La taxe anti-copie - Syndicat des radiologues hospitaliers

Transcription

La taxe anti-copie - Syndicat des radiologues hospitaliers
Radio-vigilance
La taxe anti-copie
Comment les radiologues et les hôpitaux - et par leur
intermédiaire notre Assurance maladie - sont
illégitimement rançonnés par les sociétés de gestion
collective de la rémunération pour copie privée,
avec la complicité du Ministère de la Culture
Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH de radiologie à l'Université Paris Descartes et à l'AP-HP, Directeur du diplôme de l'Université
d'imagerie médico-légale de l'Université Paris Descartes.
U
ne décision du 21 octobre 2010 de
la Cour de Justice de l'Union
Européenne (CJUE), parue dans
le Journal officiel de l'Union
Européenne du 18 décembre 2010 (1)
offre l'occasion d'une petite mise au
point sur le droit d'auteur et sur l'une de
ses plus curieuses facettes la taxe anticopie, instituée par le législateur
Français à l'initiative du Ministère de la
Culture, pour compenser le droit de
copie privée en application de la
Directive Européenne 2001/29/CE relative au droit d'auteur et aux droits voisins
dans la Société de l'information..
Il n'est sans doute pas inutile de rappeler
que le Code de la propriété intellectuelle
(CPI) protège les auteurs et les éditeurs
"d'œuvres de l'esprit" (art. L.111 du
CPI) en leur reconnaissant des droits
moraux et des droits patrimoniaux.
citer la source d'un emprunt pour éviter le plagiat ;
le droit au respect de l'œuvre : l'intégrité de la
création doit être respectée et l'on ne peut la modifier sans l'accord explicite de l'auteur ;
le droit de divulgation, qui permet à l'auteur de
garder une œuvre inédite, s'il le souhaite, même
après son décès et son corollaire, le droit de retrait
et de repentir, qui l'autorise à tout moment d'arrêter la diffusion de son travail ou de le modifier,
sous réserve d'assumer les conséquences financières éventuelles créées par la négociation des
droits patrimoniaux ci-dessous détaillés.
Ces droits moraux sont, en France, perpétuels et
inaliénables : ils restent attachés à la personne de
l'auteur puis de ses héritiers successifs. Ils sont
donc radicalement différents du copyright, américain notamment, qui peut être transféré, souvent
moyennant finances, à l'éditeur d'une revue ou d'un
livre, ou au producteur d'une œuvre cinématographique. C'est ainsi qu'un producteur US peut
"retoucher" un roman ou une pièce pour en tirer un
film assez fondamentalement différent, sans que
l'auteur qui lui a vendu ses droits ne puisse s'y
opposer. Ce n'est pas le cas en France.
Les œuvres de l'esprit recouvrent toutes sortes d'écrits (artistiques ou scientifiques), d'images (dessins, tableaux, gravures, peintures, photographies…), les œuvres dramatiques, musicales, cinématographiques, artistiques (gravures, sculptures…), les banques de données et les logiciels
informatiques, à la condition qu'elles soient originales et soient des créations intellectuelles.
Les droits patrimoniaux
sont en revanche cessibles :
Ils naissent lors de la divulgation de l'œuvre, pour
permettre à l'auteur (puis ses héritiers, durant 70
ans) de tirer un profit matériel de son travail. Après
cette durée, et sous réserve de certaines conditions,
l'œuvre tombe dans le domaine public. Ces droits
patrimoniaux sont :
Les droits de reproduction recouvrent toutes
les fixations matérielles de l'œuvre sur un support
quelconque permettant la communication ou la
représentation au public (par exemple l'impression,
l'enregistrement sur un cédérom, l'affichage sur une
Les droits moraux naissent
dès la création de l'œuvre sans
aucune formalité et comprennent :
le droit à la paternité, qui impose notamment de
page web, etc). Il a donc fallu une loi, publiée au
Journal officiel du 3 janvier 1995 pour permettre la
photocopie des documents sans accord spécifique
de l'auteur ou de l'éditeur, moyennant la gestion
collective des droits de reprographie par un organisme ad hoc, le Centre français d'exploitation du
droit de copie ou CFC.
