Les progrès de la recherche sur les vaccins contre la tuberculose
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Les progrès de la recherche sur les vaccins contre la tuberculose
INT J TUBERC LUNG DIS 1 (2): 95-100 © 1997 IUATLD EDITORIAL Les progrès de la recherche sur les vaccins contre la tuberculose I. M. Orme Mycobacteria Research Laboratories, Department of Microbiology. Colorado State University, Fort Collins, Etats-Unis ____________________________________________________________________RESUME Au cours de ces dernières années, la mise au point de nouveaux vaccins antituberculeux a connu un renouveau d’intérêt. L’article qui suit passe en revue brièvement les progrès en ce domaine, qui ont vu apparaître de nouvelles méthodes innovantes, comme le recours à des vaccins à vecteur plasmidique de l’ADN, des vaccins par BCG recombinant et mutant, et des sous-unités vaccinales. MOTS-CLES : vaccins ; BCG ; sous-unités vaccinales ; vaccins à ADN ; modèle animal. COMME CELA A DEJA été démontré dans d’autres article,1-3 les variations d’efficacité du vaccin par le BCG dans diverses parties du monde, ajoutées à d’autres facteurs préoccupants, telle l’épidémie due au virus de l’immunodéficience humaine (VIH), et l’augmentation croissante des cas de tuberculose chimiorésistante, ont stimulé les recherches visant au développement de meilleurs vaccins antituberculeux. Chose encourageante, ces recherches ont donné le jour à des méthodes très novatrices, en particulier la recherche de vaccins à vecteur plasmidique de l’ADN, de vaccins par BCG recombinant et mutant, de sous-unités vaccinales, etc. Encore plus encourageant : les premières observations en ce domaine indiquent que plusieurs de ces méthodes pourraient se révéler très prometteuses. LA REPONSE IMMUNITAIRE DE L’HOTE A LA TUBERCULOSE ET SON ACCELERATION PAR LA VACCINATION Après ingestion par un macrophage à la surface des alvéoles pulmonaires, le bacille Mycobacterium tuberculosis peut être tué, ou bien passer des poumons à l’estomac. Si le bacille n’est pas tué, le macrophage peut s’aplatir et adhérer à la surface du poumon en y provoquant une lésion locale ; il peut aussi transporter le bacille vers les tissus lymphoïdes drainant le poumon. Les macrophages restant à la surface des alvéoles engendreront des molécules de l’inflammation, favorisant une perméabilité accrue des vaisseaux locaux, et l’expression de molécules d’adhésion, qui attirent les cellules de l’inflammation (monocytes, en particulier) et provoquent une pneumonie interstitielle localisée. Le macrophage initial peut mourir au moment où les bacilles se divisent, et ces derniers sont absorbés par d’autres monocytes ou macrophages envahissant la lésion. Toutes ces cellules se différencient en macrophages épithélioïdes et se divisent, augmentant la taille de la lésion. Au bout de 2 à 3 semaines, des nombres importants de lymphocytes T envahissent la lésion, en provenance de vaisseaux sanguins de plus fort calibre, et créent des colonies organisées de lymphocytes (« wedges ») dans les rangs des cellules épithélioïdes. A ce stade, on peut détecter une augmentation de la libération de cytokines dans ces tissus par RT-PCR, en particulier d’interleukine (IL)-12 et d’interféron (IFN)- , ce qui est caractéristiques de la réponse protectrice des CD4 TH1.4 Pendant et après ce stade, de nombreux macrophages présentent un aspect inactivé « mousseux » (« foamy »), les bacilles acido-alcoolo- Auteur pour correspondence : Ian M. Orme, Mycobacteria Research Laboratories, Department of Microbiology. Colorado State University, Fort Collins, CO 80523 USA. Tel: (+970) 491 5777. Fax: (+970) 491 5125. [Traduction de l’article "Progress in the development of new vaccines against tuberculosis" Int J Tuberc Lung Dis 1997; 1 (2): 95-100.] 