Chapitre IX - Aurimetrie
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Chapitre IX - Aurimetrie
Chapitre IX La majorité des retrouvailles « Conserve la clé, de la porte qui dans mon dos, vient de se fermer ! » Pour certains adultes, leur vie débuta dans le fœtus. Celui-ci représenta la genèse de leur histoire, le mariage de la force d’amour de la mère et du père. On ne choisit pas sa famille ; on ne choisit pas ses parents ; dit-on souvent. Pour d’autres, leur genèse résulta d’un deuxième mariage : celui de leur âme épousant le fœtus, scellant l’union de la matière avec l’âme volatile. Le non-souvenir de ce deuxième mariage prouve son ridicule pour les uns, pour les autres, il prouve le libre arbitre donné à l’enfant non embarrassé d’encombrants souvenirs. La vie est interprétée comme un stage. L’âme de retour sur Terre y parfait son développement. Ces deux points de vue différenciés sont sans importance pour l’enfant. Le fœtus, maman, papa et les photos de famille suffisent pour savoir d’où il vient. Plus tard, quand il commencera à utiliser son mental abstrait, à donner du sens au non tangible, il commencera un autre chemin de filiation : qui suis-je ? La réussite du jeune est intimement liée à l’autorité parentale qui l’accompagne. De manière symbolique, le parent pourrait l’exprimer ainsi : « En venant au monde, tu as mis ta main dans la mienne. Je la tiens volontiers. Activons-nous à ta croissance ! ». L’autorité parentale puise sa légitimité dans la filiation biologique. Le jeune enfant place une main dans celle de son père et l’autre dans celle de sa mère. Ce geste grave la totale confiance de l’enfant à ses parents. Sa trahison, par un bricolage de filiation non révélé, effondrerait un pan entier de la sécurité intérieure du jeune. L’enfant sait son origine dans le creuset fœtal des énergies féminines et masculines parentales qui y présidaient. Je viens de là. C’est simple et suffisant pour une bonne partie de sa jeunesse. Cette représentation de sa filiation valide l’autorité parentale. Définitivement, elle place la jeunesse sur sa ligne de progrès. Filiation et autorité parentale assumée enclenchent la cascade d’évènements positifs qui sécurise le jeune. La filiation biologique en est la source. Dans la famille classique, les filiations biologiques et affectives se confondent. Pour l’adoption, ces deux filiations ne sont pas représentées par les mêmes personnes. Il y a par exemple la vraie mère (mère biologique) et la mère affective (mère adoptive). Il semble que l’on sorte de cette curieuse pensée comme quoi la filiation affective pourrait suppléer la filiation biologique. Elles sont simplement complémentaires. L’immense énergie déployée par certains « nés sous X » montre le besoin de connaître ses racines. Les racines biologiques ou génétiques gravent l’histoire de notre corps physique. Elles forment la surface sensible du film que nous allons jouer. Notre sensibilité, notre tendresse et l’éducation reçue au fil des années s’impriment sur ce film. Les parents biologiques donnent l’existence au corps support ou au film. Les parents affectifs aident à l’impression d’une juste sensibilité, de justes pensées et de nobles actions. Cette élaboration du film de sa vie nécessite des parents affectifs riches et aimants, comme des parents biologiques au bon potentiel. L’enfant qui trouve dans le creuset fœtal les briques solides pour construire sa maison, et qui reçoit une éducation volontaire, dispose des meilleures cartes pour sa réussite future. Nous n’avons pas tous le même jeu. Pour les uns, l’origine des cartes biologiques a disparu. D’où vient donc mon corps ? Reste une question… Pour les autres, les cartes affectives sont dénaturées par des parents incompétents ou sans attention. Les chemins divergent, mais tout nous amène vers plus d’amour et de compréhension. Comme cet handicapé qui dit avec tant de difficulté physique : « La vie vaut la peine d’être vécue… ». Heureux est-il celui qui dispose de cartes biologiques connues et viables pour un corps fort ; comme de cartes affectives tendres, qui facilitent le chemin du début de vie. Nos cousins québécois ont une pratique ancienne des retrouvailles pour les jeunes « nés sous X ». Depuis 1984, le Québec organise les retrouvailles