Les droits de représentation ou de communication au public, qui correspondent au fait de
rendre l'œuvre accessible, quelque soit le procédé
utilisé ;
Pour les œuvres graphiques ou plastiques, le
droit de suite (qui permet à l'auteur d'être intéressé
financièrement à chaque vente successive de leur
œuvre) ;
Le droit d'autoriser et d'exploiter des œuvres
dérivées (ce droit est par exemple illustré par l'exploitation commerciale considérable qui suit la sortie
de chaque film des Studios Disney…) ;
Ces droits patrimoniaux appartiennent à l'auteur, qui
peut les céder de façon plus ou moins complète à un
ou plusieurs cessionnaire(s) : société savante, éditeur
de livre ou de revue…
Il en découle que les radiologues qui proposent un
article, un cours, un EPU doivent en principe s'assurer qu'ils n'utilisent pas de façon illégale une œuvre
protégée appartenant à autrui. Au minimum, il faut
en citer l'origine et l'auteur - qu'il s'agisse d'un extrait original ou d'une copie - et idéalement il est souhaitable d'obtenir préalablement l'autorisation du
titulaire des droits (auteur ou éditeur).
Parallèlement, tout auteur doit veiller, lorsqu'il
adresse son œuvre à un éditeur pour la faire publier,
à ne lui céder que les droits strictement nécessaires
pour cet usage : certains éditeurs, notamment anglosaxons proposent des contrats léonins qui dépossèdent totalement l'auteur et lui font ensuite courir le
risque d'accusation de plagiat de sa propre création !
Arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (troisième chambre) du 21 octobre 2010, (demande de décision préjudicielle de la Audiencia Provincial de Barcelona - Espagne) - PADAWAN SL / Sociedad
General de Autores y Editores (SGAE), Affaire C-467/08, texte intégral disponible sur http://curia.europa.eu
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SRH i n f o / 2011 - 1er Trimestre
Radio-vigilance
Pour permettre à tout un chacun de copier dans son
lecteur MP3, sur un cédérom, sur une bande magnétique, une œuvre protégée diffusée sur un disque, à
la radio, à la télévision…, sans devoir verser une
redevance à l'auteur et à son éditeur, la Directive
Européenne 2001/29/CE sus-citée a prévu la possibilité pour les États-membre d'instituer une redevance de rémunération de la copie privée (ci après
dénommée "Taxe anti-copie") imposée au moment
de la vente des supports magnétiques ou optiques
(cédérom, dévédérom, mais aussi disque dur, lecteur MP3, ainsi que de tout appareillage susceptible
de permettre de conserver et d'écouter ou de visionner des créations protégées.
C'est à ce titre que les supports d'enregistrement utilisés pour la communication et la conservation des
images médicales, employés par les radiologues
hospitaliers ou libéraux sont actuellement soumis
en France à une redevance perçue par la SORECOP
et France COPIE pour être ensuite redistribuée
ensuite aux organisations représentatives des éditeurs et des auteurs d'œuvres protégées : cette taxe
est actuellement de 1€uro par DVD de 4,7 Gigaoctets et de 0,35 €uro par cédérom de 700 mégaoctets.
Le député Georges MOTHRON (UMP du Val
d'Oise) avait fort justement questionné en 20092 le
Ministre de la Culture à l'occasion d'une séance de
questions parlementaires de l'Assemblée nationale,
en observant que cette redevance, perçue sur les
supports matériels nécessaires pour la communication des images médicales produisait des revenus
considérables pour la Sorecop et causait corrélativement des dépenses imputées sur le budget des
centres hospitaliers et ces cabinets de radiologie et
in fine sur les cotisations de sécurité sociale. Pour
12 000 examens, le député estimait en 2009 ce surcoût à environ de 7000 €uros par an ; il demandait
par conséquent au Ministre de revoir son dispositif
pour dispenser les structures radiologiques de cette
taxe.
Il faut ajouter que les images médicales qui sont
gravées sur ces supports ne sont évidemment pas
destinées à être diffusées publiquement, puisqu'elles sont simultanément couvertes par le secret
médical et par le droit à l'image des patients qui
prêtent leur corps au recueil de ces images dans leur
seul but, en principe, de leur prise en charge médicale ou chirurgicale, et à qui il faut demander leur
accord pour toute autre utilisation3.
Le ministre de la Culture avait négativement répon-
du le 26 janvier 2010 au député Georges Mothron
par une fin de non recevoir, en indiquant que "… La
rémunération pour copie privée s'applique de
manière forfaitaire sur tous les supports d'enregistrement sur lesquels il est possible de réaliser de la
copie privée. Une commission (…) est chargée de
déterminer les types de supports assujettis et le
montant de la rémunération pour copie privée. En
ce qui concerne la prise en compte des usages professionnels de supports d'enregistrements, elle
intervient à deux niveaux : elle exclut tout d'abord
de son assiette les supports d'enregistrement entièrement dédiés à un usage professionnel et elle
applique un abattement pour usages professionnels
pour les supports mixtes, c'est-à-dire ceux dédiés à
la fois à des usages de copies privées et à des
usages professionnels. Le support utilisé par les
centres hospitaliers et les cabinets de radiologie est
un support mixte dont le montant de la rémunération pour copie privée prend en compte la possibilité qu'ils soient utilisés à des usages autres que de
la copie privée".
