Par Marie-Hélène Sarrasin Certeau, Michel de, « Pratiques d
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Par Marie-Hélène Sarrasin Certeau, Michel de, « Pratiques d
Par Marie-Hélène Sarrasin Certeau, Michel de, « Pratiques d’espace », L’invention du quotidien. 1. arts de faire, éd. établie et présentée par Luce Giard, Paris : Gallimard, coll. « folio », 1990, p. 137-191. Garcia, Patrick, « Un ‘’Pratiquant’’ de l’espace », dans Michel de Certeau. Les chemins d’histoire, sous la dir. de . C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia et M. Trebitsch, Bruxelles : Éditions Complexe, 2002, 219-234 p. Résumé La réflexion de Michel de Certeau sur la ville donne à penser que la géopoétique peut très bien se pratiquer dans des espaces urbains. En effet, Certeau conçoit la ville comme un texte que les habitants s’approprient et transforment par leur manière de « faire avec » (Certeau, p. 231) les lieux et d’y passer. Ceci est si vrai qu’il en vient à concevoir la marche comme une énonciation, puisque l’habitant s’approprie les lieux, les transforme et les actualise en y introduisant sa propre part de subjectivité. Aussi, cette manière de concevoir la ville impose une distinction langagière fondamentale entre le lieu et l’espace. Pour Certeau, le lieu est un endroit dans lequel les choses sont organisées selon un ordre établi, tandis que l’espace est le lieu « pratiqué », c’est-à-dire que le lieu devient espace lorsqu’il y a mouvement, direction, temporalité. Ainsi, les habitants pratiquent ces lieux et les transforment en espace, qui n’est pas fixe, mais toujours sujet à transformation, à actualisation. En ce sens Patrick Garcia, dans son essai sur la pensée de Michel de Certeau, évoque à juste titre sa relation à la cartographie des lieux, et dénonce la prétention au réel des cartes géographiques. On comprendra bien cette remarque considérant que Certeau insiste sur la ville en tant que texte toujours métamorphosé par ses passants. Si l’habitant de la ville actualise l’espace au fur et à mesure qu’il le pratique, celui-ci peut difficilement être fixé sur une carte et prétendu comme réel. Tout au plus, la carte apparaît alors comme un fragment du réel, comme un temps fixé, une trace de ce qui s’est, depuis, métamorphosé. Ainsi, la réflexion de Michel de Certeau démontre l’importance d’une « pratique », d’une habitation de l’espace, conception chère à la géopoétique. Citations choisies : « Pratiques d’espace » de Michel de Certeau1 1 Toutes les citations sont tirées de l’essai de Michel de Certeau, « Pratiques d’espace », L’invention du quotidien. 1. arts de faire, Paris : Gallimard, coll. « folio », p. 137-191. « Icare au-dessus de ces eaux, il peut ignorer les ruses de Dédale en des labyrinthes mobiles et sans fin. Son élévation le transfigure en voyeur. Elle le met à distance. Elle mue en un texte qu’on a devant soi, sous les yeux, le monde qui ensorcelait et dont on était ‘‘possédé’’. Elle permet de le lire, d’être un Œil solaire, un regard de dieu. Exaltation d’une pulsion scopique et gnostique. N’être que ce point voyant, c’est la fiction du savoir. » (p. 140) « C’est « en bas » au contraire (down), à partir des seuils où cesse la visibilité, que vivent les pratiquants ordinaires de la ville. Forme élémentaire de cette expérience, ils sont des marcheurs, Wandersmänner, dont le corps obéit aux pleins et aux déliés d’un « texte » urbain qu’ils écrivent sans pouvoir le lire. » (p. 141) « L’histoire en commence au ras du sol, avec des pas. Ils sont le nombre, mais un nombre qui ne fait pas série. On ne peut le compter parce que chacune de ses unités est du qualitatif : un style d’appréhension tactile et d’appropriation kinésique. Leur grouillement est un innumérable de singularités. Les jeux de pas sont façonnages d’espaces. Ils trament les lieux. » (p. 147) « Une comparaison avec l’acte de parler permet d’aller plus loin et de n’en pas rester à la seule critique des représentations graphiques, en visant, sur les bords de la lisibilité, un inaccessible au-delà. L’acte de marcher est au système urbain ce que l’énonciation (le speech act) est à la langue ou aux énoncés proférés. Au niveau le plus élémentaire, il a en effet une triple fonction « énonciative » : c’est un procès d’appropriation du système topographique par le piéton (de même que le locuteur