékistan qui lui fait face. «Je voulais qu’on ait l’impression d’un endroit qui vit, comme lorsqu’on mélange meubles de famille et pièces choisies, que n’importe qui s’y sente chez soi.» Des meubles vintage acquis à une vente aux enchères chez Artcurial voisinent avec du mobilier dessiné sur mesure. On est loin du design à l’esthétisme paralysant, le luxe s’insinue en soi voluptueusement sans imposer son diktat. On tombe nez à nez avec une jeune femme en train de peindre minutieusement ton sur ton la piqûre sellier d’un miroir gainé de cuir rouge. «Le fil blanc faisait un peu cheap», sourit la décoratrice. Et l’on voit que pas une fausse note, même infime, ne lui échappe… Un sentiment d’authenticité Pour faire ressortir l’esprit du lieu, son appartenance à une région, Béatrice Rosenthal a eu recours à des matériaux locaux. Au 1er étage, dans la cuisine ouverte, le sol est recouvert de lauze, une pierre quartzite de Savoie. A l’étage inférieur, l’aménagement des cinq chambres a été l’occasion pour la décoratrice «de raconter une histoire», tapissant chacune d’elles d’un bois différent. L’une est en red cedar à l’odeur prégnante, fraîche et fruitée. Une autre en chêne raboté à la main, ce qui donne du relief au bois lorsque l’ombre est Luxe Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 63 > Vivre au-delà du luxe… La Ferme du Passieu, accessible en location à la semaine dès le mois de décembre, comporte six chambres avec salle de bains, une piscine intérieure à débordement, un jacuzzi, un hammam pavé de mosaïque Bisazza, une salle de sport et une salle de cinéma. La location comprend un service de conciergerie (la maison de gardien a été creusée dans le terrain et est invisible depuis le chalet) et une piste d’atterrissage pour hélicoptère. Prix sur demande. Renseignement sur www.edenluxuryhomes.fr sous Destinations Megève. Au centre: «La charpente est d’origine, les chevrons (poutres suivant la pente du toit, ndlr) également. Pour tapisser l’intérieur, le défi a été de trouver la matière première: les planches proviennent d’anciens chalets de plusieurs vallées qui ont été démontés.» Ci-contre, de haut en bas: dans une des chambres, un fauteuil Gordon de Blanc d’Ivoire et un agencement textile qui se fondent dans le décor alpestre. La piscine creusée au cœur de l’étable et pour laquelle il a fallu reconsolider les fondations de la ferme. PHOTOS: VERONIQUEBOTTERON.COM En bas: vue sur la chambre mezzanine, sorte de cocon sous le toit. Uneaventurehumaine Le Temps: Qu’est-ce qu’une telle entreprise, pour laquelle vous avez endossé tous les rôles, de l’architecte au maçon, a représenté psychologiquement? Pierre Cellier: Je pense que ce chantier a été ma façon de m’exprimer. Certaines personnes écrivent des livres, d’autres tournent des films; moi, je voulais construire. C’est tombé à un moment de ma vie où j’avais besoin de réaliser quelque chose, vis-à-vis de moi et vis-à-vis des autres. Par le bâtiment. Je me suis acharné parce que ça ne me faisait pas peur, j’avais confiance en moi. le terrain et élever des fondations pour pouvoir aménager la piscine, par exemple. Ensuite, je me suis terriblement impliqué dans le travail du bois. C’était une immersion totale? Pour arriver à ce résultat, cela signifiait – puisque je n’avais pas fait appel à un architecte – une présence au quotidien; je devais diriger, organiser, vérifier, établir des plans, etc. Il m’a aussi fallu beaucoup de temps pour m’imprégner du lieu. Le travail manuel a représenté entre 30 et 50% de mon investissement personnel, notamment pour consolider la structure. Ce type de ferme est posé sur la terre. Il a fallu excaver Quel est le bilan de cette expérience? Cela a été dur moralement, car le chantier a été très long. Heureusement que je n’avais pas pris conscience, au début, de l’ampleur des travaux. Mais je suis enchanté du résultat. J’ai appris beaucoup de choses; maintenant je connais les matériaux, je sais comment ça se passe. Et surtout j’ai réussi à imaginer un endroit où l’on se sent bien. Propos recueillis par G. S. DR frisante. Une autre plus rustique est recouverte de pin et une dernière, plus masculine, de teck. Chaque chambre possède sa salle de bains au sol veiné de Bleu de Savoie, marbre provenant d’une carrière voisine. Les murs sont tapissés de marbre de Carrare, mais choisi dans un ton moins blanc que celui destiné à l’art