Chapitre sixième - docte traduction

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Chapitre sixième - docte traduction
Chapitre sixième .......................................................................................................549
Les translations grammaticales ...............................................................................549
§ 1 La translation lexicale......................................................................................549
a) Dans les noms .............................................................................................549
b) Dans l’adjectif .............................................................................................552
c) Dans les verbes ............................................................................................554
d) La périphrase ..............................................................................................557
§ 2 La translation syntaxique ...............................................................................559
a) Dans le groupe de mots .............................................................................559
b) Dans la proposition ....................................................................................561
c) Dans la phrase .............................................................................................570
549
Chapitre sixième
Les translations grammaticales
§ 1 La translation lexicale
La première forme de translation grammaticale est la translation lexicale : elle
consiste à modifier dans la traduction, par nécessité, la structure morphologique des mots de
la langue originale.
La translation lexicale, même si aucune dénomination particulière ne lui a, à ma
connaissance, jamais été donnée, est une chose connue depuis longtemps par les
traducteurs.
On lit, par exemple, dans la préface des Epîtres familières de Cicéron (1549) traduites par
Étienne Dolet : “Je te veulx advertir, que si quelquefois j’use de circonlocutions commodes, tu ne le trouves
estrange, puis qu’autrement ne se peult faire. Ce qui advient pour la diversité des langues: car ce, que l’une
exprime en un mot, l’autre l’exprime en plusieurs. Et ce qui celle ha en plusieurs, l’autre l’ha en un. En quoy il
fault avoir raison de la phrase et proprieté de chasque langue, pour se trouver excellent interpreteur et parfait.”1
a) Dans les noms
Dans les noms, la translation lexicale peut consister en passage du nom composé
ou complexe au nom simple, du nom simple au nom composé ou au complexe, ou en une
inversion des termes du mot composé lors de sa traduction par un nom composé ou
complexe.
On passe du nom composé de la langue allemande au nom simple de la langue
française quand on traduit die Anlegebrücke par le débarcadère, die Arbeitsstelle par le
chantier, die Aschenkraut par la cinéraire, die Blutarmut par l’anémie, das
Blutgeschwür par le furoncle, der Bocksbart par le salsifis, das Bühnenfieber par le trac,
der Bürgersteig par le trottoir, die Dauerflamme par la veilleuse, die Eintrittskarte par le
billet, die Feuerglocke par le tocsin, das Fingerglied par la phalange, der Fliegenbaum
par l’orme, die Flügelhaube par la cornette, der Gerichtschreiber par le greffier, der
Gottesacker par le cimetière, die Grasmücke par la fauvette, die Halskrause par la
collerette, der Hauslehrer par le précepteur, das Jahrbuch par l’annuaire, die
Judenkirsche par la cornouille, das Kartenpapier par le bristol, die Klangfarbe par le
timbre, das Leichenhemd par le suaire, der Marktflecken par la bourgade, die Mundart
par le dialecte, das Mundstück par l’embouchure, der Notsitz par le strapontin, der
Obstgarten par le verger, die Pferdebremse par le taon, der Ruhestand par la retraite,
die Salzgrube par la saline, der Seekrebs par le homard, der Weihrauch par l’encens et
das Wörterbuch par le dictionnaire.
1 Les Épistres familiaires de Marc Tulle Cicero, Traduites en françois par Estienne Dolet, À Lyon, Par Thibauld
Payan, 1549, p. 3.
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Dans ses Observations sur les principales langues de l’Europe (1779), Jacob-Rodrigue
Péreire donne cet exemple : “Feder messer, Couteau de plume, c’est-à-dire canif. Les Anglois ont pris la
même tournure pour l’exprimer: ils disent Pen-Knife, couteau de plume.”2
Dans Das Buch Le Grand (1826), Heinrich Heine écrit : “Der Kutscher Pattensen brummt bei
jeder Gelegenheit: das ist eine Idee ! das ist eine Idee ! Gestern aber wurde er ordentlich verdrieszlich, als ich ihn
frug, was er sich unter einer Idee vorstelle. Und verdrieszlich brummte er: Nu, nu, eine Idee ist eine Idee ! eine
Idee ist alles dumme Zeug, was man sich einbildet.”3 Dans les Tableaux de Voyage (1856), le traducteur
anonyme écrit : “Le cocher Pattensen grommèle en toute occasion ces mots: C’est une idée, c’est une idée !
Mais hier, il s’est fâché bien fort quand je lui ai demandé ce qu’il se figurait par une idée. Et dans sa mauvaise
humeur, il grommelait: Eh bien, eh bien, une idée est une idée ! Une idée, c’est une bêtise qu’on se fourre dans
sa tête.”4 La traduction du nom complexe dummes Zeug par le nom simple bêtise est une translation
lexicale.
On lit dans Jugend ohne Gott (1937) de Oedön von Horvath : “Ursprünglich ein geachteter
Kollege, ein Alphilologe, geriet er in eine böse Sache. (...) Man sah ihn lange nicht, dann hörte ich, er würde mit
allerhand Schlund hausieren, von Tür zu Tür. Er trug eine auffallend grosze Krawettennadel, einen
Miniaturtotenkopf, in welchem eine winzige Glühbirne stak, die mit einer Batterie in seiner Tasche verbunden
war. Drückte er auf einen Knopf, leuchteten die Augenhöhlen seines Totenknopfes rot auf. Das waren seine
Scherze. Eine gestrandete Existenz.” 5 Dans Jeunesse sans Dieu (1939), Arnaud Pierhal
traduit : “Autrefois, un collègue considéré, professeur de philologie au lycée de jeunes filles, il avait été mêlé à
une vilaine affaire. On ne le vit point pendant longtemps. Puis j’appris qu’il offrait de la pacotille de porte en
porte. Il portait une très grosse épingle de cravate, une tête de mort qui cachait une minuscule ampoule, reliée à
une pile électrique dissimulée dans sa poche. Quand il pressait sur un bouton, les orbites de la tête de mort
s’éclairaient en rouge. Telles étaient ses plaisanteries. Une épave.”6 La traduction du nom complexe
gestrandete Existenz par le nom simple épave est une translation lexicale.
2 Observations sur treize des principales langues de l’Europe, À Paris, Chez Mérigot le Jeune, Le Jay, Les
Auteurs, Dorez, 1779, p. 44.
3 Henri Heine, Werke und Briefe, Hrsg. von Hans Kaufmann, Band III, Aufbau Verlag, Berlin, 1961, p. 167.
4 Tableaux de voyage, Par H. Heine, Nouv. éd., Tome 1er, Michel Lévy Frères, Éditeurs, Paris, 1865, p. 210.
5 Oedön von Horvath, Jugend ohne Gott, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 1980, p. 24.
6 Odon de Horvath, Jeunesse sans Dieu, Tr. par Armand Pierhal, Librairie Plon, Paris, 1939, pp. 29-30.
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On passe du nom composé de la langue allemande au nom complexe, constitué
d’un nom simple et d’une épithète, de la langue française lorsqu’on traduit die
Atombombe par la bombe atomique, die Beweiskraft par la force démonstrative, die
Blutbuche par le hêtre pourpre, das Braubett par le lit nuptial, das Bürgerhaus par la
maison bourgeoise, der Ehrentitel par le titre honorifique, die Erdkugel par le globe
terrestre, die Felswand par la paroi rocheuse, der Goldfasan par le faisan doré, der
Grabstein par la pierre tombale, das Grundeigentum par la propriété foncière,das
Hakenkreuz par la croix gammée, die Handarbeit par le travail manuel, der Hauptmast
par le grand mât, der Hausaltar par l’autel domestique, das Himmelsgewölbe par la
voûte céleste, die Holzbiene par l’abeille charpentière, die Kaiserkrone par la couronne
impériale,die Kernphysik par la physique nucléaire, der Kirchendienst par l’office
religieux, die Lochkarte par la carte perforée, die Luftflotte par la flotte aérienne, die
Morgensonne par le soleil levant, der Niethammer par le marteau riveur, die Ortsbehörde par l’autorité locale, die Postanweisung par le mandat postal, das Reichsheer
par l’armée impériale, das Straszennetz par le réseau routier, die Tagespresse par la
presse quotidienne, der Weltkrieg par la guerre mondiale et der Wunder-baum par le
faux acacia.
De très nombreux noms dérivés, de signification négative, comme die
Taktlosigkeit, die Charakterlosigkeit, die Kontaktlosigkeit, die Arbeitslosigkeit, die
Kontaktlosigkeit, die Aussichtslosigkeit, die Auswegslosigkeit, die Hoffnungslosigkeit
ou die Teilnahmslosigkeit, ne peuvent être rendus que par des noms complexes comme
le manque de tact, le manque de caractère, le défaut de contacts, le manque de travail,
l’absence de perspective, l’absence d’issue, l’absence d’espoir, l’absence d’intérêt; les
mots die Arbeitslosigkeit et die Teilnahmslosigkeit peuvent toutefois aussi être traduits
par des mots simples comme le chômage et l’indifférence.
Certaines translations lexicales dans les noms, bien que la signification générale
de ces derniers ne soit pas changée, s‘accompagnent d’une légère modification de leur
signification particulière.
C’est ainsi, par exemple, que le mot der Galgenvogel signifie à la lettre l’oiseau
de potence et non le charognard, das Gartenhaus la maison de jardin et non le pavillon,
der Goldfisch le poisson rouge et non le poisson d’or, die Heckenrose la rose des haies
et non l’aubépine, der Hosenträger le porte-pantalon et non les bretelles, die Laufbrücke
le pont de course et non la passerelle, der Schafkäse le fromage de mouton et non le
fromage de brebis, die Silberpappel le peuplier blanc et non le peuplier argenté et die
Vieharznei le remède de bétail et non le remède de cheval.
Le même phénomène, du reste, s’observe au sein d’une même langue, puisque
des noms composés formés avec des termes différents peuvent y désigner exactement les
mêmes objets.
