La peinture de genre au musée d`art et d`histoire de Rochefort

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La peinture de genre au musée d`art et d`histoire de Rochefort
ACADEMIE DE POITIERS
Délégation Académique à l’Education Artistique et à l’Action Culturelle
VILLE DE ROCHEFORT
Musée d’Art et d’Histoire
Hôtel Hèbre de Saint-Clément
Moulignon, La mendiante arabe
Beyle, Les vacances de Pâques
Geoffroy, La crèche
Académie de Poitiers-DAAC-Nicole le Méner – 2007
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TABLE DES MATIERES
La peinture de genre,introduction……………………………………………………………….p 3
I. Les fêtes galantes. La leçon de musique, PATER………………………………… p 5
II. L’Orientalisme. La mendiante arabe, MOULIGNON………………………… p 9
III. Le Réalisme…………………………………………………………………………………………….. p 10
1. L‘enfance au XIXème siècle……………………………………………………………. p 11
-Les orphelines de la mer, CHARLET
-La petite curieuse, CARRIER-BELLEUSE ………………………..p 13
-La crèche, GEOFFROY………………………………………………………….p 17
2. Les femmes de la bourgeoisie au XIXème siècle………………………….p 23
-Les vacances de Pâques, BEYLE
Chronologie………………………………………………………………………………………………………. p28
Bibliographie……………………………………………………………………………………………………..p 31
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La peinture de genre
« La notion de peinture de genre désigne des scènes prises sur le vif,
inspirées par le spectacle de la nature ou relatant l’observation des mœurs
contemporaines.
Historiquement, de tels thèmes apparaissent dès l’Antiquité, mais en France
l’instauration de la hiérarchie des œuvres, au XVIIème siècle en scelle définitivement le
sens. Instituée par la toute récente Académie Royale de Peinture, cette théorie permet
de classer les œuvres selon leur sujet, sa difficulté technique d’exécution et l’intérêt
qu’il représente pour le spectateur. Elle distingue ainsi par ordre décroissant : les
peintures d’histoire, les peintures religieuses, les portraits, les scènes de genre, les
natures mortes et les paysages. Cette conception rigide domine l’enseignement
académique et les salons jusqu’à la fin du XIXème siècle.
« Moins prestigieuse que le « grand genre », la peinture de genre connaît
cependant, dès l’origine, de fervents défenseurs. Au XVIIème siècle, les frère Le Nain
se spécialisent dans les sujets paysans, tandis qu’un siècle plus tard, Greuze avec ses
sujets édifiants rend coup pour coup aux scènes scabreuses d’un Fragonard ou d’un
Boucher.
Mais c’est au XIXème siècle, lorsque s’accentue la fracture entre art académique et
« avant-garde », que ce genre va peu à peu supplanter l’histoire » (JP Melot).
«L’émergence du réalisme, vers le milieu du XIXème siècle, modifie la
conception de la peinture de genre. Les formats de tableaux deviennent plus grands.
L’appartenance sociale des personnages représentés est parfois mise en relief pour
insister sur l’importance nouvelle de telle ou telle catégorie de la population, de telle ou
telle classe au sein de la société contemporaine.
Le voyage en Orient de plus en plus répandu chez les artistes au cours de la seconde
moitié du XIXème siècle, la colonisation de l’Algérie à partir de 1830, favorisent
également la diffusion de scènes de genre orientales » (MC Depierre).
« La tentation exotique conduit volontiers des peintres comme Ingres ou Delacroix vers
des scènes intimiste : L’odalisque à l’esclave, Les femmes d’Alger dans leur appartement,
consacrent le succès de l’Orient.
Chez Courbet, le genre s’impose par la révolte : son Atelier de 1855 est une provocation
qui ouvre cependant la voie à Manet puis aux Impressionnistes. Ceux-ci qui ont aussi
bénéficié du succès du réalisme paysan conduit par Millet, s’improvisent témoins de la
vie moderne. Avec eux les champs de courses, les cours de danse, le théâtre, les cafés
entrent de plein pied dans la peinture. Les Nabis, plus intimistes exaltent la quiétude du
foyer dans de grandes compositions décoratives » (Jean-Pierre Melot).
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La peinture de genre au musée d’art et
d’histoire de Rochefort
PATER, La leçon de musique, 1ère moitié du
XVIIIème siècle
LES FETES GALANTES
DECAMPS, Mendiants arabes, *XIXème
L’ORIENTALISME
MOULIGNON, La mendiante arabe, 1862
DEYROLLES, Pêcheuses, * XIXème
Noces d’autrefois en Saintonge, * 1ère
moitié du XIXème
CARRIER-BELLEUSE : Le marchand de
journaux, * 1882
LE REALISME
LES CLASSES POPULAIRES
MORCHAIN, Le bac de Soubise, 1913
Le laitier charentais, * 1323
CHARLET, Les orphelines de la mer, 1865
La petite marchande de poissons *
CARRIER-BELLEUSE, La petite curieuse,
1882
GEOFFROY, La crèche, 1897
LE REALISME
L’ENFANCE AU XIXEME SIECLE
BEYLE, Les vacances de Pâques, avant
1883
LE REALISME
LES FEMMES DE LA BOURGEOISIE
LES JARDINS
* De nombreuses toiles ne sont pas accrochées et sont, pour diverses raisons,
conservées dans les réserves du musée.
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I. Les fêtes galantes
XVIIIe siècle
La leçon de musique
Jean-Baptiste PATER,
Huile sur toile, 1ère moitié du
XVIIIème siècle (avant 1736),
96,5/100cm
Oeuvre des collections nationales,
déposée par le Louvre en 1958
Restaurée en 2003
N°d’inventaire : D BA 22-29
Jean-Baptiste PATER (Valencienne 1695-Paris 1736)
Il est né comme Watteau a Valenciennes et a été disciple du maître des fêtes galantes.
Il est lui-même reçu à l’Académie en 1728, comme peintre des fêtes galantes. A l’écart
de la peinture officielle, il travaille pour des particuliers, marchands et amateurs, dont
le plus prestigieux est Frédéric II. Il puise ses sujets dans le théâtre (Fête italienne),
les œuvres de La Fontaine, de Molière (Monsieur de Pourceaugnac), le goût oriental
(Sultan au harem, Le sultan au jardin, Chasse chinoise). « Pater reste fidèle aux fêtes
galantes (…) : il les traite en peinture de mœurs, vive, séduisante, avec ce soupçon de
réalisme qui fait l’originalité malgré sa fécondité, de cet excellent coloriste qui fait
mieux qu’un simple suiveur de Watteau. » (Laclotte, Cluzin).
