Conception prof et compétence

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Conception prof et compétence
CONCEPTION DE LA ” COMPETENCE ” ET DE LA
” PROFESSIONNALISATION ” DANS LA REFORME
LMD EN ALGERIE
Ahmed Ghouati
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Ahmed Ghouati. CONCEPTION DE LA ” COMPETENCE ” ET DE LA ” PROFESSIONNALISATION ” DANS LA REFORME LMD EN ALGERIE. EXIFORMAM-Expertises internationales et réformes de la formation professionnelle au Maghreb, LEST-CNRS, Apr 2013,
Aix-en-Provence, France. 2013. <hal-01323795>
HAL Id: hal-01323795
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CONCEPTION DE LA « COMPETENCE » ET DE LA
« PROFESSIONNALISATION » DANS LA REFORME LMD EN ALGERIE
Ahmed GHOUATI
Maître de Conférences
Université d’Auvergne-Clermont 1
Pôle Clermont-Université,
Chercheur associé à l’IREMAM-CNRS Aix-en-Provence
[email protected]
RESUME
L’entrée en application de la « réforme LMD » (en 2004-2005) en Algérie se voulait une
réponse à plusieurs défis parmi lesquels la massification de l’enseignement supérieur et la
professionnalisation des formations en vue de faciliter l’insertion socioprofessionnelle des
jeunes diplômés. Conçue comme instrument à la fois pour gérer les flux et influencer
favorablement la relation université-entreprise, la réforme LMD a été introduite peu de temps
après la réforme des paliers éducatifs primaire et secondaire au moyen d’une « approche par
compétences ».
Cependant, alors que la « compétence » et la « professionnalisation » sont essentielles dans la
démarche réformatrice, il n’existe pas au niveau de l’enseignement supérieur (Ministère,
universités et comités d’habilitation) de cadre formel qu’il soit théorique ou définitionnel qui
les éclaire. Seules prédominent la juxtaposition de pratiques de terrain dans lesquelles la
référence reste la logique de parcours de formation, par opposition à la logique de
compétence que la réforme LMD devait promouvoir.
Mots-clés : Compétence, professionnalisation, réforme LMD, réforme de l’enseignement
supérieur.
INTRODUCTION
L’enseignement supérieur connait depuis plusieurs années une massification sans précédent
des effectifs étudiants en particulier dans les universités. Depuis 1990, le nombre d’étudiants a
été multiplié par cinq pour atteindre à la rentrée 2011-2012 1,3 million, dont 240 000
nouveaux inscrits (bacheliers). Le plan quinquennal 2010-2014 prévoit 2 000 000 d’étudiants
à l’horizon 2020 (estimation 2009 du Ministère de l’Enseignement et de la Recherche
Scientifique). En outre, alors que le taux global de chômage de la population baisse (de 23,7%
en 2003, il chute à 10% en 2010), celui des demandeurs d'emploi diplômés augmente au
contraire : il passe de 17% environ en 2005 à plus de 21% en 2010 (Source ONS, 2012).
Officiellement, l’entrée en application de la « réforme LMD » en Algérie se voulait une
réponse à plusieurs défis parmi lesquels la massification et la professionnalisation des
formations pour favoriser l’insertion socioprofessionnelle des diplômés. Conçue comme
instrument à la fois pour gérer les flux et influencer favorablement la relation universitéentreprise, la réforme LMD a été introduite deux ans après la réforme des paliers éducatifs
primaire et secondaire au moyen d’une « Approche Par Compétences ».
Cependant, alors que la « compétence » et la « professionnalisation » sont fondamentales
dans la démarche réformatrice, il n’existe pas au niveau de l’enseignement supérieur – i.e.
Ministère de l’enseignement supérieur, universités et comités d’habilitation - de cadre formel
(théorique ou définitionnel) qui les éclaire. Seules prédominent la juxtaposition de pratiques
de terrain à la lumière de quelques orientations ministérielles.
Comparée à la refonte de l’enseignement supérieur (1971-1984), cette nouvelle réforme
s’avère plus riche sur la forme (architecture, organisation, etc.) que sur le fond. Le manque
d’éclairage ou de formalisation peut montrer une absence de projet institutionnel de
transformation qualitative, en lien avec l’environnement.
