Corps texte Elle-Lui

Transcription

Corps texte Elle-Lui
Corps - Texte
ou la parole de chair et de terre
Corps - Texte
où le corps d'encre et d'eau
Lui = Lesneven
Elle = Douarnenez
Elle : - Ce corps qui est le mien, je le vois. Je le sens et le palpe. Laisse-moi te dire. Mes mains qui
courent. Mes doigts qui mangent et mes ongles qui aiment. Mes orteils, mes talons qui glissent
sur la surface des étoiles. Laisse-moi te dire. Mes intestins montagnes, mon ventre sable ou
savane. Mes poumons océans et ce bateau voguant vers le lointain. Mon cœur à l'horizon. Laissemoi te dire. Le tout en mille soleils, mille dunes, mille neiges. Laisse-moi te dire. Un mot : voyage.
Amour. Amitié. Bonheur. Et l'ange en moi qui circule du diaphragme à la main, des pieds au dos,
s'arrête sous l'aisselle ou dans la paume. Et l'ange en moi qui ne demande qu'à vivre, revivre dans
le corps de mon désir.
Lui : - Ce corps, ce corps. Tant de possibles. La vie est une statue. Ma main la prend, la saisit, la
sculpte cette statue qu'est la vie. Elle en efface la peur. Et mon cœur court : il sait qu'il peut
s'arrêter. L'Enfer est là. Mon cœur trébuche, s'arrache de ma poitrine. Je suis mou, je m'effondre.
Mon corps est serpillère et je lave le sol du monde, le mien. Je lave la saleté et aussi mes erreurs.
Je nettoie la tristesse, la maladie. Je me relève. Je me tire par l'oreille, me foue une claque. Je me
pince pour rêver - mon corps se fige. J'imagine. Une boîte. Pandore et la musique. J'y mets, dans
cette boîte, un nouveau monde. J'imagine. Cette boîte, ce nouveau monde sans préjudices, ni
injustices. Sans peurs. Toutes les peurs, tu sais. Celles de la pauvreté. La pauvreté, tu sais ? Le
chômage, la solitude, la rue sans domicile, la faiblesse, le désespoir, la faim, le manque d'argent,
l'envie d'avoir ce que les autres ont. Mon corps, une boîte. Un monde nouveau. La solidarité,
l'égalité. J'imagine. Oui, j'imagine y glisser l'imagination. L'imagination, tu sais ? Pensées, rêves,
idées. Irréel. Et des images. Un autre monde qui s'ouvre sur un autre monde. Fantastique. Je
refais la création de la Terre. J'écris sur des murs, des grottes de chair pour que l'on se souvienne
de moi, pour dire mes jeux, mes gestes. Je suis un lieu, je suis mille lieux. Et toi ? Qui es-tu ?
Elle : - Qui suis-je ? Comment te dire... Je suis Nathan, Andréa, Luanne, Fabien, Mathias ou
Malo. Je suis Charlène, Louise, Romane, Laura et même Astrid et Déborah et il y a tant à dire de
moi, tant de bonheurs et de tristesses, tant de paysages et d'émotions et de questions. Tant de
haine parfois et puis parfois la découverte et l'espoir. Il y a tant et tant. Tant de retrouvailles. Tant
de joies jaunes, mes soleils, dans ce corps à l'allure froide. Tant de souffrances grises dans ce
corps encore enfant. Et puis le calme. La tranquillité. Le mystère du tant et tant. Des histoires de
cris, d'énergies et de bruits. Tant de fatigue, de café et de pluie. Tant de recul dans ce corps
retrouvé pour te dire qui je suis. C'est à toi de répondre maintenant au "qui je suis".
Lui : - Qui je suis ? Je suis Mélanie, Anaïs, Dorine, Laure, Audrey, Nolwenn, Marie, Antoine,
Jeoffrey. Je suis Thomas, Pierre, Maël, Jérémy, Anthony, Florence, Sarah, Céline, Maëva, Pauline,
Maella, Marine, Le corps, plis et replis tabous. En quelques petits papiers pliés, les mots
s'extirpent de mon esprit. Ou de mon cœur peut-être bien. Le corps et en dedans - dissimulées -
mille et une craintes, mille et une peurs. Je me sens mal dans ma peau, mais ça je ne le dis pas à
mes parents. Dans la classe encore moins.
