analyse thème sur la famille dans l`amant de duras

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analyse thème sur la famille dans l`amant de duras
Analyse sur la famille dans «l'Amant»
Violence, secrets, misère et amour. A travers «L'Amant», Marguerite Duras nous plonge
dans le quotidien d'une famille cinglante de réalisme. Cette famille, c'est la sienne, où plutôt se
qu'elle fut, perdue en plein cœur de l'Indochine française il y a quelques décennies de cela.
Abandonné par le père, le ménage ne se compose plus que de trois figures essentielles en plus de
Marguerite, à savoir: sa mère, son frère aîné et son frère cadet. A l'aide des réminiscences de
l'écrivaine, on apprend à connaître, à comprendre et à craindre les membres du foyer, qui jouent
tous un rôle dans son développement et la construction de sa propre identité. Cet impact peut lui
être aussi bien bénéfique que néfaste, en fonction des agissements de la personne adjacente. Il
restera cependant toujours formateur et prépondérant à celle qu'elle est par la suite devenue.
Mais qu'a-t-il donc bien pu se passer pour qu'une jeune adolescente se lance tout à coup dans
l'écriture, et pourquoi à-t-elle lentement mais sûrement sombré dans l'alcool, jusqu'à en «dévaster»
son visage? Vivre au sein de cette famille peut-il être considéré comme un «enfer»?
Dans le cadre de cette analyse thématique, nous allons essayer de distinguer et de définir chaque
membre composant le foyer, afin de répondre à ces interrogations. Que ce soit son rapport avec sa
mère, ou sa représentation de ses frères, nous verrons leur fonction dans cette singulière
transformation.
Marie, la mère, est un personnage clé de l'histoire, car elle fait à la fois figure initiatrice et d'amour.
La relation entre la mère et la fille est assez complexe, car la mère est à la fois à la base de toutes les
relations, et également à l'aboutissement de chacune. En effet, c'est bien la mère qui décide de
«vendre» sa fille pour subvenir au besoin du ménage: «Elle ne demande...rien contre nous.» (32).
Son acte est donc à l'origine de la rencontre du chinois de Cholen, ainsi que de leur futur «amour».
Toutefois la fille accepte son statut, elle l'accepte pour sa mère, parce qu'elle sait que d'une façon ou
d'une autre «il faudra bien que l'argent arrive dans la maison» (32). Cette complicité se trouve
renforcée lorsque Marguerite consent aux coups de la mère, pour tenter de palier au désespoir qui
l'accable, et elle «pleure avec elle» (72) pour partager sa culpabilité. Il y a donc une une réelle
volonté de se rapprocher de cette femme qu'elle connaît si peu, de combler ce manque affectueux
dont elle est depuis trop longtemps déjà victime.
On peut aussi penser que cet acte désespéré dépasse la dimension d'amour maternel, et se rapproche
d'une tentative de libération de ce monde misérable. Effectivement, aux yeux de la fille, la mère est
également symbole d'espoir, de renouveau: «Que le rêve...de son espoir.» (57). Cependant, ici
l'espoir est aveugle. Aveugle, parce que l’écriture souligne l’ambivalence de la lutte pour la
séparation couplée à un désir ardent de fusion, ce qui à la fois exprime une volonté d'union, et
l'impossibilité de celle-ci: «Je lui dis...lieu du rêve.» (56-57). L'enfant espère alors, car il est perdu,
il ne sait plus quoi faire, vers qui se rattacher. Dans ses errements, il appelle, il décide de se
raccroche à la lumière d'un infime espoir, pour ne pas à son tour sombrer dans un «état bien pire que
celui de la mort»: la folie.
La mère n’entendra cependant pas l'appel de son enfant. Elle le rejettera, comme elle a auparavant
rejeté Paul, le petit frère. D'ailleurs, après «l'experiment», l'espoir de pouvoir enfin rencontrer sa
mère prendra définitivement fin. La fille la substituera inconsciemment à son amant, être androgyne
«sans forces» et «sans virilité» (48), qui lui conférera la chaleur humaine dont elle manque. De cette
manière, le chinois remplace à la fois cette mère et ce père inconnus. Ce passage marque le début de
l'émancipation de Marguerite, sa rupture prévisible avec celle «qui n'a pas connu la jouissance»
(49), en d'autres termes, sa mère.
Le délaissement des deux plus jeunes enfants, appelés «les autres», au profit du grand frère, va peu
à peu plonger la mère dans les méandres du délire. Le personnage est alors dédoublé, comme nous
le montre l’allitération de la lettre «M» lors de sa première crise: «Elle est devenue spectatrice de sa
mère même, du malheur de sa mère.» (70). Cette démence est comme nous l'avons mentionné
essentiellement issue du fils aîné, et elle se caractérise généralement par des dérapages, physiques et
verbaux, violents: «Dans des crises...chienne vaut davantage.» (71). Toutefois, la folie peut aussi
prendre une autre forme, plus subtile plus grave, celle de l'absence au monde qui l'entoure . En effet,
si les coups peuvent dans une certaine mesure être assimilés à l'explosion d'une manifestation
d'amour maternel, l'absence est quant à elle représentée par l'anéantissement de ce dernier: «Mais
c'est à...plus nous nourrir.» (21). Elle «s'efface» littéralement du monde réel pour se réfugier dans
son subconscient, et ainsi elle laisse ses enfants dans la crainte (ils «crient» de peur) qu'un jour elle
puisse rester à jamais prisonnière de son royaume de «glace»: «L'épouvante ne tenait...commence à
revenir.» (102).
