Les gemmes précieuses - Tabernacle des Lumieres
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Les gemmes précieuses - Tabernacle des Lumieres
Les gemmes précieuses Al- Yawâqît wa Al-Jawâhir fî bayân ‘Aqâïd al-Akâbir DE L’Imam Sha‘rânî Volume 2 Introduction Traduction IDRIS DE VOS Introduction et préface SLIMANE REZKI Les gemmes précieuses Al- Yawâqît wa Al-Jawâhir fî bayân ‘Aqâïd al-Akâbir DE L’Imam Sha‘rânî Volume 2 Introduction Traduction IDRIS DE VOS Introduction et préface SLIMANE REZKI © Septembre 2013, Tabernacle des Lumières 1 Introduction L’introduction se divisera en quatre chapitres : Le premier chapitre sera consacré à une brève présentation du Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî – Dieu soit satisfait de lui. On indiquera à cette occasion que les propos contrevenant aux positions explicites des savants que l’on a pu trouver dans ses livres y ont été ajoutés à son insu ou nécessite une interprétation. On mentionnera également les savants qui ont fait son apologie et ont rendu témoignage de sa haute vertu. Ce chapitre est rendu nécessaire par le fait que la formulation adoptée dans cet ouvrage est majoritairement empruntée à celle du Sheikh - Dieu soit satisfait de lui. Le second chapitre aura pour objet de gloser certaines paroles du Sheikh dont la plupart des gens ignorent le sens, en présumant qu’elles sont de lui. Nous rappellerons à cette occasion les vicissitudes que vécurent les gens de Dieu à toute époque, ainsi que les réquisitoires qu’ils subirent, afin d’être éprouvés et purifiés de leurs fautes, ou afin d’être conduits à ne pas placer leur confiance en leurs semblables. Parce que le Très-Haut ne gratifie pas un serviteur de Son élitaire dilection si celui-ci place sa confiance en un autre que Lui sans permission. Le troisième chapitre visera à justifier pourquoi les gens de la voie emploient des expressions hermétiques aux personnes étrangères à la voie. Nous montrerons qu’en définitive, c’est pour éviter que les saints de Dieu ne soient taxés d’imposture et ne fassent l’objet de calomnies. Il s’agit donc de symboles que les initiés comprennent entre eux, mais qui restent impénétrables aux gens non avertis si personne ne prend le temps de les renseigner. Ce choix est légitimé par la nécessité de préserver des secrets du Très-Haut qui risqueraient d’être divulgués parmi des gens aveuglés 1, comme l’a indiqué al-Qushayrî dans sa Risâla. Le quatrième chapitre sera consacré à l’explicitation de certaines règles et de certains principes que se doit de connaître quiconque entend parvenir à une connaissance confirmée de la théologie. Puisse Dieu nous accorder Son providentiel soutien. 1 Ou voilé : Mahjûb. 2 De la doctrine abrégée du Sheikh Doctrine exempte de toute déviation Sache mon frère – puisse le Seigneur te faire miséricorde – que tout croyant se doit de faire état de sa doctrine et de la professer publiquement. Si cette doctrine est juste, les gens témoigneront en sa faveur auprès du Très-Haut. Si elle ne l’est pas, cela permettra à ses semblables de lui indiquer son erreur afin qu’il s’en amende. Hûd – Puisse-t-il bénéficier du salut – déclara publiquement à son peuple qu’il se défendait de toute idolâtrie, bien que ceuxci ne croyaient pas en Dieu. Il professa ouvertement l’unicité, car il savait devoir, comme tout le reste, comparaître un jour devant Dieu, ce terrible jour d’interrogatoire où tout témoin devra rende témoignage et où tout responsable devra assumer dûment sa responsabilité. On sait en outre que tout individu ayant entendu le muezzin devra le déclarer même s’il est incroyant. C’est pourquoi le Malin tourne les talons dès qu’il entend l’appel à la prière et qu’il laisse échapper des vents pour ne pas l’entendre. Car il répugne à témoigner en la faveur du Muezzin et à participer à assurer sa félicité dans l’au-delà. Dieu l’a maudit en sorte qu’il demeure un parfait ennemi : on ne peut attendre de lui aucun bien. Puisque même ton ennemi devra témoigner pour ou contre toi, selon les paroles que tu lui auras fait entendre à ton propre sujet - la vérité en cette heure devant être dite inéluctablement – il est d’autant plus légitime que les gens de ta confession qui te sont favorable et qui t’aiment témoignent en ta faveur. Il convient donc que tu témoignes pour toi-même de ta profession de l’unicité et de ta foi en ce monde. Ainsi donc, mes chers amis, mes frères – puisse le Seigneur être satisfait de nous et de vous –, en votre présence, je prends Dieu à témoin, ainsi que Ses anges, Ses prophètes et tous les êtres spirituels assistant ou entendant mes paroles, et je déclare en mon âme et conscience que Dieu est un Dieu unique exempt de second ; qu’Il n’a ni compagne ni enfant ; qu’Il est un souverain sans aucun associé ; qu’Il est un roi sans ministre ; qu’Il est un Créateur nullement secondé dans Sa gestion. J’affirme que le Seigneur existe par Lui-même et n’a pas besoin d’être existencié par un autre ; et qu’en revanche, tout être existant a besoin de Lui pour exister. Le monde tout entier n’existe donc que par Lui, tandis que Lui, exalté soit-Il, existe par Lui-même. Son existence n’a pas de commencement ni de fin. Il est absolu et subsiste par Lui-même. Il ne procède pas d’une substance qui le circonscrirait en un lieu et Il ne procède pas d’un événement accidentel qui rendrait Sa pérennité impossible ; Il ne procède pas d’un corps qui l’enfermerait dans un espace et un temps et Il transcende les directions et les lieux ; Il est visible avec les cœurs et les yeux. Il s’est établi sur Son Trône comme Il l’a dit Luimême et selon le Sens qu’Il entend Lui-même en cette parole. De même que le Trône et ce qu’il contient subsiste harmonieusement par Lui. C’est à Lui qu’appartiennent la vie future et la vie immédiate. Il n’a de pareil concevable et les raisons ne sauraient Le décrire. Il n’est pas délimité dans un temps et Il n’est pas circonscrit dans un espace. Plus encore, Il était quand il n’y avait nul espace et Il demeure ainsi qu’Il était, parce qu’Il a créé les réalités situées dans l’espace autant que l’espace et que le temps. Il a dit : Je suis le Vivant qui maintient en l’existence les créatures sans que cela n’entraine en Moi nulle fatigue. Toute caractéristique des créatures qui n’est pas sienne ne peut être rapportée à Lui. Dans Sa grandeur, Il n’est pas 3 compénétré2 par les contingences et Il ne les compénètre pas. Celles-ci ne peuvent davantage le précéder ou Lui succéder. Plus encore, on dit qu’Il était quand rien n’était avec Lui. Parce que l’avant et l’après sont des corollaires du temps qu’Il a Lui-même conçu. Il est le Soutien autosuffisant qui n’est pas touché par le sommeil et l’éminemment dominant que l’on ne saurait atteindre. Rien ne Lui est semblable et Il est l’Oyant et le Voyant. Il a créé le Trône et il lui a donné la mesure de Son assise et Il a créé le piédestal et l’a fait aussi vaste que la terre et les cieux. Il a conçu la table et le calame suprême, et Il a fait retranscrire à celui-ci le sort des créatures selon Sa volonté et Son savoir, jusqu’au jour du discernement et du décret. Il a créé le monde entier sans exemple préexistant. Il a créé les créatures et combien parfaite est Sa création. Il a fait descendre les esprits dans les corps comme autant de dépositaires et il a fait de ces corps habités des esprits des lieutenants sur terre. Il leur a soumis tout ce que renferment les cieux et la terre. À tel point que pas un atome ne se meut autrement que par Lui et pour Lui. Il a créé le tout sans qu’un besoin l’y pousse ou qu’une nécessité l’y conduise. Mais, Sa science précédant, Il créa ce qui devait nécessairement être créé. Il est le Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché, et Il est le Tout Puissant. Il embrasse toute chose de Sa science et Il dénombre toute chose. Il connaît les secrets [des êtres] et des réalités plus cachées encore. Il est informé des traitres regards dérobés et de ce que dissimilent les poitrines. Comment ne connaîtrait-il pas une chose qu’Il a créé ; « Celui qui a créé, serait-il ignorant, alors qu’Il est le Subtil et le Bien-informé. »3 Il connaissait les choses avant leur existence. Puis Il les a créées conformément à la science qu’Il avait d’elles. Il ne cesse de connaitre les choses et la connaissance qu’Il en a ne change pas au fur et à mesure qu’Il les crée. Il a créé les choses d’une façon accomplie ainsi que les statuts au moyen desquels il les régit comme bon Lui semble. Son autorité s’étend sur la science des réalités globales de manière absolue, ainsi que sur toute chose considérée particulièrement, selon un avis unanime des théologiens et des gens avisés. Il connaît le monde caché et le monde manifesté. Il ne saurait donc avoir des associés, loin s’en faut. Il fait suprêmement ce qu’Il veut et Il gère les êtres aussi bien sur la terre que dans le ciel. Sa puissance ne s’exerce en la création d’une chose qu’après qu’il l’ait voulu et Il ne veut que ce qu’Il sait au préalable. Car il est inconcevable que quelqu’un veuille une chose inconnue et il est inconcevable qu’un être ayant le choix et la capacité de renoncer à agir face ce qu’Il ne veut pas. Il est impossible que ces réalités puissent exister sans qu’un [Dieu] vivant n’en soit à l’origine et Il est impossible que de tels attributs puissent exister sans qu’un être en soit doté. Il n’est donc en l’existence d’obéissance ou de désobéissance, de réussite ou de perte, d’esclave ou d’homme libre, de froid ou de chaleur, de vie ou de mort, d’acquis ou de privation, de jour ou de nuit, d’équilibre ou de déséquilibre, de terre ou de mer, de pair ou d’impair, de substance ou d’accident, de santé ou de maladie, de joie ou de tristesse, de corps ou d’esprit, d’obscurité ou de lumière, de terre ou de ciel, de dissolution ou de fusion, d’abondance ou de rareté, d’aube ou de crépuscule, de blanc ou de noir, de veille ou de sommeil, d’apparent ou de caché, de mouvant ou de statique, de sec ou d’humide, d’écorce ou de noyau, de tout contraire, de toute différence et de toute similitude qui ne soient voulus par le Très-Haut. Comment ne voudrait-Il pas ces réalités alors qu’Il les fait exister ? Et 2 3 Tahulluhu. Coran 67 : 14. 4 comment Celui qui a le choix ferait-Il exister une réalité qu’Il ne voudrait pas ? Rien n’arrête Son ordre et nulles représailles n’affectent son jugement. Il donne la gouvernance à qui Il veut et la retire de qui Il veut. Il honore qui Il veut et avilit qui Il veut. Il guide qui Il veut et égare qui Il veut. Ce que Dieu veut advient et ce qu’Il ne veut pas n’advient pas. Si toutes les créatures voulaient quelque chose que le Très-Haut ne voulait pas qu’ils veuillent, ils ne le voudraient pas. Et s’ils voulaient accomplir une action que Dieu ne voulait pas voir s’accomplir, ils en seraient incapables ; Dieu ne leur en donnerait pas le pouvoir. L’impiété et la foi, ainsi que l’obéissance et la désobéissance, participent de la volonté et de l’autorité de Dieu. Le Très-Haut se caractérise par cette volonté depuis l’éternité, alors que le monde était inexistant. Puis Il existencia le monde sans qu’aucune réflexion ou préparation ajoutant à Sa science ne Lui soit nécessaire pour compenser une hypothétique ignorance. Il est bien au-delà de cela. Il donne existence au monde selon une science préexistante et selon cette volonté précise et prééternelle décrétant la création du monde tel qu’il est et avec ce qu’il comporte de temps, d’espace, d’êtres et de couleurs. Nul n’est doué de volonté en vérité dans l’existence, si ce n’est Lui. Car Il dit : « Et vous ne voulez que si Dieu veut. »4 De même que le Très-Haut connaissait les choses et donc les décréta, qu’Il voulait et donc les définit et qu’Il pouvait et donc les existencia, de même entent-Il et voit-Il tout ce qui se meut ou s’exprime du monde inférieur au monde supérieur. Son ouïe n’est pas voilée par la distance car Il est le proche ; et Sa vue n’est pas voilée par l’excessive proximité car Il est le lointain. Il entend le discours que l’âme se tient à elle-même et le bruit de l’effleurement inaudible. Il voit le noir dans l’obscurité et la goutte d’eau dans l’eau. Sa vue n’est pas occulté pas le mélange, l’obscurité ou la lumière. Il est l’Oyant et le Voyant. Le Très-Haut a parlé, non consécutivement à un silence ou à une immobilité imaginaire, mais selon les modalités d’une parole tout aussi prééternelle que l’ensemble de Ses attributs tels que la science, la volonté et le pouvoir. Il adressa cette Parole à Moïse - puisse-t-il trouver le salut. Il l’appela tantôt la Révélation, le Zabur, la Thora, l’Évangile ou le Discernement. Mais on ne doit y voir aucun anthropomorphisme et aucune forme. La Parole du Très-Haut n’a pas pour appareil une glotte et une langue ; Son ouïe n’a pas pour appareil un tympan et un pavillon ; Sa vue n’a pas pour appareil une pupille et des paupières ; Sa volonté n’a pas pour support un cœur ou une faculté subtile5 ; Sa science n’est pas conduite par la nécessité et ne s’appuie pas sur des développements inductifs ; Sa vie ne découle pas de la vapeur d’une altération du cœur issue du mélange des éléments ; Son essence ne fait pas l’objet d’ajout ou de retrait. Gloire à Lui, gloire à Lui, Lui qui est loin dans sa proximité, Lui dont le pouvoir est immense, dont la bienfaisance est universelle et dont les largesses sont incommensurables. Tout ce qui est autre que Lui procède de Son excédant de grâce et de Sa munificence et Il lui revient de dispenser ou de retenir Sa grâce, Sa générosité et Sa justice. Lorsqu’Il voulut donner naissance à ce monde, il le créa sublimement et parfaitement. Il n’a d’associé dans Son pouvoir et Il le met en œuvre sans que personne n’intervienne. S’il comble de faveurs, c’est le fait de Sa grâce ; et s’il éprouve et tourmente, c’est le fait de Sa justice. C’est sur Son royaume qu’Il exerce Son 4 5 Coran 81 : 29. Janân. 5 autorité et ne peut donc être qualifié d’injuste ou de partial en sa gestion. Et nul n’exerce sur Lui d’autorité légitimant qu’Il conçoive de l’inquiétude et de la crainte. Tout autre que Lui demeure sous Son autorité contraignante, régi par Sa volonté et Son ordre. Car Il est Celui qui inspire aux âmes des êtres responsables la piété ou l’impiété. Il est Celui qui passe sur les fautes de Ses serviteurs ici-même ou au jour du rassemblement. Sa justice n’a pas d’autorité sur sa grâce et Sa grâce d’autorité sur Sa justice. Il a sorti le monde de deux poignées et a créé pour chacune une demeure. Il a décrété : « Ceux-là sont destinés au paradis et peu m’importe qu’ils le soient, et ceux-là sont destinés à l’enfer et peu m’en importe qu’ils le soient. » Et nul n’a protesté contre Son choix, car nul ne se trouvait là en dehors de Lui. Tout demeure sous la gestion de Ses noms : une poignée sous la gestion de ses noms de malheurs et une poignée sous la gestion de Ses noms de faveurs. Si Dieu – Gloire à Lui - avait voulu que tous les êtres soient promis à la félicité, il en aurait été ainsi ; et s’Il avait voulu qu’ils soient tous promis au malheur, Il n’aurait point été en peine de le faire. Mais, dans Sa grandeur, Il ne l’a pas voulu et le monde fut créé comme Il l’a voulu. Si bien que les uns sont heureux et que les autres sont malheureux, tant ici-bas qu’au jour du rassemblement. On ne saurait changer ce qu’Il a statué. Le Très-Haut a dit que les prières sont au nombre de cinq et qu’elles sont au nombre de cinquante6 « Ma parole ne saurait être changée et Je ne suis pas inique envers les serviteurs. »7 Car je gère mon royaume selon Ma volonté. Cette réalité est due à un fait qui échappe aux regards et à l’entendement des hommes, à l’exception de certains serviteurs que Dieu gratifie d’une grâce procédant de sa divinité et d’une largesse procédant de Sa miséricorde. De tels serviteurs sont ainsi dotés depuis le jour où ils rendirent témoignage. Ils surent quand ils en furent informés que la divinité avait prévu ainsi le partage et que cela relevait des subtilités inscrites en la prééternité. Gloire à Celui en dehors Duquel il n’est d’Agent véritable ni d’être existant par soi « Et Dieu vous a créé ainsi que vos actions. »8 ; « Il n’a pas de comptes à rendre pour ce qu’Il fait alors qu’eux ont des comptes à rendre. »9 ; « C’est à Dieu qu’appartient l’argument péremptoire. S’Il le voulait, Il vous guiderait tous. »10 Puis, de même que j’ai professé l’unicité de Dieu en prenant à témoin le Très-Haut, ses anges, l’ensemble des créatures et vous-mêmes , je professe de nouveau devant ces mêmes témoins, que je prête foi en celui que le Seigneur a élu, choisi et gratifié de son élitaire dilection entre tous, c'est-à-dire notre souverain maître Muhammad - Dieu lui consente la grâce et le salut. Dieu l’a mandaté auprès de l’ensemble des hommes afin de leur annoncer la bonne nouvelle, de les mettre en garde, de les appeler à Lui par Sa permission et d’être à l’image d’un luminaire flamboyant pour les gens. J’atteste qu’il a transmis le message que son Seigneur lui a confié par voie de révélation, qu’il a remis le dépôt de confiance à qui de droit et qu’il a adressé le bon conseil à la communauté. Lors du pèlerinage d’adieu, il s’adressa à tous les fidèles présents, il les sermonna, il leur fit un rappel, il les mit en garde, il les menaça, il leur fit part de l’heureuse promesse, il fit tomber la pluie et fit toner le ciel. Il ne s’adressa, 6 Référence au hadith où le prophète remonte voir Dieu à plusieurs reprises pour diminuer le nombre de prières prescrite, sur les conseils de Moïse. 7 Coran 50 : 29. 8 Coran 37 : 96. 9 Coran 21 : 23. 10 Coran 6 : 149. 