Tu causes, tu causes, c`est tout ce que tu sais faire… », répète inlassa

Transcription

Tu causes, tu causes, c`est tout ce que tu sais faire… », répète inlassa
SUJETS D’ANNALES CORRIGÉS Ainsi, s’établit logiquement un parallèle entre biologie et psychologie. Pour Jung, si tous les êtres
sont naturellement différents, l’individuation ne s’accomplit qu’avec la maturation spirituelle. Les
neurobiologistes voient cette « conscience de soi » comme intrinsèque au corps. Malgré l’ambiguïté
du terme de « conscience », biologie et psychologie reconnaissent divers degrés à celle-ci allant des
émotions basiques ressenties par tout être vivant, à la conscience de soi, spécifique à l’homme en
possession de son identité et de son histoire.
In fine, l’individuation, phénomène global au carrefour des sciences humaines et des sciences
exactes, se construit durant toute l’existence par empilement de strates successives.
(263 mots)
SUJET N° 2 : LOOS, 2014
Sujet
« Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire… », répète inlassablement le perroquet
du bistrotier ami de Zazie, comme un encouragement à faire mieux. Faire mieux que parler,
c’est par exemple écrire, mais un romancier comme Raymond Queneau en sait quelque
chose : c’est nettement plus fatigant. Si lui-même n’a jamais fait état de soucis particuliers
de ce côté, beaucoup de ses confrères, dont Victor Hugo, Stendhal et Gustave Flaubert,
ont avoué souffrir de la fameuse angoisse de la page blanche. D’autres se sont ligués pour
dénoncer le mythe du poète inspiré, en répétant qu’écrire, c’est toujours du travail. Quant au
petit Nicolas de René Goscinny, il trouvait tout simplement que « téléphoner, c’est rigolo »,
alors qu’écrire, « c’est embêtant ». Pourquoi est-il laborieux d’écrire ?
D’abord, évidemment, il y a un apprentissage à faire pour maîtriser les lettres et les mots,
ou tout autre moyen graphique véhiculant du sens. Au bas mot, trois ans de travail scolaire
acharné, avant de pouvoir envoyer sa première lettre au père Noël. À ce stade, les problèmes
ne font pourtant que commencer : viennent la maîtrise de l’orthographe et l’art de composer
un texte compréhensible, choses qui ne sont pas garanties à tout le monde. Même pour un
adulte bien entraîné, voire pour un professionnel, se mettre à écrire est presque toujours
envisagé avec une certaine appréhension, alors que soutenir une conversation avec des
amis est plutôt une détente.
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Une pénible conversion
L’écrivain Jules Renard a laissé dans son journal intime un aphorisme célèbre : « Écrire,
c’est une façon de parler sans être interrompu. » On ne peut pas mieux dire, et a priori, tout
le monde préfère ne pas être interrompu. Mais ça n’a pas que des avantages. À moins de
répondre à un QCM ou de rédiger sous la dictée d’autrui, écrire c’est se lancer dans le vide.
Il faut avoir quelque chose à dire, et entrevoir dans quel ordre on va l’énoncer et par où
commencer. Comme le souligne Michel Fayol, l’écriture est monologique : pas d’interlocuteur,
pas d’interruption, pas de questions et pas de réponses. Il faut donc tout faire soi-même,
sans être sûr du résultat. Sera-t-il correct et intéressant ? Pour tenter de le savoir, on se
relit : tout scripteur est en même temps son premier lecteur. Est-ce vraiment conforme à ce
que l’on voulait dire ? Est-ce vraiment cela que l’on aimerait que les autres comprennent ?
Oralement, on peut toujours se reprendre, reformuler autrement. À l’écrit, il faut détruire et
recommencer, à moins de tomber sous le coup de la remarque acerbe de Buffon : « Ceux
qui écrivent comme ils parlent, quoiqu’ils parlent très bien, écrivent mal. »
Deuxième motif de difficulté : écrire demande de la concentration. Il y a plusieurs raisons
à cela. La première est que la technique, qu’elle soit manuelle ou mécanographique, accapare une partie de l’attention. Mais surtout, elle impose une forte contrainte à la pensée.
Nos idées peuvent venir en paquets, simultanément ou comme un flot sans interruption.
