Bradspitz Mail

Transcription

Bradspitz Mail
PPar BBradd SPITZ
Docteur en Droit
Avocat au Barreau
de Paris
RLDI
Chargé d’enseignement
aux Universités
de Versailles
et de Paris-XIII
(IRDA EA 3970)
2064
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
Droit de reprographie :
l’exploitation commerciale
des copies
Le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris, le 9 juillet 2010, condamne
le CFC et l’Inist au titre de la contrefaçon pour l’utilisation commerciale de copies sans l’accord
du titulaire des droits. Son étude est l’occasion de revenir sur le régime de l’exploitation
commerciale des copies.
T.G.I. Paris, 3e ch., 2e sect., 9 juill., 2010, n° 09/02145
P
our répondre au phénomène de la photocopie, la loi du 2 janvier 1995 (L. n° 94-5)
a instauré un droit à rémunération pour
la reproduction par reprographie, qui
fait l’objet des dispositions de l’article
L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle. Aux termes
du premier alinéa de ce texte, « la publication d’une œuvre
emporte cession du droit de reproduction par reprographie à
une société régie par le titre II du livre III et agréée à cet effet
par le ministre chargé de la Culture. Les sociétés agréées peuvent seules conclure toute convention avec les utilisateurs aux
fins de gestion du droit ainsi cédé, sous réserve, pour les stipulations autorisant les copies aux fins de vente, de location,
de publicité ou de promotion, de l’accord de l’auteur ou de ses
ayants droit ». Le législateur a ainsi mis en place une cession
légale du droit de reproduction par reprographie au profit
d’une société de gestion collective agréée, permettant de rémunérer les auteurs pour la reprographie de leurs œuvres.
Les reprographies réalisées à des fins commerciales requièrent toutefois l’autorisation de l’auteur ou, le cas échéant, de
son ayant droit (son éditeur).
Dans la présente affaire, les sociétés Chapitre.com et Inist
Diffusion (Institut de l’information scientifique et technique), filiale du CNRS,
avaient reproduit et vendu un certain nombre d’articles de
M. David Forest, avocat et auteur de nombreux articles publiés notamment dans des revues juridiques. En 2002, l’Inist
avait conclu avec le CFC (Centre français d’exploitation du droit de copie),
la société de gestion collective agréée, un contrat par lequel
le CFC lui cédait les droits de reproduction par reprographie
des publications. L’Inist avait à son tour, en 2008, conclu un
contrat de diffusion et de distribution avec la société Chapitre.
com. Cette dernière vendait ainsi les articles de M. Forest au
prix unitaire de 19,50 € ; l’Inist les proposait quant à lui au prix
unitaire de 13,87 €. L’auteur, qui n’avait pas cédé ses droits
aux éditeurs l’ayant publié et estimant que les utilisations
en cause constituaient des ventes nécessitant son accord en
application de la réserve prévue à l’article L. 122-10 du Code
de la propriété intellectuelle, a donc assigné devant le Tribunal
de grande instance de Paris les sociétés Chapitre.com et Inist
et le CFC pour contrefaçon de son droit patrimonial et de son
droit de divulgation.
C’est la deuxième fois que la justice se prononce sur l’application de l’article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle. En 2004, dans l’affaire CCIP (1), la Cour d’appel avait
déjà condamné pour contrefaçon, à la demande de l’éditeur
Prisma Presse, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris
(CCIP) pour avoir exploité sans autorisation sur son site internet
une base de données référençant des revues économiques
et permettant aux utilisateurs de commander des copies des
articles référencés moyennant des tarifs relativement élevés.
Dans l’affaire que nous commentons, le CFC et l’Inist n’ont
pas remis en cause le fait que l’opération litigieuse constituait
une utilisation commerciale au sens de la loi (I). Ils ont argué
qu’en vertu des dispositions de l’article L. 122-10 Code de la
propriété intellectuelle, le CFC, cessionnaire du droit de reprographie, est seul habilité à négocier toutes les conventions
d’utilisation avec les tiers et qu’il avait bien recueilli l’accord
des éditeurs s’agissant des stipulations autorisant les copies
aux fins de vente. Le Tribunal de grande instance de Paris, par
un jugement en date du 9 juillet 2010 (2), a toutefois estimé
que l’auteur, qui n’avait pas cédé ses droits à ses éditeurs,
n’avait pas donné son accord au CFC. Le jugement est intéressant en ce que le Tribunal semble dire que les utilisations
commerciales des reprographies pourraient se négocier en
dehors de la gestion collective, ce qui remettrait en cause
l’interprétation que le CFC fait du champ d’application de la
cession légale de l’article L. 122-10 (II). Le Tribunal a ainsi
condamné le CFC et l’Inist (3) pour la violation du droit
patrimonial, mais a considéré que le droit de divulgation de
l’auteur s’était épuisé lors de la première publication (III).