2 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease résistants ne sont retrouvés que dans quelques cellules, et le nombre total de bactéries viables observées est stable ou diminue. Etant donné la nécessité centrale pour les lymphocytes de relayer cette réponse protectrice, le processus est un exemple classique d’immunité à médiation cellulaire (IMC). Pendant la phase de réponse cellulaire primaire à l’infection tuberculeuse, nous présumons également qu’un certain pourcentage des lymphocytes T CD4 quittent le site infectieux et repassent dans la circulation sanguine ou lymphatique. En l’absence d’antigène, ils cessent de sécréter de l’IFN et réintègrent le pool circulant. Ils peuvent toutefois être distingués des lymphocytes T « vierges » par l’expression nouvellement acquise des protéines de surface LFA-1 (hétérodimère de 2-intégrine, de 275 kDa), et VLA-4 (dimère de VB16-intégrine, de 150 kDa). Lorsque des antigènes mycobactériens sont injectés dans le derme, ils sont ingérés, assimilés et présentés par des macrophages et des lymphocytes locaux. Ces cellules sécrètent diverses molécules, en particulier des amines vasoactives qui peuvent, comme décrit précédemment, augmenter la perméabilité des cellules endothéliales des vaisseaux locaux, et permettre un afflux de liquide intra-tissulaire (induration). Si la réponse inflammatoire est marquée, les vaisseaux peuvent aller jusqu'à laisser passer des érythrocytes dans la zone concernée (érythème). La production de facteur de nécrose tumorale (TNF) par les macrophages locaux induit, sur l’épithélium vasculaire, l’expression des ligands ICAM-1 (glycoprotéine de 115 kDa) et de VCAM1 (protéine de 110 kDa), qui se lient aux LFA-1 et au VLA-4 à la surface des lymphocytes T circulants, et permet leur passage vers le site inflammatoire local, où ils reconnaissent des peptides antigéniques spécifiques. Les lymphocytes T sécrètent alors des chimiokines qui favorisent l’entrée de monocytes venus du sang (infiltration). Ce processus n’est pas instantané mais prend 24 à 48 heures, d’où le terme d’hypersensibilité retardée (HSR). On notera que ces deux mécanismes fondamentaux ont un mode d’action opposé. Dans l’IMC, les macrophages tentent d’abord de contrôler l’infection et de présenter des antigènes, puis ils sont rejoints par des lymphocytes T sensibilisés, qui les activent au moyens de cytokines les rendant aptes à tuer les bacilles. Dans l’HSR, en revanche, un pool de lymphocytes T circulants est nécessaire pour favoriser la réaction et attirer des monocytes sur place. En termes phy- siologiques, ce mécanisme est probablement apparu pour prévenir la dissémination de la maladie, en refermant rapidement les sites secondaires d’infection au moyen d’une réaction monocytaire rapide. On notera également que notre définition diffère de celle de Dannenberg, qui décrit l’HSR comme une réaction de lésion tissulaire responsable de la nécrose centrale des granulomes observés chez les cobayes et les lapins.5 La primo-infection par des mycobactéries virulentes induit une mémoire immunitaire, relayée par les lymphocytes T.6 Les cellules qui relaient l’HSR participent probablement à ce mécanisme. L’objectif de la vaccination est par conséquent d’induire un état prolongé de résistance accrue à l’infection, par l’intermédiaire d’une population de lymphocytes T auparavant sensibilisés à des antigènes bactériens spécifiques, qui traduisent rapidement la présence d’une infection secondaire. Comme nous le verrons plus loin, des avancées importantes ont été effectuées ces derniers temps, autour de stratégies vaccinales radicalement différentes, pour répondre à la définition qui précède. LES NOUVEAUX TYPES DE VACCINS Vaccins à ADN bactérien L’une des découvertes récentes les plus surprenantes est la constatation que des séquences d’ADN codant des antigènes de mycobactéries peuvent immuniser des souris contre l’infection tuberculeuse. De fait, cette stratégie vaccinale a montré son efficacité dans plusieurs modèles expérimentaux d’infection virale, bactérienne et parasitaire. Les premières observations dans le domaine de la tuberculose ont été faites par Silva et Lowrie,8 qui ont découvert que l’immunisation de souris syngéniques par une lignée cellulaire de macrophages d’origine tumorale (1774) infectés par le gène hsp60 de M. leprae, protégeait ces souris d’un inoculat intraveineux (5 x 106) de