Développement d`une nouvelle biomasse de bactéries lactiques

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Développement d`une nouvelle biomasse de bactéries lactiques
Développement d’une nouvelle biomasse de bactéries
lactiques pour les vins rouges et rosés
Vincent Gerbaux et Carole Briffox, IFV Beaune, Bourgogne
Introduction.
L’IFV, en partenariat avec la Société Lallemand, a développé sur quatre ans une nouvelle
souche de bactérie lactique plus particulièrement adaptée aux vins rouges fruités et aux vins
rosés : Expertise FML Viva.
Le cahier des charges intègre, outre une bonne activité malolactique, une faible production
d’acidité volatile associée à une dégradation limitée de l’acide citrique, une complexité
aromatique fruitée et un faible impact sur la couleur. La souche retenue doit être
génétiquement originale et apte pour une production sous forme de biomasse à
ensemencement direct.
Une collection de bactéries lactiques a été constituée à cette fin. Les différentes souches ont
été isolées de vins blancs, rosés et rouges, en cours de fermentation malolactique (FML) et
potentiellement intéressants. Différentes régions françaises et différents millésimes sont
concernés. Pour éviter les doublons, seulement une à deux souches ont été mises en
collection et conservées à -80°C, pour chacune des cuvées prélevées. La base de travail
comporte 208 souches, présentant une morphologie du type Oenococcus oeni : forme des
colonies en boite de Pétri, coques en chaînettes au microscope.
Sélection de nouvelles souches de bactéries lactiques.
Le principal travail de sélection a été réalisé en laboratoire avec un vin rosé d’assemblage,
dont le pH a été ajusté à 3.20. Ce vin est constitué de 95% de vin de Chardonnay et de 5%
de vin de Pinot noir, conservés au froid après fermentation alcoolique (FA). Ce vin est réparti
en flacons de 125ml. L’incubation est réalisée à 18°C. Une pré-culture dans un vin dilué est
réalisée pour chaque souche de bactérie lactique testée avant une inoculation à 1%v/v.
Quatre souches commerciales de référence sont intégrées à la comparaison. L’activité
malolactique est déterminée pour chaque souche. A la fin de la FML, une analyse
enzymatique de l’acide acétique, de la couleur par colorimétrie et une approche olfactive ont
été réalisées. Les résultats permettent d’établir un classement d’intérêt décroissant pour les
souches testées. Les cinq premières ont les codes suivants : IFV431, IFV34C1, IFV271,
IFV442 et IFV611. Toutes ces souches sont de l’espèce Oenococcus oeni et sont
génétiquement différentes entre elles et par rapport aux souches actuellement
commercialisées. Les tests de production écartent les souches IFV442 et 611 pour des
problèmes de floculation, de faible rendement ou de mauvaise résistance à la lyophilisation.
Les souches IFV431, 34C1 et 271 sont produites sous forme lyophilisée, en conditions
pilotes (deux lots pour 431 et 271, un lot pour 34C1).
Aptitudes œnologiques des bactéries sélectionnées.
Les aptitudes œnologiques des nouvelles biomasses ont été déterminées en laboratoire
avec un vin expérimental (rosé d’assemblage constitué de 90% de Chardonnay et 10% de
Pinot noir). Ce vin est subdivisé en lots ajustés à différentes conditions physico-chimiques de
pH, de degré alcoolique et de température puis réparti en flacons à vis de 750ml. Chaque
biomasse est ensemencée sur la base de 2 millions de cell./ml après une simple
réhydratation dans de l’eau minérale. Les deux lots de production de chacune des souches
IFV431 et 271 donnent des résultats très similaires. La Figure 1 ne considère donc que la
valeur moyenne pour ces deux lots. Les trois souches sélectionnées présentent de bonnes
aptitudes à réaliser la FML dans les vins et la souche IFV271 s’avère la plus performante.