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Ainsi, dans Der Mann ohne Eigenschaften (1952), Musil écrit : “Da sagen hier die Leute zu
einem Eichhörnchen Eichkatzl, fiel ihm ein; aber es sollte blosz einmal einer versuchen, mit dem richtigen
Ernst auf der Zunge und im Gesicht die Eichenkatze zu sagen ! Alle würden aufschauen, wie wenn mitten im
furzenden Plänklerfeuer eines Manöverangriffs ein scharfer Schusz fällt ! In Hessen sagen sie dagegen
Baumfuchs. Ein weitgewanderter Mensch weisz so etwas.”7 Dans L’homme sans qualités (1956), Philippe
Jaccottet traduit : “Par ici, les gens disent à l’écureuil Eichenkatzl, pensa-t-il, mais allez essayer de dire, avec
tout le sérieux qu’il faut sur la langue et sur la figure: die Eichenkatze ! Tous écarquilleraient les yeux, comme
quand éclate brusquement, dans la pétarade d’un feu de tirailleurs à banc, un vrai coup ! Dans la Hesse, en
revanche, ils disent Baumfuchs. C’est des choses qu’on apprend quand a beaucoup roulé.”8 Le traducteur
ajoute au bas de la page cette note : “L’auteur, dans ce passage (...) joue sur les mots composés dont le sens
étymologique est oublié : Eichenkatze signifierait chat des chênes, Baumfuchs renard des arbres.”9
En passant du nom composé de la langue allemande au nom complexe de la
langue française, on inverse l’ordre des termes quand on traduit die Angriffsfläche par la
surface d’attaque, die Anklagekammer par la chambre d’accusation, der
Berührungspunkt par le point de contact, die Denkart par la façon de penser, die
Essiggurke par le cornichon au vinaigre, die Friedenspfeife par le calumet de la paix,
das Glaubensbekenntnis par la profession de foi, die Handgranate par la grenade à
main, der Himbeersaft par le jus de framboise, die Honigwabe par le rayon de miel, die
Jauchegrube par la fosse à purin, die Kartoffelzucht par la sélection de la pomme de
terre, das Kaugummi par la gomme à mâcher, der Lederhandschuh par le gant de peau,
die Meinungsfreiheit par la liberté d’opinion, die Nasenspitze par le bout du nez, das
Prachtbett par le lit de parade, das Radiergummi par la gomme à effacer, die
Sprachwissenschaft par la science du langage, der Sonnenaufgang par le lever du soleil,
das Treppenhaus par la cage d’escalier,das Wohnhaus par la maison d’habitation, das
Wagenpferd par le cheval de trait, die Wasserlinse par la lentille d’eau et die
Zuchtkartoffel par la pomme de terre de sélection.
b) Dans l’adjectif
La translation lexicale dans l’adjectif composé de la langue allemande ne
présente de difficulté que pour le traducteur qui n’a pas une idée juste du rapport de
détermination entre les deux éléments qui composent l’adjectif.
L’erreur apparaît fréquemment dans la traduction des adjectifs composés
désignant des couleurs, le rapport de détermination étant alors inversé par les
traducteurs, comme si, sur ce point précis, la langue allemande était comprise par eux
comme de la langue française.
7 Robert Musil, Der Mann ohne Eigenschaften, Roman, Rowohlt Verlag, Hamburg, 1967, p. 240.
8 Robert Musil, L’homme sans qualités, Tr. de l’all. par P. Jacottet, Tome 1er, Éds du Seuil, Paris, 1982, p. 288.
9 Robert Musil, L’homme sans qualités, Traduit de l’allemand par Philippe Jacottet, Tome premier, Éditions du
Seuil, Paris, 1982, p. 288.
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Ainsi, on lit dans Homo faber (1957) de Max Frisch : “Ihre Haare erinnern an Gefieder: schwarz
mit einem bläulich-grünen Glanz darin.”10 On devait traduire : “Ses cheveux font penser à des plumes
d’oiseau: noirs avec des reflets d‘un vert bleuâtre dedans.” Dans Homo faber (1961), Philippe Pilliod
traduit : “Ses cheveux ressemblent à un plumage: noir avec un éclat bleu-verdâtre.”11 Dans Homo faber
(1957) de Max Frisch, on lit un peu plus loin : “Ich sah jetzt die bläulich-rote Schwellung um ihre
Wunde.”12 On devait traduire : “Je voyais à présent l’enflure d’un rouge bleuâtre autour de la plaie.” Dans
Homo faber (1961), Philippe Pilliod traduit : “Je vis alors l’enflure bleu-rougeâtre autour de la plaie.”13 À
ces deux endroits, le traducteur a malheureusement inversé le rapport des couleurs tel qu’il était dans
l’adjectif composé.
Dans Deutschstunde (1968) de Siegfried Lenz, on lit : “Und jetzt hier: gibt das Bild etwas ab ?
Ich muszte das Gesicht teilen, hier rotgrau, dort grüngelb; ich weisz nicht, wie ich es sonst sagen sollte, aber es
deckt sich nicht mit allem.”14 On devait traduire : “Et maintenant, le tableau donne-t-il quelque chose ? J’ai
été obligé de diviser le visage; gris rouge d’un côté, jaune vert de l’autre; j’ignore comment j’aurais dû le dire
autrement, mais il y a quelque chose qui cloche.” Dans La leçon d’allemand (1971), Bernard Kreiss
traduit : “Et maintenant, revenons à cette peinture: qu’est-ce que tu en dis ? J’ai dû partager le visage, ici
rouge-gris, là vert-jaune, je ne sais pas comment le dire autrement, mais cela ne me correspond pas.”15 La
traduction est très inexacte; en particulier, le rapport des couleurs dans l’adjectif composé a ici encore
été inversé.
De même, dans Der Vorleser (1995), Bernhard Schlink écrit : “Die Wälder waren Teppiche in
Grün, mit gelbgrünen, hellgrünen, flaschengrünen, blau- und schwarzgrünen Tupfern, Flecken und
Flächen.”16 On devait traduire : “Les forêts étaient des tapisseries dans les verts, avec des touches, des taches
et des surfaces vert jaune, vert clair, vert bouteille, vert bleu et vert noir.” Dans Le liseur (1996), Bernard
Lortholary traduit : “Les forêts étaient des tapis dans tous les verts, avec des taches, des touches et des aplats
jaune-vert, vert clair, vert bouteille, voire bleuté ou tirant sur le noir.”17 L’adjectif composé jaune vert
serait la traduction de grüngelb, qui désigne une nuance de jaune, non celle de gelbgrün qui désigne
une nuance de vert : or, comme il est dit dans l’original lui-même, on est ici dans les verts, non dans
les jaunes.
Il faut cependant bien reconnaître que le découpage des adjectifs composés, qui
est la condition de leur traduction correcte, n’est pas facile à faire, dès qu’ils atteignent des
dimensions inusitées.
10 Max Frisch, Homo faber, Rowohlt Taschenbuch Verlag, Reinbek bei Hamburg, 1969, p. 29.
11 Max Frisch, Homo faber, Traduit de l’allemand par Philippe Pilliod, Éditions Gallimard, Paris, 1994, p. 48.
12 Max Frisch, Homo faber, Rowohlt Taschenbuch Verlag, Reinbek bei Hamburg, 1969, p. 95.
13 Max Frisch, Homo faber, Traduit de l’allemand par Philippe Pilliod, Éditions Gallimard, Paris, 1994, p. 160.
14 Siegfried Lenz, Deutschstunde, Deutscher Taschenbuch Verlag, München, 1974, p. 298.
15 Siegfried Lenz, La leçon d’allemand, Tr. de l’all. par Bernard Kreiss, Éds Robert Laffont, Paris, 1971, p. 329.
16 Bernhard Schlink, Der Vorleser, Diogenes Taschenbuch Verlag, Zürich, 1997, pp. 52-53.
17 Bernhard Schlink, Le liseur, Tr. de l’all. par Bernard Lortholary, Éds Gallimard, Paris, 1996, pp. 54-55.
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Il en est ainsi de ceux qu’on trouve dans Die Marmeladenesser (1928) de Hans Henny Jahnn
à
l’occasion
d’une
description
de
confitures :
“Die
Pfirsich-marmelade
war
mehlzartsüszchaumduftspratzig. Die Pfaumenmarmelade scharfgroszwollsauerkrautig. Die Erdbeermarmelade
honigblütenlehmtangbleimilde. Die Blaubeermarmelade kugelschleimfettsonnenblumenrindsmaulig. Die
Schwarzjohannisbeermarmelade
quell-blutkupferessigkatzenzahntraumlos.
Die
Kronsbergmarmelade
sandignuszerzkalkigtiefwildsauer. Die Orangenmarmelade bitterfrohmagerregenbogenrund.”18 On pouvait
traduire : “La confiture de pêches était pétillante de parfum, mousse sucrée, moelleuse comme farine. La
confiture de prunes, choucrouteuse comme une grosse laine acidulée. La confiture de fraises, douce comme du
plomb, comme des algues limoneuses, comme des fleurs de miel. La confiture de myrtilles, comme du museau de
boeuf au tournesol, grasse comme de l’argile en boule. La confiture de groseilles sans imagination, comme une
dent de chat, du vinaigre de cuivre, du sang qui coule. La confiture d’airelles, d’une profonde aigreur sauvage,
sableuse comme de chaux vive. La confiture d’oranges, ronde comme un arc-en-ciel, maigre comme une joie
amère.” Dans Treize histoires peu rassurantes (1994), Huguette et René Radrizzani traduisent : “La
confiture de pêches était parfum-mousse-caramel-douce-farine-lègère. La confiture de prunes piquante-grosse
laine-choucroutée. La confiture de fraises fleur-miel-argile-varech-plomb-douce. La confiture de myrtilles boulebouillie-grasse-tournesol-museau de bœuf. La confiture de cassis source-sang-cuivre-vinaigre-dent de chat-sans
rêves. La confiture d’airelles sablée-noisette-minérale-calcaire-profonde-sauvage-aigre. La confiture d’oranges
amère-gaie-maigre-rond d’arc -en-ciel.”19 Un simple coup d’œil suffit pour voir que les deux traducteurs
n’ont pas appliqué la même règle tout au long du passage pour analyser des adjectifs composés : il en
résulte que les translations lexicales n’ont pas été faites de manière régulière.
c) Dans les verbes
La translation lexicale dans les verbes a lieu sous deux formes : ou c’est un verbe
simple de la langue originale qui est traduit par un verbe complexe dans la langue de
traduction, ou c’est un verbe complexe de la langue originale qui est rendu par un verbe
simple dans la langue de traduction.
