TRAITEMENT TVA DES PRESTATIONS DE SERVICES PAR

Transcription

TRAITEMENT TVA DES PRESTATIONS DE SERVICES PAR
F I S CALITÉ
TVA
N ICOLAS CAN DAUX
A R N AU D CY W I E
FRÉDÉRIC MOREL
TRAITEMENT TVA DES PRESTATIONS DE SERVICES
PAR INTERNET
Apport de la jurisprudence récente
Il ne fait plus aucun doute qu’Internet occupe une place fondamentale dans l’économie mondiale et que celle-ci va encore s’accroître. Ce développement va vraisemblablement engendrer de nouvelles problématiques fiscales, notamment en relation
avec la détermination du lieu de la prestation en matière de TVA. À ce titre, l’arrêt du
Tribunal fédéral du 20 mai 2013 développe des éléments intéressants permettant de
mieux délimiter les prestations de services fournies par Internet.
1. INTRODUCTION
Internet connecte désormais des milliards d’individus et le
commerce électronique prend une place de plus en plus fondamentale dans le chiffre d’affaires des entreprises, tant
dans le business to business que dans la relation finale avec les
consommateurs.
Les millions de transactions découlant de l’e-commerce,
qu’il s’agisse d’acheter de la musique, des films, de réserver
ses vacances ou encore de faire de la publicité, posent évidemment de nombreux problèmes fiscaux particulièrement complexes du fait du caractère international et immatériel de ces
opérations, mais également en raison des législations parfois inadaptées à l’évolution fulgurante du numérique. La
problématique est évidemment très vaste. Aussi, la présente
contribution se concentre sur certains aspects de la TVA
suisse liée aux prestations de services effectuées par Internet.
Après quelques considérations d’ordre général sur la TVA
en matière de prestations de services, en particulier concernant les prestations de services fournies par Internet, nous
proposerons une analyse de la jurisprudence récente traitant
des prestations fournies par des sites de rencontre en ligne
et y apporterons quelques critiques.
2. PRESTATION DE SERVICES EN MATIÈRE
DE TVA
La TVA est prélevée sur des prestations définies comme étant
«le fait d’accorder à un tiers un avantage économique consom-
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mable dans l’attente d’une contre-prestation » (art. 3, let. c
ab initio LTVA). Une telle prestation peut être qualifiée soit
de livraison de biens (art. 3 let. d LTVA et art. 7 LTVA) soit de
prestation de services (art. 3 let. e LTVA et art. 8 LTVA).
2.1 Délimitation avec la livraison de biens: le cas d’Internet. La loi définit de manière négative la prestation de services par rapport à la livraison de biens, (art. 3 let. e première
phrase LTVA) [1]. La distinction entre ces deux concepts essentiels de la TVA est fondamentale, les règles de localisation
étant totalement différentes [2] (art. 7 et 8 LTVA) mais
­indispensables pour savoir si l’opération est soumise ou non
à TVA, cet impôt ne frappant que les prestations effectuées
sur le territoire suisse (art. 1 al. 1 dernière phrase LTVA). Dans
ce cadre, il convient de se baser sur l’ensemble des circonstances entourant l’opération et ce à travers un prisme économique [3].
Cette délimitation est d’autant plus importante que, dans
un contexte international, une différence de qualification
peut conduire à une non-imposition ou à des doubles impositions, avec des conséquences majeures. Il n’existe en effet
aucun accord international en vue d’éviter des doubles im­
positions en matière de TVA et les taux applicables actuellement dans les pays de l’Union européenne sont nettement
­supérieurs aux taux suisses, oscillant entre 19% et 27% [4].