M. tuberculosis H37Rv ou de BCG. Cette protection se manifeste par un déclin relativement lent, sur plusieurs semaines, de la charge bactérienne dans le foie et la rate des souris vaccinées. L’étude ne comprenait pas de groupe témoin vacciné par le BCG, mais d’autres études6 ont montré que chez les souris infectées par le BCG ou ayant une immunité ancienne, la protection s’exprime rapidement, ce qui suggère un mécanisme d’action différent de celui des souris immunisées par lignée macrophagique. La différence pourrait être due au De nouveaux vaccins contre la tuberculose délai nécessaire pour que les lymphocytes T sensibilisés par le vaccin détectent la présence de l’hsp60 exprimé au cours de la réinfection, ce qui est compatible avec la notion que cette protéine n’est pas exprimée par des M. tuberculosis en croissance exponentielle, et n’est reconnue par le système immunitaire qu’à un stade relativement tardif de la réponse.9,10 Comme nous l’avons déjà fait remarquer,3 l’un des principaux problèmes que soulèvent ces observations est le déroulement des réinfections chez les sujets témoins. Plusieurs laboratoires indiquaient récemment que 5 x106 germes d’une souche H37Rv constituent une dose mortelle, et pourtant, le nombre des bacilles dans le foie et la rate des souris du groupe témoin, dans l’étude de Silva et Lowrie, n’avait pas changé notablement pendant les cinq semaines du protocole expérimental ; il était même légèrement inférieur au nombre observé pour la dose atténuée (non mortelle) de BCG réinjecté. Dans un autre article décrivant cette stratégie vaccinale, Lowrie et coll.31 ont transféré des colonies de lymphocytes T de souris vaccinées chez des souris irradiées, à qui ils ont administré M. tuberculosis. Les lignées cellulaires avaient été clonées contre la cellule-cible, plutôt que contre l’antigène hsp60, et exposées à un stimulant de la mitose. Il n’avait cependant pas été constitué de témoin à partir d’une lignée cellulaire non compétente cultivée de la même manière. Les résultats de ces expériences ont montré que les clones de CD8, mais non les clones de CD4 ou de lymphocyte T , véhiculaient cette protection et que celle-ci était augmentée de manière spectaculaire (de 2 log) si les trois types de cellules étaient administrés ensemble. Si l’on prend en compte la forte relation entre hsp60 et arthrite auto-immune,12 les protéines secrétées/exportées, reconnues plus tôt dans la réponse de l’hôte et reconnues directement par les CD4 TH1 sécrétant de l’IFN- , seraient peut-être de meilleures protéines-cibles. Se fondant sur cette théorie, Huyghen et coll. ont élaboré un vecteur plasmidique d’ADN codant la forme sécrétée de la principale protéine trouvées dans les filtrats de culture : Ag85A (une mycolyl-transférase de 30-32 kDa)13 , en ayant recours à la séquence signal de l’activateur de plasminogène tissulaire, et à une forme d’Ag85A ne contenant pas de séquence signal. Après injection intramusculaire du plasmide, les souris montraient des signes de divers processus réactionnels : lympho-prolifération, réponse humorale, sécrétion de cytokines (IFN- , IL-2), formation de T cytotoxiques. 3 Après exposition à un aérosol de M. tuberculosis, la numération bactérienne pulmonaire chez les souris immunisées par le plasmide à ADN était divisée par 10 au bout d’un mois. Dans le même modèle, la vaccination par le BCG (106 s.c.) donne approximativement le même niveau de protection. Ces résultats indiquent que la vaccination par plasmide à ADN peut induire la formation d’une population de lymphocytes T capables de reconnaître la présence de l’infection dans les poumons et de sécréter de l’IFN pour la contenir. On ne sait pas encore quelle est la durée de cette effet, mais des études chez la souris ont noté l’expansion d’une population (possible) de cellules-mémoire CD4 CD5.5RBlo/neg, et des études chez le cobaye montrent la stabilité des effets du vaccin pendant au moins 20 semaines (Orme, résultats non publiés). Toutes indiquent que cet effet pourrait donc être de longue durée. Un autre modèle plasmidique expérimental a été