Le premier cas se produit quand on traduit un verbe simple de la langue
allemande par un verbe complexe, appelé aussi locution verbale, de la langue française.
18 Hans Henny Jahnn, Dreizehn nicht geheure Geschichten, Rowohlt Taschenbuch Verlag, Reinbek bei
Hamburg, 1954, p. 78.
19 Hans Henny Jahnn, Treize histoires peu rassurantes, Traduites par Huguette et René Radrizzani, Éditions
José Corti, paris, 1994, p. 111.
555
Il en est ainsi quand on traduit baden par prendre un bain, berichten par faire
un récit, besuchen par rendre visite, dürfen par avoir le droit, duschen par prendre une
douche, fragen par poser des questions, hängen par être suspendu, kochen par faire la
cuisine, können par être capable, nicht können par être incapable, küssen par faire un
baiser, lachen par se mettre à rire, leben par être en vie, landen par toucher terre, lieben
par faire l’amour, liegen par être allongé, meinen par vouloir dire, mögen par avoir
envie, müssen par être obligé, nicken par hocher la tête, packen par faire ses bagages,
pflegen par avoir coutume, putzen par faire le ménage, reisen par faire un voyage,
riechen par avoir une odeur, schlürfen par faire du bruit en buvant, schmatzen par faire
du bruit en mangeant, segeln par faire de la voile, sitzen par être assis, sollen par avoir
le droit, stecken par être enfoncé ou par être fiché, stehen par être debout ou être
immobile, tanken par faire le plein, träumen par faire un rêve, vertonen par mettre en
musique, wandern par faire une excursion, waschen par laver le linge, winken par
agiter la main, würfeln par jouer aux dés, zerbröckeln par réduire en miettes, zerfetzen
par mettre en lambeaux, zerschneiden par couper en morceaux et zerstückeln par mettre
en pièces.
Dans Frau Jenny Treibel (1893), Theodor Fontane écrit : “Und dein Vater auch. Er war damals
Student und dichtete.”20 Dans Madame Jenny Treibel (1943), Pierre Grappin traduit : “Ton père comme
les autres. Il était étudiant et il faisait des vers.”21 Dans Frau Jenny Treibel (1981), Michel-François Demet
traduit : “Ton père le premier. Il était alors encore étudiant et il écrivait des poèmes.”22 La traduction de
dichten, pris absolument, par faire des vers ou écrire des poèmes est une translation lexicale du
verbe simple de la langue allemande au verbe complexe de la langue française.
On lit dans Die Rebellion (1924) de Joseph Roth : “Der Polizist erwiderte: Sie haben mir nichts
zu befehlen ! Im Namen des Gesetzes! Kommen Sie runter !”23 Dans La rébellion (1988), Dominique
Dubuy et Claude Riehl traduisent : “Le policier répliqua: Vous n’avez pas d’ordres à me donner. Au nom de
la loi, descendez!”24 La traduction de befehlen, pris absolument, par donner des ordres est aussi une
translation lexicale du verbe simple de la langue allemande au verbe complexe de la langue française.
Dans Im Bauch des Wals (1989), Paul Nizon écrit : “Eben hatte eine nahe Verwandte angerufen,
ich merkte gleich, dasz sie wieder in ihrer Lethargie steckte, dieser Erbsünde. Nie ganz aufwachen können bei
Tag, und nachts in den Klauen der Schlaflosigkeit.”25 Dans Dans le ventre de la baleine (1990), Jean-Louis
de Rambures traduit : “Une proche parente vient de m’appeler, j’ai remarqué aussitôt qu’elle était retombée
dans sa léthargie, ce péché originel. Le jour, être incapable de se réveiller véritablement et la nuit dans les griffes
de l’insomnie.”26 La traduction de können par être incapable est encore une translation lexicale du
verbe simple de la langue allemande au verbe complexe de la langue française.
20 Theodor Fontane, Sämtliche Werke, Vierter Band, Carl Hanser Verlag, München, 1963, p. 300.
21 Théodore Fontane, Madame Jenny Treibel, Traduction de Pierre Grappin, Éds Gallimard, Paris, 1943, p. 31.
22 Theodor Fontane, Romans, Éditions Robert Laffont, Paris, 1981, p. 408.
23 Joseph Roth, Werke in drei Bänden, Zweiter Band, Verlag Kiepenheuer und Witsch, Köln, 1956, p. 327.
24 Joseph Roth, La rébellion, Traduit de l’allemand par Dominique Dubuy et Claude Riehl, Éds du Seuil, Paris,
1988, p. 75.
25 Paul Nizon, Im Bauch des Wals, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1989, p. 78.
26 Paul Nizon, Dans le ventre de la baleine, Tr. de l’all. par J.-L. de Rambures, Actes Sud, Arles, 1997, p. 793.
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On traduit de même ich mochte das nicht par je n’en avais pas envie, du lebst
ja immer noch par tu es donc toujours en vie, er besuchte mich oft par il me rendait
souvent visite, ich küszte sie auf dem Mund par je lui fis en baiser sur la bouche, sie
roch süszlich par elle avait une odeur douceâtre, du wirst es doch müssen par tu y seras
pourtant obligé, deine Freunde segeln viel par tes amis font beaucoup de voile, ich saz
da stundenlang par je restai assis là pendant des heures, ich habe böse geträumt par j’ai
fait un mauvais rêve, er konnte seine Gefühle nicht äuszern par il était incapable
d’exprimer ses sentiments, du hättest gestern baden sollen par tu aurais dû prendre un
bain hier, du solltest nicht weiter fragen par tu ne devrais pas poser d’autres questions,
er wollte durch Flandern reisen par il voulait faire un voyage en Flandre, sie putzt bei
meiner Tante par elle fait le ménage chez ma tante, ich schlug dem Hund auf die
Schnauze par je donnai une tape sur le museau du chien et wir wollten durch den Wald
wandern par nous voulions faire une excursion à travers la forêt.
Dans Im Bauch des Wals (1989), Paul Nizon écrit : “Es riecht bitterlich nach Faden und Stoffen
und nach Bügeleisen in solchen Boutiquen, und auszerdem liegt noch weibliche Intimität in der Luft.”27 Dans
Dans le ventre de la baleine (1990), Jean-Louis de Rambures traduit : “Il y a une odeur âcre de fil et
d’étoffes dans ces boutiques, cela sent le fer à repasser, et une certaine intimité féminine flotte en outre dans
l’air.”28 La traduction de riechen par être y avoir une odeur est encore une translation lexicale du
verbe simple de la langue allemande au verbe complexe de la langue française; ici, toutefois, le
traducteur a mal fait de donner du verbe riechen deux traductions différentes dans la même phrase.
Le cas inverse, celui où un verbe complexe de la langue allemande doit être rendu
par un verbe simple ou par un verbe pronominal de la langue française, est aussi une
translation lexicale.
Il en est ainsi quand on traduit älter werden par vieillir, bleich werden par
blêmir, breiter werden par s’élargir, dick werden par prendre, dumm werden par
s’abêtir, dünner werden par mincir, dünner machen par amincir, enger werden par
rétrécir, gelb werden par jaunir, grosz werden par grandir, gröszer werden par
augmenter, häszlich werden par enlaidir, kalt werden par refroidir, klein werden par
rapetisser, kleiner werden par diminuer, lächerlich machen par ridiculiser, lächerlich
werden par se ridiculiser, langsamer fahren par ralentir, lustig machen par amuser,
mehlig werden par blettir, nach vorne treten par avancer, reif werden par mûrir, rot
werden par rougir, sauber machen par nettoyer, sauer werden par sûrir, schal werden
par tourner, schmutzig machen par salir, schneller fahren par accélérer, schöner werden
par embellir, rund werden par s’arrondir, schwarz werden par noircir, still werden par
se calmer,weich werden par se ramollir, weisz werden par blanchir, jemandem Spasz
machen par amuser quelqu’un, Auto fahren par conduire et in Ton versetzen par
musiquer.
27 Paul Nizon, Im Bauch des Wals, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1989, p. 123.
28 Paul Nizon, Dans le ventre de la baleine, Tr. de l’all. par J.-L. de Rambures, Actes Sud, Arles, 1997, p. 821.
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Ainsi, dans Effi Briest (1896), Theodor Fontane écrit : “Sie nahm ihren Arm aus dem seinigen
und hob sich auf die Fuszspitzen, um ihm einen herzlichen Kusz zu geben.”29 On pouvait traduire : “Elle
libéra son bras du sien et se dressa sur la pointe des pieds pour lui faire un affectueux baiser.” Dans Effi Briest
(1981), Pierre Villain traduit : “Elle dégagea son bras du sien et se dressa sur la pointe des pieds pour
l’embrasser tendrement.”30 La traduction de einen Kusz geben par embrasser est une translation
lexicale du verbe complexe de la langue allemande au verbe simple de la langue française.
Les traducteurs, même novices, effectuent en général les translations lexicales
nécessaires avec facilité et ne commettent que très rarement des erreurs dans ce domaine;
ces erreurs, quand elles ont lieu, concernent en général, comme il a été dit, la
compréhension du rapport de détermination des éléments dont sont constitués les mots
composés de la langue allemande.
d) La périphrase
La périphrase ou circonlocution (ἡ περίφρασις, circonlocutio), qui consiste à
remplacer un mot simple par une locution de même sens, est connue depuis longtemps
comme procédé de la traduction indirecte.
