Partie : TEXTES 4TQ 2006-2007 Mme ODROVIC Nuit d`encre pour

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Partie : TEXTES 4TQ 2006-2007 Mme ODROVIC Nuit d`encre pour
Français
Séquence : L’implicite
Nuit d’encre pour Farah, Malika MADI
Séquence :
L’implicite
Partie : TEXTES
Mme ODROVIC
4TQ
2006-2007
Français
Séquence : L’implicite
1. Désignation et caractérisation :
Les personnages
Analyse d’extraits (page 15…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
-Farah ! Tu viens avec moi chez Yamina ? J’ai terminé sa robe et je préfère aller maintenant qu’il ne pleut plus.
Latifa, ma sœur aînée, se tenait derrière moi, les bras encombrés d’un sac. Elle attendait une réponse, je
l’avais à peine entendue.
Belle, Latifa l’était, infiniment. Brune comme le sont les Sahariennes de Ghardaïa malgré nos origines bel et
bien kabyles. Elle nous surclassait, moi et mon autre sœur Lila, en tout et de loin. Beauté, charme et autre chose,
quelque chose qui lui était propre, qui restait indéfinissable et qui de surcroît n’était pas héréditaire. Elle avait
vingt-quatre ans, moi dix-sept et avant de quitter notre chambre elle se tourna de nouveau vers moi, rarement
dans le regard de ma sœur j’avais senti autant de lassitude ; celle de son quotidien. Ses yeux noirs brillaient
comme ceux d’un enfant fiévreux, sa voix teintée d’une étrange résonance, une frustration, un besoin ou un lieu
d’exutoire qu’elle n’arrivait pas à trouver.
-Tu viens ou non ?
-Non je préfère rester lire.
Elle referma doucement la porte derrière elle, presque sans bruit, une sortie irréelle, féerique. Latifa survolait les
choses sans brouhaha, sans vocifération, toujours méthodique et étonnamment réaliste. Du haut de mes dix-sept
ans, j’enviais et respectais cette grande sœur, image, pour moi, parfaite de la femme, calme et mystérieuse. A
quoi pensait-elle en plein milieu de la nuit juste avant cet immense soupir qui venait du plus profond de ses
bronches ? A quoi pensait-elle, la tête penchée sur sa machine à coudre, juste avant de poser le pouce et l’index
dans les coins des yeux comme pour arrêter les larmes ? A quoi pensait-elle avant de déboucher une bouteille de
coca et de l’amener immédiatement à ses lèvres comme pour ne rien perdre du gazeux, les yeux fermés et le
larynx brûlé ?
Moi, Farah ! petite fille sage, anodine et tellement impersonnelle, je rêvais de posséder des gestes et des
attitudes aussi puissants, des traces de mon passage, une empreinte de mon corps aussi forte que la sienne.
Latifa, c’était mon rêve, c’était la femme que je devais un jour absolument être. Latifa, ce fut pourtant le
couperet de ma guillotine.
Dans l’esprit de notre mère, une fille devait être formée pour le ménage, la cuisine et la couture. Etre une
femme terriblement féconde et une épouse totalement dévouée à son mari. Elle n’oubliait pas, dans son
programme de formation, de montrer fermeté et inflexibilité dans la manière de préparer le couscous ou la galette
de semoule. Moi tout cela ne me concernait pas, du moins pas encore. Latifa et Lila qui elle avait vingt-deux ans,
occupaient bien assez l’esprit de ma mère pour m’épargner ces branches essentielles dans sa conception de
l’éducation et de la formation prénuptiale. Je n’en étais bien sûr pas exemptée , juste momentanément
suspendue puisque dans la logique de l’âge, mes sœurs devaient me précéder dans le mariage. Cet état de
choses m’arrangeait. Je pouvais me consacrer totalement à mes études secondaires, mais surtout et avant tout,
je pouvais lire, lire le plus possible. En quelques mois j’avais lu tous les auteurs français que le dix-neuvième
siècle pouvait compter, du moins j’en avais l’impression. J’avais bien tenté quelques écrivains de ce siècle,
notamment ceux que le prof de français nous imposait, mais je revenais inlassablement et impatiemment vers
celui des auteurs romantiques. Les écrits de Balzac ou de Flaubert me faisaient indubitablement pleurer de joie et
l’idée que quelques mois seulement me séparaient de la fac – quelques semaines encore et je me retrouverais
devant des années à lire pour enfin me voir attribuer un diplôme – me rendait la vie infiniment belle et agréable.
J’étais libre, je travaillais bien et j’étais la meilleure élève du cours de français. Les angoisses, les peurs, les
doutes de mes sœurs m’étaient un monde étranger. Je ne vivais aucune crise de l’adolescence, je ne me posais
aucune question quant à mon avenir, je n’avais envie de rien ; ni d’indépendance, ni d’émancipation. J’allais à
l’école, je lisais, je lisais… c’était tout ce dont j’avais besoin.
L’intimité de ma chambre me convenait plus que les boîtes de nuit ou les cafés branchés, aussi je compris mais
bien plus tard, pourquoi Lila et Latifa ne trouvèrent jamais en moi une alliée. Mais qu’aurais-je pu faire ? Nos
mondes étaient si extrêmement opposés. Je vivais avec elles mais sans songer un instant que nous n’avions pas
la même vie, et puis ma mère les avait réquisitionnées si jeunes, depuis si longtemps déjà elle s’acharnait à faire
d’elles de femmes d’un autre temps que, pour moi aussi, tout cela était d’une normalité absolue. C’était ma mère,
c’était mes sœurs et c’était ma vie depuis toujours.
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Séquence : L’implicite
1. Désignation et caractérisation :
Analyse d’extraits de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
Questionnaire :
1. Combien de personnages sont présentés dans cet extrait ?
……………………………………………………………………………………………………….
2.
Quel personnage est le héros de l’histoire et dit « je » ?
……………………………………………………………………………………………………….
3.
Qui est surtout décrit ici ? A ton avis pourquoi ?
……………………………………………………………………………………………………….
4.
Recopie les mots qui caractérisent avec précision le physique de Latifa.
……………………………………………………………………………………………………….
5.
Résume les activités de Latifa.
