DP Trickster
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DP Trickster
Saison 2012-2013 Dossier pédagogique Trickster Ou l’Arlequin de Trickster Dates de représentation : Jeudi 17 janvier Vendredi 18 janvier Durée estimée : 1h Etre « spectspect - acteur » Voir un spectacle est un temps fort dans l’année ; c’est l’occasion pour l’enseignant de partager avec sa classe la rencontre d’une œuvre. Les élèves se déplacent à l’extérieur de l’établissement, se retrouvent parmi d’autres personnes dans un lieu public. Un travail en amont sur le savoir être au théâtre ou au cirque pourra éviter à l’enseignant accompagnateur quelques déconvenues et lui permettra d’aborder plus sereinement ce moment de partage avec la classe. Il est possible d’accorder une ou plusieurs séances de cours à la question qu’est-ce qu’un « spect-acteur » ou spectateur accompli ? Un code de bonne conduite peut être établi avec les élèves sous une forme ludique et orientée par l’enseignant : ce qu’il ne faut pas faire / ce qu’on peut faire. Un carnet de bonne conduite peut être écrit par chaque élève sous la forme d’un abécédaire du jeune spectateur.1 Le document du théâtre d’Angers peut être proposé aux élèves. L’enseignant peut y effacer quelque définitions et/ou mots, quelques passages et demander aux élèves de rédiger les parties tronquées. L’enseignant L’enseignant peut d’appuyer sur un corpus littéraire varié pour aborder ou approfondir la question du spectateur : Dario Fo, Le Gai savoir de l’acteur, l’Arche Editeur, 1990. : Le silence requis lors des représentations n’est pas une exigence arbitraire mais bien une composante essentielle du spectacle vivant. Gustave Flaubert, Madame Bovary, (Chapitre XV) : l’évocation ironique de l’émotion d’Emma devant la représentation de Lucia di Lamermoor. Marcel Proust, Du Côté de chez Swann, (Chapitre XXVI) : Le narrateur évoque l’attente du spectateur et ce qu’il imagine d’après l’affiche. Jean-Michel Ribes, Tragédie in Théâtre sans animaux, Actes Sud, 2001 : Discussion animée entre deux personnages (Jean-Claude et Louise) autour du rôle de Phèdre de Racine. Le préambule « être spect-acteur » donne à l’enseignant l’occasion de s’attarder, selon le profil de sa classe, sur les comportements susceptibles de poser problème lors du déplacement au théâtre à fin d’en faire un objet éducatif : retard, agitation, bavardage, téléphone mobile, désire de boire ou manger. Avant de voir le spectacle : Il est indispensable de préparer la sortie au spectacle. En effet, ce dernier n’est pas à considérer comme un divertissement, mais comme une œuvre d’art à rencontrer. Il ne s’agit donc pas de le promouvoir, d’affirmer qu’il sa réussite, de chercher à susciter d’avance une adhésion qui risque d’être déçue. En revanche, il faut rendre les élèves conscients que ce qu’ils vont voir est le résultat du travail conjugué de nombreux professionnels qui y ont investi des mois de travail et d’énergie. Ainsi, le travail en amont de la représentation a plusieurs objectifs : Préparer les élèves à leur rôle de spectateur. Créer les conditions d’une bonne écoute. Susciter leur curiosité à l’égard du spectacle. Créer des horizons d’attente. Favoriser une optique d’observation curieuse. Plusieurs entrées sont proposées pour le spectacle Trickster ou l’Arlequin de Trickster : 1 Le NTA (Nouveau théâtre d’Angers) présente sur son site un exemple de Code de conduite humoristique : http://www.ntaangers.fr • Entrée par le titre : Donner le titre du spectacle à observer aux élèves et recueillir leurs observations et leurs hypothèses. On peut également proposer à la réflexion des élèves des mots clés ou des phrases clés qui dessinent des enjeux. L’objectif est bien évidemment de créer et développer l’horizon d’attente des élèves. Il est intéressant de chercher le sens des mots « Trickster Trickster » qui signifie « joueur de tours » à partir de la racine « tricks » : tours, farces… Les élèves peuvent également être amenés découvrir les différents usages du mot « Arlequin » et la richesse de ses sens : « Restes de repas que l’on donnait aux pauvres au Moyen Age » « Démon sanguinaire