Hors-Série Luxe - Le Temps Media

Transcription

Hors-Série Luxe - Le Temps Media
BUONOMO & COMETTI
Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Mercredi 4 décembre 2013
LUXE
Aure Atika
la sublime
Enchantements
d’un hiver
2
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
ÉDITO
Ilétaitunefois…
SOMMAIRE
C’est un peu brutal comme question,
oui, je sais. Mais ce numéro tout entier est traversé par cette interrogation, alors autant plonger tout de
suite dans le vif du sujet.
Le luxe, oui, bien sûr. Mais pour qui,
pour quoi? Qu’est-ce qui anime ceux
qui font? Qu’est-ce qui provoque le
désir chez ceux qui achètent ce que
les autres auront fait? Qu’est-ce qui
émeut ceux qui admirent ce qui aura
été fait, parce que l’acte d’achat n’est
pas une fin en soi?
On peut être l’artisan le plus talentueux de tous les temps, si une création ne parvient pas à toucher l’âme
de l’enfant qui sommeille à l’intérieur des hommes et des femmes de
ce temps, à quoi bon? On peut jouir
de toute la fortune du monde, si l’on
n’a plus de rêve, si plus rien ne relève
de l’inaccessible, à quoi cela sert-il?
«Avec les clients fortunés, il n’est pas
question de parler d’argent, il faut
juste les faire rêver», confie Geoffroy
Ader, l’expert horloger de Sotheby’s
(p. 18). Il a dit cela dans un contexte
particulier: il était question de ces
montres qui réveillent les passions
enfantines, ces «toys for boys» qui
donnent à celui qui les achète le sentiment de s’approprier une portion
du pouvoir d’un héros, d’un Felix
Baumgartner, d’un James Bond, d’un
Cousteau…
Mais fortune ou pas, le rêve est le
seul moteur de ce numéro. Ses pages
sont autant d’invitations à la rêverie,
une suite d’aspirations et de fantasmes. On y découvre des histoires insolites, des destins extraordinaires,
et pourtant bien réels.
Il y a, par exemple, l’histoire de ce
grand marchand de joaillerie newyorkais, le plus respecté du milieu,
Lee Siegelson, qui a la perfection
La belle actrice Aure Atika nous a
fait l’honneur de poser pour notre
portfolio en page10.
On pourra la découvrir sur les
écrans le 18 décembre, dans Nesma,
un film tunisien d’Homeida Behi.
On la verra également dans
Deux temps trois mouvements de
Christophe Cousin en janvier 2014,
et dans Avis de mistral, de
Rose Bosch.
Elle tourne actuellement le film
Papa was not a Rolling Stone
de Sylvie Ohayon, produit
par Pathé, et la saison 2 des Hommes
de l’ombre, une série télévisée sur
les coulisses du pouvoir français,
qui sera diffusée sur France 2.
Rencontre avec Lee Siegelson, le plus grand marchand
de pierres précieuses et de joyaux anciens.
Au-delà du réel
Des objets qui n’existent pas, mais qui font déjà rêver.
Par Emmanuel Grandjean
DR
10
18 Toys for boys
Portfolio
Portrait of a Lady avec Aure Atika
Réalisation: Isabelle Cerboneschi
Photographies et stylisme: Buonomo & Cometti
18
Toys for boys
Ces montres qui sont l’objet des passions masculines.
Par Vincent Daveau et Isabelle Cerboneschi
20
24 Targa Florio
A l’école du luxe
Cinq diplômés de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne
livrent leur vision sur les métiers du secteur.
Par Emmanuel Grandjean
24
Le clan des Siciliens
Récit, au volant d’une Ferrari, de l’hommage du Cheval
cabré à la plus vieille course automobile du monde.
Par Pierre Chambonnet
28
Aubazine, là où tout a commencé
Comment l’architecture cistercienne a inspiré les codes
de la maison Chanel. Reportage.
Par Isabelle Cerboneschi
33
Portfolio
Fées d’hiver
Réalisation, photographies et stylisme: Buonomo & Cometti
42
Yiqinq Yin, à fleur d’âme
La couturière raconte des histoires non pas avec des mots,
mais avec des plis et des drapés. Interview exclusive.
Par Isabelle Cerboneschi
44
28 Aux sources de Chanel
Retour vers le futur
Sélection de produits high-tech au look discret,
avec une touche «vintage» en plus.
Par Mehdi Atmani
46
Conte d’hiver
Un siècle pour épouser un prince. Les confidences d’une
robe de dentelle blanche qui aurait appartenu à Mata Hari.
Par Isabelle Cerboneschi
50
Le parfum au fil des pages
Comment mettre romans et écrivains en flacons.
Par Valérie D’Hérin
54
Duff Goldman, sculpteur sur glaçage
Rencontre avec le roi de la pâtisserie outre-Atlantique.
Par Catherine Cochard
58
Le manège enchanteur
A la découverte d’un univers onirique en plein Paris.
Par Eva Bensard
60 La passion du rhum
Il y a des rêves, des histoires.
Il était tellement de fois…
L’actrice Aure Atika porte une bague
haute joaillerie en or blanc ornée
d’une émeraude forme coussin
taillée «takhti» de 26,54 carats
sertie de rubis forme cabochon et
pavée de diamants et bracelet en or
rose et opale serti d’améthystes
(333,45 carats), d’émeraudes, de
rubellites et pavé de diamants. Le
tout Bulgari.
Portfolio 1 Portrait of a Lady
Guest star Aure Atika
Réalisation Isabelle Cerboneschi
Photographies et stylisme
Buonomo & Cometti
Make-up Régine Bedot, agence
Marie-France Thavonekham
Coiffure Stéphane Bodin, agence
Marie-France Thavonekham
Assistant Robert Liptak
8
PIERRE CHAMBONNET
Qu’avez-vous fait de vos rêves
d’enfant?
Chasseur de trésors
Par Isabelle Cerboneschi
ISABELLE CERBONESCHI
Par Isabelle Cerboneschi
comme obsession, et qui espère
sans doute ne jamais atteindre son
Graal. (p. 4)
Il y a les rêves éveillés de ces designers qui rêvent demain comme on
chante, et qui nous voient déjà voyager dans la stratosphère en ballon.
(p. 8)
Il y a les visions des étudiants de
l’ECAL pour un luxe à venir. (p. 20)
Il y a la folle équipée de ces grands
enfants gâtés qui disputent la «Targa
Florio», cette course mythique en Sicile où tous les dépassements sont
permis, surtout les dépassements de
limite de vitesse, à bord de leur Ferrari. (p. 24)
Il y a la légende de ce monastère de
Corrèze, autrefois un orphelinat, qui
serait resté inconnu si l’une de ses
pensionnaires, nommée Gabrielle
Chanel, n’y avait pas été abandonnée
par son père et ne s’était pas inspirée
de cette architecture cistercienne
pour créer les codes de sa maison,
qui a 100 ans cette année. (p. 28)
Il y a l’histoire de la couturière
Yiqing Yin, qui crée des robes
comme des carapaces immatérielles
qui l’aident à conjurer son histoire
d’enfant déracinée de la manière la
plus poétique qui soit. (p. 42)
Il y a les désirs de ces enfants nés à la
croisée de deux siècles, rêvant de ces
objets high-tech qui les font entrer
dans le futur, tout en les maintenant
dans l’illusion du passé. (p. 44)
Il y a le conte de cette robe qui aurait
appartenu – le saura-t-on jamais? – à
Mata Hari, passée entre des mains
diverses pour arriver enfin entre celles d’une princesse qui en a fait sa
robe de mariée. (p. 46)
Il y a les histoires, toutes les histoires
racontées par les parfums qui sentent l’encre et évoquent des personnages ayant existé, ou pas, quelle importance? (p. 50)
Il y a la trajectoire de Duff Goldman,
ce sculpteur devenu pâtissier,
qui réalise les rêves plus grands
que nature des grands enfants de
Los Angeles. (p. 54)
Il y a ce musée des arts forains où l’on
peut s’adonner à l’oubli de soi, prendre l’enfant que l’on a été par la main
et abandonner les fardeaux de la
vraie vie à l’entrée. (p. 58)
Il y a l’histoire du rhum, boisson de
pauvres hères et de marins jusqu’à la
fin du XIXe siècle, et qui est en train
de supplanter le whisky sur les grandes tables. (p. 60)
Il y a le beau destin de ce quarantenaire savoyard, qui est parti à Paris et
en est revenu afin de transformer de
ses mains une vieille ferme en chalet
de ses rêves, où le mot luxe se susurre. Un acte fondateur qui lui a
permis de réparer sa propre histoire
et se réinventer. (p. 62).
DR
FRÉDÉRIC LUCA LANDI
4
On attend également la sortie de
Rebecca Gomez sur France 2.
C’est après avoir vu son interprétation de la reine Isabelle de France,
dans la mini-série Un Monde sans fin,
produite par Ridley Scott, que nous
avons eu envie de lui demander
d’incarner ces femmes dans toute la
puissance de leur féminité.
Elle illumine de sa beauté notre
portfolio «Portrait of a Lady».
I. Ce.
60
Tous les chemins mènent au rhum
Plongée dans l’univers aromatique de l’alcool tropical.
Par Manuella Magnin
62
Ecrin rupestre
La ferme d’alpage qui se rêvait chalet de luxe.
Par Géraldine Schönenberg
65
Cadeaux
Chics planètes
Par Emmanuel Grandjean. Illustrations: Xénia Laffely
Iris van Herpen haute couture.
Collier haute joaillerie «Rayons
précieux» en saphirs jaunes, grenats
Mandarin et diamants de la collection «Pierres de Caractère Variations», Van Cleef & Arpels
Lary: robe longue brodée, bracelets
manchettes et escarpins de la
collection automne-hiver 20132014 Armani Privé
Editeur
Le Temps SA
Place Cornavin 3
CH – 1201 Genève
Président du conseil
d’administration
Stéphane Garelli
Directrice générale
Valérie Boagno
Rédacteur en chef
Pierre Veya
Rédactrice en chef
déléguée aux hors-séries
Isabelle Cerboneschi
Portfolio 2 Fées d’hiver
Réalisation, photographies et
stylisme Buonomo & Cometti
Make-up et coiffure
Mina Matsumura
Mannequins Nika Cole
IMG Models, Paris Lary Arcanjo
Next Models Management, Paris
Assistant Robbie Liptak
Nika: robe en silicone découpée au
laser, collection «Beyond Wilderness» automne-hiver 2013-2014
Rédacteurs
Mehdi Atmani
Eva Bensard
Pierre Chambonnet
Catherine Cochard
Vincent Daveau
Valérie d’Hérin
Emmanuel Grandjean
Manuella Magnin
Géraldine Schönenberg
Assistante de production
Géraldine Schönenberg
Traduction
Dominique Rossborough
Photographies
Véronique Botteron
Buonomo & Cometti
Pierre Chambonnet
Sylvie Roche
Illustratrice
Xénia Laffely
Responsable production
Nicolas Gressot
Réalisation, graphisme,
photolitho
Cyril Domon
Christine Immelé
Mathieu de Montmollin
Correction
Samira Payot
Conception maquette
Bontron & Co SA
Internet
www.letemps.ch
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Bague Haute Joaillerie
Genève - 35, rue du Rhône - 022 818 54 54
4
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
HAUTE JOAILLERIE
LEESIEGELSON,
chasseurdetrésors
SIEGELSON
Il est le plus respecté de tous les marchands de pierres précieuses et de haute joaillerie.
Lee Siegelson ne se contente pas de collectionner les plus grands noms de la joaillerie.
Il est en quête des plus belles pièces, celles qui ont marqué un tournant dans l’histoire des maisons.
Rencontre. Par Isabelle Cerboneschi PARIS
L
e nom de Siegelson est un
signe de reconnaissance
discret dans le monde de
la haute joaillerie. Il y a
ceux qui savent, et les
autres. Mais ceux qui le
connaissent s’accordent tous à
dire que Lee Siegelson est actuellement le plus grand marchand
de pierres précieuses et de joyaux
anciens.
Il est né au milieu des bijoux et
des pierres, mais cela n’a jamais
été un vaccin contre le manque de
goût. Son goût, il l’a façonné. Il
relève de l’acquis plus que de l’innée. La maison existe depuis environ cent ans à New York et Lee
Siegelson représente la troisième
génération. «J’ai commencé à travailler en 1992, mon père est décédé en 1994 et j’ai repris la tête de
l’entreprise à ce moment-là. Je n’y
connaissais rien. Depuis, j’ai forgé
ma propre voie, trouvé mon chemin, achetant ce qui me plaît.»
Des bijoux où règne l’équilibre en
toute chose, l’alliance parfaite entre le design et la réalisation, l’adéquation des pierres et de la techni-
que. Le prix n’est pas un critère
déterminant, ce qui est paradoxal
chez un marchand. Lee Siegelson
parle de ses bijoux comme le ferait un conteur et on se laisse emporter par ses histoires.
Si les joyaux l’entourent, luimême n’en porte pas. Pas même
une montre: «Je suis banalement
l’archétype du joaillier qui n’est
pas capable de faire réparer sa
montre, ou qui la laisse dans son
tiroir parce que le bracelet est
cassé, bref, je suis sujet aux mêmes
problèmes que tout le monde.»
Tout le monde, peut-être pas. Il
n’est pas donné à tout le monde
d’apercevoir ne serait-ce qu’une
fois dans sa vie un collier ayant
appartenu à la duchesse de
Windsor, d’acquérir la bague en
cristal de roche sertie d’un diamant que Suzanne Belperron
avait dessinée pour elle-même,
d’avoir possédé la Rose Vanderbilt, merveilleuse broche historique ayant appartenu à Mathilde
Bonaparte.
> Suite en page 6
Lee Siegelson: «Ce qui compte,
lorsque vous tenez un bijou, que vous
le soulevez et le regardez, c’est l’émotion. Vous bouleverse-t-il ou pas?
Le porteriez-vous? Aimeriez-vous le
posséder? Là est toute la question…»
www.dior.com
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
Collier Art déco en émeraudes
gravées, saphirs et diamants,
Cartier Paris, 1925, en provenance
de la collection Lillian S. Timken.
> Suite de la page 4
Le Temps: Votre travail est une
chasse au trésor. Que chassezvous?
Lee Siegelson: Quel que soit son
domaine de prédilection, un
collectionneur doit se donner les
moyens d’acheter ce qu’il considère comme être le meilleur sur
le marché. Le caractère unique
d’une pièce, sa perfection, voilà ce
que je recherche. Sachant que
c’est une notion subjective. J’essaie de trouver les plus beaux
bijoux que des maisons comme
Cartier, Van Cleef & Arpels, Boucheron, Bulgari ont pu créer au fil
du temps. Des pièces signées de
grands designers, des joyaux qui
ont marqué un tournant dans
l’histoire de ces sociétés, qui ont
rompu avec les traditions. Prenez
un bijou de Suzanne Belperron,
par exemple. Son style était sa
signature. Aujourd’hui, tout le
monde adore, mais on oublie
qu’à l’époque certains trouvaient
son travail révoltant. Seuls quelques initiés, des collectionneurs
comme la duchesse de Windsor,
ou Daisy Fellowes notamment,
ont compris son travail. La fortune et le goût ne vont pas toujours de pair. Elles, elles avaient
les deux.
Comment reconnaît-on une pièce
qui a le potentiel de marquer un
tournant dans l’histoire de la haute
joaillerie?
Celles qui ont été créées sans
aucun compromis, comme n’importe quel chef-d’œuvre. On se
trouve face à la forme la plus pure
que l’on ait pu imaginer. Tout est
intentionnel, aucune erreur n’a
été commise. Plus vous regardez
l’objet, plus vous comprenez
pourquoi le créateur a choisi
cette sélection particulière de
pierres, pourquoi et comment le
joaillier l’a fabriqué. C’est ce
niveau-là de réalisation que je
souhaite acquérir et offrir. Je n’ai
pas d’autre échelle de valeur. Ce
n’est pas une question de prix:
toutes mes pièces sont au même
niveau, qu’elles valent des millions ou des milliers de dollars.
Prenez cette manchette de Cartier
(ci-dessous) confectionnée dans
les années 30: même si elle n’est
pas sertie, vous ressentez la puissance du design. Ce bracelet
pourrait avoir été créé
aujourd’hui: il est intemporel et
passe le test du temps.
Si je comprends bien votre démarche, les bijoux que vous exposez ne
disent pas «je coûte cher» mais «je
suis beau», tout simplement?
Exactement. C’est en cela que
mon approche est différente. En
ce qui concerne les bijoux anciens, les acheteurs aimeraient
posséder une formule magique
afin de savoir ce qui doit être
acheté ou pas. Ainsi, ils pourraient décider, par exemple, de
n’acquérir que des pièces signées
Cartier dans les années 19201930. Or, même si la créativité de
la maison à cette époque fut
extraordinaire, il est des pièces, si
je ne vous dis pas qui les a faites,
que vous ne regarderiez même
pas.
Quels critères retenez-vous alors?
Ce qu’il faut retenir, ce sont des
bijoux où se conjuguent à la fois
un design extraordinaire, un
l’artisan pour créer une œuvre. Or
ce n’est pas votre problème. Tout
ce qui compte, finalement, ce
n’est pas de savoir s’il a travaillé
un an pour créer un objet mais si
celui-ci est beau!
merveilleux savoir-faire – les
solutions techniques trouvées
pour articuler la pièce, pour la
sertir – et un parfait sens des
proportions. La proportion est
essentielle. L’émotion aussi. A
cette époque, les joailliers travaillaient main dans la main avec
les designers. Ils formaient de
véritables équipes en quête de
perfection, à la fois dans les proportions et dans la sensibilité. Ils
ont un attrait particulier. On se
rend compte qu’elles transgressent les règles de la bijouterie de
notre temps, les proportions sont
différentes, mais de manière
intangible. C’est là que résidait le
génie français de l’époque. L’artisan et son sens des proportions
ont donné son âme à la pièce. Ce
sont des valeurs sous-estimées;
aujourd’hui, au lieu de vous
parler d’émotion, on vous explique combien de temps il a fallu à
Vous trouvez que cette sensibilité
chez les joailliers français de la
première partie du XXe siècle s’est
perdue au fil des décennies?
Les Français avaient une sensibilité, une délicatesse, un goût, un
sens des proportions et un savoirfaire qui faisaient la différence, ce
qui aujourd’hui est difficile à
retrouver. Il régnait à Paris une
atmosphère, une esthétique
particulières. Il y a eu des pièces
magnifiques fabriquées chez
Cartier à New York, par exemple,
mais elles n’étaient pas comparables à celles fabriquées chez
Cartier à Paris.
Lors de la dernière Biennale des
antiquaires, à Paris, l’an passé,
vous avez pourtant dédié une
vitrine entière au joaillier américain
Paul Flato.
Cet exemple est parlant. Regardez ce bijou (photo p. 7 en bas),
je pense que c’est l’une des pièces
les plus importantes du design
américain du XXe siècle. Elle
incarne Hollywood. Elle a été
conçue pour Linda Porter, la
femme de Cole Porter. Paul Flato
était surnommé «le joaillier des
stars». Dans les années 1935 à
1940, toutes les stars achetaient
des bijoux avec sa signature. Elles
sortaient en société, arborant
leurs propres parures, se faisaient photographier en les
achetant, elles les aimaient tellement qu’elles les portaient sur les
plateaux de tournage. De nos
jours, les stars sur les tapis rouges portent des bijoux qui ne
leur appartiennent pas. Elles ne
les portent pas parce qu’elles les
aiment, mais parce qu’on les a
payées pour cela, ou parce qu’on
les leur a prêtés. Contrairement
aux actrices du temps de Paul
Flato qui savaient que leur collection allait être auscultée, scrutée,
commentée, et qui adoraient les
porter.
En parlant d’actrice qui aimait ses
bijoux, étiez-vous présent à la
vente aux enchères de ceux d’Elizabeth Taylor en décembre 2011?
Oui, j’y étais. Cette vente était un
événement. Elizabeth Taylor avait
collectionné et amassé tellement
de joyaux! Elle vivait une histoire
d’amour avec ses bijoux. Les lots
sont partis à des prix exorbitants.
Je dois avouer que les années
1960-1970 ne sont pas ma période favorite en joaillerie. Pour
moi, ce qui compte avant tout,
c’est le design. La provenance
vient en second. Bulgari a racheté
des pièces, comme l’a fait Cartier.
Pour ces maisons, c’était aussi
une manière de prouver à leurs
clients que le bijou qu’ils achètent aujourd’hui passera le test
du temps, comme toutes les
autres pièces de la maison avant
elles. Mais dans 50 ans, les joyaux
créés aujourd’hui auront-ils leur
place dans les salons, les ventes
aux enchères? Toute prédiction
est délicate…
On peut ne pas être du métier et
comprendre que l’on se trouve
devant une pièce exceptionnelle,
lorsque cela nous arrive.
Oui, on le ressent. Regardez ce
collier (ci-dessous), il ne s’agit
que de trois grosses pierres. Son
histoire a commencé quand
quelqu’un les a posées sur une
table et a décidé de placer celle-là
ici, cette autre là, et la dernière
comme ça. Même si je passais une
journée entière à chercher une
autre configuration, je sais que je
ne trouverais pas. C’est comme un
chef-d’œuvre d’architecture. Je
vous montre cette pièce, car il
s’agit d’un simple collier avec
trois pierres, mais la composition
est élégante, la forme des pierres
est magnifique, leur couleur est
puissante, la proportion est harmonieuse, l’exécution est parfaite. Or de nos jours, certaines
personnes sont prêtes à dépenser
des millions pour une pièce qui
viole ces principes. Pourtant,
même quand on achète un bijou
pour sa valeur d’investissement,
au final, celui-ci devra bien être
porté. Si une pierre de valeur peut
indiquer le niveau du compte en
banque de son propriétaire, elle
ne dit rien de son goût, de son
style ou de son élégance.
Bague en platine sertie
d’un diamant Golconda
de 33,03 carats.
Siegelson.
Bracelet art moderne en argent
et or Cartier, 1930.
Sautoir Art déco aiguesmarines, saphirs et diamants,
Cartier Londres 1929.
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Le MET accueille les joyaux de JAR
Vous est-il arrivé de regretter
d’avoir vendu un bijou?
Oui, une pièce en particulier… Il
m’est aussi arrivé de regretter un
bijou parce que j’aimais l’admirer
ou parce que j’étais fier de
posséder cette pièce rare et
d’avoir la chance de l’exposer.
Mais avant tout, je suis un
marchand de pierres et de
joaillerie, je ne suis pas un musée.
Vendre, c’est mon métier.
Vous parlez d’un bijou en particulier. Puis-je vous demander lequel?
La Rose Vanderbilt. Une broche en
diamants que Theodore Fester
avait créée en 1855 pour la princesse Mathilde Bonaparte. La
collection de cette dernière est
réapparue sur le marché en 1902.
Cette broche en forme de rose,
presque de la taille d’une main,
est sertie de diamants taille rose
provenant d’une ancienne mine
du Brésil. Au XIXe siècle, des
fleurs, tous les joailliers en faisaient. Mais, à mes yeux, celle-ci
est la plus belle jamais créée. C’est
une pièce qui devrait être au
Louvre. J’aurais dû la racheter. Ce
n’est qu’après m’en être séparé que
j’ai réalisé ce qu’elle représentait…
Existe-t-il un joaillier contemporain
dont les créations aient ce pouvoir
de «passer le test du temps»,
comme vous dites?
Oui, Joël Rosenthal (lire cicontre). Peu importe que vous
aimiez chacune de ses créations.
Il y a dans ses bijoux une telle
sensibilité! Je sais que nous continuerons à les regarder dans
50 ans. La première fois que j’ai
rencontré Joël Rosenthal, j’avais
24 ans: je lui ai serré la main, il
m’a dit qui il était et m’a invité à
venir le rencontrer, je ne savais
même pas à qui j’avais affaire. J’ai
sonné à sa porte et quand il m’a
reçu, il a déposé quelque chose
PH
entre mes mains. Là, immédiatement, j’ai été frappé par l’esthétique hors du commun de cet
objet. C’est de loin l’homme qui a
le plus influencé les créateurs
contemporains.
De tous les bijoux qui sont passés
entre vos mains, y en a-t-il un qui
ait provoqué une émotion
particulière?
En 1960, la collection d’une héritière américaine, Lillian S. Timken, a été mise en vente par ParkeBernet (la galerie a été rachetée
en 1964 par Sotheby’s, ndlr).
Cette femme possédait ce que j’ai
toujours considéré comme la plus
belle collection de bijoux Art
déco qui soit. En consultant le
catalogue original de cette vente,
page après page, que ce soient des
bijoux de Cartier, de Chaumet, de
Van Cleef & Arpels, de Boucheron,
ou des pierres elles-mêmes, j’étais
confronté à tout ce que je recherchais, tout ce dont je rêvais en
termes d’esthétisme. Un collier,
en particulier, avait attiré mon
attention. J’en avais même utilisé
la photo comme fond d’écran. Il
faisait partie de ma vie quotidienne. Puis, un jour, quelqu’un
m’a contacté pour me dire qu’il
avait un collier Cartier à me montrer. Il est venu avec une simple
diapositive. Dès que j’ai mis
l’image devant la lumière, j’ai vu
qu’il s’agissait du collier de mon
fond d’écran. Je l’ai acheté sans
même demander à voir le bijou
original. J’avais évidemment une
grande confiance en la personne
qui me le présentait. Pour moi, ce
collier représente le meilleur de
cette période. Toutes les maisons
ont été influencées par les pays où
elles étaient implantées, Cartier a
merveilleusement su s’imprégner
de la culture indienne et l’incorporer dans une esthétique française.
JOZSEF TARI/COURTESY OF JAR, PARIS
Votre compagnie existe depuis une
centaine d’années. Autrefois, les
maisons comme Cartier ou Bulgari,
par exemple, ne rachetaient pas
leurs propres créations pour enrichir leur collection privée. C’est un
phénomène nouveau, et une nouvelle forme de concurrence. Le
marché est-il devenu plus difficile?
