A la memoire de Petru Fudduni, tailleur de pierre et libre

Transcription

A la memoire de Petru Fudduni, tailleur de pierre et libre
A la memoire de Petru Fudduni, tailleur de pierre et libre penseur.
Par Jean Paul Barreaud
Un seul Dieu
Un jour Petru Fudduni reçu une étrange invitation. Un jeune prêtre se présenta chez lui pour
l'inviter à se rendre le soir même au Palais épiscopal où l'attendait l'archevêque Martino De
Leon-Cardenas.
"Stranu 'nvitu", (étrange invitation) pensa le Poète. Il est vrai que depuis quelques temps une
trêve s'était installé entre eux; mais de là à parler d'accord de paix au point d'être reçu au
domicile de l'archevêque était loin d'être convaincant. Et si cela n'avait été pour cette curiosité
maladive qui nourrissait son inquiétude chronique, Petru n'aurait certainement pas fait le
déplacement. Mais nous savons bien comment sont les artistes: toujours prompts à faire
l'inverse de ce qu'un instant encore il prétendait avec c onviction.
Or donc le soir, Petru se présenta au Palais. De son balcon, tout sourire, l'archevêque lui donna
le parcours à suivre dans le palais pour parvenir à son appartement. Et il l'avertit :" et si par
hasard tu trouves une image sacrée de Jésus, garde-toi bien de la fouler au pied"...
"Ccà, 'atta ci cuva!" (il y a anguille sous roche) se dit Petru par devers lui alors qu'il fermait la
lourde porte d'entrée.
"Di tutti i santi chi ci stannu 'n Paraddisu, propriu a chistu m'avivanu a mannàri pi farimi
addannàri l'arma?". (parmi tous les saints du paradis, il a fallu qu'ils m'envoient juste celui-là
pour la damnation de mon âme ?)
Se signant, il commença à monter l'imposant escalier. Il traversa les salons somptueux l'un
après l'autre et arriva dans l'antichambre de l'archevêque. Le sol était entièrement recouvert
d'un tapis représentant le visage du Rédempteur. Pas moyen de n'y point poser le pied. Petru
resta un instant interdit alors que le prélat qui se tenait sur le seuil de sa chambre se
divertissait du bon tour qu'il jouait là.
Mais Petru était homme de ressources. Touchant les poches de sa veste, il sourit comme
tranquilisé. Et il traversa sûr de lui la pièce, marchant sur l'image du Christ. Ayant rejoint
l'archevêque, ce dernier le réprimanda l'accusant de sacrilège et d'outrage à Notre seigneur.
Petru Fudduni, sans s'émouvoir pour autant, demanda :
"Quanti Gesù ci su', 'ccillenza?" (combien de Jésus y a-t-il, Excellence ?)
"Un seul naturellement" rétorqua l'archevêque Martino.
Et cueillant la réponse au bond, Petru sortit de sa poche un crucifix et le montrant affirma:
"E allura è chistu, chi haiu iu." (Alors c'est celui-ci que j'ai toujours sur moi)
Comme à l'accoutumée avec les mythes, la rumeur attribue à son héros mille anecdotes
comme celles que je rapporte ci-après:
Historiette 1
Un couvent comptait dans son verger un poirier, énorme, magnifique. Malgré les soins
amoureux de générations de converts et moinillons, l'arbre hors d'âge s'entêtait à ne produire
aucun fruit. Sa beauté était donc un coût sec pour la communauté. Tant qu'un Supérieur un
jour, plus comptable qu'amoureux de la nature décida de le tailler.
Le tronc était d'une épaisseur et longueurs considérables et le projet s'imposa d'en faire naître
un crucifix neuf pour l'Abbaye. Et bientôt ce dernier devint le fleuron de l'église, foulcre de
toutes les dévotions.
Un jour que Petru Fuddune se trouvait là en prière, une femme que sa réputation précédait
s'approcha orante du crucifix et le pria d'accomplir le voeu qu'elle nourrissait en son sein, sein
en d'autres lieux et d'ordinaire fruit de convoitises mercenaires.
Petru qui avait assisté à la scène s'approcha alors et parlant au bois saint lui adressa ces vers:
" O poirier poirier qui jamais
une seule poire de toute ta vie n'aura su faire
Te voilà saint à présent, mais quant à faire
quelque miracle, le pourras-tu jamais ? "
Ndt: il est impossible de rendre en d'autres langues les sous-entendus propres à la langue
sicilienne: Le miracle auquel alludent les propos de Fuddune concernent en substance le
changement improbable de la femme en Dame.
Historiette 2
Le travail manquait alors à Palermo et Petru décida de s'embarquer pour Napoli où il avait
quelque vague parent. Il aurait ainsi tenté sa chance dans quelque carrière ou sur un des
nombreux chantiers de la ville.
Alors qu'il montait à bord, deux ouvriers du port était assis là sur des cordes lovées et c'était
l'heure du déjeuner. Comme tous le connaissaient, ils le saluèrent avec empressement:
"Holà Mastru Petru ! mais où allez vous donc ?"
"je vais à Napoli où j'aurais du travail quand il n'y en a plus ici"
"Ah quelle disgrâce que de devoir partir"
Notant qu'un des dockers s'apprêtait à manger, du haut de la passerelle Petru l'apostropha:
"Que manges tu là ?"
"un oeuf " répondit avec calme et importance l'ouvrier.
Huit mois passèrent et Petru revint à Palermo où il débarqua à l'heure du déjeuner. Les
ouvriers étaient toujours là, comme si de toute éternité ils n'avaient quitté leur sac de
cordages.
En descendant la passerelle, Petru s'arrêta et s'adressant à eux comme autrefois
" Et avec quoi le manges tu ton oeuf ?" s'enquit-il
" avec du sel " répondit toujours aussi sentencieusement le même ouvrier d'alors.
Ndt: Le sens d'une telle histoire est la quintessence de l'esprit sicilien. Sans grands discours,
Petru par cet échange de propos à huit mois d'intervalle indique combien la sclérose menace
qui ne se met pas en cause, qui ne risque pas le voyage quand tout indique qu'il est en
revanche indispensable. Les ouvriers restés dans leur misère locale ne voient que la douleur de
laisser derrière soi ce qui est connu, au coût même du malheur.
Petru en émigrant a certainement du faire front à la difficulté mais en huit mois quelle richesse
aura t il accumulé, en expérience, en rencontres, en paysages nouveaux etc. ?
L'oeuf de l'aller en revanche est le même au retour pour celui qui est resté. Et sa suffisance est
à la hauteur de son ignorance.
Historiette 3
"Me muggheri s'havi a mettiri a ginucchiuni e cu' la testa a buccuni, si voli parràri cu' mia. ca
mi nni staju ccà, sutta 'u lettu! A me casa cumannu iu, e di sutta 'u lettu 'un nesciu!"
"Mon épouse doit se mettre à genoux et baisser la tête si elle veut m'adresser la parole, car
chez moi c'est moi qui commande. Mais de dessous ce lit, pas question que je sorte !"