……………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………….
6.
Accepte-t-elle l’éducation donnée par sa maman ? Justifie ta réponse en résumant ses attitudes.
……………………………………………………………………………………………………….
7.
Observe les traits de personnalité de Farah. Compare-les avec ceux de Latifa. Que constates-tu ?
……………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………….
8.
Grâce à la description de ces personnages, peux-tu dire à quelle époque nous sommes et dans quel
pays ? Décris le problème qui risque d’arriver selon les indices donnés dans cet extrait.
……………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………….
SYNTHESE à retenir :
Pour construire un personnage, l’auteur doit lui conférer un effet de réel pour donner l’impression au
lecteur qu’il s’agit d’une personne véritable. Le personnage a donc une identité, des caractéristiques
physiques et morales, une dimension sociale souvent visible à travers son comportement ou sa manière de
parler, une dimension historique et géographique marquée par son ancrage dans une époque et un lieu.
Au fur et à mesure de l’histoire, le personnage est nommé, désigné de différentes façons (elle, la femme,
la petite fille…) : c’est ce que l’on nomme la DESIGNATION.
L’auteur donne à son personnage des caractéristiques précises : traits physiques, caractère,
langage… (belle, brune, sage, kabyle…) c’est ce que l’on nomme la CARACTERISATION.
Celle-ci peut se faire de deux manières :
• La caractérisation explicite : l’auteur donne directement les idées.
EXEMPLE : Farah est passionnée par les écrivains du XIXe siècle.
• La caractérisation implicite : l’auteur dévoile des caractéristiques indirectement.
EXEMPLE : En quelques mois j’avais lu tous les auteurs français que le dix-neuvième siècle pouvait compter…
Ici, alors, c’est au lecteur d’interpréter les indices fournis par le texte et d’en tirer des conclusions sur la
personnalité du personnage.
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2. Porteur de valeurs :
Analyse d’extraits (page 41…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
Avant, se disait-elle, les filles ne rêvaient que d’un mariage prospère et d’une maternité
féconde, nos mères nous préparaient à cette idée dès la puberté et quelquefois bien plus tôt
avec une telle allégresse, que pas un instant nous ne mettions en doute le bien-fondé d’une
telle destinée.
Parfois il m’arrivait de la comprendre, car au fond, elle avait été arrachée au monde
excessivement structuré des villages de la petite Kabylie où chacun avait un rôle précis à
tenir, une société dénuée de ce perpétuel besoin de renouveau si commun en Occident, une
société où les femmes, illettrées pour la plupart ou très peu scolarisées, n’ont d’autres rêves
devant l’éternel que celui de posséder l’eau courante et l’électricité continue…
Elle arriva dans le « Pays noir » à dix-sept ans et fit la connaissance, pour la première fois
de sa vie, avec la brume, l’humidité et ce froid si particulier qui n’existe qu’au nord de
l’Europe et qui vous pénètre la peau, alors que même au paroxysme de l’hiver en Algérie, il
ne vous effleure jamais que l’épiderme. Elle était à terme de Latifa, son troisième enfant,
mais le premier qu’elle eut avec mon père. Le poids de la solitude et la barrière de la langue
en firent une femme encore plus sensible à l’héritage de la tradition. Et puis cette
immigration n’était que provisoire, deux ans, trois, tout au plus. Juste le temps de gagner un
peu d’argent… et vingt-quatre ans s’écoulèrent. Ils traversèrent sa vie sans qu’elle prenne
conscience que l’éducation qu’elle nous prodiguait ne convenait pas un seul instant à
l’univers extérieur. Fallait-il lui jeter la pierre ? La remise en question de fondements aussi
ancrés suppose un pouvoir d’auto-évaluation que même les gens d’une très grande
intelligence ne possèdent pas toujours. Pouvait-on, dès lors, l’exiger d’une femme qui
comme ma mère n’agit jamais que par intuition ?
Assise face à elle je la regardais boire son thé, je ne pensais pas, à l’époque, pas un
instant, que cela me concernait. J’étais extérieure, je les regardais, elle et mes sœurs,
s’agiter, se heurter, se blesser pratiquement quotidiennement avec des propos d’une
vulgarité affligeante. Elles ne parlaient jamais le même langage, ma mère clamait : pudeur,
réserve, soumission… Lila revendiquait : liberté, indépendance, émancipation…
Elle secoua la tête et le foulard qu’elle y avait noué glissa lentement sur sa nuque.
Machinalement elle le réajusta. Puis, les yeux bouffis et les joues en feu, elle passa ses
mains sur son visage.
-Lila va amener la honte sur notre famille. Je sais qu’elle fume et qu’elle monte à moto
derrière les garçons. On ne pourra plus sortir, ton père n’osera plus aller à la mosquée. Lila
est ma honte, ma honte et mon malheur, on va me maudire et avec moi, mon père et le père
de mon père. Nos aïeux depuis la nuit des temps… je vais l’égorger, il n’y a pas d’autre
issue pour nettoyer mon âme et celle de mes ancêtres… Mon Dieu ! Pourquoi ai-je échoué ?
Pourquoi ?…
Elle se mit à pleurer, sans bruit, ses mains rougies par le henné masquant ses larmes
chaudes. Quant à moi, je ne trouvais quoi dire ou quoi faire d’autre que la regarder. Je
m’imaginais pourtant la prenant dans mes bras et la consolant ma main sur ses cheveux
mais je n’arrivais pas à bouger. Ses larmes ne me concernaient pas, son chagrin ne
m’atteignait pas, cette femme était ma mère et ses revendications aussi anciennes que notre
lien de parenté. Rien ne me touchait ni ses plaintes, ni celles de ses filles. J’étais une
spectatrice dans une salle de cinéma qui regardait le film sur l’écran tout en songeant à autre
chose, à la différence près que l’on m’imposait le film et que pas un instant il n’arrivait à
attirer mon attention…
Trois jours avant le début des examens de juin, Lila fut interdite de sortie pour une durée
indéterminée. Ce qu’elle ferait et avec qui elle le ferait était devenu beaucoup trop prévisible
pour ma mère. Aussi, à défaut d’une solution meilleure, elle séquestra sa fille.