En matière d’Internet, la variété des services proposés (téléchargements de logiciels, services bancaires, éducatifs, de
NICOLAS CANDAUX,
ARNAUD CYWIE,
AVOCAT, MAS/LL.M.,
MLAW IN LAW AND
UNIVERSITÉ DE GENÈVE,
ECONOMICS (LAUSANNE),
BOREL & BARBEY,
BOREL & BARBEY,
GENÈVE
GENÈVE
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divertissement) [5] ainsi que leur mode de fourniture rend délicate la délimitation entre livraison de biens et prestations
de services. Ainsi, l’opération devrait-elle être traitée différemment selon que le produit acheté est téléchargé ou
consulté en ligne? Faut-il traiter différemment l’acquéreur
d’un bien (matériel) et le destinataire d’une prestation effectuée via Internet [6]? En réalité, l’usage d’Internet a souvent
pour effet de modifier la qualification juridique de l’opération [7].
2.2 Principe de l’article 8 LTVA. S’il est souvent délicat de
distinguer la prestation de services de la livraison de biens, il
est aussi difficile, de délimiter les diverses prestations de
services. Or, si les règles de localisation divergent selon que
l’on tombe sous les dispositions de l’article 7 ou de l’article 8
LTVA, celles-ci sont également différentes au sein de l’article 8 LTVA lui-même.
L’article 8 al. 1 LTVA pose comme principe général de rattachement celui du lieu du siège du destinataire [8] (localisation auprès du client). Toutefois, la loi énumère à l’article 8
al. 2 LTVA différents services dont le lieu est soumis à une réglementation particulière, soit notamment les prestations
de services qui sont d’ordinaire fournies directement à des
personnes physiques présentes.
2.3 Le cas particulier des prestations de services en matière informatique ou de télécommunications (art. 10
al. 2 let. b deuxième phrase LTVA). Le simple fait de fournir des prestations en Suisse ne suffit pas pour fonder une
obligation d’assujettissement au sens de la LTVA, puisqu’il
faut encore analyser les règles concernant le sujet de l’impôt.
Dans ce contexte, l’article 10 al. 1 LTVA pose le principe général de l’assujettissement tandis que son al. 2 prévoit les
clauses de libération d’assujettissement, en particulier celle
prévue à la let. b, première partie LTVA concernant les entreprises ayant leur siège à l’étranger fournissant exclusivement,
sur le territoire suisse, des prestations soumises à l’impôt sur
les acquisitions en application de l’article 45 LTVA [9]. La
deuxième partie de l’article 10 al. 2 let. b LTVA prévoit cependant quant à elle une contre-exception essentielle, déjà prévue dans le Message [10], concernant les services en matière
informatique ou de télécommunications [11].
Il est donc indispensable de déterminer si l’entreprise
étrangère doit s’assujettir ou si, au contraire, les consommateurs sont tenus de s’acquitter de l’impôt sur les acquisitions, sous réserve du dépassement du seuil prévu à l’article 45 al. 2 let. b LTVA.
FRÉDÉRIC MOREL,
EXPERT-COMPTABLE
DIPLÔMÉ,
EXPERT FISCAL DIPLÔMÉ,
BOREL & BARBEY,
GENÈVE
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3. APPORT DE LA JURISPRUDENCE: L’ARRÊT
DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF FÉDÉRAL (TAF)
DU 2 OCTOBRE 2012 [12] ET L’ARRÊT
DU TRIBUNAL FÉDÉRAL DU 20 MAI 2013 [13]
3.1 État de fait: le cas des sites de rencontre. Dans cette affaire, une société étrangère exploitait de nombreux sites de
rencontre sur Internet et proposait des rencontres purement
virtuelles, les participants étant libres de se rencontrer physiquement par après. Divers services sur le web (créations de
profils, inscription dans des répertoires, accès à des informations relatives à d’autres utilisateurs, visite de boutiques en
ligne, etc. [14]) étaient alors proposés aux internautes qui
payaient des montants variant selon la catégorie de membres
à laquelle ils appartenaient.
Suite à l’indication de la société qu’elle réalisait un chiffre
d’affaires provenant de prestations de services fournies sur
le territoire suisse de près de CHF 4 000 000, l’Administration
fédérale des contributions (AFC) a considéré que la société était assujettie à la TVA et l’a donc immatriculée auprès de son registre, ce que la société a formellement contesté. Par ailleurs,
l’AFC l’a invitée à désigner un représentant fiscal en Suisse
et à fournir une caution.
