analyse thème sur la mort dans l`amant de duras
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analyse thème sur la mort dans l`amant de duras
Tigran Grigorian, Geoffrey Chappatte Etude thématique sur la mort, dans «l'Amant» de Marguerite Duras De la disparition inique du frère cadet, au trépas pathétique de l'aîné, la mort est un composant moteur de l’œuvre durassienne, et plus particulièrement de «l'Amant». Dans cette version modifiée d' «un Barrage contre le Pacifique», l'écrivaine affirme avoir dépouillé le texte jusqu'à sa base, jusqu'à la vérité. A travers son récit, elle s'efforce de décrire les événements tels qu'ils lui ont été permis de voir, afin de rétablir la justice dans cette famille décomposée en révélant «certains enfouissements» qui auraient été auparavant opérés. Ainsi, au fil des pages, une réalité froide, dérangeante et crédible se dévoile donc au lecteur. Et pendant ce temps, le spectre de la mort se dessine peu à peu au travers du roman, et apparaît comme une entité en perpétuelle mutation qui n'a de cesse de hanter la jeune Marguerite et sa famille. Toutefois, sous quelle forme la mort se présente t-elle au lecteur et aux protagonistes? L’œuvre estelle uniquement liée à la mort, est par conséquent dénuée de toutes autres notions, à l'image de l'amour? Durant cette étude thématique, nous allons tout d'abord voir que la mort et l'amour sont effectivement présents dans tout le roman. Et enfin, nous examinerons comment elle apparaît, en analysant notamment les cas du petit frère et de l'administrateur de Sadec. Dès les prémices du récit, Duras se présente à nous comme une écrivaine au «visage dévasté», que l'alcool aurait eu la tâche de «tuer» (pp.15). Il parait dès lors évident que depuis la disparition du père, la mort joue un rôle prédominant dans «l'Amant», et plus notre lecture s'étend, plus on est à même de le distinguer. Le thème affecte aussi sans cesse les pensées des personnages. En effet, la famille Donadieu est sous l'emprise d'une seule personne capable de mettre à mal tous ses membres, à savoir: Pierre, le grand frère. La tyrannie qui règne dans le foyer est propice aux désirs de meurtre, comme nous le fait remarquer Marguerite lorsqu'elle évoque toute sa haine envers ce frère sadique et pervers: «Je voulais tuer [...] le voir mourir» (pp.13). D'ailleurs, l'ambiance au sein du ménage est glaciale, on ne se dit «jamais bonjour, bonsoir, bonne année», «jamais merci», «tout reste muet, loin» (pp.66). Il y a dans cette «famille en pierre» une prohibition de l'usage de la parole et du regard, toute forme de «conversation est bannie» (pp.67). Ici, seul le silence demeure, un silence de mort. La mort prend également place dans l’environnement entourant la famille. Effectivement, on peut en premier lieu s'apercevoir que la concession achetée par la mère est «stérile», sans vie à cause de ses «terres salés» (pp.32). D'autre part, on s’aperçoit que certaines forces naturelles sont directement associées à une image macabre. C'est entre autre le cas du Mékong, qui emprunte alors les traits d'un véritable monstre dévoreur, qui engloutit tout sur son chemin: «Il emmène tout...force du fleuve» (pp.30). Il est également intéressant de citer le défrichage d'un terrain du Loir-et-Cher entrepris par l'aîné pour rembourser ses dettes, il se déleste des bois en «une seule nuit», comme si toute chose vivante devrait obligatoirement s'évaporer: «Il y avait [...] couper les bois» (pp.38). L'impression laissée suite à ce rapide tour d'horizon nous permet d'affirmer que la mort est omniprésente dans le texte, que se soit au travers des pensées des personnages ou de la nature environnante. L'amour apparaît également à plusieurs reprises durant le roman, à tel point qu'il est possible de parler d'un récit d'amour et de mort. En effet, dans son livre, Duras parle bien « d’amour à en mourir », associant étroitement Eros et Thanatos, jouissance et douleur. L'amour se caractérise à travers trois figures essentielles, à savoir: la mère, le petit frère et l'amant. On peut par exemple voir que la mère voue une passion sans failles envers son fils aîné, elle affirme que c'est le plus Tigran Grigorian, Geoffrey Chappatte «intelligent» et «le plus artiste» des trois enfants (pp.94). Il n'y a que lui qui était doté d'une «tendresse si profonde» avec elle. D’ailleurs, à la fin ils seront tous les deux enterrés ensemble, ce qui prouve que leur union se prolongera au-delà de la mort. Toute forme d'amour parait donc se terminer inexorablement dans mort. En s'adonnant entièrement à la «jouissance» (pp.116), on dévie de l'amour pour tendre lentement vers un autre «jeu», «la mort» (pp.117). L'amour est donc bien présent dans le roman. Toutefois, il convient de le distinguer de la jouissance, qui lorsqu'elle a lieu, semble se rapprocher et se faire dévorer par un désir, celui de la mort. La mort se retrouve tout au long du livre, cependant elle présente plusieurs niveaux de lecture différents. Il parait donc évident, qu'ici, elle apparaît sous la forme d' un concept polymorphe, qui peut aussi bien être défini en tant que fin existentielle que symbolique. Assurément, comme nous l'avons vu avec l'exemple du père ou de la concession indochinoise, la mort peut être synonyme d'un arrêt de la vie au sens physique du terme. Cependant, elle peut également désigner une étape dans la vie, le passage d'un état à un autre. Pour illustrer ces propos, examinons la scène de la première traversée du fleuve, qui marque le décès de la jeune fille, ou plutôt de son enfance. L'adolescente est dans un premier temps «vendue» par sa mère, dans le but de subvenir aux besoins familiaux. Elle va ensuite rencontrer son amant, élément prédominant de son passage à l'âge adulte. Duras nous décrit sa transformation, de la même manière qu'une cérémonie mortuaire. On peut par exemple remarquer qu'avant de rejoindre le chinois de Cholen, Marguerite traverse le Mékong. L'allégorie du fleuve peut encore être poussée plus loin, si on le compare au Styx ou aux limbes, lieux à la frontière de la vie et de la mort, qui permettraient d'accéder d'un monde à un autre, cas qui pourra être constaté un peu plus tard chez la jeune fille. La présence d'un «passeur», et le déchaînement du fleuve, qui semble agité par les âmes égarées, et dans lequel on peut apercevoir «les derniers moments de la vie» (pp.17), accordent en partie crédit à cette hypothèse. En outre, on remarque la présence d'une «automobile noire» (pp.45) qui rappelle vaguement un corbillard, ou encore, l'instance déployée par l'auteur à propos de «l'experiment» (pp.27), viennent confirmer le fait que quelque chose a changé à tout jamais chez la jeune adolescente. Elle n'est plus la petite fille d'autrefois, elle est à présent devenue femme. On assiste donc dans ce passage, à la mort de sa virginité, de la pureté qui faisait son enfance, ainsi qu'au début de son émancipation: «De me faire [...] à en mourir» (pp.53). Un événement du même type survint à la mère. En effet, la perte de son mari à joué un rôle décisif dans son existence. Privée de sa moitié, elle a tout d'abord été désabusée lors de l'achat d'un lopin de terre infructueux, puis, en manque (et en marge au désespoir) d'argent a prostitué sa fille en dernier recourt. Cette acte est le résultat d'une longue chute, un maelström auquel se mêlent les sentiments intérieurs et la déchéance sociale, d'une femme que la «société a assassinée» (pp.67). Le père disparu, Marie Donnadieu l'a substitué par son fils, qui peu à peu étend son pouvoir de manipulation afin de contrôler la mère: «Le frère répond [...] soit désespérée» (pp.71). Son choix représente la perte de sa raison et son entrée dans la folie. Comme nous le constatons, Duras développe tour à tour le côté physique et symbolique de la mort à travers son œuvre. Toutefois, le décès de Paul, et celui de l'administrateur de Sadec, nous prouvent qu'il arrive parfois que la mort revêt un double sens, qu'elle ait à la fois une connotation sensible et allégorique. Il faut voir à travers la retranscription de la mort du petit frère, un hommage, ainsi que la volonté d'exprimer l'impact qu'elle a eu sur la vie de l'auteur via les conséquences qu'elle a entraînées. Le tout démarre avec une description très manichéenne des deux frères. L'aîné est la «source» du mal, il est présenté comme «un fouilleur d’armoires» (pp.94), qui n'hésite pas à se servir de la violence pour se faire entendre: «Il attend que [...] broyer la figure» (pp.95). Le cadet, quant à lui, apparaît comme un garçon «rieur» et débonnaire, qui essaye d'endiguer le pouvoir de Tigran Grigorian, Geoffrey Chappatte son grand frère: «La peur du petit frère calme ma mère» (pp.71). Il est l'incarnation de la pureté et de la tendresse. La mort du petit frère est due à la peur inspiré par Pierre: «Et qui à chaque [...] l'a fait mourir» (pp.13). En fait, on a l'impression de faire face au sacrifice, de ce petit frère «devenu martyr (pp.70). Effectivement, Paul est tombé au combat sous l'occupation japonaise, ce combat symbolise celui qu'il menait contre son frère, contre sa tyrannie. A travers son décès il arrive à triompher, à faire plier «le fils aimé», et ainsi délivrer la famille du mal qui la ronge, de leur faire «oublier la mort» (pp.125). Dans son récit, Duras veut «sauver son petit frère» (pp.13), son «immortalité sans défauts» (pp.124), en révélant au grand jour les exactions de l'aîné et sa mort pathétique: «Rien, on ne [...] sa chambre» (pp.97). Le suicide de administrateur de Sadec joue également sur deux tableaux différents. D'un côté il y a la mort en elle même, qui l'affecte directement, et de l'autre, les répercussions qu'elle entraîne sur Marguerite et son amant. En effet, la disparition de l'administrateur implique le retour de la jeune fille en France, ce qui marque la fin de son amour. L'épisode de l'adieu est par ailleurs encore une fois décrit comme une cérémonie mortuaire, qui nécessite de nouveau une traversée du Mékong. Lors de l'annonce du départ, l'amant «se disait qu'il était mort» (pp.128), et le moment venu «la terre emportait la forme du bateau dans sa courbure», que l'on «voyait lentement sombrer» (pp.130). Le chinois lui, était tel un cadavre dans son «automobile noire» (pp.131), qui regardait s'éloigner la seule femme qu'il ait jamais aimé. Le suicide du fils de l’administrateur représente «la séparation» (pp.132) définitive du couple. Pour conclure, nous retiendrons que la mort est un des thèmes fondateurs du récit de Duras, dans lequel elle se transpose de plusieurs manières. Il y a d'abord la mort au sens purement physique du terme, qui affecte les lieux traversés. Puis, la mort symbolique qui se retrouve chez certains personnages. Et pour terminer, la mort physique qui entraîne des répercussions symboliques plus ou moins directement auprès de la famille Donnadieu. Au final, il en résulte une famille dévastée qui chaque jour se rapproche de sa fin inéluctable. Ps: aucune source autre que les cours donnés en classe n'a été utilisée/consultée, en dehors d'une brève présentation sur l'auteur et les membres de sa famille: http://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_Duras