Cette contribution est proposée en trois pa rties : dans la 1ère nous proposons un bref
historique de la professionnalisation de l’enseignement supérieur en Algérie. Dans la seconde,
nous replaçons la réforme LMD dans le cadre du processus de Bologne et, enfin dans la
troisième, nous essayons de dégager les principales orientations relatives à la « compétence »
et à la « professionnalisation ».
I. BREF HISTORIQUE DE LA PROFESSIONNALISATION EN ALGERIE
La quête d’une légitimité politique renouvelée par la science et la technique a conduit tout un
courant dit « industrialiste » dans l’Etat à se donner un projet de construction d’une industrie
(publique) lourde et légère (Labidi, 1992), avec à son service un système d’enseignement
supérieur et de formation entièrement tourné vers la professionnalisation.
En effet, la professionnalisation de la formation et de l’enseignement supérieur en Algérie a
commencé au début des années 1960 – avec la création de nombreux instituts technologiques
et centres de formation professionnelle - sous l’influence d’une politique technologique qui
s’est mise en place progressivement et qui a culminé dans les années 1970-1980.
Cette politique avait deux grandes caractéristiques : un apport massif de technologie importée
(Djeflat, 1990) et une mise en place rapide, impulsée par le plan triennal 1967-1969 -, d’un
système de grandes écoles, autonome par rapport à l’Université, sous la tutelle de plusieurs
ministères dont celui de l’industrie et de l’énergie.
Le 1er plan quadriennal 1970-1973 confirme les choix de politique industrielle publique et
l’orientation « adéquationiste » donnée à l’enseignement supérieur en particulier à travers la
création en 1970 du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique
(MESRS) et, un an après, le lancement de la Refonte de l’enseignement Supérieur (RES).
Dans l’exposé des motifs, la RES devait constituer l’acte de naissance de l’Université.
Cependant, la radicalité des mesures et l’orientation industrialiste ont transformé l’Université
en un ensemble d’instituts technologiques - en lieu et place des facultés, y compris en Lettres
et Sciences -, dans l’objectif « de former les cadres, tous les cadres dont le pays a besoin »
(MESRS, 1971, p 11). Compte tenu de l’ampleur de la pénurie de cadres, la formation devait
se faire rapidement et au moindre coût.
La « rénovation pédagogique » introduite par la RES a consisté à définir très précisément les
contenus des diplômes – tous nationaux – et les compétences qui fondent les profils des
cadres voulus en termes de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être. De sorte que, sur le plan
qualitatif, le cadre formé soit le meilleur porteur et le symbole vivant de toutes les ambitions
politiques, économiques et idéologiques de l’Etat-nation en construction. C’est-à-dire un
cadre « techniquement compétent, imprégné de la personnalité algérienne, apte à résoudre
les problèmes de la collectivité nationale, possédant le sens des responsabilités, engagé dans
le processus de développement socialiste de l’Algérie, susceptible d’assimiler les progrès de
la science au service de son peuple, capable de participer à l’enrichissement du patrimoine
de connaissance universel, digne d’assurer le rayonnement culturel et scientifique de son
pays » (ibid, p 19).
A cette fin, les transformations prenaient deux directions : l’une concernait les contenus et
l’autre l’organisation et la pédagogie. les segments de l’enseignement supérieur devaient être
revus en s’appuyant sur une redéfinition des maquettes de diplômes et des créations de profils
professionnels à la demande des secteurs utilisateurs, une réduction de la durée de certaines
formations longues, une organisation trimestrielle et semestrielle au moyen d’un système
modulaire et d’une augmentation de l’année universitaire, une pédagogie fondée sur les TD
et les TP, une généralisation de la pratique des stages et, enfin, une gouvernance des
établissements basée sur la désignation par le ministère pour la gestion des instituts.