Avant d’aborder l’arrêt du Tribunal fédéral, il nous semblait important, dans un premier temps, d’analyser l’arrêt
rendu par le Tribunal administratif fédéral dans la même affaire.
3.2 Analyse de la jurisprudence
3.2.1 L’arrêt du Tribunal administratif [15] fédéral du 2 octobre 2012.
Aucune des parties ne contestait le fait que les prestations offertes par la société constituaient des prestations de services,
si bien que la distinction avec la livraison de biens ne constituait pas l’objet du litige [16].
Dans cet arrêt, le TAF analyse successivement deux problématiques:
 la détermination du lieu de la prestation de services afin de
savoir si celle-ci est localisée en Suisse et entre ou non dans le
champ de la TVA (cf. 3.2.1.1);
 en cas de réponse positive à cette première analyse, l’assujettissement concerne-t-il les utilisateurs finaux (art. 10 al. 2
let. b première partie LTVA et art. 45 LTVA) ou alors la recourante en application de la contre-exception prévue à l’article 10 al. 2 let. b deuxième partie LTVA (cf. 3.2.1.2).
3.2.1.1 Le lieu de la prestation de services (art. 8 al. 1 et 2 LTVA).
Après un rappel de la loi et de ses principes de base (cf.
chiffre 2), le TAF se réfère notamment au droit européen pour
mettre en lumière le fait que celui-ci n’érige pas aussi largement qu’en Suisse le lieu du destinataire en tant que principe
de base lorsqu’il est question de prestations de services et
pose une distinction inexistante en Suisse entre le B2C et le
B2B. Toutefois, selon le Tribunal, il a été «sciemment renoncé», en Suisse, au système du droit européen, ceci étant
contrebalancé par une description abstraite des prestations
de l’article 8 al. 2 LTVA imposées au lieu du prestataire.
Si, dans le cas d’espèce, la majorité des exceptions de l’article 8 al. 2 LTVA devaient être exclues prima facie, la notion de
«prestations de services qui sont d’ordinaire fournies direc-
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Tableau: PRESTATION DE SERVICES FOURNIE PAR UNE ENTREPRISE AYANT SON SIÈGE À L’ÉTRANGER À DES PERSONNES PHYSIQUES EN SUISSE (APPLICATION DE L’ART. 8 AL. 2 LET. A LTVA?)
Prestation de services fournie d’ordinaire par Internet?
Oui
Non
Le lieu de la prestation est le lieu du destinataire
(art. 8 al. 1 LTVA)
Le lieu de la prestation est le lieu du prestataire
(art. 8 al. 2 let. a LTVA)
Assujettissement du prestataire ou du destinataire?*
Conseil fourni avec lien entre prestataire/destinataire
(p. ex. échange de courriels)
Oui
Non
Libération de l’assujettissement du prestataire
(art. 10 al. 2 let. b ab initio)
Assujettissement du destinataire
(art. 45 LTVA)
Assujettissement du prestataire ayant son
siège à l’étranger (art. 10 al. 2 let. b in fine LTVA),
nomination d’un représentant fiscal (art. 67 LTVA)
*analyse dans le cas du conseil
tement à des personnes physiques présentes, même si elles
sont exceptionnellement fournies à distance» (art. 8 al. 2
let. a LTVA) devrait être analysée. En effet, si les prestations
tombaient dans cette exception, le lieu des prestations serait
hors de Suisse, la société ayant son siège à l’étranger.
Le TAF, Message à l’appui, rappelle que la liste de prestations prévues à l’article 8 al. 2 let. a LTVA n’est pas exhaustive.
De plus, le Tribunal se demande si les prestations offertes par
la société peuvent se rattacher d’une quelconque manière à
l’article 8 al. 2 let. a LTVA, ce à quoi il répond par la négative.
