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CINÉMA – DVD
C I N É M A
D V D
Les chemins de la liberté
(The Way back)
de Peter Weir
par Charles-Michel Cintrat
P
OUR UNE FOIS, il eût été préférable
de sacrifier à la mode et de conserver le
titre original, ou de le traduire littéralement, plutôt que de reprendre de façon insolite le titre du roman de Jean-Paul Sartre,
même si celui-ci est quelque peu oublié
aujourd’hui.
Le film relate l’évasion d’un camp soviétique au fin fond de la Sibérie de quelques
détenus, dont un officier polonais, un
Américain, un truand russe… C’est une adaptation de l’ouvrage de Slavomir Rawicz, À marche forcée. Cet ouvrage est contesté, non sur
le fond, mais sur le fait que l’auteur n’a pas lui-même vécu cette terrible aventure. Le véritable héros serait Witold Glenski. Evadé du Goulag, ce Polonais, rapatrié à Londres, aurait
fait le récit de son odyssée à des officiers polonais, à l’ambassade de son pays. Rawicz, luimême officier de l’armée polonaise, aurait découvert et utilisé le document.
Mais peu importe. Regardons le film tel qu’il se présente.
D’une facture classique, d’un filmage impeccable dans des paysages splendides (trop,
pensent certains), il est en tous points remarquable, notamment par l’interprétation de
Colin Farrell (le truand), Ed Harris (l’Américain), Jim Sturges (Janusz).
Certains ont voulu y voir quelques invraisemblances. À tort. La réalité est parfois invraisemblable et cette équipée ne l’est-elle pas, alors qu’elle est sans doute vraie? Pour ceux qui
douteraient de la possibilité d’évasion de cette prison dont les barreaux, plus encore que les
barbelés, sont constitués par la nature immense et hostile, rappelons qu’il y en eut d’autres.
Celle du fameux El Campesino, réussie à la deuxième tentative, par exemple [1].
1. De son vrai nom Valentin Gonzales, ce combattant légendaire de la guerre civile espagnole, rapporte son expérience dans La vie et la mort en URSS (Paris, 1950).
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HISTOIRE & LIBERTÉ
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L’arrivée dans le groupe d’une jeune femme,
personnage absent du livre, peut paraître inutile.
Pourtant, elle va galvaniser ces hommes, malgré
leurs premières réticences à son égard. Quant
aux métaphores religieuses qui lui sont liées,
elles contribuent à soutenir l’idée de pardon et à
introduire celle d’une foi sous-jacente, fondement de l’énergie et de l’espoir qui, malgré tous
les obstacles, soutient les fuyards.
Le film ne manque pas d’ellipses. On pourrait cependant estimer qu’il compte – travers
commun à beaucoup de films d’aujourd’hui –
un quart d’heure de trop. Mais le sentiment de
durée vécue qu’il crée chez le spectateur, loin de
provoquer l’ennui, est à mettre à son crédit. Il
fait en effet ressentir intensément la désespérante immensité des espaces à parcourir, l’inexorable écoulement du temps, l’inquiétante lenteur
de la progression des évadés vers un but improbable. Nous éprouvons leur fatigue, leurs
douleurs, leurs craintes, leur découragement et
leur espoir tenace durant cet interminable
cheminement. L’ironie avec laquelle certains
critiques ont cru bon de traiter le film (Ils
marchent… c’est long… les paysages sont
beaux… mais c’est long…) est surprenante. Ces
critiques ont totalement ignoré les premières
séquences qui l’ouvrent et durent environ une
demi-heure. Après l’interrogatoire du Polonais
Janucz, chargé, trahi par sa femme soumise à la
torture, c’est l’arrivée au camp. Terrible
première impression. Puis c’est la vie dans les
baraquements sordides, la nourriture infecte et
insuffisante, le travail épuisant, les sanctions, la
neige, le froid, le règne des pires truands[2].
2. À notre connaissance, peu de films ont montré ainsi le goulag. On peut citer Goulag, film américain de Roger Young,
sorti en 1984, qui relate l’évasion d’un journaliste américain piégé par le KGB lors des Jeux Olympiques de Moscou.
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AVRIL 2011
Les chemins de la liberté
Titre original . . . . . . . . . . . . . . . The Way Back
Réalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Peter Weir
Acteurs principaux:
Jim Sturgess (Janusz «Pakhan»), Ed Harris (M.
Smith), Colin Farrell (Valka, le «urki»), Saoirse
Ronan (Irena), Drago Bucur (Zoran), Gustaf
Skarsgård (Voss, le letton), Alexandru
Potocean (Tomasz), Sebastian Urzendowsky
(Kazik), Mark Strong (Khabarov)
Lieux de tournage:
Bulgarie, Inde, Maroc, Australie
Scénario: Peter Weir, Keith Clarke, d'après À
marche forcée de Sławomir Rawicz
Direction artistique . . . . . . . . . . . . . Aziz Rafiq
Décors . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . John Stoddart
Photographie . . . . . . . . . . . . . . . . Russell Boyd
Musique . . . . . . . . . . . Burkhard von Dallwitz
Sociétés de production: Imagenation Abu
Dhabi FZ, Crispy Films, Exclusive Films,
National Geographic Films, On the Road,
Point Blank Productions, Scott Rudin
Productions
De même ont-ils ignoré l’épilogue : de brèves images d’actualité évoquent le 8 mai
1945, les différentes étapes de la Guerre froide, les révoltes des ouvriers allemands et polonais, le soulèvement hongrois, la chute du Mur et enfin l’effondrement des régimes
communistes en Europe.
Dans la séquence finale, Janusz retrouve sa femme, à qui il a déjà pardonné. Pouvait-il
en être autrement ? Happy end mêlé de nostalgie et de tristesse. Janusz, comme le spectateur, ne peut sans doute pas oublier ceux qui n’ont pas atteint le terme du voyage et ceux,
plus nombreux encore, qui ne sont jamais revenus de l’enfer du Goulag.
Durant le tournage des Chemins de la Liberté
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