Dans un contexte de manque de cadres, l’enseignement supérieur en général et les grandes
écoles en particulier ont répondu aux besoins urgents (Labidi, op. cit. ; Feroukhi, 2005) aussi
bien dans l’industrie que dans les autres secteurs d’activité. Mais la RES, comme
l’industrialisation dont elle était l’un des instruments, n’a pas résisté à l’épreuve de « réalité »
du terrain. Trois types de difficultés ont contribué à sa remise en cause et à un retour au
système classique à partir de 1984 : la pédagogie, le contexte culturel et la fin du projet
d’industrialisation.
1. Sur le plan pédagogique, la raréfaction des stages au fil du temps, l’accumulation des
retards ou des dettes (modules non validés) et la lourdeur des procédures d’évaluation
(en contrôle continu) et/ou de rattrapage ont rendu quasi impossible le maintien du
système trimestriel, semestriel et le régime des crédits.
2. Dans le contexte maghrébin en général, la représentation positive dominante du savoir
est celle du « savoir savant » (vs « savoir professionnel »), de portée générale,
pluridisciplinaire et morale, désintéressé et souvent associé à la figure du maître. Cette
représentation se rapproche davantage du contenu et/ou du produit d’une « Université
libérale » telle que définie par Lessard et Boudoncle (2002), un « savoir universel,
c’est-à-dire d’un savoir valable en tout lieu et en tout temps ; ce savoir est incorporé
dans des œuvres, des théories, des réalisations scientifiques, et est ordonné par la
philosophie et la théologie ; la formation visera donc à ce que l’étudiant entrevoie les
grandes lignes du savoir universel, ses principes de base, l’ordonnance de l’ensemble
avec ses points majeurs et mineurs » (p 136). En outre, pour Henni (1993), « avant
l’industrie, il y a la culture. Et c’est cette industrie qui sera altérée par la culture (…).
Cette culture préalable définit un usage de la machine comme porteuse de nouvelles
hiérarchies et pratiques sociales et donc y adhère ou s’y oppose, en tout cas
instrumentalise » (p 85). Autrement dit, aussi bien dans la professionnalisation que
dans l’industrialisation qui la justifiait, le sens culturel n’y était pas en particulier
dans le milieu universitaire.
3. Mais l’abandon de la RES intervient aussi au moment où l’Etat n’a plus de visée
industrialiste. Via une restructuration des entreprises publiques, c’est le début d’un
transfert progressif et massif de l’essentiel de la production (hors hydrocarbures) du
secteur d’Etat vers les PME-PMI notamment. Ainsi, ce ne sont pas seulement les
stages qui se raréfient dans les grandes entreprises publiques, mais également l’emploi
de manière générale. En remettant en cause son projet d’industrialisation, l’Etat
remettait en cause la RES et réintroduisait la logique des facultés dans laquelle
prédomine la logique du parcours de formation.
C’est cette logique qui nous semble toujours mise en œuvre malgré l’adoption de la réforme
LMD.
Dans cette contribution, nous considérons que la logique de parcours se réfère
(traditionnellement) à la qualification mesurée par le diplôme, alors que la logique de
compétences suppose une validation permanente, dans et hors travail pour « faire
constamment la preuve de son « adéquation au poste » » (Roppé, 2006 : 154).
II. PROCESSUS DE BOLOGNE (ET REFORME LMD) DANS LE LIBREECHANGE EURO-MAGHREBIN
Le processus de Bologne (BP) est issu d’une stratégie économique - dite de Lisbonne (2000) qui lui donne sens et lui fixe des objectifs généraux dans le cadre de « l’économie du savoir ».
C’est un processus ayant pour but de « moderniser » l’enseignement supérieur dans toutes
ses dimensions : la pédagogie, la recherche, la gouvernance et les relations avec
l’environnement socio-économique. Ses objectifs opérationnels sont de standardiser et rendre
comparable les niveaux de sortie (LMD ou 3, 5 et 8 ans), d’augmenter la mobilité des
étudiants et des personnels enseignants chercheurs, d’instituer une démarche qualité,
d’améliorer l’attractivité des formations et la compétitivité de la recherche.
Ainsi la réforme LMD est l’un des instruments, inspiré du modèle anglo-saxon et proposé par
la Commission Attali (1998) pour la construction d’un Espace Européen d’Enseignement
Supérieur (EEES) à l’horizon 2010. La décennie du PB a été célébrée en 2009 par la
Commission européenne, mais la construction de l’EEES demeure un des objectifs de
« l’Europe 2020 ».