Cette souche tolère le pH de 3.1 (proche des valeurs critiques pour les bactéries lactiques)
nettement mieux que les deux autres. Elle est par ailleurs moins sensible à un degré
alcoolique élevé (15%v/v) ou à une température basse (15°C). Au niveau analytique, la
souche IFV271 présente également l’acidité volatile la plus basse en fin de FML (0.21 g/l
H2SO4) et la dégradation d’acide citrique la plus faible (15% de la teneur initiale). La souche
IFV271 est donc retenue pour la suite des travaux et les nouvelles productions semiindustrielles à ensemencement direct sont codées Exp Viva.
L’aptitude œnologique de la biomasse Exp Viva a été précisée en considérant un vin rouge
de Pinot noir et un vin rosé d’assemblage (90% Chardonnay et 10% Pinot noir). Les deux
vins ont été subdivisés en lots, ajustés à différentes conditions physico-chimique de pH, de
degré alcoolique, de température et de teneur en SO2. Les résultats sont présentés dans le
Tableau 1. Pour toutes les conditions, excepté pour le vin rosé sulfité à 20mgl, la population
bactérienne, trois jours après ensemencement, est équivalente à celle du départ, démontrant
ainsi la bonne implantation de la biomasse. Une semaine après ensemencement, la
population bactérienne est toujours stable ou en croissance pour l’ensemble des lots,
excepté le même vin rosé sulfité à 20 mg/l. Le délai de réalisation de la FML est
normalement influencé par les conditions physico-chimiques. Pour réaliser 90% de la FML,
les temps sont compris entre 7 et 40 jours, à l’exception du vin rosé sulfité à 20 mg/l qui
nécessite 50 jours. Pour ce cas, la fraction de la population bactérienne, qui a résistée au
SO2, a donc été capable de se re-multiplier. Parallèlement, aucun développement bactérien
n’a été constaté dans les lots témoins, non ensemencés. Une température fraiche (14°C)
ralentit la FML, sans la bloquer. Il est confirmé la bonne tolérance de la biomasse Exp Viva
au pH de 3.1. Il est également constaté que Exp Viva peut réaliser la FML dans un vin rouge
à fort degré alcoolique, 17%v/v. L’acidité volatile, analysée une semaine après la réalisation
de la FML, est en moyenne de 0.30 g/l H2SO4 pour le vin rouge et de 0.20 pour le vin rosé,
avec très peu de différence en fonction des conditions physico-chimiques. Pour les deux
vins, la dégradation de l’acide citrique (0.5 g/l) par Exp Viva, reste alors partielle Ce
métabolisme est cependant dépendant des conditions physico-chimiques : moins de 20% de
dégradation pour les conditions défavorables aux bactéries lactiques à plus de 70% pour les
conditions les plus favorables.
Applications pratiques en cuverie.
Les expérimentations, réalisées par l’IFV dans le centre technique de Beaune, considèrent
des vinifications en rouge et en rosé, intégrant le même protocole d’ensemencement
bactérien. Exp Viva est inoculée, soit en même temps que la levure (co-inoculation), soit
après la fin de la FA, en comparaison avec trois biomasses de référence. Les vinifications
sont réalisées à partir de vendanges de Pinot noir. Pour élaborer le vin rouge, le raisin est
éraflé, légèrement foulé et faiblement sulfité à 3g/hl. La macération dure 7 jours avec un
profil thermique croissant entre 14 et 26°C. Le levurage est réalisé le lendemain de
l’encuvage. L’ensemencement bactérien, positionné fin FA, est réalisé à 16 jours. Pour
élaborer le vin rosé, le raisin est éraflé, foulé, sulfité à 3 g/hl et enzymé à 3g/100kg. La
macération dure 2 jours à 11°C. Le jus pressé est débourbé avant d’être levuré. La FA est
réalisée entre 19 et 23°C. L’ensemencement bactérien en fin de FA est réalisé à 13 jours.
Pour les deux expérimentations, la température de FML est de 16°C. Une diminution de la
population bactérienne est constatée au cours de la semaine suivant la co-inoculation de la
biomasse Exp Viva, notamment pour la vinification en rouge (Figures 2a et 3a). Les
bactéries se re-multiplient ensuite pour atteindre 10 millions de cell./ml. Exp Viva, inoculée
après la fin de la FA, s’implante sans perte de population aussi bien pour le vin rouge que le
vin rosé. En comparaison, un léger déclin est constaté pour les biomasses de référence,
notamment pour le vin rosé. Dans le cas de la vinification en rouge, le lot Exp Viva coinoculé, termine la FML 27 jours après l’ensemencement. Exp Viva inoculée fin FA termine la
FML en 19 jours, contre 25 jours en moyenne pour les biomasses de référence (Figure 2b).