Moi, j’étais épuisée, ne dormais plus, mangeais peu, et étais terriblement survoltée à l’idée
de terminer mes études secondaires dans quelques jours à peine. Déjà il me prenait de
rêvasser à l’instant où, mon diplôme sous le bras, je me rendrais au bureau des inscriptions
d’une des plus grandes universités du pays. La secrétaire fonctionnaire me demanderait
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2. Porteur de valeurs :
alors, aussi désagréablement que possible, quelles études m’intéresseraient, et je lui
répondrais, détachée, comme si cette décision était récente et le fruit du hasard : la
littérature.
Analyse d’extraits de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
Questionnaire :
1. Aux trois premières lignes, les pensées d’un personnage sont dévoilées. De quel personnage
s’agit-il ? Résume l’idée principale…
……………………………………………………………………………………………………………………….
2. De quel pays parle-t-elle quand elle dit « le Pays noir » ? Pourquoi ce nom ? Explique selon
tes connaissances…
……………………………………………………………………………………………………………………….
3. Comment la mère de Farah a vécu cette immigration ? Comment décrit-elle la Belgique ?
Voulait-elle s’installer en Belgique définitivement ?
……………………………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………….
4. Comment explique-t-elle son attachement aux traditions kabyles ?
……………………………………………………………………………………………………………………….
5. Pourquoi y a-t-il un si fort décalage entre l’Occident et l’Orient ?
……………………………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………….
6. Souligne en vert dans le texte les indices qui montrent l’appartenance de la mère de Farah au
monde oriental.
7. Note qui de Lila (L) et de sa mère (M) est attachée aux valeurs décrites et note la lettre (a, b,
…f) de chaque valeur, à droite des explications (remarque : explications liées au contexte) :
accepter la tradition : lettre …
a. Pudeur : …
rester sobre, poli : lettre …
b. Réserve : …
accepter la tradition : lettre …
c. Liberté : …
ne pas se rebeller : lettre …
d. Soumission : …
se plier aux exigences familiales : lettre …
e. Indépendance : …
s’épanouir : lettre …
f. Emancipation : …
être peu expansif, très discret : lettre …
être libre : lettre …
8. Les deux derniers paragraphes de cet extrait dessinent un tableau bien différent des deux
sœurs. Note le prénom de chacune face à ses valeurs respectives :
…………………………………recherche l’amusement, l’amour, la liberté.
……………………………apprécie l’isolement, le rêve, l’imaginaire, le voyage offerts par ses lectures.
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2. Porteur de valeurs :
SYNTHESE :
Chaque être humain possède des valeurs : c’est ce à quoi il accorde de l’importance. Celles-ci colorent sa vie : il agit
en fonction d’elles. Elles le poussent donc à faire des choix et à agir.
Les personnages d’un roman sont porteurs de valeurs, ils véhiculent des idées sociales. Cela permet au lecteur de
réfléchir, de juger, d’utiliser sa faculté d’empathie, de comprendre ou de se remettre en question…
3. Reflet d’un milieu social :
Analyse d’extraits (page 50…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
Je ne garde pas un souvenir impérissable de mon enfance. Quelques détails et anecdotes sans
grand intérêt.
Tout de même un ! (…)
-Tu crois que le père Noël viendra chez nous apporter des jouets ? demandai-je à Lila.
-Mais non ! Il vient pas chez les Arabes, même pas chez les Kabyles, ni les Marocains, ni chez tous
les musulmans…
-Pourquoi ? On est des enfants gentils nous aussi !
-C’est pas ça, nous on a la fête de l’Aïd. C’est là où on reçoit des choses. Et puis le père Noël ça
n’existe pas…
-Si ! ça existe ! lui hurlai-je du plus fort que je pus.
-Tu n’auras qu’à demander à Latifa, tu verras qu’elle te dira la même chose.
Lila ne pouvait pas, comme ça, anéantir un rêve déjà vieux… Déterminée, je me mis à courir vers la
maison, j’étais en sueur et hors d’haleine devant le pas de la porte, bien décidée à interroger Latifa…
Une fois dans le vestibule, je fus immédiatement saisie par une forte odeur d’essence de rose. A
l’époque, ma mère adorait ces bâtonnets d’encens dont elle brûlait les bouts, avant de les éparpiller
un peu partout dans la maison : « Ca chasse les mauvais esprits » nous disait-elle. Aujourd’hui
encore, cette odeur est l’une de celles que je supporte le moins, peut-être avec cette odeur chaude du
mouton que l’on vient d’égorger.
Lila était arrivée. Nous ôtâmes nos manteaux et lorsque nous voulûmes appeler Latifa, nous
entendîmes résonner la voix haute et forte de notre mère.
-Quelle honte ! quelle honte ! quelle honte ! Une classe de neige ! Mais tout le monde va nous
montrer du doigt, on va être la honte du quartier. Comment oses-tu me demander une chose comme
celle-là ?…Des filles et des garçons mélangés !
-Mais non maman, suppliait Latifa, on sera pas mélangés, et puis il y aura toujours des professeurs
et des moniteurs avec nous…
-Et tu crois que je vais croire ça ? Et tu crois que ton père va croire ça ? Je t’ai déjà parlé de cette
pauvre Samira ? Cette pauvre femme que le destin a frappé alors qu’elle n’avait que vingt-six ans. Se
retrouvant veuve et mère de huit enfants dans ce pays où elle n’a Dieu que pour seul allié… Et voilà
qu’aujourd’hui, la première de ses filles enfin arrivée à un âge où elle peut l’épauler et l’aider dans
l’éducation des petits ne trouve rien d’autre que de tomber enceinte d’un roumi… Quelle honte pour
sa famille, quelle honte pour la mémoire de son père que sa mère n’a d’autre choix que de maudire !
-Mais ce n’est qu’une classe de neige ! Qu’est-ce que je vais dire aux profs ? … Que je ne peux pas
venir, parce que l’une des amies de ma mère a une fille-mère ?
-Tu n’auras qu’à faire un certificat médical, dit-elle avec un accent pitoyable.
Latifa pleurait, dépassée. Cette conversation avait sûrement commencé bien avant notre arrivée.