qui hantait les forêts médiévales » « Adjectif désignant un mélange de couleurs » « Bonbons acidulés » « Nom donné à une équipe de rugby anglaise » • Entrée par l’affiche : L’affiche donne des clés visuelles sur l’imaginaire du spectacle. L’enseignant peut exploiter à souhait tous les procédés de l’analyse de l’image inhérents aux programmes d’Histoire Géographie ou de Français. Elle contient également le générique du spectacle, riche en indications sur les artistes présents et leur rôle. Un petit lexique peut être ainsi développé avec les élèves sur l’univers du théâtre : metteur en scène, conseiller musical, interprète, régisseur de son et de lumières … L’enseignant peut compléter les propos des élèves par l’analyse de documents. Voir les liens suivants : http://www.theatredesete.com/spectacle/didier-galas http://didiergalas.wordpress.com • Entrée par le parcours de l’artiste : Une recherche avec les élèves sur le site de la compagnie sur les artistes participants au spectacle et leur spécialité. Il s’agit de replacer le spectacle dans un parcours d’artiste et la cohérence d’une œuvre et amener les élèves à construire des repères chronologiques ou thématiques. Ainsi, on peut tracer avec les élèves le parcours de Didier Galas depuis son entrée au conservatoire d’art dramatique à Paris en 1985, à travers ses différentes expériences avec Claude Régy ou Christian Schiaretti ou ses voyages en Chine et au Japon. Ces multiples pratiques théâtrales peuvent amener les élèves à approcher le cheminement de la création de l’Arlequin de Trickster. Celle-ci est en effet l’aboutissement de plusieurs années de travail sur la figure de l’Arlequin et l’aboutissement d’autres mises en scène comme Monnaie de singes, créée en 2000, ou Le Petit (H)Arlequin, créée en 20012. • Entrée par la mise en voix, en espace : Cette entrée est l’occasion d’une approche par la pratique. Il s’agit de faire entendre le texte et de faire émerger des hypothèses de sens et d’interprétation. Cette approche donne des repères aux élèves pour la pièce. La particularité de Trickster réside dans l’absence de texte théâtral proprement dit. En effet, « les paroles se font rares. Ce sont plutôt onomatopées, onomatopées improvisation sonores, sonores bégaiements, bégaiements qui ont pour tâche de décoller la parole du sens pour arriver à de purs enjeux mélodiques »3 • Entrée par l’écriture : Divers travaux d’écriture sont envisageables pour préparer le spectacle : 1. Ecriture d’invention : autour d’un thème exploité par le spectacle et découvert par les élèves ou autour d’une expérience similaire vécue par les élèves. L’exemple d’une farce jouée aux autres ou inversement peut être exploité ici. 2. Ecriture résumé : d’un texte organisé récapitulant les informations glanées par les élèves au tour du spectacle. • 2 3 Entrée par les articles de presse4 : Voir en Annexe la note d’intention de Didier Galas p. 3. Idem p. 4. Les articles de presse concernant le spectacle peuvent constituer une excellente approche pour les élèves. Ce travail de découverte indirecte de la pièce peut être fait réparti sur différents groupes d’élèves pour aboutir à une mutualisation des extraits. Pendant le spectacle : La préparation au spectacle est censée susciter la curiosité des élèves. Il faut aussi créer les meilleures conditions possibles pour sa réception. L’enseignant peut procéder à un partage des tâches d’observation entre les élèves : chaque groupe d’élèves peut relever et noter des inform inf ormations orm ations concernant : le théâtre, théâtre , l’organisation des places, les éléments du décor, les outils utilisés, les moments forts, la musique 5, la réaction des autres spectateurs…. Regrouper et mutualiser les comptes rendus en classe. Cette phase de regroupement regroupement des observations peut donner lieu à des croquis du théâtre, théâtre , le décor et de l’espace scénique. scénique . Le travail sur l’émotion peut avoir son importance et se situer juste à la fin du spectacle afin que le ressenti ne soit pas altéré par le décalage temporel. L’enseignant peut ainsi demander aux élèves de griffonner griffonne r