>
(1) CA Paris, 24 mars 2004, n° 2002/20558, Centre français d’exploitation du droit de copie c/ Sté Prisma Presse et autres, Juris-Data, n° 237119 ; Légipresse 2004, n° 213, III, 129, note
Vercken G. (2) <www.legalis.net>. (3) Le juge de la mise en état avait constaté l’extinction de l’instance et de l’action engagées à l’encontre de la société Chapitre.com.
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DROIT DE REPROGRAPHIE : L’EXPLOITATION COMMERCIALE DES COPIES
I. – LA DÉFINITION DE L’UTILISATION
COMMERCIALE DES COPIES
ne posait toutefois pas beaucoup de difficulté, tant la finalité
« purement commerciale » (pour reprendre les termes de la
Cour d’appel de Paris) était évidente. Nous sommes en effet
Le Code de la propriété intellectuelle dispose que l’acici, comme dans l’affaire CCIP, en présence d’une « vente »
cord de l’auteur ou de son ayant droit est nécessaire pour
des articles à l’unité ; le Tribunal a ainsi relevé que la cession
les autorisations données au titre des copies aux fi ns de
était effectuée pour un prix unitaire.
« vente, de location, de publicité ou de promotion ». Malgré
Les deux indices (ou critères) utilisés par la Cour d’appel de
cette formulation, dans l’affaire CCIP, la Cour d’appel de
Paris dans l’affaire CCIP auraient en tout état de cause abouti au
Paris (4) a, comme une partie de la doctrine (5), distingué
même résultat en l’espèce. S’agissant du caractère accessoire,
selon que la copie est réalisée à des fins commerciales ou non
on peut en effet considérer qu’il y avait bien une « vente » des
commerciales. La Cour avait rappelé qu’il résulte des travaux
articles, ceux-ci n’accompagnant pas un service de documenpréparatoires que la réserve insérée dans l’article L. 122-10
tation. L’activité de reprographie n’était donc pas « accessoire »
du Code de la propriété intellectuelle limitant la portée de la
à l’activité de documentation, que ce soit sur le site internet de
cession légale a été proposée par le Sénat, qui entendait ainsi
Chapitre.com ou même sur celui de l’Inist. S’agissant ensuite
« éviter que les utilisateurs puissent se livrer à une utilisation
du caractère payant, le Tribunal, en qualifiant l’utilisation de
commerciale des copies (6) ». Le rapporteur de la Commiscommerciale, a relevé que les copies étaient vendues par l’Inist
sion des lois poursuivait dans ces termes : « S’il s’agit d’une
au prix unitaire de 13,87 €.
vente ou d’un acte commercial – ce que
Une telle approche permet ainsi de
nous avons voulu traduire par les mots
Dans l’espèce
considérer comme non commerciales
“de vente, de location, de publicité ou
présentement commentée,
(et donc ne nécessitant pas d’accord des titulaires de
de promotion » – il faudra que ce soit
le Tribunal de grande
prévu dans la convention particulière
droits) les copies réalisées par les uniinstance de Paris a précisé
avec l’utilisateur et que soit obtenu l’acversités ou bibliothèques qui proposent
que le législateur
cord de l’auteur. »
un service de documentation et font
« a
entendu distinguer
Ainsi, pour la Cour d’appel de Paris,
payer un prix destiné à compenser le
entre le droit de
le « terme de vente doit être entendu de
coût des copies ; il n’y a pas en ce cas
reprographie à titre
toute utilisation des reprographies à des
de « vente » de copies à titre principal.