En effet, par définition, un site de rencontre ne correspond
pas à une prestation fournie entre présents et ne peut être
comparé à aucune autre activité non virtuelle.
Le TAF ferme encore un peu plus la porte à toute assimilation avec l’article 8 al. 2 let. a LTVA en rappelant que, selon
lui, la liste doit s’appliquer avec retenue pour des prestataires «qui agissent uniquement par l’intermédiaire des
moyens de télécommunication virtuelle». Ainsi, même si la
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société offrait des prestations assimilables à celles de l’article 8 al. 2 let. a LTVA, il n’est pas sûr que le lieu de telles prestations soit celui du prestataire (question laissée ouverte par
le Tribunal).
Partant, le TAF applique le principe général de l’article 8
al. 1 LTVA: le lieu des prestations fournies à des consommateurs suisses se trouve en Suisse.
3.2.1.2 Assujettissement du prestataire ou des consommateurs finaux? Après quelques rappels généraux, le Tribunal,
dans un long considérant, s’attache à cerner la notion de prestations en matière informatique, afin de déterminer qui de
la société ou des clients est assujetti à la TVA.
Après une analyse des sources juridiques internes, le TAF
arrive à la conclusion qu’aucune d’elles ne permet de déterminer à quels genres de prestations correspond un «bouquet
de sites de rencontres». S’il est exact que l’OTVA propose
quelques énumérations sur ce qui peut ou ne peut pas être
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considéré comme des prestations en matière d’informatique ou de télécommunications (art. 10 al. 1 et 2 OTVA), les
publications de l’AFC n’apportent guère de précisions, puis­
qu’elles ne font que reprendre les exemples de l’ordonnance.
Ainsi, le TAF va puiser son inspiration dans le droit européen,
en particulier dans la directive 2006/112/CE du 28 novembre
« Les jurisprudences évoquées
dans le présent article apportent
une clarification bienvenue
de la notion de prestation de services
en matière informatique,
même si de nombreuses incertitudes
demeurent.»
2006 et son règlement d’exécution 282/2011 du 15 mars 2011.
Ce règlement définit les services fournis par voie électronique (par. 1) et en donne une liste exemplative détaillée
(par. 2) ainsi que des contre-exemples (par. 3), la différence
principale entre ces deux listes reposant, comme le relève à
juste titre le Tribunal, sur l’intensité de l’intervention humaine.
Au vu de cette analyse, le TAF considère que les contre-exceptions permettant de soumettre à la TVA des prestations
qui y échappaient en vertu de l’exception, pourraient s’interpréter non pas de manière restrictive mais de manière extensive, car cela ne fait que rétablir le principe de base de l’imposition générale sur la consommation. Au demeurant, concernant spécifiquement les sites de rencontre, une analogie
avec la mise à disposition de données (et de jeux) prévues
dans la liste de l’OTVA s’impose, la recourante offrant ce service, peu importe que les données ne soient pas récoltées par
celle-ci. Les prestations de la recourante ne tombent en tout
cas pas dans l’article 10 al. 2 OTVA.
Le recours est ainsi rejeté et les prestations de la société
(sites de rencontre) sont considérées comme étant des prestations de services en matière informatique qui ont lieu en
Suisse concernant les utilisateurs suisses, si bien que la société est tenue de se soumettre à la TVA et qu’un représentant fiscal doit être désigné, la société n’ayant pas de siège
dans notre pays.
3.2.2 L’arrêt du Tribunal fédéral [17] du 20 mai 2013
3.2.2.1 La confirmation de l’application de la clause générale
de l’article 8 al. 1 LTVA. Dans son analyse du lieu de la prestation de services, le TF rappelle lui aussi le nouveau principe
de la LTVA du lieu du destinataire avec comme exception l’article 8 al. 2 let. a LTVA [18].
