Actes-colloque-cybercriminalite-pedopornographie
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Cybercriminalité Pédopornographie Traitements et prises en charge Colloque organisé par l’ASSOEDY Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES Lundi 25 Juin 2012 Association Socio-éducative des Yvelines PALAIS DE JUSTICE DE VERSAILLES 5, place André Mignot 780000 VERSAILLES Association Loi 1901 N° SIRET 334 611 795 00017 Téléphone 01.39.07.39.20 ou 21 Télécopie 01.39.07.35.66 Courriel [email protected] Précédents colloques organisés par l’ASSOEDY LA GARDE ALTERNÉE, 2006 LES VIOLENCES CONJUGALES, 2007 * LA PAROLE DE L’ENFANT, 2008 * MÉDIATION PÉNALE RÉPARATION 2009* Rencontre franco-québécoise JUSTE ET TOXICOMANIE 2010* Les actes (*) sont disponibles sur notre site www.assoedy.org • Fondée en 1973, l’ASSOEDY a son siège au Tribunal de Grande Instance de Versailles • son Conseil d’Administration réunit magistrats, avocats, personnalités de la société civile, médecins, psychologues et travailleurs sociaux • ses équipes pluridisciplinaires sont composées de salariés et de professionnels libéraux • elle intervient à la demande des juridictions en Île-de-France, en Province et si besoin à l’étrangerelle réalise ses missions sur saisine des magistrats, tant au pénal qu’au civil missions au Pénal : contrôle judiciaire socio-éducatif enquêtes de personnalité enquêtes sociales rapides (permanence d’orientation pénale) médiation pénale stages de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants missions au civil : enquêtes sociales expertises psychologiques et médico-psychologiques auditions d’enfants • chaque année, plus de 3.000 personnes sont concernées par ses activités Association Socio-éducative des Yvelines PALAIS DE JUSTICE DE VERSAILLES 5, place André Mignot 780000 VERSAILLES Association Loi 1901 N° SIRET 334 611 795 00017 Téléphone 01.39.07.39.20 ou 21 Télécopie 01.39.07.35.66 Courriel [email protected] La Cybercriminalité Pédopornographie Traitements et prises en charge Sommaire des actes Ouverture de la journée Jacques GODEFRAIN page 7 Marc DAUBRESSE, Président de l’ASSOEDY page 9 Patrick HENRY BONNIOT, Président du TGI de Versailles page 13 Vincent LESCLOUS, Procureur de la République de Versailles page 15 Daniel VENTRE Ingénieur au CNRS. Chercheur au CESDIP page 17 Myriam QUEMENER, Procureur adjoint au TGI de Créteil. page 23 Jean Philippe REILAND Commandant de la section recherche VERSAILLES page 27 Frédéric LANDON ancien Bâtonnier du barreau de Versailles page 31 Arnaud MARTORELL psychiatre psychanalyste expert près la CA PARIS page 43 Sylvie PHILBERT Directrice de l’ASSOEDY page 51 Prissyllia VALLART Chargée de mesures socio-judiciaires page 53 Mathieu HAJBI psychiatre hospitalier responsable de l’APPL page 55 Nicolas HARAUCHAMPS et Isis HANAFY psychologues cliniciens, page 59 Psychothérapeutes au CMP/APPL78 de La Celle Saint Cloud Conclusions Robert Patrick ISSEMBERT psychiatre des hôpitaux honoraire expert sous l’égide de l’ASSOEDY ancien directeur d’enseignement clinique à la faculté Page 4 page 61 Page 5 Page 6 Jacques GODEFRAIN, Ancien Ministre, Membre Honoraire du Parlement Président de la Fondation Charles de Gaulle Cette rencontre est de la plus haute importance pour beaucoup de raisons. D’abord parce qu’il s’agit de protection de l’enfance, sur un sujet porteur de cruelles violences. Ensuite, elle permet de rappeler que dans toute invention, le pire peut côtoyer le meilleur. Il en est ainsi de l’utilisation de l’électronique, par exemple capable de soigner l’Homme et de le guérir, mais aussi d’être le support des pires turpitudes. Le législateur, l’utilisateur du droit, c’est-à-dire le citoyen, les spécialistes des sujets abordés ont trouvé entre eux les voies et moyens pour mettre en cohérence l’outil informatique avec une société qui se veut humaniste. La loi du 5 janvier 1988, votée à l’unanimité, est d’abord une proposition issue d’un parlementaire qui mesurait la gravité et l’importance croissante de la fraude informatique. Dans le domaine bancaire ou scientifique, dans la gestion des administrations et des entreprises, de tous côtés on voyait monter le péril dû à l’entrée sans droit dans les systèmes et des détournements de données. C’est ce qui m’a d’abord motivé. Grâce à une rédaction très ouverte, non limitative sur les applications de la loi, tous les sujets et actes sociétaux sont pris en compte, dont le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. En fait, un véritable marché du logiciel détourné était en train de s’installer, dont j’ai pu être le témoin direct dans la plus grande impunité. Aujourd’hui, la sanction est lourde pour celui qui peut ruiner une institution, se livrer à du terrorisme, utiliser des images d’enfants à des fins ignobles Je vous remercie de m’avoir associé à vos débats particulièrement passionnants et utiles. Nous sommes bien au-delà de la prise de conscience qui est un fait acquis. Nous sommes dans l’action, c’est l’honneur de notre pays d’avoir été prédécesseur en ce domaine. Page 7 Page 8 Marc DAUBRESSE, Président de l’ASSOEDY Monsieur le Président, Monsieur le Procureur de la République, Monsieur le Président de la fondation Charles DE GAULLE, Mesdames, Messieurs, Bienvenue à ce colloque organisé par notre Association sur le thème, cette année, de la Cybercriminalité/ Pédopornographie. Merci de votre fidélité à ce rendez-vous annuel plus tardif que de coutume, cette salle des Assises ayant été mobilisée pour les audiences du procès en appel «CONCORDE ». Et comment, un instant, ne pas évoquer avec nostalgie cet oiseau blanc, avion mythique exceptionnel dans ses extrêmes, œuvre de l’intelligence et du savoir-faire des ingénieurs français et anglais ... alliance de formidables talents qui, sur les tapis rouges de la diplomatie, ne se conjuguent toujours pas au plus que parfait de l’Entente cordiale. Monsieur le Président, en introduisant dans quelques minutes ce colloque 2012, vous perpétuez une longue « Tradition » des Chefs de la Juridiction de Versailles puisque, en ce lieu, le 10 juin 1988, Madame COCHART ouvrait une journée de travail de l’ASSOEDY sur le « Traitement judiciaire et social des Agressions sexuelles » - qu’elle jugeait « faits de sociétés des plus préoccupants » et dont elle soulignait « les risques d’atteinte à la liberté et à la responsabilité humaine » dans leur traitement judiciaire. Monsieur le Procureur de la République, pour la première fois dans vos nouvelles fonctions, vous nous rejoignez afin de partager ce moment studieux où, année après année, les acteurs locaux de la « réponse judiciaire » échangent sur leurs pratiques et expériences fondées sur le pragmatisme d’un savoir-faire interdisciplinaire. Vous confirmez ainsi la volonté du Parquet de Versailles de participer à nos réflexions pour contribuer à une réponse personnalisée - ferme mais utile. En attestent les mesures mises en œuvre conjointement avec vos services dans le prolongement des précédents colloques qui depuis cinq ans ont traité des violences conjugales, de la parole de l’enfant, de la médiation pénale, de la toxicomanie et de l’évolution de la famille. Mesdames, Messieurs, Le programme de cette journée est consacré à la forme « moderne » de criminalités anciennes qui exploitent toutes les ressources : des réseaux de communication « espace virtuel » désormais sans frontière et ouvert à tous - qui posent le problème aigu des limites pratiques de la qualification et de la compétence territoriale, dans l’exercice de la poursuite pénale, des techniques et logiciels informatiques dont la sophistication et un « temps d’exécution » réduit à la nano seconde, posent le problème de l’appréhension et de la constatation des faits au regard d’un formalisme des procédures, garant des droits. ... Réseaux et techniques, leviers de déstabilisation des lois et règles qui organisent l’exercice des libertés et assurent le respect des personnes et des biens. Page 9 ... Instruments d’une accélération spatio-temporelle par laquelle les régulations sociales et économiques implosent en des « trous noirs » dont - à l’image de ceux mis en lumière par les astrophysiciens - nous ne percevons les dommages systémiques que par leurs effets et avec retard. ... dérive vers la complexité qu’illustre l’évolution sémantique du terme « cybernétique » vocable venu de ce kubernhtikh - « pilotage d’un navire » dans la langue d’Aristote, qui désigne au 19ème siècle « l’art de gouverner les hommes » pour André-Marie AMPERE et, un siècle plus tard, « la science des communications et leur régulation dans des systèmes naturels et artificiels » pour Norbert WIENER. Confronté à cette « cybercriminalité », le législateur Français s’est attaché, non sans débat, à préserver l’espace de la vie privée comme celui de l’intérêt général, par deux lois initiatrices celle du 6 janvier 1978, la Loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés » époque du feu MINITEL et dix ans plus tard, la loi GODFRAIN relative à la fraude informatique du 5 janvier 1988, complétées depuis 2001, par sept lois, de multiples textes réglementaires et le Plan de lutte contre la cybercriminalité de 2008. ... législations « éparpillées » que Joël FERRY et Myriam QUEMENER dans leur ouvrage Cybercriminalité Défi Mondial (1) qualifie de « maquis ... quelque peu ésotérique ». Pour aborder concrètement nos travaux, cette journée débutera par un panoramique de la cybercriminalité avant de traiter plus spécifiquement un domaine, celui de la pédopornographie. Choix de notre part : - volontaire, ce champ des atteintes à la personne étant celui où l’ASSOEDY - acteur dans la prise en charge socio-judiciaire - contribue concrètement, - nécessaire, les autres atteintes à l’intégrité des données et système comme à celles des biens relevant de réglementations administratives et régulations professionnelles supra nationales et donc politique. Régulations sans lesquelles comme l’analyse Etienne PERROT dans Refus du risque et catastrophe financière (2), le « niveau subordonné » des intérêts privés se substitue subrepticement au « niveau général » de l’utilité publique. Après les introductions de Monsieur le Président Patrick HENRY BONNIOT et de Monsieur Le Procureur Vincent DESCLOUS, toujours solidement motivées, nous entendrons : les interventions ce matin de Daniel VENTRE et cet après-midi de Arnaud MARTORELL, sur un volet « socio et psycho criminologique », les communications de Myriam QUEMENER, puis du colonel Jean-Philippe REILLAND et cet après-midi celle de Frédérique LANDON, sur un volet « judicaire et opérationnel », les communications de Marie DERAIN et en fin d’après-midi, celles des partenaires et correspondants de l’ASSOEDY. sur le volet «socio-judiciaire et clinique ». Au nom des administrateurs de l’ASSOEDY, je les remercie chacun très vivement pour ces contributions longuement et soigneusement préparées. Avant de vous céder la parole, Monsieur le Président, Monsieur le Procureur, un dernier détour par le Viaduc de Millau - magistral défi au vide et à la pesanteur – exploit lui aussi Franco-britannique, dont un écrivain nous raconte l’histoire du « cyber espionnage » de son haubanage et comment pour la bonne fin de sa construction, son architecte anglais aurait conclu un «gentleman agreement» avec LUCIFER. Page 10 Digression littéraire loin de notre sujet, flanquée d’une fable « ésotérique » ? Pas tout à fait ... l’auteur de deux romans plus vrais que nature (3) consacrés à ce Viaduc, n’étant autre que l’ancien Ministre, Maire de Millau et Député Initiateur de cette Loi n°88-19 du 5 janvier 1988, relative à la fraude informatique, qui porte son nom. Cher Jacques GODFRAIN, merci pour une fidélité qui par les voies des «visibles et invisibles passerelles » - toujours rassemble. Monsieur le Président de la Fondation Charles DE GAULLE, soyez assuré que nous mesurons le privilège de votre venue ce matin en notre assemblée, nonobstant les obligations qui vous appellent en Bourgogne dès cette fin de matinée. _____________ 1 - Cybercriminalité Défi Mondial, Éditions ECONOMICA 2 - Refus du risque et catastrophe financière, Éditions SALVATOR 2011 3 - Les ponts, le diable et le Viaduc, Éditions LE JARDIN DES LIVRES 2003 et Le viaduc, Éditions PASCAL GALODE 2012 Page 11 Page 12 Patrick HENRY-BONNIOT Président du Tribunal de Grande Instance de Versailles C’est un grand plaisir de vous accueillir à la faveur de ce colloque de l’ASSOEDY réunissant professionnels de santé et du droit autour d’un thème brûlant d’actualité. La pédophilie est hélas vieille comme le monde mais la pédopornographie est apparue avec les techniques de reproduction d’images et a évolué avec elles. L’internet lui a permis un formidable développement auquel il a fallu que juristes et professionnels de santé répondent. Dans un récent journal local je lisais un article intitulé : “Le pervers d’Internet piégé par les cyberenquêteurs”” avec comme sous-titre : “les policiers ont attiré un pervers qui s’attaquait à des adolescentes sur Internet en leur proposant des relations sexuelles tarifées. Le suspect a été écroué”. L’enquête, voire l’instruction, comportera vraisemblablement un examen mental et la peine encourue sera susceptible de comporter des obligations de soins peut-être sous la forme d’un suivi socio-judiciaire. Car tous ces moyens, relativement nouveaux, sont nés du besoin que créaient les techniques nouvelles. Au début du XXème siècle, il a fallu prévoir un texte pour le vol d’électricité. On se souvient que l’appropriation frauduleuse de la chose d’autrui, définissant le vol, ne convenait pas en l’absence de “chose”. De même, au début du XXIème siècle, notre pays se dote d’un arsenal législatif approprié notamment avec la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance créant l’incrimination et la sanction de l’enregistrement, de la diffusion et de la détention d’images pornographiques d’un mineur. Ainsi, pour l’efficacité de la recherche des auteurs de ces infractions, les textes donnent aux policiers et gendarmes de services spécialisés, agissant dans le cadre de leur mission de police judiciaire, des pouvoirs dérogatoires, notamment : - participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques - être en contact par ce moyen avec les personnes susceptibles d’être les auteurs - et même acquérir ou conserver des contenus illicites. Ces techniques procédurales ont été mises à profit dans l’affaire ayant donné lieu à l’article ci-dessus s’agissant d’une enquête commencée par l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication. Voilà un office de la Police qui a été créé en 2000 et fait suite à la création en 1998 d’un département de lutte contre la cybercriminalité au sein de la Gendarmerie. En réponse aux extraordinaires possibilités de l’Internet, il fallait doter les enquêteurs de moyens adaptés, efficaces. Il sera précieux pour nous d’approfondir la connaissance des ces moyens d’investigation dont disposent les services spécialisés, avec l’aide des psychiatres pour la compréhension du profil particulier du pédophile via Internet. Cette journée permettra, aussi, de mesurer l’adaptation de la réponse pénale que les professionnels de justice apportent ainsi que la réponse médicale qui la suit. Je vous renouvelle mes vœux de bienvenue dans ce tribunal sans omettre de féliciter l’ASSOEDY qui nous offre cette année encore un thème de réflexion très riche avec des intervenants de grande qualité. Page 13 Page 14 Monsieur Vincent LESCLOUS – Procureur de la République de Versailles Mesdames, Messieurs Déjà lorsque j’étais directeur adjoint de l’INHESJ (Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de La Justice) je me suis beaucoup préoccupé de cybercriminalité puisque des sessions complètes ont même été consacrées à ce thème à la fois vis-à-vis de la protection de l’entreprise et vis-à-vis de la protection des particuliers contre toutes les infractions qui peuvent les toucher. C’est donc dire que je suis sensibilisé à cette question, qui m’avait d’ailleurs valu de rencontrer déjà certains des intervenants d’aujourd’hui, qui avaient, avec succès et talent, animé une partie de ces sessions. Désormais procureur de la République, je