gracieux et celui qui ne
fins commerciales » et le service en cause
Mais la question centrale reste de
l’est pas » (…)
avait donc une finalité commerciale. La
savoir si cette jurisprudence, qui se
Cour a estimé que la finalité commerconstruit lentement, permet de quaciale résultait des caractéristiques suivantes de l’activité :
lifier de « non commerciale » l’activité de prestataires de
– le caractère accessoire de la fourniture de copies par
services ayant recours à la fourniture de photocopies. En
rapport à l’activité de documentation : la Cour d’appel de
effet, la fourniture qui s’intègre dans un service plus global
Paris avait relevé que la fourniture de copies était possible
ne constitue pas nécessairement une vente de copies. Comme
sans consultation préalable et sans être adhérent, et que la
l’écrit M. Vercken, les éditeurs de presse peuvent cependant
CCIP avait apporté un soin particulier à la présentation comêtre « tentés de considérer que tout acte de mise à disposition
merciale de ses services de copie, caractérisant « une démarche
à but lucratif constitue bien une reprographie commerciale,
purement commerciale » ;
et ce y compris pour les prestations de services, pourtant non
– le caractère payant du service : la Cour a notamment
visés par le texte légal (8) ». En d’autres termes, doit-on obterelevé que les tarifs pratiqués étaient élevés.
nir l’autorisation de l’auteur ou de son ayant droit pour des
Il s’agit selon nous plus d’indices que de critères (7) ; dans
utilisations qui ne correspondent pas à des « ventes », des
« locations », de la « publicité » ou de la « promotion » (termes
cette affaire, la Cour a ainsi estimé qu’il y avait un faisceau
d’indices permettant de conclure que le service avait un caracretenus par la loi), mais qui peuvent pourtant être considérées
tère commercial et constituait donc une vente au sens de la loi.
comme ayant un caractère commercial (9) ? Cette incertitude
Dans l’espèce présentement commentée, le Tribunal de
peut avoir des conséquences sur les services d’information qui
grande instance de Paris a précisé que le législateur « a entendu
fournissent des copies. C’est notamment le cas des prestataires
distinguer entre le droit de reprographie à titre gracieux et celui
d’information qui fournissent aux entreprises un service de
qui ne l’est pas » – ce qui semble trop restrictif – et, comme la
veille ou de panorama de presse ; la fourniture d’articles entre
Cour d’appel, que « le législateur a entendu exclure de la cession
dans le cadre d’une prestation de services et ne correspond
légale toute utilisation des copies à des fins commerciales ».
pas nécessairement à une « vente » telle que mentionnée par
La qualification, qui n’était pas contestée par les défendeurs,
l’article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle (10).
(4) CA Paris, 24 mars 2004, précité. (5) Françon, RTD com. 1995, p. 122 ; Lucas A., Aperçu rapide sur la loi n° 95-4 du 3 janvier 1995 relative à la gestion collective du droit de reproduction par
reprographie, JCP G, 8 fév. 1995, n° 6. (6) Intervention du rapporteur M. Jolibois, JO Sénat, 18 nov. 1994, p. 5839. M. Toubon, ministre de la Culture et de la Francophonie, ajoutait : « L’accord
de l’auteur ou de ses ayants cause doit être recueilli dans le cas où des conventions autoriseraient la réalisation d’actes commerciaux portant sur les copies. » (7) Voir cependant Vercken G.,
Champ d’application de la cession légale du droit de reproduction par reprographie, note sous CA Paris (4e ch., sect. A), 24 mars 2004, Légipresse 2004 n° 213, p. 132. (8) Vercken G., La gestion
collective dans la tourmente ? L’exemple de la reprographie, RLDI 2005/2, n° 75, p. 47. (9) La « finalité commerciale » n’est d’ailleurs pas définie, alors même que le terme « commercial » est de
plus en plus souvent utilisé par le législateur dans le Code de la propriété intellectuelle. Voir not., dans la longue liste des exceptions au droit d’auteur : art. L. 122-5, 3°, e) et 8°), à la suite de la
transposition de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JOCE, 22 juin 2001,
n° L 167/10). (10) Vercken G., Champ d’application de la cession légale du droit de reproduction par reprographie, article précité., p. 132.
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Cette incertitude s’étend d’ailleurs également à l’activité des
officines de reprographie.
L’affaire CCIP et le jugement commenté ont toutefois tous
deux en commun le fait que les activités en cause constituaient
bien à titre principal des « ventes » d’articles à l’unité sans
travail de documentation, de sorte que le CFC et l’Inist n’ont
pas remis en cause le caractère commercial de l’activité.