des mots informels à la fin de la pièce sans faire appel à une écriture structurée. Ces mots peuvent être exploités en classe. Après le spectacle : 1. La description chorale : La parole vise ici à décrire, sans prise de position, mais avec la plus grande précision. La description chorale sollicite l’attention des élèves, elle leur apprend à décrire méthodiquement et faire travailler la mémoire. Les bénéfices de cet exercice sont nombreux : l’apprentissage de l’oral, de la citoyenneté, enrichissement et réinvestissement du vocabulaire. La description peut porter sur le théâtre en tant que lieu dans la ville, l’espace scénique, les accessoires, la lumière, le son les costumes… 6 2. Quelques thématiques à exploiter : Le thème du rire : L’enseignant peut s’interroger avec les élèves sur les différents procédés du rire mises en œuvre dans la pièce, en l’occurrence autour du personnage d’Arlequin. En effet, le concept du rire peut être abordé comme une notion d’« écart à une norme » et « d’insensibilité » 7. Une grille de lecture peut être élaborée avec les élèves à partir de passages du spectacle. Les élèves peuvent ainsi faire une classification des types de comiques : comique de geste, geste , comiq comique de situation sit uation, uation, comique verbal. verbal. Les deux premiers premiers sont pleinement exploités exploité s dans la pièce Trickster 4 Voir les article de presse concernant (Le Dauphiné libéré) en Annexe 3. D. Galas affirme sa collaboration avec Patrice Elegoet pour la création « d’une musique à la fois mélodique et minimaliste », Voir Entretien avec Didier Galas, p. 8. 6 Voir l’article de Yannic Mancel, « L’apprenti spectateur : un portrait historique, subjectif et utopique », In Cahier théâtre / Education, n°11. 7 Henri. Bergson, Le Rire. Essai sur la signification du comique, PUF. Paris, 1978. p.4 5 Types de comique De quoi rit-on ? - un personnage - une parole - une situation Quel est l’écart, en quoi ce qui est écrit est-il inhabituel ? Qui se sent supérieur ? A qui ? Est-ce réellement ni grave ni triste ? Extraits / moments de la pièce. Se moque-t-on de quelqu’un ? Y-a-t-il ridicule, cruauté ? Le personnage d’Arlequin : Arlequin est un personnage type de la commedia dell'arte qui est apparu au XVIe siècle en Italie, dont le costume est fait de losanges multicolores. Il incarne à lui seul l'esprit du Théâtre-Italien. Le personnage d'Arlequin a été créé par l'acteur italien Domenico Biancolelli. L'étymologie du nom Arlequin viendrait de celui du roi de la mythologie germanique « Herla » à l'origine de la tradition française d'un diable nommé « Hellequin », ce qui donna la variante Harlequin, passé en italien sous la forme de Arlecchino à l'origine du français Arlequin. Il est donc un personnage issu des croyances populaires concernant l'enfer. Arlequin se reconnait grâce à son costume bariolé et son rôle d'éternel zanni. D'abord, l'habit d'Arlequin est composé d'une veste et d'un pantalon à losanges colorés et irréguliers et d'un béret de feutre blanc auquel est quelquefois attaché un morceau de queue de renard ou de lapin. Il porte aussi une ceinture à laquelle est toujours attaché une batte en bois et une bourse. L’enseignant peut faire découvrir aux élèves ce personnage de deux manières différ différentes entes : soit par des images soit par un groupement de texte adapté. Arlequin chez Marivaux semble à cet égard le plus adapté puisqu’il a conservé son caractère traditionnel malgré son évolution depuis son voyage hors d'Italie8. Le personnage d’Arlequin est présent dans quinze pièces de Marivaux. A titre d’exemples les plus connus : Arlequin poli par l’amour (1720). Le Prince travesti (1724). La Double inconstance (1723). Le jeu de l’amour et du hasard (1730). 