On lit dans le fragment Sur les causes de la parole (l750) de du Marsais : “Il arrive souvent
que les traducteurs ne peuvent rendre des façons de parler par d’autres qui y répondent exactement; alors on a
recours (...) à la périphrase.”31
Dans ses Nuits attiques (XI, 16), Aulu-Gelle écrit au sujet de la traduction du terme grec
πολυπραγμοσύνη en latin : “Adjecimus saepe animum ad vocabula rerum non paucissima, quae neque
singulis verbis, ut a Graecis, neque si maxime pluribus eas res verbis dicamus, tam dilucide tamque apte
demonstrari Latina oratione possunt, quam Graeci ea dicunt privis vocibus. Nuper etiam cum allatus esset ad
nos Plutarchi liber, et ejus libri indicem legissemus, qui erat περὶ πλυγραμνοσύνης, percontenti cuipiam,
quiu et litterarum et vocum Graecorum expers fuit, cujusnam liber, et qua de re scriptus esset; nomen quem
scriptoris statim diximus: rem, de qua scriptum fuit, dicturi haesimlus. (...) Quamobrem, cum diutule tacitus in
cogitando fuissem, respondi talmen, non viuderi mihi, sighnificari ealm rem posse uno nomine: et idcirco juncta
oratione, quid vellet Graecum id verbum, pararam dicere. Ad multas res aggressio, earumque omniumrerum
actio, πολυπραγμοσύνη. Graece dicitur, de qua hunc librum compositum esse, inscriptio ista indicat.”32
La périphrase n’est acceptable dans une traduction que si elle est absolument
nécessaire, c’est-à-dire si on ne peut faire autrement, faute de quoi elle est un commentaire
inutile; encore doit-elle être, si on ne peut s’en passer, la plus courte possible.
29 Theodor Fontane, Effi Briest, Verlag Ullstein, Frankfurt am Main, 1976, p. 51.
30 Theodor Fontane, Romans, Éditions Robert Laffont, Paris, 1981, p. 605.
31 Logique et principes de grammaire, Par du Marsais, Nouv. édition, De l’Imprimerie d’Auguste Delalain,
Paris, 1818, p. 70.
32 Œuvres complètes d’Aulu-Gelle, Nouvelle édition, Tome second, Garnier Frères, Paris, 1863, pp. 81-83.
558
Il en est ainsi dans la traduction des adjectifs ou participes substantivés, par
exemple, quand on traduit das Schöne par ce qui est beau, das Wunderbare par ce qui
est merveilleux, der Sprechende par celui qui parle, die Lachende par celle qui rit, der
Angesprochene par celui à qui on adresse la parole, das schon Besprochene par les
choses dont on a déjà parlé, das immer wieder zu Besprechende par les choses dont il
faut parler sans cesse et das immer von Neuem Anzuschauende par les choses qu’il faut
toujours envisager d’un regard neuf.
Dans Jenseits von Gut und Böse (1886), Nietzsche écrit : “Das Zornige und Ehrfürchtige, das
der Jugend eignet, scheint sich keine Ruhe zu geben, bevor es nicht Menschen und Dinge so zurecht gefälscht
hat, dasz es sich an ihnen auslassen kann -- Jugend ist an sich schon etwas Fälschendes und Betrügerisches.”33
Dans Par-delà le Bien et le Mal (1903), Henri Albert traduit : “Le penchant à la colère et l’instinct de
vénération, qui sont le propre de la jeunesse, semblent n’avoir de repos qu’ils n’aient faussé hommes et choses
pour pouvoir s’y exercer. La jeunesse, par elle-même, est déjà quelque chose qui trompe et qui fausse.”34 La
traduction des quatre adjectifs neutres substantivés consiste ici en quatre périphrases : les deux
premières sont beaucoup trop précises, les deux autres choquent à cause de l’identification de la
jeunesse à une chose. Dans Par-delà le Bien et le Mal (1951), Geneviève Bianquis traduit : “L‘humeur
courroucée ou respectueuse qui est propre à la jeunesse semble ne pas vouloir se donner de cesse qu’elle n’ait
dénaturé choses et gens jusqu’au point où elle pourra se donner libre cours. La jeunesse est par elle-même
encline à falsifier et à tromper.”35 Les deux premières périphrases sont modifiées, mais elles ont le
même défaut que les précédentes; les deux autres ont été supprimées. Dans Par-delà le Bien et le Mal
(1991), révisant la version de Henri Albert, Marc Sautet traduit : “Le penchant à la colère et l’instinct de
vénération, qui sont le propre de la jeunesse, semblent n’avoir de repos qu’ils n’aient faussé hommes et choses
pour pouvoir s’y exercer. La jeunesse, en soi, est déjà quelque chose qui trompe et qui fausse.”36 Le réviseur,
n’ayant rien à reprocher à Henri Albert, laisse les quatre périphrases dans l’état où elles étaient; il
échange seulement par elle-même contre en soi, ce qui n’est peut-être pas une amélioration. Dans
Par-delà le Bien et le Mal (1993), révisant la version de Henri Albert, Jacques Le Rider traduit : “La
colère et la révérence, qui sont le propre de la jeunesse, semblent ne pas vouloir connaître de repos,
avant d’avoir assez dénaturé hommes et choses pour se donner libre cours. La jeunesse est par ellemême encline à dénaturer et à tromper.” 37 Les quatre périphrases de Henri Albert ont été
supprimées : pour les deux dernières, le réviseur a pratiquement repris la version de sa devancière.
La périphrase et la translation lexicale ne doivent pas être confondues : il est, en
effet, des translations lexicales qui ne sont pas des périphrases, et il est des périphrases qui
sont plus que de simples translations lexicales.
33 Friedrich Nietzsche, Werke in drei Bänden, Herausgegeben von Karl Schlechta, Zweiter Band, Carl Hanser
Verlag, München, 1955, p. 596.
34 Frédéric Nietzsche, Par delà le Bien et le Mal, Tr. par Henri Albert, Mercure de France, Paris, 1929, p. 63.
35 Nietzsche, Par delà le Bien et le Mal, Tr. de Geneviève Bianquis, Éditions Montaigne, Paris, 1951, p. 79.
36 Nietzsche, Par delà le Bien et le Mal, Tr. d’Henri Albert, Revue par Marc Sautet, Librairie Générale
Française, Paris, 1991, pp. 87-88.
37 Friedrich Nietzsche, Œuvres, Édition dirigée par J. Lacoste et J. le Rider, Tome 2e, Éds Robert Laffont, Paris,
1993, p. 587.
559
Ainsi, quand on traduit rot werden par rougir, il s’agit bien de translation
lexicale, mais il n’y a aucune périphrase; quand on traduit müssen par il me faut, être
forcé de, être obligé de ou être contraint de, on procède par translation lexicale et on a
bien des périphrases; mais lorsqu’on traduit müssen par ne pas pouvoir s’empêcher de
ou je ne pas pouvoir faire autrement que de, ce sont bien des périphrases, mais ce sont
aussi des transpositions logiques, non de simples translations lexicales.
§ 2 La translation syntaxique
La translation syntaxique, la deuxième forme de translation grammaticale, consiste
à modifier dans la langue de traduction, par nécessité, l’ordre des mots de la langue
originale.
Le procédé était connu des traducteurs à l’époque classique.
Dans son traité De la traduction (1660), Gabriel de Tende le nomme une transposition, terme
qui désigne en ce temps-là une inversion dans le discours : “Il arrive quelquefois, écrit-il, que les mots, les
membres d’une période, et les périodes mémes sont disposés en Latin d’une façon qui ne revient pas à la
disposition du François. Alors on peut les transposer, et les mettre comme l’usage de la langue Françoise le
demande.”38
a) Dans le groupe de mots
Dans le groupe de mots, la translation la plus fréquente est celle de l’adjectif épithète
déterminant un substantif.
Elle s’impose quand son antéposition, obligatoire en allemand, est impossible en
français : ainsi, on peut bien traduire eine dicke Frau par une grosse femme, mais on est
contraint de traduire ein weiszer Hund, étant donné que la forme un blanc chien est
inusitée, par un chien blanc.
Dans Der letzte Zivilist (1935) de Ernst Glaeser, on lit : “Er trug seinen hellen Anzug aus
englischem Leinen und in der linken Hand ein Zeitungsblatt, das er beim Gehen heftig schwang. Sein
aschblondes Haar hing in einer Tolle über die gerötete Stirn.”39 On ne pouvait pas traduire : “Il portait son
clair costume en anglais lin et dans sa gauche main, un journal qu’il brandissait avec force tout en marchant.
Ses blond cendré cheveux pendaient en toupet sur son rouge front.” Dans Le dernier civil (1937), Jean-Paul
de Dadelsen traduit à juste titre : “Il portait son costume clair en lin anglais et dans la main gauche, un
journal qu’il agitait furieusement en marchant. Ses cheveux blond cendré tombaient en une grande mèche sur
son front rouge.”40 Dans ce passage, tous les adjectifs épithètes de la langue originale ont dû être
translatés dans la langue de traduction.
38 De la Traduction, ou Règles pour apprendre à traduire la langue Latine en la langue Françoise, Par le Sieur
de l’Estang, À Paris, Chez Jean Le Mire, 1660, p. 248.
39 Ernst Glaeser, Der letzte Zivilist, Europäischer Merkur, Paris, 1935, p. 81.
40 Ernst Glaeser, Le dernier civil, Traduit de l’allemand par Jean-Paul de Dadelsen, Éditions Bernard Grasset,
Paris, 1937, p. 84.
560
L’adjectif épithète pouvant en français, dans certaines conditions, être placé
devant le substantif qu’il détermine, sa translation de l’allemand en français est une affaire
d’usage : elle ne doit donc en aucun cas être considérée comme une règle absolue.
Dans les Wilhelm Meisters Wanderjahre (1821), Goethe écrit : “Sein kosmetischer
Kammerdiener, der ihn auch bei dieser Landpartie nicht verlassen hatte, schien einige Zeit her einen andern
Weg einzuschlagen.” 41 Dans Les années de voyage de Wilhelm Meister (1860), Jacques Porchat
traduit : “Son cosmétique valet de chambre, qui ne l’avait pas abandonné, même au milieu de cette excursion
champêtre, semblait, depuis quelque temps, entrer dans une autre voie.”42 Dans Les années de voyage de
Wilhelm Meister (1861), Théophile Gautier Fils traduit : “Son valet de chambre cosmétique, qui ne l’avait
pas abandonné dans ses excursions, semblait, depuis quelque temps, entrer dans une autre voie.”43 L’adjectif
cosmétique est employé ici de manière abusive; mais, à l’évidence, pour ce qui est de la place, seule la
seconde traduction est acceptable.