L’UE a une politique de voisinage et d’échanges très soutenue avec les pays du Maghreb. En
atteste les accords séparés signés au milieu des années 1990 avec la Tunisie, le Maroc et
l’Algérie. Ces accords engagent toutes les parties à instaurer/respecter le libre-échange dans
le cadre d’une économie libérale. Pour ce faire, les pays du Maghreb doivent se doter
d’instruments de mise à niveau pour une meilleure compétitivité. Parmi ces instruments, le PB
est soutenu et co-financé aussi bien par l’UE (programmes Tempus) que par la Banque
mondiale (prêts bancaires).
L’entrée dans le PB s’est faite à des dates et selon des modalités différentes – Maroc en 20032004, Algérie 2004-2005 et Tunisie en 2006-2007 -, mais dans les trois pays ce processus est
désigné par l’une de ses parties : « réforme LMD ». Dans les faits, la préparation des
conditions d’entrée dans le BP a commencé plus tôt : la loi 00-01 légalisant la « réforme
LMD » a été promulguée en 2000 au Maroc, la Banque mondiale a consenti un premier prêt
bancaire en 2002 à la Tunisie pour la modernisation de son enseignement supérieur au moyen
du PB et le gouvernement algérien avait installé la CNRSE en 2000 pour avoir en 2001-2002
un rapport préparatoire à la mise en œuvre de la « réforme LMD »
Les objectifs généraux du PB ont été fixés par la Commission européenne et repris par les
trois pays maghrébins. Cependant, compte tenu des préoccupations locales le PB a permis aux
responsables maghrébins d’insister entre autres sur la professionnalisation des formations et
une gestion des flux d’étudiants. Cette insistance s’explique à la fois par la situation
démographique des systèmes d’enseignement supérieur et les attentes des jeunes – qui
s’expriment parfois sous le mode de l’émeute - en matière d’insertion socioprofessionnelle.
III. UN CADRE REGLEMENTAIRE NOUVEAU MAIS UNE ABSENCE DE
DEFINITION
DES
COMPETENCES
ET
DE
LA
PROFESSIONNALISATION
Le système LMD institué par la réforme est proposé depuis 2004-2005 en tant qu’option aux
étudiants et donc avec un maintien en parallèle - en principe jusqu’en 2010 - du système
classique ou académique. L’échéance étant passé, le ministère a décidé de reconduire cette
stratégie de « l’option », tout en essayant de dissuader les étudiants d’opter pour système
classique ou académique. Mais ce dernier attire toujours une proportion significative
d’étudiants : plus de 45 % au niveau national (Ghouati, 2011 et 2012).
La loi du 4 avril 1999, modifiée et complétée en 2000 et 2008, a officialisé l’objectif de la
professionnalisation et inscrit plusieurs finalités pour l’enseignement supérieur parmi
lesquelles l’orientation et l’insertion professionnelle de l’étudiant. Parmi les autres
modifications notables il y a la création d’un Etablissement Public à caractère Scientifique,
Culturel et Professionnel (EPSCP). Cet établissement peut revêtir trois formes : 1. Une
université organisée en facultés – en tant qu’unité d’enseignement et de recherche. 2. Un
centre universitaire, destiné à évoluer comme université. 3. Une école ou un institut évoluant à
l’extérieur de l’université mais dont la cotutelle est assurée par le MESRS et le Ministère
chargé du secteur concerné. Au sein de l’EPSCP, les missions des enseignants chercheurs ont
été élargies au tutorat, à l’orientation des étudiants, l’expertise et la consultance et enfin la
formation continue.
Peu de temps avant la mise à jour de la loi d’orientation, le Ministère avait essayé de formuler
une « nouvelle vision de la formation universitaire » en l’articulant antre autres autour de
trois éléments, non définis précisément mais qui se veulent au centre du système LMD, à
savoir le projet, l’offre de formation et la pédagogie :
1. « L’élaboration d’un projet d’université intégrant les préoccupations locales,
régionales et nationales sur les plans aussi bien économique et scientifique que social
et culturel ;
2. « Des offres de formation diversifiées, organisées en concertation avec le secteur
économique ;
3. « Une pédagogie active où l’étudiant est un acteur de sa formation et l’équipe
pédagogique un soutien, un guide et un conseil qui l’accompagne tout au long de sa
formation » (MESRS, 2004, p 19).