C'est dans ce contexte qu'intervient la décision de la
Cour de justice européenne, interrogée par un tribunal Espagnol devant régler un litige entre Padawan
SL (une société commercialisant des cd, dvd et lecteurs MP3), et la Société générale des auteurs et
éditeurs espagnols (SGAE). La CJUE considère
dans son arrêt du 21 octobre 2010 que "que le "juste
équilibre" à trouver (pour compenser équitablement le droit de copie) (…) implique que la compensation équitable soit nécessairement calculée
sur la base du critère du préjudice causé aux
auteurs des œuvres protégées à la suite de l'introduction de l'exception de copie privée. Il est conforme aux exigences de ce "juste équilibre" de prévoir
que les personnes qui disposent d'équipements,
d'appareils ainsi que de supports de reproduction
numérique et qui, à ce titre, en droit ou en fait, mettent ces équipements à la disposition des utilisateurs privés ou rendent à ces derniers un service de
reproduction sont les redevables du financement de
la compensation équitable, dans la mesure où ces
personnes ont la possibilité de répercuter la charge
réelle de ce financement sur les utilisateurs privés.
(Toutefois) L'article 5, paragraphe 2, sous b), de la
directive 2001/29 doit être interprété en ce sens
qu'un lien est nécessaire entre l'application de la
redevance destinée à financer la compensation
équitable à l'égard des équipements, des appareils
ainsi que des supports de reproduction numérique
et l'usage présumé de ces derniers à des fins de
reproduction privée. En conséquence, l'application sans distinction de la redevance pour copie
privée, notamment à l'égard d'équipements, d'appareils ainsi que de supports de reproduction
numérique non mis à la disposition d'utilisateurs
privés et manifestement réservés à des usages
autres que la réalisation de copies à usage privé,
ne s'avère pas conforme à la directive 2001/29".
Ainsi, et bien que les sociétés de gestion collective
de la rémunération pour copie privée aient immédiatement publié contre toute évidence un communiqué de presse indiquant que cet arrêt conforte la
législation française, il est désormais clair que l'application de la taxe anti-copie privée aux supports
cd et dvd vendus aux utilisateurs professionnels qui
les destinent au gravage des images médicales n'est
pas conforme aux dispositions de la directive
européenne 2011/29.
A l'initiative du SRH, qui a adressé au député
Georges Mothron la copie de l'arrêt de la CJUE, ce
député de l'Oise a écrit le 11 janvier 2011 au
Médiateur de la République ainsi qu'au Premier
ministre pour les prier de faire adapter le dispositif
législatif français à la récente jurisprudence
européenne. On peut espérer ainsi que la radiologie,
et avec elle les autres spécialités et disciplines qui
produisent des images médicales, soient prochainement dispensées du paiement de cette redevance
anti-copie sur les supports indispensables à la communication et à la conservation des images des
patients.
Dans l'hypothèse où la démarche du député
Georges Mothron resterait sans résultat positif, le
SRH envisage d'inviter ses partenaires du Conseil
professionnel de la radiologie ainsi que les fédérations hospitalières à l'accompagner dans un recours
devant la CJUE pour faire cesser le racket des
sociétés de collecte des taxes anti-copie.
En attendant, le SRH invite ses adhérents à faire
largement connaître l'arrêt de la CJUE aux services économiques de leurs hôpitaux ainsi qu'à
leurs fournisseurs de cd et dvd, en espérant que
certains d'entre eux décideront d'agir pour éviter
à leurs clients d'avoir la tentation de se fournir à
l'étranger, en omettant de payer volontairement la
redevance anti-copie, comme la loi française le
prévoit, apparemment abusivement, à en croire les
Juges européens de Luxembourg.
Question parlementaire n° 61571, question publiée le 20/10/2009 page 9816 et réponse publiée le 26/01/2010 page 833 au JO de l'Assemblée nationale
Dans les services hospitalo-Universitaires, il est souhaitable d'afficher, en salle d'attente, et dans les déshabilloirs, que les missions de l'établissement supposent que les images produites dans l'hôpital peuvent occasionnellement être exploitées pour la recherche et pour l'enseignement, sauf si les patients font connaître leur opposition. Il faut ajouter que cette opposition n'occasionnera aucune conséquence négative sur les soins individuels et
n'entraînera aucune mesure de rétorsion. Et il faut instaurer les procédures adaptées pour enregistrer cette éventuelle préférence des patients, et garantir que l'on en tiendra compte.
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SRH i n f o / 2011 - 1er Trimestre
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