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Juin 2015 - Numéro 20 LA REVUE DE L'ASPAJ Chronique mensuelle d'actualité jurisprudentielle intéressant les Administrateurs Judiciaires Par les étudiants du DU/M2 Droit des Entreprises en Difficulté Université Paris I Panthéon-Sorbonne sous la direction du Professeur François-Xavier LUCAS Responsable de la rédaction : Paul URBAIN - Edouard RUFFIN Responsable de la publication : Patrice BRIGNIER - Président de l’ASPAJ [email protected] SOMMAIRE À LA UNE 2 L’irritante consécration des clauses de solidarité inversée CA Versailles, 13ème ch., 12 mars 2015, Arrêt des poursuites 3 8 Passif L’étendue des pouvoirs juridictionnels du juge-commissaire Cass. com., 8 avril 2015, n°14-11130 Indemnité en cas de rupture tardive des documents de rupture obligatoires au salarié Cass. soc., 1er avril 2015, n°14-12246 Conditions de l’acquisition de la clause résolutoire d’un contrat de crédit-bail immobilier Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-11129 4 Social Responsabilité 9 Immunité si les fonctions prennent fin avant l’apparition de l’insuffisance d’actif Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-12430 10 Responsabilité pour insuffisance d’actif : délai de prescription Cass. com., 8 avril 2015, n°13-28512 Plan de cession 5 L’élargissement de l’assiette des droits d’enregistrement aux charges augmentatives de prix Cass. com., 27 mai 2015, n°14-14744 6 Redressement judiciaire du franchiseur : l’absence d’agrément du franchisé ne fait pas obstacle à la cession CA Lyon, 9 décembre 2014, n°13/09690 Réalisation d’actif 7 L’impossibilité de réaliser un bien indisponible Cass. com., 2 juin 2015, n°14-12230 Garanties 12 Conditions d’efficacité d’un gage avec dépossession et entiercement Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-13787 Brèves jurisprudentielles 13 Cass. com., 08 avril 2015, n°12-10102 Cass. com., 08 avril 2015, 13-28061 Cass. com., 05 mai 2015, 14-17941 A LA UNE L’IRRITANTE CONSÉCRATION DES CLAUSES DE SOLIDARITÉ INVERSÉE CA Versailles, 13ème ch., 12 mars 2015, Sirius : RG 14/02599 La clause qui stipule que « le cessionnaire devra s’obliger solidairement avec le preneur au paiement des loyers et à l’exécution des conditions du bail » n’étant pas une clause restrictive de cession qu’il y aurait lieu de déclarer non écrite, comme contraire aux objectifs d’ordre public de la cession de l’entreprise, il en résulte qu’en refusant de déclarer non écrite la clause de solidarité critiquée par les cessionnaires et en disant qu’il leur appartenait de faire leur affaire personnelle de la solidarité au titre des loyers impayés du cessionnaire avec le cédant, le tribunal n’a pas imposé aux cessionnaires des charges autres que les engagements qu’ils avaient souscrits au cours de la préparation du plan de cession. C et arrêt Sirius réjouira les rédacteurs de baux commerciaux autant qu’il indisposera les professionnels de la restructuration d’entreprises en difficulté. Reconnaissant une pleine efficacité aux clauses instituant une solidarité, au titre des loyers demeurés impayés, entre le preneur initial et le cessionnaire du bail, à l’occasion d’un plan de cession, il promet un bel avenir à ces clauses que l’on va désormais voir fleurir dans tous les baux et pourquoi pas dans tous les contrats à exécution successive. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin en effet s’il suffit de prononcer ce mot magique de solidarité pour tenir en échec les règles qui gouvernent la reprise d’entreprise en difficulté ? La clause litigieuse ne pose aucun problème lorsque le preneur est in bonis et que le cessionnaire accepte en connaissance de cause de payer une dette qui n’était initialement pas la sienne. S’il n’entend pas payer ces loyers, il lui suffit de ne pas reprendre le bail qui met à sa charge cet engagement. La clause n’inspire pas plus la critique lorsque c’est dans un cadre liquidatif qu’intervient le transfert du bail (en ce sens, Cass. com., 27 sept. 2011, n° 10-23539 ; LEDEN 2011, n° 158, obs. P. Rubellin). Sans doute est-elle de nature à renchérir l’acquisition mais, là encore, c’est au cessionnaire de peser le pour et le contre et de renoncer à la reprise du bail si l’ardoise laissée par le débiteur est trop importante. En revanche, lui faire produire effet lorsque le transfert du bail s’opère à l’occasion d’un plan de cession méconnaît profondément l’originalité d’une