6 ce jour, à personne en particulier, par la permission de l’Unique et Autosuffisant. Puis il les prit à témoin : « Ai-je bien transmis le message ? » Ils répondirent : « Tu as bien transmis le message, ô Envoyé de Dieu. » Il déclara alors : « Sois témoins, mon Dieu. » Je crois en le message qu’il nous a transmis, la part que j’en connais et la part que je n’en connais pas. J’atteste que la mort survient après un terme fixé par Dieu et que lorsque ce terme échoit, il ne peut être repoussé. Je crois en cela fermement, tout comme je crois et atteste de la réalité des deux anges interrogeant les hommes dans la tombe. Puis le rassemblement devant Dieu, le bassin prophétique, le tourment de la tombe, la mise en place de la balance, la présentation des registres, le pont, le paradis, l’enfer, le fait que certains soient destinés au paradis et d’autres à l’enfer, le fait que les uns soit affligés en ce jour et que d’autres ne soient pas touchés par le grand effroi, l’intercession des anges, des prophètes et des croyants, l’intercession du Miséricordieux entre tous, le fait qu’un certain nombre de musulmans ayant commis de graves péchés entreront en enfer puis en sortiront grâce à l’intercession, l’éternelle félicité des croyants et l’éternel tourment des impies et des hypocrites, et tout ce que les envoyés et les prophètes ont transmis de sciences, tout cela est vrai. Tel est le témoignage que je rends me concernant afin de le confier en dépôt à tous ceux qui l’entendront. Que chacun le transmette si on le lui demande. Puisse Dieu nous faire tirer profit, ainsi qu’à vous, de cette foi et la conforter en nous lorsque nous ferons route vers la demeure des vivants, lorsque nous nous installerons dans la résidence des honneurs et de la satisfaction et lorsque nous serons écartés du séjour infernal où les gens sont revêtus de goudron. Plut à Dieu que nous soyons de ceux qui recevront leur registre dans la main droite, qui s’en reviendront du bassin prophétique désaltérés, qui feront peser un bien prépondérant dans la balance et qui traverseront le pont d’un pas ferme. Il est le Bienfaiteur sublime. Amen. 7 Premier chapitre Le Sheikh Muhyî ad-Dîn : Aperçu biographique Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî fut à ses débuts un homme influent auprès de certains souverains du Maghreb. Puis un appel divin intérieur le saisit et il erra un temps dans les campagnes jusqu’à ce qu’il arrive auprès d’un tombeau. Il demeura en ce lieu un certain temps puis le quitta. C’est alors qu’il commença à prodiguer les enseignements que nous connaissons de lui. Il ne cessa de voyager en s’arrêtant un peu partout selon la permission du moment, léguant à chaque fois les ouvrages qu’il avait écrits durant son séjour. Son dernier arrêt se situa à Damas. C’est là qu’il trouva la mort en 638 de l’hégire. Puisse-t-il bénéficier de la satisfaction du Seigneur. Il était très attaché au Coran et à la tradition prophétique. Il déclarait en ce sens : « Quiconque renonce à mesurer les choses à l’aune de la voie légale un seul instant court à sa perte. » Nous verrons plus loin ce qu’il dit à ce sujet. Il déclarait aussi : « Le Très-Haut est différent de tout ce qui peut te venir à l’esprit Le concernant. » C’est ce que professeront les gens du consensus jusqu’au jour du jugement. Si certains de ses propos sont incompris de ses semblables, c’est qu’ils sont trop sublimes ; et si d’autres semblent aller à l’encontre de ce que dit explicitement la voie légale, c’est qu’il s’agit de propos introduits dans son œuvre à son insu. C’est ce dont m’a informé mon maître, le Sheikh Abû at-Tâhir al-Maghribî qui résidait à la cité anoblie de La Mecque. Il me montra à cette occasion un exemplaire des Futûhât qu’il avait pris le soin de comparer à l’exemplaire écrit de la main du Sheikh conservé à Konya. Je n’y vis rien de ce qui m’avait gêné et de ce que j’avais omis dans mon résumé des Futûhât. On sait que des hérétiques avaient glissé sous l’oreiller de l’imam Ahmad Ibn Hanbal des feuillets contenant des idées déviantes, lorsqu’il était sur son lit de mort. Si ses compagnons n’avaient pas été assurés de sa conforme doctrine, ils se seraient laissé troubler par ces écrits. Il est arrivé une affaire semblable au Sheikh Majd ad-Dîn al-Fayrûzâbâdî, l’auteur du Qâmûs. D’aucuns lui attribuèrent un livre contestant Abû Hanîfa et le qualifiant d’hérétique. Ils envoyèrent ce livre à Abû Bakr al-Khayyât al-Yamanî al-Baghawî. Celui-ci écrivit au Sheikh Majd ad-Dîn pour lui en faire reproche. Mais l’auteur du Qâmûs lui répondit : « Si tu mets la main sur cet ouvrage, brûle-le. Il s’agit d’un faux que mes ennemis m’attribuent. Je suis pour ma part un très fervent partisan de l’Imâm Abû Hanîfa. J’ai même consacré un livre entier à sa gloire. » D’autres ont glissé un certain nombre de propos dans l’Ihyâ’ ‘Ulûl ad-Dîn de l’Imâm al-Ghazâlî. Le Qâdî ‘Iyâd se procura l’un de ces exemplaires et ordonna qu’on le fasse brûler. Je fus moi-même victime de telles falsifications dans mon livre Al-bahr al-mawrûd. D’aucun y insinuèrent un certain nombre de positions doctrinales déviantes et les firent circuler en Egypte et à La Mecque durant trois ans. J’étais parfaitement innocent de ces propos et je l’indiquais dans la préface du livre lorsque je réécrivais celle-ci. Les savants souscrivirent à cet ouvrage et me donnèrent licence. L’incident ne fut clos qu’après que j’ai eut envoyé dans les régions concernées l’ouvrage signé de la main des Sheikhs. Un de ceux qui prirent ma 8 défense est le Sheikh et Imâm Nâsir ad-Dîn al-Liqânî al-Mâlikî – que Dieu soit satisfait de lui. Puis des jaloux firent circuler en Égypte et à La Mecque la nouvelle que les savants d’Égypte étaient revenus sur leur avis favorable concernant tous mes ouvrages. Ce qui suscita de nouveau le doute dans l’esprit de certains. J’envoyais donc la copie aux savants pour la troisième fois et ils écrivirent sous leurs propres traits : « Par Dieu, celui qui prétend que nous sommes revenus sur notre avis favorable concernant cet ouvrage et les autres ouvrages d’un tel11 sont des menteurs. » J’évoquerais là ce qu’a dit à cette occasion notre Maître et Sheikh Nâsir ad-Dîn alMâlikî – puisse Dieu lui prêter longue vie. Il commença en rendant gloire à Dieu puis déclara : « L’information selon laquelle ce serviteur que je suis serait revenu sur ses écrits concernant cet ouvrage et les autres ouvrages d’un tel, est mensongère, mensongère, mensongère. Par Dieu, je ne suis jamais revenu sur cela et je n’ai jamais eu l’intention de le faire. Je ne vois rien en ses écrits d'erroné et je suis convaincu qu’il n’a pas changé de position conformément à ce qu’il dit. Je témoigne devant Dieu que je crois en son propos et en sa probité. Il ne convient donc pas de prêter l’oreille aux propos de ceux qui ne craignent pas Dieu. » Ce sont là les termes qu’il employa à la fin du Kitâb al-‘Uhûd. Il fit suivre ce témoignage du texte de licence qu’il avait rédigé précédemment en ma faveur. Et l’imam accompli, le Sheikh Shihâb ad-Dîn ar-Ramlî ash-Shâfi‘î – que Dieu lui fasse miséricorde – consigna des mots semblables. Sachant cela, on est en droit de penser que des hommes envieux ont pu insinuer des propos contrefaits dans les ouvrages du maître comme il l’on fait dans les miens. Car, pour ma part, j’ai constaté à mes dépens que les gens de mon époque en étaient capables. Puisse Dieu nous pardonner et leur pardonner, amîn ! Parmi ceux qui, à l’inverse, se sont employés à faire l’éloge du Maître et de ses écrits, compte le Sheikh Majd ad-Dîn al-Fayrûzâbâdî, l’auteur du fameux dictionnaire al-Qâmûs. Il déclara : « Nous n’avons jamais entendu parler d’un homme de la voie parvenu à un aussi haut niveau de connaissance dans le domaine des sciences légales 12 et des sciences spirituelles13, que le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî. » Il était du reste très attaché à sa doctrine et prenait à partie quiconque en disait du mal. Il rapporta que durant une longue période les gens souscrivirent massivement aux convictions du Maître et recopièrent ses écrits à l’encre d’or, de son vivant d’abord, puis après sa mort. Jusqu’à ce que – Dieu imposant sa volonté – un homme du Yémen, nommé Jamâl ad-Dîn Ibn al-Khayyât, se dresse contre lui et écrive certaines choses dans un rouleau de papier, puis les envoie aux savants du monde musulman en prétendant qu’il s’agissait des positions doctrinales du Sheikh Muyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî. Il y mentionnait des idées déviantes et des convictions contraires à la position consensuelle des musulmans. Alors, les savants rédigèrent sans circonspection des réponses à ces idées en se basant sur ces affirmations et ils condamnèrent fermement quiconque les adoptait. Mais le Sheikh était en dehors de tout cela. 11 C'est-à-dire de l’auteur, ash-Sha‘rânî. Sharî‘a. 13 Haqîqa. 12 9 Al-Fayrûzâbadî déclara en outre : « Je ne sais si Ibn al-Khayyât a trouvé ces idées dans un livre contrefait du Maître ou s’il a lui-même compris de travers ses paroles. » Et il ajouta : « Pour ma part, je déclare et j’affirme en prenant Dieu à témoin, que le Sheikh Muhyî ad-Dîn était un maître de la voie, tant par son état spirituel que par sa science ; qu’il était l’imam de la réalisation spirituelle, tant dans son être spirituel que dans son être physique ; qu’il était le vivificateur des sciences des gnostiques, tant par son action que par son nom 14. La pensée de l’homme sonde-t-elle un des aspects de sa grandeur qu’elle se noie. Car il est un océan dont les seaux ne sauraient atteindre le fond et un nuage que les flots ne sauraient tarir. Il traversait les sept cieux par sa sublime aspiration et une once de ses bénédictions remplissait l’horizon. Non, assurément, il était au-dessus de ce que je décris et plus éloquent que ce que j’en retranscris. Et j’entretiens en conséquence la ferme conviction de ne pas l’avoir dignement dépeint. J’exprime mon credo : c’est chose légitime. Dédaigne l’ignorant qui indument me brime ! Par Dieu, par Dieu l’immense, et par cette figure Dont il fit en la foi la référence sûre, En le peu que j’ai peint de sa magnificence, Je n’ai fait qu’ajouter à mon insuffisance ! Il a dit aussi : « Quant à ses ouvrages – Dieu lui fasse miséricorde – ils sont ces océans féconds auxquels on ne sait de pareils. Une de leurs particularités est que tout homme les consultant avec assiduité y trouve la solution à des questions insondables de la religion. Ce qui n’est le cas d’aucun autre ouvrage. Quant à l’avis des négateurs selon lequel il serait interdit de lire ses livres ou d’en donner la lecture, c’est une parole impie. Un jour, des gens me posèrent une question qui voulait dire en substance : « Que penses-tu des ouvrages attribués au Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî, tels que Fusûs al-Hikam ou Al-Futûhât. Peut-on les lire ou en donner la lecture. Et sont-ils des ouvrages transmis par lecture ou non. » Je répondis : « Oui, ce sont des ouvrages transmis par lecture. Al-Hâfiz al-Barzalî et d’autres en on fait la lecture en sa présence. A Konya, j’ai vu la licence qui fut accordée à ce premier écrite de la main du Sheikh Muyî ad-Dîn dans la marge des Futûhât. Il y avait aussi l’écriture des savants et des spécialistes du hadîth qui se sont succédés à cette lecture. Aussi, la consultation des livres du Sheikh constitue-t-elle en soi une action pieuse permettant de se rapprocher de Dieu. Quiconque défend un autre avis est un ignorant et un dévoyé. Car par Dieu, le Sheikh bénéficiait de la plus haute autorité et il est plus que quiconque la référence dans la doctrine que nous professons et dans le culte que nous rendons à Dieu, contrairement à ce groupe de gens pris par Dieu en aversion qui interdisent aux autres de bénéficier de ses enseignements et entachent son honneur de façon calomnieuse et fallacieuse. Loin s’en faut que sa très noble personne contrevienne à la parole de son prophète, lequel l’a chargé de veiller sur la voie qu’il a tracée. C’est pourquoi ceux qui le contestent se trouvent dans une bien dangereuse posture. 14 Le nom du Maître, Muhyî ad-Dîn, veut dire le vivificateur de la tradition. 10 Il m’échoit seulement d’assonancer les mots, Peu me chaud que mes vers soient incompris des vaux ! » Ici prennent fin les paroles du Sheikh Majd ad-Dîn – que Dieu lui fasse miséricorde. Sirâj ad-Dîn al-Makhzûmî, lui qui était la référence des Sheikhs de la région du Shâm a dit : « Gardez-vous de condamner un quelconque propos du Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî, car la viande des saints est empoisonnée 15. Il est connu que ceux qui les prennent en aversion perdent leur religion et meurent chrétiens, et que Dieu endurcit le cœur de ceux qui les insultent. Abû ‘Abd Allâh al-Qurashî disait en ce sens : « Quiconque déprécie un saint protégé du Très-Haut sera frappé au cœur d’une flèche empoisonnée et ne mourra pas avant d’avoir adopté une doctrine dévoyée. On peut craindre pour un tel homme l’issue funeste. » Abû Turâb an-Nakhshabî disait pour sa part : « Lorsqu’un cœur s’accoutume à se détourner de Dieu, il finit de surcroît pas entacher l’honneur de Ses saints. » Le Sheikh Majd ad-Dîn al-Fayrûzâbadî a dit aussi : « J’ai vu une licence écrite de la main du Sheikh adressée à Baybars, souverain de la ville d’Alep. Le texte mentionnait à la fin : « Je lui donne également licence de transmettre mes ouvrages, parmi lesquels tels et tels livres… » Il dénombra quelque quatre cents ouvrages dont son grand commentaire du Coran composé de quatre-vingt-quinze tomes qu’il rédigea jusqu’au verset « Et nous lui avons dispensé une science procédant de Nous »16 avant que Dieu ne choisisse de le rappeler à Sa présence. Il mentionna également son petit commentaire composé de huit tomes rédigés à la façon des commentateurs de référence 17, ainsi que son livre Ar-Riyâd al-Firdawsiyya fî Bayân al-ahâdith al-qudsiyya18. » Un musulman peut-il frapper d’interdit la lecture de l’ensemble des livres du Sheikh après tout cela. C’est un acte d’impiété, de parti pris rigide et de vain entêtement. Parmi ses laudateurs compte également le Sheikh Kamâl ad-Dîn az-Zamalkânî –Dieu lui fasse miséricorde – lequel était un des plus éminents savants du Sham ; ainsi que le Sheikh Qutb ad-Dîn al-Hamawî. Lorsque celui-ci revint du Sham vers ses terres d’origine, on lui demanda : « Qu’as-tu pensé du Sheikh Muhyî ad-Dîn ? » Il répondit : « Il est en fait de science, d’ascèse et de connaissance spirituelle, un océan sans rivage. » Puis il récita quelques vers parmi lesquels : Nous avons traversé d’impétueuses mers Comment sauraient les gens où nos pas nous portèrent. Parmi ses laudateurs compte encore le Sheikh Salâh ad-Dîn as-Safadî. Il déclara dans son ouvrage Ta’rîkh ‘ulamâ’ Misr19: « Si quelqu’un veut connaître les paroles des adeptes des 15 Allusion au verset coranique qui dit en substance que calomnier quelqu’un revient à manger sa dépouille. Coran 18 : 65. 17 Muhaqqiqîn. 18 Les jardins paradisiaques du commentaire des paroles prophétiques sanctifiées. 19 Histoire des savants d’Égypte. 16 11 sciences ésotériques, qu’il consulte les ouvrages du Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî – Dieu lui fasse miséricorde. » On interrogea al-Hâfiz Abû ‘Abd Allâh adh-Dhahabî au sujet de la parole d’Ibn ‘Arabî, dans son livre Al-Fusûs selon laquelle il aurait écrit ce livre avec la permission de la présence prophétique. Il répondit : « Je ne pense pas que quelqu’un comme le Sheikh Muhyî ad-Dîn puisse mentir sciemment. » Pourtant al-Hafiz adh-Dhahabî, avec Ibn Taymiyya, comptait parmi les plus sévères critiques du Sheikh et des adeptes de la voie soufie qu’il prônait. Parmi ses laudateurs compte également le Sheikh Qutb ad-Dîn ash-Shîrâzî. Celui-ci disait : « Le Sheikh Muhyî ad-Dîn avait une parfaite maîtrise des sciences légales et des sciences spirituelles. Seuls attentent à son honneur ceux qui ne comprennent pas ses propos et n’y prêtent pas foi. De même que ne mettent en doute la perfection des prophètes - puisse Dieu leur consentir la grâce et le salut – en les accusant de folie ou de sorcellerie, que ceux qui ne croient pas en eux ». Le Sheikh Mu’ayyid ad-Dîn al-Khashnadî disait : « Nous n’avons pas entendu parler d’un homme de la voie ayant acquis une connaissance comparable à celle du Sheikh Muhyî ad-Dîn. » C’est également ce que disaient le Sheikh Shihâb ad-Dîn asSuhrawardî et le Sheikh kamâl ad-Dîn al-Kâshî. Ils le définissaient comme un maître accompli et réalisé spirituellement, et comme un homme de parfaites vertus et fécond de miracles. Or ces Sheikhs étaient les plus sévères détracteurs de quiconque allait à l’encontre de la voie légale. Un autre de ces laudateurs est Fakhr ad-Dîn ar-Râzî. Il a dit : « Le Sheikh Muhyî adDîn était un immense savant. » On demanda à l’imam Muhyî ad-Dîn an-Nawawî son avis au sujet du Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî et il répondit : « Ce sont là des communautés passées. »20 Mais ce que nous savons est que tout être raisonnable doit s’interdire de préjuger négativement d’un saint protégé de Dieu, exalté soit-Il. Il convient toujours qu’il cherche à interpréter leurs paroles et leurs actions de la meilleure façon tant qu’il n’a pas atteint leur niveau. Seul un être mal assisté par la providence se soustrait à cela. » Et il a dit dans le Sharh al-Muhadhdhab : « Puis lorsque quelqu’un interprète leurs paroles, il convient qu’il leur donne soixante-dix sens possibles. Nous n’acceptons pas qu’il se limite à un seul sens, car cela dénoterait une pensée très obtuse. Parmi ses laudateurs compte aussi l’imam Ibn As‘ad al-Yâfi‘î. Il fit expressément état de l’immense sainteté du maître comme le rapporte le Sheikh Zakariya dans son commentaire de l’ouvrage Ar-Rawd. Et al-Yâfi‘î donnait licence de transmettre les ouvrages du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Il disait aussi : « La réprobation que ces ignorants expriment à l’encontre des gens de la voie est comparable au souffle qu’exerce un moustique sur une montagne dans l’espoir de la déplacer. S’en prendre aux saints revient à s’en prendre à Dieu, même si l’individu n’en arrive pas au niveau d’impiété le destinant à demeurer éternellement dans le feu. » 20 Coran 2 : 134. 12 Parmi nos maîtres ayant fait son éloge compte Muhammad al-Maghribî ash-Shâdhilî, le Sheikh de Jalâl ad-Dîn as-Suyûtî. Il dit de lui dans la biographie qu’il en fait : « Il était l’éducateur des gnostiques comme al-Junayd était l’éducateur des aspirants. » Il dit également : « le Sheikh Muhyî ad-Dîn est l’esprit des sciences inspirées et des supports spirituels providentiels ; il est la lettre Alif de l’existence, la source de vision contemplative et la lettre hâ’ du contemplé 21 ; il est le continuateur de la voie du Prophète arabe – que Dieu sanctifie son secret et élève son nom en l’existence. » Le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Makhzûmî a composé un ouvrage en réponse aux détracteurs du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Il y dit : « Comment un être de notre niveau peut-il se permettre de dénigrer des propos qu’il ne comprend pas dans les Futûhât ou d’autres ouvrages du Maître, alors que près d’un millier de savants les ont validés. » Il dit aussi : « Un groupe de grands savants shaféites et d’autres écoles se sont employés à commenter son livre Al-Fusûs. Parmi ces savants, compte le Sheikh Badr ad-Dîn Ibn Jamâ‘a. Ses ouvrages se sont largement diffusés dans les grandes villes. Le texte du Sheikh et le commentaire en question sont consultés dans la plupart des régions. Nous avons eu l’occasion de le lire à haute voix dans la mosquée des Omeyyades entre autres en indiquant la chaine de ceux qui l’ont transmis. Voilà bien longtemps que les gens paient un prix élevé pour l’acquérir et le recopier. Ils espèrent ainsi bénéficier de la bénédiction de ces livres ainsi que de leur auteur, informés de sa grande ascèse, de sa science et de ses vertus. Les grands savants du Sham et de La Mecque de son époque le tenaient pour référence, aspiraient à son savoir et se considéraient insignifiants face à sa science. Qui donc peut encore dénigrer le Sheikh, à part un ignorant ou un opiniâtre. Le Sheikh al-Fayrûzabadî – que Dieu lui fasse miséricorde - déclara encore, après avoir évoqué les mérites du Sheikh Muhyî ad-Dîn : « Puis le Sheikh Muyî ad-Dîn résidait au Sham et c’est là qu’il a fait connaitre ces sciences. Or les savants de cette région ne se s’y sont pas opposés. » Il ajoute : « Le Grand Cadi Shaféite, le Sheikh Shams ad-Dîn al-Khunûjî, le servait comme un esclave. Quant au grand Cadi malékite, il fut impressionné par un regard du Sheikh et il lui donna sa fille en mariage. Puis il renonça à exercer sa fonction pour suivre sa voie. » Al-Fayrûzâbâdî évoqua ainsi les mérites du Sheikh avec prolixité puis il ajouta : « En somme, n’ont critiqués le Sheikh que quelques jurisconsultes impertinents n’ayant aucune part à la science infuse des gens de réalisation spirituelle. Mais pour ce qui est des savants dans leur majorité et des soufis, ils le reconnaissaient comme l’imam des gnostiques et des adeptes de l’unicité ; et ils voyaient en outre en lui un savant unique et exceptionnel dans les sciences exotériquesapparentes. » Le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm disait ainsi : « S’il est arrivé à certain de critiquer le Sheikh, s’était par mansuétude envers les jurisconsultes peu avertis et imparfaitement dotés des dispositions des aspirants. Car ils craignaient que ceux-ci interprètent les paroles du Sheikh selon un sens non conforme à la voie légale et qu’ils s’égarent. Si ces savants côtoyaient davantage les aspirants de la voie, ils comprendraient leur terminologie et se mettraient à l’abri de tout fait contrevenant à la voie légale. Le Sheikh al-Makhzûmî référence en matière de religion, a dit : « Le Sheikh Muhyî ad-Dîn était installé dans la région du Shâm et l’ensemble des savants de cette région venaient 21 La lettre hâ’ evoque ici le pronom personnel « lui », qui fait référence à Dieu. 13 le voir et reconnaissaient sa haute valeur ; ils voyaient en lui le maître des gnostiques et ne lui opposaient pas la moindre critique. Durant la trentaine d’années qu’il demeura parmi eux, ils recopièrent ses ouvrages et les firent circuler parmi eux. » Al-Fayrûzâbâdî déclara également : « Le Sheikh Muhyî ad-Dîn était un océan sans rivage. Lorsqu’il