8 Lélio, le chef de la troupe des Italiens à Paris le décrit en ces termes: « Le personnage d'Arlequin de notre temps retient ce que le théâtre lui a donné pas une ancienne tradition (...), c'est-à-dire des gestes, et des singeries très comiques. En France, on l'appelle mimique. » Histoire du théâtre italien, Tome II. Le valet dans le théâtre : A partir du personnage d’Arlequin, une ouverture du champ d’étude peut être proposée aux élèves vers une thématique plus globale, celle du « valet dans le théâtre ». Cette étude comparative aura pour but de découvrir d’autres aspects du valet traditionnel aussi bien dans le théâtre français que le théâtre japonais et chinois qui ont été une source d’inspiration pour Didier Galas9. Une recherche peut être demandée aux élèves sur le théâtre Kyogen, sur le Nô ou sur le personnage de TaroTaro -Kaja. Voir le lien suivant : http://webhttp://web-japan.org/factsheet/fr/pdf/F33_noandk.pdf L’enseignant peut ainsi proposer un groupement de textes sur le valet traditionnel au travers les œuvres de Molière, Marivaux ou Beaumarchais : Molière, Les fourberies de Scapin. Marivaux, L’Ile aux esclaves. Beaumarchais, Le Mariage de Figaro. La mécanique du burlesque : Le registre du burlesque trouve toute sa place au sein de ce spectacle10. Désignant étymologiquement « farce et plaisanterie », le mot renvoie à un genre littéraire en vogue au XVIIe siècle qui se caractérise par l’emploi des termes comiques, familiers pour traiter des sujets sérieux. Le sens du mot a évolué pour désigner globalement un comique exagéré qui repose sur un décalage entre la tonalité et le sujet traité. L’enseignant L’enseignant peut traiter ce thème à travers un groupement d’extraits appartenant à différents genres littéraires : roman, théâtre, cinéma, chanson… Exemple d’un groupement d’extraits à traiter avec les élèves Rabelais, Gargantua, (chapitre 31) Picrochole saisit l’occasion d’une dispute avec Grandgousier autour d’un sujet futile (des fougaces) pour lui déclarer la guerre. Molière, L’Ecole des femmes,la célèbre tirade d’Arnolphe. Georges Brassens, Hécatombe. 9 D. Galas affirme qu’il s’agit d’une « rencontre entre Arlequin et Toro-Kaja ( le valet de Kyogen japonais) et Sun Wukong ( le roi des singes de l’opéra de Pékin) » Annexe 2, p. 3 10 La note d’intention du spectacle insiste sur : « La mécanique burlesque et silencieuse du spectacle » p. 3 Charly Chaplin, Le Dictateur : le film, présent aux programmes de Français et d’Histoire-Géographie, offre plusieurs séquences intéressantes pour traiter le burlesque aussi bien sur le plan thématique que sur le plan de la gestuelle11. Histoire des arts : l’usage du masque au théâtre. Le personnage d’Arlequin est un type reconnu essentiellement par son masque dont la couleur est inspirée des visages des charbonniers de Bergame. Il suffit de se référer à l’affiche de la pièce pour se rendre compte de l’importance de cet outil chez Didier Galas12. L’objectif est de sensibiliser les élèves au rôle du masque avec une perspective historique : L’enseignant peut traiter ce thème par le biais d’images à faire chercher aux élèves au CDI ou sur des sites internet. Puis faire une classification dans les quatre catégories suivantes suivantes : Dans le théâtre antique Dans la commedia dell’arte Dans le théâtre japonais Dans le théâtre chinois Bibliographie Tous au théâtre, Guide du professeur, SCEREN-CRDP de l’académie de Caen, 2012. Henri. Bergson, Le Rire. Essai sur la signification du comique, PUF. Paris, 1978. Yannic Mancel, « L’apprenti spectateur : un portrait historique, subjectif et utopique », In Cahier théâtre / Education, n°11. Estelle Doudet, « Théâtre de masques : allégories et déguisements sur la scène comique française des XVe et XVIe siècles. », Revue Apparence(s), 2008 Annexes : Annexe Annexe 1 : Note Note d’intention de Didier Galas « D’Arlequin, valet de théâtre, aux grands mythes asiatiques, en passant par des démons médiévaux occidentaux, autant d'aventures endiablées que traverse un personnage comique qui s'affranchit de sa condition en se réinventant lui-même. Arlequin. Au théâtre, c’est un valet de comédie, glouton et naïf. Au siècle dernier, son nom symbolisait les restes de repas que l’on donnait aux pauvres. Aujourd’hui, c’est un adjectif qui désigne un mélange de couleurs, mais les enfants pensent que c’est un bonbon tandis qu’une équipe de rugby porte son nom ainsi qu’une collection de romans de hall de gare. Pourtant Arlequin vient de Hellequin ou Hierlequin, un