prague et le baroque
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prague et le baroque
PRAGUE ET LE BAROQUE. Du 21 au 28 juin 2010, quarante amopaliens de la section de l’Isère ont parcouru quotidiennement la ville de Prague à la rencontre de ses monuments, de ses œuvres d’art et de ses chefs d’œuvre. Certains ont accepté de faire un compte-rendu ponctuel des découvertes de chacune de ces journées ; quant à nous, nous avons choisi de développer un récit synthétique sur un sujet rencontré à toutes les étapes du voyage : l’art baroque dans la capitale des pays tchèques. Du haut de la place du Château, de la tour de l’Hôtel de ville (Stare Mesto), du sommet de la tour de Petrin, la vue s’étend sur toute la ville de Prague, « la ville aux cent clochers », d’où émergent les profils massifs des bastions défensifs, (tour Poudrière, tours du Pont Charles), les flèches gothiques des églises (N. D. de Tyn) ou de la cathédrale, mais surtout les dômes verdâtres, les clochers à bulbe, les coupoles à lanterneaux, les façades ornées de colonnades et de frontons triangulaires des édifices civils. De ce panorama se dégage l’impression d’une suprématie de l’art baroque dans cette métropole d’Europe centrale, mais aussi la surprise et l’interrogation devant l’émergence et l’abondance de bâtiments d’un tel style ? Un style inattendu et triomphant. « Avant la bataille de la Montagne blanche (1620) à peu près de 85 à 90 % de la population des pays tchèques étaient de confession non catholique » (Pavel Bellina). L’adhésion à la Réforme et les pratiques religieuses suscitées par la doctrine hussite y avaient engendré un style de vie simple, austère, rigoureux, proscrivant le luxe. Les réalisations artistiques dérivaient de ces conceptions. Dans le siècle qui suit, le catholicisme réapparaît, se réimplante et, avec lui, les créations de l’art qui manifestent le sursaut de la Contre-Réforme. Le terme de Contre-Réforme n’est guère utilisé dans l’historiographie tchèque, on lui préfère celui de « recatholicisation ». Celle-ci fut une entreprise systématique, énergique et souvent brutale d’éradication des religions réformées et de rétablissement des pratiques catholiques. Aux mesures autoritaires et dictatoriales, à la fois législatives et réglementaires (fermeture des églises réformées, bannissement des prêtres non catholiques, exil des nobles demeurés hérétiques) s’ajoutèrent des actions missionnaires, une énergique restauration de l’enseignement de base et des formations universitaires, la multiplication du nombre de prêtres séculiers, l’autorisation à de nombreux ordres religieux d’entrer en Bohème. Ainsi réapparurent les jésuite (1622), chassés en 1566, puis s’installèrent les bénédictins, les franciscains, les prémontrés. De même, l’activité missionnaire, l’éducation de la jeunesse dans l’esprit du catholicisme, la pompe et la solennité des cérémonies religieuses, donnant lieu à de magnifiques célébrations ramenèrent à la foi catholique des populations pour lesquelles s’édifiaient des lieux de culte selon un style nouveau, mouvementé, fastueux, exubérant, réalisateurs de fabuleux décors en trompe l’œil luxuriants et illusionnistes. Pour cela les mécènes n’ont pas manqué : les ordres religieux, principalement les jésuites, détenteurs de fabuleuses richesses, les nobles catholiques bénéficiaires des importantes 1 confiscations opérées sur leurs confrères hérétiques réduits à l’exil, firent édifier, sur les ruines des anciennes constructions, palais, couvents, églises, écoles, universités. Wallenstein, le comte Goltz, le prince Liechtenstein, les Lobcowicz, les Cernin se sont particulièrement illustrés dans cette action. Mais, en revanche, les artistes capables de mettre au point bâtiments et décoration et qui avaient embrassé des religions réformées avaient du quitter le pays. On fit donc appel à des artistes étrangers, italiens, bavarois, autrichiens, français qui s’installèrent en Bohème où ils donnèrent naissance à des dynasties familiales bientôt totalement assimilées à la culture tchèque. Ainsi, les Lurago et les Santini venus d’Italie, les Dientzenhoffer venus de Bavière, les Mathey issus de France, les Brokoff. Le baroque religieux. La recatholicisation donna naissance, naturellement, à l’édification d’un nombre considérable d’ouvrage religieux : couvents, églises, monastères. A la faveur de leur itinéraire, les amopaliens ont découvert successivement quelques uns des monuments religieux les plus célèbres issus de ces entreprises. En premier lieu, l’église N.D. de Lorette, dite « la Lorette », édifiée, comme nombre de batiments similaires à travers le monde, suite à la légende propagée