Dans une note de cadrage et de justification de la « réforme LMD » le Ministre (MESRS,
2007, p 11) avait arrêté plusieurs objectifs généraux, parmi lesquels il s’agit de « réaliser une
véritable osmose avec l’environnement socio-économique en développant toutes les
interactions possibles entre l’université et le monde du travail » et « développer les
mécanismes d’adaptation continue aux évolutions des métiers ».
Cependant, malgré l’utilisation du concept d’« osmose », cette vision ne repose pas sur une
conception explicite et reste largement « adéquationniste », comme l’indique la stratégie
d’application proposée par le coordinateur principal de la réforme LMD.
En effet, en suivant l’orientation1 donnée par le MESRS en 2004, Djekoun (2007) estime que
la réforme doit être « globale », « progressive » et participative-intégrative ». Autrement dit,
elle doit affecter tous les aspects – architecture, diplômes, programmes, gouvernance et
pédagogie - ainsi que les entrées et les sorties du système d’enseignement supérieur : une «
adéquation lycée-Université » en amont et une « adéquation avec l’entreprise » en aval,
comme le montre la figure ci-après :
1
Pour le MESRS (2004) « la réforme se veut globale dans sa conception, participative dans sa démarche,
progressive et intégrative dans sa mise en application ».
Globale
Architecture des formations
Diplômes
Adéquation
Lycée -Université
Programmes
Gestion administrative
Adéquation
avec l’entreprise
Financement et Gestion
Budgétaire
Scolarité
En amont
A l’Université
En aval
Source : Djekoun (2007, p 19).
En outre, dans cette stratégie, l’application de la réforme a été voulue par domaine d’études
(les sciences et techniques en priorité) et selon la position des responsables des
universités vis-à-vis de la réforme : une phase « d’expérimentation » a eu lieu en 2004-2005
dans une dizaine d’universités (choisies par le MESRS), ensuite un élargissement à une
quarantaine d’universités et enfin une généralisation qui reste encore au stade de projet (52%
en 2011-2012). Elle devait enfin impliquer l’ensemble des personnels, intégrer de nouvelles
règles de fonctionnement et associer les partenaires extérieurs. Mais devant les difficultés
d’acceptation de la réforme notamment par les étudiants et les enseignants, en pratique c’est le
Ministère et les recteurs qui ont désigné les sites d’expérimentation et les membres du
personnel (chefs de départements et quelques enseignants et enseignants chercheurs) qui
peuvent ou doivent « s’impliquer ».
Dans le « guide du LMD » (MESRS, 2011), très descriptif2 et peu explicatif, conçu de surcroit
comme un livre du « maître »3 d’école, le Ministère estime que professionnaliser revient à
« mettre en place des filières à finalité professionnalisante ».
2
Qui rappelle sur la forme comme sur le fond, un livre (fascicule) descriptif coécrit dans un style télégraphique
par deux enseignants (Harzallah et Baddari, 2007) mais dans lequel ils définissent (dans un glossaire en annexe)
non pas la (ou les) compétence(s) mais « l’acquisition de compétences » comme suit : « Chaque parcours de
formation présente des enseignements théoriques, méthodologiques, pratiques et appliqués. Il peut comprendre
des éléments de professionnalisation, des projets individuels ou collectifs et un plusieurs stages. Il intègre
l’apprentissage de méthode de travail. Une place importante est donnée aux enseignements transversaux :
langues, logiciels informatiques, outils d’information et de communication, projets personnel et professionnel,
etc. Toutes les compétences acquises sont portées sur l’annexe descriptive du diplôme, pour plus de clarté de la
recherche d’emploi » (p 103).