décrit par Tascon et coll.14 Il utilise des gènes codant les protéines hsp60 et à 36 kDa de M. leprae. La vaccination de souris par ces plasmides a réduit la charge bactérienne du foie et de la rate à des niveaux comparables à ceux obtenus par le BCG après ensemencement intrapéritonéal de M. tuberculosis. Cependant, les résultats ont varié selon la souche de souris utilisée. Dans tous les cas, le plasmide codant la protéine hsp60 a paru le plus efficace. Ces dernières études sont très encourageantes, et cette technique expérimentale sera certainement étendue à d’autres antigènes des mycobactéries dans un futur proche. L’aptitude apparente du plasmide à ADN à rester dans les cellules musculaires pendant un certain temps suggère que des antigènes pourraient être produits de manière prolongée ou permanente, ce qui rend cette méthode très séduisante ; de même, les résultats suggérant que les CD4 et les CD8 pourraient être sensibilisés. Manifestement, la durée de l’effet doit être confirmée, ainsi que la sécurité de la méthode, en particulier si l’on doit envisager le recours à des protéines de choc thermique ou de stress. D’autres questions, comme celle de recourir à cette méthode en association à d’autres vaccins nouveaux, ou son utilisation pour réactiver l’immunité d’une population déjà vaccinée par le BCG, devront être abordées. Vaccins utilisant des protéines de filtrat cellulaire Une nouvelle nomenclature est-elle nécessaire ? Les antigènes protéiques des mycobactéries reconnus au cours de la réponse lymphocytaire ont 4 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease été décrits par plusieurs termes : protéines sécrétées/exportées, protéines extracellulaires, filtrat cellulaire; « leakage proteins »; antigènes métaboliques, etc. Aucun de ces termes n’est véritablement satisfaisant. Pour notre part, nous pensons que le terme de protéines de filtrat (culture filtrate proteins, CFP) est le moins controversé, et résume à peu près la manière dont nous les recueillons. Certaines d’entre elles seulement, sont véritablement sécrétées ou exportées, dans le sens où elles expriment des séquences-signal sous leur forme cytoplasmique, tandis que le terme de « leakage proteins » (protéines « de fuite ») a certainement pour origine le fait que des protéines comme l’hsp10, l’alanine déshydrogénase, ou les mycolyl transférases Ag85, participaient normalement à l’élaboration des parois cellulaires du bacille en voie de division avant de passer dans le milieu environnant. Le terme de « protéines extracellulaires » est certainement plus difficile à expliquer, et on peut lui opposer le fait que si l’on dépose des bactéries lavées viables dans un milieu de culture frais, aucune protéine extracellulaire n’y apparaît. Les antigènes CFP, antigènes-clé de protection Même si la conception de sous-unités vaccinales à partir de CFP focalise aujourd’hui l’attention, des observations évoquant la reconnaissance préférentielle des CFP par rapport aux protéines constitutives avaient été obtenues dans notre laboratoire il y a déjà une dizaine d’années15 et confirmées par deux autres articles publiés deux ans plus tard, en 1988.6,16 En 1992, nous avons de plus démontré10 que les lymphocytes T cultivés à partir de M. tuberculosis au pic d’expression de l’immunité protectrice, sécrétaient de grandes quantités d’IFNcontre de multiples cibles dans le pool d’antigènes CFP, observation confirmée par la suite par d’autres.17 Plus tard cette même année, une étude de Hubbard et coll.18 a montré que des souris immunisées par des CFP fractionnées étaient protégées contre une réinfection par aérosol. Cette étude était la première à metre en évidence que les antigènes CFP étaient capables d’induire une immunité protectrice contre une exposition par M. tuberculosis in vivo. Deux autres études chez la souris corroborent ces observations. Andersen, qui outre son travail sur les vaccins a publié d’élégants travaux sur la composition précise des CFP,17-19 a pu démontrer une protection permanente contre l’exposition intraveineuse chez des souris immunisées par une