II. – LA CESSION LÉGALE EN MATIÈRE
D’UTILISATIONS COMMERCIALES
Les défendeurs ont bâti leur argumentation à partir de
l’interprétation suivante de l’article L. 122-10 du Code de la
propriété intellectuelle : la société de gestion collective agréée
peut seule conclure toute convention avec les utilisateurs, sous
réserve de l’accord des titulaires de droits pour les stipulations
autorisant les ventes. Le Tribunal semble toutefois retenir une
interprétation plus restrictive du champ d’application de la
cession légale (A). Le Tribunal a en tout état de cause conclu
à l’absence d’accord de l’auteur ou de son ayant droit (B).
A. – Le champ d’application de la cession légale
Selon le CFC et l’Inist, il résulte de la cession légale de
l’article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle que le
CFC est, en sa qualité de société de gestion collective agréée,
cessionnaire du droit de reproduction des reprographies
aux fins de vente. Ainsi, le CFC était en droit de conclure la
convention d’autorisation d’exploitation avec l’Inist, « sous
réserve, pour les stipulations autorisant les copies aux fins de
vente, de location, de publicité ou de promotion, de l’accord
de l’auteur ou de ses ayants droit », comme le prévoit le texte
précité, qui précise en effet que « les sociétés agréées peuvent
seules conclure toute convention avec les utilisateurs (11) ».
Cette interprétation est celle retenue par plusieurs auteurs (12), estimant que, quelle que soit l’utilisation de la
copie, la publication emporte cession du droit de reprographie
à la société de gestion collective agréée. L’auteur, ou son
éditeur, n’intervient alors que pour approuver les accords qui
relèvent de la compétence exclusive de la société de gestion
collective et, bien entendu, dans la mesure où les utilisations
en cause ont une finalité commerciale. Le texte précise en effet
que l’accord de l’auteur ou de son ayant droit concerne « les
stipulations autorisant les copies » à des fins commerciales ;
or le terme « stipulation » signifie l’expression de la volonté
énoncée par une convention (celle conclue par la société de gestion avec
les utilisateurs).
Ce n’est toutefois pas la position des éditeurs et d’une
partie de la doctrine, qui estiment que le législateur a laissé
aux titulaires de droits la faculté d’autoriser directement
ces utilisations (13). La Cour d’appel de Paris dans l’affaire
CCIP (14) a semblé leur donner raison en précisant que les
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copies d’articles aux fins de vente sont soumises à l’accord
préalable de l’éditeur et « ne relèvent pas de la cession légale
de plein droit ».
Dans le présent jugement, le Tribunal de grande instance
de Paris semble également retenir cette interprétation. En effet,
après avoir précisé que l’Inist fait valoir que l’article L. 122-10
« instituerait au profit du CFC une cession légale qui le rendrait habilité à conclure avec les utilisateurs des conventions
d’utilisation de copies, quelle que soit l’utilisation qui serait
faite de celles-ci », il répond que « dès lors que le législateur a
entendu exclure de la cession légale toute utilisation des copies
à des fins commerciales, que la société Inist Diffusion, ainsi
qu’il a été rappelé, procède à une telle utilisation (…) et qu’il
n’est pas contesté que M. Forest n’a pas donné son accord à
cette utilisation de ses articles, il n’a subi aucune dépossession
de ses droits d’auteur ».
Cette position, pourtant lourde de conséquences, ne
change toutefois pas la solution du présent litige, le Tribunal
estimant que ni l’auteur ni les éditeurs n’avaient donné leur
accord pour l’utilisation en cause.
B. – L’accord de l’auteur ou de son ayant droit
Le CFC et l’Inist ont argué sans succès que les éditeurs
étaient nécessairement cessionnaires des droits patrimoniaux
de l’auteur (1°/) et que les éditeurs en question avaient
donné leur accord dans la mesure où ils avaient bien reçu
les relevés d’exploitation, ce qui conduira à nous interroger
sur la nature de l’accord qui doit être donné dans le cadre de
l’article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle (2°/).
1°/ La recevabilité de l’auteur publié
Les défendeurs ont soulevé l’irrecevabilité de l’auteur
du fait de la cession de ses droits patrimoniaux aux éditeurs
ayant publié ses articles. Cette défense s’appuie sur une règle
classique : l’auteur ayant cédé ses droits patrimoniaux n’a
plus qualité pour ester en justice sur ce fondement (15), étant
rappelé que le droit de reprographie peut être cédé dans le
cadre du contrat d’édition (16).