Après avoir rappelé que la liste de l’article 8 al. 2 let. a LTVA
n’est pas exhaustive, le TF insiste sur le fait que même s’il est
admis que les prestations de services de l’article précité
peuvent être fournies à distance, il ressort des termes légaux
que cette entorse doit rester l’exception ou «à tout le moins
rester accessoire par rapport à la manière habituelle dont les
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prestations de services sont délivrées». Ainsi, et c’est un point
central de l’arrêt, l’entrée ou non d’une activité dans le champ
d’application de l’article 8 al. 2 let. a LTVA dépend du mode
de fourniture habituel des prestations (entre personne présentes ou à distance) et non de leur contenu. Telle est en particulier la volonté du législateur afin d’éviter une distorsion
de concurrence découlant d’une potentielle double imposition ou non-imposition des prestations immatérielles.
Suite à ces explications le TF confirme, avec une motivation
légèrement différente, la conclusion du TAF, autrement dit
que les services de la société sont réputés situés en Suisse.
3.2.2.2 Assujettissement du prestataire ou des consommateurs finaux? Le TF analyse également si les prestations de la
société sont susceptibles de tomber ou non sous l’article 10
al. 2 let. b deuxième phrase LTVA. Cette analyse nécessite de
s’attacher à la définition de la notion «en matière informatique», au sujet de laquelle la Haute Cour confirme notamment les considérants du TAF dans l’arrêt précité, qui relevaient que les travaux préparatoires ne définissaient pas
cette notion mais que les motifs d’exonération de l’impôt devaient être interprétés restrictivement, afin d’éviter une distorsion de la concurrence entre opérateurs suisses et étrangers.
À l’instar du TAF, le TF poursuit son raisonnement, en citant le catalogue non exhaustif de prestations en matière informatique de l’article 10 OTVA et ses exclusions (les services
de la société n’étant explicitement définis nulle part). Le TF
se réfère également au droit européen en se basant entre
autres sur l’objectif, affiché par le Message, de compatibilité
de la TVA suisse avec le droit européen. Dans ce cadre, le TF
se réfère aux instruments traditionnels du droit communautaire en la matière, à savoir, la directive 2006/112/CE et
son règlement d’exécution (cf. 3.2.1.2).
Après s’être livré à cet exercice, le TF parvient à la conclusion que les services énumérés à l’article 10 al. 1 let. d à g.
OTVA «concordent en large partie», «voire utilisent des
termes identiques» à ceux de la directive précitée et que les
prestations visées dans la LTVA et la directive sont ainsi de nature similaire [19].
À l’appui de ces arguments, le TF confirme les vues du TAF
mettant en exergue le fait que les sites de rencontre ne sont
disponibles que sur Internet, que les internautes nourrissent
les bases de données en fournissant des indications personnelles [20], que par la panoplie de prestations variées offertes
par les sites, ceux-ci se distinguent des plateformes de rencontre proposées en dehors d’Internet, que le service de
contrôle (intervention humaine de 350 personnes) n’est pas
indispensable au fonctionnement même des sites et enfin que
la fourniture de telles prestations à un aussi grand nombre
de personnes serait impossible (ou du moins trop onéreuse)
sans recours à la technologie de l’information [21].
Par conséquent, les prestations offertes par la société sont
des prestations de services en matière informatique au sens
de l’article 10 al. 2 let. b deuxième phrase LTVA, entraînant
son assujettissement à la TVA et, dans le cas d’espèce, la
nomi­nation d’un représentant fiscal en Suisse ainsi que la
fourniture de sûretés.
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4. CRITIQUES DE LA JURISPRUDENCE
Comme nous l’avons d’ores et déjà évoqué (cf. ch. 2.1), en matière d’Internet, la variété des services proposés ainsi que leur
mode de fourniture rend délicate la délimitation entre livraison de biens et prestations de services.
Toutefois, la place qu’accorde le TF au mode de fourniture
comme unique critère d’importance concernant le champ
d’application de l’article 8 al. 2 let. a LTVA nous paraît disproportionnée. En effet, le but ultime du consommateur, dans
sa démarche de consommation, réside davantage dans le
contenu de la prestation proposée que dans le mode de fourniture.