au XVe siècle, prétendant qu’après le départ des derniers croisés de Palestine les anges transportèrent en Italie, à Loretto, la maison où avaient vécu, en terre sainte, la vierge et le Christ. La Lorette de Prague est un vaste batiment rectangulaire (cloitre à deux étages) entourant une cour centrale au milieu de laquelle se situe la « Santa Casa », exacte réplique de la Santa Casa italienne qui fut le premier élément de cette construction élevée en 1626 à l’initiative de Benigna de Lobkowicz. Le cloitre qui entoure la cour centrale et la Santa Casa est l’œuvre des Dienzenhoffer père et fils qui l’édifièrent de 1680 à1724. Il s’ouvre, au sud, par un porche dominé par un clocher à bulbe et à lanterneau, réalisé en 1694 ; le rez de chaussée est agrémenté, au plafond, de remarquables fresques. Au nord, l’église de la nativité de Jésus Christ, construite entre 1734 et 1737, comporte une voute entièrement peinte illustrant la présentation de Jésus au temple. En contrebas de la Lorette, l’église Saint Nicolas de Mala Nostra est l’une des plus éblouissantes réalisations baroques de Prague. La superficie, l’élégance et l’harmonie des parties extèrieures ainsi que l’opulence de la décoration rococco en trompe l’œil, sont révélatrices de la maîtrise technique des artistes qui y ont œuvré. La façade et la nef ont été construites entre 1703 et 1711 par Dienzenhoffer père, le chœur par Dienzenhoffer fils qui réalisa également la coupole en 1752. Anselme Lurago ajoutera le clocher en1755. A quelque distance, l’église Saint Thomas est un bâtiment gothique édifié en1285 pour l’ordre de Saint Augustin, mais reconstruit en style baroque entre 1723 et 1731 par Dienzenhoffer fils. On y admire le caractère tourmenté de la façade, l’une des plus spectaculaire de Prague, la voute baroque ornée de fresques de Vaclav Reiner qui illustrent la vie de Saint Augustin, ainsi que le buffet d’orgue orné de magnifiques statues. En descendant de Petrin vers Mala Nostra on rencontre l’église N.D. de la Victoire. Ainsi dénommé après la bataille de la Montagne blanche, ce sanctuaire était à l’origine un temple luthérien allemand, attribué en 1624 aux Carmes déchaussés espagnols en récompense de l’action et des prières du supérieur de cet ordre en faveur de la victoire catholique. Remanié entre 1636 et 1644, le sanctuaire passe pour être la 2 première églis baroque de la capitale. La principale attraction du monument est la statue du Petit Jésus de Prague, don de la princesse Polyxène de Lobkowicz en 1628, réputée miraculeuse depuis le XVIIe siècle et objet, depuis, de très nombreux pélerinages. L’excursion dans la vieille ville (Stare Mesto) donne lieu à d’autres rencontres étonnantes. En premier lieu, l’église Saint Nicolas, édifiée à l’origine au XIIe siècle, comme Saint Thomas, mais reconstruite au XVIIe pour les Bénédictins par Ignace Dienzenhoffer (encore lui !), mais ornée d’une originale façade dont le décor est dû à Anton Braun. De caractéristique identique, mais de dimensions plus vastes encore, l’église N. D. de Tyn apparaît partiellement aux visiteurs, depuis la place de la vieille ville. Construite en style gothique à partir de 1270, seule sa partie supérieure – le haut de la façade, encadrée de deux magnifiques tours ornées de clochetons médiévaux – est visible depuis la place, la partie basse étant cachée par un immeuble plus récent. Sanctuaire des hussites jusqu’à la recatholicisation, elle ne fut pas détruite, mais sa décoration intérieure, complétement reconvertie dans le style nouveau. L’entrée dans le sanctuaire réserve au visiteur une surprise incroyable : après l’impression médiévale et gothique ressentie depuis la place, c’est une décoration inattendue qui apparaît. Le baroque est entré en force dans l’église : le maître autel, les autels secondaires ont été remplacés ; ils sont ornés de baldaquins à étage, enjolivés par des colonnes torses. D’innombrables tableaux tapissent les murs. Au bas de Stare Mesto, à proximité du pont Charles, à l’occasion du concert où se rendent les amopaliens à l’église Saint Clément, les visiteurs cotoient le Clementinum. C’est un vaste complexe, situé à l’emplacement d’un couvent de dominicains, mais donné aux jésuites lors de leur arrivée à Prague en 1556. Ceux-ci ne cessèrent, pendant un siècle et demi, de l’agrandir, l’embellir et l’orner à la manière baroque. Ils y créèrent un célèbre collège, élément essentiel de la reconquète catholique, fréquenté par tous les fils de l’aristocratie tchèque. Aujourd’hui les locaux du Clementinum abritent l’Observatoire, l’Académie des beaux arts, la Bibliothèque nationale, l’une des trois églises (Chapelle des