L’auteur demandeur à l’action a répondu qu’il n’avait
jamais cédé ses droits aux éditeurs l’ayant publié, ceux-ci
s’étant vu uniquement accorder l’autorisation de publier, sans
cession de droits. Le Tribunal de grande instance a ainsi estimé
que « M. Forest n’a signé aucun contrat avec les éditeurs des
œuvres litigieuses, mais leur a accordé, le plus souvent sans
contrepartie financière, l’autorisation de les publier, sans que
cette autorisation soit assortie de la moindre cession de ses
droits ». L’auteur avait donc bien qualité à agir pour la défense
de ses droits patrimoniaux, ayant, selon le Tribunal, démontré
qu’il n’avait pas cédé ses droits à ses éditeurs.
Précisons cependant que l’auteur, qui est le titulaire d’origine naturel de l’ensemble des droits sur son œuvre, n’a pas
>
(11) C’est nous qui soulignons. (12) Boiron P., Le droit de reproduction par reprographie : les copies à des fins de commerce dix ans après la loi du 3 janvier 1995, Comm. com. électr. 2004,
n° 12, p. 19 ; Françon, RTD com. 1995, p. 122 ; Lucas A., Aperçu rapide sur la loi n° 95-4 du 3 janvier 1995 relative à la gestion collective du droit de reproduction par reprographie, JCP G, 8 fév.
1995, n° 6 ; Vercken G., La gestion collective dans la tourmente ? L’exemple de la reprographie, article précité. (13) Dubail C.-H., Pour une application limitée de la gestion collective, Légipresse
1996, p. 143. Et Caron Ch., Droit d’auteur et droits voisins, Litec, 2e éd. 2009, n° 312, pour qui le 3e § de l’article L. 122-10 précisant que les dispositions du 1er § ne font pas obstacle au droit de
l’auteur ou de ses ayants droit de réaliser des copies aux fins de vente, cela démontrerait que « le droit de reproduction commerciale par reprographie n’est pas concerné par la cession légale ».
(14) CA Paris, 24 mars 2004, précité. (15) Cass. crim. 19 mars 1926, Gaz. Pal. 1926, 1. 688. (16) Sur cette question, voir Lamy Droit des médias et de la communication, n° 245-53 et 54.
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DROIT DE REPROGRAPHIE : L’EXPLOITATION COMMERCIALE DES COPIES
en principe à apporter la preuve – négative – qu’il n’a pas cédé
ses droits. En outre, comme le relève le Tribunal, il résulte du
formalisme des cessions imposé par l’article L. 131-3 du Code
de la propriété intellectuelle (17) que l’auteur est supposé
s’être réservé tout droit ou mode d’exploitation non expressément inclus dans les contrats ou simples autorisations (18).
2°/ La nature de l’accord de l’auteur
ou de l’ayant droit
au CFC d’accorder d’autorisation de reprographie à des fins
commerciales aux utilisateurs. Ainsi, la Cour avait estimé
que la clause de garantie contractuelle était inapplicable, les
reprographies en cause ne relevant pas du régime de la gestion
collective obligatoire confiée au CFC. Cette absence de garantie, qui est liée à l’interprétation de l’article L. 122-10 selon
laquelle les utilisations commerciales de copies ne seraient
pas soumises à la gestion collective obligatoire, constitue un
risque juridique pour l’utilisateur bénéficiaire de l’autorisation
de la société de gestion collective (21). Dans l’affaire que
nous commentons, le CFC, qui a été assigné en intervention
forcée et en garantie par l’Inist, assume pleinement sa garantie contractuelle en confirmant celle-ci. Le CFC est en outre
également condamné, puisqu’il a, estime le Tribunal, « permis
cette reproduction » par contrat.
Dans la présente affaire, le but des défendeurs en soulevant
l’irrecevabilité de l’auteur était toutefois principalement de
faire valoir que les ayants droit de l’auteur avaient bien donné
leur autorisation. Selon eux, le CFC avait en effet adressé
des relevés annuels de droits aux éditeurs du demandeur, la
réception de ces relevés sans protestation valant ainsi accord.