Parfois nous recherchons les
mêmes choses, parfois non. Ce
qui est passionnant avec Cartier,
c’est qu’ils ont réussi à bâtir la
meilleure collection possible.
Cette maison, plus qu’aucune
autre, est parvenue à retracer son
histoire à travers des pièces exceptionnelles, mais bien précises.
Ils comblent les manques petit à
petit, au fil du temps. Il leur arrive
de refuser une pièce magnifique
parce que cela ne correspond pas
à leur priorité. Laissant aux marchands comme moi une superbe
opportunité d’achat.
Joël Arthur Rosenthal est le
joaillier le plus influent et le plus
discret qui soit. Le Metropolitan Museum of Art lui dédie
une exposition. Un événement.
JAR, trois lettres seulement
pour celui qui est considéré
comme le plus grand des
joailliers de notre époque. Deux
consonnes et une voyelle que
tous les collectionneurs et les
passionnés de haute joaillerie
prononcent comme s’il s’agissait d’un code secret leur permettant de reconnaître les initiés. JAR pour Joël Arthur
Rosenthal.
L’homme est né dans le
Bronx, mais a su en sortir. Il a
étudié l’histoire de l’art et la philosophie à Harvard, puis en
1966 est arrivé à Paris. C’est là
qu’il a rencontré son alter ego,
Pierre Jeannet, avec qui il a
écumé les antiquaires, les musées, les galeries d’art et ouvert
sa première boutique de broderie rue de l’Université. Mais
peindre des fleurs sur des canevas ne lui suffisait pas: il voulait
les dessiner avec des pierres
précieuses. La boutique n’aura
vécu que onze mois.
En 1976, Joël Rosenthal retourne à New York où il travaille
pour Bulgari. Mais il revient à
Paris en 1978 avec une seule
idée en tête: ouvrir sa propre
maison sous ses initiales: JAR. Il
s’installe place Vendôme. La
particularité de sa boutique,
c’est qu’on doit la connaître
pour la reconnaître. Pas de bijoux en vitrine. Pas d’enseigne.
Rien. Il faut sonner et si l’on a la
chance d’être reconnu, on peut
entrer. Quant à pouvoir acheter
une pièce, c’est encore une
autre aventure. Joël Rosenthal
est l’homme le plus libre du
monde. Il s’est offert le luxe de
choisir depuis la première
PUBLICITÉ
Quelles qualités un bijou doit-il
posséder pour vous émouvoir?
Un bijou peut avoir la bonne
provenance, avoir été fabriqué
par un artiste connu, la technique
peut être intéressante, le matériau peut avoir été utilisé de
manière originale, mais, au final,
il peut tout simplement ne pas
être beau! C’est pour cela qu’il
n’existe pas de formule magique.
Ce qui compte, lorsque vous
tenez la pièce, que vous la soulevez et la regardez, c’est l’émotion.
Ce bijou vous bouleverse-t-il ou
pas? Le porteriez-vous? Aimeriezvous le posséder? Là est toute la
question…
Retranscription et traduction:
Dominique Rossborough
OT
OS
: SI
EG
ELS
O
N
Villeret Collection
Collier en forme de ceinture
pavé d’aigues-marines
et de rubis, dessiné par le
duc Fulco di Verdura pour
Paul Flato, New York, 1935.
BLANCPAIN BOUTIQUES
RUE DU RHÔNE 40 · 1204 GENEVA · TEL. +41 (0)22 312 59 39
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www.blancpain.com
pierre jusqu’à la femme qui portera le bijou.
Une fois à l’intérieur, c’est ici,
dans une petite pièce sombre,
que l’on découvre l’art de JAR.
Le maître de maison ne supporte guère les commentaires,
surtout s’ils sont élogieux. Alors
on regarde en silence. Joël Rosenthal est un peintre dont les
multiples touches de couleurs
seraient des pierres précieuses
ou fines. Ses roses semblent
avoir éclos, là, juste sous nos
yeux, ses papillons vont sans
doute s’envoler si l’on n’y prend
garde. La nature sous ses doigts
est à la fois magnifiée et respectée pour ce qu’elle a de plus magique. Aucune matière ne lui fait
peur. Il a réintroduit l’argent
noirci dans la haute joaillerie, il
use du platine ou de l’aluminium
indifféremment.
C’est la première fois que le
Met accueille un designer de
haute joaillerie vivant. Au total:
400 pièces sont présentées. Un
événement à la hauteur du talent
decemagiciendescouleurs.I.Ce.
Jewels by Jar, Metropolitan
Museum of Art, New York,
jusqu’au 9 mars 2014.
www.metmuseum.org
7
8
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
> En ballon au-dessus du monde
PHOTOS: DR
Contempler la planète bleue depuis la stratosphère. Et
fuir dans l’espace intersidéral notre quotidien parfois
sidérant. C’est le space trip que propose une start-up de
l’Arizona. World View promet d’embarquer dans trois ans
ses premiers passagers à bord d’un caisson panoramique
accroché à un gigantesque ballon rempli d’hélium. L’ascenseur des étoiles s’arrêtera à 30 kilomètres au-dessus
de la Terre, soit deux fois plus haut que le plus élevé des
vols commerciaux. Le voyage aller prendra une heure et
demie, le retour sur le plancher des vaches, entre vingt et
quarante minutes. Une évasion brève mais totale à un
prix quasi d’ami: 75 000 dollars.
www.worldviewexperience.com
FUTUR
Au-delàduréel
Ils n’existent pas encore, mais font déjà rêver. Voici trois véhicules inspirés par la science et la fiction pour
s’évader vers le futur, sur terre, dans l’air où à la surface des mers. Le luxe de demain. Par Emmanuel Grandjean
> En super-yacht à la surface de l’océan
Le mariage improbable entre du
microplancton et un squale géant?
Un Nautilus revisité, à la fois fuselé
comme un bolide des mers et blindé
comme la barrière de corail? Les super-yachts imaginés par Zaha Hadid
empruntent à tout cela: à l’océan, à la
vitesse et à l’imaginaire de Jules
Verne. Créée pour l’armateur allemand Blohm + Voss, cette collection
de cinq bateaux baptisée «Unique
Circle» porte la griffe de l’architecte
anglo-irakienne. Un style typique qui
assume son goût pour les lignes organiques, les looks d’ovni futuriste et
cette esthétique d’archiluxe parfois
critiquable. Destinée aux très grosses fortunes, cette flotte complètement personnalisable prendra la mer
d’ici à deux ans. L’architecture navale
élevée au rang des beaux-arts.
www.blohmvossyachts.com
> En voiture-lumière
sur les routes du futur
Ross Lovegrove imagine le futur. C’est son boulot de designer visionnaire. Sa première collaboration avec le fabricant automobile Renault
débouche donc sur un véhicule probable, mais pas impossible. Le
constructeur français, qui vise le marché des véhicules électriques a
laissé au Britannique le soin de customiser sa Twin’z. Lovergrove en a
fait une voiture-lumière, dont l’intérieur et l’extérieur brillent comme
ces poissons des hauts fonds. Un concept car ludique et artistique dont
la couleur bleu intense rappelle celle du peintre Yves Klein et ses
enjoliveurs végétaux qu’une auto zéro pétrole roule pour la nature.
www.rosslovegrove.com/renault
THERE ARE EXCEPTIONS
TO EVERY RULE.
CHAQUE RÈGLE A SON EXCEPTION.
ROYAL OAK
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DE DIAMANTS.
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MONTRES PRESTIGE, GRAND HOTEL KEMPINSKI
TEL: +41 22 732 83 00
10
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Portrait
ofalady
Réalisation
Isabelle Cerboneschi
Photographies et stylisme
Buonomo & Cometti
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
PORTFOLIO
Page de gauche.
L’actrice Aure Atika porte un ensemble Petrus Christus
composé d’un pourpoint à basque en mosaïque
de dentelles rebrodées et de guipures de Solstiss
ainsi que des cuissardes maison en fine faille de soie
appliquées de dentelles rebrodées et guipures et voile en
dentelle de Lyon noire, collection automne-hiver 20132014 Franck Sorbier haute couture. Collier haute joaillerie
en platine serti d’une tourmaline de 63,85 carats, d’une
perle naturelle, d’onyx et de diamants, Cartier.
Collier et bague Fleur du Jour, collection
«Hôtel de la Lumière», en or blanc serti
de diamants avec broche détachable
en or blanc serti de tourmalines, de diamants
et de saphirs roses, Boucheron.
11
12
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
PORTFOLIO
Long fourreau Madame Georges Hugo en crêpe
avec décolleté en collerette de volants
d’organza et tulles plissés et effrangés,
collection automne-hiver 2013-2014
Alexis Mabille haute couture.
Collier et boucles d’oreilles haute joaillerie
de la collection «Red Carpet 2013» en or blanc
et jaune serti de spinelles cabochons
(120,5 carats), de tsavorites et de diamants
de couleurs, Chopard.
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TONDA 1950
Or rose serti de diamants
Mouvement automatique
extra-plat
Bracelet veau Hermès
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STUDIO PARMIGIANI GSTAAD
ASCONA GIOIELLI-OROLOGI HERSCHMANN | BASEL GÜBELIN | BERN GÜBELIN | CRANS-MONTANA L’ATELIER DU TEMPS
GENÈVE AIR WATCH CENTER, BENOIT DE GORSKI, GÜBELIN | INTERLAKEN KIRCHHOFER
KLOSTERS MAISSEN | LAUSANNE GUILLARD | LUGANO GÜBELIN | LUZERN GÜBELIN | MONTREUX ZBINDEN
NEUCHÂTEL BONNET | ST. MORITZ GÜBELIN | VILLARS-SUR-OLLON BRÄNDLI CREATION & CO
ZERMATT HAUTE HORLOGERIE SCHINDLER | ZÜRICH GÜBELIN, ZEIT ZONE
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
PORTFOLIO
Robe longue bleu saphir brodée de pierres et de paillettes, collection
automne-hiver 2013-2014 Elie Saab haute couture. Sur l’index,
bague Liens Haute Joaillerie en or blanc, sertie de diamants taille
brillant, d’un saphir taille coussin de 10,69 carats et de saphirs taille
triangle, Chaumet; sur l’auriculaire, bague Flashforward en or blanc
sertie d’une tourmaline de 8, 83 carats, de diamants, de saphirs bleu
clair, de saphirs bleu marine et de tourmalines Paraïba, haute joaillerie
Louis Vuitton. Sur le majeur, bague Liens Haute Joaillerie en or blanc
sertie d’un saphir taille émeraude (10,81 carats) entouré de diamants
baguettes et pavée de diamants et de saphirs, Chaumet.
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
PORTFOLIO
Collier Luda en or blanc serti de diamants taille brillant et poire,
et d’un cabochon d’émeraude de Zambie Gemfields de
21,37 carats; bague Emeraude Cabochon Dévotion en platine
sertie de diamants taille brillant et d’un cabochon d’émeraude
de Zambie Gemfields de 15,65 carats. Le tout Fabergé.
15
* Haute Technologie
Montre en céramique high-tech*. Complication phase de lune avec compteur en aventurine.
Mouvement mécanique à remontage automatique. Réserve de marche 42 heures.
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18
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
Zenith El Primero Stratos Flyback
Striking 10th. Tribute to Felix
Baumgartner. Boîtier acier. Calibre
chronographe automatique.
ZENITH
Louis Vuitton Tambour Twin
Chrono. Boîtier or blanc de 45,5 mm
de diamètre. Calibre de manufacture
LV175.
Felix Baumgartner, détenteur d’un record hors norme: un saut en chute libre de 39000 m d’altitude. Il portait à cette occasion une Zenith El Primero Stratos Flyback Striking 10th.
MÉCANIQUES
Toysforboys
TAG Heuer Carrera MikroPendulum. Boîtier titane, 45 mm.
Chronographe au 100e
de seconde régulé par aimants.
Les hommes ont tous rêvé un jour d’être un héros de roman, un astronaute,
un être invincible ou un aventurier. Il suffit de voir les produits proposés par les horlogers
lors des salons pour être convaincu que ces fantasmes demeurent toujours en bonne
place dans leur hypothalamus, au point de représenter un argument de vente imparable.
homme à avoir franchi le mur du
son en chute libre avec sa montre
Zenith El Primero Stratos Flyback
Striking 10th qui vient de gagner
le Prix de la montre sport au
Grand Prix d’horlogerie de Genève 2013. Mais il y a également
eu Steve McQueen avec sa Monaco
de TAG Heuer, ou James Bond, incarné à l’écran par des acteurs
comme Sean Connery ou Daniel
Craig qui portaient respectivement une Rolex Oyster Perpetual
Submariner puis une Omega Seamaster. Ils ont tous laissé une part
d’eux-mêmes dans ces montres.
Quelque chose d’indicible que
l’acquéreur rêve de posséder lui
aussi, comme s’il s’offrait, avec sa
montre, une partie de la panoplie
du héros qu’il rêve secrètement
d’incarner.
La montre comme l’expression du moi profond
Ce phénomène d’appropriation
répond au désir de l’homme
d’être le héros de sa propre histoire. L’accroche de la nouvelle
identité visuelle de Zenith à ce
propos est claire: «Follow your
own star», une façon de dire combien il est essentiel de suivre ses
rêves de grands enfants. Voilà
pourquoi les amateurs de sensations fortes, en quête d’un produit
magnifiant leur virilité en leur
donnant l’impression qu’ils sont
de la trempe des héros, cherchent
à s’approprier un instrument
conforme à leur univers onirique.
Un adulte dont l’enfance aura
été baignée par l’envie de devenir
pilote s’intéressera de façon certaine aux marques ayant des accointances avec cet univers. Il
choisira un chronographe Breitling, une montre Type 20 Zenith
pour le lien qui unie la marque à
Blériot, ou un chronographe Breguet Type XXII si son rêve était de
devenir pilote de chasse. Si le
même adulte a un jour conçu
l’idée d’être astronaute dans sa
jeunesse, il y a toutes les chances
qu’il craque pour un chronographe Speedmaster Moon Watch
Professionnal dont l’utilité véritable a été révélée grâce au film
Apollo 13. Quant aux fans de voitures, ceux qui, enfants, restaient
plantés devant la télévision à regarder les Grands Prix et à lire Michel Vaillant, la bande dessinée de
Jean Graton retraçant l’univers de
l’automobile, ils n’auront d’yeux
que pour des pièces les replongeant dans cet univers.
Lorsque l’on interroge Olivier
Martins – avocat bruxellois et collectionneur – sur ses inclinations
horlogères, il répond qu’il est passionné depuis l’enfance par les
voitures de sport et qu’à ce titre il a
choisi de s’offrir, dès qu’il en a eu
les moyens, un chronographe
Daytona de Rolex. Parce que cette
montre, selon lui, incarne toute sa
passion pour l’automobile et que
«la Daytona de Rolex est à la montre ce que Porsche est à la voiture
de sport». D’autres retiendront le
chronographe Mille Miglia de
Chopard parce que cet instrument, inspiré des voitures de collection, leur rappelle le véhicule
qu’ils bichonnent et sortent dès
les beaux jours. Ou celui qu’ils
rêveraient de posséder dans leur
garage. Et comme le monde est
bien fait, les marques s’arrangent
pour occuper tous les secteurs
susceptibles de toucher au cœur
l’enfant intérieur: du guerrier au
skipper, de l’aventurier au marin,
du cosmonaute au sportif d’élite.
PHO
T
L’
éventail des jouets
pour adultes est immense et comme le relevait très justement
Jean-Frédéric Dufour,
directeur général et
président de Zenith, lors du dernier Salon horloger de Bâle: «Ce
qui différencie véritablement les
adolescents des hommes dans la
force de l’âge tient fondamentalement à la taille et au prix de leurs
jouets.» Il est fort bien placé pour
savoir qu’afin de réussir dans le
secteur horloger, il faut vendre du
rêve. Et la méthode la plus efficace
pour y parvenir est de réveiller
l’enfant qui sommeille dans un
cerveau d’adulte.
«Il existe une vraie différence
d’appréciation chez les consommateurs entre une célébrité et un
héros, poursuit-il: une célébrité,
c’est un grand professionnel dans
son domaine, dont l’aura a une
durée de vie limitée dans le temps.
Tandis qu’un héros, c’est une personnalité destinée à passer les générations et à s’imposer dans les
esprits comme la figure emblématique d’une réussite dans un domaine spécifique.» Une remarque
qui a son importance: quand on
parle de héros, le fantasme à l’origine de l’acte d’achat est encore
plus puissant. Et plus durable.
Des héros qui ont inspiré l’histoire horlogère, il y en a eu pléthore: Cousteau et sa Blancpain
Fifty Fathoms, Sir Edmund Hillary
et la Rolex Explorer, Neil Armstrong et son Omega Speedmaster,
Felix Baumgartner, le premier
OS:
DR
Par Vincent Daveau et Isabelle Cerboneschi
Omega Speedmaster Céramique
Noire. «The Dark Side of the Moon».
Boîtier de 44,25 mm. Calibre Omega
Co-Axial 9300.
Un joujou extra
A écouter les uns et les autres, à
regarder l’environnement horloger, un type de montres en particulier se détache nettement du
lot, lorsqu’il s’agit d’évoquer les
pièces susceptibles de faire rêver
les grands enfants. Les chronographes ont un net avantage sur tous
les autres instruments. «Chez
l’homme c’est viscéral, l’esprit de
compétition est chevillé au corps,
expliquait Hamdi Chatti, directeur Montres et Joaillerie chez
Louis Vuitton Horlogerie au sujet
de la Louis Vuitton Tambour Twin
Chrono lors du dernier Salon horloger de Bâle. Et dans son esprit,
tout est souvent une question de
temps… Aussi, virilité oblige, il
adore tout ce qui lui permet de se
mesurer aux autres et, par conséquent, il affectionne les gardetemps donnant les moyens de
relever les différences de performances entre les protagonistes.»
La mise au point du Tambour Twin
Chrono est le résultat du désir de
disposer d’un modèle mécanique
innovant, capable de chronométrer une épreuve où deux protagonistes s’affrontent en une joute
Audemars Piguet Chronographe
Royal Oak Offshore. Boîtier de
44 mm en céramique. Calibre automatique de manufacture:
3126/3840.
IWC Grande Montre d’Aviateur
Calendrier Perpétuel Edition «Le
Petit Prince». Boîtier or rose de
46 mm. Calibre automatique.
Luxe
DR
PHOTOS:
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Girard-Perregaux Chrono Hawk
Céramique. Boîtier en céramique
de 44 mm. Calibre automatique
GP03300.
Urwerk EMC. Boîtier titane et acier
43 x 51 mm. Calibre de manufacture
UR-EMC.
amicale. «L’idée de départ était de
proposer un instrument doté
d’une fonctionnalité dédiée aux
régates de l’America’s Cup, poursuit Hamdi Chatti. Mais, dans l’absolu, cette montre peut mesurer
n’importe quel événement ayant le
même départ mais ayant une fin
différente. Il ne s’agit pas d’un
chronographe à rattrapante, mais
d’un garde-temps doté d’un calibre original formé de quatre mouvements distincts destinés l’un à
afficher l’heure, l’autre le temps de
départ et celui du premier événement, le troisième affiche le temps
du second événement car les deux
mouvements ont été enclenchés
ensemble et le quatrième affiche la
différence de temps entre les deux
arrivées.» Mais cette construction
innovante peut faire rêver d’autres
sportifs que les seuls régatiers.
«Elle offre l’opportunité de réaliser
trois actions simultanées nécessitant, sans cette invention, le recours à trois chronométreurs: un
pour mesurer le premier temps, un
pour le second et un troisième
pour mesurer l’écart existant»,
poursuivait Hamdi Chatti. Elle est
l’outil dont ont rêvé tous les garçons, tous les jeunes athlètes se
mesurant à un concurrent. Pouvoir
lire immédiatement la différence
qui sépare la course de deux sportifs est un luxe auquel aucun horloger n’avait vraiment réfléchi
auparavant. Ce chronographe
marque l’aboutissement d’une
fonctionnalité. Même si une telle
mécanique n’est pas accessible au
plus grand nombre, chacun est en
droit de rêver de posséder un jour
des garde-temps extraordinaires
taillés pour des êtres sortant de
l’ordinaire. C’est d’ailleurs le propre des concept watches de faire rêver les amateurs.
Réveiller le désir d’accéder
à l’exceptionnel
Les marques savent de mieux en
mieux réveiller les envies des
consommateurs en titillant la
corde sensible de l’émotion. Celle
consistant à faire ressurgir les rêves de toujours est de toutes la
plus efficace. On sait ce ressort utilisé par IWC qui, avec la Grande
Montre d’Aviateur Edition «Le Petit Prince» éditée à 270 exemplaires en or rouge, a su graver les
esprits et rappeler que l’on a tous
un jour rêvé d’être cet enfant ingénu en quête de réponses existentielles. C’est bien joué!
D’autant que ce choix n’est pas
courant, les maisons préférant attiser chez l’adulte le désir de posséder un jouet qui soit mieux que
celui du camarade de jeu: c’est-àdire en avance sur les autres, plus
innovant,
plus
performant
comme peut l’être le chronographe Royal Oak Offshore Céramique. C’est aussi la démarche suivie
par Girard-Perregaux qui, avec le
chrono Hawk Céramique, a su
faire un choix stratégique associant sportivité, modernité et tradition. Comme le confiait Stefano
Macaluso, son directeur général, à
Bâle: «Un chronographe est plus
compliqué à réaliser qu’un tourbillon, mais une manufacture
doit avoir un chronographe dans
son catalogue parce que c’est la
montre qui réveille les envies en
exacerbant les performances. En
cela, c’est un vrai «toy for boys.»
Avant d’ajouter: «Ces considérations valent essentiellement pour
les Occidentaux, car les Asiatiques
sont plus pragmatiques et ils préfèrent des produits plus utiles, intégrant un quantième complet ou
les montres intensément futuristes comme celle que nous venons
de présenter et dotée d’un échappement Constant des plus innovants (qui vient d’ailleurs de rece-
voir l’Aiguille d’or du Grand Prix
d’horlogerie de Genève, ndlr).»
Dans ce secteur également, la
concurrence est rude. A ce propos, Guy Seymon, l’ingénieur
chargé du développement des
concept watches chez TAG Heuer
est clair: «Les engins que nous
mettons au point comme le
MikroPendulum S sont vraiment
taillés pour tester des solutions
d’avenir et véhiculer nos valeurs.
Seulement, nous ne perdons pas
de vue que ces F1 de l’horlogerie
ont également pour effet de réveiller l’enfant qui sommeille en
tout homme.»
C’est exactement l’orientation
prise par Richard Mille, ou par
Urwerk. Leurs créations futuristes,
qu’il s’agisse de la RM 11-01 R.
Mancini dédiée aux fanatiques de
football comme de la dernière
EMC, ont pour objet de titiller
chez les grands enfants un tantinet fortunés, cette envie de s’incarner en superhéros disposant de
montres exclusives. Et le recours à
ces stimuli fonctionne à merveille,
car comme le dit Geoffroy Ader,
l’expert horloger de Sotheby’s:
«Avec les clients fortunés, il n’est
pas question de parler d’argent, il
faut juste les faire rêver.»
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CHARME | ÉCLAT
Chopard Mille Miglia Zagato. Boîtier
en acier DLC. Calibre automatique.
Série limitée à 500 exemplaires.
Rolex Oyster Perpetual Cosmograph
Daytona Platinum. Boîtier en platine,
lunette Cerachrom marron, bracelet
platine. Calibre automatique.
Richard Mille RM 11-01 R. Mancini.
Boîtier titane, bracelet caoutchouc.
Calibre de chronographe automatique flyback.
F.P. Journe Tourbillon Historique.
Boîtier argent et or rouge. Calibre
manuel à tourbillon. Edition:
99 exemplaires.
HORLOGERIE BIJOUTERIE JOAILLERIE
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19
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
Lalumièreaucarat
www.josephinechoquet.ch
«Vendôme»
est une lampe
de luxe.
En quoi est-elle
différente
d’une lampe
«normale»?
Cette lampe en
cristal de Baccarat a nécessité un
tour de main expert et des gestes
extraordinairement précis. Ce
savoir-faire unique, cette
méticulosité, cette patience dans
la fabrication: voilà le luxe.
Votre référence en design
c’est…
Aucune. Le design aujourd’hui
s’inspire de tout, tout le temps,
partout. Chacun de mes projets
naît d’une banque d’images
soigneusement classées, ce qui
me permet de cerner l’univers
dans lequel je m’engage.
Personnellement, je suis
davantage séduite par des formes
issues de l’art contemporain que
par celles du «design produit».
Les designers que j’apprécie vont
dans cette voie. Ce sont des gens
comme Muller Van Severen, le
studio TOOGOOD, Michael
Anastassiades, Peter Alexander
ou encore Becky Beasley.
Dans quelle direction s’oriente
désormais votre carrière?
Nous avons décidé avec Virgile
Thévoz – un designer de ma volée
– de mettre en commun nos
compétences et de travailler
quelques mois sur des projets en
vue de gagner une visibilité sur la
scène du design actuel. Je souhaite également trouver une
activité dans le «trendforecasting» qui consiste à imaginer les
futures tendances dans le domaine du design.
ECAL/NICOLAS GENTA
Sa lampe s’appelle «Vendôme».
Comme la place de Paris où s’active
le top de la joaillerie mondiale.
«Vendôme», c’est donc un luminaire
«tout ce qui brille» avec ses éléments en cristal de Baccarat qui
s’enfilent comme les perles d’un collier. Joséphine Choquet, sa designer,
vit entre la France et la Suisse. Elle
s’en va bientôt pour Bruxelles suivre
le développement d’une autre de
ses lampes pour L’ArcoBaleno, la galerie de design d’Ambra Medda, la
fondatrice et ancienne prêtresse de
Design Miami/.
ECAL
> Joséphine Choquet, 25 ans
Le luxe pour vous c’est…
Une notion intemporelle qui
véhicule un savoir-faire singulier,
précis et minutieux.