entre les jeunes et les parents biologiques. Le droit aux retrouvailles n’est effectif qu’avec le consentement des deux parties et sans forçage délibéré. Le protocole est bien huilé. Le recueil des identités des mères qui remettent leur bébé est systématique. Cette pratique est d’une rare impersonnalité. Elle tisse le trait d’union sans jamais créer d’obligations. Actuellement une femme sur trois refuse les retrouvailles, alors qu’au début la proportion était plutôt de la moitié. Au début, les demandes des adoptés étaient les plus nombreuses, celles des mères ne représentant que dix pourcents. Aujourd’hui, quatre recherches sur dix émanent de mères biologiques au Québec1. Ce chiffre impressionnant montre que l’oubli n’est pas si simple. Il témoigne de la nécessité de revisiter son passé pour se dégager de l’épreuve ou de la culpabilité. 1 Source : www.famille.gouv.fr. L’accompagnement des retrouvailles : la pratique professionnelle du Québec Le jeune québécois a le droit de rechercher ses parents biologiques dès quatorze ans sans l’accord de ses parents adoptifs, et avec leur accord, s’il a moins de quatorze ans. Quant aux parents biologiques, ils sont autorisés à entreprendre les retrouvailles lorsque le jeune, qui fut abandonné, est majeur. Le rapprochement précoce des familles biologiques et adoptives risque de créer une inutile confusion pour l’enfant. Il est plus sage de le laisser parcourir son début de vie entouré de l’affection de ses parents adoptifs. En France, le Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP) est une solution encourageante. Créé en 2002, il calque l’expérience québécoise. Ce conseil dispose d’informations sur les origines de la naissance des jeunes adoptés (lorsqu’elles existent). Comme au Québec, le CNAOP crée le pont entre l’adopté et le ou les parents biologiques. Le jeune français ne peut saisir seul le CNAOP qu’à partir de dix-huit ans. À moins que ses parents adoptifs n’acceptent une recherche plus précoce. Symboliquement, le CNAOP conserve la clé. Si le parent biologique comme l’enfant adopté acceptent que la porte des retrouvailles s’ouvre, le CNAOP tourne la clé. La loi a entériné le principe d’anonymat des origines biologiques des enfants nés par procréation assistée avec don. C’est le cas du don de gamètes (spermatozoïdes, ovules) et du don d’embryon. Tout donneur reste dans l’anonymat pour le couple receveur comme pour le futur enfant. Mais les administrations et services médicaux conservent ces informations. Dans ce qu’elle a de meilleur, la procréation assistée permet aux parents stériles d’avoir un enfant. Chacun entend la souffrance du couple qui désire en vain fonder une famille. Dans ce qu’elle a de moins bon, cette procréation place la filiation biologique sur un non-dit. Si l’enfant l’apprenait par inadvertance, il serait vécu comme une trahison. En tout cas, l’épreuve attendrait le couple et le jeune. Par exemple dans le cas d’un don de sperme, si le couple venait à divorcer, le père non biologique, mais reconnu comme biologique par l’enfant, resterait le père de l’enfant. Mais les deux parents savent bien que ce n’est pas vrai ! Que dire de ce jeune qui assumerait le divorce ajouté de la connaissance que son père n’est pas son père biologique ? Cette manipulation de la filiation n’a rien de raisonnable. Elle repose sur l’ignorance, ou la volonté délibérée, de ne pas reconnaître les effets dévastateurs des secrets de famille. Les exemples que j’ai pu rencontrer m’encouragent à penser que ces secrets chargent la vie des protagonistes de souffrances potentielles. Tout finit par se savoir. Il est bien rare qu’une tante ou un oncle ne soit pas dans le secret. Que dire du jeune qui apprend tardivement qu’autour de lui un non-dit l’entourait ! Ce non-dit raisonne avec maladie ou « mal-à-dit ». L’épreuve psychique reste forte. L’éviter par un dialogue authentique libère des tensions et favorise l’harmonie familiale. Le besoin d’enfant ne doit pas faire oublier que c’est d’abord une conscience que l’on accueille. Ce n’est pas seulement un corps de chair et d’os. Mais une conscience qui grandit à travers ce corps. Nul ne peut s’arroger le droit de couper les origines d’un autre. Cette conscience est en droit de regarder vers sa genèse si tel est son