séjourna à La Mecque – que Dieu anoblisse celle-ci – la cité était le lieu de rencontre de la nouvelle génération de savants. Or le Sheikh était pour eux la référence dans toutes les sciences dont ils s’entretenaient. Chacun s’empressait d’aller assister à ses assemblées et aspirait à bénéficier de la bénédiction de sa présence. Les gens lisaient auprès de lui ses ouvrages. Rien ne témoigne mieux de ce fait que la présence de ses livres dans les bibliothèques de La Mecque jusqu’à nos jours. Dans la citée sacrée, il s’employa principalement à l’apprentissage et à l’enseignement du hadith. C’est là qu’il composa les Futûhât Makkiyya. Il les rédigea de mémoire en réponse à une question que lui posa son élève Badr al-Habashî. Lorsqu’il eut achevé de l’écrire, il déposa l’ouvrage sur le toit de la très vénérée Ka’ba. Celui-ci y demeura un an. Puis le Maître le fit descendre et le retrouva tel qu’il l’avait déposé : pas une page n’était mouillée ou cornée par le vent, bien que les pluies et les vents ne soient pas rares à La Mecque. Il n’autorisa les gens à le recopier et le lire qu’après cela. Quant à la rumeur propagée par des détracteurs selon laquelle le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm et notre maître le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Balqînî auraient ordonnés de faire brûler les ouvrages du Sheikh Muhyî ad-Dîn, elle est parfaitement mensongère. Si ses ouvrages avaient été brulés, il n’en resterait pas un exemplaire en Egypte ou dans la région du Sham, et personne n’aurait entrepris de les recopier après que ces deux Sheikhs aient prononcé un tel arrêt. Loin s’en faut qu’ils aient pu dire une telle chose. Puis si un tel événement s’était réellement produit, il ne serait pas passé inaperçu. Car il est question de faits graves dont les coursiers propagent d’ordinaire la nouvelle jusqu’à travers des terres lointaines, et que les historiens s’empressent de consigner. Le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Makhzûmî a dit: « Notre Maître, le Sheikh Sirâj ad-Sîn al-Balqînî, ainsi que le Sheikh Taqiyy ad-Dîn as-Subkî critiquèrent le Sheikh à leurs débuts, puis ils revinrent sur ce jugement lorsqu’ils eurent pu établir le sens et l’intention de ses paroles. Ils regrettèrent même leurs excès à son endroit et lui accordèrent crédit sur les paroles qui leur posaient problème. » L’Imâm as-Subkî déclare dans ses notes biographiques sur le Maître : « Le Sheikh Muhyî ad-Dîn était un prodige du Très-Haut. Le mérite de son temps lui avait dévolu ses clés et avait dit : « je ne reconnais que lui. » Le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Balqînî lorsqu’il fut interrogé à son sujet déclara notamment : « Gardez-vous de contester une quelconque parole du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Car ayant été immergé dans les océans de connaissance et ayant sondé les vérités, à la fin de sa vie, il employa à travers Al-fusûs, Al-futûhât, ou Al-tanazzulât al-Mawsilyah des expressions qui n’échappent pas aux hommes d’intuition de son niveau. Mais des gens trop aveugles pour distinguer sa voie vinrent hélas par la suite. Ils jugèrent que le maître se fourvoyait et l’accusèrent même d’hérésie sur la base de ces expressions, n’étant pas initiés à sa terminologie. Ils ne prirent pas même la peine d’interroger des personnes susceptibles de les 14 leur expliciter. Car de fait, les paroles du maître – que Dieu soit satisfait de lui – sont parsemées de symboles, de subtiles intertextualités, d’allusions, de logiques internes, d’ellipses, etc, dont lui et ses semblables ont la connaissance, mais dont les ignorants ne peuvent pénétrer le sens. Si ces gens avaient considéré sa terminologie et en avaient saisit la réelle signification et la réelle portée, et s’ils en avaient maitrisé les règles, ils auraient obtenu les résultats attendus et n’auraient pas exprimé une doctrine différente de la sienne. » Il déclara par ailleurs : « Par Dieu, quiconque lui attribue la doctrine de la fusion consubstantielle22 ou de l’union23 est un menteur et un calomniateur. J’ai suivi de près ses propos en matière de doctrine et d’autres sciences, puis j’ai sondé longuement les enseignements hermétiques et les liens subtils tramant ses paroles, et j’en ai finalement conclu en toute certitude qu’il était dans le vrai. J’ai ainsi rejoint l’immense majorité de gens rangés à ses convictions. J’ai alors rendu gloire au Très-Haut de ne m’avoir pas inscrit dans le registre des contestataires de son rang, des inconscients et des négateurs de ses miracles et de ses dispositions spirituelles. » L’élève de Sirâj ad-Dîn al-Balqînî, le Sheikh en matière de religion, al-Makhzûmî – que Dieu lui fasse miséricorde raconte quant à lui : « En 804, l’année où est mort notre maître Sirâj ad-Dîn al-Balqînî, lorsque j’arrivais au Caire, je racontais au maître les propos que j’avais entendus de la bouche de certaines personnes du Shâm au sujet du Sheikh Muhyî adDîn, à savoir, que celui-ci professait la doctrine de la fusion consubstantielle et de l’union. Il me répondit : « A Dieu ne plaise ! Loin s’en faut qu’il professe une telle chose. Il fait au contraire partie des plus grands imams et des gens immergés dans les mers des sciences du Coran et du Hadith. Il dispose d’un immense crédit auprès de Dieu et auprès des gens de la voie. Il est gratifié d’une très haute dignité dans la présence du Seigneur. » Al-Makhzûmî dit aussi : « Mon âme se renforça par ces propos et ma confiance en le Sheikh s’accrut immédiatement. Je sus qu’il comptait au nombre des grandes références sunnites. » Al-Makhzûmî ajoute : « J’ai entendu dire que le Sheikh Taqî ad-Dîn as-Subkî consigna quelques mots à l’encontre du Sheikh Muhyî ad-Dîn dans son commentaire du Minhâj, puis qu’il se repentit ensuite et les en supprima. Aussi, quiconque retrouve ces mots dans une copie du livre, se doit-il de les supprimer comme le fit l’auteur dans sa copie originale. Et bien qu’as-Subkî ait rédigé un ouvrage en réplique aux anthropomorphistes et aux Rafidites, et bien qu’il se fut employé à récuser à l’écrit certaines positions d’Ibn Taymiyya, il n’a rien entrepris d’écrire pour contester le Sheikh Muhyî ad-Dîn. Pourtant, les positions de celui-ci étaient connues dans la région du Shâm et ses livres étaient étudiés dans la mosquée des Omeyyades et d’autres mosquées. Il disait même : « Il ne m’appartient pas de contester les soufis, car ils se situent à un rang trop élevé. » C’est également ce que disait le Sheikh Tâj adDîn Farkâh. Al-Makhzûmî, après avoir fait un prolixe éloge du Sheikh Muhyî ad-Dîn déclare : « Si quelqu’un prétend que le Sheikh Taqî ad-Dîn as-Subkî ou le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Balqînî ont gardé une position contestataire vis-à-vis du Sheikh Muhyî ad-Dîn jusqu’à leur mort, il fait erreur. » Il dit par ailleurs : « Lorsque notre Sheikh as-Sirâj al-Balqînî entendu dire que le 22 23 Hulûl. Ittihâd. 15 Sheikh Badr ad-Dîn as-Subkî, cet éminent savant de la région du Shâm, avait contesté le Sheikh Muhyî ad-Dîn sur deux points précis de son livre Al-Fusûs, il lui envoya un écrit qui mentionnait notamment : « Grand Cadi, garde-toi, oui garde-toi de récuser les saints du Seigneur. Si tu ne peux t’abstenir de critiquer les ouvrages, donne la réplique à ceux qui contestent le Sheikh. Sans quoi renonce à ton entreprise. » On avait demandé à al-‘Imâd Ibn Kathîr –Dieu lui fasse miséricorde - son avis sur les gens qui considèrent le Sheikh Muhyî ad-Dîn dans l’erreur. Il avait répondu : « Je crains que ceux qui le voient dans l’erreur ne soient eux-mêmes dans l’erreur. Certains l’ont critiqué et ont fini par se perdre. » Le Sheikh Badr ad-Dîn Ibn Jamâ‘a fut également interrogé au sujet du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Il déclara : « Qu’avez-vous à remettre en question un homme que les gens tiennent unanimement en haute estime ? » Le Sheikh al-Makhzûmî dit encore : « Quant au propos rapporté par certains, selon lequel le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm aurait qualifié Ibn al-‘Arabî d’hérétique, il est parfaitement mensonger. » Le Sheikh Salâh ad-Dîn al-Qalânisî, l’auteur de l’ouvrage Al-fawâ’id, nous a rapporté, d’après certains de ses maîtres, que le serviteur du Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm, fit un jour le récit suivant : « Nous assistions à un cours du Sheikh ‘Izz ad-Dîn concernant le chapitre de l’apostasie. Celui qui faisait la lecture évoqua le mot hérétique24. Quelqu’un demanda : « S’agit-il d’un mot arabe ou d’un mot étranger ? » Un savant déclara : « Il s’agit d’un mot persan arabisé. Il désigne étymologiquement une personne qui cache son impiété et se prétend croyante. » Un étudiant demanda : « Comme qui ? » Un homme qui se trouvait à côté du Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm déclara : « Comme Muhyî ad-Dîn Ibn al‘Arabî. » Le Sheikh se tut. Puis lorsque je lui apportais son diner pour rompre sa journée de jeûne, je lui demandais : « Qui est le pôle. » Il répondit en souriant : « A notre époque, je ne vois que le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî. » Je baissais la tête perplexe un instant. Puis il reprit : « Qu’as-tu donc ? Il s’agissait d’une assemblée de jurisconsultes, je ne pouvais faire autrement que me taire. » Al-Makhzûmî indique que ce récit est rapporté selon une chaine de transmetteurs authentique. Le Sheikh al-Makhzûmî a consigné tous ces témoignages dans son livre Kashf alghitâ’ ‘an asrâr kalâm ash-Sheikh Muhyî ad-Dîn.25 Le Sheikh Al-Jalâl as-Suyûtî a écrit pour sa part un livre en réponse aux détracteurs du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Il a intitulé celuici Tanbîh al-ghabî fî tabri’a Ibn al-‘Arabî.26 Il a également rédigé un ouvrage intitulé Qam‘ al-mu‘ârid fî nusrat Ibn al-Fârid27 au moment où éclata la sédition au sujet du Sheikh Burhân ad-Dîn al-Biqâ ‘î en Egypte. Le lecteur pourra consulter ces ouvrages s’il le souhaite. 24 Zindîq. De l’explicitation des paroles du Sheikh Muhyî ad-Dîn. 26 Disculpation d’Ibn al-‘Arabî à l’usage des sots. 27 Le musellement des détracteurs, pour la défense d’Ibn al-Fârid. 25 16 Chapitre deux Approche de certaines paroles attribuées au Sheikh Muhyî adDîn28 Sache – que Dieu te fasse miséricorde – qu’il ne convient pas de discréditer les gens de la voie avant de connaître la terminologie sur laquelle s’appuie leur discours. C’est à la condition de maitriser cette terminologie que l’on peut éventuellement condamner telle ou telle parole. Le Sheikh Fayrûzâbâdî, l’auteur du dictionnaire connu sous le nom d’Al-qamûs, a dit à ce sujet : « Il n’appartient à personne de juger d’un homme de la voie sur des apparences. Car leur niveau de compréhension et de dévoilement est extrêmement haut. Jamais n’avons-nous entendu dire que l’un d’eux ait incité à une conduite délétère pour la religion ou qu’il ait détourné quelqu’un de l’ablution, de la prière ou d’une autre prescription obligatoire, ou même d’un acte louable. Le fait est simplement qu’ils professent des propos trop subtils pour être entendus de tous. Il arrive qu’ils se hissent à des stations spirituelles singulières et des degrés de savoir inconnus dont le Coran et la Sunna ne font pas mention explicitement. Mais, les grands savants mettant en œuvre leur savoir29 savent en montrer subtilement le lien avec ces textes de référence par leur très experte glose de ceux-ci, forts de leur estime des saints. Hélas, tout le monde n’est pas capable de circonspection lorsqu’il entend un propos qu’il ne comprend pas. Au contraire, les gens sont souvent prompts à condamner les auteurs de ces propos ; l’homme a été créé ainsi qu’il est impatient de nature. Abû al-‘Abbâs Ibn Sarîj, dont le niveau de science et de compréhension ne t’échappera pas, s’était déguisé un jour et était parti assister à une assemblée d’Abû al-Qâsim al-Junayd afin de pouvoir entendre directement quelques-unes de ces paroles soufies dont il entendait parler. Lorsqu’il s’en revint, on lui demanda ce qu’il avait entendu. Il répondit : « Je n’ai rien compris de ce qu’il a dit, mais le tour de son propos n’était pas celui d’un séditieux. » » Le Sheikh Fayrûzâbâdî a dit également : « De même que le Très-Haut a accordé aux saints d’accomplir des prodiges, lesquels sont un prolongement des miracles prophétiques, ainsi n’est-il pas surprenant qu’Il leur ait aussi accordé d’exprimer des paroles impénétrables pour les savants les plus avisés. » La référence en matière de religion, le Sheikh al-Makhzûmî disait aussi : « Il n’appartient à aucun savant de dénigrer un soufi, à moins qu’il suive lui-même leur voie et qu’il constate que leurs actions et leurs paroles contreviennent aux prescriptions du Coran et de la Sunna. Il 28 Fin du titre : et de la mention de personnalités également reniées qui sont autant d’exemples au crédit du Sheikh. 29 L’auteur précise que seuls les savants mettant en pratique leur science acquièrent le surcroît de connaissance permettant cette compréhension. L’auteur des ‘Awârif al-Ma‘ârif, Shihâb ad-Dîn as-Sohrawardi, l’explique ainsi : « Les soufis, pour leur part, lorsqu’ils acquièrent par l’étude une quelconque connaissance, traduisent cette connaissance théorique en action. Et le fait de la traduire en action engendre en eux la science de l’expérience. Ils ont donc une science théorique semblable à celle des savants, mais ils se distinguent de ceux-ci par une science supplémentaire qui est celle de l’expérience. Or la science de l’expérience consiste en la compréhension profonde de la religion. (‘Awârif al-Ma‘ârif, Chap.1) (note de traducteur). 17 n’est en aucun cas permis de les condamner ou de les dénigrer sur la base de simples rumeurs. » Le Sheikh s’étendit longuement sur le sujet et conclut finalement : « En somme, avant que quiconque puisse songer à condamner l’un d’entre eux, il convient qu’il respecte soixante-dix conditions. Parmi ces conditions comptent les suivantes : - Une connaissance approfondie des miracles des prophètes selon leurs degrés respectifs, ainsi que des prodiges des saints selon leurs degrés respectifs également. Il doit prêter foi en ces miracles et avoir la conviction que les saints héritent des prophètes l’ensemble de leurs prodiges, à l’exception de quelques-uns. - Une connaissance d’ensemble des ouvrages d’exégèse et de glose coranique, ainsi que des conditions nécessaires à l’exégèse. - Une connaissance approfondie de la langue arabe incluant les formes de rhétorique comme la métonymie et la métaphore, afin qu’il puisse comprendre les sens visés sans se méprendre. - Une bonne connaissance des positions doctrinales respectives des savants les plus anciens autant que des plus récents, concernant les versets relatifs aux attributs divins. Il devra savoir qui les interprétait selon leur sens apparent et qui les interprétait selon un sens métaphorique. Et il devra pouvoir juger de ceux qui ont avancé les arguments les plus probants en la matière. - Une connaissance approfondit de la théologie et des points de controverses opposants les grandes figures de cette science. - Une connaissance parfaite – c’est la condition la plus importante – de la terminologie employée par les gens de la voie. Il devra ainsi savoir ce que désigne la manifestation essentielle et la manifestation formelle ; et ce que désigne l’essence, et l’essence de l’essence. Il devra distinguer les différentes présences hiérarchiques des noms divins et des attributs divins ; ainsi que les termes unité, l’unicité absolue et l’unicité de la multiplicité. Il devra savoir ce que désigne l’exotérisme et l’ésotérisme ; la prééternité et la post-éternité ; le monde invisible, l’existence, le monde manifesté et les œuvres divines ; ainsi que la quiddité, l’ipséité, l’ivresse spirituelle et la dilection. Il devra également savoir distinguer les gens dont l’ivresse spirituelle est réelle - afin de les disculper - de ceux dont l’ivresse est feinte, afin de les condamner. Etc. Comment un homme ignorant le sens de ces termes pourrait-il pénétrer leurs propos et, à plus forte raison, les condamner. » Al-Hâfiz Ibn Hajar commenta quelques vers de la Tâ’iyya30 d’Ibn al-Fârid - Dieu soit satisfait de lui. Il présenta ensuite ce travail au Sheikh Madian afin que celui-ci y fasse mentionner sa licence. Mais celui-ci écrivit au dos de l’ouvrage : « Le poète à fort bien dit : Elle est partie vers l’est, moi à l’ouest je me rends. Or bien loin est l’orient de l’extrême occident !31 30 Un des plus célèbres poèmes d’Ibn al-Fârid. Le nom Tâ’iyya désigne les poèmes construits sur la rime « ta » (les poèmes arabes étant construits sur une seule rime du début à la fin). 31 Au premier degré, ce poème évoque l’aimée qui part vers l’Orient tandis que l’amant part vers l’Occident. Dans l’emploi métaphorique qu’en fait le maître, cela veut dire en substance : « Tu es complètement à côté du sujet ! » 18 Et il le renvoya à al-Hâfiz. Lisant ces mots, celui-ci prit conscience de certaines choses. Depuis lors, il suivit avec abnégation les gens de la voie et côtoya le Sheikh Madyan jusqu’à sa mort. Le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm disait quant à lui : « Le signe que les gens du chemin spirituel ne contreviennent pas aux règles de la voie légale, à l’inverse des gens rattachés à d’autres courants, est que des miracles et des actes surnaturels se réalisent à travers eux. Ce qui n’arrive pas à d’autres, même s’ils sont des sommités de science, à moins qu’ils suivent eux-mêmes leur voie. » Le Sheikh Fayrûzâbâdî disait encore : « Il n’appartient pas aux théoriciens et aux théologiens de contredire les gens bénéficiant des dons et des grâces spirituelles. Car les sciences de ceux-ci sont un prolongement de la théologie. Et le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al‘Arabî était un des plus grands bénéficiaires de ces dons spirituels. Il comptait au nombre de ces gens de dévoilement à qui le Vrai manifeste la beauté de son visage éternel, si bien que les lumières éblouissantes de Sa majesté leur apparaissent jusqu’au jour de la rencontre finale. Si un individu s’aventure à accuser d’erreur ou même d’hérésie un homme semblable, c’est assurément du fait de sa propre insuffisance, de son incompréhension, de son peu de foi et de son manque de scrupule. » L’imam al-Ghazâlî, dans le huitième chapitre de son ‘Ihyâ’ ‘ulûm ad-Dîn, rapporte quant à lui les propos d’un gnostique qui disait : « On peut toujours craindre l’issue funeste32 pour les gens n’ayant aucune part à la connaissance des gens de la voie. Et la moindre de ces connaissances consiste à croire et à donner assentiment à ses initiés. Quant à ceux qui n’approfondissent pas les sciences de la voie légale, on peut craindre qu’ils soient touchés par un malheur. » Ceci étant posé, je dirais ce qui va suivre en sollicitant le concours providentiel du Très-Haut. Les détracteurs zélés ont attribué par voie de rumeur au Sheikh Muhyî ad-Dîn un certain nombre de propos. J’évoquerais les suivants : Le Sheikh aurait prétendu selon eux que la parole « il n’est de dieu que Dieu » est incorrecte. Ce qui est une hérésie. En admettant qu’il ait proféré un propos laissant entendre cette idée, il est permis de l’interpréter ainsi : Le Vrai, exalté soit-Il, est établi de manière avérée dans Sa divinité avant même que l’individu ne l’affirme. Or un être avéré n’a pas besoin que quiconque le confirme. Pourtant la profession de foi que chacun exprime commence par infirmer la présence de toute divinité, pour ensuite attester de la divinité de Dieu seul. Mais si les croyants pratiquent cette profession de foi dans leur culte, c’est pour pouvoir en rendre un témoignage oral et recevoir de Dieu une récompense en conséquence. Tant s’en faut que le Sheikh déclare expressément l’invalidité de la parole « Il n’est de dieu 32 L’issue funeste consiste à s’égarer aux derniers instants de la vie et à tomber dans une impiété pernicieuse. (Note de traducteur.) 