DESIGN
Al’écoleduluxe
Depuis six ans, l’Ecole cantonale d’art de Lausanne forme
ses designers aux métiers du luxe. Le mariage de la forme,
du prestige et du savoir-faire en compagnie de cinq diplômés
de la volée 2012-2013. Par Emmanuel Grandjean
Le design? On a tous notre
petite idée sur la question. Disons que
c’est une manière d’allier la fonction à l’esthétique, de faire d’un objet pratique un outil à la fois
confortable et beau, d’en éluder la nature brutalement industrielle. Mais le design de luxe c’est quoi? La même chose,
mais en plus chic? «C’est mettre en avant l’artisanat, la tradition et le
savoir-faire dans la production d’objets», explique le designer Nicolas
Le Moigne, qui dirige le Master of Advanced Studies in Design for Luxury
and Craftmanship à l’ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne. Autrement
dit de magnifier ce que notre société de la précipitation tend à délaisser
parfois: l’art du geste, la noblesse du matériau et la patience dans la fabrication. Créé en 2007 par Pierre Keller, directeur de l’ECAL jusqu’en 2011, et
réorienté par son successeur Alexis Georgacopoulos, ce postgrade forme
ainsi des designers au haut de gamme. Chaque année, une petite dizaine
d’étudiants venus d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord et du Sud viennent chercher à Lausanne ce supplément d’excellence. Un surplus prodigué par un casting de partenaires cinq étoiles: Hermès, Baccarat, Christofle. Et Vacheron Constantin, qui vient de s’engager dans l’aventure
comme partenaire principal pour trois ans. «Pour nos étudiants, ces
collaborations sont une opportunité rare de pouvoir toucher à
l’exigence de belles maisons et, dans le cas de Vacheron Constantin, de pénétrer l’univers de la haute horlogerie.» Cinq
diplômés de ce master de prestige présentent ici
leurs travaux. Et expriment, à travers leurs
beautés d’intérieur, ce design magnifique. www.ecal.ch
L’empilagedecristal
LAS GENTA
«Bricks». Un nom qui claque comme
du verre qui se brise. «Bricks», objet
paradoxal à la fois sacrément charpenté et fragile comme du cristal de
Baccarat. Un vase 50% féminin,
50% masculin, né de deux créateurs: Aurélie Mathieu, la designer,
et Philippe Karrer, graphiste et éditeur à Bâle. Même si, pour l’heure, la
première poursuit son parcours en
solo, un pied dans l’atelier du designer Jean-Baptiste Auvray, un autre
chez elle pour mener des projets
personnels, comme récemment
avec Calvin Klein pour qui elle a dessiné des bijoux.
www.aureliemathieu.com
Qu’est-ce qui
vous a amenée
au design et
au Master Luxe
de l’ECAL, en
particulier?
Aussi loin que
je m’en
souvienne, j’ai toujours voulu
faire du design. Le choix du
Master Luxe est arrivé à un
moment charnière de ma
carrière, où après avoir travaillé
pendant trois ans au sein de
l’agence que j’avais cofondée, j’ai
senti le besoin de me spécialiser
dans un domaine où les beaux
matériaux et les savoir-faire
seraient valorisés. Ce master était
le moyen idéal d’acquérir un
regard pointu sur cet univers,
d’avoir la chance d’approcher des
maisons du luxe, tout en
ECAL
> Aurélie Mathieu, 28 ans
ECAL/NICO
20
développant une identité
personnelle.
Avec «Bricks», vous êtes entrée
dans l’univers du verre. Comment
ce vase est-il né?
Je me suis inspirée des jeux de
construction et de l’esthétique du
groupe Memphis. C’est aussi la
réinterprétation audacieuse d’un
classique de Baccarat, où la fragilité du cristal devient partie intégrante du design.
Le designer qui vous fait vibrer?
Arne Jacobsen.
Le luxe pour vous c’est…
La possibilité de combiner dans
un même projet des matériaux
haut de gamme avec des savoirfaire uniques, sans contraintes, ni
de temps ni d’argent.
22
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
ECAL/AXEL CRETTENAND
ECAL
Ledesignenchanté
> Fabien Gerlier, 28 ans
Ses présentoirs-sculptures viennent d’animer les vitrines de la boutique
Hermès de Zurich. Des objets en métal et en marbre sur lesquels reposent
des vêtements et des accessoires qu’un subtil éclairage métamorphose en
images. Grâce au jeu de l’ombre et de la lumière, ce designer d’Annecy, travaillant à Paris, fait apparaître un alpiniste escaladant une montagne ou une
danseuse en tutu créée grâce à la superposition de bijoux, d’un Carré et
d’une ceinture. Fabien Gerlier, c’est la lanterne magique réenchantée.
Qu’est-ce qui
vous a amené
au design et
au Master Luxe
de l’ECAL,
en particulier
J’ai découvert le
mot design
lorsque j’avais 13 ans. A cette
époque, j’aimais déjà dessiner et
bricoler. Aujourd’hui, le design
me permet d’allier ces deux qualités: créativité et technicité. J’ai
décidé de suivre le Master Luxe
avec le souhait de m’orienter vers
un design plus qualitatif. J’avais
travaillé pour des entreprises
fabricant leurs produits en Asie,
en privilégiant le prix au détriment de la qualité. M’orienter
vers le luxe signifiait pour moi
travailler un produit de valeur
dans tous les sens du terme. Faire
le choix de l’artisanat et des savoir-faire d’exception plutôt que
de la production de masse. Sortir
ainsi des produits impersonnels
et jetables pour créer de l’intimité
grâce à la sémantique de l’objet.
Vous avez créé une manière de
présenter le luxe avec des présentoirs-sculptures. Quelle différence
avec une vitrine qui exposerait des
objets de consommation courante?
cargocollective.com/fabiengerlier
Les «présentoirs-sculptures» ne
sont pas la finalité de la vitrine.
Au contraire, ils tendent à
s’effacer, d’où leur finesse et leur
sobriété, pour laisser place aux
produits qui, eux, sont les pièces
maîtresses de la composition.
C’est grâce à eux que l’ombre se
crée. Cette ombre n’est que l’âme
de l’objet, sa propriété
intrinsèque, sa vraie nature et les
valeurs de sa marque.
Ce système pourrait fonctionner
avec des objets de consommation
courante, mais ici il est question
d’affirmer la part de poésie, de
rêve et d’imaginaire que l’on
retrouve dans une marque telle
qu’Hermès.
Votre influence design?
Aucune en particulier. Tout dépend du moment et du projet, il
s’agit de se nourrir partout même
loin des champs propres au
design.
Le luxe pour vous c’est…
Un formidable moyen
pour faire perdurer des savoirfaire ancestraux, mais aussi
un laboratoire pour demain.
Une façon de dire: «consommer
moins mais consommer
mieux».
Leurreetlamanière
cargocollective.com/virgile2
Vous avez créé
un kit de pêche
de luxe. Quelle
différence
avec un set
«normal»?
Le luxe se
distingue dans
mon projet de «kit de pêche» par
la mise en valeur de techniques
artisanales propres au savoir-faire
horloger suisse, et donc à une
certaine culture de l’identité. Sans
pour autant arborer l’étiquette
«made in Switzerland» reconnue
comme gage de qualité, j’ai cherché à démocratiser l’idée du luxe
à travers des moyens artisanaux,
qui non seulement mettent en
valeur les matériaux utilisés, mais
rendent également l’objet fonctionnel et attrayant. Du point de
vue des coûts de production, le
kit reste bon marché à produire
en série et le prix de vente, par
conséquent, en bénéficie. Le luxe
se dévoile donc davantage à
travers les finitions choisies et
l’histoire qui s’en dégage que par
sa valeur pécuniaire.
Le designer qui vous fait vibrer?
Mathieu Matégot, designer français des années 1950, spécialisé
dans les objets en tôle perforée. Il
a su donner une direction au
design moderne avec un style et
une efficacité qui lui sont propres.
Le luxe pour vous c’est…
Démocratiser l’idée du savoirfaire, le rendre accessible et indispensable, contrairement au luxe
que l’on connaît, souvent inabordable. Sans tomber dans le luxe
de masse, offrir des alternatives
d’exception reconnues pour leur
engagement en faveur d’une
production artisanale. Le luxe
reste finalement un bon moyen
de perpétuer les traditions et
donc la culture.
ECAL/VIRGILE THÉVOZ
Il aurait voulu être architecte. Et
puis il a découvert le terrain de
jeu du design et son champ expressif qui s’étend à l’infini. A
cheval entre la Suisse, où il a ses
contacts, et Londres, où il souhaite s’installer, Virgile Thévoz, le
designer-pêcheur, a emprunté le
savoir-faire horloger pour fabriquer ce kit de pêche complètement précieux.
ECAL
> Virgile Thévoz, 25 ans
L’artdelatable
ECAL/GREGORY SYRVET
Pour son diplôme de master, le Lausannois Gregory Syrvet a produit
cette petite table. Un guéridon à
l’élégance très «Années folles» qui
ne renie pas sa totale contemporanéité. Son plateau en argent lustré
comme un miroir porte la signature
de Christofle. Sa structure en aluminium assume son origine industrielle. «S-Table», c’est l’alliance
réussie du chic et de la machine.
www.gregorysyrvet.ch
ECAL
> Gregory Syrvet, 28 ans
Vous avez créé
un objet de luxe.
Quelle différence avec un
objet «normal»?
Un objet qui
prétend au
luxe tient tout d’abord au choix
de la matière dans laquelle il va
être réalisé. Il doit aussi être le
garant d’une expérience, d’un
tour de main unique. La différence est là.
Le designer qui vous fait vibrer?
Les Français Ronan et Erwan
Bouroullec pour le côté conceptuel et l’Allemand Konstantin
Grcic pour l’aspect technique, vu
qu’à l’origine j’ai une formation
dans ce domaine. Cela dit, l’art et
la photographie m’intéressent
aussi. Je pense aux images de
Gregoire Alexandre, qui sont à la
fois minutieuses et extrêmement
chargées. J’aime ce genre de
décalage. Les blogs sont également une source importante
pour rester au courant et trouver
l’inspiration.
Le luxe pour vous c’est…
Mettre en valeur un art parfois
centenaire, celui du cristal chez
Baccarat ou du travail de l’argent
chez Christofle. Pour un designer,
côtoyer ces marques de luxe, c’est
aussi la chance de pouvoir travailler des matériaux précieux et
de suivre des processus sinon
difficilement accessibles.
T
H
E
A
MP05-LaFerrari.
A truly exceptional watch.
A world record-holder.
50-day power reserve and
a high-tech design
developed with Ferrari.
Limited edition of 50 pieces.
BOUTIQUE GENEVE
78 rue du Rhône / 3 rue Céard
R
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
RENE PHOTO AGENCY
Luxe
PHOTOS: PIERRE CHAMBONNET
Ferrari a rassemblé en Sicile une armada, en provenance de 20 pays.
Autant d’équipages qui profitent de l’occasion pour se tirer la bourre
durant trois jours de course, entrecoupés de haltes dans des palaces.
Dans ce parc auto de prestige, la 308 GTB qui porte le numéro 19,
la «mienne» (en photo).
LE CLAN DES SICILIENS
Lesoleil,Ferrarietmoi
La «Targa Florio» 2013, version Ferrari, a réuni une centaine de bolides en Sicile, dans une compétition
où les chevaux-vapeur le disputent à l’ego. La route, elle, a été peu avare en virages et en émotions, lovées
entre deux nids-de-poule. Récit, au volant d’une 308 GTB, de l’hommage du Cheval cabré
à la plus vieille course automobile du monde. Par Pierre Chambonnet
U
n trou de souris entre
deux épingles, dans la
folle procession. Catapulté par son V12
hurleur, le dossard no
62 se faufile, comme
aspiré par les rares espaces libres.
Vitesse hallucinante, freinages à la
limite. Cette Ferrari 599 GTO, immatriculée à Genève, est la version
routière d’un prototype de course
qui se mesure en centaines de chevaux (près de 700!) et en centaines
de milliers de francs. Pour l’heure,
elle déchire la quiétude de la campagne sicilienne qu’elle avale sous
ses roues, entre Caltanissetta et
Agrigente. Un coin sublime. Du
moins on l’imagine.
11 octobre 2013, 8h15. Nous
sommes sur la plus grande île de
Méditerranée sous un soleil déjà
implacable, au beau milieu d’un
slalom infernal qui célèbre la
Targa Florio, la plus vieille course
automobile du monde (lire page
26). Entre une 275 GTB et une
Challenge Stradale, elle-même
talonnée par une F40 et deux
Superamerica. Nous – ma copilote rivée sur le road book et moimême –, dans un équipage improvisé et attelé à une 308 GTB.
Oui, la voiture de Magnum.
La voiture m’a été prêtée par
Gino Forgione, un passionné à la
générosité peu commune et surtout à la confiance aveugle. Le patron de Modena Cars à Genève, la
plus grande concession Ferrari
d’Europe, est en Sicile en compagnie de quelques-uns de ses
clients, pour participer avec une
petite centaine d’équipages au
«Ferrari Tribute», l’hommage du
constructeur de Maranello à la
Targa Florio. C’est dans le cadre de
ce rallye historique que le Cheval
cabré
célèbre
aujourd’hui
l’épreuve légendaire, aussi illustre
que les Mille Miglia, et qui se passait en Sicile. Un gymkhana qui a
été interrompu à la fin des années
70. Trop meurtrier.
Ferrari a rassemblé sur place
une conséquente armada. Autant
de bolides, en provenance de 20
pays, qui profitent de l’occasion
(5000 euros de frais d’inscription
par équipage et les frais d’acheminement des véhicules à la
charge des participants) pour se
tirer la bourre. Cannonball au soleil, durant trois jours de course,
entrecoupés de haltes dans des
palaces.
La messe noire
des hommes en rouge
Officiellement, rien d’une orgie
célébrée sur l’autel de la puissance. Mais un paisible rallye de
régularité au milieu de paysages
sublimes. La réalité? Le démon de
la vitesse qui chatouille de sa fourche des sportives de prestige à la
beauté du diable. Assez vite, l’escorte de police sera à ranger dans
la catégorie souvenirs. Dès la sortie de Palerme, quelques lignes
blanches et panneaux de limita-
tion de vitesse plus tard, la maréchaussée indigène ne concernera
plus que le rétroviseur.
F430, Scuderia Spider, 458 Italia, F12 Berlinetta, etc. A la station
essence, pour abreuver les fauves,
le pompiste aux joues empourprées de ce bourg agricole se remet difficilement de ses émotions. Il ne sait plus où donner ni
de la pompe ni du regard, dans ce
catalogue géant de la marque italienne. C’est tout le savoir-faire
mécanique de l’Italie du Nord qui
est venu chanter dans l’île du Sud.
Chanter? Chaque voiture (1965
la plus vieille, 2013 la plus récente) est venue raconter, dans le
crépitement de ses soupapes, une
part du rêve Ferrari. Au final, une
sensation étrange: la même que
l’on peut éprouver, toutes proportions gardées, dans la Galerie des
offices à Florence, au milieu de la
foison des chefs-d’œuvre Renaissance. Dans la multitude des pièces de haute complication «made
in Maranello» et réunies en Sicile,
la pléthore finit par rendre presque banales les prodigieuses mécaniques.
Dans ce parc auto, une 308 GTB
donc. La «mienne». Mécanique à
l’ancienne: boîte en H (levier de
vitesses manuel), la pédale d’embrayage dure des sportives, et une
direction non assistée. Pas d’arceau de sécurité, pas d’airbags, pas
d’assistance électronique…
La mécanique des puristes
Dans l’habitacle, deux sièges habillés d’un cuir caramel patiné et
posés au ras du sol tremblent sous
les coups de boutoir du moteur.
Qui a de beaux restes. Posé sur
notre nuque, un V8 central de
1985, atmosphérique s’il vous
plaît. La mécanique des puristes.
Je tente de suivre le rythme,
dans le cortège de cylindres déchaînés. Soudain, au détour d’un
virage, la vallée des temples, les
vestiges de la Grèce antique,
Luxe
25
RENE PHOTO AGENCY
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
PHOTOS: PIERRE CHAMBONNET
Le son du V8 Ferrari,
une tessiture unique.
«Je crois entendre encore,
Caché sous les palmiers,
Sa voix tendre et sonore.
O souvenir charmant!
Folle ivresse! Doux rêve!»
La Romance de Nadir,
«Les Pêcheurs de perles», Bizet
autour d’Agrigente. «Pas le
temps», me sermonne ma copilote, le nez dans le road book. Les
églises arabo-normandes et leurs
mosaïques byzantines? Même refrain. Pas un regard pour les
Christ pantocrator de Monreale
et de Cefalù. Un autre dieu nous
occupe.
Mélangez des chevaux-vapeur
à des numéros de dossard et à de
forts tempéraments. Inutile d’agiter. Vous obtiendrez très vite une
émulsion fiévreuse, un mélange
instable. C’est bel et bien la possibilité de rouler vite qui motive en
grande majorité (totalité?) les
participants. L’aspect régularité
du rallye (des chronométrages à
des moyennes de 40 km/h environ) représente certes un défi,
avec un classement à l’issue et
donc un esprit de compétition,
mais secondaire.
De mon côté, je me considère
comme un garçon raisonnable. Et
pourtant. Il aura suffi qu’on me
prête un V8 pour que la partie
reptilienne de mon cerveau
reprenne le dessus. Concrètement, de l’attentisme angoissé
qui a accompagné la phase d’observation, je suis finalement
passé à l’étape «je mets la pression», avec une rapidité déconcertante.
Les naseaux qui fument
Courir avec des Ferraristes? Il faut
bien avouer que l’orgueil se cabre,
le goût de la performance part au
galop. Limite les naseaux qui fument. Assumons donc ici le magnétisme absolu de ces voitures
rouges, qui parlent une langue
que l’on comprend instinctivement.
Cette langue, c’est celle que parlent aussi les autres participants.
Des habitués de ces cavalcades
sauvages, où les chevaux-vapeur
le disputent au caractère. «Quand
on achète une Ferrari, c’est l’un des
signes que l’on a un ego un peu
particulier, nous glissera sans fard
l’un d’eux. Et le rallye nous révèle
chacun, en faisant ressortir notre
personnalité à 2000%.»
Mais les pilotes amateurs sont
loin de se limiter à la caricature. Ils
ne sont pas uniquement de
grands enfants gâtés par la vie qui
baladent leurs jouets à grand
bruit partout dans le monde. C’est
d’abord une bande soudée de copains passionnés, généreux et enthousiastes. Même si quelques
chiens fous se sont égarés dans le
cortège.
Les cylindres aboient,
la caravane passe
Aux repas, on commente les exploits du jour (lire page 26), ils
sont nombreux, avec 1200 km de
course en trois jours. Les vannes
elles aussi sont pléthoriques, et
n’épargnent pas le Cheval cabré
lui-même. Elles attestent le plus
souvent d’un profond sens de
l’autodérision. Des gosses turbu-
lents en famille. Car Ferrari en est
clairement une.
Partout, au passage du convoi,
le même folklore. Les cylindres
aboient, la caravane passe. Les
chiens eux-mêmes se taisent
pour écouter la cavalerie. Dans
ces villages pauvres du sud de
l’Europe, les gens applaudissent
le convoi de dizaines de millions
de francs. «Gaz! Gaz! Gaz!» hurlent les spectateurs, poussettes et
vieillards compris. Les moteurs
récitent alors un solfège unique,
des tessitures reconnaissables entre mille et qui fendent tous les
visages d’un sourire jubilatoire.
Passé le malaise que suscite le
fait de conduire une voiture valant l’équivalent de plusieurs milliers de smic, on découvre le bonheur
de
véhiculer
aussi
facilement ce lien entre passionnés. Deux mondes qui se croisent.
Le partage, à l’image de ce patron
genevois Ferrariste qui, chaque
année, participe bénévolement à
des baptêmes de piste pour des
enfants malades sur le circuit de
Dijon, avec le même enthousiasme.
Bilan des courses? Dans la folle
cavalcade qui prend pour prétexte un monument de l’histoire
du sport auto, cette «Targa Florio»
représente un plaisir immense et
luxueux. Un hommage au culte
de la vitesse, habillé de ses plus
beaux atours transalpins. Du rêve
enchâssé dans des cylindres, qui
pétarade dans une parade unique. C’est bruyant, désorganisé et
surtout joyeux. C’est l’Italie.
Une arène mobile mais aussi
une caravane de fête. Tout le génie de la marque de Modène: du
(très) exclusif et en même temps
universel. De la passion réservée
aux élites, mais communicative
car immédiatement compréhensible. La magie du grand cirque
Ferrari. Du rêve, à échappements.
> Suite en page 26
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
SurlapistedesMadonies
Entre 1906 et 1977, une partie des routes de Sicile se transformaient en circuit, pour une empoignade légendaire.
Parmi les plus grands à s’y être imposés: Stirling Moss et Nino Vaccarella, ou encore Jo Siffert
J
usqu’à 900000 spectateurs sur
les routes de Sicile, dans ces
années folles. C’était les temps
héroïques durant lesquels la
course se gagnait en tenant le volant d’une seule main, sur des circuits de fortune délimités par des
bottes de paille.
Cette époque insensée, c’est
Nino Vaccarella en personne qui
l’évoque, lors de la remise des prix
de l’édition 2013 de la «Targa Florio»: «J’ai la chance d’être encore en
vie. Beaucoup de mes amis pilotes
se sont tués en course.» Le pilote
italien, né à Palerme, a aujourd’hui
80 ans. Ancien instituteur, il est
une légende du monde automobile. Il s’est imposé dans toutes les
plus grandes épreuves, dont les
24 Heures du Mans et la Targa Florio, à cinq reprises.
Le championnat se courait alors
sur des prototypes à boîte manuelle, qui embarquaient des moteurs «jusqu’à 5 litres et 1000 CV»,
se souvient Nino Vaccarella. Des
montures autrement plus difficiles à dompter que les voitures de
course actuelles, bardées d’assistances électroniques.
Le pilote sicilien a roulé sur les
routes sinueuses de la Targa qui
dominent la mer, non loin de Palerme, notamment au volant de la
sublimissime Ferrari 330 P4
(no 224) – sans doute la plus belle
voiture jamais produite.
Aujourd’hui, le rallye de régularité n’a, en théorie, plus rien à voir
avec une épreuve de vitesse. A
l’aide de road books (des guides
d’itinéraire très détaillés), les participants suivent un parcours sur
lequel ils sont chronométrés par
endroits: ils doivent alors rouler à
une vitesse moyenne de 40 km/h…
Le circuit des Madonies représente des portions d’asphalte de
plateau au milieu de terres agricoles, couvertes de bosses, de nidsde-poule et de zones effondrées,
faute d’entretien. «Avec l’état des
routes d’aujourd’hui, on ne pourrait plus rouler avec nos voitures
d’alors, on les casserait», semble
s’excuser le héros. Le bitume des
Madonies défoncé, c’est un peu la
mémoire d’une course mythique
insultée. P. C.
PHOTOS: PIERRE CHAMBONNET
26
> Paroles de gentlemen (drivers)
Les pilotes amateurs ne sont pas généreux qu’au volant.
A l’heure de la pause, ils se donnent sans compter en
exégèses de toutes sortes. Morceaux choisis
Les besoins
«C’est d’abord le rallye, le bonhomme il passe après.»
Les affaires
«On parle jamais business.»
La performance
«Il roule fort le Chinois. Sa femme, elle, a vomi.»
«J’ai mis les gaz, j’ai soudé. Je comptais les piquets.»
«Ces cons, ils avancent pas.»
Les coqs
«Je lui ai mis la pression.»
«Une voiture, ça sert aussi sur la route.»
«Dans la montagne, je lui ai montré qu’on pouvait jouer
aussi ailleurs que sur autoroute.»
La casse
«Avec toutes ces bosses, j’ai pas mal touché aujourd’hui.»
«Y a une boîte à Genève qui répare les jantes.»
«Tant qu’elle pisse pas au garage…»
La technologie
«Faut reconnaître qu’ils ont du mérite. Avec ces boîtes
manuelles, il faut avoir le poignet souple.»
«Le compteur n’est pas juste? Normal, c’est une Ferrari.»
«Ça a quasiment les mêmes performances
qu’une F1 y a trente ans.»
Les références
«Les lacs gelés, c’est formidable.»
«On serait aux Mille Miglia, à cette heure-ci,
tu serais déjà au lit.»
«vroooooooo-vroaaaaar». La sonnerie du portable
d’un monsieur à fines moustaches.
La puissance
«Eh Jean-Luc, elle fait combien de chevaux la tienne?»
Les excès de vitesse
«Moi, j’ai jamais reçu les amendes.»
Des policiers qui passent en groupe. «Demain, faudra
qu’on aille leur parler.»
Les réglages
«Le problème, il est entre le volant et le siège
du conducteur.»
Le circuit
«Tourner pour tourner, ça m’emmerde.»
Les «progrès»
«Pierre, faut que t’apprennes à te faufiler.» Deux jours plus
tard. «Pierre, tu roules trop vite avec ma voiture.»
Les émotions
«Y avait Jean-Luc qui parlait plus, ce qui est très
mauvais signe.»
«Sur la vidéo, on voit Jean-Claude faire une belle
salade de bras.»
Les femmes
«Elle m’a un peu énervé parce qu’elle pensait
que je ne pouvais pas tenir la moyenne.»
Monsieur: «Ça, c’est le grigio argento.»
Madame: «C’est la même couleur que mon vernis à
ongles, c’est la voiture qu’il me faut.»
«Isabelle a dit: même Philippe, il y arrive.»
«Isabelle, elle a tourné au Castelet.»
L’énigme…
«Elle avait le cul qui partait sans arrêt.»