Dans Der Antichrist (1888), Nietzsche écrit : “Der reine Geist ist reine Lüge.” 44 Dans
L’Antéchrist (1899), Henri Albert traduit : “Le pur esprit est pur mensonge.”45 Dans L’Antéchrist (1967),
Robert Rovini traduit : “Le pur esprit est le mensonge pur.”46 Dans L’Antéchrist (1967) Dominique
Tassel traduit : “Le pur esprit, c’est le pur mensonge.”47 Dans L’Antéchrist (1974), Jean-Claude Hémery
reprend la traduction de Henri Albert : “Le pur esprit est pur mensonge.”48 Dans les Œuvres (1993) de
Nietzsche, Jacques Le Rider maintient telle quelle la traduction d’Henri Albert : “Le pur esprit est pur
mensonge.”49 Dans L’Antéchrist (1994), Éric Blondel, enfin, reprend la traduction de Dominique
Tassel : “Le pur esprit, c’est le pur mensonge.”50 L’obligation de traduire reiner Geist par pur esprit
entraînait celle de traduire reine Lüge par pur mensonge : la traduction de Robert Rovini, qui ne
traduit pas le parallélisme de l’original, est évidemment fautive.
Le complément de l’adjectif ou du participe se plaçant d’ordinaire en allemand avant
l’adjectif ou le participe qu’il détermine, sa traduction en français exige une
translation : ainsi, on traduit einen Fusz breit par large d’un pied et auf dem Boden
liegend par allong sur le sol. Lorsqu’un tel groupe adjectival ou participial, placé devant
le substantif qu’il détermine pour former ce qu’on appelle traditionnellement une
proposition qualificative, est translaté, lors de sa traduction en français, après le substantif
correspondant, on a une double translation : celle de l’adjectif ou du participe par rapport
au substantif et celle du complément de l’adjectif ou du participe par rapport à l’un ou
l’autre de ces derniers.
41 Goethes Werke, Band VIII, Carl Wegner Verlag, Hamburg, 1961, p. 199.
42 Œuvres de Goethe, Traduction nouvelle par Jacques Porchat, Tome septième, Librairie de Louis Hachette et
Compagnie, Paris, p. 190.
43 Wilhelm Meister, Par Goethe, Traduction complète et nouvelle par M. Théo. Gautier Fils, Charpentier,
Libraire-Éditeur, Paris, 1861, p. 345.
44 Friedrich Nietzsche, Der Antichrist, Insel Verlag, Frankfurt am Main, 1991, p. 19.
45 Frédéric Nietzsche, Le Crépuscule des Idoles, Tr. par Henri Albert, Mercure de France, Paris, 1942, p. 250.
46 Frédéric Nietzsche, L’Antéchrist, Traduction par Robert Rovini, Jean-Jacques Pauvert, 1967, p. 85.
47 L’Antéchrist, Par Nieztsche, Tr. par Dominique Tassel, Union Générale d’Éditions, Paris, 1967, p. 16.
48 Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Tr. de l’all. par Jean-Claude Hémery, Éds Gallimard, Paris, 1974, p. 19.
49 Friedrich Nietzsche, Œuvres, Édition dirigée par Jean Lacoste et Jacques Le Rider, Tome second, Éditions
Robert Laffont, Paris, 1993, p. 1045.
50 Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, Traduction inédite par Éric Blondel, Flammarion, Paris, 1994, p. 51.
561
On lit dans le Beethoven (1870) de Richard Wagner : “Wie der Traum es jeder Erfahrung
bestätigt, steht der vermöge der Funktionen des wachen Gehirnes angeschauten Welt eine zweite, dieser an
Deutlichkeit gleichkommende, nicht minder als anschaulich sich kundgebende Welt zur Seite, welche als Objekt
jedenfalls nicht auszer uns liegen kann.”51 Dans son Beethoven (1948), Jean Boyer traduit : “Comme le
rêve le confirme à toute expérience, le monde perçu en vertu des fonctions du cerveau à l’état de veille
s’accompagne d’un autre, entièrement égal à lui en netteté, non moins perceptible par intuition, mais qui
objectivement ne peut être situé hors de nous.”52 Que l’on prenne la peine de comparer cette traduction à
l’original, et l’on verra apparaître, pour chacune des deux propositions qualificatives, la double
translation dont je viens de parler.
Il convient de distinguer de la translation syntaxique ainsi définie ce qu’on
devrait appeler la translation phraséologique, c’est-à-dire l’inversion qu’on est contraint
d’effectuer pour rendre certaines expressions figées.
Il en est ainsi quand on traduit früh und spät par soir et matin, aus- und
eingehen par entrer et sortir, bei Wasser und Brot sitzen par être au pain et à l’eau, er
mag recht oder unrecht sein par qu’il ait tort ou raison et sie halten auf Tod und Leben
zusammen par ils sont liés à la vie à la mort. De même, on est contraint de traduire ich
und mein Bruder par mon frère et moi et non par moi et mon frère, qui serait contraire à
nos usages.
On lit dans Der Heilige (1880) de Conrad Ferdinand Meyer : “Tag und Nacht ging alles
Träumen und Sinnen meines Königs darauf hin, wie er Herrn Thomas seiner Primaswürde, an der, wie er sich
einredete, die Verehrung der Sachsen hing, rechtsgültig und für immer entkleide.”53 Dans Le saint (1949),
Léon Mis traduit : “Nuit et jour, toutes les rêveries, toutes les réflexions de mon roi avaient pour objet la
manière dont il pourrait dépouiller sire Thomas, légalement et pour toujours, de sa dignité de primat, à laquelle
il était persuadé qu’était attachée la vénération des Saxons.”54 Comme la locution jour et nuit existe aussi,
on peut présumer que notre traducteur considère la forme inversée comme la seule correcte.
Dans ce cas, en effet, il ne s’agit pas d’une modification de l’ordre syntaxique,
mais d’un changement de l’ordre phraséologique des éléments du discours.
b) Dans la proposition
Dans la proposition, l’ordre grammatical est souvent différent en allemand et en
français, de sorte que le traducteur est obligé de procéder à des translations syntaxiques.
51 Richard Wagner, Beethoven, Traduction par Jean Boyer, Éditions Montaigne, Paris, 1948, p. 86.
52 Richard Wagner, Beethoven, Traduction par Jean Boyer, Éditions Montaigne, Paris, 1948, p. 87.
53 C. F. Meyer, Der Heilige, Traduction de Léon Mis, Éditions Montaigne, Paris, 1949, p. 226.
54 C. F. Meyer, Der Heilige, Traduction de Léon Mis, Éditions Montaigne, Paris, 1949, p. 227.
562
a) La translation du verbe
Il en est ainsi du verbe, qui doit souvent être déplacé d’une langue à l’autre,
comme quand on traduit dann ging er par puis il partit, seit immer, denke ich par
depuis toujours, je pense, ou da sie am nächsten Morgen verschwunden war par comme
elle avait disparu le lendemain matin.
On peut résumer la question de la translation du verbe de la langue allemande
dans la langue française en trois points.
1°) En premier lieu, dans une proposition allemande de caractère affirmatif,
principale ou indépendante, le verbe ou plus précisément la forme conjuguée du verbe est
nécessairement à la seconde place : autrement dit, il ne peut donc y avoir qu’un élément de
la proposition avant le verbe, qu’il s’agisse du sujet ou d’un quelconque complément.
Quand ce premier élément n’est pas le sujet, le sujet suit le verbe, soit immédiatement, soit
séparé du verbe par un complément.
On dit donc, par exemple, mein Vater hatte zu jener Zeit eine Wohnung in
Paris, qu’on traduit par mon père avait en ce temps-là un appartement à Paris, zu jener
Zeit hatte mein Vater eine Wohnung in Paris, qu’on traduit par en ce temps-là, mon
père avait un appartement à Paris et in Paris hatte zu jener Zeit mein Vater eine
Wohnung, qu’on traduit par à Paris, en ce temps-là, mon père avait un appartement.
2°) En second lieu, dans une proposition allemande de caractère interrogatif, le
verbe est généralement, sauf si la proposition commence par un mot interrogatif, à la
première place.
On dit donc, par exemple, hatte dein Vater zu jener Zeit eine Wohnung in
Paris ? qu’on traduit par ton père avait-il en ce temps-là un appartement à Paris ? ou
hatte dein Vater eine Wohnung in Paris zu jener Zeit ? qu’on traduit par ton père avaitil un appartement à Paris en ce temps-là ? Il en est de même des propositions
exclamatives comme Hätte nur dein Vater eine Wohnung in Paris zu jener Zeit gehabt !
qu’on traduit par Ah ! si seulement ton père avait eu en ce temps-là un appartement à
Paris !
3°) En troisième lieu, enfin, les propositions subordonnées se distinguent des
propositions principales ou indépendantes par le fait que la forme conjuguée du verbe s’y
trouve à la dernière place.
On dit donc, par exemple, dein Vater, der zu jener Zeit eine Wohnung in Paris
hatte qu’on traduit par ton père qui avait en ce temps-là un appartement à Paris ou weil
dein Vater zu jener Zeit eine Wohnung in Paris hatte qu’on traduit par parce que ton
père avait en ce temps-là un appartement à Paris.
563
Dans ces trois cas, le traducteur est généralement obligé de modifier dans la
phrase française la place qu’occupe le verbe dans la phrase allemande, c’est-à-dire de
procéder aux translations syntaxiques du verbe qui sont nécessaires pour traduire de
l’allemand en français.
Ces choses sont exposées avec assez de détails dans les grammaires de la langue
allemande pour qu’il soit nécessaire de s’y attarder ici.
b) La translation de la négation
Dans la traduction de l’allemand en français, l’adverbe de négation doit être
translaté toutes les fois que, dans la langue allemande, il est, pour une raison quelconque,
à une place différente de celle qu’il occupe dans la langue française.