remercie très sincèrement l’association l’ASSOEDY d’avoir organisé ce colloque dans une juridiction. Notre juridiction s’ouvre ainsi aux préoccupations communes, accueille un public à la recherche d’informations et de solutions et cela donne à notre juridiction qui n’est plus consacrée aux seuls contentieux mais qui s’ouvre aux préoccupations de la société, une autre dimension. Je vous remercie donc vraiment, Monsieur le Président, Madame la Directrice générale de l’association ASSOEDY, d’avoir organisé ce colloque chez nous. Je n’aurais bien évidemment pas la prétention de discuter de questions techniques avec les spécialistes qui sont ici et je voudrais simplement me contenter de quelques remarques. La première, c’est la volonté ferme de ce Parquet - et comme je le pense de tous les Parquets - de poursuivre toutes les infractions essentielles qui se commettent grâce aux différents techniques d’internet. Nous sommes parfaitement conscients de l’importance de ce champ nouveau de délinquance et également des dommages considérables qui y naissent. En revanche, malgré les adaptations procédurales, auxquelles a fait allusion très exactement Monsieur le Président, je dois dire que nous nous heurtons à d’assez nombreuses difficultés pour poursuivre. Madame QUEMENER qui connait bien tout cela saura les exposer. Cela ne tient pas tant au droit matériel, parce que le droit des infractions est finalement à peu prés adapté. D’ailleurs sur internet ce sont généralement des infractions classiques qui se commettent la plupart du temps : escroquerie, la pornographie.... Au final, internet est plus un vecteur, très puissant, de comportements connus et incriminés que le champ d’une délinquance nouvelle. C’est un vecteur qui potentialise et affranchit de tout territoire la délinquance que nous connaissons, dont la délinquance générale de l’informatique mais ce n’est pas le lieu de la création de nouvelles infractions. En revanche, c’est au plan procédural que nous rencontrons de grandes difficultés, je pense que le colonel REILAND ne démentira pas. Je prends un exemple qui est la perquisition informatique qui est pour nous un casse-tête, les garanties procédurales de droit commun (compétence territoriale, méthode de garantie de l’intégrité des scellés...) n’étant pas toujours adaptées et même si des aménagements ont été apportés et le sont régulièrement, nous restons néanmoins très bridés et ces opérations sont toujours très compliquées. Vu l’importance de la délinquance sur internet, il faudrait au contraire simplifier autant que possible la mise en œuvre des enquêtes et des poursuites. En tout état de cause, je voudrais que chacun ici soit bien persuadé de l’attention que ce Parquet porte à Page 15 ces questions, de sa volonté de poursuivre les infractions – notamment la pédopornographie – qui reste un fait qui est à la fois dramatique et répandu. Il faut regarder les choses en face et faire en sorte sur ce champ de vie nouveau que la loi s’applique également. Une dernière remarque, j’aurais bien aimé rester assister aux travaux – ne serait-ce que pour apprendre tout ce que je ne sais pas encore – mais l’actualité du weekend a été assez lourde, je vais devoir vous quitter pour en gérer les suites mais je vous remercie très sincèrement puisque je vois que tous les bancs sont remplis et en tant que chef de juridiction, je suis vraiment très très heureux de ce succès et que ce succès ait lieu dans ma juridiction. Merci beaucoup. Page 16 Daniel VENTRE, ingénieur au CNRS, chercheur au CESDIP, titulaire de la chaire Cyber défense & Cyber sécurité des Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan « Cybercriminalité, Cyberattaques : définitions, bilans, questions » 1 – Qu’est-ce que le cyberespace ? Le cyberespace a fait l’objet de multiples définitions et des applications logicielles ou images de science fiction tentent d’en donner des représentations graphiques, imagées. Représentations graphiques de sites internet, cartographies des réseaux, recourent pour nombre d’entre elles à des métaphores usuelles. Le cyberespace est en effet souvent représenté sous forme de galaxies, de réseaux urbains, villes où les murs des édifices sont tapissés de données (rappelons-nous les images de films tels que Matrix ou Hackers). Les réseaux du cyberespace prennent encore la forme de réseaux de neurones (approche systémique), les ordinateurs étant autant de cerveaux qui, connectés entre eux à l’échelle de la planète constituent un méga-cerveau1. Une description unique ne saurait recouvrir la complexité du cyberespace, et certainement pas en dresser une liste exhaustive des composantes : ordinateurs, téléphones, objets communiquant, satellites, sont autant de composantes de cet espace. Le cyberespace peut être appréhendé selon une autre approche. Considérons tout d’abord l’une de ses caractéristiques essentielles : sa transversalité. En effet, cet espace n’est pas parallèle aux dimensions conventionnelles (terre, air, mer, espace), ce qui signifierait qu’il ne les croise jamais. Bien au contraire, il les traverse toutes. Daniel VENTRE est directeur de la collection Cyber conflit et Cybercriminalité aux Éditions Hermès ISTE (Londres) auteur de nombreux ouvrages et articles sur le cyber conflit (cyber guerre, guerre de l’information, cyber défense, cyber sécurité). Page 17 En regroupant en un seul ensemble R (monde Réel) les dimensions conventionnelles, nous obtenons le schéma suivant, où le cyberespace V (monde Virtuel), coupe R : Considérons ensuite la composition de cette structure V. Elle est généralement définie comme une structure complexe, composée de 3 couches : une première couche (C1) physique, hardware, infrastructure ; une seconde couche (C2), celle des applications, des logiciels ; une troisième couche (C3), dite cognitive (monde des idées, des contenus, du sens). 2 – Qu’est-ce qu’une cyberattaque ? En nous appuyant sur les deux schémas précédents, nous pouvons définir les cyberattaques. Celles-ci apparaissent ainsi comme des opérations, actes agressifs, qui partant de R visent ou touchent une cible, victime elle aussi dans R. V n’est qu’un vecteur, un filtre, un espace par lequel passe l’agression. Si la Page 18 cyberattaque paraît viser et toucher une cible dans V, ce n’est que la première étape, car est visée, au travers elle, la cible réelle, qui est dans R. La force ou l’efficacité de la cyberattaque dépendra essentiellement du niveau de dépendance qui lie la cible réelle au cyberespace (ce que nous schématisons ci-dessous par un angle alpha entre V et R ; plus l’angle serait étroit, plus le degré de dépendance serait fort). Si l’on s’appuie non plus sur le modèle de la transversalité mais sur celui des trois couches du cyberespace, nous voyons qu’une cyberattaque peut être menée sur ou à partir de la couche logicielle (une défiguration de site internet par exemple procède d’une intrusion dans des serveurs, ce qui est une opération sur la couche logicielle), et avoir un impact sur la couche psycho-cognitive (la défiguration de site modifie les contenus, porte de l’information, produit du sens). L’attaque pourrait aussi à partir de la couche logicielle viser un effet sur la couche hardware (c’est ce qui s’est passé dans l’attaque Stuxnet, visant le programme nucléaire iranien, qui, En introduisant un malware dans les systèmes informatiques avait pour objectif de paralyser les centrifugeuses. L’opération a bien sûr aussi un effet psychologique fort et, de ce point de vue, la cible n’est pas uniquement iranienne, mais plus largement internationale). Lorsqu’il est question de cyberattaques, de cyber agressions, la nature polysémique des termes « attaque » ou « agression » utilisés prête à confusions et entraîne une lecture parfois erronée des évènements. Le spectre des agressions dans le monde réel (R) est large, puisqu’il englobe aussi bien l’agression verbale que l’agression interétatique, en passant par tous les degrés de violence que définit le droit (atteintes aux biens, aux personnes). Dans le virtuel, tout acte agressif est qualifié de cyberattaque (la diffamation est une forme d’agression, l’intrusion dans un serveur aussi, la propagation de malwares, et autres actes dits de cybercriminalité). Or l’extrême difficulté qu’il peut y avoir à identifier les auteurs, à attribuer de telles attaques, fait naître bien des hypothèses, quant à l’identité des coupables (s’agit-il d’une opération étatique ? d’un acte commis par le crime organisé ? par des hacktivistes ? ou de simple délinquance ?). En fonction de deux critères, identité des auteurs et impact produit par l’agression, il est possible de définir un spectre de cyberattaques large, allant de la simple délinquance, à l’acte de guerre ; de faits ordinaires, quotidiens, dont le choc est relativement supportable si ce n’est acceptable par la société dont la survie n’est pas remise en question, à des faits extraordinaires, pouvant appeler des réponses au niveau étatique, dommageables pour la société, la souveraineté (il est à cet égard souvent fait référence aux attaques qui pourraient toucher les infrastructures critiques, sensibles, vitales d’une nation). Page 19 3 – Réflexions sur la cybercriminalité : une évaluation précise du phénomène est-elle possible ? Nous avons vu que le concept de « cyberattaque » recouvre des réalités fort différentes. Or les statistiques dont nous disposons sur le sujet ne prennent pas la peine de prendre en compte cette diversité. Parfois même une simple erreur de saisie de mot de passe peut être comptabilisée comme une tentative d’intrusion, donc comme une attaque. Une campagne de spamming qui envoie des millions de mails doit-elle être comptée comme une attaque ou bien comme des millions d’attaques ? Doit-on même parler d’attaques ? Ce sont toutes ces ambiguïtés que ne lèvent généralement pas les statistiques dont nous disposons sur la cybercriminalité ou les cyberattaques et qui rendent de fait toute analyse du phénomène qu’est la cybercriminalité difficile, pour ne pas dire aléatoire. Les statistiques dont nous disposons, émanant de sources multiples, essentiellement privées et rarement officielles, donnent une mesure imparfaite de l’ampleur du phénomène qu’est la cybercriminalité. Dans le cyberespace, l’augmentation du nombre des acteurs, des actions agressives, des actes de violence, ne sont pas le seul fait de la criminalité mais aussi des Etats. Les interactions et relations entre acteurs étatiques et non étatiques de la violence, c’est-à-dire les possibles collusions entre crime et Etat, rendent plus difficile encore la lecture du phénomène et la distinction entre actes purement criminels, actes terroristes voire actes d’agressions interétatiques. La cybercriminalité n’est qu’un sous-ensemble de la violence dans le cyberespace. Comment, alors, mesurer le volume de la cybercriminalité, son coût pour la société, pour les victimes, et avoir une idée précise de sa dynamique, son évolution dans le temps et l’espace ? Manquent pour cela des chiffres officiels et des études académiques indépendantes de toute contingence commerciale pour les confronter, manquent des méthodes fiables de comptabilisation, manque peut-être simplement la possibilité technique de saisir le phénomène, tant il est omniprésent, et le plus souvent invisible. Qui fournit les bons chiffres sur la cybercriminalité ? Les statistiques sontelles surévaluées ou sous-évaluées ? Quelles sont les méthodes employées pour produire les chiffres ? Les études mesurent-elles toute la même chose ? Parlent-elles toutes de la même chose ? S’agit-il de rapports sur la cybercriminalité ou sur les cyberattaques ? Les statistiques sont-elles le fruit d’un travail objectif ? Qui a produit le rapport et dans quels buts ? Nous devons nous poser de nombreuses questions avant toute interprétation et réutilisation des chiffres. Page 20 Des données et des rapports sont produits régulièrement, convergeant parfois fortement dans leurs conclusions, mais allant tous dans le même sens, celui de la mise en évidence d’un phénomène croissant de manière exponentielle, se propageant à tout nouveau venu dans le cyberespace, coûtant de plus en plus cher aux victimes et aux sociétés. Conclusion Qu’avons-nous appris au cours de ces derniers mois sur les phénomènes « cyberattaque » et « cybercriminalité » ? Retenons quelques grandes lignes : Les chiffres sont chaque année plus alarmiste et dans le champ des cyberattaques les agressions de nature politique (hacktivisme, opérations menées par des Etats) semblent gagner en importance. L’implication des Etats dans la violence au travers du cyberespace s’est accrue, confirmée. Ces actions étatiques s’exercent contre les entreprises, contre les acteurs étatiques, contre les infrastructures critiques, contre les sociétés dans leur ensemble. Les entreprises ne sont pas davantage prémunies contre les cybermenaces qu’elles ne l’étaient il y a quelques années, et la menace grandissant, les polices des nouvelles « cyber-assurances » ne cessent elles aussi d’augmenter. Deux décennies d’efforts dans la sécurité informatique, d’investissements importants, et de législations renforcées, n’ont ni éradiqué ni même contribué à faire diminuer sensiblement le phénomène. Quelques références bibliographiques pour prolonger la réflexion : Daniel Ventre, La guerre de l’information, Hermès Lavoisier, 2007. Daniel Ventre (Dir.), Cyberguerre et guerre de l’information. Stratégies, règles, enjeux. Hermès Lavoisier, 2010 Daniel Ventre, Cyberattaque et Cyberdéfense, Hermès Lavoisier, 2011 Daniel Ventre (Dir.), Cyber Conflict : Competing National Perspectives, Wiley ISTE, 2012 Site : http://econflicts.blogspot.com/ Contact : [email protected] Page 21 Page 22 Madame QUEMENER, magistrat, Procureur Adjoint au TGI de Créteil Thème : le traitement judiciaire de la pédopornographie via Internet Le développement d’Internet a fait apparaitre de nouveaux risques pour les mineurs. En effet, il s’agit d’un cyberespace interactif, ludique, anonyme et mondial, ce qui facilite d’autant le passage à l’acte et donne aux cybercriminels le sentiment d’être « hors la loi ». Cette question de la dangerosité d’Internet est de nouveau d’actualité avec le projet de Facebook d’ouvrir son réseau social aux moins de treize ans. Le réseau social travaille sur la possibilité de connecter le compte de l’enfant sur celui des parents afin que ces derniers puissent surveiller ces « activités ». Il s’agit d’une nouvelle étape qui permettrait à la société de capter des millions de nouveaux utilisateurs. Toutefois, ce changement de règle l’exposerait également au feu des critiques concernant l’utilisation des données personnelles. Une problématique d’autant plus sensible qu’elle concernerait ici des mineurs. A titre de rappel : - 1603 infractions (41%) concernent les atteintes aux personnes ; - 70% de ces infractions sont liées à la pédopornographie ; - 16% sont des atteintes ou agressions sexuelles commises par une personne mise en contact par un réseau de télécommunication électronique ; - 22% des signalements de la plateforme Pharos concernent des infractions sur des mineurs. Dès lors, il convient de présenter un aperçu de l’état du droit positif actuel concernant le traitement judiciaire de la pédopornographie via internet. I. En droit européen : une législation harmonisée La loi n°2006-399 du 4 avril 2006 sur les violences au sein du couple ou commises contre les mineurs transpose en droit français la décision-cadre du conseil de l’Union européenne du 23 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie qui visait à réduire les disparités des législations des États membres et à développer une coopération judiciaire et policière efficace contre ces phénomènes commis au préjudice des mineurs. II. En droit interne : un arsenal répressif renforcé Face à cette situation, notre droit pénal a dû s’adapter et répondre à cette nouvelle criminalité en créant des incriminations spécifiques. A cet effet, il a été instauré l’article 227-23 du code pénal qui réprime : - Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique. La peine encourue est de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Page 23 - Le fait d’offrir, de rendre disponible ou de diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, de l’importer ou de l’exporter, de la faire importer ou de la faire exporter, est puni des mêmes peines. - Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 Euros d’amende lorsqu’il a été utilisé, pour la diffusion de l’image ou de la représentation du mineur à destination d’un public non déterminé, un réseau de communications électroniques. - La tentative des délits prévus aux alinéas précédents est punie des mêmes peines. - Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation ou de détenir une telle image ou représentation par quelque moyen que ce soit est puni de deux ans d’emprisonnement et 30000 euros d’amende. - Les infractions susmentionnées sont punies de dix ans d’emprisonnement et de 500. 