3
Le MESRS semble s’être inspiré du « Guide de formation du LMD : à l’usage des institutions d’enseignement
supérieur d’Afrique francophone » (AUA, 2008) dans lequel le souci d’aider les enseignants du supérieur à
« définir correctement le LMD » conduit ses concepteurs jusqu’à l’utilisation de différentes couleurs dans le
texte, par exemple : « Vert pour les questions fondamentales, Bleu pour les réponses et les informations de base
et Rouge pour les remarques importantes » (colorié dans le texte, p 9).
Pour ce faire, il faut :
« · Définir les objectifs en termes de compétences,
« · Etudier les besoins réels du marché de l’emploi,
« · Envisager que l’étudiant puisse être un créateur d’emploi (il ne doit pas attendre d’être
recruté à sa sortie de l’université).
« · Associer à la conception de l’offre les agences de création d’entreprises ou d’emplois.
« · Etablir des relations pérennes avec le secteur utilisateur,
« · Créer et dynamiser une structure relationnelle chargée des stages » (p 56).
Enfin, quand on observe la procédure d’habilitation des offres (schéma ci-après), on peut
noter l’absence de la relation université-entreprise :
Procédure actuelle pour l’habilitation des offres
Selon les termes de la Circulaire N°07 du 04 juin 2005 portant Modalités de présentation,
d’évaluation et d’habilitation des offres de formations dans le cadre du dispositif LMD la
procédure d’habilitation doit cheminer à travers trois niveaux, notamment l’établissement, la
région et le ministère :
« Niveau établissement :
- les établissements sont maîtres de leur rythme d’entrée dans le nouveau système
- les équipes de formations se regroupent et proposent les offres
- avis des conseils de l’établissement
Niveau Régional :
Expertise technique des offres par domaine
Niveau National:
- CNH (Commission Nationale d’Habilitation) – 40 membres à parités universitaires et autres
secteurs
- Habilitation par le Ministre chargé de l’Enseignement Supérieur » (Source : MESRS, 2012).
La participation des secteurs non universitaires reste théorique dans ce schéma. En effet, dans
un entretien avec l’un des responsables de la CNH, il semble que ça soit le MESRS lui-même
qui introduit, en aval, le point de vue des autres secteurs : « Vers avril en général on reçoit
par la plateforme du Ministère les offres acceptées au CRE, en fonction de nos domaines. On
les étudie, et on se réunit ensuite pour valider avec les représentants des autres ministères ces
offres. C'est eux qui nous renseignent sur le monde socioéconomique et ses demandes » (Pr
M.M., Responsable de la CNH).
Deux hypothèses peuvent expliquer l’absence de la relation université-entreprise.
1.
Ni définie précisément, ni prévue dans la démarche d’habilitation des
formations/diplômes, cette absence peut montrer que la relation à l’environnement
n’est pas encore pensée et de ce fait la « professionnalisation » et la démarche
« compétence » sont des parties de discours destinées à deux cibles prioritaires :
l’opinion publique, notamment les jeunes qui contestent la situation de l’emploi des
diplômés et la Commission européenne qui cofinance les programmes d’aide à la
modernisation des systèmes d’enseignement supérieur.
2.
Mais cette relation n’est pas pensée car le MESRS, malgré l’adoption du système
LMD, n’a pas non plus intégré la logique des compétences qui devrait en principe
reposer sur un référentiel de certification conçu préalablement.
Dans un contexte marqué par les difficultés d’insertion professionnelle des diplômés, peut-on
parler comme pour la RES d’un obstacle culturel lié à la permanence d’une représentation
positive du « savoir savant » ? Le refus de s’inscrire massivement dans les Licences
professionnelles n’est peut-être pas forcément lié à la hiérarchie académique comme on a pu
l’affirmer (Khelfaoui, 2008). Des entretiens menés avec des étudiants (Ghouati, 2012 et
2014), font ressortir que certains employeurs et organismes publics n’acceptent pas la
Licence type LMD, préparée en 3 ans, contrairement à la Licence classique préparée en 4 ans.
Ceci renvoie sans doute à une contradiction majeure au niveau de l’Etat autour de la réforme
LMD. Cette contradiction n’étant pas résolue pour l’instant, il semble que le MESRS, tout en
annonçant une logique de compétences, se réfère toujours à une logique de parcours de
formation.