Le musée de Valenciennes possède un portrait d’Antoine Pater, sculpteur et père de
Jean-Baptiste, peint par Watteau en 1721.
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LE TABLEAU
Légèreté et douceur de vivre se dégagent de ce tableau : la douceur des coloris
chauds, douceur des gestes, du sourire et du regard de la jeune élève au musicien ; elle
tient le recueil de partitions avec grâce. Le jeune homme s’incline vers elle à laquelle il
dédie son air. On se frôle.
L’élégance des posture fait écho à l’élégance des vêtements de la jeune fille :
robe au tissu chatoyant, au large décolleté et ornée d’un col et des poignets en
mousseline blanche, aérienne et d’un nœud noir ; le petit chapeau noir, très à la mode
dans la première moitié du XVIIIème siècle contribue au raffinement. Les nuances ocre,
rosées et blanches de la robe sont travaillées avec dextérité.
Tout est ici légèreté, y compris l’instrument de musique, la flûte et les
frondaisons des arbres du parc dans lequel se situe la scène.
Un petit chien est témoin de la scène, comme dans La leçon de musique de
Fragonard (Musée du Louvre). Ami des hommes, il est symbole de fidélité. Au pied du
couple central du Pèlerinage à l’île de Cythère, Watteau a peint un petit chien qui se
tourne vers lui.
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LES FETES GALANTES
Ce tableau est un bel exemple de peinture de fêtes galantes. En 1717, Watteau
est élu membre de l’Académie comme « peintre des fêtes galantes ». « Selon le
dictionnaire de Furetière en 1690, le fête galante est une réjouissance d’honnêtes gens.
Un galant est un homme qui a l’air de la Cour, les manières agréables, qui tâche de plaire.
Une femme galante est une personne qui sait vivre, qui sait bien choisir et recevoir son
monde » (Annette Robinson).
A la mort de Louis XIV, sous la Régence du duc d’Orléans, les conditions et les
goûts changent à la Cour. Les artistes se libèrent des anciennes directives de l’autorité
royale et ils imaginent un paradis terrestre débarrassé des difficultés du quotidien.
« Ils s’attachent à la gaîté des plaisirs de l’aristocratie : la douceur des soirs d’été, les
puissants de la Cour récitent des poèmes et dansent en écoutant de la musique. La Cour
organise et orchestre des fêtes légères, frivoles et mondaines. Elles se déroulent
pendant plusieurs jours dans les jardins » (Giboulet, Mengelle). Ainsi, Watteau
représente t-il « des couples dans les parcs, occupés à faire la belle conversation, assis
ou en se promenant, à danser, à jouer ou à écouter de la musique. Il mêle parfois ces
deux thèmes de prédilection, la fête galante et le théâtre, comme c’est le cas dans
L’amour italien (Berlin), La partie carrée (San Francisco), La Finette (Louvre) » (Di
Rosa).
La leçon de musique de Pater présente de nombreuses caractéristiques de la
peinture galante : l’amour, la galanterie, la légèreté, l’insouciance, l’élégance des
vêtements et des postures, la musique et les jardins.
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LA MUSIQUE
Watteau et ses suiveurs comme Pater et Lancret, abordent le thème de la
musique, partenaire de la fête mais aussi pour signifier la fugacité de ces moments de
bonheur.
Le XVIIIème siècle est un grand siècle musical, en Italie, en France et dans les pays
germaniques. Citons les contemporains de Pater : Rameau (1683-1764), Gluck (17321809), Haendel (1685-1759) et rappelons que le XVIIème siècle est celui de Haydn
(1732-1809) et de Mozart (1756-1791).
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QUELQUES PEINTURES DES FETES GALANTES
WATTEAU
Fêtes d’amour, 1717, huile sur toile, 61/75 cm, Gemaldegalerie Alter Master,
Dresde
Le pèlerinage à l’île de Cythère, 1717, huile sur toile, 129/194, Louvre
L’accord parfait, 1717, Los Angeles, County Museum Art
Pierrot, 1718, huile sur toile, Louvre
Les deux cousines, huile sur toile, Louvre
Les plaisirs du bal, huile sur toile, Dulwich Picture Gallery, Londres
L’assemblée dans un parc, huile sur toile, Berlin
L’enseigne de Gersaint, 1720, huile sur toile, château de Charlottenburg, Berlin
LANCRET
Danse dans le parc, Musée d’art, Tolède
La chasse du tigre, 1736, Musée d’Amiens
Déjeuner de jambon, 1737, Musée Condy, Chantilly
La danse
Le bal, Charlottenburg, Berlin
PATER
La leçon de musique, huile sur toile, dépôt du Louvre au musée de Rochefort
Fête champêtre, huile sur toile, Musée Boijmans, Rotterdam
La collation, collection privée
La baigneuse, huile sur bois, 16,5/20,5cm, Louvre
FRAGONNARD
Les hasards heureux de l’escarpolette, 1767, huile sur toile, 81/65cm, Wallace
Collection, Londres
La leçon de musique, huile sur toile, 121/109cm, Louvre
La musique, portrait, 1769, 80/65cm, Louvre
L’étude, 1769
Diderot, 1769
Marie-Madeleine Guimard, 1769, Louvre
On peut rapprocher de la fête galante, le paysage de Servandoni, Collection Fiocchi,
Musée d’Art et d’Histoire, Rochefort, avec ses deux couples, danseurs et musicien.
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II. L’orientalisme
La Mendiante Arabe
Henri Antoine Léopold MOULIGNON (Pontoise
1821-Paris 1897)
Huile sur toile, vers 1861, 160,5/143,8 cm
Œuvre des collections nationales, déposée par
le Fonds National d’art Contemporain, 1862
N°d’inventaire : D 144
Au premier plan, devant un mur
ébréché, une mendiante en haillons s’est assise
un moment pour allaiter son enfant, pendant que
son fils aîné tient une écuelle pour mendier. A
l’arrière plan, la ville blanche, sans doute la
kasbah d’Alger, descend vers la mer ; le bleu du
ciel et de la mer n’est interrompu que par
quelques tâches blanches de petits nuages.