000 Euros d’amende lorsqu’elles sont commises en bande organisée. En outre, l’article 227-21 du code pénal pose l’infraction de propositions sexuelles faites à un mineur par un moyen de communication électronique. Issu de l’article 35-II de la loi n°2007-297 relative à la prévention de la délinquance du 5 mars 2007. Ce délit sanctionne « le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique ». Ce délit spécifique relatif aux propositions adressées à des mineurs par Internet ou par SMS, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende et vise essentiellement Internet. Les peines sont aggravées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque les propositions aboutissent à une rencontre (Code pénal, art 227-22-1 al.2). Ce délit vise à mieux « traquer » les adultes au comportement de « prédateurs » qui approchent les enfants via par exemple des forums de discussion, en se faisant passer eux-mêmes pour des mineurs. Cet article révèle la méfiance du législateur à l’égard d’Internet, puisqu’il érige en infraction autonome un acte préparatoire ou une tentative d’atteinte sexuelle. I. Jurisprudence La jurisprudence fait une application stricte des dispositions de l’article 227. Ainsi, le tribunal correctionnel de Paris par un jugement en date du 13 avril 2010 a sanctionné d’une peine de dix mois de prison avec sursis la détention de photos et vidéos pédopornographiques mettant en scène des enfants âgés de 6 mois à 12 ans. Le prévenu avait reconnu les faits. II. Un traitement judiciaire pertinent Un traitement judiciaire approprié a été mis en place grâce à l’évolution des outils procéduraux : la création des cybers patrouilles, les veilles internet, les interceptions sur internet et le blocage des sites pédopornographiques. Il existe ainsi actuellement de nombreux sites qui permettent à chaque utilisateur d’internet de contribuer à la lutte contre la pédopornographie en signalant les sites illicites rencontrés. Page 24 A titre d’exemple, on peut citer notamment : le site du Ministère de la justice, INHOPE (International Association of Internet Hotline), National Center for missing and exploited children. Ces nouveaux outils ont permis de mettre en œuvre des opérations à échelle internationale lesquelles ont abouti au démantèlement de réseaux d’exploitation sexuelle de mineurs (opération KOALA, opération VICO, …). Des opérations d’envergure : - En France, une centaine de personnes ont été interpellées et entendues en qualité de témoin sur l’ensemble du territoire, dans le cadre d’une vaste opération anti-pornographie sur Internet, qui s’étend également à l’étranger. L’enquête a été menée pendant plusieurs mois par la Section de recherche de la gendarmerie d’Amiens (Somme), qui avait découvert des centaines de photos et de vidéos à caractère pédopornographique sur un site hébergé à l’étranger. - Une véritable opération judiciaire internationale contre un réseau pédophile sur Internet a permis l’arrestation de 500 personnes dans 12 pays : 5 pays européens (Espagne, France, Italie, Suède, Pays Bas) et 7 pays d’Amérique latine (Chili, Argentine, Panama, Costa Rica, République dominicaine, Mexique, Uruguay). Selon la garde civile espagnole (statut similaire à celui de la gendarmerie française) qui coordonnait cette action internationale, 19 personnes vivant en Espagne et en possession de vidéos et photos pédopornographiques ont été interpellées. Par ailleurs, la Guardia civile a annoncé que plus de 20.000 articles à contenus pédophiles, accompagnés de photos, de vidéos et de bande sonores en format mp3, ont été localisés et plus de 900 connections détectées sur un «chat» internet en langue espagnole Le ministre espagnol de l’Intérieur, José Antonio Alonso, a affirmé que « nous allons continuer à mener avec une totale détermination ce genre d’opérations contre la pornographie infantile, parce que c’est une infamie que ne peuvent tolérer les sociétés démocratiques, libres et décentes ». - Europol va traquer les pédophiles via 28 pays européens, dont la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, … Parmi les courriels, 11,000 ont été ciblés aux USA. 700 personnes ont été surveillées à partir de cette base de données. Une surveillance mise en place par le FBI, l’USPIS et ICE. L’enquête est toujours en cours, mais les principaux prédateurs sexuels considérés comme très dangereux ont été arrêtés. L’un d’eux, un américain du New-Jersey, qui cachait dans son ordinateur pas moins de 130,000 images d’enfants. Il en produisait aussi avec sa fille de 9 ans. Il a été condamné à 20 ans de prison. - L’Union européenne et les Etats-Unis ont récemment lancé l’idée d’une alliance mondiale pour traquer les pédophiles sur les sites internet hors de leurs territoires. Le lancement officielle de cette alliance débutera en décembre 2012 et a pour objet de rassembler des pays dans la lutte contre les abus sexuels commis en ligne et de protéger les victimes. Conclusion Une vision mondiale du traitement et de la lutte de la pédopornographie est impérative. Cette lutte nécessite non seulement des textes mais aussi une procédure adaptée et des moyens humains et technologiques, ce qui implique une politique pénale globale et des formations pluridisciplinaires de l’ensemble des acteurs. En outre, une coopération public/privé est également indispensable. En effet, sans entraide internationale, il n’y a pas de résultat envisageable. Page 25 Quelques références bibliographiques : « Cyber menaces, entreprises, Internautes » 2008, Ed. Economica, co-auteur avec Yves Charpenel, avocat général près la Cour de Cassation « Cybercriminalité, droit pénal appliqué » 2010, Ed. Economica, « Établissements financiers et cyber fraudes » 2011 Ed. La revue banques. Contribution dans l’ouvrage collectif de Chantal Cutajar « Garantir que le crime ne paie pas » Presses universitaires de Strasbourg, 2011 A paraître : « Sécurité des acteurs économiques face aux cyber menaces » (Editions Hermès Lavoisier) Page 26 Colonel Jean-Philippe REILAND Mise en œuvre de la lutte contre le téléchargement d’images pédopornographiques. I. Etat des lieux La pédocriminalité constitue une part importante de la cybercriminalité avec, outre de simples images l’explosion de la diffusion de vidéos pornographiques mettant en scène des mineurs et surtout l’émergence de toujours plus de prédateurs cherchant à rencontrer des enfants par le biais d’Internet. Les pratiques d’échanges et de diffusion de contenus pédopornographiques sont nombreuses. Il peut s’agir d’échanges privés entre deux personnes par courrier électronique ou d’échanges sur les réseaux « pair à pair ». Il peut s’agir encore d’échanges dans des groupes de discussion, des forums, sur des réseaux de chat. Il peut s’agir enfin de diffusion sur des sites web, gratuits ou payants. II. Les moyens A – Perquisitions et interceptions La plupart des situations d’échanges privés d’images pédopornographiques, par courrier électronique ou par échanges de fichiers à l’aide d’un logiciel de messagerie instantanée, sont détectées une fois que les amateurs d’images pédophiles sont interpellés, par l’analyse de leur ordinateur. Il est aussi envisageable, pour une personne à l’encontre de laquelle il existe des indices de telles pratiques illégales, qu’un juge ordonne une interception de ses communications Internet conduisant les enquêteurs à faire dévier les échanges électroniques afin d’en prendre connaissance. Cette pratique, outre l’aval du juge, nécessite la réquisition du fournisseur d’accès Internet de la personne visée. B – Cyberpatrouilles L’outil légal le plus intéressant pour détecter ce type de pratique est très certainement les cyberpatrouilles. En matière de lutte contre les atteintes aux mineurs, les cyberpatrouilles permettent à des enquêteurs spécialement habilités de participer à des forums en utilisant des pseudonymes, de répondre à des sollicitations expresses de prédateurs ou de se faire passer pour une victime en vue de confondre l’auteur. En France, la mise en œuvre de cette technique est récente, et la première formation reçue par les enquêteurs de la gendarmerie dans ce domaine a été dispensée par la Sûreté du Québec en 2008. Les cyberpatrouilles sont particulièrement efficaces sur les réseaux « pair à pair » privés ou cryptés, au sein des groupes de discussion, au sein des forums et sur des réseaux de chat. A ce jour, une trentaine de cyberpatrouilleurs ont été formés et sont actifs sur la toile (STRJD/DLCC et certaines SR dont celle de Versailles). Ce dispositif est prévu par les articles 706-35-1 et 706-47-3 du code de procédure pénale qui autorisent ces investigations pour deux séries d’infraction : 1. celles portant atteinte aux mineurs mentionnées aux articles 227-18 à 227-24 du code pénal ; 2. celles relatives à la traite des êtres humains et au proxénétisme mentionnées aux article 2254-1 à 225-4-9, 225-5 à 225-12 et 225-12-1 à 225-12-4 du code pénal. Les textes d’application réglementaires précisent les services ou unités susceptibles de mettre en œuvre ces moyens particuliers : Page 27 * certains offices centraux de police judiciaire : * l’office central pour la répression des violences aux personnes, *l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication, * l’office central pour la répression de la traite des êtres humains, * l’office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants, * le service technique de recherches judiciaires et de documentation de la gendarmerie nationale, * les directions interrégionales et régionales de la police judiciaire, * les sections de recherches de la gendarmerie nationale. Les officiers et agents de police judiciaire concernés suivent une formation spécifique organisée selon un schéma arrêté conjointement entre les directions générales de la police et de la gendarmerie nationale. Ils sont ensuite habilités à cet effet par le procureur général près la cour d’appel de Paris après agrément accordé, selon leur service d’affectation, par le directeur central de la police judiciaire, le sous -directeur de la police judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale ou le directeur régional de la police judiciaire de Paris. L’habilitation délivrée par le parquet général près la cour d’appel de Paris peut être révoquée, à tout moment, d’initiative ou sur proposition d’un autre procureur général. La suppression de l’agrément administratif comme le changement d’affectation rendent caduque cette habilitation. Ces enquêteurs font l’objet d’un suivi psychologique adapté à la violence des situations et des images qu’ils sont amenés à rencontrer. C – Veille des réseaux Sur les réseaux pair à pair « ouverts », libres d’accès, les équipes spécialisées d’enquêteurs au niveau central disposent d’outils dédiés, des logiciels permettant d’identifier l’échange de contenus (ex : Antipédofiles-P2P de l’association Action Innocence). Plusieurs dizaines de cibles sont ainsi identifiées chaque mois par les enquêteurs du STRJD. Contre les sites Web, la problématique est complexe. L’identification des sites pédopornographiques, personnels ou commerciaux, a été facilitée en France depuis 2009 par la mise en œuvre de la plate-forme de signalement Internet PHAROS, qui recueille les signalements des Internautes. D – Le centre national d’analyse des images pédopornographiques Le CNAIP est mis en œuvre au sein du service technique de recherches judiciaires et de documentation de la gendarmerie nationale à Rosny sous Bois. Un arrêté du 30 mars 2009 précise les missions du CNAIP. Il est ainsi chargé : * de centraliser et conserver, dans les conditions définies par l’article D.47-8 du code de procédure pénale, les copies des contenus illicites mentionnés au 3° de l’article 706-35-1 et de l’article 706-47-3 du même code, * de communiquer ces contenus illicites aux officiers et agents de police judiciaire mentionnés au premier alinéa des articles 706-35-1 et 706-47-3 du même code, pour les besoins de leurs investigations et dans les conditions définies par l’article D.47-9, * d’exploiter ces contenus, d’initiative ou à la demande de magistrats ou d’officiers ou d’agents de police judiciaire pour les besoins de leurs investigations, afin d’identifier par analyse et rapprochement les personnes et les lieux qui y sont représentés. Des échanges internationaux sont organisés sous l’égide de l’OCRVP dans le respect des dispositions prévues à l’article 24 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 sur la sécurité intérieure. E – Difficultés Si le site sur lequel se trouvent des images pédopornographiques est hébergé sur le Page 28 territoire français, il est assez simple d’en identifier l’origine et de le faire fermer. Lorsqu’il est à l’étranger, cela devient beaucoup plus complexe, voire impossible chez certains hébergeurs malhonnêtes : si des législations internationales existent, notamment à la convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité, elles ne sont pas toujours ratifiées par l’ensemble des pays, ou tout simplement pas appliquées (la Russie, la Turquie, San Marin, Andorre et la Principauté de Monaco n’ont ni signé, ni a fortiori ratifié la convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité). En effet, la coopération internationale se heurte à certaines frontières : la corruption, dans certains pays, ou plus souvent l’inaction, ou l’impuissance des responsables officiels. III. Les perspectives Pour compléter l’ensemble des actions qui viennent d’être décrites, et devant le constat que de nombreux sites Web subsistent, la LOPPSI II du 14 mars 2011 a introduit un dispositif de blocage permettant à l’autorité administrative, sur la base d’une liste noire de sites préalablement identifiés par les forces de l’ordre, d’empêcher l’accès à des contenus pédopornographiques pour les internautes français. Ce mécanisme est inspiré des dispositifs existants dont disposent déjà certains de nos partenaires (la Suède, la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas). Un texte d’application de ces dispositions est en cours d’élaboration. Il confie à l’OCLCTIC la tenue à jour de la liste des sites à interdire, aux FAI le blocage des sites moyennant une compensation des frais par le biais d’une convention à signer avec les représentants du gouvernement. Page 29 Page 30 Maître Frédéric LANDON, avocat au barreau de Versailles, Ancien Bâtonnier du barreau de Versailles, membre du Conseil de l’Ordre. Transcription de l’intervention orale Je ne sais pas de quoi je vais vous parler puisqu’en lisant le programme tout à l’heure, j’ai constaté que le sujet avait déjà été traité par Madame QUEMENER, qui est une grande spécialiste de la question, puisque le sujet qui lui était proposé était le traitement judiciaire des auteurs de téléchargements d’images pédopornographiques et que c’est le même sujet qui m’est proposé. Je crois que les organisateurs ont souhaité avoir l’analyse faite par un avocat qui est amené à intervenir dans ce type d’affaire, sachant que je n’interviens dans ce type d’affaire qu’en défense, uniquement pour défendre des gens qui sont poursuivis pour ce type de dossier. Notre confrère, Maître Gérard HAAS, qui est un avocat spécialisé dans cette matière, c’est-à-dire sur internet, a écrit un ouvrage intéressant et il dit qu’internet est « une poudrière juridique ». Au-delà des aspects juridiques sur les droits d’auteur, internet est aussi un nouveau moyen de commettre des