hĒpatites aCtUalitĒ 88 les tests rapides de l`hépatite c n
Transcription
hĒpatites aCtUalitĒ 88 les tests rapides de l`hépatite c n
HĒPATITES ACTUALITĒ 88 Dépistage Les tests rapides de l’hépatite C n’attendent pas l’état Aujourd’hui, comme pour le VIH, des tests rapides à orientation diagnostique (Trod) permettent de dépister rapidement le VHC. Mais les associations ne sont pas encore autorisées à les utiliser. Médecins du monde et SOS hépatites bravent pourtant l’interdit, avec une campagne de dépistage privée – et illégale… A ttention : la scène qui va suivre est passible d’une peine d’emprisonnement. Même si elle paraîtra familière à tous ceux qui ont déjà pratiqué un test rapide du VIH… L’action se déroule en Seine-Saint-Denis, dans un centre de soins de Médecins du monde. Un volontaire se présente ; un militant associatif lui pique le bout du doigt. Il lui prélève une goutte de sang, et la mélange dans un flacon de liquide. Il y plonge alors une languette de diagnostic. Après plus de vingt minutes d’attente, il suffit d’y compter les traits : un seul, et le volontaire testé n’a jamais contracté le virus de l’hépatite C ; deux bandes rouges, en revanche, signalent la présence d’anticorps du VHC. Il reste, dans ce cas, à réaliser un prélèvement sanguin afin de rechercher le virus lui-même. Le sujet saura alors s’il en est encore porteur, ou s’il en a guéri spontanément. Simple. Et efficace : le test rapide à orientation diagnostique (Trod) utilisé ici, Oraquick, a une sensibilité d’environ 99 %. Ce type de dépistage est pourtant illégal en France. Certes, le fabricant Orasure a obtenu pour ce produit la marque CE, tout comme son concurrent Servibio, avec le test Toyo. Les deux prouvent ainsi leur conformité aux normes européennes. Et ils peuvent d’ores et déjà être utili- sés par les laboratoires de biologie médicale. En revanche, avant de pouvoir y recourir, les militants associatifs doivent encore attendre un cadre légal. Pour l’heure, l’arrêté du 9 novembre 2010 les autorise uniquement à employer des Trod du VIH. Ceux-ci peuvent être notamment pratiqués par « un médecin, un biologiste médical, une sage-femme ou un infirmier intervenant dans une structure de prévention ou une structure associative » habilitée. Et même « un salarié ou un bénévole, non professionnel de santé » peut s’y exercer, à condition d’avoir été formé. Voilà ce que nombre d’associations rêveraient de faire, désormais, avec les Trod du VHC… Compléter l’offre de dépistage « Aujourd’hui l’offre de dépistage n’est pas assez performante », plaide Johann Volant, chargé de mission à l’animation et à la coordination de la Fédération SOS hépatites. « Certes, les Trod ne constituent pas une solution miracle. Mais ils permettraient déjà de compléter l’offre existante. » Il est vrai que les hépatites virales frappent lourdement des populations éloignées du système de santé : migrants, précaires, ou encore détenus… Confier les Trod aux assoLEJOURNALDUSIDA | n° 225 | octobre - novembre - décembre 2012 7 HĒPATITESACTUALITĒ88 ciations permettrait d’approcher des publics peu enclins à se rendre dans un laboratoire, ou encore dans un Centre de dépistage anonyme et gratuit. « De plus avec ces tests rapides, nous sommes sûrs de pouvoir rendre le résultat aux personnes dépistées. Avec les analyses de sang classiques, il faut attendre parfois près d’une semaine avant de le recevoir, et beaucoup ne viennent pas le rechercher », ajoute Marie-Dominique Pauti, coordinatrice d’actions de prévention à Médecins du monde. Enfin, ces kits ont un intérêt particulier pour les injecteurs de drogues : ils laissent leurs veines intactes, puisqu’ils fonctionnent avec une simple piqûre au bout du doigt, ou bien même un prélèvement de fluide buccal sur les gencives ! L’avantage est loin d’être anodin : la prévalence du VHC était estimée à près de 60 % chez les usagers de drogues pris en charge par les structures spécialisées et les médecins généralistes, en 2004, d’après l’étude Coquelicot… Braver l’interdit Que peuvent faire, dès lors, les associations ? Remiser les Trod au placard, en attendant leur autorisation ? Et laisser ainsi des malades ignorer encore leur contamination ? Deux structures nationales ont préféré braver l’interdit. Et elles l’ont même claironné par un communiqué au printemps dernier : « Alors que la journée nationale de lutte contre