Incrédule, je cherchais une explication dans les yeux de Lila qui, elle, semblait avoir compris.
-Qu’est-ce que je vais faire ici, pendant une semaine ? suppliait Latifa dans un sanglot.
-Je t’apprendrai à faire des makrouts, avec l’espoir qu’un jour prochain un gentil garçon travailleur et
de bonne famille vienne demander ta main. Bien sûr, ce ne serait pas pour vous marier maintenant,
mais au moins…
Latifa quitta la cuisine, nous bousculant au passage. Elle avait treize ans et pour la première fois de
sa vie, elle sut qu’elle était une fille avec des besoins communs à toutes les filles et pourtant une fille
définitivement et irrémédiablement différente. Peut-être Lila l’avait-elle deviné, elle aussi. Quant à
moi…
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Séquence : L’implicite
3. Reflet d’un milieu social :
Analyse d’extraits (page 50…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier
2000
Questionnaire :
1. Note la fête traditionnelle catholique et la fête musulmane qui se déroulent toutes deux en fin
d’année civile ; que représente-t-elle chacune ?
……………………………………………………………………………………………………………………….
2. Formule les idées qui reflètent le milieu social de la mère de Latifa :
……………………………………………………………………………………………………………………….
3. Quel est le sujet du conflit entre Latifa et sa mère ?
……………………………………………………………………………………………………………………….
4. Quelle idée va à l’encontre des traditions musulmanes et dérange la mère ?
……………………………………………………………………………………………………………………….
5. Quels sentiments et émotions ressent Latifa ? Justifie chaque idée donnée à l’aide des indices
du texte :
……………………………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………….
6. Ce jour-la, Latifa comprend la frustration qu’elle subira toute sa vie. Explique-la avec tes
mots :
……………………………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………….
SYNTHESE :
En littérature, les personnages sont souvent le reflet de leur époque, de leur culture. Ils incarnent les
valeurs sociales de leur temps et de leur milieu. Ils reflètent une organisation sociale bien précise
(exemple : éducation mixte, mariage arrangé…); ils peuvent être aux prises avec les problèmes de leur
génération (jeunesse – maturité) et les conflits d’éducation (enfants-parents) .
Malika MADI et les 4TQ mai 2007
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4. Porteur d’évolutions :
Analyse d’extraits (page 180…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier
2000
L’adolescente douce, effarouchée, rêveuse et lunatique avait laissé la place à une femme dure,
incrédule, égocentrique et, plus le temps passait, plus je me sentais gagnée par le plus ignoble des
sentiments humains : la misanthropie.
Ces derniers jours, il m’arrivait très souvent de penser à mes sœurs et à leur petit bonheur
« cocoon » loin des problèmes que pouvaient occasionner les pénuries d’eau ou de semoules.
Je les imaginais réchauffant sur leur taque en vitrocéramique des paellas précuites à l’intention de
leurs hommes, qui les féliciteraient d’un si délicieux repas, avec, noué autour de leur taille un tablier
au slogan « un câlin pour le chef » !
Je songeais aussi à la réaction que je pourrais avoir s’il m’arrivait un jour de croiser leurs routes,
elles qui toute leur vie n’avaient été que des Algériennes forcées de l’être, des Algériennes malgré
elles, et qui aujourd’hui n’étaient plus que des femmes sans repère et sans nom. Des femmes
perdues et bientôt invisibles à force d’avoir voulu se fondre dans la société occidentale, à force d’avoir
voulu renier tout ce qui composait leur personnalité, à force d’avoir voulu oublier combien elles ont dû
payer cher la vie banale et quotidienne qu’elles se sont choisie.
Ce ramadan qu’elles faisaient par obligation, cette fête de l’Aïd qu’elles n’appréciaient jamais,
aujourd’hui il est à peu près certain qu’elles en ont oublié les désagréments pour ne se rappeler que
les bons côtés.
Jusqu’à quand peut-on se mentir sans exprimer les premiers signes du trouble de la personnalité ?
Jusqu’à quand peut-on renier ce que les psychologues appellent le « moi profond » avant de ne plus
savoir qui on est, et où l’on va ?
Pourquoi avais-je cessé de lire ? Est-ce parce que la littérature faisait partie de ma première vie et
qu’elle n’avait pas sa place dans la deuxième ? Je n’avais plus lu depuis Somerset Maugham. J’avais
tant parcouru de livres qu’aujourd’hui j’étais comme en train de les digérer.
Avant vingt ans, aussi précoce qu’on puisse être, il est toujours très difficile de comprendre les
raisonnements et les motivations d’écrivains aussi complexes que ceux que j’avais choisi de lire.
Solitude, torture morale, rejet, incompréhension, tant de sentiments, que tant d’écrivains vécurent et
qu’aujourd’hui seulement je comprenais et partageais avec eux.
Pourquoi avais-je cessé de lire ? Parce que c’était tout ou rien. Parce que la littérature devait
m’appartenir et pas seulement m’être prêtée. Parce qu’elle devait remplir ma vie et pas seulement la
contourner. Parce que je devais vivre avec elle dans le mariage et pas dans le concubinage…
Avais-je eu raison de raisonner comme cela ? Jusqu’à quand peut-on renier ce que les
psychologues appellent le « moi profond » alors qu’on ne sait plus qui on est, et où l’on va ?…
Questionnaire :
1. Quel mot pourrait résumer le sentiment que ressent Farah aujourd’hui ? Explique pourquoi…
……………………………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………….
2. Pourquoi vit-elle une telle évolution ?
……………………………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………………………….
3. Pourquoi a-t-elle cessé de lire ? Comment perçoit-elle aujourd’hui ces lectures passées ?
Explique…
……………………………………………………………………………………………………………………….
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1. Désignation et caractérisation :
Analyse d’extraits (page 15…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
-Farah ! Tu viens avec moi chez Yamina ? J’ai terminé sa robe et je préfère aller maintenant qu’il ne pleut plus.
Latifa, ma sœur aînée, se tenait derrière moi, les bras encombrés d’un sac. Elle attendait une réponse, je l’avais à peine
entendue.