19 que Dieu ». Nul être sensé ne saurait proférer cela, car il s’agit d’une parole du sublime Coran. Selon ces détracteurs, le Sheikh aurait dit à de nombreuses reprises dans ses ouvrages « Il n’est d’existant si ce n’est Dieu. » En admettant qu’il ait proféré cette parole, il convient de l’interpréter par le fait qu’il n’est d’être demeurant par soi-même en dehors de Dieu. Tout autre être existe par un autre, comme l’indique le hadith : « Certes toute chose hormis Dieu est vaine. » Or quiconque demeure ainsi de par sa réalité est plus proche du néant que de l’existence. Car son existence est précédée de néant, et même dans son état d’être existant, il demeure alternativement consigné dans un état d’existence puis de néant, sans jamais s’arrêter totalement à l’un ou à l’autre.33 S’il est vrai que le Sheikh a dit « Il n’est d’existant si ce n’est Dieu », il l’aura donc dit à un moment où, contemplant le Vrai en son cœur, les êtres s’annihilèrent à ces yeux. On peut ainsi comparer cette parole à celle d’Abû al-Qâsim alJunayd qui a dit : « Quiconque contemple le Vrai ne voit plus les créatures. » Selon eux, le Sheikh – que Dieu lui fasse miséricorde – aurait considéré Dieu et la création comme une seule et même chose en déclarant dans un poème : « Alors Il me loue et je Le loue ; et Il m’adore et je L’adore. » En admettant que cette parole soit réellement de lui, il convient d’interpréter « Il me loue » par : il m’approuve si je Lui obéis, comme s’entend le verset coranique « Mentionnez-moi, je vous mentionnerais… »34 Quant à la parole « Et Il m’adore et Je L’adore » elle doit être comprise ainsi : Il se plie à ma volonté en répondant à ma prière, comme l’indique le Très-Haut : « N’adorez pas le Démon. »35 Ce qui veut dire, ne lui obéissez pas, car autrement, nul n’adore véritablement le Démon comme on adore Dieu, comprends donc ! J’ajouterais que le Sheikh déclare dans le chapitre cinq cent cinquante sept des Futûhât, après un long propos : « Cela te montre clairement que le monde n’est pas la réalité intrinsèque (‘Ayn)36 du Vrai, exalté soit-Il. Car s’il l’était on ne pourrait dire de Dieu qu’Il est l’Innovateur37. » Selon eux, le Sheikh aurait dit que la profession de foi finale de Pharaon aurait reçu l’agrément de Dieu. Il s’agit là d’un mensonge et d’une calomnie purs et simples. Car le Sheikh déclare expressément dans le chapitre soixante deux des Futûhât, que Pharaon fait partie des gens de l’enfer qui y demeureront pour l’éternité. Or les Futûhât sont un des derniers ouvrages du Sheikh. Il en a complété la rédaction trois ans seulement avant sa mort. En outre, l’éminent Sheikh al-Khâlidî –Dieu lui fasse miséricorde – a dit : « En admettant que le Sheikh Muhyî ad-Dîn ait dit cela, il ne serait pas le premier. Un grand nombre de nos vertueux prédécesseurs étaient d’avis que la profession de foi finale de Pharaon fut acceptée du fait que Dieu rapporte de lui : « J’adopte la foi des enfants d’Israël et je m’y soumets. »38 Car il déclara cela à la fin de sa vie. Abû Bakr al-Bâqlânî a dit en ce sens : « Le plus probable 33 La doctrine Ascharite pose que Dieu recrée le monde à chaque instant. (Note de traducteur). Coran 2 : 152. 35 Coran 36 : 59. 36 Ou n’est pas le Vrai Lui-même. 37 Al-Badî‘ est un des noms divins. 38 Coran 10 : 90. 34 20 est que sa profession de foi ait été acceptée si l’on se base sur ce texte. Et nous n'avons pas été informés qu’il serait mort en impie. » Quant à l’avis de la majorité des savants des premières et des dernières générations, il se fonde sur le fait que Pharaon n’a consenti à croire qu’une fois privé de tout espoir. Or une telle foi ne reçoit pas l’agrément. Mais Dieu sait mieux ce qui est vrai. Selon eux, le Sheikh serait d’avis qu’il est permis aux personnes en état de grande impureté39 de demeurer dans une mosquée. Si cet avis s’avère être celui du Sheikh, il est conforme à celui de notre Maître ‘Abd Allâh Ibn ‘Abbâs et de l’Imam Ahmad Ibn Hanbal. C’est également la position de l’imam al-Muznî et d’un certain nombre de successeurs des compagnons et de jurisconsultes. L’accusation des détracteurs selon laquelle le Sheikh Muhyî ad-Dîn contrevient à la voie légale et à l’avis des imams n’est donc pas recevable. Selon eux, le Sheikh aurait dit que les saints sont plus estimables que les prophètes. La vérité est que le Sheikh n’a jamais dit cela. Il a simplement dit : « Les gens divergent sur la question de la prévalence de la fonction de messager ou de la fonction de sainteté du prophète. Je dis pour ma part que sa fonction de sainteté est plus estimable en raison de la noblesse de son objet et de sa permanence dans ce monde et dans l’autre, laquelle permanence n’est pas vraie de la fonction de messager, car celle-ci concerne ce monde et prend fin dès lors que la responsabilité des êtres s’interrompt. » C’est également l’avis du Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm. Quoi qu’il en soit, le propos est de comparer la fonction de messager du Prophète avec sa fonction de sainteté, non de comparer sa fonction de messager et de prophète avec la sainteté d’un autre. De nombreuses autres paroles sont attribuées au Sheikh. Nous en traiterons en leur lieu au cours de l’ouvrage et nous montrerons, s’il plait à Dieu, qu’il ne s’agit que de mensonges et de calomnies. Le proverbe dit : « L’homme obligeant s’épuise à emprunter les chemins des détracteurs. » Et Dieu est plus savant. Le Très-Haut a dit à ce sujet : « Nous avons fait de vous une épreuve les uns pour les autres afin de voir si vous patienterez. »40 Jalâl ad-Dîn asSuyûtî –Dieu lui fasse miséricorde – dans son livre At-tahadduth bin-ni‘ma41, fait un récit qui dit en substance : « Entre autres bienfaits, Dieu m’a gratifié d’un ennemi belliqueux acharné à entaché mon honneur. Il a fait cela afin que je sois à l’exemple des prophètes et des saints. L’Envoyé de Dieu a dit en effet : « Les plus éprouvés des hommes sont les prophètes, puis les savants, puis les hommes vertueux. » Ce hadith est rapporté par al-Hâkim dans son ouvrage Al-mustadrak. Le Très-Haut a déclaré à Jésus par voie d’inspiration : « Nul n’est prophète en son pays. »42 Al-Bayhaqî rapporte que Ka ‘b al-Ahbâr43 a dit un jour à Abû Mûsâ alKhawlânî : « Comment les gens de chez toi te traitent-ils ? » - « Ils m’honorent et m’écoutent, répondit-il. » Ka‘b s’étonna : « Tu ne donnes donc pas raison à la Thora qui déclare : « Par Dieu, il n’est d’homme honorable qui ne soit pris à parti et jalousé par son peuple. » Ibn 39 Qui nécessite la grande ablution. Coran 25 : 20. 41 Du devoir de rendre témoignage des bienfaits qui nous sont accordés. 42 Le texte arabe dit : « Un prophète n’est déshonoré que dans son pays. » 43 Ka‘b al-Ahbar était un juif converti à l’islam. 40 21 ‘Asâkir rapporte également le hadith suivant, selon une chaine ininterrompue remontant jusqu’au Prophète : « Les plus méprisants et les plus durs à l’égard des prophètes sont les gens de son entourage. » Ce qui concerne le verset coranique : « Avertis les gens de ton proche entourage. »44 Abu ad-Dardâ’ déclarait aussi : « Les gens les plus méprisants à l’égard de la science sont ceux qui la côtoient et l’ont dans leur voisinage. Si un savant a quelques titres de gloires, ils le dénigrent et s’il a commis quelque faute au cours de son existence, ils le fustigent. » Jalâl a-Dîn as-Suyûtî – que Dieu lui fasse miséricorde – a déclaré : « Sache qu’il n’est de grand homme à quelle qu’époque que ce soit, qui n’ait subi l’adversité d’autres hommes méprisables. Car c’est un fait que le noble est invariablement éprouvé par le vulgaire. Adam – Puisse-t-il bénéficier du salut – trouva le Diable sur sa route ; Noé trouva Hâm, entre autres ; David trouva Goliate et ses semblables ; Salomon trouva Sakhr ; Jésus trouva au cours de sa première vie Bekhtansar et il trouvera dans sa seconde vie l’antéchrist ; Abraham trouva Némrod ; Moïse trouva Pharaon ; et ainsi de suite jusqu’à Muhammad - Dieu lui consente la grâce et le salut – qui trouva Abû Jahl. Ibn ‘Umar, quant à lui, fut confronté à l’adversité d’un homme qui se moquait de lui à chaque fois qu’il le croisait. ‘Abd Allâh Ibn Zubayr fut accusé d’ostentation et d’hypocrisie dans ses prières. À tel point que des gens versèrent de l’eau bouillante sur sa tête. Son visage et son crâne enflèrent sous l’effet de la chaleur, mais il ne sentit rien. Lorsqu’il acheva sa prière, il demanda : « Que m’arrive-t-il ? » Les gens lui expliquèrent ce qui s’était passé et il s’exclama : « Dieu nous suffit, excellent garant qu’Il est ! » Il souffrit longtemps de ses brûlures à la tête. Ibn ‘Abbâs – que Dieu soit satisfait de lui et de son père – fut éprouvé par Nâfi‘ Ibn al-Azraq, lequel lui faisait subir les pires sévices et déclarait : « Il commente le Coran sans se baser sur aucune science ». Sa‘d Ibn Abî Waqqâs fut rudoyé lui aussi par des ignorants de Koufa bien qu’il soit au nombre de ceux à qui fut garanti le paradis. Ils se plaignirent de lui auprès de ‘Umar Ibn alKhattâb en disant qu’il n’accomplissait pas bien la prière. Quant aux imams fondateurs, leur épreuve fut patente. Il n’échappe à personne combien l’imam Abû Hanîfa fut rudoyé par les califes. C’est également le cas de l’imam Mâlik qui du resté cloîtré chez lui durant vingt-cinq ans, sans pouvoir assister à la prière du vendredi ou participer à une assemblée. L’imam ashShâfi‘î fut pour sa part malmené par les Irakiens et les Égyptiens. Puis nul n’ignore l’adversité que rencontra l’imam Ahmad Ibn Hanbal, lequel fut frappé et emprisonné. C’est également le cas d’Al-Bukhârî qui fut sorti de Boukhara et conduit à Kartank. D’autres savants de référence furent ainsi exilés. C’est vrai du Sheikh Abû ‘Abd ar-Rahman as-Sulamî, d’Ahmad Ibn Khalikân, du Sheikh ‘Abd al-Ghaffâr al-Qûsî et d’autres Sheikhs. Quant à Abû Yazîd alBistâmî, il fut chassé à sept reprises de Bistâm sous l’influence d’un groupe de savants locaux. Dhû an-Nûn al-Masrî fut quant à lui conduit de L’Égypte jusqu’à Bagdad entravé d’un carcan et de chaines. Il fut accompagné par des gens du peuple égyptien qui plaidaient contre lui l’hérésie. Samnûn al-Muhibb, un des hommes mentionnés par al-Qushayrî dans sa Risâla, fut accusé calomnieusement de graves péchés. Des gens payèrent une prostituée pour dire qu’il se rendait chez elle avec ses compagnons. Il disparut durant un an suite à cette histoire. Sahl Ibn ‘Abd Allâh at-Tustarî fut chassé de son pays et conduit à Bassora. On 44 Coran 26 : 214. 22 l’accusa d’ignominies et d’impiété en dépit de son rang d’imam et de sa respectable stature. Il demeura ainsi à Bassora jusqu’à sa mort. D’autres accusèrent Abû Sa‘îd al-Kharrâz de très graves péchés et les savants le jugèrent impie à partir de propos qu’ils trouvèrent dans ses ouvrages. Al-Junayd aussi fut accusé d’hérésie à de nombreuses reprises lorsqu’il parlait d’unicité en public. Finalement, il opta pour en parler à l’abri dans sa demeure et il s’y astreignit jusqu’à sa mort. Un des plus véhéments détracteurs d’al-Junayd, de Ruwaym, de Samnûn, d’Ibn ‘Atâ’ et des Sheikhs de L’Irak, était Ibn Dânyâl. Il les dénigrait le plus sévèrement qui soit et lorsqu’il entendait quelqu’un parler d’eux, il s’enflammait de colère au point de changer de couleur. D’autres ont chassé Muhammad Ibn al-Fadl de Balkh du fait qu’il professait la doctrine des gens du hadîth en matière d’attributs divin. Il était en effet d’avis qu’il convenait de comprendre ces attributs selon leur sens apparent sans chercher à les interpréter, et qu’il fallait simplement les croire conformes à la connaissance que Dieu en a Lui-même. Lorsqu’ils formulèrent l’intention de le chasser, il leur dit : « Je ne partirais pas. À moins que vous ne m’attachiez par le cou et m’exhibiez dans les marchés en criant « un tel est un hérétique que nous souhaitons chasser de chez nous. » C’est ce qu’ils firent. Puis ils le chassèrent. Avant de partir, Ibn Fadl se tourna vers les gens et lança contre eux l’imprécation suivante : « Gens de Balkh, puisse le Seigneur ôter de vos cœurs Sa connaissance. » Les Sheikhs racontent qu’après cette prière, jamais plus soufi n’apparut en cette ville. Elle fut pourtant à une époque la terre de Dieu la plus soufie qui soit. L’imam Yûsuf Ibn al-Husayn ar-Râzî fut également chassé de chez lui après que les dévots de Rayy et Sûfawayh se soient ligués contre lui. D’autres chassèrent Abû ‘Uthmân al-Maghribî de La Mecque. Il était pourtant un homme de grande ferveur et jouissait d’un haut rang tant par sa science que par ses dispositions spirituelles. Ils n’hésitèrent pas à le rouer de coups et à le faire circuler à dos de chameau dans Bagdad jusqu’à ce qu’il meurt de ses blessures. Ash-Shiblî fut aussi accusé d’impiété à de nombreuses reprises en dépit de sa grande science et de sa grande ferveur. Ses compagnons le firent entrer à l’hospice un long moment afin de le mettre à l’écart des gens. D’autres s’en sont pris à l’imam Abû Bakr an-Nâbulsî, en dépit de son éminence, de sa grande science et de sa droiture. Alors qu’il arrivait de l’Orient vers l’Égypte, des gens soufflèrent aux oreilles du gouvernant de ce pays qu’il était hérétique. Le gouvernant ordonna qu’on le suspende par les pieds et qu’on l’écorche vif. Pendant le supplice, le Sheikh récita le Coran avec ferveur et recueillement alors même que ses bourreaux l’écorchaient. Ce spectacle émut tellement les cœurs qu’ils faillirent renoncer. An-Nasîmî fut écorché lui aussi à Alep. C’est en usant de ruses perfides que ses ennemis parvinrent à le faire condamner tant il savait les confondre par ses arguments. Ils écrivirent la sourate Al-ikhlâs sur un papier puis ils partirent trouver un cordonnier. Ils payèrent celui-ci pour placer cet écrit sous la semelle d’une sandale en lui disant qu’il s’agissait d’un texte d’amour. Ils firent ensuite offrir ces sandales au Sheikh par des voies détournées. Celui-ci les porta en toute innocence. Ils partirent ensuite trouver le substitut du gouverneur d’Alep et lui dirent : « Nous savons de source sûre qu’An-Nasîmî a écrit la Sourate al-Ikhlâs sur un papier et l’a placé sous la semelle d’une de ses sandales. Si tu ne nous crois pas, mande quelqu’un auprès de lui afin qu’il s’en assure. Suivant ces recommandations 23 des hommes ne tardèrent pas à extraire la feuille en question. Le Sheikh s’en remit à Dieu et ne prit pas le soin de se défendre. Il savait que cette rouerie allait causer sa perte. Des élèves de ses élèves m’ont informé qu’il composait des muwshshah45 sur le thème de l’unicité pendant que ses bourreaux l’écorchaient. Il composa ainsi cinq cents vers. Et il regardait l’homme qui l’écorchait en souriant. D’autres accusèrent le Sheikh Abû Madyan d’hérésie. Chassé de Bougie, il dut s’installer à Tlemcen. C’est là qu’il trouva la mort. D’autres encore chassèrent Abû al-Hassan ash-Shâdhilî d’Occident (plus précisément de Tunis) vers l’Égypte tout en l’accusant d’hérésie. Mais Dieu le préserva de leurs sournoises manipulations. Le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm fut accusé d’impiété. Ses ennemis firent rassembler des gens pour juger d’une parole qu’il avait proférée dans sa profession de foi. Ils tentèrent d’attiser contre lui l’inimitié du gouverneur, mais il fut finalement gracié. C’est ce que mentionne Ibn Ayman dans sa Risala. D’autres ont accusé le Sheikh Tâj ad-Dîn as-Subkî d’impiété. Ils prétendirent qu’il considérait le vin et l’homosexualité licites, et que la nuit il portait la ceinture des adorateurs du feu. Ils l’amenèrent entravé et ferré depuis le Shâm jusqu’en Egypte. Le Sheikh Jamâl adDîn al-Isnawî sortit à sa rencontre et demanda qu’il soit épargné. Certains ont également dénigré Ibrâhîm al-Ja‘farî et Husayn al-Jâkî. Ils firent en sorte qu’ils ne puissent plus prêcher officiellement les croyants. Nous avons mentionné beaucoup d’autres faits semblables dans l’introduction du livre Attabaqât. Si nous te rappelons les épreuves de ces Sheikhs des premières et des dernières générations, mon frère, c’est pour te rassurer et t’encourager à consulter les ouvrages des soufis, et en particulier ceux du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Parce que les encens consumés à la gloire de ces grands Maîtres exhalent vers nous un capiteux parfum de Musc. Et de même que les paroles proférées contre les maîtres précités ne les atteignent pas, ainsi les paroles proférées contre le Sheikh Muhyî ad-Dîn, n’entachent-elles aucunement sa sublime personne. Et Dieu en sait davantage. 45 Poèmes dont la forme est originaire d’Andalousie. 24 Chapitre trois Autour des paroles hermétiques des gens de la voie Sache – Dieu te fasse miséricorde – que la légitimité du symbolisme des gens de la voie se fonde sur un certain nombre de hadiths. On rapporte que l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la grâce et le salut – a dit un jour à Abû Bakr As-Siddîq : « Connais-tu le jour du jour ? » Abû Bakr lui répondit : « Oui, Envoyé de Dieu. Tu m’interroges sur le jour des mesures (maqâdîr). » On rapporte aussi qu’il lui a dit un jour : « Ô Abû Bakr, sais-tu ce que je vais te dire ? » Il lui répondit : « Oui ! Tu vas me dire ceci et cela. » Le Sheikh Tâj ad-Dîn Ibn ‘Atâ’ Allâh l’explique dans un de ses livres. Et le Sheikh Muhyî ad-Dîn dit à ce sujet dans le chapitre cinquante quatre des Futûhât : « Les gens de Dieu n’ont pas établi pour eux-mêmes les allusions qu’ils emploient conventionnellement entre eux. Car ils ont une connaissance claire des vérités que celles-ci expriment. S’ils les ont établies, c’est afin que les intrus ne sachent pas de quoi ils parlent. La compassion leur dicte cette attitude, car des personnes pourraient entendre des propos qui ne sont pas à leur portée et les proscrire. Ils risqueraient ainsi d’être condamnés de n’y avoir jamais accès. » Il ajoute : « Un fait surprenant concernant la voie – et je dirais même un fait propre et exclusif à la voie – est que tous les domaines de science emploient une terminologie que le néophyte doit apprendre de ses maîtres, qu’il s’agisse de logique, de grammaire, d’architecture, de mathématique, de théologie ou de philosophie, sauf dans le cas de cette science spécifique des gens de la voie. En effet, lorsqu’un aspirant sincère s’engage sans avoir aucune connaissance préalable de leur terminologie, qu’il les côtoie et entend les propos allusifs qu’ils s’échangent, il comprend tout ce qu’ils disent comme s’il avait lui-même établi cette terminologie. Puis il participe bientôt aux échanges sans s’en étonner aucunement. Cette connaissance lui apparaît au contraire aller de soi : il ne peut s’y soustraire, comme s’il n’avait jamais cessé d’en être doté, et pourtant, il ne sait pas d’où elle lui vient. C’est la condition de l’aspirant sincère. Quant à l’aspirant contrefait, il ne peut connaitre cette terminologie que par apprentissage, si toutefois il a une franche volonté d’y être initié et qu’il le demande à quelqu’un de la voie ». A toute époque, les savants en sciences exotériques ont cherché à comprendre les propos des gens de la voie, en particulier l’imam Ahmad Ibn Sirîj. Celui-ci assista un jour à une assemblée d’Al-Junayd. On lui demanda plus tard : « Qu’as-tu compris de ses propos ? » Il répondit : « Je ne sais pas ce qu’il a dit, mais ses paroles ont un effet dans le cœur. Elles dénotent extérieurement un travail intérieur et une pureté d’intention. Ses propos ne sont pas ceux d’un séditieux. » Puis les gens de la voie ne parlent de manière allusive qu’en présence de gens qui ne sont pas des leurs ou dans leurs écrits. Le Sheikh dit par ailleurs : « Il est évident que la condamnation des négateurs hostiles à la voie procède de leur jalousie. Si ces gens se départaient de leur jalousie, ils accroîtraient leur science. Mais il en est ainsi. Dieu, le Sublime et l’Immense, seul, prête force et pouvoir. » Le Sheikh s’étendit longuement sur ce sujet. Puis il ajouta : « Les gens les plus belliqueux à l’égard des bénéficiaires des connaissances divinement inspirées à toute époque sont les polémistes sans vergogne. Ils sont ceux qui les dénigrent avec le plus de virulence. Comme les