Un éblouissant jeu
de couleurs
« La couleur est incontestablement
la plus belle manifestation de la lumière,
et compte parmi les phénomènes les plus
remarquables de la vie. »
Eduard J. Gübelin (1913– 2005)
Collier sertid‘un saphir 12,99 ct
de Madagascar, une émeraude 1,66 ct de
Colombie, un spinelle 5,45 ct de Birmanie
et 134 diamants de 13,77 ct
Luzern Zürich Basel Bern St. Moritz Genève Lugano Kuala Lumpur Hong Kong
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
NAISSANCE D’UNE MARQUE
ChanelavantChanel
Gabrielle Chanel a ouvert sa première boutique à Deauville en 1913, il y a cent ans. Elle a révolutionné la mode
avec ses lignes épurées, ses emprunts au vestiaire masculin, son goût pour les matières «pauvres», son usage du noir
et du blanc. Pour comprendre les origines de ce style éternel, les codes de la maison qui prévalent encore, il faut suivre
ses traces, remonter à la source, à Aubazine, l’orphelinat où elle a passé sept ans de sa vie et où tout semble avoir
commencé. Textes et photos par Isabelle Cerboneschi AUBAZINE
ISABELLE CERBONESCHI
28
E
n premier lieu, il faut
oublier. Oublier l’aventurière, la modiste, la couturière,
l’emprunteuse,
l’avant-gardiste, l’amie de
Picasso, de Dalí, de Stravinski, la maîtresse de Boy Capel,
du duc de Westminster, de Hans
Gunther von Dinklage, la femme
en noir, la femme en blanc, la
femme aux bijoux, l’empire, le
No 5, le tailleur en tweed, le sac en
cuir matelassé, la légende apocryphe. Tout ça, il faut l’oublier.
Ensuite, il faut faire preuve de
compassion. A l’égard de soimême, d’abord. Se donner la peine
de poser un regard empli de bienveillance sur ses propres blessures.
Et laisser affleurer au bord du
cœur les peurs, les angoisses, la colère, peut-être, générées par les
sentiments d’abandon, de trahison et d’humiliation. Qui n’a pas
connu cela?
Alors seulement, on peut s’essayer à regarder tout cela à hauteur d’enfant. Une enfant de
11 ans et demi qui vient de perdre
sa mère. Une petite fille serrée
contre ses sœurs, Julia (13 ans) et
Antoinette (8 ans), dans la charrette d’un père qui la conduit vers
son destin. Et son destin, en ce
froid jour de mars 1895, va s’écrire
derrière une longue façade de
pierre terminée par une église,
l’abbatiale Saint-Etienne. «A
12 ans, dira des années plus tard
celle que l’on appelait Coco Chanel, on m’a tout arraché! Et je suis
morte.» 3
Derrière le mur, un jardin
monastique, une fontaine surmontée d’une croix, une bâtisse
sans fioriture coiffée d’un immense toit pentu couvert de tuiles, des colonnades. L’orphelinat d’Aubazine. C’est ici, dans
ce lieu clos, abrité du monde,
que Gabrielle Chanel va passer sept années de sa vie.
Que suis-je venue chercher
à Aubazine, cette petite commune de Corrèze peuplée de
874 habitants, enchâssée au
pied de collines et de forêts
épaisses, loin de tout, où les
hivers sont glaciaux? Tenter
de comprendre. Essayer de
décrypter. Découvrir, peutêtre. Remonter à la source,
Gabrielle Chanel, photographiée
par Man Ray en 1937. Elle porte les
manchettes ornées de la croix de
Malte dessinées par le duc Fulco di
Verdura.
Le monastère d’Aubazine, l’orphelinat qui a recueilli Gabrielle Chanel lorsque son père l’a abandonnée avec ses sœurs.
aux origines. Chercher Chanel
avant Chanel.
«J’ai fait de la couture par hasard», dit-elle à Paul Morand1.
Mais l’on sait que le style ne vient
pas à soi par hasard. Il naît de l’observation de figures, de modèles,
de choses aimées, ou pas, digérées, intégrées et transcrites dans son langage
propre. Or faute
d’exemples familiaux et féminins, le goût
de Chanel a
forcément
dû se forger
ici, à Aubazine, au milieu
des sœurs vêtues de noir et
blanc, dans ce monastère à l’élégance
cistercienne, tout en
épure. Son regard
s’est heurté à ce style roman tourné vers l’essentiel. C’est donc
ici qu’il faut
MAN RAY TRUST/ADAGP PARIS 2012/PROLITTERIS 2013 ZURICH
chercher. Es-
sayer de faire parler les pierres. Et
si elles n’ont rien à dire, écouter les
fenêtres. Et si elles restent muettes,
discerner le message dans les vitraux, dans le sol en mosaïque, de
tout ce qui pourrait être une piste
pour arriver au plus près, non pas
du personnage, mais de ce qui fait
l’essence de Chanel, de ce style unique, fortement identifiable, et qui
perdure cent ans après.
Par où commencer? Peut-être
en mettant ses pas dans ceux de
l’enfant et grimper une à une les
marches usées qui mènent aux
anciens dortoirs, comme elle l’a
fait chaque jour. Mais avant d’arriver au premier étage, mon regard
est happé par une fenêtre aperçue
depuis l’escalier. Il ne cherche pas
à sortir du cadre et à s’évader dans
le ciel, non, il choisit de se poser
sur l’encadrement qui se détache
sur le mur blanc. Du temps où
Gabrielle Chanel vivait ici, le cadre était peint en noir. Sont-ce ces
fenêtres, devant lesquelles elle est
passée tous les jours, qui lui ont
inspiré le l’étui de son premier
parfum, le No 5?
Quand la pierre devient
diamant
Le sol de la galerie du premier
étage est une étrange mosaïque de
pierre, à la fois discrète et noble,
arborant des motifs qui pourraient paraître ésotériques de
prime abord: une lune, un soleil,
quatre étoiles à cinq branches,
plus loin une mitre d’évêque, une
croix de Malte, une fleur stylisée,
des triangles, des ronds. Si le
Moyen Age était une époque imprégnée de symbolisme, il est certains signes, parmi ceux-ci, auxquels personne ne sait donner de
sens. On y discerne toutefois ceux
qui représentent le blason de la
commune: «Au premier de gueules
au soleil d’or soutenu de deux étoiles de même mises en pal, au second d’azur à la lune d’argent soutenue de deux étoiles de même
mises en pal.» En clair: le blason est
divisé en deux. La première moitié
est rouge, ornée d’un soleil doré
qui surmonte deux étoiles de
même couleur. La seconde est
bleue décorée d’une lune argentée
et deux étoiles argent.
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
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ROGER SCHALL/COLLECTION SCHALL
ISABELLE CERBONESCHI
A droite: Gabrielle Chanel dans l’escalier de sa villa La Pausa à Roquebrune, qu’elle a voulu identique à l’escalier (à gauche), qu’elle empruntait tous les jours, reliant l’abbaye d’Aubazine à l’église abbatiale Saint-Etienne.
Je ne peux m’empêcher, en regardant les étoiles, de penser à la
broche Comète que Mademoiselle
Chanel a créée en 1932 pour son
exposition Bijoux de Diamants. Une
étoile à cinq branches. Le chiffre 5
dans la vie de Gabrielle Chanel est
loin d’être anodin: c’est le nom
qu’elle a donné à son premier parfum, c’est aussi le jour du mois
qu’elle choisissait pour présenter
ses collections: 5 février et 5 août.
Cinq, enfin, c’est le nombre de lions
de marbre qui veillent sur sa tombe
dans le cimetière de Lausanne où
elle repose. Tous les motifs du sol de
mosaïque, d’ailleurs, évoquent la
fameuse collection de bijoux présentée en 1932 dont il ne reste
qu’une broche pour témoin (lire LT
du 07.03.2012). «Les délicats motifs
des bijoux de Mademoiselle Chanel sont principalement d’inspiration astronomique. De magnifiques boucles d’oreilles en forme
d’étoiles de dimensions diverses;
une superbe comète dont la queue
s’enroule autour du cou devient un
étincelant collier: des bracelets si
fins qu’on dirait des faisceaux de
lumière: des croissants de lune à
fixer sur les chapeaux ou dans la
chevelure: enfin, pièce unique
montée sur or jaune, un éclatant
soleil de diamants jaunes, assortiment de pierres sans pareilles» 4,
écrivait Janet Flanner, journaliste
du New Yorker, après le vernissage.
Quant à la croix de Malte, on retrouve ce motif sur les manchettes
précieuses que le duc Fulco di Verdura a dessinées à l’envi pour Chanel de 1933 à 1938 (photo p. 28).
L’esprit vagabonde, il passe du sol
en mosaïque en pierre aux joyaux.
C’est comme si Gabrielle Chanel
avait voulu transcender, transmuter serait plus juste, les éléments de
cette enfance orpheline en la chose
la plus précieuse qui soit…
Un vitrail pour signature
Les anciens dortoirs sont vides
aujourd’hui. Seul le soleil les pénètre et laisse son ombre sur le parquet. On peut imaginer combien
les jeunes filles ont dû avoir froid,
ici, l’hiver, sous les toits, sans cheminée. En ouvrant une porte fermée à clé, on découvre, caché derrière une forêt de poutres et de
débris, un oculus, immense, décoré de motifs géométriques qui
s’entrelacent. En y prêtant attention, on peut y discerner les deux
«C» embrassés du fameux logo. Ce
double «C», on le retrouve aussi
dans l’église et dans la chapelle,
écrit en lettres de plomb sur les
vitraux en grisaille. Combien
d’heures Gabrielle Chanel les a-telle contemplés?
Les jeunes orphelines étaient astreintes à exercer quotidiennement leur piété, et à suivre les
messes quotidiennes. Pour ce faire,
elles n’avaient pas besoin de quitter
l’abbaye: il leur suffisait d’emprunter une porte située à l’extrémité de
l’ancien dortoir des moines qui
s’ouvre sur un escalier en pierre, 36
marches qui mènent jusqu’au transept de l’église abbatiale. Cet escalier a tant marqué Gabrielle Chanel
qu’elle le fit reproduire dans sa villa
La Pausa. Elle souhaitait faire construire «la villa méditerranéenne
idéale» 4. sur un terrain de 2 hectares qu’elle avait acquis en février
1929, sur les hauteurs de Roquebrune. Or l’une des premières choses qu’elle a demandées à l’architecte Robert Streitz, chargé du
projet, ce fut de recréer à l’identique l’escalier de l’abbaye d’Aubazine dans le hall d’entrée. Etrange
requête, lorsque l’on sait tous les
voiles dont elle avait revêtu son
passé à l’orphelinat. «S’il est un mot,
entre tous, que jamais les lèvres de
Gabrielle Chanel ne prononcèrent,
ce fut bien le mot «orphelinat». Elle
s’attacha avec acharnement à effacer toutes traces du sort si cruel qui
fut sien», écrivit Edmonde CharlesRoux2. Quant à Robert Streitz, il a
eu l’élégance de ne jamais révéler la
teneur de la conversation qu’il
avait eue avec la Mère supérieure
d’Aubazine lors de sa visite. L’escalier, lui, trône toujours dans le hall
de la villa.
L’abbatiale résonne des voix de
quelques visiteurs qui s’en tiennent aux travées. A force de chercher des indices partout, mes
yeux se posent sur chaque parcelle de mur, chaque statue. Ils
remarquent enfin ce meuble de
bois construit comme une architecture, qui s’impose à la croisée
du transept, au pied du fameux
escalier en pierre qu’empruntaient les orphelines tous les
jours. Construite au XIIe siècle,
cette armoire liturgique est considérée comme le meuble français
le plus ancien. Ce n’est pas tant sa
forme qui m’intéresse que les loquets terminés par des têtes d’animaux et le décor qui entourent les
serrures: des bandes de laiton
fixées par de gros clous coniques.
Je ne peux m’empêcher de penser
aux bagues avec des cabochons
que portait Mademoiselle Chanel
dans les années 30.
Mais peut-être n’est-ce qu’une illusion, un mirage qui répond à la
soif de celle qui cherche…
> Aubazine, l’empreinte du XIIe siècle
Aubazine est née d’un désir impérieux: celui
de deux prêtres, dont l’un s’appelait Etienne,
souhaitant vivre en ermites dans ce lieu qui,
jusqu’au XVIe siècle, s’appelait encore
Obazine.
Par sa foi rayonnante, sa bienveillance et son
intelligence, Etienne eut tôt fait d’attirer à lui
nombre de disciples désireux de le suivre sur
cette voie d’austérité.
Il fit construire deux monastères, un pour les
femmes dans le proche vallon du Coyroux,
isolé au fond d’une gorge, et un pour les hommes, qui est devenu plus tard l’orphelinat où
Gabrielle Chanel passa sept années de sa vie.
La règle qui prévalait à Obazine était celle de
saint Benoît ainsi que les usages monastiques
cisterciens. L’évêque de Limoges a consacré
les deux églises en 1142.
Ce n’est qu’en 1860 que le lieu est devenu un
ISABELLE CERBONESCHI
orphelinat dirigé par la congrégation du
Saint-Cœur de Marie.
Depuis 1965, l’abbaye relève de l’Eglise grecque-melkite catholique, une église de tradition
byzantine unie à Rome. Mais l’esprit cistercien
reste inscrit dans la moindre de ses pierres.
I. Ce.
Note: Aubazine se visite. Des stages y sont
régulièrement organisés. Renseignements:
http//abbaye.aubazine.com
Remerciements: un immense merci à Monsieur Luc-Emmanuel Feuillet, le conservateur
de l’abbaye d’Aubazine, qui fut un guide précieux et patient dans les couloirs de l’abbaye le
long des travées de l’église abbatiale Saint
Etienne, ainsi qu’un merveilleux conteur de
l’histoire d’Etienne d’Obazine.
ALEXANDRE CÉALAC
La mosaïque de pierre du premier étage
du monastère d’Aubazine, qui représente
le blason de la commune avec une lune,
un soleil et quatre étoiles à cinq branches.
Relevé à la plume
du pavement de
l’ancien orphelinat,
1996.
Broche «Comète» originale
créée par Mademoiselle Chanel
en 1932 pour son exposition
«Bijoux de Diamants».
CHANEL JOAILLERIE
30
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
Chaneloularéinventiondesoi
COLLECTION CHANEL, PARIS, FRANCE
M
Devant les écuries de Royallieu, Gabrielle Chanel, Léon de Laborde et Etienne Balsan.
bien que passant parfois dans la
région pour rendre visite à sa
sœur, n’est jamais venu voir ses
filles et encore moins les rechercher.
Lorsqu’elles atteignent l’âge de
18 ans, Gabrielle et Adrienne, qui
ne se destinaient pas au noviciat,
quittent Aubazine pour un pensionnat, l’Institution Notre-Dame,
situé à Moulin, une ville de garnison où était cantonné le 10e régiment de chasseurs à cheval. Deux
ans plus tard, elles sont placées
comme commises dans une maison spécialisée en «trousseaux et
layettes». Mais le besoin de liberté
de Gabrielle Chanel est plus fort
que tout. Elle veut échapper à son
destin et pense qu’une des
manières d’y arriver, c’est de chanter dans un café-concert. D’après
la légende, elle obtient un succès
honorable à La Rotonde de Moulins, d’abord, puis à Vichy. C’est
dans cette ville qu’elle rencontre
Etienne Balsan, le premier
homme qui s’occupera d’elle et le
premier acteur clé de sa vie à venir.
Dès lors, son destin va suivre un
autre cours.
Le seul point commun entre
Etienne Balsan et Gabrielle Chanel est qu’ils sont tous deux orphelins. Mais lui a eu la chance de
naître dans une famille fortunée
de Châteauroux, propriétaire
d’une usine de textile, les manufactures Balsan. Chanel s’installe
dans sa propriété de Royallieu.
Chez lui, elle croise le monde et le
demi-monde, et surtout Boy Capel, qui deviendra son premier
grand amour. Il sera bien plus que
cela: un pygmalion, qui lui donnera le goût de l’art, de l’ésotérisme et de la lecture. En 1910, il
l’aidera financièrement à installer
un atelier de modiste à l’étage, au
21 rue Cambon et à ouvrir sa première boutique à Deauville trois
ans plus tard, il y a cent ans.
La légende Chanel pouvait
commencer…
Une légende dont les fondations s’appuient sur le manque. Il
faut croire en effet que c’est dans
ces manques – d’amour, de famille, d’argent, de tout – que Gabrielle Chanel a puisé la force de
se façonner un destin unique
auquel ses origines ne la vouaient
pas. Et de s’offrir le luxe a posteriori de réécrire les pages de son
passé, qui ne lui convenaient
guère.
ISABELLE CERBONESCHI
algré toutes les biographies qui lui ont
été consacrées, Chanel reste un mystère.
Elle a créé un empire, mais sa plus
grande création reste sans doute
sa vie, qu’elle a inventée à partir
d’une matière première pauvre et
triste. A tous ses biographes, ceux
qui l’ont crue ou ont feint de la
croire, elle s’est inventé une enfance passée chez des tantes austères et exigeantes, un père parti
faire fortune aux Amériques. La
réalité était autre.
Gabrielle Chanel est née le
19 août 1883, à l’hospice de Saumur. Le jour de sa naissance, son
père, Henry-Albert Chanel, marchand forain de son état, «n’était
pas là» 4, déclarera-t-elle des années plus tard. Ses parents
n’étaient pas mariés. Son père
avait déjà fait un enfant à Eugénie
Jeanne Devolle, qu’ils prénommèrent Julia, une année avant la naissance de Gabrielle, et avait décidé
de fuir une vie qui ne le tentait pas.
Rattrapé par la famille de Jeanne,
il fut contraint d’assumer son rôle
et de reconnaître son enfant. Les
Devolle le contraindront, une seconde fois, à épouser Jeanne un an
après la naissance de leur
deuxième fille. Le mariage eut lieu
le 20 mai 1884.
Six enfants sont nés de cette
union: Julia, Gabrielle, Alphonse,
Antoinette, Lucien et Augustin,
qui ne vivra que quelques semaines. Les grossesses, la tristesse, la
fatigue ont eu raison de Jeanne,
qui est morte d’une maladie respiratoire en février 1895. Albert
Chanel a 39 ans. Il se trouve bien
trop jeune pour être veuf et affublé de cinq enfants. Il décide donc
de placer les deux garçons dans
des fermes – où les enfants étaient
corvéables à merci – et d’abandonner les trois filles devant l’orphelinat d’Aubazine, en mars1895.
Gabrielle Chanel a vécu ici jusqu’à l’âge de 18 ans avec ses sœurs
et sa tante Adrienne, à peine plus
âgée qu’elle. Voilà pour les origines. Inutile de dire que leur père,
Mais ces pages-là, celles qu’elle
a essayé d’effacer, on peut les lire
malgré elle à travers les vêtements, les parfums et les bijoux
qu’elle a créés sa vie durant.
Sans cette histoire particulière,
le style Chanel n’aurait pas existé.
En tout cas pas tel qu’on le
connaît et reconnaît. Les lignes
simplissimes, une petite veste de
tailleur lestée par une chaînette,
des cardigans de laine inspirés de
ceux des palefreniers de Royallieu, du tweed comme celui des
vestes de son amant le duc de
Westminster, du noir, du blanc
comme les sœurs d’Aubazine, des
ballerines bicolores parce que
cela faisait paraître ses grands
pieds plus petits, le double «C»,
sans doute le plus beau, le plus
parfait des logos qui aient jamais
été inventés, des perles, des manchettes byzantines, quelques
symboles fétiches, l’étoile, le lion,
son signe du zodiaque.
Sa trajectoire fascine parce qu’il
y est question de transformation.
Dans son cas, cela relève de l’alchimie: elle est parvenue à transformer un matériau pauvre – son enfance, son adolescence, ses
origines – en or. I. Ce.
Bibliographie
1. L’allure de Chanel, Paul Morand,
Hermann, 1976
2. Le Temps Chanel, Edmonde
Charles-Roux, Ed. Chêne-Grasset,
juillet 1996
3. Chanel, Henry Gidel, Grandes
biographies, Ed. Flammarion, janvier
2000
4. Chanel, sa vie, Justine Picardie,
Ed. Steidl, 2010
5. No 5 Culture Chanel, catalogue
de l’exposition, Ed. de la Martinière,
2013
>> Retrouvez la suite du reportage
photo sur www.letemps.ch/luxe
Bouchon du flacon
du parfum No 5
de Chanel.
COLLECTION CHANEL, PARIS, FRANCE
ISABELLE CERBONESCHI
Une fenêtre du premier étage d’Aubazine
qui a inspiré l’étui du parfum No 5.
Etui pour le flacon
du parfum No 5
de Chanel 1921.
COLLECTION CHANEL, PARIS, FRANCE
Un des vitraux de la chapelle d’Aubazine où l’on reconnaît
dans les entrelacs le fameux double «C» du logo.
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
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PORTFOLIO
Page 33: Nika: robe en silicone découpée au laser, collection «Beyond Wilderness»
automne-hiver 2013-2014 Iris van Herpen haute couture. Collier haute joaillerie
«Rayons précieux» serti de saphirs jaunes, grenats Mandarin et diamants de la
collection «Pierres de Caractère Variations», Van Cleef & Arpels Lary: robe brodée,
manchettes et escarpins de la collection automne-hiver 2013-2014 Armani Privé
Lary: robe bustier en tweed et laine bouillie ornée de bandes de vinyle croisées
et brodées, collection automne-hiver 2013-2014 Chanel haute couture.
Bracelets Lion Rugissant, l’un en or blanc serti d’un diamant taille poire et de
diamants taille brillant et l’autre en or blanc et onyx serti de diamants taille
brillant, de la collection «Sous le Signe du Lion», Chanel haute joaillerie.
Nika: robe en tulle de soie brodée de perles de cristal, collection automne-hiver
2013-2014 Chanel haute couture. Porté sur l’épaule: collier Lion Talisman en or
blanc serti de diamants taille brillant (41,2 carats), de diamants taille rose
(21 carats), de diamants taille baguette, taille poire, taille triangle et de spinelles
noirs taille brillant, collection «Sous le Signe du Lion», Chanel haute joaillerie.
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
PORTFOLIO
Robe du soir en soie frangée multicolore et gants de soie,
collection automne-hiver 2013-2014 Dior haute couture.
Boucles d’oreilles Exquise Rubis en or jaune serti de diamants,
saphirs jaunes, rubis, saphirs roses et grenats spessartites; bague
Fascinante Emeraude en or jaune serti de diamants, émeraudes,
saphirs jaunes, saphirs roses, tourmalines Paraïba, grenats démantoïdes, grenats spessartites, saphirs violets, rubis et saphirs;
bracelet Majestueuse Multicolore en or jaune serti de diamants,
saphirs roses, saphirs jaunes, émeraudes, saphirs, grenats spessartites, grenats démantoïdes, rubis, saphirs violets et tourmali-
nes Paraïba; porté en bracelet, collier Fascinante Emeraude
en or blanc serti de diamants, saphirs, émeraudes, saphirs roses,
saphirs jaunes, grenats démantoïdes, grenats spessartites,
tourmalines Paraïba, saphirs violets, rubis et grenat tsavorite.
Le tout de la collection «Cher Dior», Dior haute joaillerie.
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
PORTFOLIO
Lary: manteau brodé et escarpins de la collection automne-hiver
2013-2014 Atelier Versace.
Nika: combinaison brodée et escarpins de la collection automnehiver 2013-2014 Atelier Versace. Boucles d’oreilles en or blanc
serties de diamants, Atelier Versace Joaillerie.
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
PORTFOLIO
Robe en soie technique de la collection automne-hiver
2013-2014 Viktor & Rolf haute couture.
Escarpins Iriza Glitter Rose Antique, Christian Louboutin.
Collier et boucles d’oreilles motifs fleurs de camélia deux ors
gravés et sertis de diamants, Buccellati.
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
PORTFOLIO
Lary: plastron brodé de fleurs en sequins et paillettes et rebrodé
de fleurs en tissu des années 1920 à 1950. Porté en jupe, un
manteau au dos balancé et drapé en latex, le tout de la collection
automne-hiver 2013-2014 Maison Martin Margiela haute
couture. Escarpins Artifice, Christian Louboutin
Nika: ensemble Verlaine & Vertige composé d’une veste
nervurée en soie et d’une jupe en plumes, collection automnehiver 2013-2014 Yiqing Yin haute couture (lire interview p. 42).
Escarpins Artifice, Christian Louboutin.
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
PORTFOLIO
Robe Sabbat en mousseline crêpée à ourlet asymétrique
drapée sur la poitrine ornée de basques et de pans de
paillettes noires et d’une collerette de plumes et gants,
le tout de la collection automne-hiver 2013-2014
Schiaparelli by Christian Lacroix.
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
DR
42
HAUTE COUTURE
YiqingYin,
àfleurd’âme
Yiqing Yin: «Le vêtement est un outil de construction de soi et un canal
de communication avec l’autre.»
P
endant les défilés de Yiqing Yin, on voit des choses qui n’existent pas.
Des robes taillées dans
de l’eau, ou bien dans des
nuages… Des robes en
métamorphose. On les croirait vivantes. Ses collections de haute
couture donnent le sentiment de
ne plus rien comprendre, de ne
savoir mettre de mots ni sur les
matières ni sur les techniques.
C’est voulu. Yiqing Yin souhaite
que l’on ne comprenne pas. «Je
suis ravie quand on me dit: je ne
sais pas comment c’est fait!» Ses
secrets de fabrication sont simples, dit-elle. «Des mix de techniques existantes, très pragmatiques. Mais j’essaie toujours, par le
choix des matériaux, de la palette
de couleurs, des textures, de faire
en sorte que plus rien ne soit reconnaissable. J’essaie de perturber
la lecture en ajoutant, dans les décorations, des matériaux très
communs comme la gaze d’hôpital. On oublie les frontières, on ne
discerne plus ce qui relève de
techniques nobles ou vulgaires.»
Yiqing Yin voulait devenir
sculptrice. Elle a d’ailleurs étudié à
l’Ecole nationale des arts décoratifs, mais lorsque ses mains ont
rencontré la matière «tissu», elle a
su que c’était à travers lui qu’elle
allait s’exprimer. On pourrait tout
aussi bien décider que ses créations relèvent de l’art poétique.
