Le Tribunal de la concurrence confirme que l`abus de position
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Le Tribunal de la concurrence confirme que l`abus de position
Actualité juridique Le Tribunal de la concurrence confirme que l’abus de position dominante doit cibler les concurrents Avril 2013 Droit antitrust, droit de la concurrence et réglementation Le 15 avril 2013, le Tribunal de la concurrence a rejeté l’argument de la commissaire de la concurrence selon lequel le Toronto Real Estate Board s’adonnait à des agissements anti-concurrentiels contraires à l’article 79 de la Loi sur la 1 concurrence . L’affaire, lancée en 2011, s’est inscrite dans le cadre de la nouvelle approche plus musclée en matière d’application de la Loi sur la concurrence (Loi) mise de l’avant par Melanie Aitken, commissaire de la concurrence en poste à ce moment-là. Son successeur, le commissaire de la concurrence par intérim John Pecman, a indiqué qu’il examinerait la décision pour déterminer les prochaines mesures que prendra le Bureau de la concurrence dans cette affaire. Cette décision, étonnamment courte (8 pages), confirme la jurisprudence existante selon laquelle, pour constituer un abus de position dominante, les agissements de la partie dominante (sous réserve d’exceptions limitées) doivent avoir eu des répercussions négatives intentionnelles sur les concurrents. La position de la commissaire Dans cette affaire, la commissaire de la concurrence alléguait que le Toronto Real Estate Board (TREB), la plus importante chambre immobilière au Canada comptant quelque 35 000 agents et courtiers immobiliers, restreignait la façon dont ses membres pouvaient fournir des renseignements provenant du système appelé Toronto Multiple Listing Service (MLS) à leurs clients. Le système MLS contient des données relatives aux inscriptions antérieures et aux prix de vente, aux prix antérieurs de propriétés comparables dans le secteur et à la durée d’inscription des propriétés sur le marché. La commissaire soutenait que, en raison de ces restrictions, le TREB refusait aux agents membres la possibilité de fournir des services de courtage novateurs par Internet, notamment au moyen de sites Web protégés par mot de passe. Le TREB est membre de l’Association canadienne de l'immeuble, qui possède la base de données en ligne MLS qui est exploitée par ses membres. La décision du tribunal Le Tribunal de la concurrence a conclu que les agissements du TREB n’ont pas eu de répercussions sur les concurrents et a formulé trois raisons expliquant l’échec de l’action intentée par la commissaire : i) elle était incompatible avec la jurisprudence existante de la Cour d’appel fédérale; ii) elle s’écartait des propres lignes directrices du Bureau sur l’abus de position dominante; et iii) elle était incompatible avec la Loi. Le tribunal a d’abord déclaré qu’il était d’accord avec la décision de 2006 de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada c Canada Pipe Co. et qu’il était lié par celle-ci. Dans cette décision, la Cour d’appel fédérale avait décidé que, pour être un abus de position dominante, les agissements de l’entreprise dominante doivent avoir un « effet négatif PAGE 2 2 intentionnel sur un concurrent et cet effet doit être abusif, viser une exclusion ou une mise au pas » . Dans cette affaire, le TREB a admis, et la commissaire a reconnu, qu’il ne faisait pas concurrence à ses membres; en conséquence, les agissements du TREB ne pouvaient pas avoir un effet négatif sur un concurrent comme le prévoient la jurisprudence et les dispositions de la Loi sur l’abus de position dominante. Le tribunal a rejeté les arguments de la commissaire voulant que l’article 79 comprenne les agissements abusifs par des entités qui ne sont pas des concurrents. L’élément commun dans huit des neuf exemples d’agissements anticoncurrentiels prévus à l’article 78 est de causer des dommages à un concurrent, et le tribunal a soutenu qu’il était également possible de conclure à des dommages à un concurrent dans le neuvième exemple. De plus, le tribunal a indiqué que les propres Lignes directrices sur l’abus de position dominante de 2012 du Bureau, qui ne sont que des lignes directrices et n’ont donc pas la même portée que la jurisprudence ou la législation, prévoient elles aussi que les agissements anti-concurrentiels doivent avoir un effet négatif intentionnel sur un concurrent. Les lignes directrices tiennent compte de circonstances dans lesquelles les agissements qui ne visaient pas précisément des concurrents pourraient être considérés comme anti-concurrentiels, ce que le tribunal a interprété comme une indication de l’insatisfaction de la commissaire à l’égard de la décision dans l’affaire Canada Pipe. Enfin, le tribunal a jugé que le paragraphe 79(4) de la Loi précisait que l’abus de position dominante pouvait uniquement être invoqué lorsqu’un concurrent subit les répercussions d’un comportement anti-concurrentiel. Dans ce contexte, le tribunal a jugé que l’article 79 ne pouvait pas s’appliquer aux faits de cette affaire, étant donné qu’aucun concurrent n’avait été touché par les agissements du TREB. Fait intéressant, le tribunal a ajouté une « observation » à sa décision disant que le commissaire pourrait avoir des motifs pour intenter une action contre le TREB en vertu de l’article 90.1 de la Loi, qui est une prohibition civile contre la collaboration anti-concurrentielle entre les concurrents. Dans un tel cas, le commissaire devrait plaider que les membres du TREB sont des concurrents et qu’ils utilisent l’association pour édicter des règles anti-concurrentielles. Le tribunal a cependant précisé que le but de son observation n’était pas de suggérer qu’une telle action serait accueillie. Répercussions Cette affaire soulève une question intéressante, à savoir si un comportement qui nuit à la concurrence de façon générale, mais qui ne vise pas expressément un concurrent précis, pourra un jour être considéré comme un abus de position dominante. L’affaire soulève également la question de savoir si une action pour abus de position dominante pourrait un jour être accueillie contre une association commerciale qui ne livre pas concurrence à ses membres. Si aucun concurrent n’est touché, le commissaire pourrait être réduit à demander réparation en vertu de l’article 90.1, article aux termes duquel la sanction hautement dissuasive de 10 M$ prévue en matière d’abus de positon dominante ne peut être réclamée par le commissaire. À l’heure actuelle, le Bureau examine la décision et pourrait la porter en appel devant la Cour d’appel fédérale ou encore intenter un recours contre le TREB en vertu d’un autre article de la Loi. Kevin Ackhurst Stephen Nattrass Notes 1. La commissaire de la concurrence c The Toronto Real Estate Board, 2013 Trib conc 9. 2. Canada (Commissaire de la concurrence) c Tuyauteries Canada Ltée, 2006 CAF 233, [2007] 2 RCF 3, au para 64. PAGE 3 Pour plus de renseignements sur le sujet abordé dans ce bulletin, veuillez communiquer avec l’un des avocats mentionnés ci-dessous : > Denis Gascon Montréal +1 514.847.4435 [email protected] > Richard A. Wagner Ottawa +1 613.780.8632 [email protected] > Kevin Ackhurst Toronto +1 416.216.3993 [email protected] > John P. Carleton Calgary +1 403.267.9406 [email protected]