s’approprie et assume la langue); c’est une réalisation spatiale du lieu (de même que l’acte de parole est une réalisation sonore de la langue); enfin il implique des relations entre des positions différenciées, c’est-à-dire des « contrats » pragmatiques sous la forme de mouvements (de même que l’énonciation verbale est « allocution », « implante l’autre en face » du locuteur et met en jeu des contrats entre colocuteurs). La marche semble donc trouver une première définition comme espace d’énonciation. » (p. 148) « On peut les reconnaître déjà dans les fonctions des noms propres : ils rendent habitable ou croyable le lieu qu’ils vêtent d’un mot (en s’évidant de leur pouvoir classificateur, ils acquièrent celui de « permettre » autre chose); ils rappellent ou évoquent les fantômes (morts supposés disparus) qui bougent encore, tapis dans les gestes et les corps en marche ; et, en tant qu’ils nomment, c’est-à-dire qu’ils imposent une injonction venue de l’autre (une histoire) et qu’ils altèrent l’identité fonctionnaliste en s’en détachant, ils créent dans le lieu même cette érosion ou non-lieu qu’y creuse la loi de l’autre. » (p. 158159) « Les lieux sont des histoires fragmentaires et repliées, des passés volés à la lisibilité par autrui, des temps empilés qui peuvent se déplier mais qui sont là plutôt comme des récits en attente et restent à l’état de rébus […] » (p. 163) « Est un lieu l’ordre (quel qu’il soit) selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence. […] Il y a espace dès qu’on prend en considération des vecteurs 2 de direction, des quantités de vitesse et la variable de temps. L’espace est un croisement de mobiles. […] En somme, l’espace est un lieu pratiqué. Ainsi la rue géométriquement définie par un urbanisme est transformée en espace par des marcheurs. De même, la lecture est l’espace produit par la pratique du lieu que constitue un système de signes – un écrit. » (p. 172-173) Citations choisies : « Un ‘’Pratiquant’’ de l’espace » de Patrick Garcia2 « En premier lieu, la carte est itinéraire, le récit d’un parcours, ‘‘un mémorandum prescrivant des actions [les villes où passer, s’arrêter, loger, prier, etc.]’’ , écrit-il à propos des cartes médiévales. » (p. 224) « En effet, le danger de la cartographie […] tient au caractère analogique de ce langage qui a tôt fait de passer pour le réel, de masquer qu’il est le produit non seulement d’une projection – celle de Mercator place l’Europe au centre de la terre – mais de multiples autres choix. Elle s’apparente donc à ses ‘‘effets de réel’’, selon la formule de Roland Barthes que réemploie Michel de Certeau, qui, comme la statistique, visent à faire passer le récit de l’historien pour le réel. » (p. 225) « Certeau assène cette évidence trop souvent oubliée : la ville est ‘‘habitée’’, elle est ‘‘transhumante’’, ‘‘métaphorique’’. C’est cette appropriation par des ‘‘manières de faire’’ qui doit retenir l’attention du chercheur. Ce n’est pas la ‘‘ville qui dort’’ qui intéresse Certeau mais les cheminements qui la traversent et qui, en définitive, constituent la quintessence du fait urbain comme succession de croisements et de trajectoires : la ville tissée des parcours de ses habitants. » (p. 228) « [La réflexion de Certeau] possède l’intérêt majeur d’arracher le traitement de l’espace à la fixité et de concevoir les processus d’appropriation dans un cadre dynamique, voire même de considérer que le jeu des mobilités est en lui-même le cadre. » (p. 230) « L’intérêt du recours à la notion de ‘‘rhétorique cheminatoire’’ est justement de montrer que ce faire avec n’est pas un simple accommodement, mais qu’au contraire, il suppose des marges d’initiatives, d’appropriations non prévues ni planifiées d’avance. C’est ce geste qui, en définitive, invente la ville. » (p. 231) « Certeau propose la saisie de la ville vécue à travers ces ‘‘légendes’’, les récits croisés des pratiquants de l’espace qui sont, à ses yeux, autant de ‘‘bricolages’’. » (p. 232) « La ville comme la mémoire sont pour Certeau ‘‘l’anti-musée’’ parce qu’elles sont la vie même. » (p. 232) 2 Toutes les citations sont tirées de l’essai de Patrick Garcia, « Un ‘’Pratiquant’’ de l’espace », dans : Collectif, Michel de Certeau. Les chemins d’histoire, Bruxelles : Éditions Complexe, 2002, 219-234 p. 3
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