Belle, Latifa l’était, infiniment. Brune comme le sont les Sahariennes de Ghardaïa malgré nos origines bel et
bien kabyles. Elle nous surclassait, moi et mon autre sœur Lila, en tout et de loin. Beauté, charme et autre chose,
quelque chose qui lui était propre, qui restait indéfinissable et qui de surcroît n’était pas héréditaire. Elle avait
vingt-quatre ans, moi dix-sept et avant de quitter notre chambre elle se tourna de nouveau vers moi, rarement
dans le regard de ma sœur j’avais senti autant de lassitude ; celle de son quotidien. Ses yeux noirs brillaient
comme ceux d’un enfant fiévreux, sa voix teintée d’une étrange résonance, une frustration, un besoin ou un lieu
d’exutoire qu’elle n’arrivait pas à trouver.
-Tu viens ou non ?
-Non je préfère rester lire.
Elle referma doucement la porte derrière elle, presque sans bruit, une sortie irréelle, féerique. Latifa survolait les choses
sans brouhaha, sans vocifération, toujours méthodique et étonnamment réaliste. Du haut de mes dix-sept ans, j’enviais et
respectais cette grande sœur, image, pour moi, parfaite de la femme, calme et mystérieuse. A quoi pensait-elle en plein
milieu de la nuit juste avant cet immense soupir qui venait du plus profond de ses bronches ? A quoi pensait-elle, la tête
penchée sur sa machine à coudre, juste avant de poser le pouce et l’index dans les coins des yeux comme pour arrêter les
larmes ? A quoi pensait-elle avant de déboucher une bouteille de coca et de l’amener immédiatement à ses lèvres comme
pour ne rien perdre du gazeux, les yeux fermés et le larynx brûlé ?
Moi, Farah ! petite fille sage, anodine et tellement impersonnelle, je rêvais de posséder des gestes et des attitudes aussi
puissants, des traces de mon passage, une empreinte de mon corps aussi forte que la sienne.
Latifa, c’était mon rêve, c’était la femme que je devais un jour absolument être. Latifa, ce fut pourtant le couperet de ma
guillotine.
Dans l’esprit de notre mère, une fille devait être formée pour le ménage, la cuisine et la couture. Etre une femme
terriblement féconde et une épouse totalement dévouée à son mari. Elle n’oubliait pas, dans son programme de formation, de
montrer fermeté et inflexibilité dans la manière de préparer le couscous ou la galette de semoule. Moi tout cela ne me
concernait pas, du moins pas encore. Latifa et Lila qui elle avait vingt-deux ans, occupaient bien assez l’esprit de ma mère
pour m’épargner ces branches essentielles dans sa conception de l’éducation et de la formation prénuptiale. Je n’en étais bien
sûr pas exemptée , juste momentanément suspendue puisque dans la logique de l’âge, mes sœurs devaient me précéder dans
le mariage. Cet état de choses m’arrangeait. Je pouvais me consacrer totalement à mes études secondaires, mais surtout et
avant tout, je pouvais lire, lire le plus possible. En quelques mois j’avais lu tous les auteurs français que le dix-neuvième
siècle pouvait compter, du moins j’en avais l’impression. J’avais bien tenté quelques écrivains de ce siècle, notamment ceux
que le prof de français nous imposait, mais je revenais inlassablement et impatiemment vers celui des auteurs romantiques.
Les écrits de Balzac ou de Flaubert me faisaient indubitablement pleurer de joie et l’idée que quelques mois seulement me
séparaient de la fac – quelques semaines encore et je me retrouverais devant des années à lire pour enfin me voir attribuer
un diplôme – me rendait la vie infiniment belle et agréable. J’étais libre, je travaillais bien et j’étais la meilleure élève du
cours de français. Les angoisses, les peurs, les doutes de mes sœurs m’étaient un monde étranger. Je ne vivais aucune crise
de l’adolescence, je ne me posais aucune question quant à mon avenir, je n’avais envie de rien ; ni d’indépendance, ni
d’émancipation. J’allais à l’école, je lisais, je lisais… c’était tout ce dont j’avais besoin.
L’intimité de ma chambre me convenait plus que les boîtes de nuit ou les cafés branchés, aussi je compris mais bien plus
tard, pourquoi Lila et Latifa ne trouvèrent jamais en moi une alliée. Mais qu’aurais-je pu faire ? Nos mondes étaient si
extrêmement opposés. Je vivais avec elles mais sans songer un instant que nous n’avions pas la même vie, et puis ma mère
les avait réquisitionnées si jeunes, depuis si longtemps déjà elle s’acharnait à faire d’elles de femmes d’un autre temps que,
pour moi aussi, tout cela était d’une normalité absolue. C’était ma mère, c’était mes sœurs et c’était ma vie depuis toujours.
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1. Désignation et caractérisation :
Analyse d’extraits de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
Questionnaire :
1. Combien de personnages sont présentés dans cet extrait ?
Quatre personnages : Farah, Latifa, Lila et leur mère.
2. Quel personnage est le héros de l’histoire et dit « je » ?
C’est Farah qui présente son entourage.
3. Qui est surtout décrit ici ? A ton avis pourquoi ?
Latifa est décrite avec précision car Farah la prend pour modèle. Elle a donc l’habitude de l’observer.
Latifa, c’était mon rêve, c’était la femme que je devais un jour absolument être.
4. Recopie les mots qui caractérisent avec précision le physique de Latifa.
Belle, brune, origines kabyles, du charme, vingt-quatre ans.
5. Résume les activités de Latifa :
Elle suit l’éducation donnée par sa mère : formée pour le ménage, la cuisine et la couture. Elle est éduquée pour devenir une
épouse dévouée et une bonne mère.
6. Accepte-telle l’éducation donnée par sa maman ? Justifie ta réponse en résumant ses attitudes :
Latifa ressent une profonde lassitude envers sa condition de fille kabyle mais elle paraît résignée car elle reste calme.
Pourtant, ses attitudes prouvent bien sa frustration : sa sœur l’entend soupirer en milieu de nuit, elle a certainement des
pensées angoissantes qui l’empêchent de dormir. Aussi, Farah remarque qu’elle pleure parfois sur sa machine à coude : son
destin ne lui convient certainement pas ! On comprend d’ailleurs qu’elle apprécie les boîtes de nuit et les cafés branchés.