infractions notamment à caractère économique, mais surtout à caractère sexuel et en matière de diffusion d’images pornographiques et essentiellement en matière de diffusion d’images pédopornographiques. Alors qu’est-ce que la pédopornographie ? c’est une notion, certes connue mais qui juridiquement à été définie il y a fort peu de temps. Pour ce faire, il suffit de se rapprocher de la décision cadre prise par le Conseil de l’Europe en décembre 2003 qui définit ainsi la pédopornographie : Tout matériel pornographique représentant de manière visuelle : - un enfant réel participant à un comportement sexuellement explicite ou s’y livrant, y compris l’exhibition passive des parties génitales ou de la région pubienne d’un enfant, - une personne réelle qui parait être un enfant participant au comportement visé sous le premier tiret, - des images réalistes d’un enfant qui n’existe pas, participant ou se livrant à un comportement sexuellement explicite ». Le législateur français a pris en compte cette nouvelle forme de délinquance. Initialement, en réalité, tous ces comportements, c’est-à-dire ces adultes attirés par des images d’enfants, étaient pénalement répréhensibles sous la qualification pénale d’outrage aux bonnes mœurs qui se trouvait sous les anciens articles 283 et suivant du code pénal dans sa rédaction de 1810 puis sa modification qui a été apporté en 1957. Les premiers textes de la loi de 1810. Deux textes majeurs régissent ce type de délinquance : art 22723 du code pénal – je vous en donne lecture car je crois que dans ce texte il y a toute la matière et la difficulté pour éventuellement caractériser ce type d’infraction. L’article 227-23 réprime le fait, en vue de sa diffusion, « de fixer, d’enregistrer, de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ». et punit aussi le fait « d’offrir, de rendre disponible, de diffuser l’image par quelque moyen que ce soit, de l’importer, de l’exporter ». Lorsque ces images sont diffusées par un moyen de réseau de télécommunication électronique les Page 31 peines prévues sont renforcées puisqu’on passe à une peine de 7ans d’emprisonnement et une amende délictuelle de 100 000 euros. On va aussi réprimer la tentative de l’infraction que je viens d’énumérer. Enfin, on va réprimer le fait de consulter habituellement un service de communication publique en ligne mettant à disposition une telle image ou la représentation d’une telle image ou une représentation par quelque moyen que se soit. Le législateur a considéré que ce type de fait amenait une certaine organisation de la délinquance et a donc prévu la circonstance aggravante de la bande organisée qui va majorer sensiblement les peines puisqu’on va passer à 10 ans d’emprisonnement. Sont aussi visés les cas d’images pornographiques d’une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur sauf s’il est établi que cette personne était âgée de 18 ans au jour de fixation de l’image. La charge de la preuve va donc être renversée. On parlera de présomption de minorité et la partie poursuivie doit démontrer que la personne représenté n’est pas un mineur ce qui est parfois d’une très grande difficulté. Enfin, on a les dispositions de l’article 227-24 du code pénal qui va réprimer toute la fabrication de ce type d’image et aussi les moyens de diffusion de ce type d’images. Alors, en réalité, avant ces textes qui sont maintenant de droit positif du droit français, nous étions plutôt dans la répression de l’outrage aux bonnes mœurs, qui était plus une infraction d’immoralité personnelle en raison d’un combat matériel entre outrage public à la pudeur et outrage aux bonnes mœurs. Maintenant, les gens ne sont plus seulement des spectateurs de ces manifestations, ils en sont demandeurs puisqu’ils vont aller rechercher ce type d’images par un acte positif. On va constater que depuis plus de 10 ans, nous assistons à un empilement des textes, ce qui est difficile pour les praticiens du droit pénal à suivre, que ce soit pour les magistrats qui sont en charge de poursuivre ces affaires ou de les juger que pour ceux qui sont amenés à défendre ce type d’auteurs. La loi de 1998 a instauré l’infraction de fixer, d’enregistrer les images. La loi du 4 mars 2002 est venue sanctionner de manière spécifique le fait de détenir une image ou représentation même virtuelle d’un mineur. La loi dite sur la confiance numérique, du 21 juin 2004, a complété l’incrimination afin de tenir compte de l’utilisation d’un réseau de télécommunication. La loi du 4 avril 2006 a renforcé la répression de ce comportement donc majore les pénalités et on prévoit d’incriminer la tentative de ces délits. Enfin la loi du 5 mars 2007, dite la loi Perben II, qui va confier des pouvoirs accrus aux officiers de police judiciaire pour la constatation des atteintes aux mineurs, leur permettant notamment de participer sous un pseudonyme aux échanges électroniques. Et le dernier texte qui est la loi du 14 mars 2011, qui est la loi LOPPSI 2, qui va donc compléter la loi pour la confiance sur l’économie numérique du 21 juin 2004 prévoit une disposition qui va permettre d’organiser le blocage administratif des sites pédopornographiques. Ce texte avait été soumis au Conseil constitutionnel qui a considéré qu’il n’y avait pas matière à prononcer son annulation et a donc validé ce texte au regard d’une argumentation qui était soutenue disant qu’il y avait pas d’atteinte à la communication ce qui n’a pas été validé par le Conseil constitutionnel. Voilà donc la base théorique, les textes d’incrimination Voyons maintenant les procédures qui sont liées aux infractions pédopornographiques. D’abord on peut constater qu’il y a une sociologie très diverse – je crois qu’il y a des psychiatres qui vont venir et des psychologues. En réalité la pédopornographie touche tous les milieux, toutes les catégories d’âges, ça va d’un général en retraite à un jeune homme, d’un professeur à un maçon, tout le monde y est passé : magistrat, avocat, policier, gendarme... Toutes les catégories ont été visées par ce type d’infraction. La 2ème question est de savoir si le législateur rend bien les choses. En réalité, on croit comprendre que le Page 32 législateur a considéré qu’il fallait d’abord taper sur l’utilisateur, l’usager plutôt que sur celui qui fabrique ce type d’images, c’est-à-dire ce qu’il y a en amont. Qu’y-a-t’il en amont ? Des enfants maltraités, violés, prostitués, mais il n’est pas facile d’y lutter de façon cohérente parce que les enfants sont rarement dans le pays qui va poursuivre, ce sont des enfants qui sont éloignés, dans des pays en très grande difficulté et que ceux qui vont mettre en place tous ces systèmes internet sont aussi dans des pays qui les abritent : donc la lutte n’est pas facile. En réalité, certains disent qu’il n’y aurait pas de voleurs s’il n’y avait pas de receleurs, il n’y aurait pas de trafiquants de drogues si il n’y avait pas d’usagers. On a dû considérer que s’il n’y avait pas d’auteurs de téléchargement de ce type d’images – c’est-à-dire d’individus, personnes physiques qui allaient sur les sites de telles images et les entraient dans les ordinateurs – et bien si il n’y avait pas ce type d’utilisateurs, il n’y aurait peut-être pas ce type de délinquance en amont. Sur le plan de la poursuite, on a constaté une poursuite très aléatoire et comme d’habitude, malheureusement, les pouvoirs publics ont très peu d’outils statistiques, je crois que Madame QUEMENER vous en a parlé ce matin, il est très difficile de savoir quel est le nombre d’affaires réellement poursuivies sous cette qualification et là nous parlons de téléchargement. En ce qui concerne les condamnations, on doit pouvoir le savoir par la consultation des casiers judiciaires. En réalité, la plupart des plus grosses affaires proviennent de l’étranger. Vous avez eu de grosses opérations qui ont été menées sur le territoire américain, avec des noms toujours extraordinaires, les américains ont toujours beaucoup d’imagination. Les opérations Cathédrale en 1998 qui concernaient plus de 14 pays et qui ont identifié plus de 1000 victimes. L’opération Avalanche qui concernait principalement 250 000 victimes qui ont pu être identifiées. Les Etats-Unis ont réussi à identifier un certain nombre d’adresses électroniques et ils ont transmis ces différents éléments aux pays où se trouvaient les différentes personnes qui téléchargeaient. L’auteur d’un téléchargement fait l’objet de poursuites assez classiques : très souvent il est convoqué par un service de gendarmerie, parfois on ne lui envoie pas de convocation mais on va aller chez lui pour l’interpeller à son domicile et procéder à une perquisition qui va permettre de constater la matérialité des faits – très souvent par la saisie d’un ordinateur pour pouvoir sortir les images. A la suite de cela, il va subir une garde à vue de droit commun, qui est de 24h plus 24h. Garde à vue où il peut être maintenant assisté pleinement d’un avocat dès le début de son placement s’il en fait la demande. La sortie du dossier est très aléatoire : ça dépend si l’autorité de poursuite a une pluralité de cas, parce que parfois on a des dossiers groupés, mais très souvent dans les dossiers que j’ai pu voir ce sont des individus qui vont se retrouver déférés seuls devant le tribunal correctionnel puisque leur nom est apparu soit dans le cadre d’une enquête menée à l’étranger, soit dans le cadre d’une enquête menée en France par des services spécialisés. Quelle est la poursuite classique, dans une affaire sans antécédent judicaire ? En règle générale, l’intéressé fera l’objet d’une citation directe devant le tribunal correctionnel, voire peut-être avec un déferrement devant le Procureur de la République qui envisagera peut-être son placement sous contrôle judiciaire compte tenu de l’importance des faits, c’est-à-dire la durée de la consultation, le nombre d’images, voire les éléments de personnalité qui ont pu recueillis dans le cadre d’une expertise psychiatrique, médico-psychologique qui a pu être effectuée durant la garde à vue. Placement sous contrôle judicaire envisagé par le juge de la liberté et de la détention jusqu’à la comparution devant le tribunal. Dans les dossiers les plus graves, parfois pour des gens qui, pendant une très longue période de temps, réitèrent ce type de comportement sans qu’ils soient en récidive légale, il arrive parfois qu’ils soient déférés dans le cadre d’une comparution immédiate, c’est-à-dire qu’ils soient jugés au terme de la garde à vue et il n’est pas rare de voir un tribunal correctionnel d’envisagé des peines d’emprisonnement fermes à l’égard de ces personnes. Page 33 Il arrive de temps en temps – j’en ai eu une dizaine de dossiers de cette nature - que ces personnes fassent l’objet d’une ouverture d’information judiciaire parce qu’elles sont plus nombreuses, parce qu’il y a des soupçons au-delà du téléchargement d’une diffusion d’images pornographiques à l’égard d’autres personnes physiques, parfois soupçon d’une volonté de prise de contact avec des mineurs qui ont pu être identifiés. Il n’est pas rare dans ce cadre juridique que le juge d’instruction envisage un placement en détention provisoire et qu’il soit suivi par le JLD ou parfois sous contrôle judiciaire avec des interdictions de rencontrer et surtout d’avoir accès à des ordinateurs ou internet et de suivre des obligations de soins et d’en justifier devant le juge d’instruction. Sur les sanctions, ce sont les sanctions habituelles, c’est-à-dire les peines d’emprisonnement. Il y a toute une possibilité de peines qui est ouverte au magistrat lorsqu’il est amené à juger de ces comportements : peine d’emprisonnement ferme, avec sursis, peine d’amende, des peines complémentaires, bien entendu de déchéance de droits civils et de famille, interdiction de rencontrer des mineurs. Mais aussi des peines d’importances qui sont tous ces fichiers qui ont été créés et notamment le fichier national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles institué par la loi du 9 mars 2004 et vous trouverez toutes les dispositions aux articles 706-53-1 et suivants. Voici donc le traitement de ces affaires en France par les juges français et les sanctions qui peuvent être prises et leurs conséquences. Si on fait un constat de cette activité judiciaire et au terme des statistiques de la Chancellerie, dans ce type de dossiers comme je vous l’ai indiqué précédemment, c’est l’utilisateur qui est poursuivi et sanctionné et rarement ceux qui sont à l’origine de la mise en place sur Internet de ces images, ceux qui ont fait ces images, ceux qui ont les films, ceux qui ont maltraité les enfants et ceux qui diffusent tout ça... Parce qu’ils sont loin de la France et des pays où ils peuvent être appréhendés facilement et très souvent dans des pays où les poursuites sont moins organisées même s’il y a maintenant de la coopération internationale qui est menée au regard de toutes les conventions qui ont pu être votées pour réprimander ce type d’infractions. A ce titre, je vous reporte à la convention internationale des enfants, celle de 89, qui en constitue la base. Vous avez un protocole facultatif à la Convention qui a été voté en 2000 qui tend surtout à combattre la pornographie mettant en scène les enfants. Vous avez une décision du Conseil de l’Union européenne de 2000 relative à la lutte de la pédopornographie sur Internet. Vous avez une décision du Conseil de l’Union européenne de 2002, une décision cadre de 2003 dont je vous au déjà parlé relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie... Toutes ces décisions montrent que c’est une question d’importance notamment dans le ressort de l’Union Européenne des 27 pays membres pour essayer de lutter de façon efficace contre ce type de délinquance qui ne s’arrête pas aux frontières. Alors une des difficultés dans ce dossier – et là c’est le défenseur qui parle – c’est la manière dont les éléments de preuve sont recueillis par les enquêteurs. Il y a des dossiers américains qui sont arrivés sur le territoire national et les américains ont d’autres méthodes que les français puisqu’ils sont allés jusqu’à constituer eux-mêmes des sites pédopornographiques pour essayer de capter les auteurs de ce genre d’infractions. Vous avez des poursuites qui ont été menées en France avec ces éléments de preuves qui ont été soumis et qui avaient été transmis par les autorités américaines et la Cour de cassation a été amenée à considérer qu’elle devait écarter ce type d’éléments de preuve par rapport au principe de loyauté de recherche de la preuve en se référant essentiellement à l’article 6.1 de la CEDH (. arrêt du 7 février 2007). En revanche, il a été jugé acceptable pour une personne connectée à un forum qui avait reçu des photos pédopornographiques de se faire passer pour un mineur. En réalité on arrive – et c’est ce qu’a ouvert la loi du 5 mars avec les dispositions de l’article 706- 47-3 vous ne devez pas être à l’origine de la création du site mais vous pouvez interférer et amener à la faute celui qui va intervenir dans cet échange via internet. Cela a été validé par la jurisprudence et cela figure dans le code de procédure pénale. Page 34 Sur les moyens techniques vous avez déjà des intervenants. Des pouvoirs ont été donnés avec des services spécialisés de la gendarmerie, de police, avec des moyens techniques notamment en matière d’informatique et d’internet car ce sont des techniques nouvelles qui n’étaient pas connues des enquêteurs et qui doivent être dans une situation d’égalité avec les délinquants en bout de chaine. Une coopération internationale très importante qui est menée via Interpol et Europol. Et donc des opérations quasiment planétaires lorsqu’on arrive à découvrir des sites. En réalité, aujourd’hui, où en est-on? On en est dans un combat qui n’est pas facile à mener puisque l’adversaire se cache, l’adversaire est inconnu, il est dissimulé, il est protégé dans certains pays – comme certains pays vivent du trafic de stupéfiants, certains pays vivent directement du tourisme sexuel et aussi de la pédopornographie puisque cela rapporte de l’argent. En réalité, cela ne coûte pas très cher à ceux qui le produisent et que le risque pénal est quasiment nul puisqu’ils ne sont pratiquement jamais punis, rarement poursuivis car rarement identifiés, que c’est un marché mondial, volatile et diffus. Mais la solution qui consiste à poursuivre, à faire condamner celui qui en est l’utilisateur mettra peut-être un terme à cette délinquance, c’est un vœu pieux vu la masse d’images de sites – et moi je ne suis pas convaincu que le receleur fasse le voleur, moi je pense que c’est d’abord le voleur qu’il faut sanctionner avant celui qui va recevoir le produit. Voilà ce que je voulais vous dire sur ce sujet, c’est en réalité une nouvelle forme de délinquance à laquelle la justice s’est adaptée pour essayer de réprimer mais il y a aussi un aspect très essentiel chez ce type de délinquants, à savoir qu’ils n’ont pas du tout conscience de commettre une infraction. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas conscience de ce qu’il y a en amont dans le dossier parce que c’est une délinquance tout à fait virtuelle à leurs yeux. Ils regardent, consultent des images mais ils n’ont pas conscience que derrière leur écran, ces images, il y a un jeune garçon, une jeune fille qui a été violé, maltraité, cela n’arrive pas à entrer dans leur tête et c’est peut-être cette dimension purement psychologique voire purement médicale qu’il faut aussi prendre en compte au niveau des poursuites : c’est pris en compte par les juridictions puisque sont ordonnées de plein droit des expertises médico-psychologiques. C’est aussi pris en compte par les juridictions de jugement. Lorsqu’on sanctionne ce type de comportement, on essaye de contrôler l’intéressé et on va très souvent vers des peines d’emprisonnement assorties d’un sursis avec mise à l’épreuve. Dans ce type d’affaire, il est rare que soient prononcées des peines alternatives aux poursuites. La plupart des Parquets ne traitent pas ces dossiers dans les bureaux du Délégué du Procureur mais souhaitent que ces personnes aillent, comparaissent devant un tribunal au regard de la gravité objective de ces faits lorsque on les relie avec ce qui peut être fait en amont. Donc comme le disait mon confrère, le grand spécialiste de la question, Jean Michel HAAS : « Internet est une poudrière juridique », un nouveau lieu de délinquance, il faut essayer de lutter contre cette délinquance avec intelligence et efficacité lorsqu’on est face à des utilisateurs qui sont des gens à mon avis qui ont des problèmes psychologiques graves. La réponse pénale n’est peut-être pas l’unique réponse à leur apporter et c’est notamment le travail important qui est fait par les psychiatres ou les psychologues qui sont amenés à rencontrer et à traiter ce type de personnes dans le cadre de suivis qui sont imposés par des peines d’emprisonnement assorties d’une mesure de sursis avec mise à l’épreuve, voire convaincre l’intéressé d’aller vers ce type de soins pour se sortir de cette délinquance. Page 35 Page 36 Page 37 Page 38 Page 39 Page 40 Page 41 Page 42 Arnaud MARTORELL – Psychiatre psychanalyste, expert cour d’appel de Paris, Co fondateur de l’antenne psychiatrique de la Garenne Colombes Transcription de l’intervention orale Effectivement, cela fait un certain nombre d’années que je travaille avec Roland COUTANCEAU même avant nous étions des amis. La question des télé chargeurs d’images – les télés chargeurs d’images – non pas de délits mais des hommes et c’est bien de ces hommes dont je vais essayer de vous dire quelque chose d’utile. C’est un vaste programme, on va parler des nouvelles formes de délinquance, des nouvelles choses qui apparaissent avec la technique et effectivement cette forme de délinquance de charger des images pédopornographiques et d’en diffuser, parfois les deux, parfois simplement des chargeurs. Cela pose des problèmes pratiques quant à des questions, tout à l’heure j’écoutais Monsieur le Bâtonnier dire : « ce sont probablement des gens perturbés sur le plan psychologique plus que des délinquants simplement qui relèvent d’une peine privative de liberté. » Peut être. Dans tous les cas on a bien du mal à les situer de façon précise quelque part. Et les situer, bien évidement ça situe du côté de la pédophilie. Or quand on parle de la pédophilie, on a tendance à beaucoup parler de pédophilie pour dire beaucoup de chose : certaines pertinentes et sérieuses, d’autres moins. Et puis le pédophile est devenu un petit peu l’ennemi numéro un. A un certain niveau, dans un certain registre bien entendu et en fait dans notre expérience de cette antenne médico légale de la Garenne Colombes à laquelle j’ai participé - avant que l’on commence notre premier voyage au Canada dans les années 92 avec Roland COUTANCEAU - on s’aperçoit qu’il y a des choses très disparates, très différentes et que notamment les pédophiles sont très très loin de correspondre à un cadre unique où tous pareils, tous même combat : nenni et point du tout. Ce que nous apercevons, ce que nous constatons c’est que les gens qui sont aux mains de la justice et qui nous sont confiés, ils ont commis au moins un acte délictuel, abusif, à type d’attouchement, à type d’agression, à type de viol sur des enfants. Certains présentent une fixation pédophilique très importante, à savoir qu’ils n’éprouvent de libido, d’excitation sexuelle que devant des enfants. Alors je vous rappelle qu’enfant pour nous n’a rien à voir avec l’âge, nous ce n’est pas notre problème, qu’ils aient 10 ans, 11 ans, 14 ans, c’est la puberté. Un enfant c’est quelqu’un qui est pré pubère même s’il a 15 ans et un enfant n’est plus un enfant s’il a 12 ans et qu’il est déjà pubère et formé comme un adulte. Donc ceux qui sont attirés par des corps pré pubères ont cette personnalité, cette sensibilité pédophilique se pose un autre problème de quand dire utilisable, quand dire pertinent et pratique sur le plan du travail des cliniciens à qui l’on confie ces gens « faites quelque chose ». Qu’est que l’on peut faire avec les services et notamment les délégués à l’insertion à la probation, enfin tous les gens de la justice qui travaillent, qui essayent de faire un acte, un travail social utile : « qu’est-ce que nous pouvons apporter, qu’est-ce que nous pouvons dire ? Donc le problème c’est la question de la pédophilie, de la prégnance, de la sensibilité pédophilique et le risque de passer à l’acte. Car les deux sont dissociés. Je rappelle à titre d’élément d’histoire pour certains d’entre vous qui lisent, qui savent qu’il y a un bouquin qui s’appelle psychopathia sexualis écrit par un professeur allemand autrichien qui fut professeur à Strasbourg à l’époque où Strasbourg était germanique, dans la faculté de médecine de Strasbourg et qui écrivait dans son ouvrage qui est devenu un gros ouvrage après la modification par Albert MAUL qui était un berlinois, professeur de Page 43 médecine légale qu’il y a beaucoup d’individus qui perçoivent chez eux cette attirance pédophilique et qui s’abstiennent spontanément d’être en trop grande promiscuité ou proximité avec des enfants. Par exemple ils renoncent à leur métier d’enseignant ou d’éducateur. Donc nous connaissons cela de longue date. C’est-à-dire que de longue date nous savons qu’il y a des individus qui agissent, qui mettent en scène, qui réalisent des passages à l’acte pédophiliques et des individus parfaitement conscients de leurs tendances et qui s’abstiennent parce qu’ils savent parfaitement la valeur de la loi. Ils savent parfaitement les risques encourus, ils savent parfaitement qu’un enfant de 5, 6, 7, 8, 9, 10 ans ne demande pas une sexualité. Il ne demande pas un commerce charnel avec un adulte mais une relation qui est plutôt de l’ordre de la tendresse et de l’affection. Vieille confusion des langues qui sera remise sur le tapis en 1934 par un dénommé Sándor FERENCZI, grand ami et compagnon d’un autre dénommé Sigmund FREUD. Toutes ces choses là, certains d’entre vous le savent, et le connaissent. Le problème qui se pose à nous avec les images pédopornographiques est le suivant : qui parmi ces détenteurs d’images pédopornographiques est susceptible de passer à l’acte et dans la réalité concrète, de faire plus que collectionner des images et qui est donc susceptible de toucher à des enfants, voire de commettre des viols ou des choses extraordinairement graves. C’est environ depuis l’an 2000, depuis le 21 siècle, que dans des pays modernes – pour ne pas dire des démocraties – la technique, les groupes d’investigation de la police et de la gendarmerie permettent de repérer et d’interpeler les gens qui collectionnent, possèdent des images pédopornographiques sur leur ordinateur. Je rappelle quand même, en passant, que ces images pédopornographiques maintenant sur l’ordinateur existaient par les temps passés sous forme de dessins ou de photographies. Et que nous avons eu à faire à quelques situations uniques où les gens collectionnaient des centaines voire des milliers de dessins pédopornographiques. Et ce qui est plus pornographique et a bien un caractère violent voir sadique. Le sadisme pédopornographique et nous avons eu notamment un cas très particulier où cet homme qui était marié, père d’un enfant, d’une soixantaine d’années, était un directeur d’institution, etc... Et qui nous posait le problème : qui est cet homme et quelle est sa dangerosité ? Et donc nous en avions parlé et en fait, comme il n’avait rien fait autre que collectionner des images pédopornographiques, certaines extrêmement violentes sans passer à l’acte, que c’était nous mêmes qui l’avions poussé à se dénoncer puisqu’il s’était dénoncé il n’y avait pas eu de poursuites, à un moment donné il est sorti de notre champ d’intervention, à savoir celui de l’antenne médico-légale de La Garenne Colombe, et nous sommes restés sur notre faim quant à savoir si cet homme avait commis dans le passé des actes concrets et s’il risquait d’en commettre dans l’avenir. Et bien, nous n’en savons rien. Donc, pour en revenir à notre sujet, le problème qui se pose est celui du tri parmi tout ces gens interpellés qui ont dans leur ordinateur, dans leur disque dur, des images pornographiques, parfois qui se chiffre par des centaines de milliers, dépassant le demi million d’images avec des films Qui sont ils ? La première chose est de savoir : est-ce que ces gens correspondent à des individus pédophiles tels que nous les connaissons par ailleurs en tant que praticiens de l’antenne, et en tant que médecins-experts. Comme on le disait tout à l’heure avec le docteur COUTANCEAU nous nous sommes rencontrés en tant qu’experts il y a un quart de siècle – 25 ans, peut être un petit peu plus - en travaillant, en disant qui sont ces gens là ? Que peut-on y comprendre ? Et que peut-on faire ? Autre que dire « il est fou, il n’est pas fou », « il est capable de discerner et donc d’être puni ou il est incapable de discerner », « ou il discerne approximativement ». Page 44 Alors qu’est ce que nous pouvons dire des gens que nous rencontrons, que nous avons rencontrés soit en tant qu’expert soit en tant qu’individu venant nous consulter à l’antenne médico légale. D’abord il y a des gens qui s’inscrivent dans une motivation financière sans problématique pédophilique donc qui font plus ou moins du commerce qui utilisent tout est bon pour faire du commerce, petit commerce, moyen commerce, gagner de l’argent, etc.. Et qui n’ont pas d’attrait prononcé. Deuxièmement il y a des individus qui ont une sorte de « tendance » addictive , ils sont fixés de façon maladive, répétitive et obsédante par la pornographie en général mais donc où la pornographie en général se complémente de cette pornographie des enfants mais aussi parfois de collection d’images zoophiliques, gérontophiles, des choses qui seraient plutôt dans le registre voyeuriste, fétichiste , sadomasochiste, Il y a des individus qui collectionnent des images et là c’est une nouvelle forme de pathologie, ces gens qui sont derrière leur écran et effectivement dans cette virtualité de l’écran sont dans une sorte d’hyperactivité, une hyperactivité très importante.. On se demande un peu quel « sens » quand on voit la trajectoire de leur vie et quel est le degré de névrotisme, de perversion, de perversité auquel cela correspond. Il y a une troisième catégorie ces sujets ayant un intérêt spécifique pour des images pédopornographiques et qui reconnaissent un attrait pédophilique exclusif ou préférentiel. C’est-à-dire qu’il n’y a que ça qui les excite ou c’est plutôt ça qui va les exciter parmi les autres choix de la vie, érotico-fantasmatique, etc. Et je parlais à Madame PHILBERT d’un cas de figure de quelqu’un que nous avons rencontré. C’était un pharmacien, qui tenait la pharmacie principale d’une petite ville loin de PARIS que vous ne connaissez pas bien entendu, marié, quatre enfants, présentant bien avec une épouse et que la gendarmerie avait arrêté avec un disque dur truffé d’images et de films pédopornographiques et qui se présentait en disant : « non, oui, peut-être, je dis mais je ne dis pas ». Enfin ne sachant pas trop quoi dire mais surtout sachant parfaitement qu’avouer ou énoncer le fait qu’il était attiré par les enfants pré pubères était signer quelque chose de très grave pour lui puisqu’il allait être condamné sans conciliation particulière. D’autant plus c’était un pharmacien donc un homme de bon niveau culturel ayant pignon sur rue. Cet homme parlait peu, manifestement n’avait pas envie d’en dire trop, donc quand j’ai vu cet homme il y a déjà plus de 10 ans, eh bien on s’est dit quand même Mais comment il peut... Ce qui apparaissait c’est que les uns comme les autres croyaient derrière leur petit écran être inatteignables, par une loi ou par quelque chose. Ils étaient dans une sorte de rêverie, pas de fantasme, mais de rêverie carrément, rêverie actualisée comme quand on va au cinéma, on se fait plaisir en allant voir les aventures de je ne sais qui, je ne sais où. La quatrième catégorie [ la troisième catégorie c’est ceux qui ont un intérêt spécifique mais qui n’ont pas d’antécédents de passage à l’acte], la quatrième, c’est les sujets qui ont un intérêt spécifique pour les images pornographiques avec des nombres d’images pornographiques, pédopornographiques grave et avec des antécédents d’agressions sexuelles sur des enfants dans leur trajectoire biographique, quand il arrive qu’à tel moment il y a eu des attouchements, il y a eu des choses, etc Notons que cette quatrième catégorie : image, passage à l’acte, c’est comme souvent comme chez les « vrais pédophiles », il n’y avait pas de sexualité. Les pédophiles souvent n’ont pas de sexualité : « Non docteur, moi, les femmes c’est trop compliqué, les hommes quel horreur, les animaux houlala, rien du tout, par contre je me dévoue je suis généreux aux Page 45 enfants ». Et puis, ils sont animateurs de colonies de vacances, animateurs de bibliothèque, animateurs de toute sorte de choses et on se dit mais comment cet individu n’a pas un peu cet égoïsme commun qui fait qu’on essaie de tirer un petit avantage matériel, non rien. Donc retour régulièrement chez les individus qui ont une fixation pédophilique importante sinon prévalente ou alors carrément cristallisation totale cette absence de sexualité. Donc dans le groupe numéro quatre, ces individus qui ont un intérêt pour les images pédopornographiques ça se comprend – enfin vu leur psychologie – avec des antécédents d’agressions sexuelles et en général, n’ont pas de sexualité, pas de sexualité avouée. Puisque ne pas avoir de sexualité est une chose, ne pas avoir une sexualité avouée est autre chose. Je rappelle quand même que quand les gens nous parlent nous savons régulièrement s’ils nous disent pas la vérité, ni toute la vérité, ni même une fraction significative de la vérité, de leur vérité qui n’est pas forcément la vérité. Et que donc, il nous appartient lorsque nous les écoutons de discerner et de faire le tri avec pertinence et discrimination appropriée ce qui est de l’ordre du discours et de la narration actuelle et ce qui est de l’ordre de la réalité de ce qui se joue. C’est pour ça que toute l’évaluation doit se coupler avec ce que nous savons par le biais des enquêtes de police sinon il risque de nous mener en bateau. Car on peut être le meilleur clinicien au monde si quelqu’un vous raconte une contrevérité avec une