Sauf qu’elles se portent sur un
corps de chair et qu’en général on
appelle cela un vêtement. Elle
aime bien ce mot, d’ailleurs, «vêtement». Il revient souvent dans la
conversation. Elle n’y voit rien de
trivial. Au contraire. «Il n’y a rien
de plus réel qu’un vêtement qui
porte sa fonction et la fonction
sociale de la personne qui l’habite.
C’est le premier habitat du corps.
Et même en l’absence du corps, il
retranscrit l’histoire vécue de celui qui le porte», souligne-t-elle.
Yiqing Yin a eu le destin perturbé des enfants déracinés.
Quand elle avait 4 ans, ses parents
ont dû quitter la Chine après les
événements de la place Tiananmen. Ils se sont installés en France.
Puis en Australie. L’idée du déracinement est très présente dans ses
collections. Ou plutôt, celle d’enracinement. Elle a appris à faire
façon de ces ruptures du destin:
abandonner un pays, une culture,
des amis derrière soi, pour aller
vers l’inconnu, cela engendre des
peurs profondes, mais permet
aussi de faire de la place pour se
réinventer. Ces interruptions expliquent peut-être sa technique
de couture. Yiqing Yin dessine et
conçoit environ 20% du vêtement.
Le reste naît par accident, sur le
La couturière Yiqing Yin raconte des histoires non pas avec des mots
mais avec des plis et des drapés, et des détournements de tissu
majeurs. Ses collections poétiques mêlent le noble et le trivial, les
techniques de couture ancestrales et les matériaux technologiques.
Le vêtement devient le vecteur d’une révélation de soi, et d’une
possible transformation. Rencontre. Par Isabelle Cerboneschi
mannequin, dans une rencontre,
parfois une confrontation, entre
les mains de la couturière et le
tissu. Yiqing Yin sculpte debout.
Le nom de Yiqing Yin a commencé à être connu du grand public lorsque Audrey Tautou, la
maîtresse de cérémonie du dernier Festival de Cannes, est apparue dans une robe drapée, réalisée
par la couturière de 28 ans (lire p.
43). Mais les professionnels la
connaissent depuis quelques années. Elle a présenté sa première
collection pendant le Festival international de la mode à Hyères
en 2010. L’année suivante, elle défilait à Paris. Ce premier défilé
«Ouvrir Vénus», présenté en juillet
2011, était très instinctif. «On était
une bande de jeunes diplômés, on
ne savait pas trop ce qu’on faisait
ni où on allait. Tout tenait avec des
fils, c’est le cas de le dire.» Il y avait
peu de monde et la salle était minuscule. Mais elle a réussi, en une
collection, à nous entraîner dans
son univers onirique, pas toujours
rose d’ailleurs. Et depuis, on la
suit. Son deuxième défilé était
plus construit. Elle avait mis sa
technique au service d’une idée:
celle de la métamorphose du
corps humain en corps animal.
«Le challenge était d’utiliser des
techniques traditionnellement issues de la couture pour définir
une nouvelle créature, avec différentes textures, différentes surfaces.» Et lorsqu’on l’écoute raconter
ce qu’elle fait, et comment elle le
fait, on devine qu’à chaque collection elle raconte, et réinvente
aussi sa propre histoire.
prends toujours en compte l’aspect photogénique des créations.
J’ai fait une collection basée sur
les multiples humeurs, liées aux
lumières qui se reflétaient sur la
nature aux différentes heures de
la journée. J’ai essayé de rendre la
réfraction de la lumière sur l’eau,
grâce à des techniques variées et à
des matériaux plus technologiques, comme cet organza cristal
qui diffracte la lumière de façon
différente selon l’angle où l’on se
trouve et la matière que l’on place
en dessous. J’aime ce genre de
matériaux changeants. Pour la
dernière collection, j’ai fait réaliser un velours épais, tissé sur des
métiers traditionnels, par la
maison Luigi Bevilacqua, de
Venise. Il est rasé au sabre à la
main et change de couleur selon
l’inclinaison, la lumière, le mouvement.
Vous utilisez aussi des matières
qui n’ont rien à voir avec la couture.
Comment les découvrez-vous?
Parfois elles viennent à moi.
J’aime bien fouiner aussi. Dans
chaque collection, j’aime utiliser
un ou deux matériaux impossibles. Par exemple, lors de la dernière collection, j’ai utilisé du
«PVC prism-reflector» que l’on
emploie normalement dans
l’ameublement. Quand on le
regarde de manière frontale, la
matière laisse transparaître ce
qu’il y a en dessous, mais en le
diffractant comme un kaléidoscope. Tout ce qui est en vision
périphérique reste opaque. Il a
fallu tester sa résistance, sa capacité à être cousu. D’habitude il est
thermocollé. On peut faire des
housses de canapé ou des bouées
avec ce matériau. Mais il avait un
certain charme et je l’ai associé à
des matières traditionnelles
comme la dentelle de Calais
rebrodée de cristaux.
Le Temps: La femme qui semble
se dessiner au fil de vos collections
est-elle une chimère?
Yiqing Yin: Oui, une femme chimère, un peu écorchée, mais
toujours dans un processus de
transformation. Jamais finie,
jamais figée. C’est une proposition pour un nouvel idéal de
beauté, moins convenu, un peu
subversif.
Quand on regarde vos défilés,
on a le sentiment que le corps
de la femme ne suffit pas.
On rajoute, on transforme, on
entaille, pour rehausser, bousculer un peu son anatomie ou ses
proportions, on dessine de nouvelles ossatures. Mais cela ne
donne rien d’étrange au niveau
de la silhouette.
Un lien très fort semble vous lier
à la nature.
Elle m’inspire. La lumière est très
importante dans la construction
de ma palette et dans mes choix
de matériaux et de tissus. Je
Yiqing Yin.
Collection
couture
hiver 2013.
SHOJI FUJII
Vous aimez travailler des techniques traditionnelles comme les
smocks ou le drapé, mais sous vos
mains, ils ressemblent à autre
chose.
Les smocks, le drapé servent
traditionnellement d’ornementation. Je préfère utiliser le potentiel dynamique du plissé pour
faire la forme: le pli n’est plus
juste une décoration, mais fait
partie intégrante de la structure
du vêtement.
Dans un pli, dans un drapé, il y a
autant de vide que de
plein.
Oui, il y a un espace de
communication et un
espace de respiration.
Cela définit un vide autour
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Lesdessous
delarobe
d’AudreyTautou
PHOTOS: SYLVIE ROCHE
D’où vous est venu le goût de la
couture?
A l’origine, c’était plutôt une
approche sculpturale. J’ai adoré
l’exposition de Yohji Yamamoto
aux Musée des arts décoratifs en
2005. Il y parlait de vêtements
comme témoins identitaires. Il
s’inspirait des vieux habits utilitaires, des uniformes de métier,
parce qu’il n’y a rien de plus réel
qu’un vêtement qui exprime sa
fonction et la fonction sociale de
la personne qui l’habite. Cet objet
a une vraie utilité, qui est indispensable, mais au-delà de ce qu’il
est, il illustre un univers de nondits, des choses impalpables,
comme le caractère, l’humeur, les
névroses de celui qui le porte.
C’est un objet en trois dimensions
qui recouvre un autre objet en
trois dimensions, le corps.
du corps qui devient une protection. La répétition de la même
ligne droite dans la matière la
rend plus forte. La mousseline de
soie – un tissu impalpable et qui
fuit dans les doigts – une fois
plissée d’une certaine manière,
avec une certaine longueur dans
les courbes des smocks, va prendre une allure beaucoup plus
rigide et aura cette mémoire de la
forme. Elle ne changera pas au fil
du temps. Elle sera sculptée, sans
avoir besoin d’être entoilée. Sa
rigidité est induite naturellement
par l’accumulation de la matière.
Avez-vous l’idée de carapace,
de protection en tête quand vous
créez vos collections?
Ce n’est pas tant la notion de
carapace que de paradoxe qui
m’importe. Des vêtements qui
évoquent une armure par leur
volume vont surprendre par la
légèreté du tissu. Il y a effectivement la notion d’armure dans les
vêtements que je construis, mais
aussi celle de seconde peau, de
par la fragilité de la matière.
Avez-vous fait de la plongée?
Oui, j’ai ressenti ce sentiment
d’être à la fois fascinée et aspirée
par le vide. On perçoit de l’attrait
et une forme de dégoût face aux
écosystèmes bizarroïdes qu’on a
envie de toucher sans oser, parce
qu’on ne sait pas si ça va être dur
ou visqueux, si ça va nous aspirer
le doigt. On est entre deux mondes.
Vous avez quitté la Chine quand
vous aviez 4 ans. Or dans vos
collections, je lis une tentative
d’enracinement de force, comme si
la nature voulait prendre posses-
sion des robes pour essayer
de les ancrer là, dans le présent.
C’est joli comme image. Je ne me
suis jamais posé cette question
en ces termes, mais cela rejoint
totalement ma vision. Les vêtements sont nos points de repère,
des témoins de notre identité et
de notre histoire. C’est le premier
habitat du corps. Et même en
l’absence du corps, il retranscrit
l’histoire vécue. On perd cette
notion-là avec la mode changeante et la fast fashion, mais
auparavant, quand on voyait sur
un portemanteau le manteau
d’une personne particulière,
cette personne pouvait ne pas
être là, on la reconnaissait.
C’était son manteau. On sent la
présence dans l’absence. Ma
réflexion de création vestimentaire est basée sur cela. Sur des
thèmes beaucoup plus oniriques, plus légers, plus frivoles,
certes, mais toujours pour proposer le vêtement comme une
expérience d’identité. Quand
j’étais petite, je changeais souvent de pays, d’environnement,
d’amis, de famille. On y perd ses
repères. Quand on voyage beau-
coup, le vêtement est le premier
abri du nomade. Il permet de se
réapproprier son histoire, son
identité. De renouer des liens
avec les choses qui nous donnent
de la force. En cela, le vêtement a
une signification forte, au-delà
du système de mode. C’est un
outil de construction de soi et un
canal de communication avec
l’autre.
Vous avez peu vécu en Chine,
mais est-ce que ce pays transparaît
d’une manière ou d’une autre dans
vos collections?
Pas de façon rationnelle. Mais
quand je suis interviewée par des
journalistes chinois, ce sont eux
qui me font remarquer que dans
telle collection, tel vêtement est
d’inspiration chinoise. Je leur
réponds que non, que mon inspiration est dégagée de toute
connotation. Mais certainement
que le fait d’avoir grandi entourée
de beaux objets anciens – mes
parents étaient antiquaires – a
sans doute influencé de façon
inconsciente mon monde créatif.
Ce n’est pas quelque chose que je
recherche, ni de calculé.
Vous sculptez?
Je moule plus que je ne couds un
vêtement: j’ai besoin d’avoir le
corps à la verticale, avec l’apesanteur, l’espace autour, projeter
dans ma tête le vêtement en
mouvement. Dans le flou (en
couture, une technique de réalisation de vêtements dans des
matières souples comme la soie,
la mousseline, le voile, le velours,
par opposition à la technique de
fabrication de tailleurs, ndlr), on
a une silhouette à peu près définie à 20% et tout le reste doit se
chercher, en travaillant les volumes. Ça laisse la place aux accidents, qui sont les vrais miracles
de la création. Il faut savoir s’arrêter et dire: «C’est fini.» Sinon, on
peut toujours tout décaler d’un
centimètre. Il faut savoir revenir
en arrière. Sacrifier des choses. Ça
peut rendre fou. Les vêtements
flous peuvent ne jamais être finis.
Il y a toujours un élément laissé à
l’abandon, ou qui est encore en
cours de métamorphose, mais ce
n’est pas grave, parce que c’est
quelque chose de vivant qui va
respirer, bouger. Je ne fais jamais
de vêtements figés, durs, caparaçonnés. Le vêtement sera fini par
le corps de la femme qui le porte,
par son identité, par sa voix…
Le Temps: Comment vous êtes-vous rencontrées?
Yiqing Yin: C’est sa styliste qui a arrangé notre
rencontre. Audrey Tautou tenait à porter un
vêtement de créateur et non pas la robe
d’une marque d’un grand groupe. Un choix
plus personnel, plus risqué, que je trouve
courageux. On s’est rencontrées autour d’un
déjeuner. On a ensuite organisé un long
essayage de trois heures. Avant de dessiner sa
robe, je voulais voir comment elle portait
différents vêtements, me rendre compte de
ce qui lui allait, comment elle réagissait. La
haute couture, c’est une observation de la
personnalité et du physique de la cliente. Je
lui ai même fait porter des choses que je
savais ne pas lui aller. Cela m’a beaucoup
aidée. J’ai fait le dessin en deux jours.
Combien d’essayages ont-ils été nécessaires?
On n’en a fait que trois, ce qui n’est pas beaucoup pour une robe comme ça. On avait pris
l’empreinte de son corps afin de réaliser un
moulage, car on avait très peu de temps. Cela
nous a permis de travailler sans devoir faire
trop d’essayages.
Y avait-il des contraintes à respecter?
Elle m’a fait entièrement confiance. Sur les
couleurs, la matière, le dessin, les détails,
tout. Je voulais, et elle voulait aussi, que ce
soit une robe signature. Elle avait le souci de
mettre en avant mon travail. C’est un geste
très généreux. Il y avait deux ou trois éléments à respecter: elle est petite, la taille doit
donc être très marquée, il faut faire un petit
buste et allonger les jambes. Je lui ai proposé
quelque chose d’assez frais, pas trop glamour. Elle est plus gracieuse que voluptueuse. Elle fait une taille 32, mais est extrêmement bien proportionnée. Faire un
vêtement pour elle, c’est comme faire un
vêtement pour un mannequin, mais en
rétrécissant tout, autant dans la longueur
que dans la largeur.
Propos recueillis par I. Ce.
Les voiles Mumtaz Mahal
Depuis septembre dernier, un film
publicitaire façon court métrage
signé Bruno Aveillan fait revivre la
légende de Shah Jahan et son
épouse Mumtaz Mahal dont
l’amour a inspiré le fameux parfum
Shalimar. Les vêtements de la campagne portés par Natalia Vodianova
sont signés Yiqing Yin.
>> Lire la suite sur www.letemps.ch
REUTERS/ERIC GAILLARD
Yiqing Yin.
Collection
couture hiver
2013.
Vos vêtements ont l’art de raconter
quelque chose de profond,
de l’ordre de la faille, de manière
à la fois douloureuse et poétique.
Nous sommes des êtres complexes (sourire). La nature, le corps
animal, l’écorché, tous ces thèmes
qui sont récurrents dans mes
collections sont des supports
d’expression, des supports visuels. Mais avant cela, je fais tout
une recherche sur le personnage,
les émotions, les états d’âme que
je souhaite exprimer. Et notamment dans la dernière collection.
Le support graphique, c’était les
fonds marins. Mais cette esthétique m’a servi à exprimer une
forme de folie, une démence,
l’amnésie, la perte de mémoire,
de repères, le flottement, la sensation de se diffracter, le sentiment
de s’enfoncer et de voir le monde
à travers une bulle de glace ou
d’eau.
Lors du dernier Festival de
Cannes, la robe tout en plissés
et drapés de la maîtresse
de cérémonie était signée
Yiqing Yin.
43
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
HIGH-TECH
Retourverslefutur
A rebours du cycle
ininterrompu
d’innovations,
le marché du hightech flirte avec le luxe.
Cela donne
des produits à la fois
d’une grande
sophistication
technologique
au look discret
avec une touche
«vintage» en plus.
Par Mehdi Atmani
C
eci n’est pas un récit
d’anticipation, mais le
portrait fictif d’un
gentleman high-tech.
Celui d’un homme
contemporain dont la
figure est née d’une prise de pouvoir: celle des geeks raillés par tous
sur les campus américains des années 70 devenus les maîtres du
monde plus de quarante ans plus
tard. Les insultes d’hier se muent
donc en compliments. Les geeks
d’hier sont devenus cool, et avec
eux les perles technologiques
qu’ils inventent sans cesse.
Les nouvelles technologies ne
sont plus l’apanage d’une caste
d’informaticiens, mais du plus
grand nombre. Le cyberespace
n’existe plus. Il est l’espace dans lequel évolue notre gentleman hightech. Celui des objets connectés,
extérieurs à lui-même ou arborés
comme une seconde peau. Le marché des nouvelles technologies,
dont le propre est d’enfanter en
permanence de nouveaux objets
dans un cycle d’innovations ininterrompu, l’a bien compris. Il investit dans des produits de niche,
luxueux sans en avoir l’air, et terriblement intelligents.
Car le chic à l’ère numérique réside dans l’art de ne plus être celui
parmi le milliard d’utilisateurs Facebook, ou le fier propriétaire du
dernier – mais si commun – smartphone dont l’effet de nouveauté est
d’ores et déjà promis à ne durer que
quelques mois jusqu’à la nouvelle
trouvaille. A mesure que le luxe
flirte avec le high-tech, il insuffle ce
qui le définit: la rareté et l’exception. Celle du produit et de sa sophistication technologique, mais
aussi le sentiment de singularité
qu’il procure à son propriétaire.
Si notre gentleman high-tech a
le corps et l’esprit ancrés dans son
temps, il jette avec envie des regards en arrière. Telle est la subtilité de notre époque: estomper
avec grâce les frontières entre les
générations, permettre de se réapproprier les valeurs de fiabilité du
passé pour les combiner aux technologies du présent. Derrière ce
qui ressemble aux courbes sensuelles d’un buffet scandinave des
années 50 se cache une console
hi-fi truffée de bijoux technologiques. L’art du remix et du mash-up,
cet héritage d’Internet qui plaît
tant à notre protagoniste. A rebours des nouveautés technologiques parfois alambiquées qui
inondent sans cesse le marché, posons le regard sur quelques objets
d’exception.
XÉNIA LAFFELY
44
> Le vélo électrisant
> Ceci n’est pas un radiateur
> Métal hurlant
A y regarder de très près, on le
prendrait pour le roi Fixie. Du
moins pas pour un vélo à assistance électrique. Mais le design
chic des modèles récents, tel le
Vanmoof 10 fabriqué par la société
néerlandaise éponyme a tout pour
séduire notre gentleman hightech. Rebuté à l’idée d’attaquer
une journée de travail la chemise
trempée sous le costume, ce cycliste urbain adepte des déplacements doux peut compter sur un
concentré de technologies. Le vélo
Vanmoof 10 est doté d’un écran de
contrôle, d’une assistance moteur
discrète et limitée qui s’estompe
au-delà de 25 km/h. De plus, son
GPS intégré permet le guidage et le
traçage en cas de perte ou d’oubli.
Le Blade Runner a des airs de culasse de moto ou de radiateur. Mais cet
objet au look futuriste et trompeur n’est autre que le nouveau disque dur
signé par Philippe Starck. Une forme de conservatisme à l’heure où toutes
nos données numériques s’enregistrent dans le cloud. Le designer français
offre ici un look robuste et novateur à ce bijou technologique qui dispose
d’une capacité gigantesque de 4 TO, permettant de désengorger sérieusement l’ordinateur de notre gentleman high-tech. Portable, ce disque dur en
aluminium pèse 2 kg et se transporte facilement. Et comme sur une
culasse de moto, les ailettes assurent la circulation de l’air, pour empêcher
la surchauffe. Le Blade Runner est édité seulement à 9999 exemplaires.
Le préamplificateur 808 MKS
de Burmester est un beau bijou
à plus de 30 000 francs qui a
d’abord eu les faveurs des
conducteurs de Porsche Panamera et de Bugatti Veyron avant
de séduire notre gentleman
high-tech. Il doit sa paternité à
l’Autrichien Dieter Burmester,
collectionneur de guitares et
créateur du must des systèmes
audio, dans les voitures comme
dans les salons. La preuve avec
la cinquième génération du
préamplificateur 808 lancé en
1980. Rutilant comme un miroir,
il permet de configurer les entrées en fonction des différentes
sources (CD, vinyle, tuner…) et
d’ajuster au mieux le gain, soit le
rapport entre l’entrée et la sortie. Il nettoie, épure et magnifie
le son pour le transmettre à
l’ampli qui le diffuse ensuite aux
enceintes.
> Le casque haute couture
Toujours à la pointe du design audio, la
firme danoise Bang & Olufsen lance le Beoplay H6, un casque qui propulse notre
gentleman high-tech dans les hautes
sphères. A sa structure chic, en aluminium
anodisé, s’ajoute la douceur d’épais et
d’élégants coussinets, dont le cuir est minutieusement traité en Nouvelle-Zélande.
Inventeur de la première radio avec fonctionnement à bouton-poussoir en 1938,
puis de la chaîne hi-fi moderne dans les
années 50, Bang & Olufsen a toujours pris
soin de l’ouïe des mélomanes. Au point de
concurrencer, aujourd’hui, l’auriculothérapie pour détendre l’esprit. La stimulation
par ce casque devrait en effet avoir raison
de l’un des 120 points d’acupuncture que
comptent les oreilles de notre héros des
temps modernes.
> Console «vintage» high-tech
La tendance est au design scandinave des années 50, au bois
verni, aux formes arrondies et aux piètements simples. La
marque britannique Ruark Audio s’est inspirée des premiers
meubles de télévision et des vieux postes de radio pour produire la console R7. En surface, elle mise sur la simplicité et des
matériaux bruts avec le placage en noyer sombre. Celui-ci
contraste avec le cœur technologique de la bête fait d’aluminium et de verre comprenant lecteur CD, tuner et amplificateur.
La console peut aussi accueillir deux platines vinyle. Deux
enceintes stéréo de 160 W cachées derrière une délicate toile
marron suffisent à diffuser le fond sonore pour une soirée
cocktail vintage. D’autant que les invités peuvent partager leurs
playlists via Bluetooth et wi-fi.
> L’ère des montres connectées
Distance parcourue, rythme cardiaque, nombre de foulées… Les pros ne jurent plus que par le «data
sport». Dans le sillage du phénomène Quantified Self, dont les adeptes quantifient leurs activités
quotidiennes à l’aide de gadgets technologiques, plusieurs marques développent des produits dotés
de composants miniaturisés pour rapprocher l’objet de son utilisateur. A l’instar de la montre Basis
bardée de capteurs que l’utilisateur peut paramétrer à l’envi et selon son style de vie. La Basis est tout
d’abord une montre connectée, mais pas uniquement. Elle recèle, sous le capot, un grand nombre de
capteurs permettant de mesurer précisément l’activité du corps: accéléromètre, thermomètre
dermal, capteur cardiaque optique et un capteur d’humidité. De nuit comme de jour, Basis enregistre
absolument tout sans que notre gentleman high-tech ait besoin de l’activer. Le tout est synchronisé
sur son ordinateur, téléphone portable ou tablette via Bluetooth.
Qu’en pense notre gentleman high-tech?
LONGCHAMP.COM
46
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
CONTE D’HIVER
«J’aiattenduunsiècle
pourépouserunprince»
Comment, après être passée entre plusieurs mains et une vente aux enchères, une robe de dentelle
blanche qui aurait appartenu à Mata Hari au début du XXe siècle est devenue la tenue de mariée d’une princesse
du XXIe siècle. De Londres à Cracovie, de Genève à Paris, confidences d’une robe.
Par Isabelle Cerboneschi. Photographies: Sylvie Roche
Préambule
Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé, des
événements ayant eu lieu, n’est pas
une coïncidence.
Chapitre un
L’attente
Je suis en apesanteur, suspendue à
un cintre. Ma dentelle se détend,
ma traîne prend ses aises. Je suis
en attente, dans un dépôt de la
banlieue de Londres. Nous sommes en l’an 2012. J’ai plus de
100 ans, mais je ne les fais pas.
Ma dentelle est un peu jaunie
par endroits, mais mes fleurs sont
intactes. J’attends qu’une femme
me comprenne, porte son regard
sur moi. J’ai tant d’humiliations à
racheter. Me refaire une virginité.
C’est à cela que j’aspire. J’ai l’âme
pure, quoi qu’on en pense.
Je sais qu’en juin prochain, je
changerai de main. Mon nom est
sur la liste de la prochaine vente
aux enchères orchestrée par Kerry
Taylor, l’experte qui m’a rachetée
lorsque ma précédente propriétaire a décidé de se séparer de moi.
C’était une Allemande. Très belle.
Elle m’avait découverte chez un
marchand parisien au début des
années 70. Il lui avait affirmé que
j’avais appartenu à Mata Hari, je
m’en souviens très bien. Mais ne
comptez pas sur moi pour confirmer. J’ai promis de garder le secret
de mes origines. Je n’avouerai jamais.
Je ne sais qui va m’emporter,
mais je rêve que l’on me désire.
Comme à mes débuts. Lorsque ma
première maîtresse m’avait choisie. Moi. Et pas une autre. C’était il
y a plus d’un siècle.
Mes voisines de cintre feignent
de m’ignorer. Celles de «la haute»,
je parle de celles qui sortent des
ateliers de haute couture et portent la griffe de grands couturiers,
me méprisent. Ma présence leur
est insulte. Pensez! J’ai senti la
morsure du regard des hommes
me traverser. Désirer follement
tout ce que je dissimulais.
Et peut-être pire encore: Je n’ai
pas d’étiquette!
Chapitre deux
J’ai rencontré un elfe
Je n’oublierai jamais ce jour.
L’après-midi est déjà bien avancé
lorsque la porte du dépôt s’ouvre
sur une jeune femme aux cheveux
rouges accompagnée d’un homme
à la barbe de dandy. Je devine qu’il
est son fiancé à sa manière de la
caresser du regard. J’apprendrai
plus tard qu’il s’agit d’un prince polonais. Par la suite, je lui donnerai
du «SAS», pour Son Altesse Sérénissime. Mais pour l’instant, je ne sais
rien d’eux et je ne vois qu’elle. Elle
et ses yeux de faon, immenses, qui
dévorent son visage.
Je l’entends expliquer à Kerry
Taylor qu’elle cherche sa robe de
mariée. La salle est glaciale. Le
chauffage ne marche pas. Elle
essaie malgré tout une demi-dou-
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
La princesse et moi.
zaine de mes aristocrates voisines.