« Ce tableau exécuté vers 1861, date à laquelle
il a été exposé au Salon parisien, est l’oeuvre
d’un artiste justement spécialisé dans les
scènes de genre et de portraits. A priori, le
titre pourrait faire croire à un tableau réaliste ;
en effet, le colonisation en Algérie avait enlevé
aux semi nomades algériens leurs terres de
parcours et de cultures et provoqué un
appauvrissement sensible du monde rural, avec son corollaire de misère sociale. Les
scènes de mendicité se multiplient.
Dans ce tableau, la mendiante est représentée la tenue déchirée, signe de
pauvreté, accompagnée de ses deux jeunes fils, dont l’un est encore nourri au sein. On
peut donc supposer qu’elle doit assurer seule la vie de ses enfants, ce qui ajoute au
caractère pitoyable de la scène.
Mais le fantasme d’une femme orientale, disponible pour répondre aux
appétits sexuels masculins, domine la représentation : la mendiante laisse apparaître sa
nudité au niveau de sa poitrine, de la hanche, de la cuisse, alors que le costume féminin
de l’époque en Algérie était composé d’une superposition de vêtements. Par ailleurs, le
visage caché et le regard dérobé rendent le corps de la mendiante d’autant plus
désirable qu’il est marqué d’un interdit, symbolisé par le voile.
Il s’agit donc d’une interprétation imaginaire de la femme orientale, source
possible de plaisir érotique, et non pas de la représentation d’une mendiante algérienne
inspirée de la réalité » (MC Depierre).
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Le réalisme
Le Réalisme est la doctrine partagée par les peintres et les écrivains en
réaction au Romantisme. Dans les années 1830, des artistes plus ou moins liés au
socialisme naissant, souhaitent offrir une peinture accessible à tous. Observateurs de la
vie quotidienne, des coutumes, des changements provoqués par la Révolution Industrielle
vers une société nouvelle, « les Réalistes s’intéressent à l’aspect réel et tangible des
choses, veulent montrer la vie dans sa réalité et sont préoccupés par la signification
sociale de leur art » (Christophe Domino).
Les premiers peintres réalistes sont Daumier, Millet et Courbet. Le mot
« Réalisme » apparaît en 1836 dans la chronique de Paris, sous la plume de Gustave
Planche ; on le retrouve dans les critiques de Champfleury et de Castagnary. Courbet
adopte définitivement le terme, sur le plan historique, dans le catalogue qu’il rédige pour
son exposition particulière dans une baraque à proximité de l’Exposition Universelle de
1855 qui avait refusé son tableau Un enterrement à Ornans. « Est-il possible de peindre
des gens aussi affreux ? C’est à vous dégoûter à être enterré à Ornans » Ainsi avait
salué la critique au Salon de 1850. « Un enterrement à Ornans manifeste de ce réalisme
détesté au nom duquel on vilipende la peinture de Courbet et de Millet. Le Réalisme
réside ici dans la vérité de la représentation, celle du lieu, celle des personnages qui
sont tous identifiés, présentés dans leur réalité, c’est-à-dire pour beaucoup assez laids
et communs… » Courbet a privilégié « l’austérité et le silence, faisant découvrir la
beauté des coloris : les noirs se distinguent tous les uns des autres, rehaussés par des
éclats blancs, les accents forts des robes rouges et des bas bleu canard. Delacroix,
d’ailleurs, s’il déplore la vulgarité des personnages, reconnaît qu’ « il y a de superbes
détails : les prêtres, les enfants, le chœur, le vase d’eau bénite, les femmes éplorées »
(Catherine Mathieu, Musée d’Orsay).
Le terme de Réalisme apparaît plus tard chez les critiques littéraires, pour
définir la littérature de Balzac, les frères Goncourt, Alphonse Daudet ou Zola, qui
s’oppose au Romantisme d’imagination et qui explore le monde quotidien.
Les peintures d’Omer-Charlet, de Carrier-Belleuse, de Geoffroy, de Beyle et
de Morchain s’apparentent au Réalisme de par les préoccupations sociales des peintres.
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Le réalisme :
I. L’enfance au XIXe siècle
Les orphelines de la mer
Pierre-Louis Omer CHARLET,
Huile sur toile, 1875, 185,5/126,3
Don de l’artiste à la ville en 1876
Restauration en 2003
N° d’inventaire : 42
Pierre-Louis Omer CHARLET est un peintre français né sur l’île d’Oléron le
2 janvier 1809 et mort en 1882. Elève de Gros et D’Ingres, il entre à l’Ecole des BeauxArts en 1833. Il expose au salon de Paris en 1841 sous le nom d’Omer Charlet. En 1842, il
obtient la médaille de deuxième classe. Le musée de Rochefort possède plusieurs de ses
œuvres : La petite marchande de poissons, Les orphelines de la mer, Le petit mousse, La
lune rousse, Danses italiennes. Il a été membre du Conseil Général de CharenteMaritime.
« Les dimensions assez grandes du tableau montrent que pour Charlet,
(comme pour Moulignon dans La mendiante arabe) les femmes représentées constituent
un sujet aussi important qu’une thématique historique ou religieuse. Vers la fin du
XIXème siècle, la hiérarchie des genres n’est plus ce qu’elle était.
Dans ce tableau, le paysage dramatisé répond clairement à la tragédie
humaine : ciel sombre presque noir, mer démontée où se mêlent couleurs grises et tons
ocres qu’on retrouve dans le sable et les galets de la plage. Pour les jeunes filles, tout
dans leur attitude (la cadette s’appuie sur l’épaule de son aînée), leurs gestes (elles se
tiennent les mains), leur habillement (robes de deuil), l’absence d’expression de leurs
visages, concourt à renforcer l’aspect dramatique de la scène, éclairée d’une lumière
blafarde, presque théâtrale.
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On peut parler ici de style romantique attardé puisque ce tableau date de
1875. Mais 1875, c’est aussi un an après l’incroyable tragédie populaire des Deux
orphelines d’Adolphe Emery (1811-1899) et d’Eugène Cormon (1811-1903) , donnée à Paris
en 1874. Le succès fut tel que la pièce parut d’abord en feuilleton, a été publiée en 1895
et est devenue un classique de la littérature populaire du XIXème siècle. Il est évident
que dans ce tableau, Charlet interprète à sa manière le sujet des Deux orphelines.
