LE TEmPs cAPITALIsé ET LEs RELATIONs hUmAINEs
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LE TEmPs cAPITALIsé ET LEs RELATIONs hUmAINEs
04/05_OPINION LE TEmPs cAPITALIsé ET LEs RELATIONs hUmAINEs Cet article est consacré au temps, non pas à la pluie et au beau temps mais au temps infini, celui qui rythme notre quotidien, celui qui est souvent malmené au nom de la rentabilité. Je m’interroge sur le rapport au temps qu’entretiennent nos sociétés et des conséquences qu’il peut avoir sur les individus. Je mets volontairement en exergue la notion du temps et celle de la rentabilité. deux notions a priori opposées mais qui, je pense, se retrouvent étroitement liées dans le quotidien de nos vies. Dans le dictionnaire, l’une des définitions du temps dit ceci: notion fondamentale conçue comme un milieu infini dans lequel se succèdent les événements et souvent ressentie comme une force agissant sur le monde. pour illustrer le temps, la manière de concevoir cet espace, un journaliste1 de L’Hebdo propose une réflexion sur les différentes manières de vivre le temps entre pays du Nord et du Sud. Voici quelques extraits de cet article pour illustrer le rapport au temps de nos sociétés : « …C’est l’histoire d’un Occidental rencontrant un nomade dans le désert. Le nomade chemine avec son chameau en direction du village Z. - Quand donc y serez-vous, demande l’Occidental ? - Dans 8 jours à peu près, répond le nomade. - Mais si vous aviez une jeep, vous y seriez demain. - Et que ferais-je à Z des six jours restants? demande à son tour le nomade. - Tiens se dit l’Occidental, voilà la voix de la sagesse. Mais il y a quelque chose qui lui échappe, quelque chose qu’il ne comprend pas. La réalité, c’est qu’il sera demain à Z, lui, avec sa jeep. Et sur le temps ainsi comprimé, il commencera à produire des biens, à réparer sa jeep ou à en construire une seconde. Le nomade, lui, consomme de l’infinité de temps. Et il y a une dynamique dans cette consommation. » «presque un récit biblique, en somme. Qui ramène l’auteur d’un clin d’œil à la plus ancienne métaphore de la culture occidentale, celle de la Genèse, qui induit paraît-il le sentiment de culpabilité que nous traînons depuis si longtemps derrière nous.» « L’histoire, on la connaît : Adam cueille le fruit interdit, il est chassé du paradis terrestre et doit commencer à travailler. Au fond, n’a-t-il pas simplement transgressé l’interdit en omettant d’attendre que le fruit soit mûr et qu’il tombe de lui-même ? pour la première fois, il a fait violence au temps, il l’a comprimé pour s’approprier un bien… » « De la première pomme cueillie sur l’arbre à la navette spatiale en passant par le silex, la jeep et l’ordinateur, il n’a pas cessé depuis lors de réduire tou- jours plus le temps pour accumuler de plus en plus de biens. Des biens capables à leur tour, comme dans une infinie spirale, de réduire le temps jusqu’à ses dernières limites... ». Réduire le temps pour accumuler davantage de biens, n’est-ce pas la raison d’être de nos sociétés capitalistes ? 1 Yves Lassueur, « lettre à mon frère du temps », 1985. NoTRE RAPPoRT Au TEMPS DANS LE QuoTIDIEN …Je n’ai pas le temps… ne pas perdre de temps mais en gagner, perdre son temps, expression qui signifie ne rien faire… Qui n’a pas entendu ce type de phrases, que ce soit au travail ou dans la vie de tous les jours… Le temps se gagne-t-il ? S’achète-t-il ? Le temps aujourd’hui est-il une marchandise qui doit être rentable ? Bientôt coté en bourse ? Courir après le temps, ne pas avoir le temps de s’occuper de ses enfants, de sa famille, de ses parents ou grands-parents que l’on met en EMS parce qu’on n’a pas de temps à leur consacrer (ou peut-être pour d’autres raisons). Et si le fait de proposer des EMS, des crèches et d’autres structures contribuait, bien malgré nous, à la rentabilité de nos sociétés et à en réduire les valeurs de solidarité ? Des structures sont mises en place pour permettre aux personnes d’êtres prises en charge. On peut le constater, plus on ouvre de crèches, moins les enfants sont avec leurs parents ; plus ces derniers travaillent, moins ils ont de temps à partager avec leurs enfants, leurs familles. Alors pourquoi ne pas délaisser la rentabilité pour laisser de la place au temps, à la réflexion, à la rencontre, à l’éducation, à l’échange ? Et si ce stress provoqué par la compression du temps était à l’origine du dysfonctionnement de nos sociétés occidentales marqué par la violence, le rejet de l’autre, le refus de la différence, l’indifférence, l’individualisme, voire la perte de l’envie de vivre et de faire des projets... ? L’Etat et notre gouvernement ont une responsabilité. Nos sociétés capitalistes, fondées sur la production et l’accumulation de biens, méprisent le temps pour accroître leur confort, leur sécurité matérielle. Certes, quelquesuns d’entre nous profitent de ce confort, mais à quel prix? La prospérité de la Suisse est due en partie au pompage de richesses issues d’autres pays, de l’Union européenne à l’Asie, en