cohérence apparente vous pouvez le gober si on n’a pas d’éléments. C’est très important de toujours de travailler en bonne intelligence avec les services de police qui nous les ont envoyés. Alors les deux catégories qui retiennent notre attention, je viens de vous parler de quatre catégories, c’est les deux dernières : ceux qui ont un intérêt spécifique pour les images pédopornographiques et qui apparemment ne sont pas passés à l’acte ou que nous ne savons pas et ceux qui ont un intérêt spécifique pour les images pédopornographiques et qui sont passés à l’acte et auquel cas qui nous l’ont fait savoir. Quant aux statistiques des enquêteurs environ 10 % des individus que nous voyons, que nous avons vus, présentent des antécédents d’agressions sexuelles sur enfant lorsqu’ils sont interpellés et qui parlent on a des éléments qui nous permettent de les faire parler. Ceci étant, je tiens ça de mon collègue et ami docteur Roland COUTANCEAU, son voyage aux Etats unis avec Bernard Cordier. Il m’avait parlé de deux études, l’une canadienne et l’autre américaine, donc dans ces deux études il était précisé que chez ces collectionneurs d’images pédopornographiques, il y a des antécédents d’agressions sexuelles sur mineurs donc mineurs pré pubères encore une fois, je vous demande s’il vous plait de bien comprendre, ce n’est pas l’âge qui fait l’étalon de la pré puberté : c’est le corps d’enfants. Il y a un plus grand nombre d’antécédents d’agressions sexuelles notamment à l’adolescence de ces individus qui étaient mis en cause. En général, ce sont des gens qui parlaient à l’occasion de déclarations spontanées lors de prise en charge thérapeutique prolongée. Alors dans la première étude, l’étude canadienne, 40% de la population prise en considération faisait part d’antécédent sexuel sur enfant encore une fois sur mineurs pré pubère. Dans la deuxième étude, l’étude américaine qui se faisait au bout d’un an d’évaluation donc en prenant le temps de bien cerner cet individu qui parlait et le soumettant au polygraphe du détecteur de mensonge, comme vous le savez les américains sont méfiants, parfois ils sont étonnamment naïfs dans leur façon de faire, mais parfois ils sont très prudents et méfiants dont Polygram au détecteur de mensonge. Le pourcentage d’agressions sur mineurs serait de 80 % dont d’auto déclaration, c’est-à-dire que les gens à 80% arrivent à dire : « bon c’est vrai j’ai tripoté des enfants », bon c’est vrai même quand ça se contenait au niveau ces petites agressions qui peuvent parfois être très perturbantes pour l’enfant il y en avait 80% donc le double de l’évaluation du Canada. Bon alors les français qu’est ce qu’ils disent ? Et bien nous n’ont n’avons pas trouvé ça. Nous on n’a pas trouvé ça dans notre façon d’évaluer – je ne sais pas combien – mes collègues qui sont là dans l’antenne, ont peut être des chiffres plus frais. En tout cas moi je n’en ai pas à l’esprit, nous n’atteindrons absolument pas, ces 40% d’individus qui ont commis des actes d’abus ou d’agressions sexuelles et encore moins, 80%. Pas du tout, au contraire, nous nous retrouvons dans une dissociation assez étonnante qui fait que pour beaucoup d’individus, pour une majorité d’individus, en tout cas ceux que je suis personnellement et que j’ai pu évaluer ? on ne retrouve rien, rien du tout. Et c’est ces gens qui vous parlent : « vous comprenez docteur, moi je suis derrière mon Page 46 écran, moi j’ai l’impression que de toute façon ça existe, ces images circulent par internet si moi je n’y avais pas accès de toute façon elles continueraient d’exister, ces enfants ils sont là, c’est fait c’est fait donc je ne fais rien de mal ». Et ils ne se représentent nullement et ils ne mentalisent pas le fait que si il y a des images, c’est que derrière il y a des individus, il y a des êtres humains, des êtres humains en devenir qui parfois sont soumis à des conditions d’esclavage relatives ou de manipulation absolues puisque ce sont des enfants pré pubères et particulièrement vulnérables. Que pouvons-nous dire de cette clinique, de cet accès possible aux images pédopornographiques avant de revenir à un questionnement social ? Certains pays ont eu l’idée d’estimer de façon qualitative les images qui étaient visionnées par les collectionneurs d’images avec un certain enchaînement dans leur représentation d’eux mêmes. C’est-à-dire que les images étaient d’autant plus graves où l’on passait d’une image d’enfant à une image de nudité à une image de nudité érotique à une image d’agression sexuelle caractérisée – quelqu’un était agressé sans violence physique – une image d’agression sexuelle avec violence physique ostentatoire et repérable lors du film et enfin une image d’agression sexuelle avec violence avec un comportement à caractère sadique, à savoir que l’agresseur prenait un plaisir visible et constatable en agressant ces enfants. Alors le problème qui est posé : est ce qu’en fonction de cette classification des pays quant aux images, est ce que nous avons une proportionnalité quant aux risques de passer à l’acte, concrètement, à savoir un adulte , un très grand adolescent qui est très proche de l’adulte, est ce qu’il y a un rapport entre ces images et le risque de passer à l’acte ? Bon, je vous l’ai dit, nous, nous n’en avons pas trouvé et peut être mes collègues vous diront ils des choses complémentaires. Ce que nous avons trouvé ce sont des éléments significatifs. Parmi les gens possesseurs d’images pédopornographiques en comparaison avec une population d’individus qui ont commis des actes d’agression sexuelle à caractère pédophilique – j’ai dit actes d’agression sexuelle à caractère pédophilique – car l’immense majorité des gens qui commettent des actes à caractère pédophiliques ne sont pas des pédophiles. J’ai bien dit ça, oui, vous m’avez bien entendu. La majorité des individus qui commettent des actes à caractères pédophiliques ne sont pas des pédophiles. C’est-à-dire qu’ils ne vivent pas leur sexualité que sur un mode pédophilique. C’est une possibilité et notamment c’est particulièrement vrai chez les pédophiles homosexuels. Et nous distinguons 3 catégories : les pédophiles homosexuels, hétérosexuels et bisexuels. Ça peut vous paraitre une fantaisie - enfin une façon fantaisiste de parler - mais dans ces deux réalités il y a des individus qui ne s’intéressent qu’à des petits garçons c’est pratiquement tous des hommes – la pédophilie féminine n’est pas criminogène mais affectueuse les femmes sont les plus grandes pédophiles du monde mais sur le plan affectueux et non érotique. Ça aussi ne pensez pas que c’est vrai parce que je le dit c’est KRAFFT-EBING dans sa psychopathia sexualis Qui parlait donc de cette pédophilie érotique. Donc dans cette pédophilie érotique qui est le propre de l’homme, il y en a qui s’intéressent qu’aux petits garçons, y’en qui s’intéressent qu’aux petites filles, il y en a qui font les deux, voilà. Donc, c’est dans la catégorie des pédophiles homosexuels qu’on trouve le plus fréquemment cette tendance. Alors parmi ces gens qui détiennent des images pédopornographiques, on repère d’abord que souvent ce sont des gens qui ont un meilleur niveau d’instruction que le reste de la population. Deuxièmement ce sont plus souvent des individus qui sont fixés à la sensibilité pédophilique, sensibilité pédophilique qui ne signifie pas une libido totalement pédophile. Par exemple, nous avons entendu des individus qui nous disaient : « oui docteur, oui toujours ma femme, j’ai jamais trompé ma femme d’ailleurs, 12 ans avec elle, mais quand je lui fais l’amour je pense aux enfants » , «ah c’est intéressant » « j’ai fait toute ma vie je l’ai connu à 18 ans, on a 40 ans de mariage, j’ai toujours fait comme ça, je passerai jamais à l’acte avec les enfants mais il y a que ça qui m’excite sinon je peux pas lui faire l’amour ». Ah, vous êtes soufflés! Toutes les dames vont dire : « Arrête ! stop, t’es en train de penser quoi ? », ce n’est pas la peine mesdames, ça ne sert à rien, ce n’est pratiquement pas très utile mais quand même il y a des choses comme ça. Page 47 On peut dire aussi les fantasmes qui existent dans la tête des femmes « je suis en train de penser » La question c’est qu’il y a une dissociation entre le fantasmatique, le fantasme, la fixation au fantasme et l’agir pratique puisque ce que je vous dis là, on l’a entendu aussi d’individus qui disent « je suis totalement hétéro, mais le truc ce qui m’excite c’est de penser à un couple homosexuel hommes qui s’ébat entre eux de façon hard style sadomaso, vous voyez ? ». Et quand la femme entend ça, il vaut qu’elle ne l’entende pas sinon elle est totalement bloquée complètement. C’est très important parce que dans le simplisme ou le réductionnisme juridiste – non pas juridique mais juridiste – on fait que si l’un était parfaitement objectivable, bah non les êtres humains, la particularité, c’est que nous ne sommes pas dans l’objectivité, la rationalité et justement si on défend l’objectivité et la rationalité c’est parce que nous venons et nous fonctionnons tous autant que nous sommes - et celui qui dit : « non moi pas du tout », c’est un des pires - par des fantasmes, par un imaginaire qui nous dépasse à condition de maîtriser et de faire mieux. Alors rassurez vous, ça n’empêche pas de vivre en bonne société de courtoisie et de bonnes manières mais il faut le savoir. Surtout quand on est médecin, psychiatre, expert, notamment et qu’on est tenu de dire des choses qui ne soient pas des niaiseries et des simplismes sur des êtres humains qui ne sont pas des robots et des machines étant ou blanches, ou noires, ou grandes ou petites, ou bonnes ou méchantes, et nous trouvons la coexistence d’aspect tout à fait disparates de façon variable dans le temps chez les mêmes individus et cela nous interpelle quant au fonctionnement psychique et la source de fonctionnement de ce psychisme. Alors il y a une grande proportion, notamment chez les gens que nous voyons à l’antenne médico légale et ceux que nous voyons nous en tant que médecinexpert depuis bien avant l’antenne qui ont visionné des images pédopornographiques et qui n’ont aucun antécédent d’agressions sexuelles et qui apparemment ne risquent pas de passer à l’acte. Pourquoi on dit apparemment qui ne risquent pas de passer à l’acte ? Parce qu’ils ne sont pas dans un contexte qui facilite le passage à l’acte, par exemple, tout le temps entouré de sa famille et de ses amis. Je rappelle qu’un pédophile c’est très simple c’est un homme, adulte, dans un lieu où il y a des enfants accessibles, et aucun encadrement particulier et où le dérapage peut se faire. Si, il y a un regard extérieur, c’est très difficile que les dérapages se fassent. C’est extrêmement simple. Il y a un contexte, la question de la contextualisation des actes est essentielle pour comprendre comment les choses se déroulent. La question qui nous est posée est : mais enfin docteur quel est le risque de passage à l’acte ? Qu’est ce qui fait qu’untel risque de passer à l’acte ou de ne pas passer à l’acte ? C’est ce qui revient de façon itérative, c’est une demande régulière. Pour les agresseurs sexuels tout bonnement et pour les agresseurs d’enfants particulièrement et, là, c’est là qu’on est obligé de constater que la réalité d’une fantasmatique, d’une fantaisie pédophilique même fixée – je parlais de cet homme qui faisait l’amour à sa femme avec des images pédophiliques dans son esprit, dans son imaginaire, qui le faisait venir dans son esprit volontairement nous pose problème et donc ce n’est pas parce que quelque chose dans l’esprit d’un individu l’excite qu’il risque de passer à l’acte et ça c’est très important à ne pas perdre de vue au risque de tomber dans un simplisme réducteur. Et donc inhumain, inhumain je veux dire non opérationnel pour la pratique de l’esprit humain et de la pratique sociale humaine et humaniste. Un certain nombre d’individus qui ont été interpellés, que nous recevons nous disent, nous posent la question : « est-ce que vous risqueriez de toucher un enfant ? » « Et ça il en est hors de question. Toucher un enfant, alors ça jamais. Je sais parfaitement que cela ferait du mal à l’enfant, je sais parfaitement que cela ferait du mal socialement, je me mettrais en danger parce que cela serait condamné de façon tout à fait légitime ». Ils admettent sans problème le bien-fondé de la loi et le principe de la loi. Donc nous avons ce type d’individus. On peut aborder deux types de populations : la population de ceux qui ont été interpellé pour le visionnage et la collection d’images pédopornographiques et les auteurs d’agressions sexuelles sur mineurs on peut les aborder de façon assez similaire. Donc les gens qui ont commis des actes pédophiliques et les Page 48 gens qui ont une fantasmatique pédophilique. Alors quels sont les facteurs de risques dans ces deux populations d’individus qui s’intéressent aux enfants ? Les uns sous forme de rêverie et d’imaginaire, les autres sous forme pratique. D’abord, il faut voir, essayer de voir, en échangeant de façon futile, avec ces individus – si tant cela se peut – quel est l’attrait pédophilique présent chez l’individu. Est-ce que c’est un attrait pédophilique exclusif, est-ce qu’il est préférentiel ? Est-ce qu’il est transitoire ? Est-ce qu’il est à un certain moment – notamment au moment sous pression anxiogène ? Il y en a certains à des moments de pression d’anxiété, qui feraient des choses assez étonnantes qu’ils ne feraient pas et qui n’ont à peu près rien. C’est ce qu’ils nous disent et effectivement nous avons quelque raison de les entendre. Donc le deuxième facteur de risque c’est le caractère obsédant de la fantasmatique : « je suis attiré par les femmes blondes mais je suis attiré et obsédé par les femmes blondes, tous le temps une blonde, une blonde, une blonde ». Vous voyez ? le côté obsédant. Et ce n’est pas pareil. Il faut croire qu’il y a des gens attirés et qui peuvent faire autre chose. Donc le caractère obsédant dans la fantasmatique qui renvoie à ce caractère obsédant et donc addictive. Ils font ça et pas autre chose. Puis enfin la troisième dimension de caractère et de personnalité c’est la personnalité très égocentrique : « c’est moi, moi, moi, c’est moi le meilleur les autres comprennent rien, moi, moi, moi. Qu’on retrouve également chez les individus plus ou moins psychopathe, délinquant, transgressif, intolérant à la frustration, menteur, tricheur, magouilleur, etc Et bon psychopathes ou antisociaux. Et donc c’est cette personnalité égocentrée, mégalo, mégalomane, qui est restée dans l’enfance. Vous savez, l’enfance est marquée par un ton infantile : « C’est moi l’enfant Roi, l’enfant que ma mère aime, que tout le monde m’aime et même ma mère donc tout le monde doit. Et après quand je deviens plus grand j’ai tout compris, les autres c’est tous des vieux cons, des jeunes cons, . » Bon je plaisante bien entendu mais ça existe cette mentalité là qui est une mentalité qui renvoie sur des structures plutôt paranoïaques, plutôt paranoïaques, et je rappelle que la paranoïa est la tendance pathologique la mieux partagée entre nous tous, Mesdames et Messieurs, moi y compris. Donc c’est important de ne pas perdre de vue comme les hystériques, on dit hystérique mais tous le monde est hystérique. Il y a que les ennuyeux qui ne sont pas hystériques. Donc c’est important de voir toutes ces composantes quand on évalue un être humain. Car il ne faut pas oublier que ces agresseurs, ces délinquants, ce sont des êtres humains. Et qu’on ne peut pas les jeter dans des cachots, dans les plus basses fosses et les laisser… Non, il faut voir ce qu’on fait, comment on conçoit et comment par notre attitude subtile et humaine, on va peut-être faire une alliance thérapeutique. C’est-à-dire que le mec : «Vous me cassez un peu... Hein... Mais ce n’est pas bête ce que vous dîtes finalement, effectivement, ça peut être intéressant de voir si on fait quelque chose pour dépasser parce que sinon je vais me retrouver au trou, derrière le barreau, mandat de dépôt » Mais c’est important ça donc si on conserve quelqu’un sur un mode humain même quand c’est une femme. On finit, on arrive parfois à extraire de lui ce qui a de plus humain et même parmi les