D’autre part, le TF, tout comme le TAF, fait appel au droit
européen de manière tout à fait inconstante. Si les tribunaux
s’appuient longuement sur le droit européen pour fonder une
partie de leurs conclusions, il est toutefois regrettable qu’ils
ne portent pas un intérêt identique à la décision britannique
du 10 juin 2009 [22] invoquée par la recourante.
Il aurait également été souhaitable que la problématique
du traitement fiscal, appliqué dans le pays du siège de la société, ait été abordée afin de déterminer si, dans le cas d’espèce, cette dernière faisait face à une double imposition effective en matière de TVA ou non.
Enfin, il est toujours malheureux qu’une question juridique d’importance demeure ouverte, en l’occurrence celle
de s’avoir si les prestations en cause doivent être qualifiées de
complexes, avec pour conséquence que les différentes prestations ou composantes accessoires soient soumises à un même
régime juridique, ou traitées en tant que plusieurs prestations indépendantes. Il est fort possible, au vu du développement d’Internet, que notre Haute Cour soit contrainte, dans
un futur proche, de statuer sur cette épineuse problématique.
5. CONCLUSION
Les jurisprudences évoquées dans le présent article apportent
une clarification bienvenue de la notion de prestation de services en matière informatique, même si de nombreuses incertitudes demeurent. Le TF nous livre quatre axiomes permettant de mieux cerner ces prestations [23], à savoir:
Notes: 1) Pour la délimitation des prestations de
services sous l’ancien droit v. Conrady, Paridant de
Cauwere: Prestations de services en cas d’engagement à ne pas commettre un acte ou à tolérer une
situation Portée actuelle et perspectives d’application, in: ECS 11/05 p. 879, spéc. p. 879 s.; v. aussi
Oberson: Qualification et localisation des services
internationaux en matière de TVA, in Archives 69
p. 403, spéc. p. 404. V. aussi Weber: E-Commerce
und Recht – Rechtliche Rahmenbedingungen elektronischer Geschäfstformen, Zweite Auflage, Zurich, 2010, p. 636. 2) Sur la localisation des prestations de services sous le nouveau droit, v. par ex.
Glauser: Impact de la nouvelle LTVA sur la jurisprudence – Les changements fondamentaux, in:
ECS 5/10 p. 245, spéc. p. 248 s.; Salom: L’attribution
du revenu en droit fiscal suisse et international,
Zurich, 2010, p. 112 ss. 3) Mollard, Oberson, Tissot
Benedetto: Traité TVA, Bâle, 2009, p. 230. 4) Commission européenne: Taux de TVA? appliqués dans
les États membres de l’Union européenne, Situation au 13 janvier 2014, http://ec.europa.eu/taxation_customs/resources/documents/taxation/vat/
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 sont de telles prestations «celles dont le fournisseur s’acquitte de manière virtuelle, sur Internet ou via un réseau
électronique similaire, notamment par la fourniture d’informations ou d’autres prestations dématérialisées»;
 ces prestations doivent être délivrées «au destinataire par
des procédés largement automatisés, sans qu’une intervention humaine importante soit requise»;
 ces prestations se distinguent des services de télécommunication;
 il doit être impossible (impossibilité d’ordre technique,
opérationnel, financier, etc.) de fournir ces prestations en
l’absence de technologie de l’information.
Dans ce contexte, il est intéressant de relever que la fourniture ordinaire de prestations de services par Internet «empêche» l’application de l’article 8 al. 2 let. a LTVA (critère du
mode de fourniture de la prestation). Cependant, lors de
l’étude de l’assujettissement à la TVA du prestataire (art. 10
al. 2 let. b LTVA), et contrairement à l’analyse réalisée à l’article 8 LTVA, le mode de fourniture revêt une importance
moindre. En effet, s’il est démontré que les prestations ne
sont pas fournies via des procédés largement automatisés
(des échanges de courriels entre le prestataire et le destinataire semblent être suffisants), la prestation ne sera alors pas
qualifiée de prestation de services en matière informatique
bien qu’elle soit délivrée par Internet. Il incombera ainsi au
destinataire de la prestation de l’annoncer, en application des
articles 10 al. 2 let. b ab initio et 45 ss LTVA.