passant par le tiers-monde. Ne faut-il pas dès lors considérer la rentabilité comme une ennemie du temps ? Je parle de ce temps qui permet aux individus de se rencontrer et de manifester leur solidarité, que ce soit entre voisins ou entre peuples. LES MuLTINATIoNALES ET LE TEMPS RENTAbILISé Quel rapport avec le temps, me direz-vous. Eh bien je répondrai que les multinationales investissent partout où cela peut être rentable, l’important étant denis LIENGME animateur de tirer profit de certaines ressources le plus rapidement possible. C’est donc à nouveau l’accumulation d’un bien au détriment d’un environnement, d’une population, du temps. Aujourd’hui, des multinationales examinent par satellite les ressources en eau qui sont encore pures et disponibles sur notre planète pour commercialiser de l’eau en bouteille, ceci au dépend des populations qui vivent à proximité de ces grandes usines et qui n’ont, elles, pas d’eau potable dans leur village. Ne sommes-nous pas en face d’un rythme de production qui ne tient compte ni des populations, ni de l’environnement, ni de la diversité ? LE RAPPoRT Au TEMPS DANS LE MéTIER Du SoCIAL Dans notre métier du social, le temps est aussi de plus en plus compressé. Le besoin d’un résultat immédiat prime sur les questions importantes. Nos projets se calculent en heures, tant d’heures pour tel projet, tant d’heures pour un autre : tout se mesure, il ne peut pas y avoir de place pour l’improvisation. Il est dès lors de plus en plus difficile de prendre du temps pour les rencontres faites dans un quartier avec les habitants, parents, enfants. Tout devient - ou doit devenir rentable, efficace, linéaire. Bref, peu de temps consacré à l’essentiel : la relation et le mieux vivre ensemble. pour arriver à ce mieux vivre ensemble, il faut laisser du temps aux uns et aux autres. Il me semble essentiel de respecter les différents besoins de tous en terme de temps afin que chacun d’entre nous puisse apporter à ce monde ses qualités, ses capacités, sa diversité pour permettre de construire une société plus juste, plus égalitaire, plus solidaire. Le système politique est en panne de transformation sociale. On le voit en Grèce, en Italie, en Espagne, au portugal et dans bien d’autres pays du Sud où les peuples s’indignent. Le vivre ensemble est à reprendre, non pas en terme de productivité, de résultat immédiat, mais au contraire en terme de valorisation du lien entre les individus, indispensable au mieux vivre JEUNEssE EN AcTION « Ils ne savent pas de quoi ils parlent » : ce n’est qu’une critique récurrente parmi d’autres énoncées par les détracteurs de la jeunesse. Jugée inexpérimentée, ingérable ou idéaliste, il est souvent ardu pour la jeune génération de se faire une place dans ce monde d’adultes. «Ce cliché persiste, surtout auprès des aînés, que les jeunes ne font rien de leurs journées, qu’ils ne s’intéressent qu’à la mode et à la fête. C’est pourtant loin d’être le cas! », proteste Eva Hirschi. L’étudiante expérimente régulièrement le fossé qui peut exister entre les générations. Du haut de ses 21 ans, elle est responsable de la communication et vice-présidente de Tink.ch, un journal en ligne alimenté par de jeunes reporters bénévoles de toute la Suisse. Rédiger des communiqués de presse, les relayer dans les rédactions, maintenir des contacts réguliers avec les autres médias: elle n’a pas formellement appris le métier mais réalise les tâches qui lui incombent de manière tout à fait professionnelle. Et face à cette jeunesse qui a soif d’apprendre, les réticences sont encore trop nombreuses. «Il est parfois vraiment difficile d’être pris au sérieux par les grands»; surtout lorsque l’on a une idée exceptionnelle et courageuse, on ne reçoit souvent pas plus qu’un petit sourire en coin.». pourtant, pour beaucoup de jeunes, l’engagement pour une cause qui leur tient à cœur est un pilier de leur vie. «Chez Tink. ch, notre projet est d’offrir à des jeunes curieux du monde des médias à la fois un canal d’ex- des populations. En conclusion, ne faudrait-il pas écouter la voix de la sagesse en arrêtant de compresser ce milieu infini qu’est le temps au nom d’une rentabilité qui exclut, qui opprime les peuples de ce monde ? Ne faudrait-il pas redéfinir l’usage du temps comme valeur essentielle à l’équilibre de l’humanité ? pour terminer, je citerais Nicolas Bouvier écrivant lors d’un de ses séjours au Japon : « prendre son temps est le meilleur moyen de ne pas en perdre. ». Juliette IVaNEz pressionpourpublierleurstextes et photos, mais aussi de solides bases dans les techniques du journalisme. plus qu’un hobby, on parle ici d’acquérir de réelles compétences», explique la jeune femme. Et ils sont nombreux à partager sa motivation et son énergie, faisant mentir les idées toutes faites sur les jeunes d’aujourd’hui. « A notre âge on a le droit de rêver, d’oser, d’être un peu fou; et qu’elles soient positives ou négatives, toutes les expériences que l’on accumule nous permettront d’être pris au sérieux – le plus tôt possible!».