Sorties certainement non autorisées par sa mère…
Cependant, elle garde un côté mystérieux qui cache peut-être quelque chose…
7. Observe les traits de personnalité de Farah. Compare-les avec ceux de Latifa. Que constates-tu ?
Les deux personnages sont créés par opposition. Farah est fort éloignée des traits de Latifa. Elle le dit elle-même :
« Nos mondes étaient si extrêmement opposés. »
Elle se décrit comme étant une petite fille sage, anodine et tellement impersonnelle comparée à la personnalité puissante de
sa sœur.
Elle désire se consacrer totalement à ses études secondaires et vivre sa passion : la lecture. Elle est passionnée par les
écrivains français du XIXe.
Elle ne ressent aucune frustration : sa vie est infiniment belle et agréable car elle travaille bien à l’école et va bientôt pouvoir
suivre des études supérieures sur la littérature. Les angoisses, les peurs, les doutes de ses sœurs lui sont un monde étranger.
Elle ne vit aucune crise de l’adolescence, elle ne se pose aucune question quant à son avenir, elle n’a envie de rien ; ni
d’indépendance, ni d’émancipation. Elle va à l’école et lit… c’est tout ce dont elle a besoin.
8. Grâce à la description de ces personnages, peux-tu dire à quelle époque nous sommes et dans quel pays ? Décris le
problème qui risque d’arriver selon les indices donnés dans cet extrait.
Nous sommes dans un temps contemporain, en France ou Belgique. Le souci mis en évidence est l’éducation traditionnelle
donnée par la mère kabyle à ses deux filles aînées. Elles vont certainement se rebeller…
SYNTHESE :
Pour construire un personnage, l’auteur doit lui conférer un effet de réel pour donner l’impression au lecteur
qu’il s’agit d’une personne véritable. Le personnage a donc une identité, des caractéristiques physiques et
morales, une dimension sociale souvent visible à travers son comportement ou sa manière de parler, une
dimension historique et géographique marquée par son ancrage dans une époque et un lieu.
Au fur et à mesure de l’histoire, le personnage est nommé, désigné de différentes façons (elle, la femme, la
petite fille…) : c’est ce que l’on nomme la DESIGNATION.
L’auteur donne à son personnage des caractéristiques précises : traits physiques, caractère, langage… (belle,
brune, sage, kabyle…) c’est ce que l’on nomme la CARACTERISATION.
Celle-ci peut se faire de deux manières :
• La caractérisation explicite : l’auteur donne directement les idées.
EXEMPLE : Farah est passionnée par les écrivains du XIXe siècle.
• La caractérisation implicite : l’auteur dévoile des caractéristiques indirectement.
EXEMPLE : En quelques mois j’avais lu tous les auteurs français que le dix-neuvième siècle pouvait compter…
Ici, alors, c’est au lecteur d’interpréter les indices fournis par le texte et d’en tirer des conclusions sur la
personnalité du personnage.
Partie : TEXTES
Mme ODROVIC
4TQ
2006-2007
Français
Séquence : L’implicite
2. Porteur de valeurs :
Analyse d’extraits (page 41…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
Avant, se disait-elle, les filles ne rêvaient que d’un mariage prospère et d’une maternité féconde,
nos mères nous préparaient à cette idée dès la puberté et quelquefois bien plus tôt avec une telle
allégresse, que pas un instant nous ne mettions en doute le bien-fondé d’une telle destinée.
Parfois il m’arrivait de la comprendre, car au fond, elle avait été arrachée au monde excessivement
structuré des villages de la petite Kabylie où chacun avait un rôle précis à tenir, une société dénuée
de ce perpétuel besoin de renouveau si commun en Occident, une société où les femmes, illettrées
pour la plupart ou très peu scolarisées, n’ont d’autres rêves devant l’éternel que celui de posséder
l’eau courante et l’électricité continue…
Elle arriva dans le « Pays noir » à dix-sept ans et fit la connaissance, pour la première fois de sa vie,
avec la brume, l’humidité et ce froid si particulier qui n’existe qu’au nord de l’Europe et qui vous
pénètre la peau, alors que même au paroxysme de l’hiver en Algérie, il ne vous effleure jamais que
l’épiderme. Elle était à terme de Latifa, son troisième enfant, mais le premier qu’elle eut avec mon
père. Le poids de la solitude et la barrière de la langue en firent une femme encore plus sensible à
l’héritage de la tradition. Et puis cette immigration n’était que provisoire, deux ans, trois, tout au
plus. Juste le temps de gagner un peu d’argent… et vingt-quatre ans s’écoulèrent. Ils traversèrent sa
vie sans qu’elle prenne conscience que l’éducation qu’elle nous prodiguait ne convenait pas un seul
instant à l’univers extérieur. Fallait-il lui jeter la pierre ? La remise en question de fondements aussi
ancrés suppose un pouvoir d’auto-évaluation que même les gens d’une très grande intelligence ne
possèdent pas toujours. Pouvait-on, dès lors, l’exiger d’une femme qui comme ma mère n’agit jamais
que par intuition ?
Assise face à elle je la regardais boire son thé, je ne pensais pas, à l’époque, pas un instant, que cela
me concernait. J’étais extérieure, je les regardais, elle et mes sœurs, s’agiter, se heurter, se blesser
pratiquement quotidiennement avec des propos d’une vulgarité affligeante. Elles ne parlaient jamais le
même langage, ma mère clamait : pudeur, réserve, soumission… Lila revendiquait : liberté,
indépendance, émancipation…
Elle secoua la tête et le foulard qu’elle y avait noué glissa lentement sur sa nuque. Machinalement
elle le réajusta. Puis, les yeux bouffis et les joues en feu, elle passa ses mains sur son visage.
-Lila va amener la honte sur notre famille. Je sais qu’elle fume et qu’elle monte à moto derrière les
garçons. On ne pourra plus sortir, ton père n’osera plus aller à la mosquée. Lila est ma honte, ma
honte et mon malheur, on va me maudire et avec moi, mon père et le père de mon père. Nos aïeux
depuis la nuit des temps… je vais l’égorger, il n’y a pas d’autre issue pour nettoyer mon âme et celle
de mes ancêtres… Mon Dieu ! Pourquoi ai-je échoué ? Pourquoi ?…
Elle se mit à pleurer, sans bruit, ses mains rougies par le henné masquant ses larmes chaudes.