Mais aucune ne lui va. Cela ne
m’étonne pas. J’ai envie de hurler:
«Regarde-moi!»
A croire qu’elle m’entend. Sa
main s’approche de ma dentelle.
Elle tremble un peu. Si j’avais un
cœur, à ce moment, il battrait la
chamade. Elle m’essaie à même ses
sous-vêtements. Le haut est trop
grand. C’est normal, ai-je envie de
lui dire, j’ai été conçue pour une
femme qui portait un corset. La
silhouette des femmes de la Belle
Epoque n’avait rien à voir avec
celle de ce joli petit elfe.
Kerry Taylor fait son possible
pour inviter son fiancé à regarder
ailleurs. Cela ne se fait pas de voir
la robe avant le mariage. Mais impossible de séparer ces deux-là, et
surtout pas pour une histoire de
superstition.
Mademoiselle voudrait m’emporter, là, tout de suite. Inutile de
m’emballer, je connais la réponse
de Kerry Taylor. C’est «non». A
cause de mon pedigree justement.
Si le nom de Mata Hari fait grincer mes voisines de cintre, il pourrait en revanche me valoir une adjudication plus haute. Curieux
paradoxe…
Chapitre trois
Mon destin contre
un coup de marteau
Londres, le 26 juin 2012. C’est
mon tour. Je suis posée sur un
mannequin, face à la salle, face à
elle, mon elfe. Elle est au premier
rang, à droite. Elle porte une petite robe Courrège rose pâle. Elle
est pâle, elle aussi.
Les enchères commencent. Elles montent rapidement. Il ne
reste bientôt plus qu’elle et une
personne au téléphone que je ne
connais pas à se battre pour
m’avoir. En d’autres circonstances
je trouverais ça flatteur, si je
n’avais déjà fait mon choix. Les objets ont une âme, quoi que certains en pensent. Vous croyez que
vous nous choisissez? Cela ne
m’étonne pas. L’humain est présomptueux. Nous sommes nombreux, dans le monde des objets, à
choisir notre propriétaire. Et moi,
je l’ai choisie, elle.
Je la vois transpirer, perdre le
peu de couleur qui lui reste. Et je
comprends. Nous nous approchons dangereusement du seuil
au-delà duquel elle ne pourra plus
enchérir. Mais, pour l’instant, elle
a la main. L’inconnu du téléphone
sort de la course. Un silence s’instaure. Il ne dure que quelques secondes qui me paraissent des heures. J’attends le coup de marteau.
Lorsqu’une voix, du fond de la
salle, s’élève et enchérit. La petite
main de Mademoiselle s’élève
alors encore une fois. Je crains que
ce ne soit la dernière.
Boum! Le marteau frappe. Je
suis sonnée. Nous appartenons
l’une à l’autre. Contre toute attente, Kerry Taylor prend la parole
et s’adresse à la salle: «Je suis très
heureuse, car cette jeune femme
vient d’acheter sa robe de mariée.»
Et là, comme aux jours de ma
gloire ancienne, je vois la salle entière qui applaudit.
Chapitre quatre
Onze mois d’errance
J’avais oublié que les instants de
grâce ne durent jamais longtemps. Depuis que Mademoiselle
m’a achetée, je vis en réclusion,
repliée sur moi-même dans un papier de soie au fond d’un cagibi, à
Genève. Quelle faute dois-je donc
expier?
A-t-elle changé d’avis le jour où
Madame, c’est ainsi que j’appelle
sa mère, lui a rendu visite et que
j’ai surpris ses propos: «Tu es bien
courageuse, ma fille, de vouloir te
marier dans la robe d’une femme
qui fut une espionne, une courtisane et qui a fini fusillée.»
Est-ce à cause de cette phrase
qu’un jour Mademoiselle me
confie sa sœur? Celle-ci m’emmène chez un couple charmant
qui va chanter pour moi. Enfin
c’est ce que je croyais car le sens de
ce chant qui semble remonter aux
origines du monde est une sorte
de nettoyage énergétique censé
me laver de tout soupçon.
Quelque temps plus tard, Mademoiselle me glisse dans sa valise.
Direction Paris. Madame nous accompagne. Nous partons toutes
les trois en quête du tissu qui me
servira de sous-robe. Cela fait longtemps que celle de mes origines est
tombée en lambeaux. Et me porter
à même la peau le jour de son mariage serait inconvenant.
Nous avons visité tous les marchands de la ville, mais nulle part
nous n’avons trouvé le tissu couleur chair parfait: trop rose, trop
jaune, trop beige, trop rigide… En
fin d’après-midi, dans une boutique située derrière le Crillon, on le
découvre enfin. Un crêpe de soie
magnifique, très souple, un tombé
parfait, destiné à la maison Valentino. «C’est dommage d’en faire
une sous-robe», se permet la vendeuse.
J’ai très envie de lui répondre
que Mademoiselle et moi-même
méritons le meilleur.
«le Marchand de sel», un ancêtre
de SAS. Je le surnomme ainsi, car à
l’époque il administrait les mines
de sel royales de Wieliczka.
Parce que les moines-ermites
respectent les règles strictes héritées de l’ordre de Saint-Benoît, les
personnes extérieures, et notamment les femmes, ne peuvent entrer dans la chapelle de Bielany
que 12 fois par an, pour assister à
des messes liturgiques. La famille
de SAS, fait bien sûr exception.
Le sol de la chapelle est trempé.
Moi aussi. Monsieur son père
agrippe Mademoiselle par le bras
et l’emmène vers l’autel. Son
prince la regarde, je le vois qui
rougit, lui prend la main. Il ne la
lâchera guère.
J’entends lire la Première Lettre
de saint Paul aux Corinthiens
pour la première fois et cela me
bouleverse. «J’aurais beau parler
toutes les langues de la Terre, si je
n’ai pas la charité, s’il me manque
l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui
résonne, une cymbale retentissante. J’aurais beau être prophète,
avoir toute la science des mystères, et toute la connaissance de
Dieu, et toute la foi, jusqu’à déplacer des montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien…»
Il y a quelque chose de troublant, pour une robe comme moi,
à balayer de ma traîne ces pierres
vénérables arpentées l’année durant par des moines priant dans le
silence.
Cela ressemblerait à une forme
de rédemption si je croyais au péché. Mais je ne suis qu’un vêtement. Je crois à la coexistence, pas
toujours pacifique, de l’ombre et
de la lumière, pour avoir vécu
l’une comme l’autre. Je crois aux
destins qui se façonnent, aux hasards qui n’en sont pas, aux âmes
qui se cherchent et se trouvent. Je
crois à la puissance créatrice de
l’amour.
Je suis une robe de dentelle blanche. J’ai plus de 100 ans, mais je ne
les fais pas. J’ai vécu plusieurs vies.
J’ai attendu un siècle pour
épouser un prince…
«Pour communiquer et recevoir
Je me délivre nue
Sans attente, ni devoir
Ne plus vouloir, avoir, croire
Esclave de l’univers, de ses déconvenues
S’agenouiller naïve devant la vie
Et faible, donner de tout
son être, dire merci.»*
(Carmen Campo Real)
* Poème extrait du recueil «Cartilage»,
Carmen Campo Real, Ed. Slatkine, Genève, 2010.
Unecourtisaneendentelle
Saura-t-on jamais si la robe vendue à Londres
par Kerry Taylor le 26 juin 2012 a véritablement
appartenu à Mata Hari?
Il existe bien une photo de la
sulfureuse Néerlandaise datant de
1906, où on la voit poser dans une
robe de dentelle blanche, similaire à celle de la vente, mais les
motifs sont différents.
Quand on pose la question à
l’experte londonienne Kerry Taylor, qui a orchestré la vente, celle-ci parle plutôt d’une suspicion.
«La robe provient de la collection
de Heidemarie Garrigue Guyonnaud, explique-t-elle, une très
belle femme allemande qui a collectionné des vêtements vintage
pour les porter dans les années 60
et 70. Elle l’avait acquise auprès
d’un marchand parisien au début
des années 70, qui lui a affirmé
que cette robe avait appartenu à
Mata Hari, bien qu’il n’y ait
aucune preuve de cela.»
Ces robes de dentelle blanche
étaient très en vogue au début du
XIXe siècle. Celle-ci, de forme
princesse, fait 86 cm de tour de
poitrine et 66 cm de tour de taille.
Etaient-ce les mensurations de
Mata Hari, la fameuse courtisane
jugée coupable d’«espionnage et
d’intelligences avec l’ennemi» et
fusillée le 15 octobre 1917?
Qui peut le savoir? Après son
exécution, nul n’a réclamé son
corps…
I. Ce
un officier de la marine néerlandaise
de dix-neuf ans son aîné en juillet
1895. Elle le suivra aux Indes néerlandaises, à l’ouest de Java, où il est
nommé. C’est là qu’elle s’initie aux
danses balinaises.
De ce mariage peu heureux, son
époux est violent et porté sur la boisson, naissent deux enfants dont un
fils qui mourra en bas âge.
En 1902, le couple retourne aux
Pays-Bas et divorce. Pour survivre, la
jeune femme, âgée de 26 ans, se
rend à Paris où elle vit des largesses
des hommes et embrasse la carrière
de danseuse de charme. Le célèbre
collectionneur Emile Guimet l’invite
à présenter sa danse le 13 mai 1905:
celle d’une princesse indienne qui
termine entièrement dévêtue. Mata
Hari est née.
Le spectacle remporte un tel succès que l’impresario Gabriel Astruc
décide de s’occuper de sa carrière et,
pendant dix ans, Mata Hari se produira dans toutes les capitales, collectionnant les bijoux, les fourrures,
les chiens, les diamants et les
amants.
Le reste, ses actes d’espionnage
supposés ou réels, appartient à l’histoire. I. Ce
Chapitre cinq
J’ai épousé un prince
Cracovie, le 1er juin 2013. Ce matin-là, le ciel a décidé de déverser
sur nous ses bénédictions les plus
empressées. Les plus humides surtout. Il pleut des rivières, mais Mademoiselle s’en moque. Elle jette
un regard distrait à la fenêtre et
remercie la vie.
Dans la voiture qui la mène au
monastère de Bielany, elle répète
ses vœux en polonais. Je les
connais par cœur.
Nous approchons. Bielany fut
construit entre 1609 et 1630 sur
Srebrna Gora, la montagne d’argent, dans les environs de Cracovie, sur une terre offerte à l’ordre
camaldule par celui que j’appelle
Mata Hari, le mystère…
Margaretha Geertruida Zelle
(1876-1917) eut un destin pour le
moins romanesque, et surtout
contrarié. Son père, Adam Zelle, était
un riche marchand avant qu’il ne
fasse faillite en 1889. En 1890, ses
parents se séparent, huit mois plus
tard sa mère, Antje van der Meulen,
décède: débuts de vie difficiles pour
une jeune fille de 15 ans.
En 1992, elle entre à l’Ecole normale de Leiden pour devenir institutrice, mais sa liaison avec le directeur
de l’école fait scandale. C’est suite à
une petite annonce matrimoniale
qu’elle épouse Rodolphe MacLeod,
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
ROMANS OLFACTIFS
Leparfumaufildespages
PHILIPPE PACHE
Quelques parfumeurs amoureux de livres se sont lancé le pari exquis de mettre
romans, écrivains et personnages en flacons. Ces alchimistes ouvrent les portes
de leurs bibliothèques olfactives d’un autre temps. Par Valérie D’Hérin
«L
a
première
réaction fut
un bonheur
extravagant,
écrivait Borges dans les
premières pages de la Bibliothèque
de Babel. Tous les hommes se sentirent maîtres d’un trésor intact et
secret.» Ce trésor, le parfumeur argentin Julian Bedel a cherché à le
concentrer avec beaucoup d’élégance dans un jus boisé et frais
nommé Biblioteca de Babel, pour
Fueguia 1833. Celui qui s’en imprégnera sentira le cèdre, la cannelle, l’encens s’enchevêtrer entre
les fibres de sa chemise. En lui,
naîtra le sentiment exquis de se
retrouver dans une bibliothèque
aussi intime qu’universelle qu’il
cachera entre les pans de sa chemise comme un trésor jalousement gardé. L’odeur du bois, de la
poussière, des parfums hors du
temps le plongera dans une sérénité à la frontière du mystique.
Un autre parfumeur passionné,
Christopher Brosius, propose un
parfum au nom des plus explicites
– In The Library – dont la note
principale réinterprète l’odeur
d’un de ses romans préférés retrouvé au hasard d’une visite à
Londres dans une bouquinerie de
quartier. Cette odeur si particulière qu’il appelle simplement
«note de roman anglais» est suivie
de notes cuirées et boisées et d’un
soupçon de cire. Il a en commun
avec Biblioteca de Babel, L’Air de
Rien ou encore Opus II
d’Amouage, de transporter dans
son sillage l’évocation d’un lieu
chargé d’érudition et de souvenirs. Un lieu où reposent des livres
dans l’attente de leurs lecteurs.
L’odeur de l’encre
Le magazine Wallpaper*, l’éditeur
allemand Gerhard Steidl et le parfumeur Geza Schoen sont à l’origine d’un projet surprenant appelé Paper Passion. Délaissant le
bois des bibliothèques, ils ont mis
en bouteille l’odeur du livre qui
sort de l’imprimerie, de ces pages
qui n’ont pas encore été tournées
et retournées, de l’encre fraîche
pour retrouver à même l’épiderme toute la sensualité du livre
à une époque où les nouvelles
technologies nous en détournent.
Dans un petit livre blanc, entre des
pages rouges prédécoupées, se cache un parfum composé à partir
d’acides linoléiques et de résine de
copaïba. Les odeurs du papier et
de l’encre submergent et surprennent au débouché. Au bout d’une
heure, il en reste une fragrance
aussi intimiste qu’une lettre repliée au creux du poignet.
Mais comment recrée-t-on
l’odeur de l’encre qui va inscrire
ses mots silencieux sous notre
peau? Pour M/MINK, Ben Gorham,
des parfums Byredo, a travaillé
l’odeur d’un bloc d’encre originaire d’Asie avec le parfumeur Jérôme Epinette sur une base
d’adoxal, d’encens et d’ambre tandis que pour El Mono de la Tinta,
Julian Bedel explique qu’il a choisi
de mettre l’accent sur les résines
qui composaient les encres anciennes, en plus des cendres qui
leur donnaient leur teinte noire et
des résines qui servaient de liant.
El Mono de la Tinta, nommé ainsi
d’après le petit singe de l’encre décrit dans le bestiaire de Borges,
possède l’odeur de la résine de
bois de santal et du copaïba. Cet
arbre d’Amazonie à l’odeur froide
et résineuse rappelle l’odeur ennivrante qui fascinait tant ce petit
singe noir, friand d’encre de
Chine, qui attendait patiemment
que l’écrivain termine son travail
pour boire ce qui restait au fond
de son encrier.
Ces parfums sont des romans
d’aventure dont les rebondissements se dévorent à fleur de peau
comme Terre d’Hermès que JeanClaude Ellena a écrit comme «une
histoire, avec des personnages,
une mise en scène d’émotions olfactives», un parfum qu’il considère volontiers comme «lisible».
«Hermès se considère comme un
éditeur de parfums, au même titre
que Frédéric Malle, explique JeanClaude Ellena. Nous les présentons dans une bibliothèque où les
fragrances sont des romans (Terre
d’Hermès, Jour d’Hermès…), des
nouvelles (la série des jardins et
des Colognes), des poèmes (les
Hermessences), que je nomme
parfois «Haïku.»
S’il y avait un rayon «poésie»
dans les parfumeries, Sweet Redemption et Liaisons Dangereuses, de Kilian Hennessy y seraient
présents. Très influencé par les
poètes maudits, ce dernier leur
rend hommage dans l’ensemble
de son Œuvre Noire – et tout particulièrement à Baudelaire. «On ne
met pas Baudelaire en flacon, précise Kilian Hennessy. On ne cherche même pas. On essaie juste de
traduire, dans une écriture
contemporaine, l’esprit de Baudelaire, son univers sombre, sensuel,
presque érotique, en se jouant des
interdits de notre société avec le
clin d’œil de la désinvolture.»
Combien d’autres parfums puisent leurs notes dans la littérature
sans que le nez le devine? Sophie
> Suite en page 52
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
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Colette, «Pour un herbier»
Labbé, parfumeuse chez IFF, raconte comment Colette l’a inspirée dans la création d’Organza
pour Givenchy. «Le brief racontait
l’histoire de la féminité éternelle,
de la jeune fille à la femme plus
mature, explique-t-elle. Juste
avant, j’avais dévoré Pour un herbier de Colette et notamment «Le
monologue du gardénia» dont je
vais vous lire un extrait: «Il sera 6 h
quand j’aurai décrété qu’il est 6 h.
Alors seulement, la terrasse, le jardin et l’univers entier suffoqueront de mon parfum…» raconte le
gardénia. «Là, je dors, inodore
mais à l’heure dite, 6 h, j’exhale
mon fiévreux et muet discours.
Une fleur d’oranger imaginaire,
un moucheron cru, en une heure
s’unissent en moi, dirait-on, pour
la perdition des âmes et des
corps.» C’est sublime! C’est exactement l’odeur du gardénia qui possède à la fois un petit côté de la
fleur d’oranger et du moucheron,
ce champignon qui a une note un
peu verte, crue, deux ingrédients
qu’on utilise généralement pour
recréer l’odeur du gardénia en
parfumerie. «Alors, ma rivale ineffable n’a qu’à paraître, et tout gardénia que je suis, je faiblis, je me
prosterne devant la tubéreuse.»
Colette avait vraiment vu que la
fleur d’oranger, le gardénia et la
tubéreuse étaient des fleurs blanches appartenant au même univers bien qu’on se doute que c’est
la tubéreuse qui va gagner le duel
parfumé. La tubéreuse est beaucoup plus voluptueuse, plus puissante. Ce monologue évoquait
pour moi la féminité du blanc crémeux, très pur, ce blanc un peu
laiteux de la jeune fille jusqu’à
l’odeur de la tubéreuse, de la
femme affirmée, plus mûre. Ce
monologue du gardénia corres-
pondait au brief d’Organza. En
passant du gardénia et en allant
jusqu’à la frontière de la tubéreuse, j’ai fini par avoir toutes les
femmes.»
Personnages en flacon
Julian Bedel, parfumeur de la maison Fueguia 1833, rappelle que le
parfumeur, pour bien raconter
une histoire, doit être un bon metteur en scène. «Ce qui me fascine
dans un parfum, c’est l’évaporation de chaque ingrédient. Un absolu ou une huile essentielle de
jasmin, par exemple, va se construire autour de 400 molécules. Si
on utilise 100 ingrédients naturels dans une formule, on va donc
finir avec 40 000 molécules et chacune d’elles va atteindre un point
d’ignition et s’évaporer. Composer un parfum, pour moi, est
comme écrire une pièce avec des
personnages qui entrent et qui
sortent. Il y a un récit auquel les
ingrédients participent pendant
les huit heures que dure le parfum
sur la peau.»
D’autres flacons ne contiennent en leurs cœurs qu’un seul et
unique personnage littéraire qui
attend de reprendre vie sur une
peau, frémissant d’une impatience contrôlée par son créateur
avant de sortir de son flacon. Qu’il
s’agisse de l’émouvante Dame aux
Camélias, de l’incroyable Orlando, une des plus belles révélations olfactives de cet automne,
du bel Ernest Hemingway (1899)
ou du sage Jules Vernes (1828), on
ne saurait trop dire s’ils sont hommes ou femmes. De chaque gouttelette pulvérisée, une ombre
s’étire, comme une multitude de
petits «lui» ou de minuscules
«elle». Si certaines se perdent dans
l’air comme des âmes égarées,
d’autres se posent sur l’épiderme,
qu’elles confondent peut-être
avec une page.
Ces dernières années, les parfums littéraires se sont tellement
multipliés que l’on peut se demander si le parfumeur ne pourrait être comparé à un écrivain.
«Bien
sûr,
répond
Pierre
Guillaume. On parle bien de style
d’écriture pour évoquer la façon
de formuler, c’est-à-dire d’élabo-
rer la formule d’une composition
olfactive. En tant que parfumeur
créateur, on est aussi confronté à
la page blanche. L’enjeu est parfois
semblable: raconter une histoire,
engendrer une émotion où les
mots sont remplacés par des notes
olfactives…»
«Je dirais que oui, je suis un
écrivain de parfums, conclut Sophie Labbé. Les ingrédients sont
mes mots. Les accords sont des
phrases. Chaque parfum est un roman avec un début mais pas de
fin. Un peu comme un roman,
d’ailleurs, car il continue à s’écrire
au fond de nous.»
Dans la peau de Grey
Comment la parfumeuse Sophie
Labbé a créé l’odeur du personnage
de «Fifty Shades of Grey».
«L’année dernière, j’ai lu Fifty Shades
of Grey, explique la parfumeuse
Sophie Labbé. Dans de nombreuses
pages, on décrivait l’odeur de cet
homme et le pouvoir qu’il a sur la
jeune héroïne. Chaque fois, je me
disais que j’aimerais bien le sentir.
J’ai choisi de travailler son odeur.
Dans les pages du livre, j’ai appris
que Christian Grey ne se parfumait
pas. Il prend de nombreuses douches avec un gel douche d’une
marque très élitiste. J’ai imaginé que
cela pouvait être une note à la fois
très propre, aldéhydée, et très
boisée donc cédrée. On nous raconte aussi qu’il porte beaucoup de
chemises en lin et je voulais avoir
cet effet de textile, la fluidité, la
propreté du lin. Ensuite, il y a sa
peau, très sexy. Là, j’ai travaillé un
musc, avec des notes ambrées, qui
ont un côté animal, très prenant. Et
une pointe de cumin pour un petit
côté sale, un peu coquin. Il est écrit
qu’il prend des bains au jasmin. J’ai
donc rajouté une goutte de jasmin
pour cette sensualité, cette part
féminine qu’il a en lui aussi. Et puis,
une note épicée – encens pour mon
gel douche exclusif. Le musc est là
pour apporter un côté peau propre,
peau de bébé, car il a tout de même
une profonde blessure liée
à l’enfance.»
PHOTOS: DR
«Alors, ma rivale
ineffable n’a qu’à
paraître, et tout
gardénia que je suis,
je faiblis, je me
prosterne devant
la tubéreuse.»
De haut en bas et de gauche à droite:
Baudelaire, Byredo. Orlando, Jardins
d’Ecrivains. Biblioteca de Babel, Fueguia.
In the Library, CB I Hate Perfume.
Liaisons dangereuses, by Kilian.
1828 Jules Verne, Histoires de Parfums.
Passion Papier, Wallpaper Steidl.
«Onracontedeshistoiresautraversdesparfums»
DR
Parce qu’elle rêvait de recréer
une ambiance olfactive autour
d’auteurs ou de personnages
littéraires, la parfumeuse
Anaïs Biguine, a conçu
la marque Jardins d’Ecrivains.
Elle nous raconte sa perception
de George Sand, Gigi,
ou Orlando.
Le Temps: Comparez-vous parfois
votre métier de parfumeur à celui
d’écrivain?
Anaïs Biguine: Les notes peuvent
avoir le pouvoir des mots et raconter une histoire mais je n’aime
pas non plus surestimer la réalisation d’un parfum, car la littérature reste incroyablement noble.
On peut considérer le parfum
comme un art mais il n’est pas
classé comme tel. Toutefois, j’ai
très envie de croire que l’on peut
s’amuser à se dire que l’on raconte
des histoires. C’est évidemment la
vocation que j’ai puisque l’idée de
Jardins d’Ecrivains est de recréer
une ambiance olfactive en fonction d’un sujet littéraire.
Votre premier parfum s’appelle
George, en référence à George
Sand. Comment choisissez-vous
vos personnages?
Commencer par George était
comme une évidence, car j’étudie
George Sand depuis maintenant
vingt-cinq ans. Je me sens très
proche d’elle. J’aime aller à Nohant,
m’imprégner de l’atmosphère de
sa maison… George est très engagé comme type de parfum. Il
correspond à des gens qui sont
dans un éveil permanent, qui
donnent beaucoup, et exigent
beaucoup d’eux-mêmes. C’est une
armure. On peut aller à la guerre
avec. Après George, j’ai eu besoin
de légèreté. J’ai souvent besoin
d’aborder un nouveau sujet en
conséquence de celui que je viens
de terminer.
D’où Gigi…
Oui, je suis passée à Gigi de
Colette. J’ai adoré ce personnage
dans l’insouciance, qui est
complètement l’opposé de
George Sand. Gigi représente un
moment très particulier, furtif
dans la vie, où on quitte l’enfance
et on devient une femme. Et puis,
sa naïveté, son inconvenance la
rendent attachante. Colette
aimait les fleurs blanches mais si
je n’avais fait que des fleurs
blanches, cela aurait fait vieille
dame. Lorsque j’ai associé la
tubéreuse et le cassis, on a eu tout
de suite quelque chose
d’extrêmement pétillant, qui
exprimait la jeunesse.
Comment est né Orlando?
L’idée d’Orlando a pris le temps
de germer. Je n’étais pas très
disposée à faire quelque chose
autour de Virginia Woolf sauf
qu’elle a écrit un conte
fantastique, qui ne ressemble à
rien d’autre dans son œuvre. Un
conte sur un homme qui
s’appelle Lord Orlando, qui a 30
ans et qui va devenir le favori
d’Elizabeth 1re à la condition
qu’il ne vieillisse jamais, car elle
trouve détestable les ravages du
temps. Qu’à cela ne tienne,
Orlando ne va pas vieillir. Il va
traverser trois siècles, partir à
Constantinople, devenir une
femme, Lady Orlando, rentrer en
Angleterre et y perdre tous ses
droits. Je me suis dit que c’était
un sujet sublime. Ce personnage
hybride, c’était l’histoire d’un
parfum mixte. Avec
Constantinople, on avait une part
orientale puis une traversée dans
le temps sur plus de trois cents
ans. C’est le fantasme de tout le
monde de traverser les époques.