Combien de fois avons-nous fait l’expérience que ce que nous imaginions vouloir dire ne
pouvait pas se formuler tel quel par écrit ? L’écriture, elle, est strictement linéaire et scandée
par des discontinuités entre les mots et les phrases. Il y a donc une pénible conversion à
faire. De plus, sauf cas exceptionnel, nous écrivons beaucoup moins vite que nous parlons,
et donc que nous pensons. Des spécialistes ont montré que nous faisions plus d’erreurs en
milieu et en fin de mot qu’au début. C’est la conséquence de ce décalage : nous sommes
déjà en train de penser au mot suivant alors que nous finissons d’écrire le précédent, et cela
seul crée une fatigue pour la mémoire, exige un surcroît d’attention.
Une autre complication vient du fait que l’écriture est un monomédia, tandis que l’interaction
verbale est un multimédia. Il s’agit donc de faire entrer dans un canal unique et étroit toutes
sortes d’informations véhiculées à l’oral par l’intonation, le geste, le regard, l’expression du
visage, la situation même que partagent les interlocuteurs. La parole est, dit-on, aidée par
un contexte et s’appuie sur lui. L’écriture tend à perdre ce contexte et ne peut compter que
sur ses propres forces. Si par exemple, je rédige une lettre d’excuses pour avoir oublié de
rendre un livre à la bibliothèque, je dois dater, indiquer mon nom et développer des formules
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SUJETS D’ANNALES CORRIGÉS telles que « Monsieur ou Madame, je vous prie de bien vouloir excuser le retard avec lequel
je vous retourne ce volume des Trois Mousquetaires, etc. » Suivent quelques prétextes
fallacieux. Face à la bibliothécaire, je n’aurai qu’à prendre un air navré et tendre le livre en
disant que « je suis un peu en retard ».
Les systèmes logographiques
Les spécialistes de l’écriture savent à quel point cette difficulté n’a été résolue que très progressivement dans l’histoire. Les icônes, les glyphes et les idéogrammes ont en général précédé
les écritures logographiques, c’est-à-dire celles qui reproduisent la parole. Leur capacité à
coder le discours était encore très partielle et leur usage limité à certains types d’inscriptions.
Les systèmes logographiques ont à leur tour mis des siècles à se perfectionner en inventant
la coupure entre les mots, la ponctuation, les guillemets, les majuscules, les parenthèses, etc.
Tous ces éléments sont venus compenser le cruel appauvrissement qui affecte l’écriture par
rapport à la parole : le point remplace le ton de la voix qui baisse, la virgule code un petit
silence. Mais c’est encore incomplet. Bien des attitudes et émotions, qui affectent le sens, ne
peuvent être exprimées que de manière lexicale : « Tu es parti il y a une heure », dit-elle, d’un
air excédé. Le point d’exclamation existe, mais pas celui de réclamation. Conséquence : il faut
presque toujours écrire plus que l’on parle pour dire la même chose.
Une trace tangible et irréversible
Philippe Meirieu, auteur d’un petit ouvrage intitulé comme le sujet de cet article, souligne, lui,
une autre facette intimidante de l’écriture. Il cite deux auteurs, Jean-Louis Chiss et Jacques
David, qui résument bien la situation : « L’angoisse de la page blanche, la peur de faire une
simple lettre, les réticences, affichées ou non, à remettre un travail écrit, sont autant de symptômes d’une difficulté à accepter que des propos soient irrémédiablement inscrits dans l’histoire
d’une personne. » Comme dit le proverbe, « les écrits restent », et peuvent – et sont même
destinés en général à – être lus par quelqu’un. Car, même si le scripteur n’a pas d’interlocuteur,
il a en général un ou plusieurs destinataires, qu’ils soient connus ou inconnus. Sauf dans le
cas des écritures purement mnémotechniques – listes de courses ou journal intime –, nous
rédigeons avec l’inquiétude subliminale que ce quelqu’un comprendra ou ne comprendra pas,
aimera ou n’aimera pas, jugera notre production, s’il ne s’en moque pas franchement. C’est
pourquoi écrire, c’est s’engager, c’est produire des énoncés qu’à un certain moment on ne
pourra plus changer et qu’il faudra bien montrer. Ce côté irréversible est, selon P. Meirieu, une
source importante de difficultés face à l’écriture d’un texte tant soit peu personnel.