telle opé- Page 2 ration. En vue de sauver une entreprise dont la pérennité ne peut plus être assurée que par un tiers dans le cadre d’un plan de cession, le législateur a permis au juge d’ordonner la cession des contrats nécessaires au maintien de l’activité et ce en dépit de toute clause restrictive de la liberté de céder qui pourrait avoir été stipulée (Cass. com., 6 déc. 1994, n° 91-17927). Toute clause ayant pour objet ou pour effet de tenir en échec cette faculté de cession judiciaire doit être réputée non écrite. Or, tel est bien l’effet produit par ces clauses qui, en imposant au cessionnaire de payer un reliquat de loyer, renchérissent la cession au point de la rendre économiquement non praticable. En ce qu’elles constituent des clauses limitant la liberté de céder, elles doivent être privées d’effet. On ne saurait soutenir le contraire en tirant argument du maintien des conditions contractuelles en vigueur au jour de l’ouverture de la procédure collective, règle qui ne peut être invoquée en vue de contrarier la cession judiciaire du contrat et qui n’interdit pas de conclure que toute stipulation régissant la cession du bail en vue de la rendre plus difficile ou onéreuse doit être neutralisée. Cet arrêt ne nous paraît donc pas promis à un grand avenir. S’il échappe à la cassation, on peut pronostiquer que la solution qu’il consacre n’en sera pas moins rapidement contrariée par une intervention du législateur, qui ne pourra tolérer qu’une telle menace plane sur l’avenir du plan de cession. Par le juge ou par la loi, gageons, comme le faisait Caton l’Ancien à propos de Carthage, que Sirius sera détruit… François-Xavier Lucas Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Arrêt des poursuites CONDITIONS DE L’ACQUISITION DE LA CLAUSE RESOLUTOIRE D’UN CONTRAT DE CREDIT-BAIL IMMOBILIER Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-11129 L’acquisition de la clause résolutoire insérée dans un contrat de crédit-bail immobilier n’a pas à être constatée par une décision passée en force de chose jugée comme en matière de bail commercial ; les créances nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire, en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur, n’échappent à la règle de l’interdiction des poursuites qu’en cas de maintien provisoire de l’activité ordonné en application de l’article L. 640-10 du code de commerce. U ne société crédit-bailleur a obtenu la constatation judiciaire de l’acquisition de la clause résolutoire insérée dans un contrat de crédit-bail immobilier, et l’expulsion de la société crédit-preneur laquelle est condamnée à payer une provision à valoir sur les loyers impayés et une indemnité d’occupation équivalente au montant du loyer majoré des charges. Le crédit-preneur a interjeté appel et, en cours d’instance, a été mis en redressement puis liquidation judiciaire. La cour d’appel a condamné la société crédit-preneur à payer une certaine somme au titre des indemnités d’occupation pour une période allant de la date d’ouverture du redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire, jusqu’à la date de la libération effective du lieu. Le liquidateur forme un pourvoi en faisant valoir que dès lors que l’acquisition de la clause résolutoire en cause n’est pas constatée par une décision passée en force de chose jugée avant le jugement d’ouverture du redressement judiciaire de la société crédit-repreneur, le crédit-bailleur ne peut poursuivre son action après l’ouverture de celle-ci. La cour d’appel a donc méconnu le principe de l’interdiction des poursuites posé par l’art L. 622-21 C. com. La Cour de cassation a écarté ce raisonnement, et a approuvé la cour d’appel d’avoir considéré qu’« aucun texte n’autorise la suspension des effets d’une clause résolutoire d’un contrat de crédit-bail immobilier ». Autrement dit, la Haute cour a affirmé que l’acquisition de la clause résolutoire contenue dans un contrat de crédit-bail immobilier n’a pas à être constatée par une décision passée en force de chose jugée avant le jugement d’ouverture de la procédure collective du crédit-preneur, contrairement à ce qui est exigé en matière de bail commercial (Cass. com., 15 février 2011, n°10-12.747). Ce faisant, elle a Page 3 réitéré une solution qu’elle a adoptée dans un arrêt antérieur (Cass. com., 18 novembre 2014, n°13-23.997). Par un moyen relevé d’office, la Cour de cassation reproche par ailleurs à la cour