Cette position stricte du TF quant au champ d’application
de l’article 8 al. 2 let. a LTVA ainsi que son recours variable à
la législation européenne va vraisemblablement conduire à
­l’assujettissement de nombreuses sociétés étrangères à la
TVA suisse. Par conséquent, ces dernières devront être particulièrement attentives aux implications de la jurisprudence,
notamment aux sûretés qu’elles seront contraintes de fournir et au représentant fiscal qui devra être nommé. Enfin, relevons qu’une procédure de consultation sur la révision partielle de la TVA (critères d’assujettissement des entreprises
suisses et étrangères) est ouverte jusqu’au 26 septembre 2014.
n
how_vat_works/rates/vat_rates_fr.pdf. 5) Mollard,
Oberson, Tissot Benedetto, op. cit., p. 232; Oberson:
La loi fédérale sur la TVA appliquée au commerce
électronique, in: ECS 12/01, ch. 2.2.1. 6) Mollard,
Oberson, Tissot Benedetto, op. cit., p. 233. 7) Mollard, Oberson, Tissot Benedetto, op. cit., p. 233.
8) Cela constitue un changement de paradigme essentiel avec l’art. 14 al. 1 aLTVA. V. par exemple
Glauser, op. cit., spéc. p. 248 in fine et 249; v. aussi
arrêt du Tribunal administratif fédéral A-5720/2012
du 19 février 2014, c. 2.5.2 qui dispose notamment
qu’en «ce qui concerne le lieu de la prestation de
services, le système mis en place par l’art. 8 LTVA
diffère fondamentalement de celui qui s’appliquait
sous l’ancienne législation sur la TVA. Cette dernière suivait en effet une ligne inverse et posait
comme règle fondamentale que le lieu des prestations de services correspondait à l’endroit où le
prestataire se trouvait, une série d’exceptions introduisant ensuite des règles spéciales pour divers
types de prestations (cf. art. 14 aLTVA)». 9) Cette
disposition (alinéa 2) est un cas de reverse charge
qui a pour conséquence d’assujettir non pas le
prestataire mais les bénéficiaires. 10) Message sur la
simplification de la TVA du 25 juin 2008, p. 6340.
11) V. par exemple Loosli, Steiger: MWST Aktuell
2/10 – Praxisforum MWST, in StR 65/2010 p. 237 ss.,
spéc. p. 239 s. 12) ATAF A-3206/2011 du 2 octobre
2012. 13) ATF 139 II 346, in RDAF 2013 II 524.
14) RDAF 2013 II 525. 15) Ci-après également le
«TAF» ou le «Tribunal». 16) ATAF A-3206/2011 du
2 octobre 2012, c. 2.3.2.1. 17) Ci-après également le
«TF» ou la «Haute Cour». 18) RDAF 2013 II 528,
c. 6.3.1. 19) RDAF 2013 II 537, c. 7.3.4. La version
germanophone et les travaux préparatoires confirment cela. 20) C’est donc à bon droit que le TAF a
établi des analogies avec la mise à disposition de
banques de données ainsi que la fourniture d’informations en ligne. C’est aussi à bon droit que le TAF
a fait une analogie avec les jeux automatisés en
ligne. 21) RDAF 2013 II 538 ss., c. 7.4.1 ss. 22) RDAF
2013 II 540, c. 7.4.6. 23) RDAF 2013 II 537, c. 7.3.5.
De nombreuses notions juridiques indéterminées
sont utilisées comme «procédés largement automatisés» ou intervention humaine «importante»
ce qui crée une insécurité juridique.
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