phase à log faible de CFP dans un adjuvant DDA,20 avec une diminution de la charge bactérienne comparable à celle obtenue par le BCG. Une étude similaire de notre laboratoire a atteint des conclusions similaires, bien que les effets de notre vaccin (CFP dans adjuvant de Freunds incomplet) contre une exposition par aérosol de M. tuberculosis se soient estompés peu à peu par rapport au BCG, 150 jours après vaccination. Ce qui suggère que ce type de vaccination n’induit pas une mémoire immunitaire durable.21 La publication de l’étude Hubbard a été suivie, à la fin de cette même année, par les premières preuves que les antigènes CFP pourraient immuniser des cobaye contre l’infection par aérosol de M. tuberculosis. Dans cette étude,22 Pal et Horwitz ont préparé un filtrat de « protéines extracellulaires » qui, chose surprenante étant donné la mise en culture relativement courte, contenaient en proportion prédominante la protéine de stress hsp70. Une étude ultérieure de Horwitz et coll.23 a eu recours à une sous-unité vaccinale plus vraie, en purifiant individuellement plusieurs des principales protéines de M. tuberculosis Erdman, recueillies dans le filtrat du milieu de culture in vitro. Des cobayes ont ensuite été immunisés avec ces protéines dans une formule contenant un adjuvant Syntex (deux ou trois fois, à 3 semaines d’intervalle) puis, 3 semaines plus tard, ont été exposés à un aérosol de M. tuberculosis. Les cobayes ainsi vaccinés ont montré de fortes réactions d’HSR aux protéines immunisantes. De plus, ces animaux étaient protégés contre la perte de poids et la mortalité caractéristiques observées chez les témoins non protégés, et ont pris du poids régulièrement pendant les 10 semaines qui ont suivi l’exposition à l’aérosol. A l’inverse, les sujets-témoins ont perdu du poids pendant les 3-4 premières semaines avant de se stabiliser. Malgré les différences de poids marquées (jusqu'à 200 g) à la fin des 10 semaines entre cobayes vaccinés et cobayes-témoins, la différence entre numération bactérienne dans les poumons était de 0,7 ± 0,1. La déclaration d’Horwitz et coll., selon lequel cette différence est « impressionnante » et « comparable à celle qu’a conféré aux cobayes la vaccination par BCG au cours de plusieurs études » n’est à notre avis pas compatible avec les études au cours desquelles 2-4 log de protection après BCG ont été observés.24-26 Ce point est bien sûr discutable, étant donné que l’étude Horwitz n’incluait pas de groupe BCG témoin. Que l’on cherche à remplacer le BCG par une nouvelle sous-unité vaccinale, ou simplement à augmenter ou stimuler son efficacité, les résultats De nouveaux vaccins contre la tuberculose actuels obtenus chez le cobaye nous éclairent peu. Contrairement à la souris, le cobaye constitue de grands granulomes au sein desquels des macrophages épithéloïdes peuvent dégénérer et donner un foyer caséeux nécrotique finalement fatal pour l’animal. Il ne s’agit pas d’une transformation immédiate, mais qui peut demander plusieurs semaines.26 Pour exploiter véritablement cette importante caractéristique du cobaye (présentée par ses défenseurs comme un aspect primordial et un critère de supériorité) il faudrait démontrer que de telles lésions nécrotiques n’apparaissent pas chez les animaux recevant du CFP ou d’autres types de vaccins. Cela n’a pas encore été fait. Nouveaux vaccins BCG recombinants Une méthode logique de conception de nouveaux vaccins a été de commencer par le vaccin BCG existant et d’essayer de l’améliorer, en conservant ses propriétés utiles, en particulier sa capacité à persister dans l’environnement intracellulaire avec ses qualités initiales. A cet égard, le BCG s’est révélé être un véhicule de transport sûr et efficace, pour des antigènes étrangers et pour des protéines de mammifères comme les cytokines.27,28 Ainsi, le bacille a été utilisé comme vecteur de la protéine OspA de l’agent causal de la maladie de Lyme,29 du principal antigène de surface des Leishmania (gp63),30 et de la nef, une protéine régulatrice du VIH.31 De même, une avancée importante en ce domaine a été