gnostiques n’ignorent pas ce fait, ils ont recours au discours allusif, à l’exemple de Marie – Puisse-elle trouver le salut – qui se 25 contenta de faire un signe 46 pour se préserver des calomniateurs et des négateurs. Aussi, toute indication ou toute parole de ces hommes comporte deux aspects : l’un correspond à ce qu’ils voient en eux-mêmes et l’autre à ce qu’ils voient à l’extérieur d’eux-mêmes. Le Très-Haut dit à ce sujet : « Nous leur ferons contempler nos signes sous les cieux et en eux-mêmes. »47 Ils nomment donc ce qu’ils voient en eux-mêmes des indications subtiles pour que les détracteurs éventuels s’en accommodent, et ils ne disent pas qu’il s’agit d’une exégèse de tel ou tel verset coranique ou de tel ou tel hadith pour se préserver de leur nuisance et pour éviter d’être accusés d’hérésie, les accusateurs ne connaissant pas les voies d’interprétation du verbe divin. Ils suivirent en cela l’exemple de leurs prédécesseurs. Le Très-Haut aurait pu exprimer explicitement à travers les textes révélés les interprétations que les saints ou les savants en général donnent aux versets ambivalents 48 ou aux lettres isolées des débuts de sourates. Mais Il ne le fit pas. Il préféra au contraire inclure dans ces lettres ou ces mots eux-mêmes des sciences particulières auxquelles n’ont accès que Ses serviteurs élus. Si les négateurs étaient honnêtes avec eux-mêmes, ils méditeraient sur le fait que lorsqu’ils considèrent un verset avec ces yeux physiques dont ils reconnaissent l’autorité, ils admettent que certains d’entre eux se distinguent des autres ; ils admettent que certains font preuve de plus d’aptitude que les autres à analyser et à comprendre le sens de ces versets, à tel point que le moins compétent reconnait le mérite du plus compétent, bien qu’ils traitent du même sujet. Mais en dépit de cette hiérarchie de compétence communément admise, ils refusent de donner crédit aux gens de Dieu lorsque ceux-ci présentent une donnée au-delà de leur portée. » Le Sheikh ajoute : « Tout cela est dû au fait qu’ils sont convaincus que les gens de Dieu méconnaissent les sciences légales. Ils voient en eux des ignorants et des simples gens du peuple, surtout si ceux-ci n’ont pas étudié avec un savant reconnu dans le domaine des sciences exotériques. Ils disent souvent : « D’où untel tient-il sa science ? » Car ils ont la conviction que toute science doit être transmise par un enseignant. Ce qui du reste n’est pas faux. Car lorsque des gens de la voie mettent en pratique ce que leur dicte leur savoir, Dieu leur enseigne une science procédant de Lui par le biais d’une transmission divine qu’Il révèle à leurs cœurs, cet enseignement étant conforme à ce que prescrit la voie légale : il n’y déroge en rien. Le Très-Haut dit à ce sujet : « Il a créé l’homme et lui a appris à s’exprimer avec éloquence. »49 Il a dit aussi : « Il a enseigné à l’homme ce qu’il ignorait. »50 Il a dit encore à propos de son serviteur al-Khidr : « Nous lui avons accordé une science procédant de Nous. »51. Les négateurs ne se trompent donc pas en affirmant que toute science doit être transmise par un enseignant, mais ils font l’erreur de croire que le Très-Haut n’enseigne pas aux hommes hormis les prophètes ou les envoyés. Le Seigneur déclare : « Il donne la sagesse à qui Il veut. »52 Or la sagesse est la science. Et Dieu emploie le pronom « qui », celui-ci étant indéfini. Mais comme ces négateurs ne consentent pas à renoncer à ce bas monde ; comme ils donnent à celui-ci la prévalence sur l’autre monde et sur ce qui permet de rapprocher de Dieu ; et comme ils s’habituent à tirer leur savoir des livres et des transmissions orales 46 Allusion au verset coranique où Marie se contente de faire un signe pour indiquer Jésus. Voir Coran, 19 : 27. Coran 41 : 53. 48 Mutashâbihât. 49 Coran 55 : 3-4. 50 Coran 96 : 5 51 Coran 18 : 65 52 Coran 2 : 269. 47 26 d’autres hommes, l’aveuglement que cela génère en eux les empêche de réaliser que Dieu se charge Lui-même d’instruire certains serviteurs à travers les profondeurs de leurs cœurs 53. De fait, Il est l’Instructeur véritable de tout le monde manifesté et la science qu’Il dispense est cette science dont nul croyant et nul incroyant ne doute de la plénitude. Ceux qui par le passé ont exprimé l’avis que la science du Très-Haut ne se porte pas sur le détail des choses 54, ne voulaient pas dire que Dieu n’en a pas connaissance. Ils voulaient simplement dire que le Très-Haut intègre dans une science unique la connaissance du détail des choses et la connaissance globale55 de celles-ci. Il n’a pas besoin de décomposer les choses pour en connaître le détail comme c’est le cas pour Ses créatures. Ils voulaient donc indiquer qu’en sa Grandeur, Dieu n’a pas besoin d’analyser les choses pour en avoir une connaissance exhaustive. Mais leur expression prêtait à confusion. Puis chacun sait qu’il est plus légitime de suivre un homme tenant sa science de Dieu que de suivre un homme la tenant de sa réflexion personnelle. Mais où est la probité ? » Le Sheikh s’entendit longuement sur ce sujet. Puis il ajouta : « Dieu les préserve en faisant qu’ils donnent à ces vérités le nom d’indications subtiles, car les négateurs ne rejettent pas les indications de cette nature. Mais comment ces négateurs peuvent-ils récuser les sciences dont se prévalent les gens de Dieu sachant que ‘Alî Ibn Abî Tâlib – Dieu soit satisfait de lui – a dit : « Si je m’étendais sur l’exégèse de la sourate Al-fâtiha, c’est soixante-dix mulets qu’il faudrait pour en porter les écrits. » S’agissait-il d’autre chose que d’une science inspirée par Dieu ? Assurément, la réflexion seule ne permet pas d’acquérir tant de savoir. Le Sheikh Abû Yazîd al-Bistâmî disait aux savants de son époque : « Vous tenez votre science de morts qui eux-mêmes la tenaient d’autres morts. Quant à nous, nous tenons notre science du Vivant Qui ne meurt pas. » Et lorsque le Sheikh Abû Madyân entendait un de ses compagnons dire d’un récit : « Untel me l’a rapporté d’untel », il disait : « Ne vous nourrissez pas de viande séchée ! » Il voulait que ses compagnons élèvent leurs vues et sa parole signifiait : ne parlez que des ouvertures que le Très-Haut accorde à vos cœurs au présent et relativement à la parole de Dieu ou à la parole du Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut. Car Celui Qui dispense gracieusement la science divine est vivant et ne meurt pas. Et Il n’a d’autre siège que le cœur des hommes, quelle que soit l’époque. » Nous reviendrons en détail sur ce sujet à la fin de l’étude quarante-sept. L’éminent Sheikh, Sirâj ad-Dîn al-Makhzûmî – Dieu soit satisfait de lui - a dit : « Trois raisons avérées légitiment le symbolisme dont usent les Sheikhs : Premièrement : Il a pour fonction de troubler la vue des indélicats qui souhaitent gravir la voie spirituelle sans en respecter les convenances ou qui voudraient divulguer des secrets au sujet de la seigneurie sans que cela ne procède d’une expérience spirituelle. De tels individus, en raison de leur compréhension déficiente, risqueraient en effet de révéler ces secrets ou d’accuser d’impiété les gens de Dieu. Deuxièmement : Il a pour fonction de suggérer à l’aspirant à cette discipline d’approfondir les sciences et de se conformer avec rigueur aux convenances de la voie spirituelle, jusqu’à ce 53 Sarâ’ir. Juziyyât. 55 Kulliyyât. 54 27 qu’il parvienne au dévoilement et qu’il accède à la connaissance et au Connu par le biais de la grâce et de l’expérience spirituelle. Troisièmement : Depuis des temps immémoriaux, ne pénètrent la science spécifique aux gens de la voie que les hommes imprégnés de science et versés en théologie. Al-Fakhr arRâzî a dit : « On ne m’a pas autorisé à enseigner la théologie avant d’avoir mémorisé douze mille pages traitant de cette science. » Pourtant, la théologie est plus aisée que la science de l’unicité qu’abordent les gens de la voie. L’imam ash-Shâfi‘î a déclaré un jour à Rabî‘ al-Jîzî : « Garde-toi de te spécialiser en théologie 56. Emploie-toi plutôt à la jurisprudence et au hadith. Car il vaut mieux s’entendre dire : « Tu as fait une erreur. », que de s’entendre dire : « Tu as proféré une hérésie. » On demanda au professeur ‘Alî Ibn Wafâ – Dieu soit satisfait de lui – ce qu’il fallait répondre à la question suivante d’un détracteur : « Pourquoi les gnostiques ont-ils mis par écrit ces connaissances et ces secrets alors qu’elles nuisent aux gens incapables de les comprendre comme certains jurisconsultes, entre autres ? N’étaient-ils pas assez sages, assez bien intentionnés, assez avisés et assez miséricordieux envers les gens pour s’abstenir de le faire ? S’ils avaient toutes ces qualités, le fait d’y contrevenir était un manquement évident ; et s’ils n’avaient ni sagesse ni bienveillance, cette insuffisance intrinsèque était un plus grand manquement encore ! » Le professeur répondit : « Dites à quiconque pose cette question : « Celui qui élève le soleil de midi dans le ciel et répand ses rayons éblouissants n’est-Il pas sage et savant, même si l’excès de lumière aveugle les chauves souris et d’autres animaux de faible de nature ? » Il sera contraint de répondre que si : que Dieu est Savant et Sage. Et s’il objecte que les bénéfices de cette lumière sont plus grands que ses nuisances, alors dis-lui : « Je ferais à ta question la même réponse. Car de même que Dieu ne renonce pas à répandre la clarté du soleil de midi pour ménager la vue faible de certaines créatures, ainsi les gnostiques ne doivent-ils pas ménager l’entendement de ces êtres qui dans leur aveuglement se détournent de la voie des gnostiques, je dirais même, qui la dédaignent et la réprouvent. » Le Sheikh s’étendit longuement sur cette question. Puis il déclara : « Sache simplement que les Maîtres qui mettent à l’écrit les connaissances et les secrets ne le font pas pour la masse des gens. J’ajouterais que lorsqu’ils voient un homme non prédisposé aspirer à une telle lecture, ils l’en dissuadent. Un gnostique disait en ce sens : « Nous sommes des gens qui interdisent à ceux qui n’appartiennent pas à notre voie de lire nos livres. Et il n’est permis à personne de divulguer nos paroles à des gens qui n’y donnent pas crédit. Quiconque les transmet à de telles personnes sera précipité avec elles dans l’enfer de la négation. » Les gens de Dieu ont déclaré cela expressément et devant témoin. Ils ont dit : « Quiconque divulgue le secret mérite la mort. » Et malgré tout, certains ne purent garder silence : ils diffusèrent leurs paroles au-delà des gens habilités. Ils furent en cela comme ceux qui font passer le texte coranique en terre ennemie où les gens n’y croient pas. Pourtant, Dieu a interdit aux croyants de le faire. Car cela donne l’occasion aux ennemis de Dieu de le lire avec des cœurs déviants et des langues impropres. Certains d’entre eux ne se privent pas de s’en moquer et d’autres d’y chercher des versets prêtant à confusion dans le but d’en donner des interprétations tendancieuses et de causer le trouble. Aussi, donnant accès au texte à ces 56 ‘ilm al-kalam 28 gens, les fidèles inconséquents ne font-ils que renforcer leur égarement, leur tyrannie et leur mépris des musulmans. » Le Sheikh développa ce propos, puis ajouta : « Les compagnons et leurs successeurs ayant œuvrés avec zèle à l’islam ont-ils consignés les sciences qu’ils ont déduites du Coran et de la sunna pour aider les gens à satisfaire à leurs penchants égotiques, à prendre de l’ascendant sur leurs semblables, à gagner de l’argent ou à se rapprocher des rois et des princes ? Non, par Dieu, tel n’était pas leur objectif ! Mais l’ordre de Dieu est exécutif. Aussi, de même que ces précurseurs dévoués ne se sont pas abstenus de consigner le savoir dont certains se servent pour servir leurs intérêts en ce monde, et qu’ils en seront récompensés même si les gens usent de leurs œuvres à mauvais escient, de même les gnostiques ne se sont pas abstenus de consigner les vérités levant le voile sur les questions relatives à l’unicité et d’enseigner les remèdes aux maux du cœur, et ils en seront récompensés eux aussi pour leur intention de servir les aspirants. Un des bénéfices de la consignation de telles œuvres est que celles-ci permettent de fertiliser les cœurs de ceux qui les consulteront après la mort de leurs auteurs. Les aspirants y trouvent des enseignements qui les élèvent spirituellement et répandent sur leurs cœurs et leurs langues des ondées de miséricorde. La lumière de leur sublime orientation irradie sur la terre de leurs cœurs et y répand une vie nouvelle. C’est ainsi que leurs écrits se substituent à eux-mêmes après leur départ et continuent à adresser le bon conseil aux aspirants. Consigner ces connaissances et ces secrets est un devoir qui leur incombe plus que tout autre, car nul autre qu’eux ne peut prescrire les remèdes aux maux des cœurs et les convenances à respecter face aux diverses formes de présences du Vrai dans l’ensemble des prescriptions légales, car à chaque situation correspond une présence et une convenance particulière. Si quelqu’un objecte : Si la science de ces soufis était requise, les imams fondateurs auraient écrit des ouvrages sur le sujet. Or on ne leur connait pas un seul livre de cette nature. Je répondrais que s’ils n’ont pas rédigé de livres sur le sujet des maladies du cœur, c’est parce que celles-ci ne se manifestaient pas chez les gens de leur époque. Si elles s’étaient manifestées chez ceux-ci ils auraient vu la nécessité de montrer les voies de guérison à travers des ouvrages spécifiquement dédiés à cet effet, comme l’ont fait les grands représentants de la voie de Dieu après eux, car ces maladies correspondent à de graves travers. Quant aux époques qui suivirent, elles virent se manifester la jalousie, l’orgueil, la haine et la rancœur. Les savants se sont alors employés à rédiger des épitres indépendantes sur le sujet. D’autre part, si les imams fondateurs n’ont pas jugé nécessaire de rédiger des ouvrages sur la voie spirituelle, c’est qu’ils étaient occupés à des tâches plus importantes, à savoir, rassembler les éléments sur lesquels se fonde la voie légale, distinguer les textes abrogeant des textes abrogés, définir les indications à caractère spécifique et les indications à caractère général, et établir les règles à suivre afin que les gens puissent s’y référer s’ils se trouvent dans l’incertitude. N’était-ce les règles posées par ces imams dévoués des premiers temps, nul ne saurait à quelle aune mesurer les actions extérieures et intérieures. Cette tâche était donc plus essentielle que la rédaction d’épitres spécifiquement dédiées à une maigre frange de la communauté. Il apparaît ainsi que l’ensemble des fidèles, soufis ou autres, sont redevables des imams consacrés à l’instruction de la voie légale. Puisse le Seigneur les récompenser libéralement pour leur œuvre. 29 De même qu’en matière de sciences légales l’esprit de l’effort d’interprétation demeure agissant pour permettre l’action et éclairer les comportements des guides dans ce domaine, ainsi, et à plus forte raison, la parole des gnostiques demeure-t-elle vivifiée par l’esprit de certitude, lequel continue à éclairer les œuvres des guides spirituels. Si quelqu’un objecte : pourquoi ces soufis ne se contentent-ils pas de suivre la lettre du Coran et de la sunna ? Cela ne leur suffit-il pas comme cela suffit à d’autres ? Je répondrais que cette même objection pourrait être émise au sujet des imams fondateurs et de leurs continuateurs. Car ceux-ci ne se sont pas arrêtés à la lettre des textes. Ils ont bien au contraire déduit de ces textes un nombre incalculable de préceptes légaux et de règles comme on peut aisément le vérifier. Aussi, si tu rejettes l’exégèse des gnostiques, dois-tu également rejeter l’exégèse des imams, ce que personne ne défend. Et de même qu’il ne t’appartient pas de contester la parole des imams fondateurs, sachant que ceux-ci n’ont fait que suivre le fil de lumière de la voie légale, il ne t’appartient pas davantage de contester la parole des gnostiques suivant l’exemple du Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut – dans les convenances extérieures et intérieures. Et de même que les imams ont jugé interdits, déconseillés ou conseillés certains actes extérieurs sur lesquels les textes de références ne statuaient pas de manière explicite, de même les gnostiques ont-ils prescrit, proscrit, conseillé ou déconseillé certains actes intérieurs. L’effort d’interprétation est valide dans ces deux domaines et l’un ne peut se passer de l’autre. La voie spirituelle sans voie légale est invalide et la voie légale sans voie spirituelle est déficience : je veux dire imparfaite. Si quelqu’un demande : pourquoi les gens de la voie emploient-ils un symbolisme que les fidèles ne peuvent comprendre qu’en y étant initiés comme il a été dit. Pourquoi ne pas mettre ces sciences à la portée des gens, si celles-ci sont comme ils le prétendent ; et pourquoi n’en parlent-ils pas publiquement comme le font les savants dans le domaine des sciences légales ? Le fait que les gnostiques dissimulent leurs enseignements suscite la suspicion et incite les gens à les accuser d’hérésie et de malveillance. Je répondrais que s’ils usent d’un tel symbolisme, c’est par compassion et par miséricorde pour les fidèles comme l’a indiqué le Sheikh Muhyî ad-Dîn en début de chapitre. Al-Hasan al-Basrî ainsi qu’al-Junayd, al-Shiblî et d’autres maîtres ne parlaient d’unicité que chez eux, après avoir verrouillé les portes et avoir placé la clé sous leur ceinture. Ils disaient à ce sujet : « Voulez-vous que les compagnons et leurs successeurs dont nous tenons cette science soient accusés d’hérésie calomnieusement et injustement ? » Car ils étaient dotés d’un discernement accru du fait qu’ils avaient purifié leurs cœurs et les avaient débarrassés des souillures qu’y déposent les passions et les péchés. Il n’appartient donc à personne de penser que ces grands hommes dissimulaient leur enseignement parce qu’ils étaient égarés. A Dieu ne plaise. Voilà donc la raison pour laquelle leurs successeurs consignèrent de manière symbolique certaines notions qu’il ne convenait de révéler qu’oralement et jamais par écrit. Du fait que la science risquait de disparaître avec les hommes qui la détenaient, ils jugèrent nécessaire de consigner leur science. Ils le firent de manière symbolique parce qu’ils y voyaient l’intérêt des fidèles et parce que leur considération pour les secrets de Dieu les incitait à ne pas les divulguer à des gens aveuglés. Un poète a dit en ce sens : 30 Incontestablement, les symboles révèlent, Le très sublime esprit que dissimule un cœur. Les tenants de la gnose usent d’allégories, D’un tour bien trop subtil pour l’esprit des censeurs. Ceux-ci les taxeraient, sans ces soins, d’hérésie, Et l’opprobre bientôt règnerait sous les cieux. L’imam Abû Al-Qâsim al-Qushayrî – Dieu soit satisfait de lui – disait : « Assurément, les symboles que les gnostiques emploient découlent de leur fervent attachement à la voie des gens de Dieu. Ils répugnent à ce que des individus étrangers à cette voie en comprennent les enseignements de manière erronée, puis qu’ils s’égarent et participent à l’égarement d’autres croyants. C’est pourquoi les Cheiks interdisent aux aspirants de lire les écrits des maîtres seuls, sans être accompagnés dans cette entreprise. » Lorsque l’on demandait à Sîdî ‘Alî Ibn Wafâ – Dieu soit satisfait de lui – pourquoi les gens de la voie usaient de symboles, il répondait : « Si vous comprenez la parabole suivante, vous saurez pourquoi ils agissaient ainsi : Ce monde est à l’image d'une forêt où les âmes des gens incapables de percevoir les évidentes vérités divines sont comme des bêtes fauves. Le gnostique est comme un homme à la récitation coranique mélodieuse et à la voie agréable pénétrant de nuit dans cette forêt. Cet homme sentant la présence des animaux féroces s’empressent de se cacher dans un arbre. Il renonce à psalmodier et se tient silencieux par crainte de leur nuisance. Le fait que cet homme se cache et renonce à réciter le Coran à haute voix indique-t-il qu’il est savant et sage, ou indique-t-il le contraire ? Par Dieu, cela indique incontestablement qu’il est savant et sage. Car s’il se montrait et se mettait à réciter le Coran, les animaux ne seraient pas guidés sur le chemin droit pour autant. Ils ne comprendraient rien à ses mots et ne tarderaient pas à se précipiter sur lui pour le mettre en pièce et le dévorer. Il causerait dans ce cas sa propre perte, ce qui est interdit. Comprenez cette parabole et dites à ceux qui reprochent aux gnostiques d’user de symboles que le Très-Haut a révélé à Muhammad - Dieu lui consente la grâce et le salut – de nombreux versets coraniques symboliques en début de sourates. Il a dit en outre : « En ta prière, ne récite pas [le Coran] d’une voix forte ni d’une voix imperceptible. »57 Dieu lui ordonna de ne pas élever la voix au point de se faire entendre des ignorants et des négateurs. Car ceux-ci seraient tentés d’invectiver des gens qui ne le méritent pas. Mais Il lui ordonna néanmoins de ne pas le réciter d’une voix trop basse, afin que les croyants l’entendent. Aussi, de même que la dissimulation du Coran aux ignorants n’implique aucunement que la récitation du Prophète soit infondée et mensongère, de même, la dissimulation de l’enseignement spirituel aux détracteurs inconscients, n’implique pas que cet enseignement soit sans objet et contraire à la voie légale. Cependant, si le Seigneur réunit les conditions pour qu’un gnostique fasse état de ce qu’il sait, et s’Il lui permet d’avoir autorité sur les négateurs par sa condition ou par son argumentation, de sorte qu’ils reconnaissent finalement sa valeur, bon gré ou mal gré. Il peut dans ce cas révéler son savoir publiquement, tout comme le Prophète récita le Coran devant 57 Coran 17 : 110. 