Originaires de Lîle d’Oléron où il séjourna régulièrement, ceux sont deux victimes
« collatérales » d’un naufrage qu’il met en scène en disposant au second plan, le mât
brisé auquel est encore enroulée une corde, l’origine du drame
Dès 1876, l’artiste offre le tableau à la Ville de Rochefort pour son musée » (MC
Depierre).
« Les orphelines de la mer traitées dans une gamme de tons froids, illustrent
l’image négative de l’océan. Peinte en 1875, cette œuvre, qui joue sur une corde sensible
du spectateur contredit l’esprit du temps, car l’océan devient, à partir du Second
Empire un lieu de villégiature fort prisé » (JP Melot).
◊◊◊◊◊◊◊◊
La petite curieuse
Louis CARRIER-BELLEUSE,
Huile sur toile, 1882,
40,5/32,5
N°d’inventaire : 38
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LE TABLEAU
Carrier-Belleuse aime les scènes de rues parisiennes. Celle-ci a pour toile de fond, un
mur couvert d’affiches qui annoncent des distractions diverses et percé d’une lucarne.
Une grande affiche informe d’un « bal de nuit ». Mais l’affiche principale est celle du
« Palace Théâtre » qui rappelle « le bal masqué » qui a lieu « tous les samedis » au « 15
rue Blanche ». Une femme masquée danse avec un homme à moustache. Elle a les épaules
nues et montre également ses jambes et ses cuisses, avec sa joie et sa vivacité à danser
qui font virevolter sa robe à volants.
C’est une grande affiche, aussi grande que la petite fille qui la regarde
attentivement, tentant sans doute de deviner ce qui se passe au « Palace Théâtre ».
La petite curieuse, bien campée sur ses deux pieds légèrement écartés, rêve,
au retour de l’école devant cette affiche osée. Elle porte le traditionnel tablier noir des
écoliers- un noir ici à nuance verte- agrémenté d’un foulard ; absorbée par sa rêverie,
elle oublie un instant la rue, mais aussi l’école et son panier qu’elle a mis hors de sa vue,
dans son dos.
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COMPOSITION
La composition de la toile est équilibrée : l’affiche principale et La
petite curieuse se font face de part et d’autre d’une ligne médiane verticale.
La petite curieuse occupe la partie basse droite de la toile et l’affiche la partie haute
gauche. Elles se croisent dans la partie centrale de la toile.
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La scolarisation en France
La scolarisation se développe à la fin du XIXème siècle. En 1880,
Camille Sée lance la création des lycées de jeunes filles. Cette toile, qui date de 1882,
ne peut être qu’une louange aux lois de Jules Ferry de la même année. En effet, les « lois
Jules Ferry » prévoient l’accès à l’enseignement primaire pour tous les élèves de 6 à 12
ans en le rendant gratuit, obligatoire et laïc. On prévoit une instruction civique et
morale afin d’inculquer les valeurs démocratiques : solidarité et responsabilité des
citoyens et amour de la patrie. Ces lois sont un pas dans la marche vers l’égalité et elles
limitent le rôle de l’Eglise.
Extrait de la loi du 28 mars 1882 :
Art.1 : L’instruction primaire comprend :
• L’instruction morale et civique ;
• La lecture et l’écriture ; la langue et les éléments de la littérature française ; la
géographie, particulièrement celle de la France ; l’histoire, particulièrement
celle de la France ;
• Les éléments des sciences naturelles, physiques et mathématiques, leur
application à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, aux travaux
manuels et usage des outils des principaux métiers ;
• Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ;
• La gymnastique ; pour les garçons les exercices militaires ; pour les filles les
travaux à l’aiguille…
Art.2 : Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du
dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs
enfants, l’instruction religieuse hors des édifices scolaires.
« Le développement de la scolarisation entraîne celui de la pédagogie. Au
tournant du XIXème et du XXème siècles, la recherche pédagogique s’installe en
laboratoire aux côtés de la psychologie avec Schuyten, créateur de la
« pédotechnique »(…) avec Binet en France »(H Fréchet).
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Les bals masqués
« La Monarchie de Juillet restaure le Carnaval et à partir de 1883, la plupart des
théâtres parisiens ouvrirent leurs portes pour la saison des bals masqués » (Marie
Simon). Ces bals perdurent dans la seconde moitié du XIXème siècle. Le Journal des
Demoiselles de 1854 relate le bal des Tuileries où l’impératrice « en costume grec d’une
resplendissante beauté » et une reine polonaise côtoient « un grand nombre de
costumes Louis XV et de costumes de juives » (M Simon).
En effet c’est dans l’histoire et la mythologie que l’on puise l’inspiration des
costumes. Ainsi la marquise d’ Hervey Saint-Denis choisit elle un costume de Diane,
portant une robe du XVIIème siècle, un carquois, un arc et une flèche, et coiffée d’un
diadème orné d’un croissant de lune. C’est ainsi vêtue qu’elle se fait peindre en 1888 par
Raimundo de Madrazo y Garreta (Musée d’Orsay).
Edouard Manet évoque les travestissements forts colorés dans son Bal
masqué à l’Opéra (1872-73, National Gallery of Art, Washington).
On copie beaucoup la mode du XVIIIème siècle, mais aussi celle du XVIIème et du
XVIème siècles. L’Espagne a été mise à la mode par les écrivains comme Dumas, Mérimée
ou Gautier dans leurs récits de voyage : Le voyage de Paris à Cadix d’Alexandre Dumas
ou Le voyage en Espagne de Théophile Gautier. L’Orient et le Japon sont les deux autres
sources exotiques de costumes au XIXème siècle, allant de pair avec le japonisme.