Quant à moi, je ne trouvais quoi dire ou quoi faire d’autre que la regarder. Je m’imaginais pourtant la
prenant dans mes bras et la consolant ma main sur ses cheveux mais je n’arrivais pas à bouger. Ses
larmes ne me concernaient pas, son chagrin ne m’atteignait pas, cette femme était ma mère et ses
revendications aussi anciennes que notre lien de parenté. Rien ne me touchait ni ses plaintes, ni celles
de ses filles. J’étais une spectatrice dans une salle de cinéma qui regardait le film sur l’écran tout en
songeant à autre chose, à la différence près que l’on m’imposait le film et que pas un instant il
n’arrivait à attirer mon attention…
Trois jours avant le début des examens de juin, Lila fut interdite de sortie pour une durée
indéterminée. Ce qu’elle ferait et avec qui elle le ferait était devenu beaucoup trop prévisible pour
ma mère. Aussi, à défaut d’une solution meilleure, elle séquestra sa fille.
Moi, j’étais épuisée, ne dormais plus, mangeais peu, et étais terriblement survoltée à l’idée de
terminer mes études secondaires dans quelques jours à peine. Déjà il me prenait de rêvasser à
l’instant où, mon diplôme sous le bras, je me rendrais au bureau des inscriptions d’une des plus
grandes universités du pays. La secrétaire fonctionnaire me demanderait alors, aussi désagréablement
que possible, quelles études m’intéresseraient, et je lui répondrais, détachée, comme si cette décision
était récente et le fruit du hasard : la littérature.
Partie : TEXTES
Mme ODROVIC
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Séquence : L’implicite
2. Porteur de valeurs :
Analyse d’extraits de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
Questionnaire :
1.
Aux trois premières lignes, les pensées d’un personnage sont dévoilées. De quel personnage s’agit-il ? Résume l’idée
principale…
Ce sont les pensées de la mère de Farah. Elle estime que les jeunes filles ne doivent pas remettre en question l’éducation traditionnelle
et qu’avant, c’était même un rêve abouti que de se réaliser en tant que mère féconde et épouse dévouée.
2. De quel pays parle-t-elle quand elle dit « le Pays noir » ? Pourquoi ce nom ? Explique selon tes connaissances…
C’est la Belgique : les Algériens ont immigré pour travailler dans les mines de charbon ; d’où le surnom « noir ».
3.
Comment la mère de Farah a vécu cette immigration ? Comment décrit-elle la Belgique ? Voulait-elle s’installer en Belgique
définitivement ?
Elle a été agressée par le froid piquant. Elle ne désirait absolument pas rester ici, elle cherchait juste un peu d’argent pour pouvoir
retourner plus aisée dans sa chaude Kabylie.
4. Comment explique-t-elle son attachement aux traditions kabyles ?
Elle ne parlait pas le français et se sentait fort seule, ainsi elle s’est encore plus attachée à ce qui lui restait de personnalité : son
éducation kabyle. D’autant plus logique pour elle qu’elle comptait revenir au pays assez vite : ses filles seraient donc de véritables
kabyles bien élevées.
5. Pourquoi y a-t-il un si fort décalage entre l’Occident et l’Orient ?
Car l’Occident a un besoin de renouveau, une mentalité de réforme ; tandis que l’Orient reste attaché à ses racines, ses traditions ;
d’autant plus que les femmes y sont très peu scolarisées, ainsi, la seule vraie parole est délivrée par la famille (l’interprétation du Coran)
et non par l’école. Aussi, l’un des plus grands soucis parfois est de juste recevoir l’eau courante ou l’électricité continue au village. Les
problèmes sont donc bien différents de nos sociétés modernes.
6.
Souligne en vert dans le texte les indices qui montrent l’appartenance de la mère de Farah au monde oriental.
7. Cite les valeurs opposées auxquelles tiennent Lila et sa mère et explique-les selon le contexte :
1. pudeur, réserve, soumission =
La mère prône la pudeur, la réserve c’est-à-dire rester sobre, peu expansif, être discret. La soumission c’est accepter la tradition, ne pas
se rebeller, se plier aux exigences familiales.
2. liberté, indépendance, émancipation =
Lila veut être indépendante, libre de faire ce qui lui chante. Elle veut s’épanouir et sortir des pressions familiales étouffantes.
8.
Les deux derniers paragraphes de cet extrait dessinent un tableau bien différent des deux sœurs. Décris leurs valeurs
respectives :
On comprend que les valeurs de chaque fille sont bien différentes : Lila veut s’amuser, rencontrer d’autres personnes, être en compagnie
de son amoureux elle recherche donc l’amusement, l’amour, la liberté
Farah préfère se consacrer à ses études et surtout à la littérature elle apprécie donc l’isolement, le rêve, l’imaginaire, le voyage
provoqués par les livres
SYNTHESE :
Chaque être humain possède des valeurs : c’est ce à quoi il accorde de l’importance. Celles-ci colorent sa vie :
il agit en fonction d’elles. Elles le poussent donc à faire des choix et à agir.
Les personnages d’un roman sont porteurs de valeurs, ils véhiculent des idées sociales. Cela permet au lecteur de
réfléchir, de juger, d’utiliser sa faculté d’empathie, de comprendre ou de se remettre en question…
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Mme ODROVIC
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Séquence : L’implicite
3. Reflet d’une culture :
Analyse d’extraits (page 50…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
Questionnaire :
1. Note la fête traditionnelle catholique et la fête musulmane qui se déroulent toutes deux en fin d’année civile ; que représente-telle chacune ?
C’est Noël et l’Aïd. Noël symbolise la naissance de Jésus et l’Aïd représente le sacrifice du fils d’Abraham.
2. Formule les idées qui reflètent le milieu social de la mère de Latifa :
Brûler des bâtonnets d’encens, égorger le mouton lors de l’Aïd, refuser l’éducation mixte, préparer des makrouts et organiser des
mariages arrangés.