désir. Ce désir n’a rien de contradictoire avec le besoin d’enfants légitime des familles stériles. Elle demande simplement que l’enfant conçu à l’aide de la procréation assistée le sache et puisse avoir accès à l’identité du donneur. C’est aussi son ascendance. Et puis le donneur n’a rien à se reprocher. Il agissait dans le but de rendre service à une famille stérile. La levée de son identité lorsqu’elle est acceptée par les deux parties, le jeune et le donneur, rend visible une histoire biologique. Il n’est pas sûr que le jeune souhaite connaître son donneur, mais lui conserver cette opportunité relève tout simplement du bon sens ! Ce qui reste grave actuellement, c’est que le jeune qui connaît la vérité est bien incapable de retrouver son parent biologique. L’état sait, mais l’enfant n’est pas autorisé à savoir. Cette situation peut amener le jeune dans une recherche effrénée de ses origines qui l’empêche de vivre le présent comme ses projets futurs. Le passé est telle une ancre qui fige son mouvement. Des milliers d’enfants sont nés de la procréation assistée avec donneur depuis la loi de 1994 et beaucoup ne seraient pas informés. Cette situation est périlleuse. L’état ne peut valider un mensonge, fut-il par omission. Surtout que les pratiques de nos voisins européens sont différentes. Le CNAOP n’a pas compétence dans le domaine de la procréation assistée. Il le devrait. D’un certain point de vue, un don de gamètes ou d’embryon est assez similaire à une adoption précoce. La majorité progressive n’est pas indifférente à ce délicat sujet. Le Québec offre dès quatorze ans, une sorte de « majorité de recherche de sa filiation ou des retrouvailles » sans l’accord de ses parents adoptifs. Cet âge peut sembler faible. Il reste que la jeunesse québécoise entre dans la vie plus aisément qu’en France. Ne serait-ce que par l’accès aux petits boulots qui facilite sa maturité. Aux Pays-Bas, le jeune de seize ans peut rechercher ses origines dans les cas d’adoption et de procréation assistée avec donneur. La majorité progressive développée ici est calée sur la majorité sexuelle à quinze ans. Elle ouvre donc ce droit au jeune français de quinze ans de rechercher ses origines (adoption et procréation assistée avec donneur). Concrètement, le jeune de quinze ans peut saisir le CNAOP. Il est naturel qu’il puisse le premier tenter cette démarche. Après tout, il est au coeur de son histoire. Le parent biologique ne pouvant débuter cette recherche qu’à la majorité de dix-huit ans en cas d’adoption. Cette « majorité des retrouvailles » intéresse des milliers de jeunes. Rappelons que les retrouvailles sont sans effet sur l’état civil et la filiation au sens administratif. Elles ne font naître ni droit ni obligation à la charge de qui que ce soit. Notre société est prête pour intégrer l’originalité de la double filiation affective et biologique de certains de nos concitoyens. Le tableau ci-dessous compare l’apport de la majorité progressive par rapport à la situation actuelle. Age < 18 ans Recherche de sa filiation biologique : « majorité des retrouvailles » Situation actuelle Age Majorité progressive Capacité de saisir le CNAOP (1) avec l’accord de ses parents adoptifs <15 ans Capacité de saisir le CNAOP élargi (2) avec l’accord de ses parents titulaires de l’autorité parentale >15 ans Capacité de saisir le CNAOP élargi >18 ans Capacité de saisir le CNAOP (1) Le CNAOP concerne les cas des enfants nés sous X, les enfants de moins d’un an remis au service d’aide social, les enfants n’ayant aucune mention du nom de ses parents sur son acte de naissance. (2) Le CNAOP élargi intègre la définition ci-dessus et inclut les procréations assistées avec donneur (don de sperme, d’ovules et d’embryon). Le livret de la majorité progressive mentionne « la majorité des retrouvailles ». Voici une belle occasion d’expliquer ces problématiques. De l’intelligence de nos jeunes et de leur capacité naturelle à l’équité émergera cette idée simple : il n’y a pas de différence et c’est secondaire ! Sur le bateau Terre, les origines diffèrent, mais nous sommes tous des matelots accomplissant notre route, seuls et pourtant en groupe ! Voilà qui soulagera la pression psychique des matelots en quête de la planche qui les amena sur le navire.