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Reste que cette rémanence de l’écrit a été vue de manière très positive par les spécialistes
de la « littératie », qui ont vu dans l’invention de l’écriture une véritable « révolution pour
l’intellect », ayant eu un impact profond sur l’histoire de la pensée humaine. Selon Jack
Goody, Walter Ong, David Olson et quelques autres, l’écriture ne fait pas que transcrire un
message : en en fixant la lettre, elle met en évidence les imprécisions et les contradictions
qu’il peut comporter. Elle rend donc comparables et critiquables des énoncés qui auparavant
ne l’étaient pas. Par retour, l’écriture aurait donc contraint les hommes à plus de cohérence,
de rationalité et de précision. Tout en soulageant la mémoire, l’écriture a donc apporté de
nouvelles exigences de rigueur, celles-là même qui rendent la formulation d’un texte écrit
plus coûteuse en réflexion qu’un propos oral.
À part cette peine, l’écrit a toutes sortes de qualités et d’avantages, dont le premier est de
circuler indépendamment de la personne qui en est l’auteur. Cette caractéristique intéressante est aujourd’hui concurrencée par bien d’autres technologies, numériques, ou non,
qui nous permettent de faire voyager la voix et l’image. On a donc pu annoncer le déclin
programmé de l’écriture. Or rien n’est moins sûr : jamais on a autant écrit que depuis
qu’Internet, le courrier électronique et les SMS téléphoniques existent. Face à ce phénomène,
deux explications bien différentes sont fournies. L’une, teintée de critique, affirme que cette
écriture-là n’est plus ce qu’elle était : les messageries, par exemple, avec leur capacité
dialogique en temps réel, en feraient une sorte de bavardage écrit. Quant aux SMS, ils
seraient la ruine de la langue et de l’orthographe.
Mais tout cela ne justifie pas qu’on les préfère. L’écrit a des propriétés que l’on oublie
souvent de considérer : celles de maintenir une distance entre un auteur et son lecteur,
d’autoriser la réflexion et de ralentir les interactions. P. Meirieu cite un exemple frappant :
celui d’un adolescent qui préfère de loin laisser un petit mot à ses parents disant « ce
soir, je sors. Ne m’attendez pas », plutôt que de leur téléphoner ou d’attendre leur retour.
En l’occurrence, l’avantage est simple : cela évite une discussion. Cette prise de distance
par l’écrit a de nos jours des applications beaucoup plus larges et visibles. Le 22 août
dernier, le journal Le Monde consacrait un article au boom des SMS et autres messageries :
10 milliards par jour de messages sur Facebook dans le monde, 280 SMS par personne et
par mois en France. Les adolescents en écrivent 83 par jour, 2 500 par mois. Interrogées, de
jeunes personnes expliquaient que ce n’était pas par économie, mais par préférence : moins
intrusif, moins stressant que l’appel téléphonique, le SMS est en quelque sorte plus poli et
presque aussi rapide que la parole. Une maman lui reconnaissait même les qualités typiques
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SUJETS D’ANNALES CORRIGÉS de l’écrit : « À l’oral, je peux bafouiller, chercher mes mots. Par écrit, je prends le temps pour
être bien comprise. » Après tout, il n’est pas si difficile d’écrire. On s’y fera peut-être un jour.
Nicolas Journet, « Pourquoi est-il si difficile d’écrire ? »,
Sciences humaines, novembre 2013
1. Contraction de texte (14 points)
Contractez le texte en 300 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est autorisée. Indiquez
le nombre de mots en bas de votre copie.
2. Vocabulaire (6 points)
a) Proposez deux synonymes pour chacun des mots suivants, en caractères gras dans le texte :
apprentissage, complication, irréversible (3 points).
b) Rédigez l’explication complète des expressions suivantes, en gras et en italique dans le texte :
prétexte fallacieux, journal intime, déclin programmé de l’écriture (3 points).
Corrigé
Les sujets de Lille sont longs à traiter. Depuis trois ans, il faut résumer les textes proposés en deux
cent cinquante à trois cents mots, à cela s’ajoutent des questions de vocabulaire. Vous devez donc
vous entraîner à être rapide pour terminer le sujet dans les deux heures imparties. Tenez compte
du barème.
Un mot sur l’auteur
Nicolas Journet, docteur en anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales, est
actuellement chef de rubrique chez Sciences humaines. Auparavant, il a contribué aux Cahiers de
Science et vie pour le magazine Science et vie.
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