d’appel d’avoir condamné le crédit-preneur au paiement d’une certaine somme sans avoir précisé s’il y a lieu le maintien provisoire de l’activité suite à la conversion en liquidation judiciaire. L’arrêt de cassation est rendu sous le visa de l’article L. 641-13, I C. com. dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 12 mars 2014. Selon l’interprétation qu’en fait la Cour de cassation, les créances nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire, en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur sont soumises, en l’absence du maintien provisoire de l’activité, à la règle de l’interdiction des poursuites. En conséquence, le créancier crédit-bailleur ne peut poursuivre l’action en paiement des loyers et d’une indemnité d’occupation que s’il y a maintien provisoire de l’activité. En l’absence d’une telle précision, l’arrêt est cassé pour défaut de base légale. Nous pouvons nous interroger sur la pérennité de la solution après l’ordonnance du 12 mars 2014 qui a notamment étendu le bénéfice du privilège posé à l’art L. 641-13 aux créanciers postérieurs dont la créance est née en exécution d’un contrat en cours décidé par le liquidateur. Il résulte de la nouvelle rédaction de l’article L. 641-13 qu’en l’absence de maintien provisoire de l’activité, un créancier crédit-bailleur peut bénéficier du droit au paiement à l’échéance si le contrat de crédit-bail a été poursuivi sur décision du liquidateur. Encore faut-il qu’il n’ait pas mis en œuvre la clause résolutoire avant le jugement d’ouverture pour que le crédit-bail soit un contrat en cours susceptible d’être poursuivi par le liquidateur. Wen Yun Zhang Juin 2015- Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Passif L’ETENDUE DES POUVOIRS JURIDICTIONNELS DU JUGE-COMMISSAIRE Cass. com., 8 avril 2015, n°14-11130 Après résolution du plan et ouverture d’une nouvelle procédure par le même jugement en cas de cessation des paiements, les créances inscrites à ce plan sont admises de plein droit, déduction faite des sommes déjà perçues. Les créances non inscrites au plan sont soumises à la procédure de vérification et d’admission des créances propre à la seconde procédure. L ors de la procédure de vérification et d’admission des créances, le juge-commissaire, suite à la vérification, a le choix entre quatre solutions aux termes de l’article L624-2 : il «décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence». La haute juridiction ajoute, depuis 2006 (Cass. com., 7 févr. 2006 : Bull. civ. IV, n°29) une cinquième solution qu’est l’exigence de sursoir à statuer en raison de son absence de pouvoir juridictionnel. En l’espèce, une première société a confié l’exécution d’un contrat à une seconde. À la suite d’un différend entre ces sociétés quant à l’exécution du contrat, une mesure d’expertise a été ordonnée en référé et, au cours de celle-ci, une procédure de redressement judiciaire s’est ouverte au bénéfice de la seconde société. Le donneur d’ordres a déclaré au passif de la procédure sa créance chirographaire au titre de l’inexécution du contrat. La cour d’appel s’est estimée compétente, à la suite du juge-commissaire, pour statuer sa la demande d’admission de la créance. Un pourvoi en cassation ayant été formé pour contester la créance et son bien-fondé, il revenait à la Cour de cassation de dire si la contestation relative à l’exécution prétendument fautive d’un contrat relève du pouvoir juridictionnel du juge-commissaire. La chambre commerciale répond par la négative au visa de l’article L. 624-2 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005. Page 4 En l’espèce, aucune instance n’était en cours comme la cour d’appel a pris le soin de le préciser. L’instance en cours, instance portée devant une juridiction du fond et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent, aurait eu pour objet de déterminer l’exécution fautive du contrat par le débiteur. L’enjeu se porte alors sur l’étendue des pouvoirs juridictionnels du juge, c’est-à-dire sur son aptitude à prendre une mesure. La Haute Juridiction estime que la contestation dépasse les pouvoirs juridictionnels de ce dernier. Elle avait déjà rendue une décision dans ce sens dans son arrêt Cass. com., 24 mars 2009, n° 0721.567. Le juge devait donc surseoir à statuer et relever d’office son défaut de pouvoir. La solution n’est pas nouvelle (Cass. com., 21 juin 2005, n° 04-10.868). Cette construction jurisprudentielle