Ainsi, quand on traduit er beantwortete meine Frage nicht par il ne répondit
pas à ma question, ich erinnere mich an dich nicht mehr par je ne me souviens plus de
toi, er mag die Ersbensuppe überhaupt nicht par il n’aime absolument pas la soupe aux
pois, er hat seine Weisheitszähne noch nicht par il n’a pas encore ses dents de sagesse,
er hatte auf mich nicht lange gewartet par il ne m’avait pas attendu longtemps, et sie
brachte den Kindern das versprochene Geschenk nicht par elle n’apporta pas à ses
enfants le cadeau qu’elle avait promis, on effectue une translation de la négation.
Au contraire, quand on traduit er hat mich kaum gesehen, par il m’a à peine vu,
ich dachte nicht an ihn par je ne pensais pas à lui, er antwortete nicht auf meine Frage
par il ne répondit pas à ma question, nicht jeder darf zu ihm gehen par ce n’est pas tout
le monde qui peut aller chez lui, nicht sein Vater ist zu dir gekommen par ce n’est pas
son père qui est venu chez toi, nicht erzählt wird, was daraus entstand par l’histoire ne
dit pas ce qu’il en résulta, nicht danach habe ich dich gestern gefragt par ce n’est pas ce
que je t’ai demandé hier, nicht deswegen bin ich nach Berlin gefahren par ce n’est à
cause de cela que je suis allé à Berlin, nicht sogleich hat sie ihre Mutter angerufen par
ce n’est pas tout de suite qu’elle a appelé sa mère et mein Freund ist in dieser Zeit nie
zu Hause zu sehen par mon ami n’est jamais visible chez lui en ce moment, on
n’effectue aucune translation de la négation.
Dans Malina (1971), Ingeborg Bachmann écrit : “Doch ich komme nie dahinter, ob sie nur etwas
dagegen hat, dasz ich morgens zerschlagen herumgehe, nicht weisz, ob Ata oder Imi gekauft werden soll, ob sie
nur etwas dagegen hat, dasz ich nicht genau abrechne und ihre mühevollen Additionen nicht prüfe, oder ob es
nicht vielmehr meine Sätze sind, die ich äuszere, und ob sie diese Gedanken errät, die ihr das Recht geben, mich
zu töten.”55 Dans Malina (1973), Philippe Jaccottet traduit : “Néanmoins, je n’arrive jamais à savoir si ce
qui la choque, c’est de me voir traîner ma fatigue le matin, de ne pas faire la différence entre Omo et Ala, mal
tenir mes comptes, ne pas vérifier ses laborieuses additions, ou si ce sont les propos que je tiens, et si elle devine
ces pensées qui lui donneraient le droit de me supprimer.”56 Toutes les négations sont correctement
traduites, sauf la dernière qui portait précisément sur un élément seulement de la phrase.
55 Ingeborg Bachmann, Malina, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main, 1971, p. 124.
56 Ingeborg Bachmann, Malina, Traduit de l’all. par Philippe Jaccottet, Éditions du Seuil, Paris, 1991, p. 97.
564
On remarquera que la translation de la négation n’est nullement liée au caractère
de cette négation, c’est-à-dire au fait qu’elle porte sur le sujet, sur l’ensemble du prédicat
ou sur un élément seulement du prédicat.
Ainsi, on traduit ich bin gestern nach Wien nicht gefahren par je ne suis pas
allé à Vienne hier ou je ne suis pas allé hier à Vienne, mais on traduira de la même façon
ich bin gestern nicht nach Wien gefahren par je ne suis pas allé à Vienne hier ou je ne
suis pas allé hier à Vienne et même encore, de la même manière, ich bin nach Wien
nicht gestern gefahren par je ne suis pas allé à Vienne hier ou je ne suis pas allé hier à
Vienne.
La négation d’un élément particulier de la proposition sera rendue ici en français
par l’accentuation de cet élément dans la phrase et non par son emplacement dans le
discours.
En revanche, on peut traduire gestern bin ich nach Wien nicht gefahren par
hier, je ne suis pas allé à Vienne, gestern bin ich nicht nach Wien gefahren par hier, ce
n’est pas à Vienne que je suis allé, nach Wien bin ich gestern nicht gefahren par à
Vienne, je n’y suis pas allé hier et nach Wien bin ich nicht gestern gefahren par à
Vienne, ce n’est pas hier que j’y suis allé.
La traduction de la mise en relief d’un élément de la phrase par le procédé de
l’inversion est, en effet, une chose indépendante de la traduction de la place de la négation
dans la phrase.
D’une manière générale, du reste, l’inversion, même si elle sert souvent à la mise
en relief d’un élément du discours, ne doit pas être confondue avec elle.
Ainsi, on lit dans Canto (1963) de Paul Nizon : “Die Riesenpalme im Park, an ihr geh ich vorbei
vielmals täglich.”57 Dans Canto (1991), Georges Pauline traduit : “Le palmier géant du parc, je passe
souvent devant lui dans la journée.”58 On a ici à la fois, inversion et, dans l’inversion, mise en relief de
l’élément placé en tête de la phrase : cette mise en relief renforcée ne peut être rendue à la lettre en
français.
Si l’inversion d’une phrase allemande à la forme affirmative ne peut pas être
rendue en français, elle ne peut généralement pas l’être davantage quand cette phrase
allemande est à la forme négative.
c) La translation de l’objet
La traduction de la place de l’objet dans la proposition est une question souvent
délicate.
57 Paul Nizon, Canto, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 1994, p. 53.
58 Paul Nizon, Canto, Traduit de l’allemand par Georges Pauline, Actes Sud, Arles, 1997, p. 122.
565
Deux questions particulières se posent : la traduction de la place l’objet par
rapport au terme et la traduction de la place de l’objet par rapport aux circonstants.
Dans la phrase allemande, le terme est placé le plus souvent avant l’objet, alors
que c’est l’inverse qui est plutôt vrai en français.
Dans sa Grammaire française (1709), Claude Buffier écrit : “Si deux régimes sont à peu près
égaux, il faut consulter ce qui doit être naturellement le plus attaché au mot régissant: le régime absolu par cette
raison doit ordinairement précéder le régime respectif; et on dirait, l’Évangile inspire la piété aux fidèles,
plutôt que l’Évangile inspire aux fidèles la piété. On dirait de même l’Évangile inspire une piété solide à
tous ceux qui ont le cœur droit; plutôt que inspirent à tous ceux qui ont le cœur droit, une piété
solide.“59
Une translation syntaxique est donc ici nécessaire dans la traduction de
l’allemand en français, du moins tant que l’objet n’est pas plus long que le terme.
Ainsi, on traduit er schenkte seinem Bruder ein Buch par il offrit un livre à son
frère, er gab seinem Pferd einen Klaps par il donna une tape à son cheval, er reichte
dem Artz die Hand par il tendit la main au médecin et die französische Republik
erklärte der Welt den Frieden par la République française déclara la paix au monde.
Néanmoins, dès que l’objet est plus long que le terme, il doit normalement être
placé, dans la phrase française, après ce dernier.
On traduit donc er streckte dem Arzt die Hand par il tendit la main au
médecin, er risz der Spinne ein Bein aus par il arracha une patte à l’araignée, er
schenkte der Frau ein paar Blumen par il offrit quelques fleurs à la femme, ich gab dem
Hund drei Stockschläge par je donnai trois coups de bâton au chien, mais on traduit sie
gab ihrer Tochter einen alten goldenen Ring der Groszmutter par elle donna à sa fille
un vieil anneau d’argent de sa grand-mère, er erzählte seinem Vater vom Leid, das man
ihr zugefügt par il raconta à son père le mal qu’on lui avait fait et wir brachten dem
Lehrer eine Heuschrecke, die wir auf der Landstrasze gefunden hatten par nous
apportâmes au maître une sauterelle que nous avions trouvé sur la route.
La langue allemande offre la possibilité d’inverser l’ordre habituel de l’objet et du
terme, afin de mettre en valeur l’objet de la phrase.
Il en est ainsi quand on dit er schenkte ein wunderbares Buch seinem Bruder,
phrase qu’on traduit par il offrit à son frère un livre merveilleux; on remarquera que la
phrase er schenkte seinem Bruder ein wunderbares Buch, au contraire, où l’on retrouve
l’ordre habituel des compléments, doit être traduite par il offrit un libre merveilleux à
son frère. La translation syntaxique permet ici dans les deux cas de rendre exactement
l’intention de l’auteur.
59 Grammaire française sur un plan nouveau, Nouv. éd., Par le Père Buffier, À Paris, Chez Marc Bordelet, 1741,
pp. 313-314.
566
Dans Blütenstaub (1798), Novalis écrit : “Es sind viele antirevolutionäre Bücher für die
Revolution geschrieben worden. Burke hat aber ein revolutionäres Buch gegen die Revolution geschrieben.”60
On pouvait traduire : “Bien des livres contre-révolutionnaires ont été écrits pour la révolution. Mais Burke a
écrit un livre révolutionnaire contre la révolution.” Une telle traduction, toutefois, en négligeant le
déplacement de l’objet dans la seconde phrase, ne rendait pas l’intention de l’auteur. “Dans Grains de
pollen (1947), Geneviève Bianquis traduit : “Beaucoup de livres antirévolutionnaires ont été écrits en faveur
de la révolution. Mais Burke a écrit contre la révolution un livre révolutionnaire.”61 Grâce à l’inversion de
l’ordre des compléments dans la seconde phrase, cette traduction rend l’intention de l’auteur, qui
était d’y mettre l’objet en valeur en le plaçant avant le circonstant.
Ce genre de translation n’est toutefois pas possible lorsque l’objet est trop court;
ainsi, la phrase er schenkte ein Buch seinem Bruder, dans laquelle l’ordre des
compléments a été inversé, ne peut être traduite par il offrit à son frère un livre, qui
reproduirait, par translation syntaxique, la même mise en valeur de l’objet, à cause de sa
trop grande brièveté; il faut donc se satisfaire de la traduction il offrit un livre à son frère,
qui ne rend pas complètement l’intention de l’auteur.
Dans la langue française comme dans la langue allemande, les circonstants, à
moins qu’ils ne soient au début de la phrase, sont généralement placés après l’objet.