démon sanguinaire qui vient de la nuit des temps, un Trickster. Trickster. C’est un personnage qui peut faire rire de lui ou des autres, un arnaqueur et un farceur. Ce bouffon peut également devenir démoniaque ; derrière lui se cachent les origines de l’humanité. Le méchant qui fait rire et en devient comique, c’est le Trickster ; on le retrouve dans toutes les civilisations, aussi bien chez les indiens d’Amérique, qu’en Europe, Chine ou Japon… Après Monnaie de Singes, le petit (H)arlequin, et de nombreuses tournées en Extrême-Orient, Trickster (le faiseur de tours) est le dernier opus d'une quinzaine d'années de travail sur la figure d'Arlequin. Construit comme une poupée russe, ce Trickster est insaisissable, et quand on croit en tenir une facette, elle s’évanouit déjà dans celle qui suit. Dès le début, un balai récalcitrant et muet ouvre le bal, avant qu’une mascarade de visages et de langages, ne détraque la mécanique burlesque et silencieuse du spectacle. Les onomatopées conjuguées aux improvisations sonores provoquent l'arrivée de bégaiements qui décollent la parole du sens pour arriver à de purs enjeux mélodiques. Allant jusqu’à se démasquer, Arlequin laisse apparaître son masque nu et décide de créer sa propre loi de théâtre. Entre anticonformisme et délectation des traditions théâtrales, ce solo fait la part belle au rire, à la parole et au corps en utilisant une profusion de langages parlés, aussi bien que corporels. Chinois, japonais, anglais, italien, espagnol ou français mais aussi Opéra de Pékin, Yoga, Nô, Kyogen, Buto, Commedia dell'arte ou Tap Dance ; autant de moyens qui nous 11 Le burlesque au cinéma est désigné aussi par le mot « slapstick », littéralement « coup de bâton ». Voir à ce sujet : http://www.cahiersducinema.com/Le-Burlesque.html 12 Voir les photos du spectacle en Annexe 4. permettent d'appréhender la folie physique d’Arlequin pour aller jusqu'à une danse désarticulée, une transe extrême et définitive. Mais le plus extraordinaire est que ces collisions ont toutes lieu dans un seul et même corps, celui d'un interprète : un acteur qui cherche jusqu’au fond d'Arlequin, le fond de lui-même… le fond de nous-mêmes? » Didier Galas Annexe 2 : Entretien avec Didier Galas Comment en es-tu venu à travailler sur Arlequin ? Le personnage qui m’a inspiré, c’est Scapin. Le Scapin de Molière, non le Scapino de la Commedia dell’arte. J’ai découvert qu’Arlequin n’a rien à envier au grand valet des Fourberies de Scapin. Mon Arlequin est scapinesque, malin, contrairement à l'Arlequin parfois stupide que l'on retrouve chez Marivaux. En quoi ce personnage t’intéresse-t-il ? Je crois qu’il représente pour moi l’inventeur du théâtre. Jacques Copeau disait que Les Fourberies de Scapin constituent du théâtre pur, dans le sens où il n’y a rien d’autre que les tours, les « tricks » de Scapin, et leurs conséquences. C’est le conteur, le griot, comme Thespis, le premier comédien qui avait plein de masques dans son chariot et qui racontait des histoires. La farce me fascine. La farce et le rire. Scapin est irrésistiblement drôle. Il transmet le rire, il fait naviguer l’humour, signe finalement de l’intelligence. C’est le personnage qui parle le plus, qui manipule le mieux la parole… A la fin, il est acculé et pourtant il s’en sort. C’est son côté italien, plein de charme. C’est le maître du plateau. Je pense que le Scapin de Molière était très proche de l’Arlequin de Biancolelli, un acteur italien, partenaire de Scaramouche et contemporain de Molière. Ce comédien consignait dans un livre de scène, appelé « le Scénario », le registre de toutes les scènes de lazzi qu’il jouait. L’original en italien a été perdu, il ne reste plus que la traduction en français. Nous y apprenons alors que son Arlequin pouvait être stupide, mais aussi, intelligent, manipulateur ou diabolique. D’ailleurs, le nom « Arlequin » vient de « la Mesnie Hellequin », une horde de démons du Moyen-âge. Tu as travaillé sur Arlequin seul, et sur Arlequin rencontrant ses doubles… Chronologiquement, j’ai mis en scène Monnaie de singe,rencontre entre Arlequin et Taro-Kaja (le valet du kyogen