Cette folie sera néanmoins formatrice pour Marguerite, car l'écrivaine affirme que c'est en partie le
déséquilibre mental de sa mère qui va la conforter dans le choix de sa future carrière. D'ailleurs, à
l'image de la mère qui est toute relations confondues en une, l'écriture est «toutes choses
confondues en une seule» (14). Le besoin d'écrire prendra sa forme finale lors du retour en France
de la famille, parce que de cette façon la fille pourra terminer son émancipation en s'opposant à
l'interdit formulé par sa mère: «Elle est contre...c'est une blague» (29). De plus, cela lui permettra en
quelque sorte de venger son petit frère en essayant de renverser la position de l'aîné.
La relation avec et entre les deux frères parait très complexe. L'écriture durassienne nous dévoile
une confrontation fratricide, qui n'est pas sans rappeler celle qui, d'après l’Ancien Testament, aurait
eu lieu entre Abel et Caïn1. Pierre occupe ici la place de Caïn, tandis que Paul celle d'Abel. En effet,
le grand frère tyrannise «les autres» et manipule la mère. Il prend un malin plaisir à se repaître de la
crainte de ses victimes et à imposer sa loi, ce qui en fait le pôle malfaisant de l’œuvre. Par exemple,
«il rappelle que les gros morceaux de viandes c'est pour lui» et il attend les «poings fermés», «prêt
au-dessus de la table pour broyer la figure» (95) du cadet, si jamais celui-ci daignait manifester son
mécontentement. On peut en outre souligner qu'il éprouve un plaisir sadique à voir les siens
maltraités par un être sous l'emprise de son pouvoir: «Le frère répond...toutes ses forces.» (71), et ce
n'est pas la tentative d'apaisement de Paul, seul véritable havre de paix du roman, qui va réussir à
faire basculer son frère: «La peur du petit...pleure avec elle.» (71).
Ce contrôle total, le grand frère l'a hérité de droit. Effectivement, l'amour que lui porte sa mère n'est
autre que celui qu'elle porterait en temps normal à son mari. Ici, il est substitué par le fils «chéri»,
qui en reçoit l'intégralité des droits. D'ailleurs, à sa mort, le frère aîné sera enterré auprès de sa
mère, ce qui cristallisera à jamais leur union si sibylline, qui lui a valu, vaut et vaudra la haine des
«enfants».
Pierre se permet également de déposséder son entourage de ses propriétés matérielles et
immatérielles. Ainsi, il dilapide les «deux propriétés» dont il a hérité suite à la mort de «sa» mère, il
vole la «totalité des économies» (92) de sa sœur, et par dessus tout, il est en grande partie
responsable de la folie de Marie et de la mort du petit frère. La mort du cadet marquera aussi, d'un
point de vue symbolique, celle du «fils aimé». A l'instar de St. Pierre et St. Paul (coïncidence?), les
deux frères éponymes sont unis dans la vie comme dans la mort, et la perte de l'un entraîne
irrémédiablement la chute de l'autre.
Dans «l'Amant», la chute est aussi bien physique que mentale. Effectivement, le grand frère attrape,
suite à son alcoolisme, «les yeux injectés et la bouche torve» (93), mais aussi et surtout, il se
retrouve plongé dans la peur, la peur de ne plus rien contrôler: «Il avait peur...existence étrange.»
(93). La mort du cadet, «devenu martyr» (70), conclut enfin cette mascarade familiale. Assurément,
Pierre, à l'image de Caïn, se retrouve exilé du royaume de Dieu (la mère), de son «véritable empire»
(93). Avec son isolement, ses exactions prennent fin, car il a tout simplement perdu la raison de
1) http://books.google.ch/books?
id=eoWTuZr0jcMC&pg=PA243&lpg=PA243&dq=duras+l'amant+frere+symbole&source=bl&ots=OvTtxNlOWG&sig
=awSXQQKS1Fc3pvUNiTJtfwlskRU&hl=fr&sa=X&ei=J54_UZiuIYTj4QSZtIHoAQ&ved=0CDYQ6AEwAQ#v=one
page&q=duras%20l'amant%20frere%20symbole&f=false
vivre.