◊◊◊◊◊◊◊◊
La Crèche
Henri-Jules GEOFFROY
Huile sur toile, 1897 ,165/91cm
Signée en bas à droite : « Géo 1897 »
N°d’inventaire : 90
Toile achetée en 1899 par le Musée de
Rochefort
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Cette toile a été exposée de nombreuses fois :
1984, Paris, Musée de l’Assistance Publique, exposition « Un patriote aux origines
de la puériculture, Gaston Variot (1855-1930) »
1984, Rouen, exposition : « Geoffroy, peintre de l’enfance »
18 déc. 1987 au 2 mars 1988, Poitiers, Musée Sainte-Croix, exposition : « Entrer
dans la vie en Poitou du XVIème siècle à nos jours »
19 oct.1988 au 15 janv. 1989, Paris, Musée de l’Assistance Publique, exposition :
« Hommage à Robert Debré (1822-1978), l’épopée de la médecine des enfants »
4 mars au 3 juin 2007, toile prêtée au Museum Art de La Nouvelle-Orleans
(Etats-Unis), exposition : « Image de la femme dans la société française au
XIXème siècle de Daumier à Picasso »
Jean-Jules GEOFFROY, dit « Géo », né à Marennes en 1853, « passe
vraisemblablement son enfance et son adolescence en Charente-Maritime, avant de
s’établir à Paris, l’année même de la Commune (1871). Est-ce cet épisode dramatique de
notre histoire qui a favorisé chez lui ce sentiment de sympathie qu’il a, semble-t-il,
éprouvé toute sa vie pour le monde des humbles ? » (MC Depierre). Il habite tout
d’abord chez un couple d’instituteurs, Mr et Mme Girard, et, ensuite, rue des Lilas dans
le quartier populaire de Belleville. Les Girard lui facilitent l’accès au monde scolaire et
aux nouvelles idées sur l’éducation publique. Vers 1875, il rencontre le célèbre éditeur
Hetzel qui fait appel à lui pour illustrer des ouvrages destinés à la jeunesse et lui assure
ainsi un revenu sûr. Une troisième rencontre a été décisive pour son attrait des classes
populaires et des visages d’enfant, celle du Docteur Variot, pionner de la puériculture à
La Goutte de Lait de Belleville à Paris.
« Le gouvernement de la IIIème République, très préoccupé du lancement de
l’école laïc et obligatoire le remarque et le nomme membre de l’imagerie scolaire en
1893 » (F Beaugrand). Ses préoccupations pour les plus misérables, pour les œuvres de
bienfaisance et les hôpitaux intéressent les gouvernements de la IIIème République et
expliquent son succès dans les milieux officiels. « Fasciné par les enfants, il a
merveilleusement rendu compte du monde dans lequel ils évoluaient » (Beaugrand).
Ses préoccupations et ses scènes débordantes de spontanéité et de fraîcheur nous
permettent d’affirmer qu’il est un grand peintre, témoin de son époque.
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LE TABLEAU
L’attention est concentrée sur la jeune femme placée au centre de la toile. Le
bleu qui teinte très légèrement les blancs et les gris du berceau, des rideaux et de la
jupe de la femme devient la couleur dominante de son corsage, et ainsi, concentre-t-il le
regard sur elle. Cette jeune mère, après avoir allaité son bébé qui s’est endormi, le
dépose dans un berceau, avec amour et tendresse, toute attentive qu’elle est à ne pas le
réveiller. Cette femme, issue du prolétariat ouvrier s’apprête à partir travailler. Son
visage lisse et contemplatif laisse apparaître les qualités de dessinateur exceptionnel de
Geoffroy, comme l’écrit Henry Franz dans le Figaro illustré de mai 1901 : « Aucun crayon
n’est plus alerte que le sien et on pourrait rééditer à son sujet le mot fameux d’Ingres à
ses élèves : Un couvreur tombe d’un toit, avant qu’il ne tombe par terre il faut l’avoir
fixé sur le papier en quelques traits. Mr Geoffroy excelle justement à donner en
quelques traits les caractéristiques essentielles d’une physionomie, à retenir à tout
jamais une attitude ou un geste. Il dessine donc bien et vite ».
« La composition verticale, utilisée le plus souvent par l’artiste pour des
scènes intimes, privilégie la relation entre la mère et l’enfant » (Beaugrand).
« La lumière s’accroche aux épaules, à la nuque et aux cheveux de la femme,
dessinant ainsi une courbe rappelant celle du corps du nourrisson et rompant la
verticalité des rideaux et de la fenêtre, elle crée le mouvement de la mère dans cette
salle paisible.
« La lumineuse clarté, filtrée par les rideaux ainsi que les coloris blancs et
très légèrement bleutés, forment un halo ouaté très clair et un peu flou qui amplifie
l’impression de douceur, de fraîcheur et de sérénité » (Beaugrand).
La salle est propre, claire et aseptisée. Le blanc des rideaux des fenêtres des
berceaux, et les touches orangées utilisées pour mettre en valeur la propreté du sol
évoquent un lieu médicalisé.
Les berceaux métalliques de fabrication industrielle sont caractéristiques
des crèches et des dortoirs de nourrices à la fin du XIXème siècle. Leur bercelonnette
profonde permet de ne plus sangler les nourrissons et le voile de tulle, fixé à la flèche,
les protège des insectes sans les empêcher de respirer.
Les bébés sont encore langés mais leurs bras et leurs jambes sont libres, et
non plus serrés dans des langes qui fagotaient le corps entier, encore dans la
première moitié du XIXème siècle.
La ville vue par la fenêtre s’harmonise avec la scène à l’intérieur,
par ses couleurs douces de tons pastel et donne la profondeur de champ à
l’œuvre.
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« C’est une peinture réaliste sans sentimentalisme et une œuvre libérée de
l’académisme » (JP Melot).
Geoffroy connaît sans doute Le Berceau de Berthe Morisot, belle-sœur
élève de Manet, une huile sur toile de 56 sur 46 cm, peinte en 1872 et actuellement
Musée d’Orsay. En effet, la toile de Berthe Morisot évoque la toute petite enfance
témoigne d’une grande subtilité dans les coloris de blanc et gris bleutés, frais
lumineux des rideaux et des tulles du berceau.
et
au
et
et
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Histoire
Même si l’influence impressionniste de La Crèche est très nette, « Geoffroy a
d’autres préoccupations que Berthe Morisot : il tente de montrer à travers cette
évocation des crèches, du bien être et des soins portés à la petite enfance, un aspect de
l’histoire sociale et son évolution, avec l’effort d’assistance en faveur des classes
populaires » (Beaugrand).