pires, les plus tordus, monstrueux, Hitler, il y avait aussi des trucs humains même si on fait des trucs horribles, horribles, inqualifiables et c’est important de ne pas l’oublier. Non pas pour être laxiste ou léger mais pour être tout simplement humain et voir ce qu’on fait après pratiquement. Alors bien entendu l’étude du contenu des images c’est intéressant, c’est très important que l’enquête de police, l’enquête minutée de police qui est faite arrive à la connaissance des gens qui vont essayer de mettre en place cette alliance thérapeutique si faire se peut pour construire un espace relationnel où quelque chose puisse advenir qui freine la potentialité du passage à l’acte chez cet individu collectionneur d’image pédopornographiques. Alors puisque se pose le problème du passage à l’acte, nous, à l’antenne médicolégale, nous avons fait le choix de faire des groupes avec d’autres individus qui sont passés à l’acte, en pensant que cet échange croisé entre ceux qui sont passés à l’acte, ceux qui fantasment et n’ont pas l’air de se rendre compte que derrière ce petit écran, ce sont des êtres humains à qui on a violé leur image et leur comportement qu’on a abusé, on les a escroqués. La pédophilie comme je l’ai dit à d’autres moments, c’est une sorte d’escroquerie morale, c’est là l’abus essentiel. Et c’est ça peut être qui blesse encore plus l’enfant, le mineur vulnérable, que l’attouchement en soi. C’est le côté on m’a roulé dans la farine, on ne m’a pas respecté. C’est très important de bien se rendre compte de cette dimension de Page 49 blessures dans l’identité de blessure narcissique quelque part. Donc on a pensé à faire un même groupe, on avait pensé à un moment à faire un groupe de collectionneurs d’images pédopornographiques puis finalement on s’est dit non est ce que on en a assez ? On ne va pas les mettre ensemble Et finalement ça marche pas trop mal, ça marche pas trop mal, les gens parlent, les gens communiquent et on se retrouve devant des questionnements, des questions croisées dans les groupes, où des gens qui ont commis des actes disent à l’autre qui a collectionné des images : « Enfin, toi, tu ne crains pas Ou les gens qui ont collectionné des images à ceux qui : « Mais enfin bon , tu as commis des actes pareils, moi jamais je ferai un truc comme ça, moi... . » Nous avons pensé que cela a été utile, c’est comme cela qu’on fonctionne jusqu’à présent, notamment c’est d’autant plus valable que pour les gens qui de très longtemps savaient qu’ils pouvaient, qu’ils étaient susceptibles de passer à l’acte, de déraper. Donc le but de ces échanges, de ces prises en charge après une évaluation pertinente et intensive de l’individu c’est amener le sujet potentiellement transgressif, pédophile, à une plus grande authenticité, lucidité, devrait-on dire, sur lui-même le conduisant à clarifier son champs de affectivo-sexuelle. Et lui étant plus clair sur lui-même va essayer de mettre en place les modalités pour qu’il gère au mieux cette affectivité, cette affectivo-sexuelle éradique et problématique puisqu’on sait qu’il y a un problème. En synthèse, les sujets interpelés pour stockage et diffusion d’images pédopornographiques soulignent la réalité de l’hétérogénéité, la diversité des sujets que nous rencontrons et soulignent aussi la nécessité d’un accompagnement, ne serait-ce qu’un accompagnement avant cette alliance thérapeutique lorsqu’on veut l’établir. Et notamment, surtout, chez ceux pour lesquels on peut établir la réalité d’un attrait pédophilique exclusif ou préférentiel et avec qui on peut aborder comment nous allons pouvoir travailler, la méthodologie d’appréciation. Le problème central pour nous – au-delà de malade ou pas malade – pour la plupart ce ne sont pas des malades mentaux, c’est infime ou marginal. La question principale, c’est celle de la dangerosité criminologique, à savoir le risque de nouveau dérapage du même type. Donc nous avons une réalité de prise en charge quasi-similaire entre les pédophiles – enfin les individus ayant commis des actes pédophiliques et je vous demande s’il vous plait de différencier le pédophile qui n’a que cette sensibilité là et ceux qui ont commis des actes pédophiliques mais qui sont mariés, ont une vie apparemment banale quand on leur connait pas ces passages à l’acte pédophilique. Dans la prise en charge pour les uns comme pour les autres, pour ceux qui sont passés à l’acte et ceux qui sont restés derrière leur écran, les conduire à reconnaitre la réalité psycho-sexuelle qui est la leur, de repérer les situations à risques, le contexte où ils risqueraient à passer à l’acte et d’essayer de faciliter une plus grande clairvoyance d’eux avec leur sensibilité quant au risque de passer à l’acte et de déraper sur un mode qui les conduiraient inévitablement devant la justice et honteusement derrière les barreaux. Et surtout leur rappeler quelle est la réalité de l’enfance, cette enfance qui demande quelle que soit ses mots et ses attitudes qui peuvent paraître équivoques, quelque chose de l’ordre de l’affectif et qui demande à l’adulte autre chose que de la sexualité adulte. Et enfin, faire en sorte que ces individus, avec leurs représentations plus ou moins fantasmatiques, plus ou moins claires, plus ou moins obscures, plus ou moins variables etc., arrivent à aménager un mode de vie où ils ne risquent pas de retomber, de re-déraper sur un mode pédophilique et qui ne soient pas de nouveau tentés d’agir, de passer à l’acte sur un mode qu’ils vont pour un très grand nombre d’entre eux regretter. Page 50 Sylvie PHILBERT Directrice de l’ASSOEDY Lorsque notre service est désigné pour une mesure de contrôle judiciaire les personnes en charge de la mesure devront s’assurer que l’intéressé respecte bien ses obligations, de travail, de soins indiqués par le magistrat sur l’ordonnance. Dans le cadre des délits et crimes sexuels où les soins sont préconisés, ils vont inciter les personnes à se faire prendre en charge dans une structure spécialisée à cet effet, dans le cas présent l’antenne de psychiatrie et de psychologie légales pour les Yvelines. Je tiens à souligner l’importance du travail complémentaire qui va être mené qui met les intéressés face à un réseau cohérent. Que se passe-t-il dans le cadre d’un contrôle judiciaire ? Comme je vous en ai fait part la première étape est la vérification des obligations. Si l’intéressé convient des faits un travail d’élaboration pourra commencer Comment se situe-t-il par rapport aux faits ? Comprend-il la mise en cause ? A-t-il conscience de l’existence d’une ou de plusieurs victimes Il nous a semblé intéressant, plutôt que d’en rester à la théorie, de vous présenter une situation suivie par une chargée de mesure socio-judiciaire. Page 51 Page 52 Priscilla VALLART chargée de mesures socio-judiciaire à l’ASSOEDY Je vais exposer le cas de Monsieur X, qui lors de notre rencontre était âgé de 32 ans et était en instance de divorce après 8 ans de mariage. Il est père de trois enfants âgés de 7, 4 et 2 ans et exerce le métier de technicien informatique. Nous l’avons rencontré sur une courte période de manière hebdomadaire dans le cadre d’une comparution préalable. Ce Monsieur a été interpellé suite à une perquisition à son domicile qui a révélé la détention de nombreuses images et films à caractères pédopornographiques sur plusieurs supports informatiques. Ce Monsieur qui paraissait discret, timide, n’avait pas d’antécédent judiciaire. Lors de nos entretiens il s’est montré peu loquace et pas très à l’aise à verbaliser sur son passage à l’acte, qu’il ne reconnaissait pas dans un premier temps comme tel. En effet, il reconnaissait avoir une déviance mais de par le caractère virtuel de celle-ci il estimait ne faire de mal à personne car il ne faisait qu’utiliser des images qui étaient disponibles sur internet ; par contre, il était conscient des lois et se disait incapable d’aller au-delà d’un simple visionnage. Paradoxalement, il met en évidence que depuis la naissance de son premier enfant, conscient de sa problématique, il a instauré une distance entre ses enfants et lui, il ne leur donnait pas le bain, ne leur faisait pas de câlin, et autre ; car il avait peur de ce qu’il pouvait faire bien qu’il n’ait jamais ressenti d’attirance ou fantasmé sur ces derniers, selon ses propos. Cette distance qu’il avait installée a provoqué des conflits au sein du couple et de ce fait, son épouse à demander le divorce. A partir de ce moment, l’intéressé prend conscience que sa vie s’oriente uniquement autour de ces visionnages, ne laissant place à aucune relation de couple, aucune relation père-enfants et encore moins de lien social. Ce qui ressort de nos rencontres avec l’intéressé c’est le fait qu’il mette en avant son vécu de l’interpellation comme étant un soulagement qui lui a permis d’entreprendre une thérapie qu’il désirait faire depuis plusieurs années, mais la honte et le fait qu’il le dévoile de lui-même le bloquait. Dans le cas de Monsieur X, la justice a posé un cadre qu’il a su investir, sa transgression était connue et le soin devenait une obligation, une contrainte qui en quelque sorte l’apaisait. Il a su exposer, qu’au travers des groupes de parole au CMP de la Celle Saint Cloud, il a su évoluer dans sa réflexion et prenait désormais conscience de sa dangerosité latente. Dès lors, la procédure a permis une libération de la parole qui a eu un impact sur les relations familiales ; son épouse a pu comprendre sa problématique, et l’intéressé a pu entrevoir un avenir différent au travers du soin vis-à-vis de ses déviances et par là même, se projeter dans une vraie relation de père avec ses enfants. Page 53 Page 54 Dr Mathieu HAJBI, Psychiatre Hospitalier Responsable de l’antenne de psychiatrie et de psychologie légales des Yvelines (APPL78) Pour un partenariat Santé - Justice : Le partenariat Justice et Psychiatrie s’est trouvé renforcé depuis la mise en place de l’injonction de soins dans le cadre du suivi socio-judiciaire (SSJ) principalement en matière de délinquance sexuelle (loi Guigou du 17/06/1998 et suivantes). Il faut interpréter l’injonction de soins comme un traitement psychosocial qui suppose des échanges entre psychiatres, magistrats, pénitentiaires, sociaux, politiques, ainsi qu’une complémentarité des pratiques de terrain des disciplines différentes. Les délits et crimes sexuels placent les systèmes publics, tant judiciaires que sanitaires devant une responsabilité éthique, que l’on soit face aux victimes à qui il convient d’apporter une aide thérapeutique, ou face à des auteurs qu’il convient de prendre en charge, tant pénalement que thérapeutiquement, afin de renforcer la prévention de la récidive et d’épargner d’autres victimes potentielles. Si la justice participe essentiellement à la protection des victimes, à la répression des délinquants et à la défense sociale. La psychiatrie et la psychologie, en revanche, avec le développement de la psycho criminologie, ont ouvert ces dernières décennies de vastes perspectives thérapeutiques et de recherche dans le domaine des agressions sexuelles par le biais d’approches psychologiques diverses questionnant l’individu transgressif sur le degré de ses fixations fantasmatiques et dont la finalité est de l’aider à une réelle reconnaissance des faits, au repérage des situations à risque, à une auto perception humaniste de son fonctionnement psychique et à une gestion viable de sa sexualité et de sa vie sociale en mettant en place des stratégies du changement. La psychothérapie participe ainsi à la mobilisation des affects, à l’étayage des représentations mentales, à l’identification des problématiques existentielles et par conséquent à rétablir l’équilibre psychologique des sujets, à les faire aboutir à un véritable questionnement sur leurs pulsions et à une meilleure mentalisation de l’altérité et des limites des enjeux relationnels psycho-affectifs. Le cadre thérapeutique que propose notre antenne s’appuie sur une double approche individuelle et groupale. L’approche groupale est privilégiée pour la majorité des patients, d’une part par son caractère économique (financier, temporel) et d’autre part (toutes les études le soulignent) par son effet potentialisateur de pensée et facilitateur des processus d’identifications transférentielles qui s’y opèrent. L’équipe de l’antenne a une vocation pluridisciplinaire composée de psychiatre, psychologues, cadre de santé, infirmière psychiatrique et de secrétaire médicale. Les soignants qui y sont engagés sont tous volontaires et ont une compétence dans l’approche psychocriminologique du passage à l’acte médico-légal. L’APPL 78 Depuis Janvier 2011 L’APPL78, est reconnue Unité Fonctionnelle No 9136 dans le dispositif de soins du Centre Hospitalier Jean Martin CHARCOT (Plaisir). Depuis Janvier 2006 elle prend en charge « Auteurs de Violences Sexuelles » et ses compétences se sont élargies aux « Auteurs de Violences Conjugales ». Page 55 Nous effectuons des évaluations des auteurs dans différents champs de la psycho criminologie, mais faute de moyens, nous ne pouvons malheureusement pas honorer toutes les demandes aussi bien pour certains profils d’auteurs (déficients mentaux), que pour l’entourage touché par cette problématique (conjoint, enfants et/ou proches….) que pour les victimes à qui il est impératif de dédier des plages horaires distinctes. L’activité de l’antenne a pu acquérir durant ces sept années un régime de croisière et a pu s’inscrire dans une dynamique intersectorielle et territoriale du département des Yvelines avec un partenariat diversifié dans les champs sanitaire et socio-judiciaire. En effet notre rapport annuel montre bien que l’activité a plus que doublé et ne cesse d’augmenter aussi bien au niveau de la file active (passée de 52 en 2010 à 140 en 2011), que des nouveaux cas (28 en 2010, 73 pour 2011) et des actes administrés (1071 en 2010 et 1822 en 2011). L’APPL78 dispose des locaux du C.M.P. de la Celle Saint Cloud. Cette structure est facilement repérable et bien desservie par les transports en commun. - Les thérapies de groupe sont tenues à un rythme bimensuel et dans la plupart du temps en soirée du fait même de l’insertion socioprofessionnelle de ces sujets. - Chaque groupe thérapeutique est dirigé par deux mêmes thérapeutes de façon régulière et permanente. - Les évaluations (préliminaires, sous suivi et de fin de prise en charge) sont assurées impérativement par un binôme de cliniciens qui peut se composer de façon aléatoire de psychiatre, psychologue et/ ou infirmier psychiatrique selon leur disponibilité du moment. - La population concernée regroupe les pédophiles homosexuels, les pédophiles hétérosexuels, les pères incestueux, les exhibitionnistes, les receleurs d’images pornographiques à caractère pédophiliques, les violeurs de femmes adultes et les abuseurs sexuels avec déficience mentale et récemment les hommes violents dans le contexte conjugal . etc. Nous avons fait le choix d’homogénéiser les groupes de paroles selon le type de passage à l’acte (critère pédagogique) et de diversifier les champs thérapeutiques en créant des modules thérapeutiques transversaux ciblant des problématiques spécifiques (dysfonctions sexuelles, affirmation de soi ). - Un minimum de cinq groupes d’une capacité moyenne de dix patients par groupe est exigé pour pouvoir répondre à la demande actuelle. - Nous pensons dédier à l’avenir plus de plages horaires pour les thérapies individuelles, du couple et familiales, selon le temps supplémentaire institutionnel attribué. L’APPL78 est donc compétente pour répondre à des besoins d’évaluation, de psychothérapie ainsi qu’à des besoins d’expertise clinique, de formation continue et de recherche scientifique dans les domaines du passage à l’acte médico-légal en général et des agressions sexuelles en particulier. Son champ d’action peut se situer en amont comme en aval du passage à l’acte : - en amont, par des actions de prévention primaire en partenariat avec les professionnels des milieux socio-éducatif, socio-judiciaire et médico-psychologique. - en aval, par des actions de dépistage précoce, de traitement et de prévention de la récidive auprès des sujets prévenus, condamnés ou à haut risque transgressif. Page 