Mal-être. Mal dire. Médire. D'autres jugent sans savoir, sans connaître. Ils jugent, ignorant qu'en
face d'eux il y a un cœur fait pour aimer et non mourir. Sans savoir qu'en face d'eux il y a de la
douleur. D'autres vont trop loin. Mal être. Mal dire. Médire. Humeurs et rumeurs. Grandes
rumeurs de bouche en bouche. Les regards indiscrets, les murmures. De le dire, de le penser, ça
me dévore. Comment leur dire que la vie ne se résume pas à ça ?
Dans le corps, plis et replis, des pensées suicidaires.
Tabou : La mort. Celle d'un lapin, d'un chat, la chaleur et la douceur disparues - et le chagrin. La
mort. Celle d'une grand-mère, d'un grand-père à qui l'on confiait tout. Ne rien dire. La peur de
vieillir. Peur d'être bête. Et l'on pleure en secret quand la fatigue est là, quand y’en a marre de
tout. Peur. Peur encore de dire ce qui fait peur. Les petites bêtises du quotidien : une mauvaise
note, les disputes, un objet perdu, cassé. - Pardon papa si j'ai perdu ta raquette de ping pong ! - Et
puis parfois la peur même de dire ce qui est bien. Mal-être. Mal dire. L'amour. J'ai une petite amie,
mais chut ! Je n'en dis rien.
Le corps, plis et replis tabous. En quelques petits papiers pliés, les mots s'extirpent de mon esprit.
Ou de mon cœur peut-être bien. Tabou l'argent qui mène le monde par le bout du nez et qu'il
faudrait brûler. Tabou la colère. Les mots qui n'arrivent à rien dire.
Elle et Lui : - En nos corps, quelque chose grandit.
Elle : - C'est dans le cœur, tu crois ?
Lui : - Mon cœur, je te le dis en images, en désirs contraires. Mon cœur, je te le dis avec : Mes
larmes sèches - Mes yeux aveugles et mon miroir opaque - Mes pieds sans vie - Mon amour-haine
aussi - une blessure animée- un front brûlant et puis la neige noire. Je te dis mon paradis infernal Le feu glacial de mes mains inutiles - ma nue habillée - une mer noire dans une nuit lumineuse. Je
te dis encore mon océan désert - une mer blanche dans un jour sombre. Un corps vide et ma
petite immensité. Immensité dans laquelle je plante pour toi de l'herbe bleue, dans laquelle je fais
venir un chaton arc-en-ciel et la flamme obscure de mes erreurs. Mon cœur je te le dis avec un
crayon sourd et aveugle. Le bois éveillé de mon bureau et le livre ouvert du désir. Pour toi, mes
ratures deviennent lisibles. Pour toi l'amour est immortel puisque TU es l'immortalité éphémère
de mes mots. De toutes mes pensées.
Elle : - Ton cœur, je le prends. Il fait vibrer ma peau.
Lui : - Ta peau. Raconte-moi.
Elle : - Ma peau, c'est une histoire de temps. Au commencement, les aiguilles tournent sur le
cadran et de ma peau sortent des paysages où je nage librement. Mouvement de l'espace. J'adore
être dans la lune et m'y confondre, soir et nuit, nuit et soir car le soir, car la nuit, ma peau se
détend et le rêve ronge mon lit. Une fête se déclenche. Je sens alors l'amusement qui vient et je
bois.
Aurore, ma peau est un livre qui raconte les couleurs de l'arc-en-ciel. Par ma peau, l'envie me
prend de voler, au lever du jour, au-delà des nuages.
Les aiguilles tournent sur le cadran. Chaque matin, entre les plis et les mouvements de ma peau,
mon ami imaginaire se promène dans sa pyramide.