De ce point de vue l'Université de Constantine4 est exemplaire. Ayant fait partie des dix
établissements « pilote » lors de l’introduction de la réforme LMD, cette université se
caractérise par un fort engagement institutionnel dans les projets Tempus. L'autre
caractéristique est que son recteur M. Djekoun est aussi coordinateur et porte-parole national
de la « réforme LMD ». Dans le cadre de plusieurs projets Tempus5 , menés au sein d’un
consortium6 euro-maghrébin, l'UMC a restructuré entre autres l'architecture des formations,
la gouvernance, la gestion pédagogique et la professionnalisation de la formation. Elle dispose
désormais de structures dédiées à la professionnalisation et à l’entrepreneuriat, à savoir :
1. Un service chargé des relations Université – Entreprise et du placement des
stagiaires (environ 1550 stages réalisés jusqu’en 2009);
2. Un Forum Université – Entreprises ;
3. La maison de l’entreprenariat, créée en partenariat avec l’UPMF de Grenoble7;
4. Un Incubateur d’Entreprises ;
5. Un centre de carrières, avec le soutien de l’Institut William Davidson de l’Université
du Michigan (USA) et l’appui de l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Alger.
Comparativement aux autres universités, l'UMC a créé le plus de diplômes professionnels,
notamment des Licences professionnelles dites « à fort potentiel d’employabilité ». En 2009,
sur 121 Licences proposées, 37 sont labellisées « professionnelles », soit un taux de 30% de
professionnalisation. Ce taux est nettement supérieur à celui réalisé au niveau national - 6%
pour les licences et 10% pour les masters.
En 2010-2011, l’UMC comptait 71190 étudiants inscrits en 1 er et 2ème cycle (jusqu’au Master) et 4862 en 3 ème
cycle. Le taux d’étudiants ayant opté pour des diplômes type LMD s’élevait à 65% en 1 er et second cycles et 6%
seulement en 3ème cycle (Doctorat LMD).
5
Bernard Drugman, 2004, Bilan du lancement des coopérations universitaires dans le cadre du Haut Conseil,
Chargé de mission sur les coopérations franco-algériennes pour l’UPMF, Correspondant du Haut Conseil francoalgérien universitaire et de recherche pour Grenoble Universités, Grenoble, 4 juin 2004.
4
6
Composé de deux universités françaises (UJF et UPMF), la Fondazione CRUI - Conférence des Présidents des
Universités Italiennes et l’Università dell'Insubria de Varese et l’Université Franco-Italienne (UFI).
Dans le cadre du jumelage des villes de Constantine et de Grenoble et de la reprise d’un accord de coopération
existant depuis le milieu des années 1970.
7
Mais, à l’instar du MESRS et de la CNH, l'UMC ne dispose pas de référentiel de formation.
Autrement dit, l’annonce concerne bien une logique de compétences dans le cadre de la
réforme LMD, mais dans les faits la référence demeure une logique de parcours formation
classique.
CONCLUSION
Près de 10 ans après la mise en application de la « réforme LMD » le MESRS ne dispose ni
de théorie ni même de définition argumentée de la compétence et de la professionnalisation.
Sa démarche est en deçà de ce qui a été fait dans les années 1970 et 1980 dans le cadre de la
RES. Ce décalage par rapport à un passé récent peut s’expliquer par l’absence de projet aussi
structuré et aussi ambitieux qu’avait l’Etat à l’époque « industrialiste ».
En effet, l’Etat avait un projet développementaliste et ambitionnait de transformer
radicalement la société par l’éducation polytechnique (EFP) et la formation professionnelle et
supérieure.
Actuellement, l’Etat n’a pas de projet précis de développement et encore moins celui de
changer les comportements et/ou les mentalités. Il a voulu intégrer l’économie locale à la
globalisation économique et dans le cadre de ce programme il a accepté, à la demande de
l’UE, d’adhérer au processus de Bologne. Le MESRS donne l’impression de chercher
beaucoup plus un effet d’annonce que de construire une université ouverte et ceci apparaît
notamment à travers le manque de formalisation des principaux concepts et l’évacuation de la
relation à l’environnement.
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décembre 2012
ANNEXES
Annexe 1 : Entretien (à distance) avec le Pr M.M., Université d’Oran,
Président du Comité National d’Evaluation, membre de la CIAQES et membre du CNH.