Geoffroy est devenu un ami du Dr Variot, le fondateur du premier dispensaire
en 1892, qui devient en 1894, La Goutte de Lait de Belleville. Cette toile peut être
considérée comme un hommage au Dr Variot. En effet, comme le dit MC Depierre, « tout
dans cette œuvre de Geoffroy plaide pour les idées nouvelles de son ami Variot,
diffusées sous la IIIème République : la propreté, l’ensoleillement de la pièce rappellent
la nécessité d’une hygiène rigoureuse, imposée par les découvertes de Pasteur ; les
nouveaux berceaux métalliques assurent, par leur profondeur et leur solidité, le confort
et la sécurité aux nourrissons ; les visages roses et joufflus de ces derniers attestent
de leur bonne santé, favorisée par la nouvelle institution publique qu’est la crèche. »
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La crèche
La crèche est une institution née en 1844, fondée par Marbeau. Dans son ouvrage,
L’invention du jeune enfant au XIXème siècle (1997), Jean-Noël Luc explique qu’à partir
des années 1860, le développement de la mortalité infantile et l’angoisse de la
dépopulation suscitent un regain d’intérêt pour les nourrissons. En 1874, on promulgue la
loi Roussel, destinée à la protection des enfants du premier âge.
De nombreuses publications rédigées à partir de l’observation plus précise des réactions
et des émotions des tout-petits et de nouveaux courants de pensée philanthropes,
propagent une nouvelle conception de l’enfant. Cependant les crèches ne sont
développées qu’à la fin du XIXème siècle. Elles sont destinées à recevoir les enfants
pendant les absences forcées des jeunes mères qui travaillent. Leur développement est
lent : 30 à Paris et 14 en banlieue en 1880 ; elles sont tenues par des œuvres privées de
bienfaisance.
Dans les dernières années du XIXème siècle, apparaissent les crèches
publiques fortement critiquées par le corps médical dont Variot, « qui leur reproche
d’être installées dans des locaux souvent insalubres, d’avoir une hygiène déplorable, un
personnel insuffisant en qualité et en quantité, l’absence de surveillance médicale bien
qu’une loi en 1880 leur impose la visite mensuelle d’un médecin inspecteur. Variot estime
après enquête qu’elles sont des pépinières d’enfants atrophiés » (Catalogue de
l’exposition Un patriote aux origines de la puériculture).
Les médecins Variot, Budin et Pinard sont à l’origine de la puériculture en
France. Variot est un médecin hospitalier qui dirige un service de l’Hôpital des Enfants
assistés. Dans le très populaire quartier de Belleville, Variot ouvre un dispensaire qui
prend le nom deux ans plus tard de Goutte de Lait de Belleville (1894). Il se préoccupe
de l’alimentation des nourrissons et il se démarque de ses confrères favorables à
l’alimentation au sein maternel. Il est convaincu que l’alimentation artificielle est
inéluctable en raison de la misère des milieux populaires et du développement du travail
des femmes. Il pense qu’il faut le préparer. A chaque consultation à la Goutte de Lait, la
croissance du nourrisson est surveillée et le Dr Variot réalise une véritable œuvre
pédagogique, donnant des conseils aux mères auxquelles il distribue du lait stérilisé. Les
Gouttes de Lait essaiment et en 1905, Variot réunit à l’Institut Pasteur le premier
Congrès International des Gouttes de Lait, au cours duquel il fait le point sur la misère
et l’ignorance en matière d’alimentation et d’hygiène.
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La fécondité et la natalité
La fécondité et la natalité baisse plus en France à la fin du XIXème siècle que
dans les autres pays européens. En effet le taux de natalité était de 22,6‰ en 1895 et
de 20‰ en 1906. Les classes aisées et instruites, mises à part les familles bourgeoises
catholiques, sont les premières à pratiquer le contrôle des naissances. La natalité reste
forte dans les milieux très pauvres. Mais au début du XXème siècle, les plus
défavorisées suivent le mouvement anti-nataliste. JB Duroselle fait remarquer qu’une
carte des taux de fécondité « par département et une carte de la pratique religieuse
présentent de remarquables similitudes à la fin du XIXème siècle ». Ainsi, l’ouest très
catholique, présente-t-il une fécondité très élevée alors que celle des villes est faible.
Le désir de conserver un niveau de vie qui a monté au cours du XIXème siècle et de
transmettre un patrimoine est un facteur de contrôle des naissances. Depuis la
scolarisation obligatoire, l’enfant coûte cher au lieu d’être une main d’œuvre. Il convient
alors d’en limiter le nombre. Enfin, la diminution de la mortalité infantile, grâce à la
montée générale du niveau de vie et surtout aux progrès médicaux et à la prise en
considération de l’alimentation et de l’hygiène des nourrissons est un facteur important
de la baisse de la fécondité.
Il faut noter qu’un néo-malthusianisme réapparaît au début du XXème siècle.
JB Duroselle évoque l’exemple de la Fédération des Bûcherons qui, en 1912, vote cette
motion « La limitation des naissances dans le prolétariat est actuellement l’un des
moyens les plus efficaces pour apporter un peu de soulagement à la misère humaine, un
peu de mieux être dans les foyers ouvriers…. »
La jeune femme, « pleine de tendresse, personnage central du tableau de
Geoffroy, affirme déjà par sa présence, son statut social de « travailleuse », puisqu’elle
a recourt aux services de la crèche, mais elle évoque également le nouveau rôle dévolu
aux mères de la fin du XIXème siècle, chargées avec le soutien de l’institution publique,
de la protection d’êtres humains en devenir » (MC Depierre).
En conclusion, nous pouvons affirmer avec Hélène Fréchet, que l’art, en
particulier la peinture impressionniste, traduit la prise de conscience de ce qu’est
l’enfant. Il suffit de regarder Le Berceau de Berthe Morisot et les nombreux portraits
d’enfants réalisés par Claude Monet et Auguste Renoir entre autres.
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Le réalisme :
II. Les femmes de la bourgeoisie
au XIXe siècle
Les vacances de Pâques
Pierre-Marie BEYLE,
Huile sur toile, avant 1883,
101/70,2
Restaurée en 1900,
N°d’inventaire : 23
Achat de la toile par la ville de
Rochefort à l’artiste en 1885, après
sa
présentation
à
l’Exposition
industrielle, maritime, scolaire et
scientifique, artistique, horticole de
1883, dans le cadre de la loterie
organisée lors de l’Exposition de
Rochefort en 1883-1885.