Dans le cas de la vinification en rosé, le lot Exp Viva co-inoculé termine la FML 19 jours
après l’ensemencement. Exp Viva inoculée fin FA termine la FML en 16 jours, contre 28
jours en moyenne pour les biomasses de référence (Figure 3b). L’acidité volatile et la clarté
(inversement proportionnelle à l’intensité colorante) des vins finis tendent à être plus faibles
pour Exp Viva que pour les souches de référence aussi bien pour le vin rouge que pour le
vin rosé (Tableau 2). L’acidité volatile est faible, de l’ordre de 0.20 g/l H2SO4. Une semaine
après la fin de la FML, la biomasse Exp Viva n’a dégradé que partiellement l’acide citrique,
et en quantité moindre que pour les biomasses de référence.
Impact sensoriel de la nouvelle biomasse FML Expertise Viva
La nouvelle biomasse Exp Viva a également été testée par différentes unités régionales de
l’IFV, dans le cadre de vinifications en rouge et en rosé. Exp Viva était comparée à
différentes biomasses bactériennes commercialisées de référence, ainsi que pour certains
vins rosés à une absence de FML. L’ensemble des vins finis ont été dégustés dans une salle
spécifique avec le logiciel Fizz, par un même jury composé de 15 à 20 juges.
Dans le cas des vinifications en rosé, la réalisation de la FML avec Exp Viva (inoculée suite
au levurage) est bénéfique à l’intensité fruitée et la complexité aromatique, en référence à
une FML non réalisée (Figure 4a). Parallèlement une perte de couleur liée à la réalisation de
la FML a été constatée. Celle-ci peut être compensée par une adaptation de la macération
initiale. Dans le cas des vinifications en rouge, les résultats sont relativement proches entre
les deux biomasses de référence et Exp Viva. L’intensité du fruité est plus élevé pour Exp
Viva que pour les biomasses de références (Figure 4b).
Pour les deux types de vinification (en rosé et en rouge, travaux réalisés à l’IFV de Beaune),
il est qualitativement plus intéressant d’ensemencer Exp Viva en début de FA plutôt qu’en fin
de FA (Figure 4c). Les qualités olfactives, mais aussi gustatives sont alors mieux jugées.
L’ensemencement en fin de FA tend à augmenter le caractère amer du vin.
Conclusions
La souche de bactérie lactique sélectionnée présente de remarquables capacités de
résistance aux conditions défavorables. Une biomasse sous forme lyophilisée, à
ensemencement direct, donc facile à utiliser, a été produite à partir de cette souche originale.
FML Expertise Viva a alors montré un large spectre d’utilisations possibles, avec des
résultats aussi intéressants dans le cas de l’ensemencement d’un vin rosé acide (pH d’env.
3.1), que dans le cas de l’ensemencement d’un vin rouge très alcoolisé (env. 16% v/v).
Parallèlement à son aptitude à réaliser la FML, cette nouvelle biomasse bactérienne ne
dégrade que partiellement l’acide citrique, ce qui permet de réduire la production d’acidité
volatile pendant la FML. Cette caractéristique est également bénéfique à la composante
aromatique fruitée en évitant le masque lié aux notes beurrées.
Figure 1 : Délais pour atteindre 90% de la FML.
> 70 jours
42
(Jours)
28
IFV431
IFV271
52 jours
35
IFV34C1
21
14
7
0
pH3.1
pH3.3
pH3.5
11%v/v
13%v/v
15%v/v
15°C
18°C
18°C
18°C
13%v/v
13%v/v
pH3.3
pH3.3
21°C
Tableau 1 : Caractérisations des aptitudes de la biomasse FML Expertise Viva.