3. Quel est le sujet du conflit entre Latifa et sa mère ?
Un voyage scolaire à la neige.
4. Quelle idée va à l’encontre des traditions musulmanes et dérange la mère ?
Le fait de se retrouver « mélangés » entre filles et garçons.
5. Quels sentiments et émotions ressent Latifa ? Justifie chaque idée donnée à l’aide des indices du texte :
Un sentiment d’incompréhension et d’injustice car : elle ne comprend pas pourquoi sa mère refuse de croire que les élèves seront séparés
et surveillés et elle trouve injuste d’être mise à l’écart d’un voyage si attrayant.
La colère et la tristesse car : elle supplie sa mère de la laisser partir et lui répond ouvertement, lui demandant ce qu’elle pourra bien
évoquer comme cause pour son absence. Aussi, elle pleure et bouscule ses sœurs au passage.
6. Ce jour-la, Latifa comprend la frustration qu’elle subira toute sa vie. Explique-la avec tes mots :
Latifa comprend sa frustration : elle ressent un manque de compréhension de sa mère. Elle est une adolescente tiraillée entre deux
cultures : celle de son pays natal et de son cœur : la Belgique ET celle de sa mère, très traditionnelle : l’Algérie.
SYNTHESE :
En littérature, les personnages sont souvent le reflet de leur époque, de leur culture. Ils incarnent les valeurs
sociales de leur temps et de leur milieu. Ils reflètent une organisation sociale bien précise (exemple : éducation
mixte, mariage arrangé…); ils peuvent être aux prises avec les problèmes de leur génération (jeunesse –
maturité) et les conflits d’éducation (enfants-parents) .
Points grammaticaux à aborder :
• Les expansions du nom (épithète, apposition, complément du nom, relative…)
• Les figures de style
• Les accords particuliers du verbe
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Séquence : L’implicite
4. Porteur de changements :
Analyse d’extraits (page 180…) de Nuit d’Encre pour Farah de Malika MADI, Cerisier 2000
L’adolescente douce, effarouchée, rêveuse et lunatique avait laissé la place à une femme dure,
incrédule, égocentrique et, plus le temps passait, plus je me sentais gagnée par le plus ignoble des
sentiments humains : la misanthropie.
Ces derniers jours, il m’arrivait très souvent de penser à mes sœurs et à leur petit bonheur
« cocoon » loin des problèmes que pouvaient occasionner les pénuries d’eau ou de semoules.
Je les imaginais réchauffant sur leur taque en vitrocéramique des paellas précuites à l’intention de
leurs hommes, qui les féliciteraient d’un si délicieux repas, avec, noué autour de leur taille un tablier
au slogan « un câlin pour le chef » !
Je songeais aussi à la réaction que je pourrais avoir s’il m’arrivait un jour de croiser leurs routes,
elles qui toute leur vie n’avaient été que des Algériennes forcées de l’être, des Algériennes malgré
elles, et qui aujourd’hui n’étaient plus que des femmes sans repère et sans nom. Des femmes perdues
et bientôt invisibles à force d’avoir voulu se fondre dans la société occidentale, à force d’avoir voulu
renier tout ce qui composait leur personnalité, à force d’avoir voulu oublier combien elles ont dû
payer cher la vie banale et quotidienne qu’elles se sont choisie.
Ce ramadan qu’elles faisaient par obligation, cette fête de l’Aïd qu’elles n’appréciaient jamais,
aujourd’hui il est à peu près certain qu’elles en ont oublié les désagréments pour ne se rappeler que
les bons côtés.
Jusqu’à quand peut-on se mentir sans exprimer les premiers signes du trouble de la personnalité ?
Jusqu’à quand peut-on renier ce que les psychologues appellent le « moi profond » avant de ne plus
savoir qui on est, et où l’on va ?
Pourquoi avais-je cessé de lire ? Est-ce parce que la littérature faisait partie de ma première vie et
qu’elle n’avait pas sa place dans la deuxième ? Je n’avais plus lu depuis Somerset Maugham. J’avais tant
parcouru de livres qu’aujourd’hui j’étais comme en train de les digérer.
Avant vingt ans, aussi précoce qu’on puisse être, il est toujours très difficile de comprendre les
raisonnements et les motivations d’écrivains aussi complexes que ceux que j’avais choisi de lire.
Solitude, torture morale, rejet, incompréhension, tant de sentiments, que tant d’écrivains vécurent et
qu’aujourd’hui seulement je comprenais et partageais avec eux.
Pourquoi avais-je cessé de lire ? Parce que c’était tout ou rien. Parce que la littérature devait
m’appartenir et pas seulement m’être prêtée. Parce qu’elle devait remplir ma vie et pas seulement la
contourner. Parce que je devais vivre avec elle dans le mariage et pas dans le concubinage…
Avais-je eu raison de raisonner comme cela ? Jusqu’à quand peut-on renier ce que les psychologues
appellent le « moi profond » alors qu’on ne sait plus qui on est, et où l’on va ?…
Questionnaire :
1. Quel mot pourrait résumer le sentiment que ressent Farah aujourd’hui ? Explique pourquoi…
Elle ressent un profond mal-être car elle ne sait plus qui elle est, ni quel avenir elle désire.
2. Pourquoi vit-elle une telle évolution ?
Elle a été poussée vers une vie qui ne lui était pas destinée. On l’a arrachée de ses racines occidentales pour la planter au milieu de ses
origines musulmanes. Elle est perdue entre deux mondes qui ne lui appartiennent plus du tout.
3. Pourquoi a-t-elle cessé de lire ? Comment perçoit-elle aujourd’hui ces lectures passées ? Explique…
Elle aurait souhaité s’investir pleinement dans la littérature et vivre à travers elle. En Algérie, elle connaît de nouvelles responsabilités :
c’est une épouse qui doit être dévouée entièrement. Elle a donc préféré laisser de côté son amour pour la lecture qu’elle ne pouvait plus
désormais assouvir à 100%.
Aujourd’hui, elle comprend seulement les sentiments évoqués dans ses lectures : « solitude, torture morale, rejet, incompréhension »
sont des états d’âme qu’elle a appris à connaître en Algérie.
Partie : TEXTES
Mme ODROVIC
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