Pierre-Marie BEYLE, né à Lyon le
6 juillet 1838, se fixe à Paris et
débute au Salon de 1867 ; il expose d’abord des scènes de forains, comme Une
bohémienne (1867), La toilette de la femme sauvage (1869), ensuite des figures et des
études prises en Algérie en 1877-78, et enfin, des marines. Il meurt en 1902.
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LE TABLEAU
« Cette toile représente une scène de genre où se conjuguent une peinture de
société de la fin du XIXème siècle et la préoccupation du traitement pictural de la
lumière, préoccupation incontournable de l’époque » (MC Depierre).
La scène se déroule dans le jardin d’une maison de campagne reconnaissable à son
mélange de pierres enduites de crépis blanc et de balcons en bois décorés, à l’assaut
desquels montent des plantes grimpantes. Les arbres fruitiers sont en fleurs et au-delà
de la simple clôture de lattes de bois, une forêt touffue et floue s’étend au loin. Au
premier plan, un massif de fleurs est festonné d’une bordure d’arceaux métalliques. La
verticalité des arbres et de la maison s’oppose à la bordure arrondie et horizontale du
parterre.
La multitude des verts, tantôt clair, tantôt foncé, tantôt froid, tantôt terne,
tantôt lumineux et chaud comme celui de la porte, est remarquable et fait ressortir
l’abondance des plantes. La façon de peindre les feuillages rappelle les paysages de
Corot.
La perspective coupée par le flou de la forêt ramène le regard vers les
personnages rassemblés dans la partie inférieure de la toile et éclairés par le soleil.
Cette manière de traiter la lumière du soleil filtrée au travers des branchages et
dirigée sur les personnages nous fait évoquer Le déjeuner sur l’herbe à Chailly de Monet
(1865-66, musée d’Orsay).
De part et d’autre de la ligne médiane verticale, deux groupes de personnages se
répondent : à gauche, deux jeunes femmes et à droite, une femme âgée et un
séminariste.
Les deux jeunes filles vêtues de robes aux couleurs claires, l’une beige et carmin,
l’autre blanche, préparent un bouquet dans un vase au décor bleu, qui fait penser à un
vase extrême oriental ; il est posé sur une petite table ronde métallique peinte en jaune.
Un grand banc en bois peint en blanc peut accueillir pour la lecture, la conversation ou la
contemplation du jardin. Les couleurs claires des vêtements de ces deux jeunes filles et
l’importance de la verticalité de cette œuvre font porter l’attention sur ce groupe. Une
des jeunes filles, dont la main droite signifie presque le centre de la toile et dont le
bras suit une diagonale se tient droite, légèrement cambrée dessinant la même ligne que
celle du tronc de l’arbrisseau à l’écorce claire situé derrière elle. Son bras gauche est
tendu derrière elle et sa main est posée sur la poignée d’une ombrelle jaune ; elle tient
deux branches fleuries de la main gauche. Le ruban rouge de son chapeau de paille beige
est élégamment attaché sur la nuque dégageant ainsi un visage fin, vu de profil. Sa robe
blanche correspond à la mode de 1883 à 1888 bien que la silhouette longiligne soit
apparue vers 1876 : « un volant sur les fesses, créé par des nœuds et des draperies,
annonce, dès 1862, la réapparition de la tournure. Elle revient en effet à partir de 1883,
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sous une forme encore outrée : le strapontin » (M Simon). L’ombrelle, peinte ici, en
glacis sur le banc, évoque toujours la séduction.
L’autre jeune fille penchée au dessus de la table, prépare le bouquet avec
délicatesse. La grosse branche du cerisier fleuri dessine une voûte arrondie au-dessus
d’elle. Sa veste corsage aux manches étroites s’ajuste sur une jupe jaune et carmin
bouillonnée de plis et de rubans. Cette tenue, avec ses manches et son col à volants est à
la mode en 1883. Le carmin des petits pois d’une partie de la jupe et du chemisier est
travaillé dans le « frais fondu » du jaune. Pour le bas de la jupe, le peintre a utilisé de la
laque de garance traitée en épaisseur qui fait écho à la terre de Sienne brûlée du
balcon. La jeune fille a laissé son chapeau tombé à terre et chacun peut regarder ses
cheveux châtain relevés en chignon et son agréable visage. Ces deux jeunes filles
forment , avec le mobilier de jardin et les arbres en fleurs, une zone de douceur, de
fraîcheur , de jeunesse et de gaîté printanière par les couleurs douces qui s’inscrivent
dans un dégradé de jaunes et de beiges allant jusqu’au blanc éclatant.
Le deuxième groupe de personnages s’oppose à celui-ci par sa dominante noire des
vêtements et sa position assise sur les sièges vert sombre. Une femme âgée, la mère
endeuillée, ses lunettes sur le nez, est toute attentive à sa broderie. Elle est
confortablement installée dans un fauteuil de salon, les pieds sur un repose pieds. Sur
ses genoux, le caniche blanc crée une tache claire et semble complice du spectateur qu’il
regarde. Le noir de sa robe est bleu alors que celui de la soutane du séminariste est
anthracite. Ce dernier est coiffé d’un chapeau noir et rond et il porte des chaussures
noires à boucle argentée. Il semble lire son bréviaire en ce temps pascal comme le pense
la dame âgée. Mais il est bien distrait et son regard sur les jeunes filles trace une ligne
invisible entre les deux groupes.
« Peste, M. le séminariste, le peintre vous donne de jolies vacances ; il vous
place dans un jardin bien coquet, ma foi, assis, il est vrai, auprès d’une duègne qui
ne s’occupe guère de vous puisque vous êtes sage et que vous lisez probablement
un livre se rapportant à votre costume. Mais attendez, vous êtes distrait et vos yeux
voyagent par-dessus votre livre, fixant tantôt l’une tantôt l’autre de ces deux
sylphides, occupées à composer des vases de fleurs. Vous êtes un petit farceur et si
vous ne finissez, vous vous ferez remarquer » (Journal officiel de Rochefort-sur-Mer
du 19 juillet 1883).
« C’est le bonheur simple d’une famille bourgeoise qui est représenté ici : la
cage d’oiseaux posée sur la table, les robes claires des jeunes filles, la note d’humour
avec laquelle l’artiste surprend le regard du séminariste, les arbres en fleurs,
l’ensoleillement de cette belle journée composent le tableau d’une vie heureuse, loin des
fléaux sociaux que connaissent alors le monde gris et enfumé des banlieues
industrialisées » (MC Depierre).