a été consacrée par l’ordonnance du 12 mars 2014 et par son décret d’application avec l’introduction de la notion de «contestation sérieuse». Les conséquences du défaut de pouvoir juridictionnel ont elles aussi été clarifiées à l’article R. 624-5, le juge-commissaire doit renvoyer les parties et les invite à saisir, dans le délai d’un mois, la juridiction compétente (avant la réforme de 2014, le juge-commissaire n’était pas tenu d’inviter les parties à saisir la juridiction compétente). Notre arrêt tient compte dans son attendu de cette nouveauté. Lorraine Monteilhet Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Plan de cession L’ELARGISSEMENT DE L’ASSIETTE DES DROITS D’ENREGISTREMENT AUX CHARGES AUGMENTATIVES DE PRIX Cass. com., 27 mai 2015, n°14-14744 «Mais attendu que l’arrêt constate que la prise en charge des congés payés dus aux salariés pour une période antérieure à la cession ne constitue pas une obligation imposée par la loi et que la société MDSP l’a proposée dans le but de présenter une offre susceptible d’être retenue par le tribunal, par préférence aux autres candidats au rachat de l’entreprise ; que la cour d’appel en a exactement déduit que ce montant devait être ajouté au prix pour la perception des droits d’enregistrement » L es repreneurs d’entreprises en difficulté consentent souvent à d’autres engagements pécuniaires que le simple versement d’un prix de cession. Parmi ces engagements, il est fréquent que figure la prise en charge des congés-payés acquis et non soldés par les salariés du débiteur cédant. En effet les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, soucieux de ne pas se voir opposer par l’AGS le plafond de couverture des créances salariales nées au cours de la période d’observation, incitent les repreneurs à la reprise des congés-payés acquis depuis l’ouverture de la procédure. Le repreneur avait soutenu dans son moyen que la prise en charge des congés-payés ne procurait pas d’avantage indirect au cédant. Se pose alors la question de savoir si cet effort financier consenti par le cessionnaire doit ou non entrer dans l’assiette retenue par l’administration fiscale pour déterminer le montant des droits d’enregistrement. La chambre commerciale préfère fonder sa solution sur l’absence d’obligation légale de reprise des congéspayés par un cessionnaire puisque l’administration fiscale décide « de ne pas ajouter au prix les obligations imposées à l’acquéreur par […] la loi » (P. Serlooten, RLDA – 2003, 60 supplément). Le traitement fiscal de l’acquéreur en plan de cession qui consent des charges augmentatives de prix paraît clair. La question a été posée à la Cour de cassation dans une affaire où le repreneur s’était engagé à la reprise de sept mois de congés-payés acquis par les quatre cent quatre salariés du débiteur. Le repreneur n’ayant pas inclus le montant de cet engagement dans le calcul des droits de mutation, l’administration fiscale avait rectifié l’assiette desdits droits et procédé à un redressement. Saisie d’un pourvoi formé par le cessionnaire, la Haute juridiction tranche en faveur de l’administration fiscale et retient que « la prise en charge des congés payés dus aux salariés pour une période antérieure à la cession ne constitue pas une obligation imposée par la loi et […] que ce montant devait être ajouté au prix pour la perception des droits d’enregistrement ». Page 5 L’argument était contestable dans la mesure où la personnalité morale de la société cédée ne disparaît pas du fait de la cession d’entreprise et que la reprise de ces congés payés évite une avance de l’AGS qui aurait pour effet d’alourdir le passif du cédant. Ce type d’engagement pourrait même faciliter la réussite d’un plan de redressement arrêté postérieurement à une cession partielle d’entreprise. Les engagements du repreneur fondés sur des dispositions légales - tel que l’article L. 1224-1 du code du travail pour le transfert des salariés - ne constituent pas des charges augmentatives de prix soumises au droit d’enregistrement (l’hésitation apparaît plus permise s’agissant de l’article L. 642-12 alinéa 4 pour le transfert de la charge de la sûreté, car le transfert de dette n’est pas d’origine légal mais judiciaire). Les autres engagements unilatéraux du repreneur intégreront l’assiette de la taxe. Paul Urbain Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Plan de cession REDRESSEMENT JUDICIAIRE DU FRANCHISEUR : L’ABSENCE D’AGREMENT DU FRANCHISE NE FAIT PAS OBSTACLE A LA CESSION CA Lyon, 9 décembre 2014, n°13/09690 Dès lors que le jugement arrêtant le plan de cession prévoit la poursuite par le cessionnaire du contrat de franchise, celui-ci subordonnant la cession du contrat au seul agrément du franchiseur si bien que l’accord du franchisé n’est pas exigé ; le franchisé ne peut ainsi s’opposer à la poursuite de la relation contractuelle avec le repreneur, motif pris qu’il n’a pas donné son agrément à la cession. A l’origine d’un contentieux dont les lignes de partage sont difficiles à cerner, la cession du contrat de franchise à l’occasion d’un plan de cession (L. 642-7 C. com.) se heurte notamment au caractère intuitu personae marqué de ce contrat, particulièrement en cas de procédure collective du franchiseur. Dans la mesure où le franchisé s’est engagé en raison des qualités du franchiseur pour lui transmettre le savoir-faire et les éléments attractifs de clientèle, le franchisage est estampillé d’un fort intuitus personae de telle sorte que ce contrat serait dénué d’intérêt pour le franchisé si la prestation était exécutée par un tiers qui n’offre pas les mêmes garanties que le franchiseur. Ainsi, des auteurs militent en faveur d’une impossibilité d’imposer la cession du contrat de franchise à l’occasion de l’arrêté du plan de cession de l’entreprise du franchiseur (F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 10ème éd., n° 1271), ce qui fut entériné par certaines juridictions (v. TGI Strasbourg, 20 déc. 2013, note F.-X. Lucas, BJE, 2014, n°3, p. 167). En l’espèce, un franchiseur fit l’objet d’un redressement judiciaire dans le cadre duquel un plan de cession fut arrêté, prévoyant la poursuite de tous les contrats clients au bénéfice du repreneur. La cour d’appel refuse de donner effet à la résiliation du contrat par un franchisé : celui-ci ne peut s’opposer à la poursuite de la relation contractuelle avec le cessionnaire au motif qu’il n’a pas donné son agrément à la cession puisque la poursuite des contrats prévue par le plan incluait le contrat de franchise ; de surcroit, la cession du contrat était subordonnée au seul agrément du fran- Page 6 chiseur sans que l’accord du franchisé ne soit exigé. L’arrêt se démarque ainsi de la jurisprudence antérieure. Pourtant, son interprétation n’est pas aisée: sa motivation ne vise pas L. 642-7 qui, au demeurant, n’exclut pas expressément la cession judiciaire de contrats intuitu personae. Ubi lex non distinguit… Un tel visa aurait permis de placer le débat sur la question de savoir si la franchise constitue une « fourniture de biens ou de services » au sens de L. 642-7, ce que la jurisprudence a pu dénier, relayée par la doctrine qui y voit un contrat sui generis (v. note F.-X. Lucas, op. cit.). Certaines cours ont d’ailleurs jugé que l’énumération de L. 642-7 est limitative et ne vise nullement le contrat de franchise (CA Versailles, 28 mars 1996, RJDA juill. 1996, n° 973). Enfin, une interprétation a fortiori de l’arrêt laisserait penser que, nonobstant la possibilité d’ordonner la cession judiciaire de la franchise, le franchisé pourrait s’y opposer sur le fondement d’une clause exigeant son accord pour la cession du contrat. Or, ce serait méconnaître le caractère d’ordre public de L. 642-7 qui frappe d’inefficacité les stipulations contractuelles qui écartent ou aménagent le mécanisme de la cession judiciaire des contrats. Edouard Ruffin Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Réalisation d’actif L’IMPOSSIBILITE DE REALISER UN BIEN INDISPONIBLE Cass. com., 2 juin 2015, n°14-12230 « Mais attendu qu’il résulte de l’article R. 121-22 du code des procédures civiles d’exécution que l’ordonnance sursoyant à l’exécution d’une décision du juge de l’exécution ayant annulé un procès-verbal de saisie vente proroge l’effet d’indisponibilité attaché à la saisie jusqu’à la décision statuant sur l’appel formé contre cette décision ; […], l’arrêt en déduit exactement que l’indisponibilité des actifs mobiliers saisis faisait obstacle à leur cession par le liquidateur» L es relations entre bailleur et liquidateur sont souvent conflictuelles et cet arrêt en constitue une nouvelle illustration. Une SCI créancière de loyers postérieurs au jugement d’ouverture avait pratiqué une saisie-vente sur l’ensemble du matériel de son locataire en liquidation judiciaire. Le liquidateur en a contesté la validité