japonais) et Sun Wukong (le Roi des Singes de l’opéra dePékin), un roi complètement cabochon, qui adore faire des blagues. Il doit respecter les ordres de l’empereur, mais enfait il a un comportement de valet, par rapport à l’autorité du Ciel. Donc il s’agit d’une rencontre entre trois valets de trois traditions théâtrales ? Le personnage d’Arlequin m’a permis d’aller à la rencontre d’autres personnages, d’autres traditions. Au retour de mon voyage au Japon, j’ai mis en scène Monnaie de singe, après avoir joué Ahmed, nouveau personnage de valet écrit par Alain Badiou et mis en scène par Christian Schiaretti à la Comédie de Reims. Mon projet initial était qu’Ahmed rencontre Taro-Kaja et leRoi Singe. Puis j’ai remplacé Ahmed par Arlequin, personnage qui appartient vraiment à la tradition. Donc Monnaie de singe m’a permis de faire ces recherches sur Arlequin, et j’ai découvert le démon etc. Plus tard dans les répétitions, je me suis rendu compte que mes deux partenaires (japonais et chinois) jouaient leur personnage dans la tradition mais, eux, à la différence de moi, ne cherchaient pas à remettre en question cette tradition. En tant que metteur en scène, tu as aussi monté Quichotte,Rabelais… Witold Gombrowicz est un point de liaison entre qui je suis et Rabelais, Quichotte, Arlequin. On pourrait peut-être dire que je regarde Arlequin à la façon de Gombrowicz. Prenons l’exemple de Trois cailloux : « tu mets trois cailloux sur le chemin et le réel se fissure… comme un grain de sable dans la mécanique de la normalité qui finit par se gripper. » Et bien moi, je n’arrête pas de mettre trois cailloux dans la mécanique d’Arlequin. Tu joues en plusieurs langues, en chinois, en japonais… Pourquoi ? Je cherche la langue des différents masques. C’est pour moi un exercice de jouer les spectacles dans des langues que je ne parle pas. J’apprends en connaissant le sens, et je peux jouer avec la langue. Jouer en chinois était un challenge d’acteur très excitant. Et puis, jouer dans la langue du pays permet de parler directement aux gens. Toutes ces années, tu as travaillé autour d’Arlequin. Peu à peu tu as évacué les autres personnages et acteurs pour être seul en scène … Je me suis concentré sur le subterfuge suivant : un acteur va jouer l’Arlequin tel qu’on le connaît, puis le démon, qui est à l’origine étymologique du nom Arlequin, arrive et prend possession de l’acteur. Comme si le démon était dans le masque. Il s’empare du corps de l’acteur et règle ses comptes avec le théâtre, c’est à dire les auteurs, les acteurs, l’histoire. Sauf qu’à la fin, le corps qui est devant les spectateurs reste le corps de l’acteur, donc le démon est obligé de s’en retirer. Il y a eu Monnaie de singe, Le petit (H)arlequin, (H)arlequin/Zhong Kui, (H)arlequin/Tengu. Aujourd’hui tu convoques tous ces personnages… Oui, en fait, c’est un vrai retour de voyage. J’ai l’impression d’avoir fait ces spectacles en Chine et au Japon de manière clandestine. Maintenant, je reviens avec mes dix ans de recherche sur Arlequin. Je suis aussi très inspiré par le film F for Fake d’Orson Welles, qui évoque les charlatans, les tricheries, les mensonges. Trickster travaille la question du masque de manière sensible, pas intellectuelle On ne sait plus qui parle. Comme dans le masque. La question de « qui suis-je ? » se pose. De sorte que le public pourra se projeter de manière cathartique. Je suis un passeur, un médium, qui pratique des exorcismes avec le public, en préservant l’humour. Cela va de pair avec les origines rituelles du masque, comme objet de transition, qui est réceptacle à la fois du personnage mais aussi des projections du public… Absolument. Avec le masque, le visage s’absente. Il n’y a plus de visage humain, plus d’individu. Il n’y a plus personne ; on pourrait aussi dire qu’il n’y a plus que Personne (du latin persona, qui signifie « le masque »). Au fond, il n’y a peut-être plus de personnages, au sens classique du terme. C’est pourquoi le public peut se reconnaître dans le masque et s’y projeter. Trickster m’emporte peut-être vers un rituel chamanique. En cela mon travail se rapproche plus des