En français, toutefois cet ordre peut varier, surtout en fonction de la longueur des
compléments, les compléments les plus courts précédant en général les compléments les
plus longs : un objet peut donc être placé après un circonstant, dans le cas où il est plus
long que lui.
Dans la langue allemande, au contraire, la variation de l’ordre de l’objet et des
circonstants ne dépend généralement pas de leur longueur, mais de leur importance
sémantique les uns par rapport aux autres : ainsi l’objet, s‘il est le complément le plus
important, peut être placé, à la fin de la proposition, même s’il est le plus court.
Il en résulte que, dans ce cas, dans la traduction de l’allemand en français, une
translation syntaxique est nécessaire.
Ainsi, on devra traduire er hielt in der Hand einen Fischkopf par il tenait une
tête de poisson dans sa main, er nahm aus dem Schrank seine Uniform par il prit son
uniforme dans l’armoire, ich rauche seit lange keinen Tabak mehr par je ne fume plus
de tabac depuis longtemps, wir erblickten im Baum die Katze nicht par nous
n’aperçûmes pas le chat dans l’arbre, er pflügte schon beim Sonnenaufgang den Acker
par il labourait son champ dès le lever du soleil, sie sprachen während der Mahlzeit
kein Wort par ils ne dirent pas un mot durant le repas, das Mädchen schritt am Arm des
Vaters die Treppe hinunter par la fille descendit l’escalier au bras de son père et der
Bach stürzte in kleinen Kaskaden den Hügel hinab par le ruisseau dévalait la colline en
petites cascades.
60 Novalis, Petits écrits, Traduit par Geneviève Bianquis, Éditions Montaigne, Paris, 1947, p. 78.
61 Novalis, Petits écrits, Traduit par Geneviève Bianquis, Éditions Montaigne, Paris, 1947, p. 78.
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Dans Die letzte Matinee (1955), Martin Walser écrit : “Wenn ich an sie denke, sehe ich das
aufleuchtende Gesicht eines Ornithologen vor mir, der in einem Schwarm dalmatinischer Störche die
Polarmöwe entdeckt.”62 Dans La dernière matinée (1971), Anne Gaudu traduit : “Quand je pense à eux, je
me représente le visage illuminé d’un ornithologue découvrant une mouette polaire dans un vol de cigognes de
Dalmatie.”63 Le complément d’objet, qui était derrière le complément de circonstance dans la phrase
allemande a dû être translaté devant lui dans la phrase française.
De même, dans Die Stunde der wahren Empfindung (1975), Peter Handke écrit : “Keuschnig
betrachtete durch die halboffene Tür zum hinteren Zimmer seine schlafende Frau.” 64 On pouvait
traduire : “Keuschnig considéra sa femme en train de dormir par la porte entrouverte de la chambre du fond.”
Dans L’heure de la sensation vraie (1977), Georges-Arthur Goldschmidt traduit : “Keuschnig regarda sa
femme dormir par la porte entrouverte de la chambre du fond.”65 Dans les deux cas, l’objet, qui était après
le circonstant dans la phrase allemande, a dû être translaté devant lui dans la phrase française.
Au contraire, la translation syntaxique devient inutile pour traduire en français
des phrases allemandes de construction inverse.
Ainsi, on traduit man asz süszes Gebäck zum Wein par on mangea des petit
gâteaux avec le vin, er zog seine Mütze über den Kopf par il mit son bonnet sur la tête,
er leerte das Glas auf einen Zug par il vida son verre d’un trait, er schüttelke die Hände
vor Ekel par il secoua ses mains de dégoût, sie liesz Tee aufs Zimmer bringen par elle
se fit monter du thé dans la chambre, er hält das Glas in der bloszen Hand par il tenait
le verre dans sa main nue, wir sahen nichts mehr in der Finsternis par nous ne voyions
plus rien dans l’obscurité, ich spürte einen Blutgeschmack im Munde par je sentis un
goût de sang dans ma bouche, wir sahen keine Schmetterlinge mehr im Garten par
nous vïmes plus de papillons dans le jardin, et die Frau legte die Hände flach auf den
Kopf par la femme posa ses mains à plat sur sa tête.
Dans Der Vorleser (1995), Bernhard Schlink écrit : “Frau Schmitz bügelte; sie hatte eine
Wolldecke und ein Leintuch über den Tisch gebreitet und nahm ein Wäschestück nach dem anderen aus dem
Korb, bügelte es und legte es auf den einen der beiden Stühlen.”66 En suivant l’ordre des compléments de
l’original, on pouvait traduire : “Madame Schmlitz repassait; elle avait étendu une couverture de laine et un
drap sur la table et prenait une pièce de linge après l’autre dans la corbeille, la repassait, la pliait, et la mettait
sur l’une des deux chaises.” Dans Le liseur (1996), Bernard Lortholary traduit : “Madame Schmitz était en
train de repasser; elle avait étendu sur la table une couverture de laine et un drap, elle prenait dans la corbeille
une pièce de linge après l‘autre, la repassait, la pliait et la posait sur l’une des deux chaises.”67 La translation
des compléments d’objet à la fin des propositions n’était nullement nécessaire ici.
62 Martin Walser, Ein Flugzeug über dem Haus und andere Geschichten, Suhrkamp Verlag, Frankfurt am Main,
l974, p. 116.
63 Martin Walser, Histoires pour mentir, Traduite de l’allemand par A. Gaudu et Raymond Barthe, Éditions
Gallimard, Paris, l971, p. 74.
64 Peter Handke, Die Stunde der wahren Empfindung, Suhrkamp Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main,
1991, p. 11.
65 Peter Handke, L’heure de la sensation vraie, Traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmlidt,
Éditions Gallimard, 1977, p. 13.
66 Bernhard Schlink, Der Vorleser, Diogenes Taschenbuch Verlag, Zürich, 1997, pp. 13-14.
67 Bernhard Schlink, Le liseur, Traduit de l’all. par Bernard Lortholary, Éds Gallimard, Paris, 1996, p. 16.
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d) La translation des circonstants
L’ordre des circonstants de la phrase allemande les uns par rapport aux autres
doit aussi parfois être modifié pour parvenir à une phrase française correctement
construite.
Dans son travail de rangement des circonstants, le traducteur doit considérer que
les adverbes et les particules verbales font partie de ces circonstants, au même titre que les
noms, les pronoms et les groupes nominaux exerçant la fonction de compléments
circonstanciels.
La plupart du temps, l’ordre des circonstants étant le même dans les deux
langues, aucune modification n’est à apporter par le traducteur à l’ordre des circonstants
de la langue originale.
Ainsi, on traduit sie folgte langsam im matchigen Schnee par elle suivait
lentement dans la neige boueuse, er lag schon seit einem Monat mitten im Teich par il
gisait déjà depuis un mois au milieu de l’étang, sie sasz eine halbe Stunde lang auf
dem Bette par elle resta assisse une demi-heure sur son lit, er ging dann mit ihr in die
Bar gegen Mitternacht hinunter par il descendit ensuite avec elle au bar vers minuit, sie
spazierten eine ganze Stunde in abgemessenen Schritten durch den Wald par ils se
promenèrent une heure entière à pas mesurés à travers la forêt et dann wollte er mit mir
abends nicht mehr nach Hause zurückfahren par ensuite, il ne voulut plus rentrer avec
moi à la maison le soir.
Dans Gärten und Straszen (1942), Ernst Jünger, qui s’est installé en juin 1940 dans une
maison bourgeoise de Laon, écrit cette phrase nominale : “Zwischendurch Maupassant, den ich in einem
billigen Bändchen unter Schachteln voll Konfekt und ungemein intimen Dingen auf dem Nachttisch neben
meinem Bette fand.”68 Dans Jardins et routes (1942), Maurice Betz traduit : “Entre-temps, Maupassant,
que j’ai trouvé dans une petite édition à bon marché, parmi des boîtes de bonbons et des objets d’un caractère
extraordinairement intime, sur la table de nuit, à côté de mon lit.” 69 Qu’on essaye de déplacer les
circonstants dans cette traduction, on verra que c’est chose impossible : le traducteur ne pouvait sur
ce point commettre aucune erreur.
Dans certains cas, toutefois, le traducteur est amené à déplacer un circonstant de
la langue allemande afin de respecter l’ordre des mots en usage dans la langue française.
68 Ernst Jünger, Gärten und Straszen, Verlag E. S. Mittler und Sohn, Berlin, 1942, p. 154.
69 Ernst Jünger, Jardins et routes, Traduit de l’allemand par Maurice Betz, Plon Éditeur, Paris, 1942, p. 187.
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Il en est ainsi quand on traduit er war jetzt da non par il était maintenant là,
mais par il était là maintenant, er ging zu seinem Freund nicht sogleich non par il n’alla
pas chez son ami tout de suite, mais par il n’alla pas tout de suite chez son ami, ich kann
jetzt abends im Bett nicht lesen non par je ne peux pas maintenant le soir lire au lit,
mais par je ne peux pas maintenant lire au lit le soir et er sasz während der ganzen
Fahrt starr im Fiaker non par il resta assis pendant tout le voyage sans bouger dans le
fiacre, mais par il resta assis sans bouger dans le fiacre pendant tout le voyage.
On s’apercevra de la difficulté de la traduction de l’ordre des circonstants en examinant
cette courte phrase tirée du roman Fausts Leben, Taten und Höllenfahrt (1791) de Friedrich
Maximilian Klinger : “Der Minister ging seufzend und einsam in seinem Zimmer auf und ab.”70 La
meilleure traduction que j’ai trouvée est la suivante : “Le ministre, accablé et solitaire, marchait de long en
large dans sa chambre.” J’ai dû, pour y parvenir, traduire seufzend par accablé, c’est-à-dire effectuer
une métonymie de l’effet à la cause. Dans Vie, exploits et descente aux enfers de Faust (1935), Henri
Roger traduit : “Le ministre, retiré dans sa chambre, se promenait de long en large en soupirant.”71 Dans
cette traduction, où l’ordre des circonstants de l’original a été bouleversé, le complément in seinem
Zimmer a été compris à tort comme celui de l’adjectif einsam et non comme celui du verbe de la
phrase.