31 les impies lorsque les conditions furent réunies et qu’il eut des soutiens suffisants pour se préserver de leurs nuisances. Il apparaît donc que les gnostiques suivent l’exemple de l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la grâce et le salut. On sait aussi que L’imam Ibn Hanbal – Dieu soit satisfait de Lui - disparu durant trois jours lors d’une période de trouble. Puis il réapparut. Des gens l’avertirent que l’ennemi était encore à sa recherche, mais il répondit que l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la grâce et le salut – ne s’était pas caché plus de trois jours dans la grotte. À l’évidence, l’être humain ne s’aventure pas à faire face aux bêtes fauves à moins d’être sûr d’en avoir la force. Il faut pour cela qu’il ait pris des dispositions, qu’il s’arme et se dote d’alliés de confiance. Si l’on demande : pourquoi un tel gnostique ne renonce-t-il pas complètement à révéler ses secrets et ne se contente-t-il pas de relayer les enseignements portés par la majorité jusqu’à ce qu’il acquière une position et une autorité lui donnant plus de sécurité ? Je répondrais que les gnostiques sont les héritiers de l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la grâce et le salut. Aussi, ne sortent-ils pas de la voie qu’il traça et suivent-ils scrupuleusement son exemple, comme nous l’avons vu de l’imam Ahmad Ibn Hanbal. Et puisque l’Envoyé de Dieu dissimula la vérité éclatante qu’il détenait et qu’il ne la révéla pas aux ignorants et négateurs jusqu’à ce que l’ordre du Très-Haut lui prescrive de le faire, ses héritiers font de même. Sîdî ‘Alî Ibn Wafâ a dit aussi : « A quiconque dénonce le symbolisme employé par les gens de la voie, il convient de répondre ceci : si des fous dénoncent un homme sensé qui refuse de suivre leurs lubies et leur folie, doit-il céder et s’aliéner à leur image faisant fi de sa raison pour avoir leur consentement, alors qu’il peut se mettre à l’écart et ne pas sacrifier sa raison. Si un autre homme se retrouve parmi des loups féroces qui ne tolèrent sa présence qu’à la condition qu’il marche à quatre pattes et hurle comme eux, doit-il rester parmi eux alors qu’il pourrait s’enfuir et aller vivre parmi les hommes ? Non, par Dieu, quiconque a pouvoir de faire le bien ne doit pas s’en abstenir pour faire plaisir aux gens de mal. Et les croyants ne sauraient concourir à un contentement plus légitime que celui de Dieu et de Son Prophète. Puisse le Seigneur nous préserver de revenir en arrière après avoir été guidé sur le droit chemin. Un gnostique disait : « Le langage des amants est étranger aux spectateurs bien qu’il leur soit parfaitement clair. » Tout ce qui vient d’être dit concerne les saints accomplis et maîtres d’eux mêmes. Quant aux saints dominés par leur état, les gens de la voie doivent néanmoins les tenir en estime, car leurs propos sont dictés par l’amour et non par la science au sens strict. On rapporte qu’un oiseau mâle courtisait un oiseau femelle sur le dôme de Salomon. Comme la femelle rejetait les avances du mâle, celui-ci lui déclara : « Je t’aime si fort que si tu me disais de faire écrouler ce dôme sur la tête de Salomon et de ses armées, je le ferais. Le vent transporta ce propos jusqu’aux oreilles de Salomon. Celui-ci manda un messager à l’oiseau pour lui dire : « Ne prétendras-tu pas accomplir des choses à hors de ta portée ? » L’oiseau répondit : « Ne t’emporte pas, ô Apôtre de Dieu, je suis un amant passionné, or les amants parlent le langage de l’amour et de la passion, et leurs propos ne reflètent ni la science ni la réalité. » Salomon agréa cette réponse. » Ce fait disculpe largement les amants de la voie du Très-Haut comme Sîdî ‘Umar Ibn al-Fârid et ses semblables – Dieu soit satisfait d’eux tous. Quant à l’histoire de Moïse et d’al32 Khidr – Puissent-ils bénéficier du Salut – elle disculpe aussi bien les savants du domaine de la voie légale que les savants du domaine de la voie spirituelle. Et même si l’agissement de Moïse était simplement dû à un oubli des conditions posées par al-Khidr, cette histoire disculpe ceux qui condamnent autant que ceux qui font l’objet de condamnation en la matière. Sachant que les détracteurs sont trop aveuglés pour comprendre leur voie, les gens de Dieu s’abstiennent d’argumenter. Ils se contentent ainsi de dire comme al-Khidr : « C’est là que nos chemins se séparent ! »58 Forts de la lumière éclatante qui les guide, si les gens de Dieu voulaient confondre les négateurs par leurs arguments, ils le pourraient parfaitement. Ne pense donc pas mon frère qu’ils sont incapable de faire entendre raison, car cela reviendrait à les assimiler au commun des gens. Sîdî ‘Alî Ibn Wafâ explique dans son livre Al-Wasâya que dans ce récit mettant en scène al-Khidr, Moïse – Puisse-t-il trouver le salut - nous apprend à recevoir en gré les sciences inspirées que prodiguent les saints. Puis, une fois ces enseignements admis, il convient de considérer ce que dicte la voie légale sur la question. Si celle-ci prescrit de réprouver tel ou tel propos ou telle ou telle attitude, il t’appartient de manifester extérieurement cette réprobation, mais seulement pour sauver les apparences. Sans quoi des personnes qui ne sont pas au niveau des saints en question risqueraient de les imiter. N’étaitce sa volonté de nous instruire de la sorte, Moïse n’aurait rien objecté aux entreprises d’alKhidr. Car les actes qu’ils accomplissaient ne peuvent se soustraire au jugement de la voie légale : quiconque perce la coque d’un bateau sans l’autorisation de ses propriétaires et déclare : « je l’ai percée pour éviter qu’un roi inique ne s’en empare », ne peut échapper à des poursuites légales. Et quiconque tue un jeune homme et déclare : « J’ai craint qu’il ne les entraine dans sa rébellion et son impiété »59 ne peut davantage échapper à des poursuites légales. Et la parole du saint 60 « Je ne l’ai pas fait de mon propre chef »61 ne convient pas à ce genre d’actions, si l’on juge des apparences, même si sa sainteté est avérée. Car il n’a pas la fonction d’envoyé de Dieu. Il apparaît donc que la réprobation que Moïse manifesta au premier abord ne visait qu’à préserver l’ordre extérieur établi par la voie légale, le risque étant que des gens ne l’imitent qu’en ces actions singulières. Puis il cessa finalement de le réprouver pour que la volonté de Dieu relativement à l’élite de ses saints soit respectée et pour que cela serve de « rappel pour tout être doté d’un cœur, prêtant l’oreille et observant avec attention »62 Moïse sut à ce moment-là que le Très-Haut emploie des serviteurs pour révéler les sciences procédant de Sa grâce et qu’il n’appartient à aucune des deux parties de contester l’autre ou de l’empêcher de remplir la fonction qui lui est assignée, même si l’une se situe à un degré supérieur à l’autre. Il n’échappe à personne que les sciences se résument dans leur ensemble à trois catégories : Les sciences cognitives, les sciences des états et les sciences des secrets. 58 Coran 18 : 78. Coran 18 : 80. 60 C'est-à-dire al-Khidr. 61 Coran 18 : 82. 62 Coran 50 : 37. 59 33 Les sciences cognitives sont l’expression de toutes les formes de sciences nécessaires, qu’elles soient élémentaires ou le fruit de déduction. Elles se fondent donc sur des preuves. La marque de ces sciences est que plus elles sont adroitement exposées, plus elles s’imposent et sont aisées à saisir et agréables à entendre. Quant aux sciences des états, elles ne peuvent être acquises que par l’expérience. La raison ne peut pas plus les cerner et les acquérir qu’elle ne peut connaître la douceur du miel ou l’amertume de la myrrhe, ou gouter au plaisir des caresses. Cette science est une science intermédiaire entre les sciences cognitives et les sciences des secrets. La plupart de ceux qui y croient sont les hommes d’expérience spirituelle. Ces sciences sont plus proches des sciences des secrets qu’elles ne le sont des sciences cognitives et théoriques. Seuls les hommes de saine disposition spirituelle apprécient d’entendre parler de ces sciences, à moins qu’elles ne proviennent de personnes non-préservées de l’erreur63. La marque des sciences acquises intellectuellement est qu’elles se conforment aux critères de la raison ; à l’inverse, la marque des sciences acquises par don gracieux est qu’elles ne se conforment pas aux critères de la raison, si bien que celle-ci les rejette le plus souvent. Quant aux sciences des secrets, elles se situent bien au-delà de la sphère de la raison. C’est pourquoi les gens qui les expriment sont si promptement condamnés. Car celles-ci procèdent d’inspirations dont ne sont gratifiés que les prophètes ou les saints. Lorsqu’elles sont exprimées, elles apparaissent grossières et incompréhensibles. Les gens obtus et manquant de discernement ne prenant pas le temps de les considérer et de les approfondir les réprouvent donc immanquablement. C’est pourquoi les maîtres désireux de faire comprendre ces sciences à des gens peu clairvoyants ont nécessairement recours à des paraboles et aux enseignements empruntés à la voie légale. La plupart des sciences des hommes accomplis sont de cette nature. Le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî disait : « Il est donc évident que les sciences des secrets ne s’acquièrent pas par voie de réflexion, mais par voie de contemplation et d’inspiration vraie, ou d’autres voies semblables. On comprend donc pourquoi le Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut déclara un jour : « S’il est des hommes jouissant du discours intime dans ma communauté, ‘Umar est de ceux-là. » Le Sheikh Muhyî ad-Dîn mentionna ce hadith dans l’épitre qu’il adressa au Sheikh Fakhr ad-Dîn ar-Râzî. Il s’agissait d’une épitre constituée d’environ trois feuillets. Si les gens de Dieu n’étaient pas susceptibles de faire l’objet de condamnations, et que les hommes étaient tous dotés d’une saine clairvoyance, on ne comprendrait pas pourquoi Abû Hurayra déclara un jour : « J’ai retenu de l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la grâce et le salut – deux registres64 [de sciences]. J’ai communiqué le premier. Quant au second, si j’en faisais part, on s’empresserait de me trancher la gorge. » Dans cette hypothèse, on ne comprendrait pas davantage la parole d’Ibn ‘Abbâs : « Si je vous révélais l’exégèse du verset « Dieu à créé sept cieux et autant de terres. Son ordre descend entre eux graduellement » 65, vous me lapideriez ou m’accuseriez d’hérésie. Dans son ouvrage Ihyâ ‘Ulûm ad-Dîn, ainsi que dans d’autres livres, l’imam alGhazalî rapporte ces vers de Zîn al-‘Âbidîn ‘Alî Ibn al-Husayn – Dieu soit satisfait de lui : 63 Ma‘sûm. Litt. : Deux récipients. 65 Coran 65 : 12. 64 34 Ah, ces perles de science oserais-je trahir, Que l’on m’accuserait d’adorer les idoles ; Les croyants jugeraient seyant que l’on m’immole Et s’imagineraient, me saignant, bien agir ! Al-Ghazalî explique : « Cette science qui lui vaudrait d’être condamné s’il la révélait n’est autre que la science inspirée, laquelle correspond à la science des secrets. Il ne s’agit pas de la science de ceux qui reçoivent l’investiture califale ou en sont dépouillés. Car les savants en science légale ne légitiment pas de verser le sang de quiconque révèle une telle chose, pas plus qu’ils ne l’accusent d’adorer les idoles. » Médite ce que nous avons dit dans ce chapitre, car cela te sera utile. L’orientation des êtres, quoi qu’il arrive, appartient à Dieu. 35 Chapitre quatre Des règles et principes à connaitre pour aborder la théologie (‘ilm al-kalam) Sache - que Dieu te fasse miséricorde – que les savants musulmans n’ont pas rédigé des ouvrages dédiés à la doctrine pour s’assurer eux-mêmes du juste dogme à adopter, mais pour répondre aux détracteurs sur plusieurs points. Car certains nient Dieu ou Ses attributs ; d’autres nient la prophétie en général ou celle de Muhammad en particulier ; d’autres nient la résurrection des corps ou d’autres faits semblables que ne réfutent que les impies. Pour cette raison, les savants musulmans ont jugé nécessaire de faire entendre raison à ces gens par voie de démonstration et de les ramener ainsi à la juste et indubitable foi. C’était là leur seule et unique motivation. Et s’ils ne se sont pas empressés de les réduire au silence par l’épée, c’est par miséricorde pour eux et par espoir de les voir revenir à la vérité. Ils considéraient la persuasion comme un acte miraculeux capable de les reconduire à l’islam. Et chacun sait que la foi d’un homme rallié par la persuasion est plus sincère que celle d’un homme rallié par l’épée. En effet, la crainte de l’épée peut pousser l’individu à se montrer sous un faux visage. Ce qui n’est pas le cas de la persuasion. Les savants établirent ainsi la science relative à la substance et à l’accident et la théologie dialectique en général. Il suffit par ailleurs qu’un seul savant par région s’emploie à cette tâche. » Le Sheikh Muhyî ad-Dîn s’étendit longuement sur ce point au début des Futûhât. Puis il déclara : « A l’évidence, tout homme convaincu que le Coran est le Verbe du Très-Haut veillera à puiser son dogme de ce verbe, sans tenter de l’interpréter ou d’avoir recours à une argumentation rationnelle étrangère à ce que pose la voie légale. Car le Coran est par lui-même une preuve irrécusable à la fois transmise et intelligible 66. Or le Très-Haut affirme que dans Sa transcendance nulle créature ne Lui ressemble et que Lui-même ne ressemble à nulle chose. Il dit en effet : « Rien ne Lui est semblable et Il est l’Oyant et le Voyant. »67 Et Il déclare, entre autres paroles en ce sens : « Exalté soit ton Seigneur - le Seigneur de la Toute-puissance - au-delà de ce qu’ils décrivent. »68 Il affirme par ailleurs que les croyants Le verront dans l’au-delà : « Ce jour là, il y aura des visages resplendissants, contemplant leur Seigneur. »69 C’est également ce que l’on comprend de Sa parole au sujet des impies : « Certes non ! Un voile les privera ce jour de voir leur Seigneur. »70 Ce qui laisse entendre que les croyants en revanche Le verront et qu’Il ne leur sera pas voilé. Le Seigneur réfute d’autre part la possibilité de Le cerner : « Les regards ne l’atteignent pas. »71 Il dit également : « Il cerne toute chose. »72 Il affirme être tout-puissant : « Il est capable de tout. »73 Il affirme être omniscient : « Il cerne toute chose 66 La théologie musulmane distingue généralement les arguments fournis par les textes (sam‘î) et les arguments énoncés par la raison (‘Aqlî). 67 Coran 42 : 11. 68 Coran 37 : 181. 69 Coran 75 : 22-23. 70 Coran 83 : 15. 71 Coran 6 : 103. 72 Coran 41 : 54. 73 Coran 67 : 1. 36 de Sa science. »74 Il établit l’autorité de sa volonté relativement au bien autant qu’au mal. Il déclare en ce sens : « Il fait ce qu’Il veut. »75 Et Il déclare : « Il guide qui Il veut et égare qui Il veut. »76 Il établit le fait qu’Il entend Sa création : « Dieu a entendu la parole de celle qui controverse avec toi au sujet de son époux. »77 Il établit le fait qu’Il voit ce que font Ses serviteurs : « Dieu voit ce que vous faites. »78 Il dit aussi : « Ne sais-tu pas que Dieu voit. »79 Il établit le fait qu’Il parle : « Dieu a bel et bien parlé à Moïse. »80 Il établit le fait qu’Il est vivant : « Dieu, il n’est d’autre dieu que Lui, le Vivant, l’Autosuffisant. »81 Il établit le bienfondé de la fonction de Ses messagers : « Nous n’avons envoyé avant toi que des hommes d’entre les habitants des villes, auxquels nous inspirions [la révélation] »82 Il établit le bienfondé de la fonction de messager de Muhammad - Dieu lui consente la grâce et le salut : « Muhammad est l’envoyé de Dieu. »83 Il établit que Celui-ci est le dernier des prophètes mandés aux hommes: « Et le sceau des prophètes. »84 Il établit que tout ce qui n’est pas Lui est Sa création : « Dieu est le Créateur de toute chose. »85 Il établit l’existence des Djinns : « Je n’ai créé les djinns et les hommes qu’afin qu’ils M’adorent. »86 Il établit que certains djinns pourront entrer au paradis: « Elles n’auront été touchées auparavant par aucun homme et aucun djinn. »87 Il établit la résurrection des corps en ces termes : « Lorsque le contenu des tombes sera retourné. »88 Et il établit ainsi un certain nombre de faits semblables à partir de preuves recensées dans les ouvrages précisant la doctrine, comme le devoir de croire en le décret, le destin, la balance, la vasque prophétique, le chemin au dessus des enfers, les comptes à rendre, le déploiement des registres, ou la création du paradis et de l’enfer. Et le Seigneur exalté soit-Il, déclare : « Nous n’avons rien omis dans le Livre. »89 Il établit l’inimitabilité du Coran comme un miracle accompli par notre prophète Muhammad Dieu lui consente la grâce et le salut : « Si vous avez un doute au sujet de ce que Nous avons révélé à Notre serviteur, produisez une sourate semblable à celles-ci ! »90 Car le Coran tout entier est le miracle accompli par le prophète. » Et le Sheikh Muhyî ad-Dîn conclut : « Il apparaît donc qu’il n’est pas permis au croyant de négliger les prescriptions relatives à ce monde que lui fait son Seigneur pour employer la plus grande partie de son existence à répondre à des détracteurs inexistants dans son propre pays ou d’arguer par anticipation sur des objections que personne n’a encore émises. Assurément, l’épée de la voie légale est plus effrayante et plus dissuasive. Un hadith authentique mentionne : « J’ai reçu l’ordre de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent : 74 Coran 65 : 12. Coran 85 : 16. 76 Coran 35 : 8. 77 Coran 58 : 1. 78 Coran 2 : 265. 79 Coran 96 : 14. 80 Coran 4 : 164. 81 Coran 2 : 255. 82 Coran 12 : 109. 83 Coran 48 : 29. 84 Coran 33 : 40. 85 Coran 39 : 62. 86 Coran 51 : 56. 87 Coran 55 : 74. 88 Coran 100 : 9. 89 Coran 6 : 38. 90 Coran 2 : 23. 