d’exprimer des gènes de cytokines murines dans le BCG.32,33 Cette méthode pourrait nous rendre capables d’affiner la réaction de l’hôte au vaccin, en modulant la réponse pro-inflammatoire pour attirer des sous-groupes importants de lymphocytes T, et d’induire chez ces cellules la réponse d’immunité prolongée indispensable. Vaccins à mycobactéries auxotrophes Les patients immunodéprimés, telles les personnes VIH-positives, constituent une population à risque accru de contracter la tuberculose. Dans le cas du VIH, la vaccination par le BCG n’est pas recommandée, étant donné le risque de dissémination de la maladie à partir du vaccin vivant. Toutefois, Jacobs et coll. ont mis au point une nouvelle méthode fondée sur l’utilisation de mutants auxotrophes du BCG, qui pourrait permettre de contourner le problème. A partir d’une technique basée sur l’insertion de transposons pour entraver l’expression de gènes spécifiques, trois auxotrophes, deux pour la leucine et un pour la méthionine, ont été isolés. Lorsqu’ils ont été testés sur les souris, aucun des 5 deux mutants pour la leucine n’a été capable de se multiplier, et tous deux ont été lentement éliminés.34 Le remplacement du gène LeuD a restauré leur abilité à croître au sein des macrophages.35 Chez l’animal, les mutants auxotrophes pour le BCG semblent capables de protéger contre les expositions au bacille, ce qui suggère qu’ils survivent suffisamment longtemps pour engendrer des populations de lymphocytes T compétents avant d’être détruits. Vecteurs mycobactériens non virulents A l’heure où nous écrivons, nous savons que plusieurs laboratoires tentent de recourir à des vecteurs mycobactériens non virulents, parmi lesquelles M. vaccae et M. smegmatis, pour surexprimer certaines protéines mycobactériennes : les antigènes 19kDa, Ag85, et 45kDa, en particulier. A ce jour, la plupart n’ont pas encore été testées sur des modèles d’infection in vivo. Autres méthodes génétiques Deux autres méthodes doivent être brièvement mentionnées. La première étudie les différences génétiques entre des souches atténuées comme le BCG et ses cousins virulents, au moyen de résultats récents36 fondé sur une hybridation soustractive, qui identifie trois locus séparés de différence entre le BCG et une souche virulente de M. bovis. L’un de ces locus, désigné par le sigle RD1, serait un segment d’ADN de 9,5 kb, absent de toutes les souches de BCG testées, mais présent dans tous les isolats cliniques disponibles de M. bovis et de M. tuberculosis. La réintroduction de ce locus dans le BCG a réprimé l’expression d’au moins 10 protéines visibles sur les gels bidimensionnels. La conséquence de cette observation est que ces protéines contribuent à la virulence, et il sera intéressant de préciser leur identité, lorsqu’elles auront été isolées. Autre progrès qui devrait avoir un impact sur la mise au point d’un vaccin : la découverte, d’abord par Gicquel et coll.37 puis, plus récemment, par Jacobs,38 qu’un échange d’allèles est possible chez les mycobactéries. Cette technique, relativement facile à mettre en œuvre chez de nombreux microorganismes, s’est jusqu’ici montrée très difficile à pratiquer chez les mycobactéries. Dans l’étude de Gicquel, un vecteur « suicide » — conçu à partir d’un gène de l’uréase — a été mis au point, au moyen d’un marqueur à la kanamycine pour entraver la séquence génique, afin de produire un BCG uréase-négatif. Dans l’étude de Jacobs, le gène LeuD a été inactivé, au moyen de long substrats recombinants produits par 6 The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease clonage cosmidique, par lequel le gène inactivé a été inséré en exploitant une enzyme de restriction rare, le Pacl. Les implications de cette nouvelle voie de recherche pourraient être considérables. Elle fait entrevoir, en effet, la possibilité de produire des auxotrophes, ou des inactivations géniques spécifiques dans les mycobactéries, pour réduire leur virulence, etc. A QUI ADMINISTRER LES NOUVEAUX VACCINS ? Une grande partie de la population mondiale a été exposée aux mycobactéries d’une manière ou d’une