Les aiguilles tournent sur le cadran et, dans ma peau, le lapin de l'après-midi me fait vibrer le
cœur, me fait aimer la vie. Vers le milieu du même après-midi, l'habitant de ma peau s'amuse avec
une image du passé.
Ma peau, encore elle, toujours elle, crie et mange comme à l'heure du goûter, du dîner, enfin je ne
sais plus trop l'heure qu’il est. Je suis comme un oiseau qui, sans ses ailes, ne peut plus voler. Je
reviens sur terre.
Les aiguilles tournent sur le cadran. Ma peau est une histoire de temps. J'imagine aujourd'hui,
pour ton regard, que ma peau devient feuille. J'imagine que je suis Peter Pan. J'imagine et je rêve
de manger des pommes de terre tout autant que de voler dans les airs.
Ma peau est une histoire de temps. Au travers d'elle, je regarde le ciel de demain avec espoir car
demain, oui demain, sortira de la peau de mon jardin le Rêve idéal et nourricier.
Les aiguilles tournent sur le cadran. Mais peu importe les heures et le calendrier, la musique est en
moi tout le temps. Musique et vie, je crée mon univers à travers elles. Peu importe le temps,
puisque le temps on en a pas tant que ça. Qu'il est précieux et unique. Le temps, il m'appartient,
je veux en profiter.
Lui : - Alors profite et écoute-moi. Pour toi, je suis poème et conte à la fois. Dans mon corps,
tant d'êtres que tu connais et que je vais te faire redécouvrir. Je suis La Petite fille aux allumettes.
Clarté éblouissante, je t'explose et j'ose te crier "Regarde ". Je suis Boucle d'or et je rentre sans
gêne dans ta maison, reste à me chauffer dans ton salon. Je m'endors n'importe où et je rêve de
toi, de nous. Je t'imagine Blanche-Neige et dans la forêt, j'ai une maison pour t'inviter. Les
tableaux sont bien mis, la porte est bien fermée. Je te montre le plus grand nain des sept nains .
Moi, je suis le plus petit, sensible et silencieux. Ecoute-moi encore ! Je suis la sorcière. Laisse-moi
t'accueillir avec plaisir et te faire grossir et t'engraisser - en toute honnêteté. Puis te manger - avec
simplicité. T'engloutir - avec un grand sourire. Je suis un ogre qui te voit de toute ma hauteur. Un
ogre qui te sent, te renifle, te hume de toutes ses narines .Un ogre qui peut te sauter dessus,
t'écrabouiller de tout mon corps qui fait trembler la terre. Sous l'effet de ma voix, ton cœur se
réchauffe. Il s'élève dans les nuages et déploie ses deux ailes en or. Deux ailes qui brillent de mille
feux. Comme des étoiles. Je suis le conte et le poème. Verlaine et La belle au bois qui dormait. Je
me promène dans ta forêt. Sans me perdre.
Elle : - Tu te cherches. Tu te fuis.
Lui : - Je suis le Chaperon et le loup. Je veux une vie normale. Sans drame. Une vie bien calme.
Comme un rameau sur l'eau. Je suis un loup. Je te mange avec mes mains moites. Je te suis sur les
bords de la Seine. Je te sens sans avoir à te suivre. Je te veux sans vouloir te voir de près. Je te
regarde- le regard noir et raide. Cavalier des cavernes, je te cours, te parcours et t'envie avec tant
de tendresse. Ecoute-moi ! Petit Poucet, je deviens grand. Je te sème et retrouve mon chemin de
frênes et de fougères. J'empêche l'ogre de te manger et te ramène chez toi. Là où le feu flamboie.
Tu vois pour toi, je suis tout ça.
Elle : - La vie, quoi !
Lui : - La vie, l'amour...
Elle : - Je voudrais bien te dire l'amour. Mais autrement...
Lui : - Vas-y. Ne crains rien. On peut tout dire et tout entendre, n'est-ce pas ?