devant le juge de l’exécution et obtenu l’annulation. La SCI a alors relevé appel de cette décision puis obtenu le sursis à exécution par ordonnance du premier Président de la cour d’appel. En dépit de la procédure de saisie-vente en cours, le liquidateur avait entrepris la réalisation des actifs et s’était fait autoriser à vendre le matériel de gré à gré au visa de l’article L. 642-19 du code de commerce. L’ordonnance du juge commissaire fut frappée d’appel par la SCI qui s’était émue de l’atteinte au principe de l’indisponibilité du bien saisi. La cour d’appel rappelait alors que « la saisie vente, comme toute saisie, rend les biens saisis indisponibles, sous la garde du débiteur, et implique l’impossibilité de les aliéner, pour lui ou, en cas de liquidation judiciaire comme en l’espèce, pour le liquidateur qui le représente et exerce ses droits ». Dans son pourvoi le liquidateur rappelait l’annulation du procès-verbal de saisie-vente et invoquait l’effet d’anéantissement rétroactif attaché à une telle décision. La Cour de cassation balaie le moyen et rappelle « qu’il résulte de l’article R. 121-22 du code des procédures civiles Page 7 d’exécution que l’ordonnance sursoyant à l’exécution d’une décision du juge de l’exécution ayant annulé un procès-verbal de saisie vente proroge l’effet d’indisponibilité attaché à la saisie jusqu’à la décision statuant sur l’appel formé contre cette décision ; qu’ayant constaté que le créancier avait interjeté appel du jugement du 2 avril 2013 ayant prononcé la nullité de la saisie vente et avait obtenu le sursis à exécution de ce jugement, l’arrêt en déduit exactement que l’indisponibilité des actifs mobiliers saisis faisait obstacle à leur cession par le liquidateur ». Lorsqu’est attaquée une décision ordonnant la mainlevée d’une mesure (en l’espèce la nullité d’une saisie-vente), l’article R. 121-22 du code des procédures civiles d’exécution attribue à la demande de sursis adressée au premier Président le pouvoir de proroger les effets attachés à la saisie et notamment l’indisponibilité du bien saisi. Cette règle est de bon sens puisqu’il « suffit de penser au cas où […] le juge d’appel infirmerait la décision du premier juge : il y a gros à parier que le créancier n’aurait plus que ses yeux pour pleurer sur le pactole évanoui ! » (R. Perrot, RTD Civ. 1997 p. 749). L’arrêt vaudra piqure de rappel adressée aux praticiens des procédures collectives. En effet les créanciers postérieurs méritants ne sont pas soumis à la discipline collective et peuvent perturber les prévisions des mandataires de justice par l’exercice de poursuites. Paul Urbain Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Social INDEMNITE EN CAS DE REMISE TARDIVE DES DOCUMENTS DE RUPTURE OBLIGATOIRES AU SALARIE Cass. soc., 1er avril 2015, n°14-12246 « La délivrance tardive d’une attestation destinée à Pôle emploi et d’un certificat de travail cause nécessairement au salarié un préjudice que le juge doit réparer. » A u cours d’une action infondée en reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, une salariée invoque, subsidiairement, un préjudice causé par la remise tardive des documents de rupture obligatoires. Sa demande est accueillie par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui consacre un préjudice autonome de remise tardive des documents obligatoires, et ce malgré « la prise en charge [de la salariée] par Pôle emploi à la date normale à laquelle elle devait commencer à être indemnisée ». L’équation est simple, la détermination du préjudice moins aisée. L’attestation Pole Emploi (Cass. soc. 5 oct. 2004, n° 02-44487) comme le certificat de travail (Cass. soc. 17 janv. 1973, n° 72-40203) étant par ailleurs des documents quérables, mais qui doivent être tenus par l’employeur à la disposition du salarié dès la rupture ou l’expiration du contrat de travail ((Pour l’attestation Pole Emploi (C. Travail, art. R. 1234-9) et le certificat de travail (C. Travail, art. L. 1234-19). L’arrêt ne détaille pas les circonstances de l’espèce, mais met en avant que la prise en charge effectuée en temps et en heure par Pole Emploi de la salariée n’est pas de nature à remettre en cause la réalité du préjudice subie par la salariée. Cette décision constitue un exemple supplémentaire d’un des sombres effets – de fait – du jugement d’ouverture : le liquidateur est assimilé à l’employeur alors qu’il n’est, selon l’article L. 641-4 du Code