56 Contacts : Dr Mathieu HAJBI, Psychiatre Hospitalier Isis HANAFY, Nicolas HARAUCHAMPS, Psychologues Cliniciens Josiane BRANGER, Infirmière Psychiatrique. Pierre BERT, Cadre de Santé Odile SOKOLSKY, Secrétaire médicale Antenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales Centre Médico-Psychologique 29 Rue Gustave Mesureur, 78170 La Celle St Cloud (Tél : 01.30.78.05.66 / Fax : 01.30.82.61.99 / Courriel : [email protected]) Page 57 Page 58 Nicolas HARAUCHAMPS, Psychologue clinicien - Isis HANAFY, Psychothérapeute au CMP/APPL78 de La Celle Saint-Cloud 1- Alliance thérapeutique et position du soignant L’APPL 78 (autrement dit l’Antenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales de La Celle Saint-Cloud) propose des prises en charge spécifiques aux auteurs de violences sexuelles et conjugales. Être soignant au sein d’une telle structure, c’est faire en sorte que ces hommes perdent l’attrait qu’ils ont pour le passage à l’acte d’une manière générale, et les images pédopornographiques plus précisément pour les cas qui nous concernent aujourd’hui. Nous ne nous interrogeons pas sur la gravité des faits. Pour le soignant, qu’il soit psychiatre, psychologue ou un infirmier psy, la question qui se pose c’est celle du passage à l’acte, mais aussi celle de l’individu qui va, parce qu’il a des fantasmes particuliers, parce qu’il a une attirance particulière, transgresser des interdits qui sont aussi bien sociaux, moraux que juridiques. Revenons un instant sur la notion d’obligation de soins et du travail avec les individus qui présentent des problématiques transgressives. La toute première chose que nous engageons avec ces patients, qu’ils soient télé chargeurs ou pédophiles « plus avérés », exhibitionnistes, violeurs de femmes adultes, c’est bel et bien l’alliance thérapeutique. Il faut que le sujet tire une implication de cette obligation de soins, en fonction du bien-fondé qu’il ressort du temps qui lui est imposé par la justice, de ce qu’il peut en tirer pour lui-même, pour son bénéfice, pour son mieux-être. Certains sujets, comme c’est le cas des télé chargeurs, ressentent un véritable soulagement à l’arrestation et la condamnation pénale ; comme s’il y avait un acte dont ils pressentaient qu’ils s’y enfonçaient inexorablement et que la sanction venait arrêter, alors qu’eux-mêmes ne s’en sentent pas forcément capables. Ce soulagement ressenti facilite notre travail et la création de cette alliance thérapeutique. Il ne faut pas oublier que bien souvent, c’est le premier espace qu’on lui propose, où il peut parler de cette attirance particulière, de ses fantasmes particuliers qui sont les siens, qui sont des grands tabous sociaux pour nous, mais qui lui habitent l’esprit jour après jour. Aussi passe-t-on de la neutralité bienveillante classique chez le psychologue à ce que nous aimons à nommer une «bienveillance confrontante». Bienveillant, parce que c’est un être humain qui est en face de nous, dans toute sa complexité ; mais quand on a un être humain qui transgresse les lois et qui peut nuire à autrui, il faut nécessairement le confronter aux conséquences de ses propres actes sur la société, sur les individus, sur les victimes et sur lui-même. 2- Le choix du travail en groupe Nous évaluons chaque sujet à son arrivée sur la structure. Très souvent, nous travaillerons en groupe avec lui, et l’occasion lui sera donnée d’être à nouveau évalué au fil de son suivi thérapeutique. Le travail en groupe facilite la parole chez ces patients, qui ont souvent du mal à parler d’eux, à se dire tels qu’ils peuvent être. C’est bien plus facile de parler de soi quand on est rassemblés avec des gens qui vous ressemblent, qu’en tête-à-tête avec un professionnel. C’est ce que certains nomment les identifications transversales ou que d’autres appellent un transfert horizontal. Il y a des termes techniques pour parler de tout cela, mais nous pouvons parfaitement le comprendre à travers cet adage : «qui se ressemble, s’assemble» ; ainsi, il est payant d’associer des hommes qui ont des traits communs de personnalité pour Page 59 en parler et pour essayer de travailler à en modifier les traits. Il existe beaucoup d’autres vertus à ce travail en groupe, vertus reconnues lorsque l’on pense aux Alcooliques Anonymes par exemple où on sait que le travail sur les notions d’addiction, de compulsion, d’abstinence, etc. est plus aisé en groupe. Et si l’on fait à nouveau un parallèle aux télés chargeurs, nous avons des hommes qui nous parlent effectivement d’addiction, de compulsion à la consultation et à la «collectionnite» de ces images avec un véritable travail pour cesser cela. 3- Axes thérapeutiques Les processus psychiques qui émergent - donc qui n’existaient pas au préalable - chez ces sujets sont différents de ceux constatés chez le «commun des mortels névrotiques» : leurs modalités de fonctionnement ne sont pas les mêmes. Le signe le plus proéminent est certainement leur immaturité affective, que l’on constate très rapidement, quand par exemple pris la main dans le sac, i. e. avec des téléchargements sur leur ordinateur, ils nient. Les sujets sont dans l’incapacité à s’attribuer à euxmêmes les faits qui leur sont reprochés. Émerge alors un autre aspect intéressant du groupe, composé majoritairement par des individus qui reconnaissent, où celui qui arrive va se confondre dans cette reconnaissance assez rapidement. Ainsi, le trait suivant qui va être à travailler dans le groupe est cette attirance pour les enfants. Premièrement on reconnaît télécharger, secondairement on reconnaît une attirance pour les enfants. Car malgré les apparences ces sujets ne collectionnent pas des images pédopornographiques pour le simple plaisir de les collectionner, il les collectionne parce qu’elles l’excitent, parce qu’elles leur font de l’effet, pour pouvoir les consulter à l’envi. Il faut arriver à reconnaître cette excitation, ce «choix d’objet sexuel». Lequel choix peut être secondaire, c’est-à-dire existant au milieu d’autres sujets d’excitation pour l’individu, principale ou exclusif. (Cette dernière situation rendant le travail beaucoup moins simple, tant il va être difficile de changer le choix d’objet du sujet que rien d’autre n’excite.) Au cours du chemin thérapeutique, il faudra mettre en évidence les moments de vie particuliers dans lesquels les passages à l’acte se font, les moments de tension interne que le sujet n’identifie pas toujours comme telle. Le docteur Coutanceau explique que quand un individu «normal» se déprime parce qu’il a des conflits à la maison, au travail, l’individu transgressif, lui, parce que le risque serait trop grand de se déprimer, explose vers l’extérieur, dans un passage à l’acte. Nous allons repérer avec chaque sujet ces moments de vie particuliers, identifier ceux qui sont à venir aussi, de façon à ce que, aux prochains moments de tension, il sache réagir autrement qu’à travers le passage à l’acte. Vient alors la reconnaissance de la victime, la reconnaissance de cet enfant qui est sur ces images ou sur ces vidéos, comme un sujet et non plus comme un objet. Il s’agit là en quelque sorte d’une quête de l’altérité. Quête d’autant plus difficile avec les télé chargeurs que l’image ou la vidéo est un objet. Nous avons parlé de fantasmes, d’excitation, de choix d’objet, l’étape finale de notre travail est celle de dire : « si j’ai des interdits alors vers quoi pourrais-je me retourner pour être plus satisfait ». Il y a la recherche d’une satisfaction sexuelle pour le bonheur de chaque individu, et ces sujets savent qu’ils n’y ont pas le droit, alors que peuvent-ils choisir d’autres et dans quoi peuvent-ils s’épanouir ? Autant de questions qui sont au cœur de notre travail au quotidien. Page 60 Monsieur Robert Patrick ISSEMBERT, psychiatre des hôpitaux. Praticien hospitalier honoraire. Expert près la Cour d’Appel de Versailles et sous l’égide de l’ASSOEDY Ce qui me parait dominer dans toute cette journée, c’est l’impression qui se dégage d’une coopération absolument nécessaire entre les deux axes de la prise en charge : la prise en charge judiciaire et la prise en charge, je dirais médico psychologique, sans la conjonction desquelles rien n’est possible dans ce domaine. Mon respectueux ami, l’ancien Ministre Jacques GODFRAIN nous a rappelé ensuite, à la loi qui était la sienne et sa présence, à ce moment m’a fait au chaud au cœur. Le fait qu’il ne soit plus là au moment des commentaires jette un froid comme celui qu’il a jeté sur ses ponts. Monsieur le Procureur nous a expliqué ce qu’il considérait comme les limites d’encadrement du sujet que nous allions traiter. Nous avons eu la chance ce matin, d’avoir une présentation assez extraordinaire – parfois un peu ésotérique, mais tout à fait passionnante – de Monsieur VENTRE sur ce qu’est la cybercriminalité. Et je dois dire que quand il a commencé à parler de Matrix, j’ai senti toute une série d’épines sortir en moi en me disant : « mais nom d’un chien » c’est peut-être de ça qu’on va parler maintenant. Il a dégagé le fait que pour lui, dans la spécificité qui est la sienne, le sujet que nous abordions était un sujet partiel, mais que ce sujet partiel pouvait être retenu et surtout que nous avions un certain nombre de difficultés à avoir une représentation visuelle de ce que pouvait être la cybercriminalité. D’où la nécessité de schémas explicatifs entre le fonctionnement « de la pensée internet » ou de la pensée en arbre internet, et sa représentation. Donc les logiciels « techniques » de représentation du virtuel s’imposent. Madame QUEMENER dont on connait à la fois la brillance, le talent, l’énergie et la capacité de gérer à la fois l’aspect pratique de sa fonction et de mettre les choses en forme, nous a expliqué, à la fois les pourcentages et à la fois ce terme très particulier de « contentieux de masse ». Cette nouvelle terminologie qui est quelque chose d’important au niveau de la cybercriminalité nous a parlé. Elle a évoqué également des formations spécifiques, qu’elle pouvait donner à la fois au champ de la magistrature et dans celui de l’exercice de la police ou des thérapeutes. Elle nous a parlé des deux plateformes tout à fait étonnantes et je ne peux que vous inviter, m’inviter moi-même à aller chercher un peu plus loin ce qu’est TIDOP , ce qu’est VICO et ce qu’est EUROJUST. Parce qu’à partir de là, nous pourrons sans doute saisir mieux un certain nombre de choses qui nous paraissent aujourd’hui trop spécifiques. Elle a dit à un moment donné que cela la rendait schizophrène. Je veux la rassurer maintenant : de schizophrénie il n’en est pas question, d’intelligence, là oui sans doute. Nous avons ensuite écouté l’excellent rapport mais nécessairement court du colonel REILAND qui nous a expliqué ce qu’étaient les « techniques policières » de contrôle et en particulier naturellement sur les cybers patrouilles. – c’est tout à fait excitant ce truc là – on a l’impression de rentrer dans un film et de suivre quelque chose comme ça. Néanmoins, on a ressenti une certaine réticence de sa part et c’est tout à fait logique, on ne lâche pas toutes les pièces d’un puzzle lorsqu’il s’agit de choses de cette importance là. J’ai essayé de dégager avec lui, cette notion qui me parait extrêmement importante, la notion de l’induction. Alors pourquoi cette notion d’induction ? C’est parce que dans les techniques utilisées pour essayer d’arrêter l’usage de la technique elle-même, l’introduction de ceux qui vont prendre le langage, de ceux qui vont prendre l’aspect, de ceux qui vont prendre le modèle en quelque sorte, on va même dire là une forme très spécifique imitant le comportement de la victime face à une autre victime potentielle, Page 61 il y a manifestement qu’on le veuille ou non, une induction à la pédopornographie. Cette induction doit être à mon sens gérée par des textes et des textes extrêmement précis. Jusqu’où peut-on aller trop loin entre le « masque » pour ne pas « induire » quelque chose qui n’existe pas et s’en servir ensuite comme preuve ? Ne pensez pas une seconde qu’il s’agit de dédouaner. Pas du tout. Mais comme une preuve que la défense pourrait utiliser en disant : « ceci n’a pas été vrai, ceci a été induit par l’enquête de police ». Et ne nous trompons pas le processus d’induction à lui tout seul interroge sur la technique elle-même. J’ai été très sensible aussi aux processus de veille, naturellement à la plaque PHARO, etc, et aux pourcentages des figures des internautes. Puis est arrivée Marie DERAIN, nouvelle au sein du droit des enfants, du droit des personnes, de tous ces droits, qui n’a pas été sans rappeler la délicieuse Claire BRISSET à qui je transmets des hommages un peu loin. Elle nous a expliqué son fonctionnement, elle nous a expliqué également comment, brutalement, au sein de quelque chose qui a priori ne devait pas prendre en charge la cybercriminalité et spécifiquement du fait du rapport qui doit être remis au Président de la République actuellement, cette cybercriminalité laissait exploser plus spécifiquement le problème de la pédopornographie. Elle nous a interpelés sur le peu de plainte et elle a déploré le mode de réaction à celle-ci. Au docteur Martorell, je me demande ce que je puis dire, cher ami, après ce que tu as dit, si ce n’est qu’est ce que je peux dire de ce que tu as dit, si ce n’est que je te suis mordicus comme disait un personnage d’Astérix ? Que tu as dégagé quelque chose de fondamental et je demanderai comme toi, aux personnes de se souvenir de cela, c’est que l’enfant dans sa dénomination, pour vous qui travaillez spécifiquement sur ce problème en tant qu’organisateur et experts, cette dénomination est fondamentale. En effet, l’âge de l’enfant au niveau de l’état civil n’est pas exactement le problème ; c’est vraiment d’un corps pré pubère qu’il s’agit, et là peut être, mais nous n’avons pas le temps et ce n’est peut-être pas le lieu d’ouvrir la problématique de ceux qui n’osent pas aller sur des sites pédopornographiques mais qui passent par des sites « hen taï », ces sites étant ces sites de poupées japonaises qui représentent des adultes enfants qui se livrent à toutes sortes de choses possibles et imaginables et que les gens qui les regardent ne sont pas condamnés, car il ne s’agit pas d’enfants vrais, car il ne s’agit pas de corps pré pubères vrais, mais le « génie» de cela c’est de représenter des enfants pré pubères avec des corps super pubères d’adultes. Ceci à mon sens relève néanmoins de la même problématique. Donc effectivement pour le juridique c’est un tout petit peu plus compliqué. J’ai saisi la mise en place des mécanismes de prises en charge, qui sur un plan psychosocial, s’ajoutent aux techniques spécifiques que vous avez bien voulu dégager, cette espèce de responsabilisation de l’acte avant même que l’objet de l’acte soit compris comme tel, ça, ça me parait tout d’abord particulièrement original, particulièrement opérant, que les systèmes de groupes soient des groupes qui sont homogènes, soit au contraire, et là je vous suis, inhomogènes dans leur fonction. Effectivement le déterminant du passage à l’acte peut être saisi par un individu lorsqu’un autre individu va le lui dire dans un système qui est un système où il va pouvoir repérer en quelque sorte l’entourage social, économique , familial, qui facilite le passage à l’acte. Et là je m’autorise une appréciation quasiment partisane « s’il n’existait pas des gens comme vous, rien ne pourrait être tenté dans la prise en charge du pervers, parce que 1) ça coûterait trop cher et 2) ça servirait à rien. Page 62 Vous avez entendu ces arguments, je les ai entendu, nous les avons mille fois entendu dans certaines situations. Merci donc aux psychologues qui ont accepté de passer outre usant de techniques associant l’écoute empathique à la neutralité bienveillante Encore en conclusion terminale cette journée a participé à toutes nos interrogations et y a partiellement répondu mais il reste un sujet dont nous n’avons pas débattu : « oui ou non hormis le cadre de la cybercriminalité, est-ce que le goût morbide pour le corps de l’enfant est en expansion ou en régression ? » Merci à tous de partir avec ces interrogations au milieu de leurs certitudes. Page 63