Elle : - Alors je te dis merde.
Lui : - Pardon ?!
Elle : - Oui. Je te dis merde
avec le son inconnu de ma langue
avec mes dents et mon palais
Je te dis merde mon amour
Je te dis merde en été
en vacances
à la plage
en jouant dans le sable
Je te dis merde en hiver
Je te dis merde avec le manque
avec la haine
Je te dis merde
de longues journées enfermées
de l'obscurité
de la lumière des projecteurs
de la pluie torrentielle sur la tôle froissée
Je te dis merde
mon ciel enragé
mon étoile verte
ma fumée colorée
Je te dis merde mon chez moi
Je te dis merde mon homme élastique
qui tourne
qui claque
qui casse et qui fait mal
Je te dis merde de mes mains
de mon ventre
Je te dis merde à toute raison
Je te dis merde malgré
nos jalousies
nos pleurs et nos cris
Je te dis merde que ça te plaise
ou non
Je te dis merde ma
liberté
ma moitié
mon besoin
mon meilleur ami
mon frère
Et toi sauras-tu me dire merde comme tu m'aimes ? Sauras-tu me dire : merde mon amour
ma chienne
ma sirène
ma poubelle
Je te dis merde le monde
mon monde de merde
ma terre de gaz
ma terre de bombes à désamorcer
merde quoi
c'est trop long !
Sauras-tu me dire : Il m'est venu de t'aimer mais à quoi bon
de tout en haut
de cette lune loin du soleil
et du brouillard et des sonneries d'école.
Lui : - Oui, je saurai te dire tout ça et plus encore.
Elle : - Alors on y va ?
Lui : - On y va.
Elle : - Je laisse derrière moi un passé plein d'histoires, de forts évènements, voire même des
tragédies et du bonheur aussi. Je laisse ma rage de vaincre, ma jalousie. Mes peines et mes envies.
Je laisse l'abandonnée et la laissée pour compte. Mes coups de gueule. Je commence à sourire.
Lui : - Laisse tout ça, oui. Tes colères et tes peurs. On s'en va. Tout ne peut pas être dit en une
fois. Tout n'est pas dit, ni écrit encore.
Elle : - Et plus en corps. Tout ce qui ne s'est pas dit. Tout ce qui s'est écrit.
Lui : - Nos naissances réinventées. Nos métaphores. Nos "comme par miracle" et nos
"pourquoi".
Elle : - On ne peut pas tout dire. Le monde est à venir. Il y a tant de lieux en nos corps. Ces
lieux, tu t'en souviens ?
Lui : - Douarnenez, Lesneven. Et puis dans le cerveau, la plage de la Torche, pour ligament la
dune du Pila, Pouldergat dans l'estomac. Galets gourmands. Longue église longiligne. Sable
volumineux. Et puis, et puis la plage encore, celle du Ris, celle des Dames, au creux du foie. Et La
pointe de Trévignon en plein cœur de ma rate. Dans la chair des vagues vivaces et brûlantes. Je te
souffle mes lieux. Je te souffle le Steir. Le Guilvinec vibre dans mes poumons.
Elle : - La terre n'en finit pas de vivre et j'ai un bout de monde en moi. Un ciel qui veille audessus de ma tête. Lumineux et lunatique. Un ciel de crac, de croc. De croustillements. Oui, tout
cela est en moi.
Lui : - Et l'avenir dort dans nos mains.
Elle et Lui : - Des mains comme un vaisseau de guerre. Des mains comme un arbre qui s’étend
vers le haut et disperse ses branches. Des mains qui creusent dans le sable pour y mettre de l’eau.
Des mains qui construisent et qui refont le monde. Des mains comme un oiseau. Un oiseau libéré
au-dessus de cette terre si difficile. Si grande. Des mains comme des étoiles jaunes bavardant dans
le silence. Des mains comme des cœurs chuchotant. Comme un chien blanc dans la nuit. Des
mains.
Elle : - Tout est entre nos mains.
- Fin (momentanée) - (n'est-ce pas ?) -