Sur ce point, des règles générales sont difficiles à énoncer : en fait, des facteurs de
logique, de grammaire, de phraséologie et de prosodie se combinent pour donner à
chaque phrase son allure singulière.
La meilleure façon de faire est sans doute d’essayer soi-même, à partir des
circonstants de la phrase originale, diverses constructions de ces mêmes éléments dans la
langue de traduction jusqu’à ce qu’apparaisse la meilleure combinaison.
On lit dans Abenteuer der Tugend (1957) de Luise Rinser :”Sie fragen nach meiner Schwester.
Sie ist mit ihrem Mann seit einigen Monaten in den Staaten.”72 On pouvait traduire : “Vous demandez des
nouvelles de ma sœur. Elle est depuis quelques mois en Amérique avec son mari.” Ou : “Vous demandez des
nouvelles de ma sœur. Elle est en Amérique depuis quelques mois avec son mari.” Ou enfin : “Vous demandez
des nouvelles de ma sœur. Elle est avec son mari depuis quelques mois en Amérique.” Cette troisième
construction est la moins bonne et peut être éliminée, quoiqu’elle soit la plus proche de l’original. Des
deux autres, la première est préférable, comme étant la moins éloignée de l’original. Dans Le vol de la
colombe (1959), Addy-Frédérique traduit : “Vous me demandez des nouvelles de ma sœur. Depuis plusieurs
mois, elle est en Amérique avec son mari.”73 Cette dernière traduction a pour principal défaut d’avoir
fait passer, sans aucune nécessité, le complément de temps en tête de la phrase.
Lorsque la translation d’un circonstant est nécessaire, la règle est donc, si l’on
veut que la traduction soit la plus exacte possible, de modifier le moins possible l’ordre des
éléments qui constituent la phrase originale.
70 Friedrich Maximilian Klinger, Fausts Leben, Taten und Höllenfahrt, Aufbau Verlag, Berlin, 1958, p. 104.
71 Friedrich Maximilian Klinger, Vie, exploits et descente aux enfers de Faust, Roman traduit de l’allemand par
Henri Roger, Actes Sud, Arles, 1988, p. 190.
72 Luise Rinser, Abenteuer der Tugend, Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main, 1983, p. 94.
73 Luise Rinser, Le vol de la colombe, Tr. de l’all. par Addy-Frédérique, Éds du Seuil, Paris, 1959, pp. 110-111.
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Lors de manipulations de ce genre, il faut veiller à ne pas modifier dans la langue
de traduction les rapports de détermination qui sont établis dans la langue originale entre les
divers éléments du discours.
Ainsi, dans Irrungen, Wirrungen (1894), Theodor Fontane écrit : “Der Stieglitz schlief schon
lange in seinem Bauer, und man hörte nichts als dann und wann das Zischen des überkochenden Wassers.”74
Dans Errements et tourments (1981), Georges Pauline traduit : ”Le chardonneret dormait depuis
longtemps dans sa cage et on n’entendait que l’eau de la bouilloire déborder par moments à petits jets.”75 Le
circonstant dann und wann se rapportait au verbe hören, non au verbe überkochen; on pensera
peut-être que cela revient au même : pour le contenu, sans doute, mais certainement pas pour la
forme.
À l’inverse, il ne faut pas hésiter à déplacer un élément du discours, si c’est là le
seul moyen de conserver dans la traduction le même rapport de détermination qui se
trouve dans l’original.
Ainsi, on lit dans Wo warst du, Adam ? (1951) de Heinrich Böll : “Sie marschierten durch
Gärten weiter, in denen Melonen faul am Boden lagen, pralle Tomaten an groszen Stauden hingen,
staubbedeckt, an viel zu groszen Stauden, die ihnen fremd vorkamen.” 76 On devait traduire : “Ils
continuaient à marcher à travers des jardins où des melons gisaient, pourris, à même le sol et des tomates
rebondies, couvertes de poussière, pendaient à de grandes tiges, des tiges trop grandes qui leur faisaient une
étrange impression.” Dans Où étais-tu, Adam ? (1956), André Starcky traduit : “Ils poursuivaient leur
marche entre des jardins où des melons pourrissaient sur le sol et des tomates mûres à craquer pendaient à de
grands arbrisseaux poussiéreux, à des arbrisseaux si grands qu’ils leur parurent étranges.”77 Dans l’original,
on remarque que ce sont les tomates qui sont couvertes de poussière, non les tiges des plants de
tomates : il fallait donc translater l’adjectif et son complément, ce qui n’a malheureusement pas été
fait par le traducteur.
La raison de cette translation syntaxique tient à la nécessité, en français, de placer
un groupe adjectival ou un groupe participial, quand ils suivent le terme déterminé,
immédiatement après leur antécédent.
c) Dans la phrase
Au sein de la phrase, la translation syntaxique la plus remarquable est le
déplacement du sujet, dans sa forme nominale, d’une proposition dans la langue originale
à une autre proposition dans la langue de traduction.
74 T. Fontane, Romans, Édition dirigée par Michel-François Demet, Éds Robert Laffont, Paris, 1981, p. 97.
75 T. Fontane, Romans, Édition dirigée par Michel-François Demet, Éds Robert Laffont, Paris, 1981, p. 143.
76 Heinrich Böll, Wo warst du, Adam ? Verlag Ullstein, Berlin, 1961, p. 8.
77 Heinrich Böll, Où étais-tu, Adam ? Editions du Seuil, Paris, 1956, p. 10.
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Ainsi, on traduit als er erwachte, wuszte mein Bruder nicht mehr, wo er lag par
quand mon frère se réveilla, il ne savait plus où il se trouvait, da sie auf Reise war,
konnte Grete den Brief nicht lesen par comme Marguerite était en voyage, elle ne put
lire la lettre ou indem es spielte, merkte das Kind nicht, dasz der Hund sein Butterbrot
aufgefressen hatte par pendant que l’enfant jouait, il ne s’aperçut pas que le chien avait
dévoré sa tartine.
On lit dans la fameuse Aesthetik (1842) de Georg Wilhelm Friedrich Hegel : “Dies ist so sehr
der Fall, dasz die Musik, je mehr in ihr die Einlebung des Inneren in das Bereich der Töne statt des Geistigen
als solchen überwiegt, um so mehr zur Musik und selbständigen Kunst wird.”78 Dans sa traduction de
l’Esthétique (1851) de Hegel, Charles Besnard écrit : “Cela est si vrai que plus la musique s’absorbe dans la
pure mélodie des sons, et se dégage de la pensée formulée par le texte, plus elle est la musique et un art
indépendant.”79 Dans son Esthétique (1944), Serge Jankélévitch traduit : “Ceci est tellement vrai que la
musique devient d’autant plus un art indépendant que la place qu’elle accorde à l’élément purement tonal, aux
dépens du spirituel, est plus grande.” 80 Dans la seconde version, qui est franchement mauvaise,
l’absence de translation du sujet d’une proposition à une autre a amené le traducteur à inverser
inutilement l’ordre des propositions.
Le déplacement des propositions au sein de la phrase doit être limité au strict
nécessaire; néanmoins, il ne faut pas hésiter non plus à déplacer une proposition de façon
à conserver dans la traduction le même rapport de détermination qui se trouve dans
l’original.
Ainsi, on lit dans Andreas (1935) de Hugo von Hofmannsthal : “Der Wagen rollte berab. Vor
ihm war die Sonne und das erleuchtete weite Land, hinter ihm das enge Tal mit dem einsamen Gehöft, das
schon im Schatten lag.”81 On pouvait traduire : “La voiture dévalait de la montagne, devant elle se tenaient
le soleil et le vaste pays illuminé, derrière elle, déjà dans l’ombre, l’étroite vallée avec sa ferme solitaire.” Dans
Andréas (1970), Eugène Badoux traduit : “La voiture descendait la montagne. Andréas avait devant lui le
soleil et, au loin, le vaste pays en pleine lumière, derrière lui, déjà dans l’ombre, l’étroite vallée avec sa ferme
solitaire.”82 Dans les deux traductions, la proposition relative a été à juste titre déplacée dans la
traduction afin d’y maintenir le rapport de détermination tel qu’il se trouvait dans l’original.
78 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Aesthetik, Band II, Aufbau-Verlag, Berlin und Weimar, 1965, p. 329.
79 Hegel, Esthétique, Trad. française par Ch. Bénard, Deuxième édition, Tome 2e, Librairie Germer-Baillère,
Paris, 1875, p. 222.
80 G. W. F. Hegel, La poésie, Traduit de l’allemand par Serge Jankélévitch, Tome 1er, Éditions AubierMontaigne, Paris, 1965, p. 12.
81 Hugo von Hofmannsthal, Andreas, Tr. de l’all. par Eugène Badoux, Éditions Gallimard, Paris, 1994, p. 156.
82 Hugo von Hofmannsthal, Andréas, Tr. de l’all. par Eugène Badoux, Éditions Gallimard, Paris, 1994, p. 157.
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De même, on lit dans Lust (1989) de Elfriede Jelinek : “Die Mutter überwacht das Kind, indem
sie auf ihrer Wohnmauer hockt, damit es dem Kind nicht zu wohl wird.”83 On pouvait traduire : “La mère,
accroupie sur la muraille de la maison, surveille l’enfant, afin que l’enfant ne prenne pas trop ses aises.” Dans
Lust (1991), Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize traduisent : “Juchée sur les murailles de son foyer,
la mère surveille l’enfant, qu’il ne se laisse pas trop vivre.”84 Le verbe hocken est mal traduit, la répétition
du mot Kind a été, à tort, évitée et la proposition finale incorrectement reliée à la principale, mais la
proposition de temps, traduite par un groupe participial, a été, même s’il n’était pas nécessaire de le
mettre en tête de la phrase, déplacée comme il le fallait.
83 Elfriede Jelinek, Lust, Rowohlt Verlag, Reinbek bei Hamburg, 1989, p. 13.
84 E. Jelinek, Lust, Roman traduit de l’all. par Y. Hoffmann et M. Litaize, Éds J. Chambon, Nîmes, 1991, p. 14.