autre. Beaucoup d’individus sont porteurs d’une tuberculose latente, beaucoup sont sensibilisés par l’exposition constante aux mycobactéries de l’environnement, et aujourd’hui, étant donné l’administration systématique du BCG au nouveaux-nés sur presque toute la planète, beaucoup d’individus ont été vaccinés. Par conséquent, il pourrait être difficile, voire irréaliste de chercher à constituer une population immunologiquement « vierge » pour tester de nouveaux vaccins. Dès lors, il est possible d’avancer quelques explications aux échecs de certains essais de vaccination par le BCG. La plus simple est certainement que le vaccin actuel ne peut accroître le niveau d’immunité déjà induit dans la population par les facteurs cités ci-dessus. Dans ces conditions, un nouveau vaccin pourrait bien ne pas fonctionner non plus. Une autre éventualité est qu’au cours de sa croissance, l’individu peut être exposé continuellement à des antigènes mycobactériens, ce qui contribuerait à modifier la réponse immunitaire, du type TH1 au type TH2 (et expliquerait pourquoi le BCG est si efficace chez l’enfant, mais beaucoup moins chez l’adulte). Dans ces conditions, l’objectif d’un nouveau vaccin pourrait être de restaurer une réponse de type TH1, nécessaire à l’expression d’une immunité protectrice durable. Il faut mettre à part le cas les Etats-Unis, où le BCG n’est pas administré de manière systématique, et où la résurgence récente de la maladie a mis en lumière le fait que certains groupes d’individus, comme les travailleurs de la santé, par exemple, sont exposés à un risque élevé de contracter une tuberculose. Les autres groupes à haut risque sont les personnes socialement exclues, les sans-abris, les toxicomanes et les personnes VIH-positives. Ces groupes pourraient, dans un proche avenir, servir de population-test pour les nouveaux vaccins. Une manière plus raisonnable d’envisager le problème global serait de remplacer l’objectif consistant à fabriquer un BCG amélioré, par celui, plus pragmatique, qui consisterait à mettre au point une stratégie vaccinale accentuant ou réactivant l’immunité conférée par le vaccin dont nous disposons déjà. Si le BCG n’est pas porteur de tous les antigènes protecteurs nécessaires, ou en quantité insuffisante, nous devrions trouver un moyen de les ajouter, ou de les surexprimer au moyen d’un vaccin de rappel. Cela dit, à partir des modèles animaux, il ne sera pas facile de démontrer qu’un nouveau vaccin stimule l’immunité conférée antérieurement par le BCG. Dans le modèle de souris exposées à aérosols, où les souches Erdman ou H37Rv sont susceptibles d’être utilisées, la « fenêtre » de protection est relativement petite (environ de 5 logs, réduite à 3-4 par le BCG) et toute « protection supplémentaire » par un vaccin de rappel pourrait être perdue dans la variance des résultats, en raison du faible nombre de sujets utilisés. Cette fenêtre est certainement plus importante chez le cobaye (6 logs, réduite à 3-4 avec le BCG), mais on ne sait pas si cela laisse la place pour un effet protecteur supplémentaire. Bien sûr, tout autre est la question de savoir si la « stimulation de l’immunité » se résume à la réduction du nombre de bactéries, ou si elle peut être mieux mesurée selon d’autres critères, comme la survie à long terme sans réactivation de la maladie. Malgré l’importance de ces informations, le coût des expérimentation constitue un obstacle rédhibitoire. En dépit de toutes ces réserves, il faut reconnaître que ce champ d’investigation est encore jeune, et que les progrès déjà réalisés sont très impressionnants, de sorte que l’auteur de cet article a l’espoir qu’une nouvelle méthode, ou une combinaison des méthodes décrites, trouvera finalement sa place en pratique clinique. Remerciements L’auteur remercie David McMurray d’avoir partagé avec moi son expertise considérable dans les modèles cobaye, ainsi que Susan Baldwin et Celine D’Souza au CSU pour leur apport important dans ces études. Cette étude a reçu un soutien financier du Program AI-35182 du NIAID, NIH. 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