Les pistes olfactives étaient très
diverses. C’était un homme,
c’était une femme. C’était
l’Angleterre, c’était l’Orient. Je me
suis dit qu’on allait faire quelque
chose de doux mêlé d’épices, un
oriental miellé. Il a de l’orange en
tête, ce qui n’est pas classique, du
gingembre, de la baie rose, de
l’ambre, du musc. On est
vraiment dans une senteur
ancestrale. On pourrait imaginer
que ce parfum existe depuis la
nuit des temps.
Vous avez réussi le pari d’un conte
olfactif qui traverse le temps…
Il n’a rien de moderne mais
quand je vois ma fille le porter,
on a l’impression que cette odeur
émane d’elle. C’est vraiment un
parfum de peau. Il se mélange
parfaitement à l’épiderme. A la
sortie, ce n’est presque pas un
parfum, c’est l’amplificateur de ce
que peut être une personne.
Propos recueillis par V. D’H.
hermès. le temps réinventé.
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oublier le temps, l’espace d’un instant, pour mieux se le réapproprier. d’une pression
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
Bassiste de cœur, graffeur
à l’adolescence puis sculpteur,
rien ne prédestinait l’Américain
à devenir le roi de la pâtisserie
outre-Atlantique.
C’était compter sans le regain
d’intérêt de la société actuelle
pour le fait main et l’artisanat.
Par Catherine Cochard LOS ANGELES
Créé par Duff Goldman et son équipe,
cet éléphant est presque entièrement
comestible. Une structure en sagex
agit comme une ossature
sur laquelle le pâtissier ajoute des
couches de douceurs successives.
SWEET!
DuffGoldman,
sculpteursurglaçage
L
os Angeles, l’usine à rêves.
La mégapole est passée experte en création de stars
éphémères, consommables rapides à destination
d’un public aussi envieux
que boulimique de ces histoires
de gloire facile. Parmi ces people
jetables, une nouvelle espèce voit
le jour, plus méritante: les artisans
stars.
Duff Goldman fait partie des
précurseurs en la matière. Loin de
n’être qu’une «célébrité kleenex»,
le super-pâtissier a largement dynamité au compteur le quart
d’heure warholien. Encore trentenaire, il règne depuis près de dix
ans sur le marché de niche du gâteau sculpté. Une longévité qui atteste du sérieux de sa démarche et
des bases solides qu’il est parvenu
à construire d’est en ouest sur le
marché expansif des Etats-Unis.
Looké comme le membre d’un
groupe de rock à tendance
bruyante – long short baggy ultralarge, t-shirt de l’équipe des Lakers XXL, crâne glabre, tatouages
et barbiche savamment taillée –
Duff Goldman est né en 1974 à
Détroit. Dès son plus jeune âge, il
nourrit une passion pour la musi-
que et plus précisément pour la
basse dont il est un virtuose. Sa
rencontre avec la gastronomie est
dans un premier temps plus un
moyen de continuer à faire de la
musique qu’une vocation. «J’avais
14 ans lorsque j’ai commencé à
travailler dans la boulangerie
d’un centre commercial qui ne faisait que des bagels. C’était le job
parfait pour financer ma vie de
musicien puisqu’il ne fallait pas
avoir de formation spécifique
pour travailler.»
L’expérience des cuisines, aussi
modestes soient les produits qui
en sortent, lui plaît énormément.
Il tente ensuite sa chance auprès
du meilleur restaurant de la ville
de Baltimore, où il s’est établi.
«Sans aucune hésitation, j’ai postulé comme cuisinier. Je n’avais
bien sûr pas les qualifications nécessaires, mais je pense que mon
audace a plu à la responsable, qui
m’a reçu en entretien. Elle m’a expliqué que je n’avais pas le prérequis pour le poste, mais qu’elle
avait tout de même quelque chose
à me proposer, si cela m’intéressait. C’est ainsi que je suis devenu
le préposé au pain et aux biscuits
de l’adresse. C’est cette expérience
qui m’a donné l’envie de persévérer en cuisine.»
Après des études à l’Université
du Maryland, Duff Goldman fait
un passage dans une école d’art –
il vient d’une famille d’artistes, luimême peint et sculpte depuis tout
petit. «Mon truc à moi, c’était de
réaliser d’énormes sculptures en
soudant d’énormes morceaux de
métal. J’aimais ce côté physique
du travail avec la matière.» Il se
dirige néanmoins ensuite vers le
Culinary Institute of America, à
Greystone dans la Napa Valley, en
Californie. Une seconde révélation. «J’ai adoré ces études, mais
surtout je me suis rendu compte
que j’avais des aptitudes. Mon truc
à moi, c’était la pâtisserie.» Pourquoi? «Parce que c’est beaucoup
plus exigeant que de faire des sauces ou de cuire de la viande. Si une
sauce manque de goût, vous pouvez toujours rajouter des ingrédients. Mais si vous vous trompez
dans la recette de base d’un gâteau, une fois qu’il est cuit, il n’y a
plus grand-chose à faire… Et je me
suis rendu compte que les possibilités créatives étaient sans fin en
pâtisserie. Je retrouvais le façonnage de la matière qui me plaisait
PHOTOS: DUFF GOLDMAN – CHARM CITY
54
La star américaine
des gâteaux
extravagants,
Duff Goldman.
tant dans la sculpture.» Car les gâteaux qui l’ont fait connaître à travers tout le pays et sur lesquels il a
bâti son empire sont des sculptures. A côté de l’offre classique du
«layered cake», le client de Charm
City Cakes, le nom des enseignes
de Duff Goldman situées à Baltimore et à Los Angeles (Charm City
Cakes West), peut aussi commander des pâtisseries reproduisant
des voitures grandeur nature, des
> Suite en page 56
Instrumentino
Pink gold set with sapphires
G E N E VA B O U T I Q U E , R U E D U R H Ô N E 2 7 - T E L . + 4 1 ( 0 ) 2 2 3 1 7 1 0 8 2
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TOKYO
56
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
«Les gens sont accros
à leur portable. Ils ne
savent plus rien faire
sans la technologie!
Soudain, ils créent un
gâteau, le rapportent
à la maison, le montrent
à leur famille, ils en sont
fiers! C’est pour ça que
ces ateliers marchent si
bien: les gens ont oublié
qu’ils pouvaient créer
des choses avec leurs
mains!»
Le gâteau
qui fut servi lors
de l’anniversaire
de fans du film
d’animation
Wall-e.
PHOTOS: DUFF GOLDMAN –
> Suite de la page 54
maisons, des châteaux de contes de fées,
des héros de bandes dessinées, des personnages de dessins animés ou de films
en tout genre. La toute première fois
qu’il s’essaie à la sculpture sur gâteaux,
c’est lors d’un concours. «Tous les participants avaient réalisé des cakes de mariage, ultra-classiques. Moi, j’ai fait un
gâteau en forme d’arbre avec des fruits
aux branches… Je n’ai pas remporté le
premier prix, car je n’avais respecté
aucune des règles imposées, mais je me
suis sacrément fait remarquer! Même le
vainqueur savait qui avait réellement
gagné!»
Après plusieurs années d’expérience
accumulée dans différentes cuisines réputées, Duff Goldman ouvre sa première adresse. «D’abord à Baltimore où
j’habitais (et où il réside encore lorsqu’il
n’est pas sur la côte Ouest pour ses affaires, ndlr). Au début, je créais les gâteaux
dans la minuscule cuisine de mon appartement et j’expérimentais des recettes. Puis la demande a grossi, j’ai pu
m’offrir un vrai atelier de cuisine et les
commandes spéciales se sont enchaînées.» Avec une tendance marquée de
cette demande en provenance de la côte
Ouest. «Comme on me demandait toujours plus souvent de créer des gâteaux
pour les premières des films à Hollywood, je me suis dit qu’il était temps
d’ouvrir une seconde adresse à Los Angeles.»
Le gâteau servi au président Obama
à l’occasion du Commander in Chief’s Ball
en janvier 2013.
Parmi les nombreux cakes dévorés
lors de ces événements, une réplique du
train de Harry Potter, les deux robots de
Wall-e ou des Schtroumpfs pour le long
métrage retraçant les aventures des humanoïdes bleus. En mars 2008, une des
créations de l’Américain est même entrée dans le livre des records. Il s’agissait
du plus gros cupcake jamais réalisé. Entièrement comestible, la pâtisserie mesurait plus de 30,5 cm de haut pour un
poids de 27,9 kg, soit 150 fois la taille
ordinaire. Cette création nécessita
7,2 kg de beurre, 4,5 kg de sucre et 85 g
de colorant alimentaire…
UNE CHEVROLET
GRANDEUR NATURE
AVEC UN VRAI MOTEUR
À L’INTÉRIEUR
Dernièrement, en janvier 2013, Duff
Goldman s’est illustré en réalisant un
gâteau pour le président américain, Barack Obama, qui fut servi aux convives
du chef de l’Etat – et à lui-même – lors du
Commander in Chief’s Ball. Un cake
«très spécial» pour le pâtissier. «Bien
qu’on fasse chaque année des choses extraordinaires», se vante-t-il à peine. «On
a, par exemple, reproduit une Chevrolet
grandeur nature dans laquelle on a introduit un vrai moteur pour une marque
d’automobile.»
Comme pour bon nombre de ses cakes, Duff Goldman commence d’abord
par construire une structure en sagex
recouverte d’aluminium qui servira de
socle sur lequel la matière comestible
sera déposée. Tout ce qui se mange étant
fait pour être mangé, pas de gaspillage
promet l’artiste. «Il ne reste pas une
miette de mes créations!» Coût de ce
type de super-cakes? «Beaucoup d’argent.» Oui, mais combien? «Une somme
vraiment coquette.» Duff Goldman ne
répondra pas à cette question. En boutique, la tranche de gâteau ordinaire oscille déjà entre 5 et 10 francs.
Si son entreprise est flamboyante,
Duff Goldman en tant que personne
n’est pas devenu une star uniquement
grâce à son expertise en matière pâtissière. Dans le pays qui a quasiment inventé le genre de la téléréalité et où plus
aucune activité humaine ne semble
pouvoir échapper à sa mise en scène
plus vraie que nature, le cake designer a
eu droit à son propre programme, Ace of
Cakes (l’as des cakes en français), sur la
chaîne Food Network, de 2006 à 2011.
«On n’en avait rien à faire des caméras,
on faisait comme d’habitude. Le public a
été très étonné, voire un peu choqué, de
constater qu’on se servait de scies électri-
CHARM CITY
ques et d’autres outils utilisés généralement en menuiserie pour façonner nos
créations! Cela a grandement contribué
à la popularité du programme.»
Depuis, d’autres formats avec
d’autres designers de cakes ont vu le
jour. «Mais je n’ai aucun souci à me faire
copier, explique, avec un sourire en
coin, Duff Goldman. Il suffit de goûter à
nos cakes pour se rendre compte qu’il
n’y a pas de compétition! Nous ne nous
contentons pas de créer des sculptures
avec des aliments, nous faisons aussi
très attention au goût de nos créations!»
Le fond et la forme. «Nous mettons régulièrement au point de nouvelles saveurs. Chaque semaine, nous tentons de
nouvelles choses en laboratoire. Certaines finissent sur nos cartes, d’autres aux
oubliettes.»
Un autre aspect participe à démarquer Duff Goldman et sa société: il s’agit
du bagage de ses employés. Tous proviennent de prestigieuses écoles d’art.
«Il est plus facile d’apprendre à un artiste à cuire un gâteau que d’apprendre à un pâtissier à être créatif, original, inattendu, à avoir le sens des
proportions, à savoir assortir les couleurs et à visualiser l’harmonie des
formes, qu’il s’agisse ou non de la
reproduction de quelque chose de
préexistant.» Le pâtissier encourage clairement les aspirants artistes à postuler.
Et ils sont nombreux à le faire, attirés par
ce métier trendy de la côte Est à la côte
Ouest des Etats-Unis.
A la tête d’un empire sucré, quels sont
les nouveaux projets de Duff Goldman?
«Regardez derrière la vitre», dit-il en désignant la boutique de Melrose attenante à
son atelier de création où s’affairent trois
artistes ès cakes. Dans cet espace, une
vingtaine d’enfants et leur maman s’appliquent à confectionner des gâteaux
aux couleurs et aux formes plus extravagantes les unes que les autres. «Depuis
que j’ai mis en place ces après-midi durant lesquels les clientes et leurs enfants
peuvent décorer et créer leur propre
cake, ça ne désemplit pas! Je ne m’attendais pas à un tel succès! Je veux donc
ouvrir, dans les années qui viennent, une
centaine d’adresses à travers le pays, qui
ne feront que proposer ce type d’atelier.»
On lui demande pourquoi, à son avis,
ce programme connaît un tel succès. Il
mime avec ses mains la manipulation
d’un smartphone. «Les gens sont
complètement accros à leurs portable,
tablette électronique, etc. Ils ne savent
plus rien faire sans l’aide de la technologie! Soudain, ils créent un gâteau, ils le
décorent, le ramènent à la maison, le
montrent à toute la famille, ils en sont
fiers et en plus ils peuvent le partager et
le manger! C’est pour ça que ces ateliers
marchent si bien: les gens ont oublié
qu’ils pouvaient créer des choses avec
leurs propres mains!»
> Le fait main,
la virilité même
Les nouvelles tendances – qu’on les
aime ou qu’on les déteste – viennent
souvent de ce côté-ci de la planète,
des Etats-Unis. Et pourtant, le retour
en grâce de l’artisanat et des professionnels qui utilisent leurs mains
pour travailler, on aurait dû l’anticiper. Parce qu’à l’origine, ces métiers
sont nés et se sont popularisés en
Europe. Mais nul n’est prophète en
son pays…
Une création pâtissière à l’effigie d’un album de Nick Cave.
Ainsi, chez les bobos de New York,
de San Francisco ou de Los Angeles,
on va chez le boulanger acheter son
pain à 8 dollars comme on va au
musée. Et celui qui pétrit la matière
n’est pas un ouvrier de l’ombre mais
une star. Comme Chad Robertson, le
boss de Tartine Bakery & Cafe à San
Francisco. Cet homme au physique
de mannequin tourne chaque jour
240 miches en t-shirt Thom Browne
et pantalon Dries van Noten avant de
partir surfer. Les restaurants s’arrachent ses créations et les magazines
comme Vogue, Vanity Fair ou le New
York Times son interview. Quant aux
investisseurs, ils sont nombreux à lui
faire des appels du pied pour lui proposer une multiplication à l’internationale de ses pains cultes…
Autre exemple, originaire lui aussi de
San Francisco mais qui a depuis essaimé dans tout le pays, la Butcher
Party. Vous avez deviné? En lieu et
place d’un super DJ, l’attraction de
ces soirées très spéciales consiste en
la performance live d’un boucher travaillant sur une carcasse. Le métier
connaît du reste un regain d’intérêt
chez les jeunes et les consommateurs qui ont le temps, les moyens et
la culture gastronomique pour acheter leur entrecôte chez le spécialiste
ès viandes du coin. Un pro de la découpe qui incarne une certaine idée
de la virilité à l’américaine et renvoie
à la conquête de l’Ouest, ses figures
tutélaires comme le cow-boy. C. Cd
AVEZ-VOUS UN PEU DE TEMPS LIBRE EN 2100?
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Un quantième perpétuel avec
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elle offre un affichage complet
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apprécieront le magistral travail
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sa grande fonctionnalité. En version
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58
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
PHOTO: PAVILLONS DE BERCY
Luxe
Le Théâtre du merveilleux, l’un des quatre espaces des Pavillons de Bercy, une invitation à retomber en enfance.
JOUR DE FÊTE
Manègeenchanteur
L’
endroit aurait ravi Fellini. En plein quartier
moderne de Bercy,
non loin des bâtiments sans charme du
Ministère français de
l’économie et des finances, se niche une enclave d’un autre temps:
derrière les hauts murs de la rue
Lheureux, six entrepôts des années 1890 font revivre, sur près de
2 hectares, les riches heures d’un
Paris festif et canaille.
Au XIXe siècle, le quartier de
Bercy était le «cellier du monde».
Avec ses cabarets et ses guinguettes, il attirait une foule bigarrée de
canotiers, d’ouvriers, de courtiers
affairés et d’artistes éméchés.
L’odeur du vin et des fûts a depuis
longtemps disparu, mais les anciens chais construits par LouisErnest Lheureux, un proche
d’Eugène Viollet-le-Duc, témoignent encore de ce passé vinicole,
avec leurs charpentes métalliques, leurs portions de rails où circulaient les wagons-citernes et
leurs voies pavées. Et si l’on n’y
attrape plus la «fièvre de Bercy»
(terme d’argot pour désigner
l’ivresse), du moins peut-on y rêver tout son saoul. Restaurés, les
lieux ont en effet été métamorphosés en palais fellinien par l’antiquaire et scénographe Jean-Paul
Favand, lequel y a déployé en 1996
une partie de sa vertigineuse collection d’art forain et d’objets du
spectacle. Avec ses milliers de sujets de manège, d’éléments de décors et de costumes de scène (dont
des centaines de robes en strass et
coiffes en plumes des Folies-Bergère), cet ensemble, réuni pendant quarante ans, est l’un des
plus importants du monde.
Se définissant comme un «montreur de curiosités», et non comme
un collectionneur – «un terme sclé-
Des manèges centenaires, un jardin surréaliste, une petite Venise…
Cet univers onirique se niche en plein Paris, dans d’anciens
chais du quartier de Bercy. Les lieux abritent des milliers
de pièces foraines, réunies par l’antiquaire Jean-Paul Favand.
Ce gigantesque «cabinet de curiosités» n’ouvre qu’à de rares
occasions, notamment au moment des fêtes de Noël.
Visite. Par Eva Bensard
rosant», juge-t-il –, ce passionné de
théâtre et «d’objets qui racontent
une histoire» a créé dans ces anciens chais un musée onirique. S’y
côtoient, dans une accumulation
baroque sublimée par la lumière
et la technologie, baraques de
foire et chevaux de bois, automates et déesses foraines, robes de
cancan et orgues de barbarie.
Carrousels et limonaires
Un centaure en haut-de-forme,
voltigeant dans les airs, invite à
franchir l’immense grille de l’entrée, et à basculer du côté du rêve.
C’est un peu le syndrome Midnight
in Paris, dont certaines scènes ont
d’ailleurs été tournées ici. Comme
dans le film de Woody Allen, on
est brusquement transporté à la
Belle Epoque. A la lueur des lampions et des girandoles, et au son
du limonaire, s’anime une fête foraine de la fin du XIXe siècle.
Pour ressusciter les vertus festives et exutoires de ces foires d’antan, où l’on goûtait au vertige de la
vitesse sur les carrousels (manèges à plateau de bois tournant), et
où l’on se défoulait avec les jeux de
massacre et les cibles mécaniques,
le maître des lieux a imaginé un
musée-spectacle, sans vitrine de
protection, ou pancarte «Prière de
ne pas toucher». «Je ne voulais pas
d’une muséographie traditionnelle. Il fallait que les gens puissent toucher et vivre les objets.»
Ici, on monte donc sur les chevaux
cabrés d’un carrousel 1900, on vogue dans les gondoles rococo, et
on pédale énergiquement pour
actionner la rotation du manège
de vélocipèdes (tournis garanti).
Rutilants aujourd’hui, ces objets centenaires ont subi une cure
de jouvence entre les mains de restaurateurs. Le manège cycliste
conçu en 1897 par les Belges Callebaut et Decanck a ainsi nécessité
25 000 heures de travail: il a fallu
refaire le mât central, rentoiler les
plafonds, renforcer les frontons,
dont le bois était détérioré, et
gratter trois strates de peinture.
Ce grattage au scalpel est une
étape indispensable pour les figures sculptées et les boiseries, lesquelles ont subi au cours du
temps de nombreux repeints. Ce
travail long et méticuleux permet
de retrouver la polychromie originale, mais aussi de mettre en évidence la qualité de la sculpture.
Certaines pièces se révèlent ainsi
de très belle facture, à l’image de
ce centaure à l’effigie d’Ali-Pacha,
qui appartenait à Jean Cocteau, ou
encore de ce cochon-gondole,
dont la trogne expressive et le
rendu naturaliste sont typiques
du «grand» Bayol. Car l’art forain
a, lui aussi, ses grands artistes. Il y
a le Français Gustave Bayol, l’Allemand Friederich Heyn, le Belge
Alexandre Devos, ou encore l’Anglais Savage. Tous ont des styles
bien distinctifs, que les guides des
arts forains enseignent à reconnaître. Votre monture est plutôt
petite, a la tête tournée et une unique mèche frontale? Vous êtes sur
un étalon français des ateliers
Bayol. Votre cheval en impose,
avec son harnachement d’apparat
et sa queue en crin naturel? Vous
enfourchez, dans ce cas, un beau
canasson allemand, peut-être réalisé par Heyn lui-même.
La revanche de l’art forain
Ces sculpteurs font aujourd’hui
l’objet d’un engouement croissant, dont a témoigné le succès de
la collection Fabienne et François
Marchal, dispersée à Drouot-Montaigne en 2011 (645 lots, du milieu
du XIXe siècle aux années 1950).
Mais cette reconnaissance est récente. Pendant longtemps, les objets forains ont été ignorés, et
considérés, au mieux, comme des
«curiosités». «Cette forme de mépris, quelque part, les a protégés»,
estime Jean-Paul Favand. Elle lui a,
il est vrai, permis de dénicher et de
sauvegarder d’authentiques raretés, à l’image du théâtre mécanique Morieux. Ce chef-d’œuvre
d’art et de technicité était remisé
en vrac dans un grenier belge, sans
que personne s’en émeuve. Conçu
en 1808 par Pierre Morieux, ingénieur français, ce procédé scénique associant des automates et des
dioramas (des tableaux animés,
selon le principe mis au point par
Daguerre) pouvait plonger les foules du XIXe au cœur d’un «Carnaval sur la glace à Saint-Pétersbourg», ou de «l’Expédition
Nansen au pôle Nord». Tout cela
bien avant l’invention du cinéma.
Jean-Paul Favand venait de trouver
son Graal. De tels théâtres ont en
effet complètement disparu, balayés par le tourbillon de l’image
animée. Etudiées et inventoriées,
les 3000 pièces détachées de la
«mécanique
Morieux»
sont
aujourd’hui
précieusement
conservées dans un entrepôt de
Bercy. Mais certains de ses automates ont été intégrés dans la nouvelle «attraction» du musée: une
féerie vénitienne qui fait revivre, à
l’aide des dernières technologies
numériques, la fantasmagorie des
dioramas, cycloramas et autres
lanternes magiques.
> En pratique
Musée des arts forains – Pavillons
de Bercy, 53 av. des Terroirsde-France, 75012 Paris.
Tél. + 33 (0) 1 43 40 16 22,
www.pavillons-de-bercy.com
et www.arts-forains.com
D’ordinaire réservé aux groupes
et aux «événements» (réceptions,
tournages…), le musée est ouvert
au public au moment des fêtes
de Noël, du 26 décembre 2013
au 5 janvier 2014.
60
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
Le rhum de mélasse
ç ö
(produit dérivé du raffinage du sucre)
Obtenu par la fermentation alcoolique
et la distillation des mélasses ou des
sirops provenant de la fabrication du
sucre de canne. Ce rhum, dit industriel,
résulte de la fluidification de la mélasse
qui est ensuite mise en fermentation et
distillée. S’il est moins apprécié des
connaisseurs, le rhum industriel (plus
de 90% de la production mondiale) a
bénéficié d’améliorations qualitatives
ces dernières décennies.
Diplomatico Reserva
Exclusiva (Venezuela)
Nez: doux, devenant puissant à
l’aération, avec une dominante de
fruits cuits, de tabac blond et de miel.
Bouche: palette aromatique
d’une grande intensité avec des fruits
secs et compotés, caramel au beurre,
miel d’acacia, havane, cuir tanné,
bois de santal.
Teneur en alcool: 40% vol.
Prix: 56 fr./70cl
www.rhumhouse.ch
Matusalem Gran
Reserva 15 (République
dominicaine)
Nez: fruits secs.
Bouche: bouche onctueuse
et suave, avec notes de
caramel, de vanille et de
pelures d’oranges confites,
feuille de cigare fraîche.
Structure élégante et
d’une grande finesse.
Teneur en alcool: 40% vol.
Prix: 36 à 39 euros/70 cl*
Botran Reserva (Guatemala)
Nez: boisé, avec une nette
dominante vanillée.
Puis se développent des notes
plus fruitées de raisins secs, de
bananes séchées et d’abricots secs.
Bouche: attaque d’abord moelleuse,
mais le rhum révèle vite un caractère
puissant, bien typé, avec des notes
épicées bien marquées de girofle,
de réglisse, de cacao et de café noir.
Teneur en alcool: 40% vol.
Prix: 31 à 33 euros/70cl*
Deux types de rhums
SPIRITUEUX
Le rhum agricole
Rhum vieux JM 1995 (Martinique)
Un tout grand rhum, vieilli quinze ans
en fûts de chêne. 70% du volume
initial des fûts s’évaporent durant
le vieillissement.
Nez: opulent bouquet
d’arômes fruités et végétaux.
Bouche: attaque ronde qui rappelle la
généreuse palette aromatique du nez.
Finale exprimant le cacao, le tabac et
un sublime bouquet d’épices.
Teneur en alcool: 44,8% vol.
Prix: 248 fr./70 cl
www.rhumhouse.ch
Quandlerhumtente
Autrefois boisson des
marins, esclaves et
poilus de la Première
Guerre, l’alcool tropical
conquiert aujourd’hui
de plus en plus
d’amateurs
au détriment
de son cousin malté.
Plongée dans un
univers subtilement
aromatique.
Par Manuella Magnin
Rhum vieux agricole Bielle 2003
(Marie-Galante)
Elevé sept ans en fûts de chêne.
Nez: fruité, nerveux sans être
agressif. Notes de pain d’épices,
de pain grillé, de farine
et de céréales, ainsi que d’épices.
Bouche: palette aromatique
de grande qualité.
Teneur en alcool: 53,1% vol.