les hépatites, qui se tient habituellement en mai, n’a pas été annoncée par le gouvernement pour des raisons d’agenda électoral, Médecins du Monde et SOS hépatites lancent une journée sauvage de lutte contre les hépatites B et C le 22 mai. » Ce qui fut fait, au centre de soins de Médecins du monde, à la Plaine Saint-Denis… Dès le 16 mai, le président de SOS hépatites Pascal Melin avait lui-même expérimenté les Trod du VHC dans son Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) à Saint-Dizier, en Haute-Marne. Ces hors-la-loi du dépistage prennent des risques. L’utilisation des tests en dehors d’un laboratoire « pourrait être assimilé à l’exercice illégal de la biologie », estime-t-on à la Direction générale de santé (DGS). Or l’article L.4161-5 du 8 LEJOURNALDUSIDA | n° 225 | octobre - novembre - décembre 2012 Code de la santé publique punit un tel acte de « deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende »… « Je ne peux pas dire que nous ne prenons pas de risques juridiques, reconnaît Marie-Dominique Pauti. Mais ils sont limités, car notre action est guidée par un impératif de santé publique, en l’occurrence l’urgence sanitaire que constitue l’épidémie d’hépatite C. Et puis, à Médecins du monde, nous avons très souvent commencé des actions dans l’illégalité. Tel était le cas avec les programmes d’échange de seringues, ou encore avec l’accueil des usagers de drogues pour l’injection dans de bonnes conditions d’hygiène dans les rave-parties. Et rétrospectivement, nous avons pu ainsi prouver leur efficacité. » Ces dépistages sauvages calquent tout particulièrement l’action menée en 2009 par Médecins du monde en Guyane, avec les Trod du VIH. A l’époque, ceux-ci n’étaient pas encore autorisés ; ils ne faisaient l’objet que d’expérimen- vec 60 % de prévalence A chez les usagers de drogues, il y a urgence à agir tations scientifiques. Dans le département le plus touché de France par l’épidémie, Médecins du monde n’avait pourtant pas souhaité attendre un arrêté pour agir. Dès le 1er décembre 2009 avaient été proposés les Trod du VIH dans son centre de soins de Cayenne – grâce au soutien financier de Sidaction. « Et nous n’avons évidemment pas été sanctionnés », souligne Amandine Marchand, coordinatrice générale de la mission France Guyane. De quoi encourager, à présent, au dépistage clandestin des hépatites virales… « Notre discours est aujourd’hui le même, acquiesce Johann Volant. Avec 60 % de prévalence chez les usagers de drogues, il y a urgence à agir. Nous ne sommes pas des têtes brûlées ! » Evaluation De fait, lorsque SOS hépatites a découvert l’efficacité du Trod d’Orasure, il s’est empressé d’approcher le ministère de la Santé. « C’était en décembre 2010, juste après la publication de l’arrêté pour les Trod du VIH, poursuit Johann Volant. Nos interlocuteurs se sont montrés compréhensifs, mais nous ont répondu que pour ces tests rapides de détection des anticorps du VHC, il fallait, de la même manière, commencer par une évaluation. Un calendrier nous avait alors été donné. Et un arrêté nous avait été promis pour l’automne 2011… » L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a été saisie du dossier dès janvier 2011. L’efficacité des Trod existants a d’abord été contrôlée avec des échantillons de sang partiel, « dans la mesure où les performances sont, en règle générale, meilleures sur le sérum ou TEXTEENLIGNEWWW.ARCAT-SANTE.ORG le plasma que sur le sang total ou la salive, comme l’agence l’expliquait en mai 2011. Dans un second temps et en fonction des résultats obtenus, une étude mettant en œuvre des prélèvements de sang total et de salive » était alors envisagée. A la rentrée 2012, la première analyse était achevée, et ses résultats sur le point d’être publiés par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui a depuis repris les missions de l’Afssaps. Quant à la seconde, elle a été confiée au Centre national de référence Hépatites, comme le rapporte la DGS : « L’étude est en cours et les résultats devraient être disponibles au début de l’année 2013. » Mais le ministère de la Santé a dû également saisir la Haute autorité de santé. Car si la double évaluation s’avère finalement positive, cette instance devra encore définir « le positionnement de ces tests dans la stratégie actuelle de dépistage des personnes infectées par le VHC, et leurs conditions