La position du CFC au sujet du champ d’application
de la cession légale, qui lui conférerait
III. – LE DROIT DE DIVULGATION
une exclusivité dans la négociation des
DE L’AUTEUR
L’auteur, qui est
conventions d’utilisation (19), a sans
le titulaire d’origine
doute également pour but de renforcer
L’auteur a demandé la condamnanaturel
de l’ensemble des
son argumentation : l’idée sous-jacente
tion du CFC et de l’Inist pour la violadroits sur son œuvre,
est que le CFC n’a plus qu’à faire approution de son droit de divulgation, attribut
n’a pas en principe
ver par les titulaires de droits les accords
du droit d’auteur, en se fondant sur
à apporter la preuve
qu’il est seul à pouvoir négocier. L’acl’article L. 121-2 du Code de la pro– négative – qu’il n’a pas
cord des titulaires de droits s’agissant
priété intellectuelle, lequel dispose que
des stipulations concernant le droit de
« l’auteur a seul le droit de divulguer son
cédé ses droits.
reprographie à titre commercial pourrait
œuvre. Sous réserve des dispositions de
alors, en quelque sorte, s’exprimer de
l’article L. 132-24, il détermine le promanière moins formelle.
cédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci ».
Le Tribunal, qui a une vision plus restrictive de la cession
La question se pose ainsi de savoir si la vente à l’unité
légale, a toutefois considéré que les relevés « éventuellement
d’un article, écrit à l’origine pour être intégré dans une revue
reçus du CFC » ne constituaient pas « le signe d’une quelconque
juridique ou scientifique, est susceptible de porter atteinte
acceptation ».
au droit de divulgation de l’auteur du fait du changement de
On peut cependant considérer que la simple réception
destination de son œuvre, dès lors que l’utilisation intervient
des relevés ne suffit pas à manifester « l’accord » tel qu’exigé
sans l’accord de l’auteur. Selon le demandeur à l’action, ses
par l’article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle,
« œuvres ont été publiées à nouveau dans des conditions
même si on considère que le CFC est seul habilité à négocier
différentes de celles auxquelles il avait initialement consenti,
les conventions avec les utilisateurs.
puisque la publication d’un article dans une revue complète
En tout état de cause, l’autorisation des éditeurs n’auavec ses rubriques diffère de l’exploitation d’un article vendu
rait pas en l’espèce permis aux défendeurs d’échapper à la
séparément dans le contexte dans lequel il s’insère, ce qui
condamnation pour contrefaçon, ceux-ci n’étant pas, selon le
violerait ainsi son droit de divulgation ».
Tribunal, cessionnaires des droits patrimoniaux de l’auteur. En
Ce n’est pas l’avis du Tribunal, qui juge que l’auteur, « en
l’absence d’accord exprès de l’auteur ou de son ayant droit, il
confiant à ses éditeurs le soin de rendre publics ses articles,
convient de retenir la responsabilité de l’utilisateur et l’Inist a
avait déjà exercé ce droit, lequel s’est donc trouvé épuisé lors
donc sans surprise été condamné au titre de la contrefaçon, le
de cette première communication au public ».
Tribunal précisant qu’il avait « reproduit et proposé à la vente
Si la jurisprudence a déjà jugé de manière aussi radicale
les articles en cause ».
que le droit de destination s’épuise par la première communiLa responsabilité du CFC était moins évidente. En effet,
cation au public (22), elle a toutefois plusieurs fois précisé que
dans l’affaire CCIP, la Cour d’appel de Paris (20) avait jugé
cet épuisement ne joue pas lorsque l’œuvre est exploitée sous
une nouvelle forme (23). Ainsi, il ressort de la jurisprudence
qu’il n’y avait pas lieu à condamner le CFC à garantir son
cocontractant, dans la mesure où la loi ne permettait pas
qu’il sera en principe porté atteinte au droit de divulgation dès
(17) Le premier alinéa de l’article L. 131-3 dispose que « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte
dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ». (18) CA Paris, 24 oct. 2007,
RTD com. 2007, 82 ; CA Paris, 28 mai 2003, Comm. com. életr. 2003, comm. n° 103. (19) Voir supra A. (20) CA Paris, 24 mars 2004, précité. (21) Vercken G., Champ d’application de la cession
légale du droit de reproduction par reprographie, article précité, p. 136. (22) CA Paris, 4e ch., 14 févr. 2001, Juris-Data n° 2001-134242 ; Comm. com. électr. 2001, n° 3, comm. 25, note Caron
Ch. ; Propr. intell. 2001, n° 1, p. 64, obs. Lucas A. (23) CA Paris, 4e ch., 23 juin 2000, Juris-Data n° 2000-122915 ; Propr. intell. 2001, n° 1, p. 60, obs. Lucas A. ; et Cass. 1re civ., 21 nov. 2001,
Propr. intell. 2007, p. 84, obs. Lucas A. ; RIDA 2007, 345, obs. Sirinelli P. ; RTD com. 2007, 536, obs. Pollaud-Dulian F.