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Les femmes à la fin du XIXe siècle
La littérature et l’art du XIXème siècle sacralisent la femme. Mais la
conception traditionnelle selon laquelle la femme est par nature inférieure et
subordonnée à l’homme s’impose partout.
Son statut juridique est défini par le Code Civil de 1804. « Epris d’autorité et
d’anticonformisme, Napoléon conçoit la famille comme soumise à un seul chef : l’homme »
(H Frechet).
L’article 213 du Code Civil affirme que « le mari doit protection à sa femme
et la femme obéissance à son mari ». La femme mariée est frappée d’ « incapacité », elle
ne peut témoigner « en jugement sans l’autorisation de son mari ». Elle « ne peut aliéner,
donner, hypothéquer, acquérir sans le concours de son mari ». C’est donc le mari seul
qui « administre les biens de la communauté ». L’adultère du mari est peu sanctionnée
alors que celui de la femme l’est lourdement, puisqu’elle est punie de réclusion dans une
maison de correction, pour un temps pouvant aller de trois mois à deux ans. « Cette
législation conforme à la classe dominante, la bourgeoisie, fut acceptée par les femmes
dans leur majorité » (La femme au XIXème siècle, NLF).
Peu de changements s’opèrent dans le statut juridique de la femme tout au
long du siècle. Cependant, en 1884, la loi autorise le divorce, et en 1907, la femme
obtient la libre disposition de son salaire. La création des lycées de jeunes filles par
Camille Sée en 1880 et les lois Jules Ferry sur l’école primaire assurent un
enseignement aux filles.
En fait, la vie quotidienne des femmes dépend surtout de la condition
sociale à laquelle elles appartiennent. Celles des Vacances de Pâques, sont des jeunes
filles de la bourgeoisie moyenne, c’est-à-dire de la classe moyenne. « Ces femmes
reçoivent une éducation différente de celle de l’homme. Dans une maison religieuse
comme celle des Ursulines, elles apprennent les arts d’agrément, un vernis de savoir
universel, la vertu rigide. L’adolescente est séparée du monde et surtout de l’autre sexe.
Seules les femmes qui ont le désir très fort acquièrent une culture véritable. L’objectif
de l’éducation est le mariage, car la femme est faite pour le mariage, la maternité, les
mondanités et est tenue à l’écart de la vie professionnelle et politique. Le mariage est le
plus souvent l’objet d’un arrangement entre les deux familles. La femme travaille à
s’idéaliser, sait qu’elle doit plaire en prenant l’aspect d’un charmant fantôme (…). Elle se
livre à des ouvrages de dame. Les journaux féminins se multiplient après 1830, ces
journaux sont conformistes, veulent maintenir chaque femme dans sa position sociale »
(H Fréchet). Bien évidemment la religion tient une grande place dans cette vie
conformiste des femmes de la bourgeoisie.
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La mode est devenue au XIXème siècle une discipline artistique. Charles
Blanc, critique et fondateur de La Gazette des Beaux Arts, publie en 1877 : L’art dans la
parure et le vêtement, destiné aux couturiers et aux femmes. Il y écrit une histoire du
costume et y donne des conseils pratiques et des théories esthétiques. « Le journal
L’Art et la Mode qui s’adresse aux grandes mondaines, conseille à ses lectrices de passer
un jour par mois dans l’atelier d’un vrai peintre (…) pour avoir en soi le sentiment de la
couleur comme celui de la ligne » (M Simon).
La presse de la mode se multiplie, se développe et entretient des liens entre
la mode et l’art. Les Salons ont joué un rôle fondamental dans la rencontre de l’Art et de
la Mode : la carrière du peintre du XIXème siècle passe par le Salon qui est également
un haut lieu de la mode. « Les mères y amènent leurs filles à marier, les élégantes y
arborent leurs dernières toilettes (M Simon).
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la mode fascine également les
écrivains et elle entre dans la littérature. Pour Baudelaire, comme l’enseignement de la
vertu permet à l’homme d’atteindre le bien, le maquillage et la mode permettent à la
femme d’atteindre le beau. « La mode doit être considérée comme un symptôme du goût
de l’idéal surnageant dans le cerveau humain au-dessus de tout ce que la vie naturelle y
accumule de grossier, de terrestre et d’immonde, comme une déformation sublime de la
nature (…) La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit un devoir en
s’appliquant à paraître magique et surnaturelle ; (…) idole, elle doit se parer pour être
adorée ».
Zola, lui, écrit Au Bonheur des Dames et Mallarmé fonde en 1874 une revue, La
dernière mode, dont l’objectif est d’étudier la mode comme un art.
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CHRONOLOGIE
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BIBLIOGRAPHIE
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Paris, 1983, 165 p
BENEZIT, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs,
dessinateurs et graveurs, Grund,éd. De 1999 en 14 volumes.
CASTAGNARY, Salons 1872-1879, Bibliothèque Charpentier, 1974, 96 p
COSTA Vanina, Tableaux choisis, Musée d’Orsay, Scala, Paris, 1994, 125 p
FRECHET Hélène, Histoire de l’Europe au XIXème siècle, Ellipses, Aubin, Ligugé,
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GIBOULET F, MENGELLE BARILLEAU M, La peinture, Repères pratiques,
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XIXème-XXème siècles, Flammarion, Histoire de l’Art, Paris, 1995,575 p
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SIMON Marie, Mode et Peinture, Le second Empire et l’impressionnisme, Hazan,
Paris, 1995, 264 p
Site internet :
•
DI ROSA G, CLAUDE MS, CLAUDE H, Watteau, le pèlerinage à l’île de Cythère,
Analyse, 2004
Site de l’Académie de Créteil :
www.ac-creteil.fr/lettres/pedagogie/lycee/watanalyse.htm
Plusieurs textes ont été mis en ligne en 2004 à l’occasion de l’exposition au musée
des Beaux-Arts de Valenciennes :
RYKNER Didier, Watteau et la fête galante
PITEUX-VALIN Dominique, Watteau et la fête galante : hommage par sa ville natale
Conférence
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DEPIERRE MC, Les peintures du Musée d’Art et d’Histoire de Rochefort,
31 mai 2007
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