d’utilisation », explique-t-on à la DGS. Enfin, sitôt cette recommandation rédigée, le ministère pourra alors « prendre un arrêté pour définir les conditions d’utilisation des Trod et les personnes autorisées à les faire, à l’instar de ce qui a été fait pour le VIH en 2010 ». « On a donc des mois de retard, s’impatiente Johann Volant. Nous n’aurons pas d’arrêté dans les délais annoncés par le ministère ! » Financements privés Mais les deux associations ne comptent plus attendre. Leur choix est fait : elles entendent diffuser dès maintenant les Trod à travers la France. Il reste que, naturellement, elles ne peuvent compter sur aucun soutien financier de l’Etat… Or ces tests coûtent près de 14 euros l’unité. Pour se les procurer, SOS hépatites a donc dû recourir à des financements privés. Auprès de qui ? La fédération n’a pas voulu le dévoiler au Journal du sida… Et en attendant un hypothétique engagement de l’Etat, une campagne de dépistage privée est désormais engagée. Médecins du monde s’est procuré des Trod auprès de SOS hépatites. Et dès juin, à Bayonne, l’association s’est mise à proposer les tests à des usagers de drogues, dans les locaux de Bizia, un CsapaCaarud (centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie ; et centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues). « Nous proposons aux personnes accueillies des Trod du VIH, ainsi que du VHC, explique Cyril Olaizola, coordinateur de la mission. En cas de contamination par l’hépatite virale, nous proposons aussi un fibroscan, afin de déceler d’éventuelles atteintes du foie, puis nous mettons en place un suivi par un hépatologue. Et en aval, nous avons la chance de disposer d’un dispositif bien rodé, avec des appartements de coordination thérapeutique, ou encore le suivi d’un infirmier du Csapa-Caarud. » Et le nouvel outil semble avoir changé la donne. « Auparavant, nous proposions des dépistages classiques, mais nombre de patients les refusaient. Certains avaient des difficultés Un appel à projets pour le dépistage En attendant de disposer d’évaluations et de recommandations pour confier, éventuellement, les Trod (tests rapides à orientation diagnostique) du VHC aux associations, la Direction générale de la santé (DGS) s’efforce de multiplier les dépistages avec les outils existants. Un appel à projets a ainsi été lancé en avril, pour la recherche des hépatites virales B et C, ainsi que des infections sexuellement transmissibles autres que le VIH. 49 dossiers ont été reçus dans les délais impartis, rapporte la DGS ; mais certains visaient « des actions de Trod hépatites dans différentes structures de prise en charge des usagers de drogue ». La Direction les a donc recalés, en leur précisant que « la législation actuelle ne permet pas l’usage des Trod VHB & C, en dehors des laboratoires de biologie médicale, sauf à ce que cet usage se fasse à titre expérimental dans le cadre d’une recherche biomédicale… » Au final, seuls cinq dossiers ont été retenus ; quatre d’entre eux concernent les hépatites virales. Des subventions de 40 000 à 50 000 euros leur ont été attribuées. ▪ O.B. LEJOURNALDUSIDA | n° 225 | octobre - novembre - décembre 2012 9 HĒPATITESACTUALITĒ88 Des Trod pour le VHB Face au virus de l’hépatite B, le dépistage rapide se complique ! Plusieurs Trod (tests rapides à orientation diagnostique) existent pour détecter l’antigène HBs. Vikia, ou encore Test DRW, portent tous deux le précieux marquage CE. Mais avec le VHB, la bonne nouvelle est qu’il existe un vaccin. Dès lors, révéler une séronégativité ne suffit pas : il faut encore mesurer l’opportunité de proposer une vaccination. En effet, le vaccin est inutile si la personne a déjà développé spontanément des anticorps protecteurs, après avoir été exposée au virus. Un autre Trod, Lumiquick, permet justement de retrouver ces anticorps. Mais celui-ci ne porte pas encore le marquage CE… Une étude, Optiscreen, a déjà été financée par l’ANRS pour évaluer ces différents Trod. Et parallèlement, l’ANSM a été missionnée par la DGS pour les contrôler. Mais en attendant, seule une recherche biomédicale permettrait d’utiliser légalement ce test privé de marquage. Voilà ce qu’aimeraient justement faire SOS hépatites et trois organisations du Groupe SOS : PSA (Prévention et soin des addictions), le Kiosque et Arcat. Elles ont présenté un projet de recherche commun à l’ANRS, avec