Prix: 107 fr./70 cl
www.rhumhouse.ch
PHOTOS: DR
Rhum vieux Chamarel VO 2008
Première édition (île Maurice)
Elevé trois ans en fûts de chêne.
Nez: fruits blancs, vanille,
foin coupé et sous-bois.
Bouche: notes de cacao,
de café et de poivre.
Teneur en alcool: 46% vol.
Prix: 68 fr./70 cl
www.rhumhouse.ch
10 Cane (Trinidad)
Nez: intense avec des arômes
de vanille fraîche, de crème brûlée
et d’épices de cuisson. Notes
de caramel, de pommes
caramélisées et de figues confites.
Bouche: notes caractéristiques
de canne à sucre, marquées
par des arômes de poire, de vanille
et un soupçon de cannelle,
avec une touche finale de pommes
caramélisées…
Teneur en alcool: 40% vol.
Prix: 69 fr./ 70 cl.
En vente chez les cavistes.
«D
ans les années 70, en
Guyane, les
restaurateurs
lavaient les
vitres au rhum blanc», sourit Werner Girsberger, à la tête aujourd’hui
de Rhum House. Sa société, spécialisée
dans
l’importation
des
meilleurs rhums du monde, vit de
beaux jours. Grâce à la mondialisation et à la démocratisation des
voyages dans les îles tropicales, l’engouement pour cette eau-de-vie du
soleil n’a jamais été aussi fort. Il surpasse même l’attrait pour le whisky.
Des blogs fleurissent un peu partout sur Internet. Les raretés s’arrachent à prix fort bien que l’on puisse
© JONATHAN BLAIR/CORBIS
(issu du jus de canne à sucre)
Tout commence par le broyage de la
canne à sucre qui donne un jus appelé
vesou en créole. Ce jus est mis immédiatement à fermenter durant deux
jours, puis distillé. C’est le rhum agricole connu pour sa fraîcheur et ses
qualités aromatiques. Une partie du
rhum agricole est conservée en rhum
blanc. Le rhum ambré agricole est
élevé sous bois durant dix-huit mois. Le
rhum vieux agricole séjourne au minimum trois ans en fûts de chêne.
se faire plaisir avec un budget tout à
fait raisonnable.
Les amateurs d’alcools forts se
sont laissés séduire par cette boisson aux saveurs fruitées, épicées et
intenses, plus abordable en termes
de prix que les grands whiskys.
«Boire un bon rhum, c’est voyager, faire revivre des souvenirs de
vacances et élargir sa palette gustative», commente Johanna Biéler, gérante de l’enseigne Vom Fass à Lausanne, qui constate ces deux
dernières années un réel attrait de
ses clients, et surtout de ses clientes,
pour cet alcool.
Un monde d’épices
Savourer cette eau-de-vie issue de la
canne à sucre ou de la mélasse, c’est
aussi découvrir les épices d’une
autre façon.
Olivier A. Martin, le talentueux
chef aux commandes de l’Auberge
communale de Bogis-Bossey, est
une véritable encyclopédie du
rhum. Il a appris à l’apprécier en
Jamaïque et aux Bermudes où il a
vécu six ans avant d’écumer toutes les distilleries des Antilles
françaises.
Dans la cave du chef, sise sur un
marais, vieillissent des merveilles à
l’instar de «L’Or des anges», une liqueur à base de rhum agricole
blanc, d’orange et de sucre de canne,
créée de concert avec Werner Girsberger. Un véritable délice conçu
avec passion qui fait merveille dans
un cocktail ou en fin de repas.
Le chef s’est aussi associé à une
star vaudoise de la vigne, Philippe
Bovet à Givrins, pour concevoir un
vin muté au rhum.
Voyage d’est en ouest
L’histoire de ce breuvage est liée aux
conquêtes territoriales et aux grandes découvertes. Si, dans l’imaginaire, le rhum est une boisson des
Amériques, la canne à sucre nous
vient d’Asie.
Cultivée très tôt dans le sous-continent indien, la canne va entreprendre un très long voyage d’est en ouest
au fil des siècles. Avec l’expansion de
la civilisation musulmane, elle apparaît tout d’abord dans le bassin méditerranéen, en Afrique du Nord, à
Chypre, à Malte et en Sicile. Au
«Unengouementrécent»
La recette
d’Olivier Martin
La maison Dugas à Paris importe des whiskys et des rhums
du monde entier. Son Brand Ambassador Rhums, Jérôme Ardes,
explique le penchant pour l’alcool tropical.
> Filet de chevreuil
en double cuisson
Jus corsé au rhum
et boudin créole
Le Temps: Depuis quand l’engouement
pour le rhum est-il perceptible?
Jérôme Ardes: «Le Mojito (cocktail à base de
rhum cubain, ndlr) avait rendu cet alcool populaire. Mais la demande pour le rhum comme
alcool a littéralement explosé depuis trois ans.»
Les consommateurs boudent-ils le whisky
au profit du rhum?
«Les ventes de rhum auprès de nos clients
restaurateurs et cavistes sont en plus forte
progression que celles du whisky grâce
à des rhums d’origines différentes et à des prix
accessibles.»
Quel est le public particulièrement intéressé
par le rhum?
«Le public est varié, avec plus de femmes que
pour le whisky. La tranche d’âge est assez large,
de 25 ans à 45 ans, voire un peu plus.»
Quels sont les rhums les plus recherchés
par les consommateurs?
«Les rhums traditionnels un peu sucrés,
avec beaucoup de rondeur et d’arômes, que l’on
retrouve dans la typicité espagnole ou anglaise.
Les rhums agricoles, plus secs, complexes
et vifs, ont aussi un public de connaisseurs
souvent au-dessus de 40 ans.»
Pour 4 personnes
Préparation: 30 minutes
Cuisson: 1 heure
800 g de filet de chevreuil
1 carotte en cubes grossiers
2 échalotes ciselées
1 gousse d’ail émincée
1 bouquet garni (laurier, thym,
romarin, marjolaine, céleri)
2 dl de vin rouge
2 dl de fond de gibier
2 c.s. de vieux rhum
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Millonario Solera 15 (Pérou)
Nez: riche et chaleureux, avec
une dominante de pruneaux, de
caramel, de fruits tropicaux, de
miel de châtaignier. Finale de
noisettes et de clous de girofle.
Bouche: attaque suave avec une
certaine fraîcheur. On retrouve
tout le fruité du nez, ainsi que le
toffee, la banane flambée et la
figue confite.
Teneur en alcool: 40% vol.
Prix: 44 à 47 euros/70 cl*
Don Papa (Philippines)
Nez: très fruité, dominé par des
notes de mandarine très franches,
complétées d’abricot, de framboise
et de banane verte. Présence de
vanille et de cannelle.
Bouche: douce et très ronde, elle se
montre très gourmande à la manière d’un cake aux fruits avec son
zeste d’orange. Gingembre confit et
épices douces la complètent.
Teneur en alcool: 40% vol.
Prix: 35 à 38 euros/70 cl*
Angostura 1919
(Trinidad)
Nez: doux de cacao,
mélasse, toffee, vanille
et caramel.
Bouche: suave.
Eclosion de saveurs
généreuses et mielleuses.
Notes de noisettes
et de pain grillé.
Teneur en alcool:
40% vol.
Prix: 37 à 39 euros*
Appleton 12 ans
(Jamaïque)
Nez: complexe de noix,
muscade, zestes d’orange,
vanille, pointe de mélasse,
chêne grillé.
Bouche: attaque
généreuse et très
moelleuse d’où se détachent le sucré, le crémeux
et le beurré.
Teneur en alcool: 43% vol.
Prix: 35 à 38 euros*
Cockspur 12 ans (Barbade)
Nez: très intense, avec un
boisé léger et quelques
notes de biscuit sablé. On y
trouve aussi de la pelure
d’orge, du sucre brun et des
fruits exotiques.
Bouche: moelleux, très rond
et velouté, avec une pointe
de clou de girofle. Fin de
bouche plus sec avec un joli
relief.
Teneur en alcool: 40% vol.
Prix: 36 à 39 euros*
dedétrônerlewhisky
Esclaves, flibustiers et poilus
Le mot «rum» est utilisé pour la
première fois au XVIIIe siècle dans
les îles anglaises.
Un vocable à l’origine incertaine. Les historiens hésitent entre
l’abréviation du terme latin saccharum (qui désigne la canne à
sucre) ou du mot anglais rumbullion (grand tumulte).
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le
rhum est la boisson des pauvres,
des esclaves qui sont payés en alcool, des marins, des pirates et des
flibustiers. Ceux-ci écumèrent les
eaux des Caraïbes, surtout entre
1660 et 1713.
Dans l’Histoire du rhum de A.
Huetz de Lemps, l’auteur relève
que l’un des gros problèmes des
marines nationales était la désertion: les pirates avaient l’habitude
de recruter leurs équipages en
soûlant les marins dans les ports.
Ivres morts, ils ne répondaient pas
à l’appel, devenaient déserteurs et
n’avaient plus d’autre issue que de
s’enrôler à bord des bateaux des
forbans.
Plus tard, durant la Première
Guerre mondiale, les poilus dans
les tranchées boivent de grandes
rasades de rhum pour affronter la
mort.
50 g de beurre ramolli
1 c.s. d’huile d’olive
50 g de boudin créole
sel, poivre
Pour la marinade
1 l de vin rouge
400 g de résidus de pressage
de vin (chez le vigneron)
Faire suer les échalotes, l’ail et
la carotte. Déglacer avec le vin
rouge et le fond de gibier. Ajouter
le bouquet garni et laisser mijoter
à découvert pendant 30 à 40 min
en remuant de temps en temps.
Passer au chinois fin, incorporer le rhum, le beurre et le boudin
créole émietté.
Assaisonner et ne plus cuire,
mais laisser reposer 3 min sur le
coin du feu. Mixer le tout au
Effondrement du cours
du sucre
Les colons et la bonne société lui
préfèrent longtemps les eaux-devie de vin et de céréales, à l’instar
du whisky. L’effondrement du
cours du sucre de canne à la fin du
XIXe siècle pousse les planteurs à
trouver d’autres débouchés.
C’est la modernisation des processus de distillation, la vogue des
punchs et des cocktails ainsi que
la démocratisation des voyages
outre-mer qui donneront enfin à
ce breuvage ses lettres de noblesse. Sans oublier la fameuse
Route du Rhum, course de voile en
solitaire, qui rallie tous les quatre
ans dès 1978 Saint-Malo à Pointeà-Pitre en Guadeloupe. Une
course créée en association avec
les exploitants des distilleries.
S’il est des alcools qui se démocratisent, le rhum a pris l’ascenseur social et se trouve désormais
en très bonne compagnie sur les
plus grandes tables et dans les
clubs les plus fermés.
Voir liste des revendeurs dans les régions
frontalières de la Suisse sur www.dugas.fr
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XIVe siècle, on la retrouve à Madère
et dans les Canaries.
En 1493, Christophe Colomb
l’emmène dans ses bagages vers
les Amériques. On la retrouve
alors à Saint-Domingue tandis
que les Portugais développent sa
culture sur le continent sud-américain.
L’objectif des conquistadors est
de produire du sucre pour l’exporter vers l’Europe.
Les livres d’histoire évoquent la
première distillation de la canne
vers 1630 à La Barbade.
61
Economie
réelle
Gestion de fortune
performante
Swiss
finish
Les 500 meilleures entreprises
au monde dans votre portefeuille
Sources:
Le Guide du Rhum,
Dugas, Paris.
De la canne au rhum,
INRA 1997.
Histoire du rhum,
Editions Dejonquères, 1997.
Martinique, Guadeloupe, MarieGalante, visiter les distilleries,
choisir les bouteilles,
Editions Ibis Rouge 2002.
Voyage aux pays du rhum,
Editions du Cherche Midi (2011).
www.rhumhouse.ch www.dugas.fr,
www.oredesanges.ch
www.oliviermartin.ch,
www.vomfass-lausanne.ch
www.philippebovet.ch
mixeur plongeur et servir sans recuire.
Préparer la marinade. Porter le
vin rouge et les résidus de pressage du vin à petite ébullition. Retirer du feu. Assaisonner le chevreuil. Placer la viande dans une
poêle avec 1 c.s. d’huile et une
noisette de beurre et faire dorer
sur toutes les faces. Retirer la
viande bleue et la disposer dans
la marinade à 40 °C. Laisser environ 10 minutes en la retournant
de temps en temps.
Dresser le chevreuil coupé en
médaillons sur un plat de service
chaud, napper de sauce et accompagner selon vos goûts
d’airelles compotées au vieux
kirsch, de spätzli à la farine de
châtaigne et de choux de Bruxelles aux petits lardons.
■
Si vous êtes lassés du discours ésotérique de
la “haute finance”,
■
Si vous considérez que la gestion d’un
portefeuille doit reposer sur un concept
simple et stable,
■
Si vous pensez que la performance d’un
portefeuille se crée dans l’économie réelle,
grâce à ses meilleures entreprises,
■
Si vous cherchez un guide expérimenté pour
cibler vos choix de titres et une adresse pour
sécuriser vos dépôts,
■
Alors nous devrions en parler.
Les conseillers en gestion de patrimoines de
la Banque Cantonale de Genève se tiennent à
votre disposition pour partager leurs convictions
et leur expérience avec vous.
Satellite Galileo: 33°10’03.91”N – 31°21’34.23”E – 23’222 km
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Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
Luxe
ÉCRIN RUPESTRE
Lafermed’alpagequi
serêvaitchaletdeluxe
PHILIPPE ECHAROUX
A Flumet, village satellite de Megève, un agent immobilier s’est mué en bâtisseur, œuvrant en synergie
avec les artisans du lieu, pour infléchir avec panache le destin d’un habitat vernaculaire. Par Géraldine Schönenberg
Le volumineux espace de la pièce à vivre dont la carapace de bois s’illumine, à la nuit tombée, d’un éclairage indirect se diffusant sous chaque panne horizontale.
P
ierre Cellier est un enfant
du pays. Petit Savoyard, il
dévalait les pentes de l’Espace Diamant, ce domaine skiable qui s’étend
du massif du Beaufortain
au val d’Arly et dont Flumet est une
des étapes de ce réseau de pistes
tracées au cœur des forêts d’épicéas. Face au Mont-Blanc, sous le
ciel flamboyant d’un automne au
soleil tardif, le val d’Arly est baigné
d’une douceur pastorale. Quelques
vaches paissent de l’herbe encore
verte à flanc de lopins abrupts, des
cascades d’eau fraîche s’épuisent
sous des monceaux de feuilles mortes. Ici et là, disséminées en altitude,
se dressent des habitations traditionnelles. L’une d’entre elles, la
Ferme du Passieu, présente, vue de
l’extérieur, tous les atours de ce modèle de l’architecture vernaculaire
du siècle passé: une bâtisse à gros
volume de dimension rectangulaire bardée de bois à l’étage supérieur, censé abriter un grenier à foin
ainsi que l’habitation familiale, et
bâtie en dur au niveau inférieur
pour accueillir vaches et cochons.
Si sa structure architecturale n’en
laisse rien paraître, élément du patrimoine savoyard semblant avoir
traversé le temps, cette ferme datant de 1906 a pourtant subi une
colossale transformation. Sous l’impulsion de Pierre Cellier, elle possède aujourd’hui l’âme d’une demeure de prestige offrant à la
location à la semaine 650 m2 habi-
tables et tous les accessoires de ce
niveau de standing,
«Je cherchais un «petit» endroit
en haut de la montagne. Une amie
de ma mère m’a dit: «j’ai exactement ce qu’il te faut», raconte-t-il en
riant. La Ferme du Passieu était habitée par un guide de haute montagne et quelques copains logés dans
plusieurs appartements. J’ai tout de
suite été séduit par le volume et la
charpente. Il y avait encore l’étable
avec les caniveaux, ces urinoirs à
vaches. Un jour, je suis allé à la quincaillerie, j’ai acheté deux masses et
j’ai commencé les travaux, c’était il y
a cinq ans.»
Dès l’entrée, un autre monde
s’ouvre. Au-delà du luxe. Malgré le
gigantisme de l’espace caparaçonné de bois, l’on se sent subitement protégé de tout. Nous voici au
cœur d’un de ces prodiges que devaient accomplir les compagnons
charpentiers du Moyen Age. L’on est
saisi par le volume monumental de
cet habitacle de bois tout de verticalité, qui se déploie en un espace
ouvert sur trois niveaux, semblant
atteindre le ciel de la même façon
qu’une flèche de cathédrale, cette
charpente pyramidale qui surplombe certains clochers.
Cet antre de bois unique en son
genre, Pierre Cellier l’a extirpé du
fond de ses tripes et de sa volonté.
Gestionnaire d’immobilier bourgeois à Paris, le quadragénaire,
dans un revirement soudain du
destin, a donc entrepris il y a cinq
ans ce chantier faramineux en parfait autodidacte. Le nouveau propriétaire, que l’on croit volontiers
habité d’une vision alchimique
pour arriver à façonner cet univers
en état de grâce qui parle à notre
âme primitive, décide de ne conserver «que les quatre murs et la charpente».
Un ami architecte l’aidant simplement à obtenir le permis de
construire et donnant son avis sur
les parties les plus fragiles du bâtiment, s’ensuivent des années de supervision et de labeur quotidien
avec les intervenants: quelques
ouvriers de la région qui l’épaulent
lors de la démolition puis un maçon, des ingénieurs, un plombier,
un électricien et des menuisiers.
Se sentir chez soi
Une actrice clé de cette reconstruction, son amie d’enfance Béatrice
Rosenthal, architecte d’intérieur de
renommée internationale, est intervenue une fois le gros œuvre terminé pour imprimer sa vision raffinée quant à l’aménagement de cet
espace décloisonné. «Je ne suis
qu’un outil pour le client. Je dois
arriver à créer un lieu dont il aurait
rêvé, mais qu’il est incapable de
mettre en œuvre, car il ne
comprend pas forcément l’importance de l’éclairage, les objets, les
formes, les tissus.» Son regard
s’aiguise tout d’abord sur la structure de ce cocon de bois, affûtant
l’espace, le rendant lyrique: «Cette
charpente est exceptionnelle, explique-t-elle. En général, une charpente comporte peu de verticaux
de dimension imposante. Ici, il y en
a beaucoup, mais ils sont très fins,
ce qui donne cet aspect très élancé.
Je voulais absolument valoriser
cette verticalité. Tout l’espace est
traversant, des éléments horizontaux feraient barrière au regard.»
Les directives de construction
une fois posées, Béatrice Rosenthal
s’attaque à la sphère décorative, habillant appartements privés et espaces de vie d’un luxe discret adoucissant l’intérieur de bois brut:
fauteuils, canapés ou poufs tapissés
de kilims anciens faits sur mesure,
tapis aux tons chauds, mobilier
précieux mais hétéroclite donnant
l’impression que la maison a été
meublée petit à petit. Le bloc technique qui surplombe l’escalier
principal, escamotant garde-manger et appareils divers, par exemple.
Peint en bordeaux, il est orné d’un
tissu ouzbek dont les motifs circulaires colorés rappellent la suspension monumentale de forme tubulaire de l’entrée.
De part et d’autre s’étendent plusieurs salons autour d’une cheminée au tracé simplissime encagée
par une structure métallique aérienne en guise de bibliothèque,
dessinée par Béatrice Rosenthal:
«Pierre aime le design industriel. Ici
il est un peu féminisé…» Dans la
partie salle à manger, elle choisit
des chaises aux dossiers de feutre
de toutes les couleurs en écho à
ceux de la tapisserie d’Ouzbékistan
qui lui fait face.
«Je voulais qu’on ait l’impression
d’un endroit qui vit, comme lorsqu’on mélange meubles de famille
et pièces choisies, que n’importe
qui s’y sente chez soi.» Des meubles
vintage acquis à une vente aux enchères chez Artcurial voisinent avec
du mobilier dessiné sur mesure. On
est loin du design à l’esthétisme paralysant, le luxe s’insinue en soi voluptueusement sans imposer son
diktat. On tombe nez à nez avec une
jeune femme en train de peindre
minutieusement ton sur ton la piqûre sellier d’un miroir gainé de
cuir rouge. «Le fil blanc faisait un
peu cheap», sourit la décoratrice. Et
l’on voit que pas une fausse note,
même infime, ne lui échappe…
Un sentiment d’authenticité
Pour faire ressortir l’esprit du lieu,
son appartenance à une région,
Béatrice Rosenthal a eu recours à
des matériaux locaux. Au 1er
étage, dans la cuisine ouverte, le
sol est recouvert de lauze, une
pierre quartzite de Savoie. A l’étage
inférieur, l’aménagement des cinq
chambres a été l’occasion pour la
décoratrice «de raconter une histoire», tapissant chacune d’elles
d’un bois différent. L’une est en red
cedar à l’odeur prégnante, fraîche
et fruitée. Une autre en chêne raboté à la main, ce qui donne du
relief au bois lorsque l’ombre est
Luxe
Le Temps l Mercredi 4 décembre 2013
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> Vivre au-delà du luxe…
La Ferme du Passieu, accessible en location à la semaine
dès le mois de décembre, comporte six chambres avec
salle de bains, une piscine intérieure à débordement, un
jacuzzi, un hammam pavé de mosaïque Bisazza, une salle
de sport et une salle de cinéma. La location comprend un
service de conciergerie (la maison de gardien a été creusée dans le terrain et est invisible depuis le chalet) et une
piste d’atterrissage pour hélicoptère. Prix sur demande.
Renseignement sur www.edenluxuryhomes.fr sous Destinations Megève.
Au centre:
«La charpente est d’origine,
les chevrons (poutres suivant
la pente du toit, ndlr) également.
Pour tapisser l’intérieur, le défi a été
de trouver la matière première:
les planches proviennent d’anciens
chalets de plusieurs vallées
qui ont été démontés.»
Ci-contre, de haut en bas:
dans une des chambres, un fauteuil
Gordon de Blanc d’Ivoire
et un agencement textile qui se
fondent dans le décor alpestre.
La piscine creusée au cœur de l’étable
et pour laquelle il a fallu reconsolider
les fondations de la ferme.
PHOTOS: VERONIQUEBOTTERON.COM
En bas:
vue sur la chambre mezzanine,
sorte de cocon sous le toit.
Uneaventurehumaine
Le Temps: Qu’est-ce qu’une telle
entreprise, pour laquelle vous avez
endossé tous les rôles, de
l’architecte au maçon, a représenté
psychologiquement?
Pierre Cellier: Je pense que ce
chantier a été ma façon de m’exprimer. Certaines personnes
écrivent des
livres, d’autres
tournent des
films; moi, je
voulais construire. C’est
tombé à un moment de ma vie où
j’avais besoin de réaliser quelque
chose, vis-à-vis de moi et vis-à-vis
des autres. Par le bâtiment. Je me
suis acharné parce que ça ne me
faisait pas peur, j’avais confiance
en moi.
le terrain et élever des fondations
pour pouvoir aménager la piscine, par exemple. Ensuite, je me
suis terriblement impliqué dans
le travail du bois.
C’était une immersion totale?
Pour arriver à ce résultat, cela
signifiait – puisque je n’avais pas
fait appel à un architecte – une
présence au quotidien; je devais
diriger, organiser, vérifier, établir
des plans, etc. Il m’a aussi fallu
beaucoup de temps pour m’imprégner du lieu. Le travail manuel
a représenté entre 30 et 50% de
mon investissement personnel,
notamment pour consolider la
structure. Ce type de ferme est
posé sur la terre. Il a fallu excaver
Quel est le bilan de cette
expérience?
Cela a été dur moralement, car le
chantier a été très long. Heureusement que je n’avais pas pris
conscience, au début, de l’ampleur des travaux. Mais je suis
enchanté du résultat. J’ai appris
beaucoup de choses; maintenant
je connais les matériaux, je sais
comment ça se passe. Et surtout
j’ai réussi à imaginer un endroit
où l’on se sent bien.
Propos recueillis par G. S.
DR
frisante. Une autre plus rustique est
recouverte de pin et une dernière,
plus masculine, de teck. Chaque
chambre possède sa salle de bains
au sol veiné de Bleu de Savoie, marbre provenant d’une carrière voisine. Les murs sont tapissés de marbre de Carrare, mais choisi dans un
ton moins blanc que celui destiné à
l’art statuaire. «Ici on est à la montagne, la nature doit être présente à
l’intérieur et la pierre doit se lire
comme de la pierre. Quand on aménage un lieu, il faut toujours réfléchir à son emplacement. Une maison doit garder son âme», affirme
Béatrice Rosenthal. Ainsi l’espace
mezzanine, sorte de repaire pour
amoureux, une suite remisée sous
le toit avec vue sur les étoiles, dont
la porte se distingue avec peine, invisible parmi le bardage de bois, se
teinte d’une tonalité sensuelle:
commode baroque, rideaux et stores brodés de volutes encadrent un
lit trônant au milieu de la pièce,
laissant apparaître au fond une baignoire en Corian.
Ce que l’on ne pourra pas admirer, c’est l’illumination du chalet à la
nuit tombée. «Le plus difficile a été
de concevoir un éclairage chaleureux dans un espace aussi grand,
évoque la décoratrice. Le soir, c’est
féerique, sous chaque panne de bois
horizontale se diffuse une lumière
indirecte qui éclaire la totalité de la
sous-face de la toiture, on a l’impression que la lumière lèche le bois
comme une flamme.»
>> Retrouvez la suite du reportage
photo sur www.letemps.ch/luxe
Comment avez-vous vécu
cette étroite collaboration avec
les différents corps de métier?
Je me suis aperçu qu’il y a ici toute
une équipe de professionnels
extraordinaires qui ont l’habitude
de travailler ensemble et aussi
qu’il ne faut surtout pas les séparer
les uns des autres. Il y a une cohésion, de l’entraide. Ils ont apporté
leurs idées, c’était fondamental
qu’ils puissent avoir leur mot à
dire. J’avais des contraintes esthétiques et eux techniques, il a fallu
les harmoniser, d’où l’importance
du lien humain.
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et illustré par Xénia Laffely
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