miroirs) du quartier, une salle de concert au remarquable décor baroque. Quant à l’église Saint Clément qui a donné son nom à l’ensemble monumental, elle fut entièrement reconstruite entre 1711 et 1715, en partie selon les plans de Dienzenhoffer. Elle procure une formidable impression avec ses travées couronnées de coupoles qui ressemblent à d’immenses baldaquins et son maître autel entièrement constitué d’un décor rococco en trompe l’œil. C’est là que les amopaliens assistèrent à un très agréable concert. Le baroque civil. Si le style baroque triomphe dans l’art religieux grace à la recatholicisation, les réalisations de l’architecture civile n’en connurent pas moins un incontestable succès. Les pouvoirs publics ainsi que l’aristocratie princière furent, dans une égale mesure, les artisans de cette action. Naturellement le « Château de Prague » fut l’objet de cette entreprise : les Habsbourg firent remanier la façade sud ainsi que l’entrée principale dans le style nouveau. Entre 1740 et 1780, Marie Thérèse fit édifier les bâtiments de la première cour et transformer ceux du coté sud de la troisième cour en un style rococco viennois qui donne une uniformité à l’ensemble. En contrebas de Hradçany, la place de Mala Strana fut, tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles l’objet de réalisations de toute nature. Les pouvoirs 3 publics y firent remanier dans le style à la mode l’ancien Hôtel de ville, entre 1617 et 1622, puis à nouveau en 1660. A proximité, le palais de l’archevéché, édifié au milieu du XVIe siècle, fut restructuré, conformément au nouveau goût, entre 1675 et 1693, par un architecte français, J.B. Mathey, avant qu’un autre architecte élève, après 1723, la façade actuelle. Sur la rive droite de la Vltava, dans la vieille ville, s’élève alors l’Hôtel de ville de Stare Mesto, à proximité du Théatre des Etats, magnifique bâtiment, édifié à partir de 1781 et restauré à l’époque contemporaine (1983), où Mozart donna, en 1787, la première représentation de Don Giovanni. Milos Formann y a tourné les scènes d’opéra d’ »Amadeus » en 1984. Mais les réalisations les plus spectaculaires dans le domaine des monuments publics sont incontestablement représentées par les statues du pont Charles. Trente, au total : la plus ancienne est celle de Saint Jean Népomucène, réalisée en 1683 par J.M. Brokoff, trente huit ans avant la béatification du Saint. La plus remarquable est celle de Sainte Luitgarde édifié en 1710 par Matyas Braun, illustrant de façon spectaculaire l’extase de cette cistercienne flamande. La Contre Réforme permit également à certains princes demeurés catholiques de s’emparer des richesses confisquées aux aristocrates restés hérétiques et contraints à l’exil. Ainsi Wallenstein, le redoutable chef de guerre de Ferdinand II, fit ériger, de 1623 à 1629, dans Mala Strana, au pied du « Château », un immense palais occupant l’emplacement de vingt six maisons, prolongé par un jardin aussi vaste, orné de statues et de grottes où se pressent stucs et peintures. Les Lobkowicz, également enrichis par l’acquisitions de biens d’émigrés, firent élever, en contrebas du « Château », un palais aux façades contrastées : une façade sur rue, classique mais un peu austère, une sur les jardins, inspirée d’un projet du Bernin pour le Louvre, plus exubérante. De nombreuses autres demeures princières virent le jour au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, à Prague même ou dans les environs immédiats, toujours inspirées des mêmes conceptions artistiques. Le plus achevé, dans ce cadre, est le château de Troja, à quelques kilométres du centre de la capitale. Construit de 1679 à 1691, au bord de la Vltava, en tant que pavillon d’été de la famille Sternberk, il fut conçu par l’architecte français J.B. Mathey. Extérieurement, l’élément le plus étonnant est l’escalier à deux volées décoré de statues représentant le combat des dieux et des géants, œuvre d’un sculpteur de Dresde, Johann Georg Heermann. Intérieurement l’attrait est constitué par les peintures des murs et des plafonds (couloirs, grande salle du premier étage, chapelle), toutes consacrées à célébrer la gloire des Habsbourg. Aujourd’hui, la République tchèque est formée, pour les deux tiers de sa population, d’agnostiques et d’incroyants. Le tiers restant n’est composé qu’à moitié de catholiques : la nation est donc très loin des conditions qui ont magnifiquement stimulé l’art baroque. Mais, au-delà des croyances et des pratiques religieuses, les splendides réalisations artistiques témoignent du génie d’un peuple qui a su remarquablement mettre en scène un épisode de son histoire. Marcel Massard. (juillet 2010) 4