75 37 « Il n’est de dieu que Dieu » et jusqu’à ce qu’ils croient en moi et en le message que j’apporte. » Le Prophète ne nous a pas enjoints à polémiquer avec eux, mais simplement à les combattre par l’épée s’ils s’obstinent à contester la vérité. Or il s’agit de la préoccupation majeure des gens de notre époque. Ils épuisent leur existence à répondre à des objections fictives ou à des objections existantes, mais relevant d’avis non prédominants dans telle ou telle école juridique. Si bien que l’individu s’imagine controverser avec quelqu’un alors qu’il ne controverse qu’avec lui-même. Nous savons que nos prédécesseurs – Dieu soit satisfait d’eux – n’ont entrepris de rédiger des ouvrages de théologie que pour donner la réplique aux détracteurs de leur époque, ainsi que nous l’avons dit. Puisse Dieu les récompenser pour leur louable intention. » Le Sheikh ajoute : « L’homme sensé de notre époque est celui qui se préoccupe des sciences légales. Car celles-ci dispensent de la théologie, du fait qu’elles permettent à la religion d’exister. Si un être humain meurt sans maîtriser la question théologique de la substance et de l’accident, Dieu ne lui en demandera pas des comptes au jour du jugement. Puis si un détracteur s’élève dans une contrée pour contester les lois révélées, par exemple, nous devons nous concentrer sur les réponses spécifiques à donner à ses points de contestation. Dans ce cas précis, il convient de s’appuyer exclusivement sur une argumentation logique et sans avoir recours aux textes sacrés. Car si quelqu’un défend le brahmanisme, par exemple, une argumentation fondée sur la révélation ne sera par recevable à ses yeux. Celle-ci ne suffirait donc pas à déconstruire la croyance singulière qui est la sienne et qui conteste la révélation. Car la révélation elle-même étant l’objet du débat, elle ne peut servir d’argument. C’est pourquoi nous disons que le seul remède applicable à une telle personne consiste à argumenter sur la base de la logique. On pourra lui tenir des propos tels que : « vois ce que la raison te dicte sur telle question. » Ce que nous avons dit révèle que tout homme désireux de préserver sa doctrine des idées douteuses et des égarements doit la puiser directement dans le sublime Coran. Car le Livre de Dieu nous est parvenu par une multitude de voies fiables ; il est indubitable et préservé. On ne peut en dire autant de ceux qui fondent une doctrine sur la réflexion et l’induction, sans que la révélation ou le dévoilement ne la conforte. Vois, mon frère, ce que notre Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut – répondit lorsque des juifs lui demandèrent de définir son Seigneur : il se contenta de leur réciter la sourate « Dis : Dieu est Un… »91 Il ne chercha aucunement à discuter en leur soumettant des arguments intelligibles. Car de fait, la parole du Très-Haut : « Dieu est Un » établit l’existence de l’Un et exclut la multiplicité ; et elle établit que l’unicité appartient à Dieu, sans associé. Sa parole : « Dieu est le Suffisant par Soi » exclue la corporéité. Sa parole « Il n’a pas enfanté et Il n’a pas été enfanté » exclut qu’Il puisse avoir un père ou un fils. Et Sa parole : « Nul ne lui est égal. » exclut qu’Il puisse avoir une compagne ou un associé. L’amateur d’arguments intelligibles peut-il demander qu’on lui démontre de tels faits après qu’ils aient été établis par ces preuves indubitables ? Ce serait faire preuve d’une très grande ignorance. J’ajouterais qu’on est en droit de se poser la question suivante : quelle était la condition d’un individu qui cherche à connaitre Dieu par l’argumentation et accuse d’impiété quiconque ne le fait pas, avant de se 91 Coran 112. 38 lancer dans sa recherche intellectuelle ; et quelle est sa condition après. Était-il croyant ou non ? Lui semblait-t-il avéré que Dieu existe et que Muhammad est son Envoyé ou non ? Priait-il et jeûnait-il ou non ? Si telle était sa condition avant sa recherche, c’est également celle du commun des croyants. Il ne doit donc pas accuser d’impiété l’un d’entre eux. Si en revanche, il ne croyait pas avant d’étudier la théologie, alors nous demandons à Dieu de nous préserver d’une telle voie. Car le peu de discernement de cet homme l’a conduit à se départir de sa foi. Le Sheikh Muyî ad-Dîn – Dieu lui fasse miséricorde - disait : « Les gens de Dieu n’ont pas pour habitude de contester les vues des partisans de telle ou telle faction musulmane à moins qu’ils ne contredisent les textes ou contestent un point consensuel. Car quiconque entreprend de répondre à l’un d’eux sur une question n’est pas à l’abri de réfuter une idée vraie. Parce que les musulmans, tant qu’ils demeurent dans le cadre de l’islam, n’adoptent que des convictions vraies ou des convictions pertinentes parmi d’autres, à l’inverse de ceux qui sortent du cadre de l’islam. » Il déclare aussi dans le chapitre trente des Futûhât : « D’ordinaire, les gens de Dieu ne cherchent pas à dénigrer les convictions des musulmans. Ils aiment en revanche chercher les ressorts de ces convictions afin de savoir d’où les gens les tiennent et afin de voir quelle épiphanie est à l’origine de l’adoption qu’ils ont adoptée. Ils s’inquiètent aussi de savoir si celle-ci contribue à leur félicité ou non. Voilà ce à quoi ils s’en tiennent en matière de théologie. Il apparaît donc que les convictions doctrinales du commun des musulmans conforment à l’avis unanime des savants orthodoxes sont saines et exemptes de ces idées douteuses que peuvent soutenir les théologiens spéculatifs ; et que ces gens observent les règles de l’islam, même s’ils n’ont jamais consulté les ouvrages de théologie. Parce que Dieu, exalté soit-Il, les maintient dans le juste dogme, ce dogme conforme à la nature primordiale islamique selon laquelle Dieu a créé ceux qui professent l’unicité. Cela leur vient, soit de l’instruction de leur père, soit d’une juste inspiration. Ils entretiennent ainsi une connaissance relative au Très-Haut et à Sa transcendance conforme à la connaissance que pose la lettre du Coran, la sunna et les enseignements des imams. Ils entretiennent un dogme juste tant qu’ils s’abstiennent de vouloir faire l’exégèse des textes. Car l’exégèse peut ne pas être souhaitable pour l’aspirant. Si quelqu’un cherche à gloser un verset ou une tradition prophétique, il s’exclut du commun des musulmans sur cette question et il s’assimile à ceux qui se consacrent à l’étude théorique et à l’exégèse. Alors, il rencontrera Dieu dans une disposition qui dépendra de son interprétation. Soit il aura vu juste, soit il aura été dans l’erreur et aura adopté des idées contraires aux indications explicites données par la voie légale immaculée. Médite ce point, car il est précieux. Le Sheikh de nos Sheikh, Kamâl ad-Dîn Ibn al-Hammâm – Dieu lui fasse miséricorde – disait : « On ne peut raisonnablement penser que les gens adoptent des convictions par imitation en matière de foi. Il est rare en effet de voir quelqu’un relayer une idée relative à la foi en Dieu sans la fonder sur des arguments. C’est si vrai que les discussions des gens du peuple dans les marchés abondent de récits étayant leur conviction de l’existence du TrèsHaut et de Ses attributs. L’imitation consiste à ce qu’un homme entende quelqu’un dire que les êtres ont un Seigneur qui les a créés et qui a créé toute chose, un Seigneur qu’il convient d’adorer seul et sans associé, puis que cet homme en soit convaincu du simple fait de la confiance totale qu’il place en le discernement de son interlocuteur et du simple fait de la 39 haute opinion qu’il a de lui. S’il adopte si bien cette conviction qu’elle ne laisse aucune place à la contestation, alors il s’acquitte de son devoir de foi. Car l’objectif de toute argumentation en la matière n’est autre que d’arriver à cette même conviction. Or l’objectif de ce devoir relatif à la foi est atteint. » Et le Sheikh de nos Sheikh Kamâl ad-Dîn Ibn Abî Sharîf, a dit : « Le but de ce développement est que l’individu ne tombe pas dans l’impiété en l’absence d’argumentation, car son devoir consiste simplement à acquérir cette foi. Or si celle-ci est acquise, l’argumentation est sans objet. Néanmoins, la foi par imitation peut aisément être ébranlée par des contingences quelconques causant le doute, contrairement à la foi confortée par les preuves. Celles-ci sont donc un meilleur gage de préservation. » Dans son livre Sirâj al-‘uqûl, Le Sheikh Abû Tâhir al-Qazwînî rapporte qu’Ahmad Ibn Zâhir as-Sarkhasî, un des plus proches compagnons du Sheikh Abû al-Hasan al-Ash ‘arî – Dieu lui fasse miséricorde, lui raconta ce qui suit : « Lorsqu’Abû al-Hasan al-Ash‘arî sentit sa fin venir dans ma demeure à Bagdad, il me demanda de rassembler ses compagnons. Une fois qu’ils furent rassemblés, il nous dit : « Soyez témoins que je n’accuse d’impiété aucun homme du commun des gens s’orientant vers La Mecque. Parce que j’ai pu constater qu’ils pointent tous un unique adoré. Et l’islam les embrasse et les englobe sans exception. » Le Sheikh Abû Tâhir commentait : « vois comme il les a appelés musulmans. » Quant à l’imam Abû al-Qâsim al-Qushayrî – Dieu lui fasse miséricorde – il disait : « Quiconque prétend que le Sheikh Abû al-Hasan al-Ash‘arî soutenait que la foi par imitation n’est pas valable est un menteur. Parce qu’un imam de cette envergure est bien trop haut pour tenir au sujet des convictions prédominantes des musulmans des propos diffamants conduisant à les accuser d’impiété et à considérer leur foi comme irrecevable. » Le Sheikh Tâj ad-Dîn as-Subkî a dit quant à lui : « En définitive, ce qui écarte tout discrédit d’al‘Ash‘arî sur ce sujet est que si l’homme croyant par imitation adopte l’opinion d’un autre sans preuve de sorte qu’il demeure sujet au doute ou à l’illusion, sa foi est insatisfaisante, car elle n’est pas sûre. Or la foi affectée de la moindre hésitation n’en est pas une. Si en revanche il adopte la conviction d’un autre sans preuve, mais qu’il en tire une conviction certaine, sa foi est satisfaisante selon al-Ash‘arî et les autres savants. Al-Jalâl alMahallî déclare à ce sujet : « C’est ce qu’il convient de croire. » » Le Sheikh Sa‘d ad-Dîn at-Tiftazânî et d’autres ont dit : « Après examen, voila ce qui ressort de la question de l’étude théologique sujette à condamnation. La réflexion consistant à établir et à définir les arguments théologiques, et à écarter les doutes et les ambiguïtés est un devoir suppléable92 incombant aux gens prédisposés. Il suffit qu’un petit nombre de gens s’en charge. Quant à ceux qui n’y sont pas prédisposés et qui risquent de tomber dans des équivoques pernicieuses, il ne convient pas qu’ils s’y emploient. Al-Jalâl al-Mahallî a dit : « C’est là l’objet d’interdiction que prononcèrent l’imam as-Shâfi‘î et d’autres savants parmi nos prédécesseurs au sujet de la consécration à la théologie. » 92 Fard kifâya : devoirs pour lesquels quelques personnes peuvent suppléer à l’ensemble des gens. Opposé à Fard ‘ayn : devoir incombant à chacun. 40 Le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî disait pour sa part : « L’interdiction de s’investir dans la théologie concerne ceux qui le font sur la base de l’examen théorique et de la réflexion. Parce que la pensée se trompe souvent au sujet des questions relevant du divin. Quant à ceux qui parlent de l’unicité et de ce qui s’y rapporte par voie de dévoilement, ils ne sont pas concernés par l’interdiction de nos prédécesseurs. Car l’homme de dévoilement à la particularité de s’exprimer sur les choses telles qu’elles sont et de ne pas faire erreur. » Ainsi, ai-je pris le parti de fonder les positions doctrinales évoquées dans cet ouvrage sur les paroles des gens de dévoilement à l’exclusion des théoriciens, et en particulier sur l’enseignement du Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî – Dieu soit satisfait de lui. Car celui-ci a dit dans le chapitre trois cent soixante six des Futûhât : « L’ensemble des propos que je tiens dans mes assemblées ou que je consigne dans mes ouvrages procède du très sublime et très auguste Coran. J’ai reçu les clés de ses sciences, si bien que je puise toutes les connaissances de lui. Et si je procède ainsi, c’est pour ne pas me couper de Sa présence et pouvoir continuer à m’entretenir avec Lui par le biais de Sa parole ou de ce qu’elle dit implicitement. Il dit par ailleurs dans un passage des Futûhât sur le sujet de l’appel à la prière : « Je n’affirme rien dans ce livre – louange en soit rendue à Dieu – étranger au cadre légal. Je ne m’écarte du Coran et de la sunna dans aucun de mes ouvrages. » Il dit aussi dans le chapitre trois cent soixante six de ce même livre : « Rien de ce que je consigne dans mes écrits ne procède de raisonnements ou de réflexions. L’ensemble procède d’un souffle de l’ange inspirateur en mon cœur. » Il dit encore dans le chapitre trois cent soixante-sept : « Je n’imite personne – grâce à Dieu – en dehors du Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut. Toutes nos sciences sont ainsi préservées d’erreur. » Et il dit dans le chapitre dix des Futûhât : « Grâce à Dieu, dans l’ensemble de nos propos, nous ne nous fondons que sur ce que le TrèsHaut projette dans nos cœurs, et aucunement sur ce que les mots suggèrent. » Il dit encore dans le chapitre trois cent soixante-treize : « L’ensemble de ce que j’ai écrit et continue à écrire procède d’une dictée divine, d’une projection seigneuriale et d’un souffle spirituel au sein de mon être. Je suis ainsi dans la position d’un héritier [du Prophète] et non pas dans celle d’un être indépendant. Car l’inspiration dans le cœur se situe à un niveau inférieur à celui de la révélation du Verbe 93, de la révélation indicative et de la révélation expressive94. Fais la distinction, mon frère, entre la révélation du Verbe et la révélation de nature inspirative95 tu seras au nombre des savants éminents. » Il dit dans le chapitre quarante-sept : « Sache que les sciences que nous dispensons, nous et nos compagnons, ne procèdent pas de la réflexion, mais du débord de grâce divin. » Il dit dans le chapitre deux cent quarante-six : « L’ensemble des sciences que nous dispensons relève de l’expérience spirituelle et non d’autres sciences. Or ces sciences procèdent toutes d’épiphanies. Il arrive aussi que des connaissances nous proviennent par transmission de gens fiables ou d’une juste réflexion. » 93 La révélation du verbe correspond au Coran et aux livres révélés en général. Ces formes d’inspirations correspondent respectivement au hadith et au hadith qudsî. 95 La révélation de nature inspirative (ilhâm) correspond aux inspirations dont sont gratifiés les saints : c’est la science inspirée (ladûnî). 94 41 Il dit dans le chapitre quatre vingt neuf et le chapitre trois cent quarante-huit : « Sache que la répartition des chapitres des Futûhât n’est pas le fait de mon choix personnel ou d’une réflexion. C’est le Très-Haut qui nous dicte l’ensemble de nos écrits à travers la langue de l’ange inspirateur. Et il arrive que nous exprimions une parole sans rapport avec celle qui la suit et celle qui la précède, comme c’est le cas dans la parole de Dieu : « Soyez attentif à vos prières et [en particulier] à la prière médiane. »96 Cette parole se situe en effet entre des versets relatifs à la répudiation, au mariage et aux héritages. » Il s’est étendu longuement sur ce sujet. Il dit dans le chapitre huit des Futûhât : « Sache que les gnostiques – Dieu soit satisfait d’eux – ne s’en tiennent pas dans leurs écrits aux sujets qu’annoncent les titres des chapitres. Parce que leurs cœurs se tiennent sur le seuil de la présence divine. Ils guettent ce qui peut en sortir et dès qu’une parole en émane, ils s’empressent de la livrer dans les limites de ce qu’ils en perçoivent. Il arrive ainsi qu’ils intègrent à leur sujet des enseignements d’une autre nature, pour se conformer à l’ordre de leur Seigneur, Celui-ci connaissant la sagesse qui motive cette digression. » Les textes évoqués indiquent que la parole des hommes parfaitement réalisés est en soi dénuée d’erreur. Mais Dieu sait mieux ce qu’il en est. Le Sheikh Muhyî ad-Dîn déclare aussi dans le chapitre soixante et onze des Futûhât : « Les sciences nécessaires ont la précellence sur les sciences théoriques. Car toute science théorique repose sur des arguments nécessaires ou procède d’arguments selon des rapports plus ou moins lointains. Et si tel n’est pas le cas, la science en question ne repose sur aucune base probante et fiable. » Il dit dans le chapitre soixante huit des Futûhât : « Sache que les connaissances doctrinales authentiques sont celles qui procèdent d’un dévoilement et d’une vision directe. Quant à l’homme qui repose ses convictions doctrinales sur des faits relatifs et ne considérant que certains aspects à l’exclusion d’autres aspects, il risque de ne pas reconnaitre le Vrai, si Celui-ci se présente à lui selon un aspect autre que celui auquel il se confine. C’est pourquoi l’homme parfaitement réalisé s’emploie à considérer la perspective dans laquelle se place chaque vision doctrinale et à déterminer sur quoi se fondent les individus dans les propos qu’ils soutiennent sur le sujet. » Le Sheikh s’étend longuement sur ce point. Puis il déclare : « Il arrive qu’un homme hérite du dogme de ses parents ou de ses précepteurs, puis qu’il en prenne conscience et soit capable de se faire sa propre opinion. Les savants divergent sur l’attitude qu’il doit alors adopter. Certains sont d’avis qu’il doit se contenter de la doctrine dont il a hérité. D’autres sont d’avis qu’il doit examiner les arguments sur lesquels elle se fonde pour connaitre la vérité. Chacun de ses avis se fait l’écho d’un aspect de la question. » Il dit par ailleurs dans le chapitre quatre cent soixante-seize : « Puis il est des sciences relatives au Très-Haut qu’il ne convient pas de consigner dans les exposés doctrinaux, ni même d’évoquer. Elles ne sont pas exprimées par les serviteurs élus à moins que ceux-ci ne soient dominés par un état spirituel. Dans ce cas, leur état les protège et les disculpe, comme l’homme enivré. Mais lorsqu’ils retrouvent leur esprit, la protection cesse. » Il dit dans le chapitre trois cent quarante et un : « Pour les gens non encore accomplis, il ne convient pas de consulter les livres des communautés dans l’erreur ou de religions égarées. 96 Coran 2 : 238. 