22
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lors que l’œuvre est divulguée sous une forme que l’auteur n’a
pas autorisée (24). La Cour de cassation a encore très récemment rappelé que le droit de divulguer une œuvre emporte à
la fois le droit de déterminer le procédé de divulgation et le
droit de fixer les conditions de cette divulgation (25).
La question est alors de savoir si l’on est, dans le cas
d’espèce, en présence d’une nouvelle forme d’exploitation.
En effet, dès lors que l’on accepte que l’auteur a la charge
de la preuve de la violation de son droit moral, il n’est pas
possible de considérer a priori, contrairement à ce que laisse
entendre le Tribunal, que la publication d’une œuvre dans une
revue épuise nécessairement le droit de divulgation pour tout
autre mode de publication. Mais il appartient alors à l’auteur
de justifier – éventuellement au cas par cas, c’est-à-dire pour
chaque article revendiqué – pourquoi la publication de l’article
dans une revue en particulier avait un sens et de préciser quel
est le changement de destination résultant de sa publication
hors du contexte choisi.
Il convient cependant de relever que la doctrine favorable à
la théorie de l’épuisement considère que le droit de divulgation
ferait double emploi avec le monopole d’exploitation (26). On
pourrait ainsi considérer que dès lors que la publication d’une
œuvre entraîne automatiquement la cession légale du droit
de reprographie au profit de la société de gestion collective
agréée, les exploitations en découlant ne pourraient plus
constituer une violation du droit de divulgation de l’auteur,
sauf à priver la loi de tout effet. Néanmoins, dans la mesure
où l’utilisation à des fins commerciales requiert l’autorisation
de l’auteur ou de son ayant droit en application de la réserve
prévue par l’article L. 122-10 du Code de la propriété intellectuelle, il n’y a pas de raison de considérer que l’exploitation
contrefaisante ne pourrait pas porter atteinte au droit de
divulgation de l’auteur, et ce même si l’on considère que le
CFC est exclusivement compétent pour négocier les contrats
portant sur des utilisations commerciales.
CONCLUSION
ACTUALITÉS ÉCLAIRAGE
CRÉATIONS IMMATÉRIELLES
Alors que la loi sur le droit à rémunération pour la reproduction par reprographie a aujourd’hui quinze ans, de nombreuses questions restent encore en suspens. Des incertitudes
demeurent en effet sur des questions pourtant essentielles.
Les utilisations commerciales nécessitant l’accord de l’auteur
ou de son ayant droit ne sont ainsi toujours pas clairement
définies (même si dans la présente affaire, cette question ne posait pas de difficulté),
créant une incertitude s’agissant notamment des prestations
de services ayant recours à la fourniture de photocopies. Le
champ d’application de la cession légale n’est en outre toujours
pas clairement appréhendé par la jurisprudence.
Les défendeurs, condamnés au titre de la contrefaçon du
droit patrimonial de l’auteur, ont interjeté appel de ce jugement. La Cour d’appel apportera peut-être quelques éclairages
précieux voire quelques corrections à cette jurisprudence qui
se construit lentement. ◆
(24) Cass. 1re civ., 13 déc. 1989, n° 88-16.305, Bull. civ. I, n° 391, p. 262 ; RIDA 1990, p. 199, et p. 137, obs. Kéréver A. ; JCP éd. G 1990, IV, p. 66 ; D. 1991, somm., p. 98, obs. Colombet ;
CA Paris, 1re ch., 24 nov. 1992, RIDA 1993, n° 155, p. 191, obs. Kéréver A. ; CA Paris, 1re ch., 24 mars 1999, Juris-Data n° 1992-023260. (25) Cass. 1re civ., 25 mars 2010, n° 09-67.515, RLDI
2010/60, n° 1974, obs. Costes L. (26) Sur ce point, voir Lamy Droit des médias et de la communication, n° 124-50.
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