La Traque (23) – Mise en garde

Transcription

La Traque (23) – Mise en garde
La Traque (23) – Mise en garde
Précédemment dans La Traque : Après un assez long répit dans sa fuite, le narrateur voit un véhicule rouler vers la guérite où
il s'est réfugié.
Le 4 x 4 d'Andréa s'est arrêté dans le virage au-dessus de la guérite. J'entends des pas crisser sur le gravier du
sentier. J'essuie mes mains pleines de graisse de poisson à un torchon et emballe dans du papier journal les
deux truites que j'ai fini d'écailler. Je passe un t-shirt propre pour avoir l'air présentable.
Je m'attendais à voir Andréa. Mais c'est Anouchka qui s'approche du refuge.
Elle porte des lunettes de soleil et une robe noire très élégante, déplacée dans ce décor de pente et
de vignes. Ses chaussures à talons ralentissent sa marche. Elle s'appuie de la main gauche à un mur de pierre
pour conserver son équilibre, et le vent fait voler ses cheveux. Elle ressemble à nouveau à la jeune femme
que j'avais rencontrée dans l'auberge de montagne. Tout cela me paraît déjà si lointain.
Sur le lac, les vagues invisibles à pareille distance font avec leurs crêtes écumantes de petites touches
blanches dans l'eau grise.
Elle ôte ses lunettes. Son visage touche presque le mien. Une bourrasque fait passer une mêche sous
ses narines. Elle l'en écarte d'une main. Elle fixe sur moi ses yeux plissés par le soleil. Je vois tout de même
son strabisme sous ses paupières baissées. Je détaille le dessin des lèvres et l'arrondi du menton. J'admire la
perfection de la gorge.
La gifle heurte ma joue sans que j'aie vu la main d'Anouchka se lever. Je frotte de la mienne l'espace
douloureux sur ma peau.
« Un type que je ne connais pas m'a téléphoné. Il dit que tu es en danger de mort, qu'il possède des
informations obtenues par piratage. Il te donne comme mort dans deux jours au plus tard lors d'un assaut
des forces spéciales. Il pense te faire passer en Équateur après un détour par la Russie. C'est un activiste des
droits de l'homme, un type d'extrême-gauche ou de Wikileaks, peut-être les deux ; il ne m'en a pas dit plus et
je n'ai pas tout compris. Bien sûr, il veut aussi de l'argent.
–
Combien ?
–
Plus que ce que tu as. Andréa m'a prêté la somme.
–
Pourquoi n'est-elle pas venue ?
–
L'homme se présentera cette nuit.
–
Je peux me fier à lui ?
–
Je ne sais pas. »
Je me penche vers elle et l'embrasse.
« Tu es une ordure », dit-elle avant de coller ses lèvres aux miennes et de plaquer la paume de sa
main gauche sur ma nuque.
© Bastien Fournier, 2013 / www.bastienfournier.ch