42 Quant aux gens de dévoilement, ils peuvent les consulter afin de voir selon quelle perspective se placent les différents auteurs dans les idées qu’ils professent. Car, fort de leur dévoilement authentique, il n’y a pas de risque qu’ils adoptent leurs vaines idées. » Il dit en outre dans le chapitre deux cent soixante quinze des Futûhât : « Tout gnostique se doit de dissimuler les sciences secrètes dont le Très-Haut l’a gratifié. Il ne doit pas les révéler au commun des gens afin que les détracteurs ne le prennent pas à partie. C’est ainsi qu’Abû al-Qâsim al-Junayd, le maître des gens de cette voie, a déclaré : « Nul homme n’atteint le degré de la vérité spirituelle avant que mille Véridiques ne témoignent qu’il est un hérétique. » Parce que lorsqu’il révèle des vérités relevant du secret, les Véridiques n’ont d’autre choix que de le condamner par souci de préserver les apparences de la voie légale immaculée. » » Et le Sheikh Muhyî ad-Dîn ajoute : « Nous-mêmes et les gnostiques avons connu de grandes épreuves en divulguant certaines connaissances et certains secrets. D'aucuns nous accusèrent d’hérésie et nous firent endurer les pires tourments. Nous étions comme un prophète discrédité par les siens et à qui ne se rallient que quelques individus. Nos plus belliqueux ennemis ne sont autres que ces gens qui défendent des idées par imitation servile. Quant aux philosophes, ils nous prennent pour des extravagants à l’imagination corrompue et à la raison déficiente. Si seulement ils nous considéraient comme ils considèrent les gens du livre et qu’ils ne nous dénigraient pas sur des propos qui ne contreviennent aucunement à la voie légale, nous nous en accommoderions. Néanmoins, grâce à Dieu, les réprobations qu’ils nous manifestent par ignorance ne nous touchent pas. » Il dit dans le chapitre quatre cent trente-huit : « Les gens condamnent les sciences des gens de Dieu, parce que celles-ci leur sont données par des voies singulières et inaccoutumées, ces voies étant celles du dévoilement. En effet, la plupart des gens acquièrent les sciences par voie de réflexions et ils nient de ce fait les sciences acquises par un autre biais. De fait, tout le monde n’est pas capable de polir le miroir de son cœur par l’effort et l’exercice spirituel, jusqu’à pouvoir comprendre la parole de Dieu et s’inclure parmi eux. Mais s’il en est ainsi, c’est en vertu de sagesses et de secrets appartenant à Dieu. » Et il dit dans le chapitre quatre cent trente-huit : « Si quelqu’un aspire à comprendre les enseignements insaisissables du verbe de Dieu et de la parole de Ses prophètes et de Ses saints, il doit renoncer à ce monde jusqu’à ce que sa pensée y soit complètement réfractaire et jusqu’à ce qu’il soit enjoué lorsqu’il est privé de ce qu’il procure. Si un homme convoite ce bas monde, il ne saurait en aucun cas pénétrer les connaissances hermétiques. » Il dit encore dans le chapitre trois cent quatre-vingt-deux : « Quiconque aspire à pénétrer les subtilités de la voie légale et résoudre les mystères des sciences de l’unicité, doit renoncer à tous les jugements que lui livre sa raison et sa pensée, puis il doit se représenter la révélation de son Seigneur et dire à sa raison, si celle-ci le dispute : « Tu n’es qu’un serviteur comme moi. Comment pourrais-je faire fi de ce que le Très-Haut dit de Lui-même dans certains versets, en termes d’attributs par exemple, sous prétexte que tu es incapable de le comprendre. Tu ne parviens pas même à te connaître toi-même, comment pourrais-tu connaître ton Seigneur. Si tu faisais preuve d’impartialité, tu te contenterais du jugement que dictent la foi et les textes de références, et tu fonderais tes vues et tes démonstrations sur l’enseignement de ton Seigneur, exalté soit-Il. » Il s’étend longuement sur ce sujet. Il dit sur le même sujet, dans le chapitre deux cent quarante-six des Futûhât : « Gardes-toi bien de ne pas mesurer les choses de la révélation à l’aune de ton opinion dans 43 les sciences officielles. Emploie-toi au contraire à faire selon ce qu’elle prescrit. Et si tu la comprends différemment des gens sur un point que définit le sens obvie du texte, ne te fie pas à ton jugement, car il s’agit d’une ruse divine maquillée en science divine dont tu n’as pas conscience. » Il s’étend longuement sur ce sujet. Puis il dit : « Donner la prévalence à un [prétendu] dévoilement sur les textes de référence n’est pas recevable selon nous. Car les gens se laissent souvent abuser. Sans quoi, un dévoilement véritable est toujours conforme à ce que dit explicitement la voie légale. Aussi, quiconque donne la prévalence à ses dévoilements sur les textes, sort du fil unissant ces perles que sont les gens de Dieu et s’assimile aux hommes œuvrant en pure perte. » Il dit dans le chapitre cent quatre-vingt-cinq : « La balance de la révélation posée sur terre correspond à la voie légale que détiennent les savants. Lorsqu’un saint s’écarte de cette référence alors qu’il jouit de toute sa raison et demeure par conséquent responsable de ses actes, il convient de le condamner. Si en revanche il est dominé par un état, il convient d’accepter cet état et de ne pas le condamner. Car dans ce cas, il n’est pas soumis aux règles applicables aux gens raisonnables. Néanmoins, s’il commet un acte impliquant une sanction prescrite par la voie légale et que le juge l’établit formellement, la sanction doit lui être appliquée. C’est incontournable. Il ne peut prétexter pour échapper à la sentence qu’il est comme les gens de Badr, parce que les sanctions demeuraient applicables à ceux-ci dans ce monde. C’est uniquement dans l’au-delà qu’ils n’encouraient plus aucune sanction. Car si le Seigneur déclare à Son serviteur : « Fais ce que tu veux, je t’ai d’ores et déjà pardonné. »97, c’est bien que ses transgressions éventuelles demeurent des transgressions du point de vue légal. Parce que le pardon implique une faute. C’est pourquoi Dieu a dit : « Je t’ai pardonné et n’a pas dit : « J’ai rendu caduque toute sanction à ton encontre. » Aussi, si un juge applique une sanction et un châtiment contre un tel homme, ce juge en sera récompensé. Mais le signe qu’un homme est sous l’emprise d’un état est qu’il est préservé de la personne en charge d’appliquer les peines. Il arrive par exemple que la main de celui-ci se paralyse et ne parvienne plus à se tendre vers lui. » Il dit dans le chapitre deux cent soixante-trois : « Sache que l’essence de la voie légale est l’essence même de la voie des vérités spirituelles. Car la voie légale évolue dans deux cercles inscrits l’un dans l’autre, l’un étant supérieur à l’autre. Le cercle supérieur est celui des gens de dévoilement et le cercle inférieur est celui des gens restreints au raisonnement. Il se trouve que lorsque ces derniers examinent les paroles des gens de dévoilement et ne les trouvent pas incluses dans le cercle de leur pensée, ils en concluent que ces paroles sont étrangères à la voie légale. C’est pourquoi les gens du raisonnement condamnent les gens de dévoilement, tandis que ces derniers ne condamnent pas ces premiers. L’homme alliant le dévoilement au raisonnement est le sage de son temps. Les sciences intelligibles constituent un des deux extrêmes de la voie légale et les sciences du dévoilement l’autre extrême. Ces deux formes de sciences sont donc indissociables. Mais comme les hommes capables de les réunir sont rares, les gens de sciences extérieures ont pour habitude de les dissocier. Si les choses n’étaient pas ainsi faites, Moïse n’aurait pas cessé de condamner les actes d’al-Khidr. S’il n’avait pas compris qu’il était dans le vrai, il aurait réprouvé ses actes à la fin de leur rencontre comme au début. » 97 C’est ce que Dieu aurait dit au sujet des croyants ayant participé à la bataille de Badr selon un hadith. 44 Il dit dans le chapitre cinq cent vingt et un : « Sache que les bandits de grand chemin hantant la route des vérités intelligibles sont les équivoques qui se présentent à la raison ; et les bandits de grand chemin hantant la route des vérités révélées sont les interprétations abusives. Or le voyageur n’a d’autre choix que d’emprunter un de ces deux chemins. S’il arrive à un point dénué de toute équivoque et de toute interprétation, c’est que son voyage s’achève. » Il dit par ailleurs dans le chapitre soixante-douze : « Les critères sur lesquels se basent les saints abordant la théologie ne les sortent jamais de la voie légale. La protection dont ils jouissent les préserve de la contredire en quoi que ce soit, même si les gens du commun s’imaginent qu’ils le font. Car il ne s’agit pas d’avis contraires à la voie légale sur les points concernés, mais de réalités qui apparaissent telles à ceux qui se basent sur des critères d’un niveau inférieur. Et cela ne diminue en rien la science des gens de Dieu, exalté soit-Il. » Il s’étend longuement sur ce point, puis il ajoute : « Les critères légaux sont au nombre de trois. Le premier est le critère du consensus, le second celui du dévoilement et la troisième celui de la déduction absolue98. En dehors de ces trois critères, toute position ne correspond qu’à un avis personnel auquel les gens de Dieu n’accordent aucune autorité. » Il dit dans le chapitre deux cent soixante six : « Garde-toi, lorsque tu entends une idée étayée par un verset coranique, de dire hâtivement qu’il ne convient pas de vouloir créditer cette idée par ce verset. Prends le temps de bien la considérer, car le rang du verbe divin est tel qu’il englobe dans sa grandeur toutes les acceptions que les commentateurs d’entre les imams reconnus ont pu exprimer. Ce qui n’est pas vrai d’autres livres. » Il s’étend longuement sur ce point, puis il ajoute : « Mais il est évident que l’interprétation du Coran a pour condition de s’en tenir à ce que la lettre peut comporter d’acceptions. Sans quoi l’individu qui interprète le Coran sur la seule base de son avis personnel se comporte en impie. » Il dit dans l’introduction des Futûhât : « Garde-toi de condamner en hâte une idée soutenue par un philosophe ou un mutazilite, par exemple, et de dire que cette idée appartient à la philosophie seule ou à la doctrine mutazilite seule. C’est l’attitude de gens peu avertis. En effet, toutes les idées des philosophes ne sont pas fausses et il se peut qu’une idée soit la vérité donnée en partage à tel ou tel philosophe. C’est d’autant plus justifié si le législateur - Dieu lui consente la grâce et le salut – soutient expressément la même idée, ou si un savant de référence, un compagnon, un successeur des compagnons ou un des imams orthodoxes la soutient. Les sages d’entre les philosophes ont rédigé de nombreux ouvrages regorgeant de sagesses, d’exhortations visant à s’affranchir des passions, de mises en gardes contre les duperies de l’âme, d’études introspectives de la conscience humaine. Or tout cela correspond à des sciences authentiques conformes aux prescriptions légales. Ne t’empresse donc pas, mon frère, de les contester. Considère ce que dit le philosophe en question avec circonspection jusqu’à en avoir une idée claire, car il se peut que sa parole soit juste et concorde avec la voie légale, soit que le législateur lui-même l’ait exprimée, soit qu’un savant l’ait fait. Si quelqu’un allègue que tel savant a entendu telle ou telle idée d’un philosophe, ou l’a lu dans un ouvrage de philosophie, sans savoir que cette idée est vraie et conforme à la voie légale, il fait preuve d’ignorance et se rend coupable de calomnie. Il se rend coupable de calomnie parce qu’il allègue un fait sans en avoir été témoin ou sans en avoir une preuve 98 Ijtihâd mutlâq. 45 formelle ; et il fait preuve d’ignorance parce qu’il ne sait pas distinguer le vrai du faux sur le point en question. Son allégation le sort ainsi du cadre de la science et de la sincérité pour l’inclure au nombre des ignorants, des menteurs, des insensés et des incohérents, et elle l’écarte de la voie des gens de vérité par son esprit de parti exacerbé 99. Reçois-donc, mon frère, les idées qu’un philosophe ou un mutazilite te présente, puis examine-les précautionneusement en cherchant en toi-même la guidance, jusqu’à ce que la signification t’apparaisse avec clarté. Cela vaut mieux que de devoir dire au jour du jugement : « Malheur à nous ! Nous étions inconscients de ce fait. Pire encore ! Nous étions iniques. »100 Il dit dans le chapitre deux cent vingt-six des Futûhât : « Sache que si les philosophes font l’objet de certaines réprobations, ce n’est pas parce qu’ils s’appellent « philosophes », mais parce qu’ils énoncent des erreurs dans les sciences relatives au divin. Sans quoi, le nom de philosophe en lui-même ne signifie rien de plus qu’aspirant à la sagesse, le terme sofia en grec signifiant la sagesse. Et, assurément, tout être sensé aime la sagesse. Néanmoins, les penseurs se basant essentiellement sur la raison sont plus souvent dans l’erreur que dans le vrai concernant les sciences du divin, qu’il s’agisse de philosophes ou de mutazilites, les deux se fondant sur des avis personnels. » Le Sheikh Muhyî ad-Dîn déclare aussi dans son livre Lawâqih al-anwâr : « J’accomplissais une retraite spirituelle et je cherchais à percer le mystère du prophète Idrîs101. C’est alors que je compris l’erreur qui fit adopter aux philosophes des interprétations abusives. C’est qu’ils reçurent leur science d’Idrîs – Dieu soit satisfait de lui. Or quand celuici fut élevé au ciel102, les gens divergèrent sur l’interprétation de la voie légale qu’il leur légua, tout comme les savants musulmans divergent sur la nôtre : certain considérèrent licite ce que les autres considérèrent illicite et inversement. » Il dit dans l’introduction des Futûhât : « La véracité d’une doctrine est d’autant plus grande qu’elle se fonde sur des références indubitables. C’est si vrai que ceux qui adoptent une croyance reposant sur un héritage certain du législateur sont mieux préservés et entretiennent une croyance plus fiable que ceux qui se fondent sur des arguments intelligibles. Parce que si l’homme est un peu perspicace, il ne manquera pas de voir les points d’incertitude et les contradictions qui peuvent affecter son argumentaire. Aussi verra-t-il que ses pas sont chancelants et il craindra de se perdre complètement. » Le Sheikh s’étend longuement sur ce sujet, et il dit : « Médite les paroles des gens du raisonnement103, tu verras que lorsqu’ils s’emploient à examiner une question jusqu’à se forger un avis personnel en trouvant les arguments pour le défendre, cela leur donne la conviction d’être parvenu au signifié [du texte]. Mais voilà qu’un détracteur de la faction adverse, qu’il soit mutazilite ou ascharite, vient bientôt leur opposer un fait contestant et ébranlant la conclusion « péremptoire » à laquelle ils avaient abouti. Ils considèrent alors que leur premier argument 99 Hamiyya al-Jahilliyya : ou esprit clanique de la période d’ignorance préislamique. Coran 21 : 97. 101 Idrîs est habituellement assimilé à Énoch, inventeur de l’écriture selon la tradition musulmane. D'autres l’assimilent à Hermès, lequel serait l’initiateur de la philosophie. 102 Le Coran dit d’Idrîs : « Nous l’avons élevé en en lieu sublime. » Il aurait été élevé ainsi de son vivant, selon la tradition. Mais les interprétations divergent sur ce que désigne ce lieu. On peut y voir le paradis ou une station spirituelle éminente. Le terme coranique « ‘aliyân » vaut 111 et indique le lieu polaire. 103 ‘Uqalâ’ 100 46 était erroné et qu’il ne respectait pas pleinement leurs critères canoniques sur ce point ! Leur connaissance est-elle comparable à celle d’hommes suivant avec lucidité l’héritage indubitable que leur a légué le législateur ? Les connaissances que ces derniers acquièrent sont à l’image des réalités nécessaires appréhendées par la raison : elles sont indubitables. Car le discernement spirituel104 est aux gnostiques105, ce que les lois nécessaires sont à la raison. Ce qui est à l’inverse des postulats émis par la raison. Ceux-ci demeurent en proie aux incertitudes et aux doutes. C’est pourquoi les arguments des ascharites peuvent faire douter les mutazilites et inversement. Et il n’est de doctrine établie par un glossateur 106 ou un théologien qui ne puisse être mise en défaut. En outre, les acharites se définissent tous comme tels, mais on constate pourtant qu’Abû al-Ma‘âlî conteste ce que dit al-Qâdî ‘Ayâd107 ; et que ce dernier conteste ce que dit al-Ustâdh ; et que ce dernier conteste ce que dit le Sheikh Abû al-Hasan al-Ash‘arî108. Tous se considèrent pourtant ascharites. Et il en va de même des savants des autres écoles théologiques qu’ont fondées les glossateurs. » Le Sheikh s’étend sur cette question, puis il dit : « Sache que les spécialistes de la théologie spéculative ne sont pas excusables d’ignorer [les vérités dogmatiques] qu’il leur incombe de connaître ; et que les connaissances héritées de manière certaine conduisent à un savoir plus fiable que les sciences enseignées par la théologie spéculative. C’est ce qu’indique par exemple notre témoignage concernant les communautés des époques passées. Nous reconnaissons en effet que le prêche du Vrai, exalté soit-Il, leur est parvenu, alors que nous n’étions pas là pour le voir. Nous ne faisons donc que prêter foi en la parole du Seigneur qui nous informe de ce fait dans Son Livre au sujet des peuples de Noé, de ‘Ad, de Thamûd, de Pharaon etc. Or au jour du jugement, la foi en cela ne sera acceptable que de la part de ceux qui en étaient convaincus en ce monde. » Il dit dans le chapitre deux cent quatre-vingt : « Sache que l’adoration d’un individu n’est recevable que dans la mesure où il fonde sa connaissance du Seigneur sur des bases certaines. Quant à l’homme qui se représente un adoré en lui-même sur la base de conjectures et non de certitudes, sa croyance conjecturale lui sera fatalement source d’affliction et ne lui sera d’aucun secours face à Dieu. » Il dit par ailleurs en exergue des Futûhât : « Pour qu’une conviction puisse être adoptée de manière certaine, une des conditions est qu’elle provienne d’un texte transmis par des voies indubitables109 ou d’un dévoilement avéré. Quiconque ne possède qu’une source d’information authentique sur la question qui l’intéresse, peut s’en suffire pour juger s’il s’agit d’une question relative à ce bas-monde. Si en revanche il s’agit d’une question relative à l’au-delà, il ne doit pas l’adopter comme une conviction clairement définie 110. Il doit se dire : « Si cette information sur la question provient bien de l’Envoyé de Dieu telle qu’elle m’est parvenue, alors j’y crois comme je crois à toute parole du Très-Haut et de Son Envoyé 104 Basîra. Litt. Les savants [en sciences relatives] à Dieu. 106 Mujtahid 107 Le texte mentionne uniquement al-Qâdî. Il s’agit de l’un des sept saints de Marrakech dont le mausolée est situé à la porte Aylen. Né en 476 H/1083 EC à Sebta au Maroc, Abû al-Fadhl ‘Ayâd est l’auteur du célèbre Kitâb ach-Chifâ qui constitue un des plus beaux éloges du Prophète. 108 Savant qui donna son nom à la doctrine ascharite. 109 Mutawâtir. 110 Sans doute parce que les informations relatives à l’au-delà sont souvent exprimées de manière imagée correspondant à des réalités indescriptibles. 105 47 Dieu lui consente la grâce et le salut – qu’elle me soit parvenue ou non. Il ne convient d’adopter un dogme que sur la base d’information transmise de façon certaine, qu’elles proviennent de textes hérités par des voies indubitables, ou qu’elles procèdent de preuves rationnelles, à condition que celles-ci ne contredisent pas un texte certain avec lequel elles sont parfaitement inconciliable. Dans un tel cas, il convient de renoncer à l’argument rationnel et de se baser sur le texte. Le croyant doit s’en tenir à cette information, mais en la considérant comme une connaissance, non comme une conviction, car la réalité évoquée peut être différente de ce que la croyance laisse imaginer. Le Sheikh Abû al-Hasan ash-Shâdhilî – Dieu lui fasse miséricorde – dit à ce sujet : « Les sciences qu’enseignent la théologie spéculative ne sont que des illusions comparées aux sciences acquises par voie d’intuition. » » Le Sheikh Muhyî ad-Dîn – Dieu soit satisfait de lui - déclare aussi dans le chapitre deux cent soixante-treize : « Pour ce qui concerne la connaissance de Dieu, garde-toi de te satisfaire de moins que le dévoilement, comme le font les gens de spéculation dogmatique et les théologiens. Car ceux-ci s’imaginent être parvenus au but en posant quelques jalons et en constatant certaines réalités. On les voit se reposer complaisamment sur le dogme figé auquel ils ont abouti, et accuser d’impiété quiconque les contredit. C’est là une grande insuffisance en fait de connaissance. S’ils élargissaient leur horizon, ils conviendraient que l’ensemble des adeptes de l’unicité dispose [d’une] vérité 111. » Et Dieu en sait davantage. Nous arrivons ainsi au terme de l’introduction de cet ouvrage, grâce en soi rendue au Seigneur. Nous allons maintenant aborder différentes études relevant des sciences théologiques en nous reposant sur les principes de base puis le développement de la doctrine du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Nous procéderons ainsi à l’inverse des détracteurs du Maître qui ont pour habitude de citer de lui des paroles singulières et hors de leur contexte, si bien que le lecteur n’a quasiment pas d’autre choix que de les rejeter. La sagesse veut en effet qu’un accès soit précédé d’un corridor. J’ai introduit chaque étude du livre par les différents avis des théologiens afin de faciliter la compréhension des paroles des gens de dévoilement. J’ai ensuite rapporté un certain nombre de citations de ces derniers sur le sujet traité. Ma démarche aura été en somme de présenter les questions qui se posent, puis d’y donner réponse à travers des citations, afin que les problématiques soulevées apparaissent clairement à l’étudiant, s’il plait à Dieu. Puisse Dieu m’accorder le concours de sa gracieuse providence en cette tâche. 111 Ou qu’ils sont dans le vrai [d’une certaine manière]. 48
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