Gilles Pialoux comme responsable scientifique, et Annabelle Lapostolle, épidémiologiste à l’Inserm. Il s’agirait d’évaluer un modèle de dépistage associatif, médicalisé et communautaire, à la fois du VHB, du VHC et du VIH. La vaccination contre l’hépatite virale B serait également proposée. L’opération serait menée dans trois sites parisiens distincts, accueillant respectivement des homosexuels, des usagers de drogues, et des travailleurs sexuels sud-américains. La réponse de l’ANRS est espérée pour le début de 2013. ▪ O.B. à revenir chercher leur résultat, et d’autres préféraient ne pas être piqués afin de préserver leur capital veineux… Avec les Trod, ils acceptent, sans souci. » En trois mois, trois séropositifs au VHC ont déjà été découverts. Et pour tous les autres dépistés, « l’intérêt est motivationnel », souligne Cyril Olaizola. « Nous l’avions déjà constaté avec les Trod du VIH : se savoir séronégatif incite à prendre beaucoup moins de risques. » Médecins du monde s’est donc décidé à étendre son dispositif. « Nous allons proposer avant la fin de l’année l’utilisation des Trod du VHC à nos sept équipes qui utilisent déjà les tests rapides du VIH, et ce dans une stratégie globale de prévention », détaille Marie-Dominique Pauti. De son côté, SOS hépatites a mobilisé une vingtaine de Csapa pour les utiliser dans un cadre médicalisé. « Il nous a semblé plus approprié de lancer notre expérimentation dans ce type d’établissement », explique Johann Volant. « En cas de résultats positifs, ils seront plus à même d’accompagner les personnes infectées vers les soins. Et surtout, ils disposent tous de médecins, pour prendre en charge les résultats, les prescriptions, le suivi… » Car même sans arrêté, la fédération estime s’inscrire dans la légalité. « Nous suivons le processus qui nous a été indiqué par la DGS : d’abord, une demande d’avis auprès d’un comité de protection des personnes (une instance chargée de donner un avis éthique sur les projets de recherche biomédicale, NDLR), puis des demandes d’autorisation à l’ANSM, et aux Agences régionales de santé compétentes. S’ils donnent leur aval, nous espérons nous lancer dès la fin 2012. » Dans les clous En attendant, certains des Csapa mobilisés se sont déjà emparés des Trod. A Paris par exemple, Gaïa les propose depuis le début de l’année, à tous ses usagers. Là encore, les tests sont couplés avec des Trod du VIH, et le fibroscan peut 10 LEJOURNALDUSIDA | n° 225 | octobre - novembre - décembre 2012 être proposé. Les dépistages sont menés uniquement par du personnel médical ; de plus le dispositif a été validé par un médecin biologiste hospitalier. Cet été, 97 personnes avaient déjà été dépistées. Des anticorps du VHC avaient été retrouvés chez 41 d’entre elles. Et les recherches de charge virale avaient finalement permis de découvrir 25 porteurs d’une hépatite chronique. La directrice Elisabeth Avril espère bien, elle aussi, rester dans une certaine légalité… « Nous avons présenté ce projet à la DGS, en réponse à un appel d’offres portant sur des dépistages expérimentaux. Et notre dossier a été refusé, en raison de l’absence d’un cadre légal pour les Trod du VHC… Du coup je me demande si nous sommes bien dans les clous. Mais nous continuons. Nous avons de bonnes pratiques ! » Ces initiatives convaincront-elles les autorités d’accélérer le pas ? Les militants l’espèrent, évidemment. « Il y a plus de 220 000 personnes touchées par le VHC, soit beaucoup plus que pour le VIH », rappelle Franck Barbier, responsable santé à Aides. « Et la proportion de séropositifs qui s’ignorent est également supérieure avec le VHC : ils seraient un tiers, jusqu’à peut-être même la moitié — contre 20 % pour le VIH. » A terme, l’association souhaiterait pouvoir elle-même utiliser tout un panel de Trod, y compris du VHB, ou de la syphilis – et pourquoi pas tous rassemblés en un test unique… Mais avant un tel dénouement, un doute désagréable taraude certains militants. « Les Trod du VIH coûtent de trois à cinq euros pièce. Or les financements publics prévus pour les mettre en œuvre ont été assez limités », expose Johann Volant. Avec des tests rapides du VHC trois fois plus chers, combien l’Etat acceptera-t-il donc de payer ? En fin de compte, le dépistage de l’hépatite C en France pourrait reposer quelque temps encore sur des financements privés… ▪ Olivier Bonnin