théâtres masqués asiatiques que de la commedia dell’arte. Lecoq dit qu’il ne faut pas que le masque colle au visage, qu’il y a toujours une sorte de distance entre le masque et le visage. Oui, c’est un très beau texte. Cette distance, il faut la garder, il faut la ressentir. En fait, dans le jeu, la distance entre le masque et le visage, est peut-être quelque chose de faux. Ça n’est qu’un masque, ce n’est pas ton vrai visage, ce n’est pas totalement toi. Et c’est parce que ce n’est pas totalement toi que cela te permet d’aller tellement loin en toi. Je rejoins ainsi le travail de Claude Régy, qui a été mon maître au Conservatoire. C’est la même exigence. L’acteur doit être dans la sincérité, dans l’acceptation de disparaître derrière le masque, pour que cela fonctionne vraiment. Mais en même temps, comme dit Peter Brook, il ne faut jamais oublier que jouer est un jeu. Le masque est un outil qui contient tout cela intrinsèquement. Tu t’es entouré d’un scénographe plasticien, d’un musicien, d’un danseur… Or Arlequin évoque le théâtre de tréteaux où le jeu de l’acteur se suffit à lui-même. Comment ces collaborations enrichissent-elles ton travail ? Jean-François Guillon a déjà travaillé avec moi sur le projet Rabelais. Il apporte un autre point de vue, celui du plasticien. Pour la musique, je me suis associé à un musicien Patrice Elegoet qui élabore une musique à la fois mélodique et minimaliste. Et puis j’avais besoin d’un praticien du mouvement. Sylvain Prunenec est un danseur formidable, que j’ai mis en scène dans Trois cailloux et dans La flèche et le moineau. Dans Trickster, le rôle est inversé, c’est lui qui me regarde. Nous partons de la gestuelle du Buto, ou de celle de l’Opéra de Pékin et du Nô avant de s’en émanciper. Nous travaillons aussi sur une transe chamanique avec un processus purement dansé et corporel. A la croisée du théâtre et de la danse… Et de la musique. Avec un travail que je développe sur les onomatopées, des improvisations sonores ou un travail sur le bégaiement et le rythme qui peut en naître. Je veux radicaliser la musicalité, et me décoller peu à peu du sens pour arriver à la mélodie. Quitter le rapport à la signification univoque grâce au mouvement, à la danse, et à la musique, pour atteindre la poésie pure. Propos recueillis par Sarah Oppenheim Annexe 3 : Un article sur le spectacle Trickster « L’Arlequin de Didier Galas, à découvrir en français et en italien Dauphiné Da uphiné Libéré – le 21/03/2011 Bilingue, en français et en italien, il est coproduit et présenté dans le cadre du programme de coopération transfrontalière France-Italie Alcotra 2007-2013 “Ensemble par-delà les frontières”, pour le projet Gli Scavalcamontagne. Ce projet est porté ). conjointement par le Théâtre La passerelle, scène nationale de Gap et des Alpes du sud, et la Fondazione Teatro Piemonte Europa de Turin. Didier Galas, que le public haut-alpin connaît bien puisqu’il a été accueilli à plusieurs reprises dans le département, écrit, met en scène et interprète. Il travaille depuis plus de dix ans sur le personnage d’Arlequin, ce héros masqué, emblème de la commedia dell’arte, révélant au fil de ses spectacles un personnage plus mystérieux et passionnant que ce qu’avait conservé une certaine tradition d’interprétation de ce fameux valet de comédie. En enfilant à nouveau le masque et le collant d’Arlequin, une “seconde peau” qu’il retrouve régulièrement depuis près de dix ans, Didier Galas livre une réflexion sur l’envers des choses et le rôle que chacun, prisonnier des regards des autres, doit tenir auprès de ses contemporains. Seul, le comédien entre en scène pour jouer Arlequin en suivant scrupuleusement les règles de l’art de l’interprétation de ce personnage, entre mime et pantomime. Mais bientôt, le démon qui se cache sous le nom d’Arlequin — qui le rapproche du “trickster” farceur et cruel présent dans les cultures des Indiens d’Amérique — vient envoûter l’acteur et prendre sa peau. Las d’être devenu un petit valet de comédie, cet être surnaturel prend la scène pour se rendre justice lui-même ». Annexe 4 : Des photos du spectacle t léger, léger