Le petit frère, quant à lui, est l'incarnation du bien et de l'innocence, car il savoure pleinement les
années d'absence de son frère, il s'amuse lors du rite du lavage purificatoire qui a lieu à chaque
départ de Pierre: «Les petits boys...savon de Marseille.» (74), et danse avec sa sœur: «Avec lui, mon
petit frère, je danse.» (66). Les réactions de Paul sont également enfantines, il ne cesse de «pleurer»
et de se soumettre à plus fort que lui. Cette pureté est appuyée dans le texte par l'auteur qui évoque,
une «immortalité sans défaut», quelqu'un qui «n'avait rien à crier dans le désert», «qui ne savait
même pas souffrir.» (125). Sa bienfaisance atteint son point d'orgue lors de sa mort, ou plutôt de son
sacrifice. Paul, en véritable martyr du récit, emporte dans l'au-delà le vice qui accable cette famille
depuis trop longtemps déjà.
A cause de la présence de l'aîné, la famille Donnadieu est devenue un «enfer». En effet, les
membres de la sphère familiale semble se comporter comme des bêtes sauvages, tout droit sorties
de la Géhenne. Marguerite souligne au moyen d'une polyptote, le côté animal, affamé et destructeur
des garçons, lors de leur sortie au restaurant: «Mes frères continuent à dévorer. Ils dévorent
dévorent comme je n'ai jamais vu dévorer personne nulle part.» (62). Repus, les frères ennemis se
murent immédiatement dans un silence d'un calme inquiétant: «Mes frères ne...la parole.» (63). Il y
a dans cette famille une attitude farouche de l'un à l'encontre de l'autre. Les membres font fi des
règles de vie les plus basiques, ils ne se souhaitent «jamais bonjour, bonsoir ou bonne année», ils
n'ont «jamais besoin de parler» (66). Chez les Donnadieu «non seulement on ne se parle pas mais
on se regarde pas.» (67).
Toute forme de communication est dès lors prohibée, et c'est une (la) famille de «Pierre», «pétrifiée
dans une épaisseur sans accès aucun» (67), qui se découvre au lecteur. Ce n'est qu'au travers de la
photo que chacun entrevoit l'autre, qu'il se l'imagine à sa manière. D'ailleurs, la photo est si
importante au sein du ménage, que la mère accepte de la faire, même si «elle se plaint du prix», car
c'est à travers cette façade seulement, qu'elle est à même de voir ses enfants: «Ma mère
nous...grandissons normalement.» (111).
Le mutisme qui gangrène la famille n'est brisé que par l'intermédiaire de deux choses: les coups et
les larmes. Lorsque le poids des innombrables ans passés dans le silence et l'aveuglement se fait
sentir, les personnages se délivrent de la souffrance de façon différente: la mère et l'aîné frappent,
tandis que le cadet et la sœur pleurent.
Cette haine et ce combat sempiternels ont tous deux pour origine le grand frère et ses «lois
animales» (13). Effectivement, dans cette famille-carnassier, chaque jour les enfants essayent de «se
tuer, de tuer» (67). Le grand frère reste cependant le seul maître du «jeu», car personne n'ose
contester sa suprématie. Sa force est telle, que d'un «seul mot» il emmène tout le monde à la
«source» (64), la source de tous les maux. L'aîné est donc semblable à Hadès, et son «empire», à
celui des enfers.
En définitive, on constate à travers l’œuvre de Duras, la description d'une famille froide, livide,
engagée dans une guerre destructrice. Abandonnés par leur mère, Paul et Marguerite vont être livrés
à la brutalité d'un frère assassin qui finira par arriver à ses fins. Cette cruauté, Duras nous l'explicite
sans équivoque, en relatant le plus justement possible sa terrible souffrance au sein de cette colonie
indochinoise. Confrontée à l'enfer, la jeune adolescente va être volée par le grand frère, qui
l’amputera de tout ceux qui lui étaient chers, à savoir: sa mère, son frère cadet et son amant.
La cicatrice profonde laissée par cet acte infâme sera, des décennies durant, désespérément comblée
par l’alcool. Toutefois, grâce à «l'Amant», l'écrivaine est enfin capable de venger les siens en
triomphant de Pierre. Ainsi, elle arrive définitivement à mettre en partie fin à certains de ses
tourments.
Sources:
«l'amant»/roman:
http://fr.wikipedia.org/wiki/L'Amant_(roman)
Abel et Caïn:
http://books.google.ch/books?
id=eoWTuZr0jcMC&pg=PA243&lpg=PA243&dq=duras+l'amant+frere+symbole&source=bl&ots=
OvTtxNlOWG&sig=awSXQQKS1Fc3pvUNiTJtfwlskRU&hl=fr&sa=X&ei=J54_UZiuIYTj4QSZtI
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St. Pierre et St.Paul:
http://viechretienne.catholique.org/saints/18-saint-pierre-et-saint-paul
Duras:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_Duras
folie maternelle:
http://books.google.ch/books?
id=0qQT17elT0cC&pg=PA208&lpg=PA208&dq=duras+la+folie+amant&source=bl&ots=tbWUlDlqc&sig=7vBeyV8IAd2cWTjcDyNCx3uVOQs&hl=fr&sa=X&ei=uDBGUZf5MsrR7AaQz
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-Cours données en classe, sur les frères, les figures de styles utilisées, la mère...