1/ Comment se fait le montage d'un nouveau diplôme académique et/ou professionnel ?
On parle plutôt d'une offre de formation qui se fait au niveau d'une personne qui peut
s'entourer d'une équipe.
2/ Qui en est l'initiateur (collègues, chef de département, ...)?
Malheureusement, on est dans des approches individuelles et non institutionnelles. N'importe
quel collègue de grade MC ou Pr peut introduire une offre. Il doit avoir une équipe de
formation de rang magistral, ce qui n'est pas toujours le cas.
3/ Qui valide l’offre ?
L'offre passe par plusieurs organes: le Comité scientifique de département, puis le conseil
scientifique de faculté, puis le conseil scientifique d'université. Elle arrive ensuite à la
conférence régionale (CRE Est, Ouest ou Centre) où des experts de toutes les universités les
évaluent en 2 sessions: la 2ème est pour les recours. Celles qui sont validées vont à la
Commission Nationale d'Habilitations (CNH).
4/ A quel moment interviennent les représentants du monde économique?
Ils devraient en principe intervenir en amont: c'est à dire au niveau du département, surtout
pour les offres professionnalisantes.
5/ Le MESRS ou la CNH ?
Vers Avril en général on reçoit par la plateforme du Ministère les offres acceptées au CRE, en
fonction de nos domaines. On les étudie, et on se réunit ensuite pour valider avec les
représentants des autres ministères ces offres. C'est eux qui nous renseignent sur le
monde socioéconomique et ses demandes (Souligné par nous, AG).
6/ Il n'y a pas pour l'instant de référentiel des compétences ou des métiers…
Il n'existe pas de référentiel. On parle encore d'objectifs qui sont déclarés dans les offres. C'est
le Comité que je préside qui va faire avec d'autres partenaires ces référentiels.
7/ Y a t-il des expertises ou bilans sur lesquelles le MESRS, la CNH ou les collègues (du
département) s'appuient pour faire des propositions de diplômes ?
On est encore dans des démarches individuelles. Et les bilans ne sont pas accessibles aux
enseignants mais aux responsables d'établissements.
8/ La CRE joue-t-elle un rôle d'évaluation/présélection avant la transmission du projet à la
CNH ?
Oui comme je l’ai expliqué, il y a des canevas d'acceptation ou de rejet des offres que les
experts doivent remplir.
9/ Ceci pose la question du rôle de chaque niveau dans la progression d'une proposition de
diplôme (Département, CRE, CNH, environnement, MESRS) ?
La CNH dans ses bilans attire toujours l'attention du Ministère sur l'absence d'une réelle
évaluation à tous les niveaux. Il y a parfois de la complaisance, souvent un travail non
exhaustif d'évaluation, et quelques fois c'est l'expert et son niveau d'expertise qui sont en
cause.
10/ Dans le cas d'un diplôme professionnalisant, y a-t-il une validation particulière,
éventuellement extérieure ?
Non il n'y a pas de différence entre les 2 types d'offres : même procédure d'évaluation
appliquée.
11/ Au niveau de la CNH, y a-t-il une ou des définitions des "compétences"/"profession" et à
partir de quel moment considère-t-on qu'un diplôme est professionnalisant?
Ce travail est encore l'apanage de l'enseignant promoteur qui décide si c'est l'une ou l'autre.
11/ Le MESRS évoque le "schéma directeur national de la formation supérieure". A-t-on
accès à ce schéma?
Il est dans les différents rapports des organes de suivi: CRE, CPND comité pédagogique de
domaine, CNH qui relèvent les manques ou dysfonctionnements et qui font des propositions
(par exemple plus d'offres professionnalisantes) qui sont envoyées dans les CRE.
12/ Comment intervient-il dans l'élaboration des propositions de diplômes?
Les promoteurs restent encore loin de ce qui est recommandé. Seule une approche
institutionnelle peut déboucher sur des politiques réelles de formation.
13/ Y a-t-il un équilibre recherché actuellement entre diplômes académiques et
professionnels? Non, pas d’équilibre : 80% des offres sont académiques !