statuaire. «Ici on est à la montagne, la nature doit être présente à l’intérieur et la pierre doit se lire comme de la pierre. Quand on aménage un lieu, il faut toujours réfléchir à son emplacement. Une maison doit garder son âme», affirme Béatrice Rosenthal. Ainsi l’espace mezzanine, sorte de repaire pour amoureux, une suite remisée sous le toit avec vue sur les étoiles, dont la porte se distingue avec peine, invisible parmi le bardage de bois, se teinte d’une tonalité sensuelle: commode baroque, rideaux et stores brodés de volutes encadrent un lit trônant au milieu de la pièce, laissant apparaître au fond une baignoire en Corian. Ce que l’on ne pourra pas admirer, c’est l’illumination du chalet à la nuit tombée. «Le plus difficile a été de concevoir un éclairage chaleureux dans un espace aussi grand, évoque la décoratrice. Le soir, c’est féerique, sous chaque panne de bois horizontale se diffuse une lumière indirecte qui éclaire la totalité de la sous-face de la toiture, on a l’impression que la lumière lèche le bois comme une flamme.» >> Retrouvez la suite du reportage photo sur www.letemps.ch/luxe Comment avez-vous vécu cette étroite collaboration avec les différents corps de métier? Je me suis aperçu qu’il y a ici toute une équipe de professionnels extraordinaires qui ont l’habitude de travailler ensemble et aussi qu’il ne faut surtout pas les séparer les uns des autres. Il y a une cohésion, de l’entraide. Ils ont apporté leurs idées, c’était fondamental qu’ils puissent avoir leur mot à dire. J’avais des contraintes esthétiques et eux techniques, il a fallu les harmoniser, d’où l’importance du lien humain. LUXE Shopping cosmique réalisé par Emmanuel Grandjean et illustré par Xénia Laffely 66 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe La machine à expresso, Kiss (Keep It Simply Swiss), CHF 1780. –. SoundTouch 30 Wi-FI musicsystem, Bose, CHF 879. –. Polo Roi Leo, Lacoste L!VE X Tezuka, CHF 160. –. Sneakers «Op Art» de Jeremy Scott pour Adidas, CHF 190. –. Casque audio TMA-1 DJ, AIAIAI, CHF 280. –. Montre «Spacecraft», boîtier titane, édition limitée à 99 pièces, Romain Jerome, CHF 21900. –. Console PlayStation 4, Sony, CHF 449. –. MusicMachine, édition limitée à 66 exemplaires (33 en noir, 33 en blanc), MB&F en collaboration avec Reuge, prix sur demande, www.mbandf.com The Martin JetPack, prix sur demande, www.martinjetpack.com Elle tire son nom du messager divin aux pieds ailés. La planète la plus proche du soleil est peut-être aussi la plus geek. 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Collier Atsuko Sano, prix sur demande. www.as-collection.jp Horloge «Syzygy», modèle Phases, design Os & Oos, édition limitée à huit exemplaires, CHF 14750. –. www.osandoos.com Sac «Feathered Square Leather Bag», Lela Scherrer, CHF 966. –. www.lelascherrer.com Montre «Dark Side of the Moon», Omega Speedmaster en céramique noire, CHF 10800. –. Parfum «La Vierge de fer», Serge Lutens, CHF 175. – le flacon de 75 ml. fr.sergelutens.com «Silent Machine», service à thé, design Eunjae Lee, CHF 500. –. eunjaelee.kr Vernis «Vendetta», Chanel, CHF 35. –. Boucles d’oreilles de la collection «Mistero», or rose et améthystes. De Grisogono, prix sur demande. Lampe «Appolo», design Yeffet & Koldova pour La Chance, prix sur demande. www.lachance.fr 78 Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013 Luxe Depuis l’exclusion de Pluton du système solaire, elle ferme la marche planétaire avant le grand vide intersidéral. Associé au dieu des océans, Neptune la pure est un astre nature. Gants en cuir John Lobb, CHF 550. –. Sac Chelsea-Camouflage Rhum Numéro 10, CHF 1230.chez Ma Vie sur Mars à Genève. www.maviesurmars.com Collier LauClem Bijoux, à partir de CHF 600.- chez Paradigme à Genève. www.boutiqueparadigme.ch Tapis Monarch Fire, design Alexander McQueen pour The Rugs Company, CHF 2800.-/m2, www.therugcompany.com Eau de parfum «Plum japonais». Tom Ford Beauty, CHF 360.le vaporisateur de 50 ml. Montre PR516 Extreme, Tissot, CHF 1325. –. Manchettes cuir et métal, design Code 43, CHF 155.- chez Code 43 à Carouge. www.code43.ch Montre Tourbillon Boucheron en collaboration avec Cypris, prix sur demande. Gant «Bambi», FST, CHF 60.chez Ma vie sur Mars à Genève. Boucles d’oreilles de la collection «Lacrima». Bucherer, CHF 6900.- « Une goutte de N°5, et rien d’autre » N°5 ET MARILYN MONROE INSIDE-CHANEL.COM