Vin rosé
(assemblage)
Vin rouge
(pinot noir)
pH
3.5
3.3
3.7
3.5
3.3
3.1
3.5
3.3
(1)
(2)
Alcool
(% v/v)
Température.
(°C)
SO2
(mg/l)
Evolution de la
population
bactérienne (1)
T3jrs/T0
T7jrs/T0
Délais
Acide
Acidité
pour 90% citrique volatile(2)
FML (jours) degrade(2) (g/l H2SO4)
14%
=
=
18
26%
=
=
24
15
60%
=
=
18
18
68%
13
=
+
13
0
16%
17
=
=
40
30%
14
=
=
39
74%
22
=
+
11
15
22%
10
=
+
20
18
40%
20
=
=
34
28%
13
18
0
=
++
12
24%
=
++
14
18
70%
+
++
10
0
24%
14
=
+
17
13
74%
22
=
++
7
32%
10
=
=
22
18
62%
20
-50
(- -) : 25/50%, (-) : 50/75%, (=) : 75/125%, (+) : 125/200%, (+ +) : > 200%.
Analyses 7 jours après FML (vins non stabilisés, teneur initiale en citrique : 0.5g/l).
15
18
0
0.30
+/0.04
0.20
+/0.05
Figure 2a : Vin rouge - Evolution de la
population bactérienne.
8
(log cell./ml)
7
6
Exp Viva Co-Inoc.
5
Exp Viva fin FA
Références (x3)
4
0
7
14
21
28
35
(jours)
Figure 2b : Vin rouge - Evolution de l'acide
malique.
3,5
3,0
(g/l)
2,5
2,0
1,5
Témoin
1,0
Exp Viva Co-Inoc.
0,5
Exp Viva fin FA
Références (x3)
0,0
0
7
14
21
(jours)
28
35
42
Tableau 2 : Analyses des vins finis.
Vin rouge
Exp Viva (x2)
Réf. (x3)
degré alcoolique (%v/v)
pH
acidité totale (g/l H2SO4)
acidité volatile (g/l H2SO4)
acide citrique (g/l)
polyphénols (DO280nm/1cm)
colorimétrie : clarté L*
intensité colorante
(DO420+520+620nm/1cm)
Vin rosé
Exp Viva (x2)
Réf. (x3)
12.6
3.40
4.3
0.23
0.18
37.7
26.7
12.6
3.42
4.2
0.28
0.01
36.2
28.2
13.3
3.31
4.4
0.20
0.27
15.7
67.7
13.3
3.31
4.4
0.26
0.15
15.4
69.2
5.54
5.11
1.13
1.16
Figure 3a : Vin rosé - Evolution de la
population bactérienne.
8
(log cell./ml)
7
6
Exp Viva Co-Inoc.
5
Exp Viva fin FA
Références (x3)
4
0
7
14
21
(jours)
28
35
Figure 3b : Vin rosé - Evolution de l'acide malique.
4,0
3,5
3,0
(g/l)
2,5
2,0
1,5
Témoin
Exp Viva Co-Inoc.
Exp Viva fin FA
Références (x3)
1,0
0,5
0,0
0
7
14
21
(jours)
28
35
42
Qualité
visuelle
8
7
Qualité
globale
6
5
Figure 4a : Vins rosés
Analyses sensorielles de 3 essais :
Bourgogne, Anjou, Provence
(moyennes de notes sur 10)
Intensité
fruité
4
Pas de FML
Exp Viva Co-Inoc.
Complexité
aromatique
Equilibre
Intensité
fruité
8
Figure 4b : Vins rouges
Analyses sensorielles de 3 essais :
Bourgogne, Beaujolais, Gaillac
7
Qualité
globale
(moyennes de notes sur 10)
6
Complexité
aromatique
5
4
Références (x2)
Exp Viva Co-Inoc.
Persistance
Equilibre
Intensité
fruité
8
7
Figures 4c : Vins Rosé et Rouge
Analyses sensorielles
de 2 essais Bourgogne
(moyennes de notes sur 10)
6
5
Qualité
globale
4
Complexité
aromatique
Exp Viva Co-Inoc
Exp Viva fin FA
Equilibre