de commerce, que l’acteur mettant en œuvre les licenciements et que ceux- Page 8 ci doivent intervenir dans des délais très brefs (Code du travail, art. L. 3253-8) dans des conditions complexes. Les documents de rupture sont bien souvent rédigés par le cabinet comptable de l’entreprise et ensuite vérifiés et signés par le liquidateur avant d’être remis aux salariés. Le liquidateur peut, à défaut de fonds disponibles (ce qui est souvent le cas en liquidation judiciaire…), se retrouver dans l’incapacité de pouvoir payer le comptable missionné par l’entreprise (qui a – va – bien souvent déclaré une créance qu’il sait irrécouvrable au passif du débiteur). La seule solution consiste alors à présenter une requête, fondée sur l’article L. 663-1 du Code de commerce, au Juge Commissaire, qui après accord du Procureur de la République, peut ordonner que le Trésor Public intervienne pour faire l’avance des sommes réclamées par ce technicien au titre de son intervention. Cette malencontreuse assimilation, alourdie d’un manque de souplesse en présence de situations complexes auxquelles peuvent être confrontés les professionnels, font une fois de plus espérer la création d’une partie spécifique dans notre Code du travail. Celle-ci consacrée aux situations sociales rencontrées dans les procédures du livre VI du Code de commerce, mettrait fin à un bricolage insécurisant, véritable épouvantail à investisseur potentiel. Maxime Diesbecq Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Responsabilité IMMUNITE SI LES FONCTIONS DU DIRIGEANT PRENNENT FIN AVANT L’APPARITION DE L’INSUFFISANCE D’ACTIF Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-12430 Prive sa décision de base légale la cour d’appel qui condamne un dirigeant social à supporter une partie de l’insuffisance d’actif de la société sans préciser si l’insuffisance d’actif existait à la date à laquelle ce dirigeant avait cessé ses fonctions C ’est une décision bien contestable qu’a rendue la Cour de cassation en subordonnant l’exercice d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif à la condition que la faute de gestion du dirigeant ait contribué à une insuffisance d’actif de la société défaillante apparue avant que les fonctions de direction n’aient pris fin. Une telle restriction aboutit à créer une immunité, en interdisant de fait d’engager la responsabilité civile du dirigeant dont le mandat aura cessé avant d’avoir produit ses effets vénéneux. Qu’on se le dise, le salut est dans la fuite puisqu’il suffit, pour échapper à toute responsabilité, de ne plus être dirigeant lorsque apparaissent les conséquences de la gestion inconséquente. Une telle analyse est contraire à tous les principes qui gouvernent la responsabilité civile. La faute quelconque de l’homme qui, ayant causé un dommage, oblige à le réparer, n’a pas à être contemporaine du préjudice pour ouvrir droit à réparation ; il suffit qu’elle en soit la cause. La Cour de cassation perd aussi de vue que l’insuffisance d’actif provoquée par la mauvaise gestion du dirigeant n’apparaîtra le plus souvent que lors du déclenchement de la procédure collective, qui gonflera le passif (par toutes les créances indemnitaires déclarées par les créanciers) tout en faisant fondre l’actif, dès lors que bien des postes du bilan ne sont valorisés que dans une perspective de continuité de l’exploitation (going concern) et qu’ils vont dès lors être mécaniquement décotés dès le jugement d’ouverture. Page 9 Le dirigeant devrait répondre de cette destruction de valeur qu’il a provoquée en créant les conditions de la défaillance de l’entreprise. Le seul inconvénient pour le dirigeant de la cessation de ses fonctions avant l’ouverture de la procédure collective tient à ce qu’elle doit le priver de la possibilité d’invoquer la règle dite du non-cumul des actions en responsabilité, dont on déduit que l’action spéciale ouverte en cas de liquidation judiciaire absorbe les autres actions en responsabilité fondées sur le droit commun pour en interdire l’exercice. Dès lors qu’il ne peut être poursuivi sur le fondement de l’article L. 651-2, faute pour sa mauvaise gestion d’avoir fait apparaître une insuffisance d’actif préexistant à sa démission, ce dirigeant doit pouvoir être poursuivi individuellement par les créanciers et par les associés qui sont fondés à rechercher sa responsabilité civile sur le fondement du droit commun et sans plus se préoccuper de l’insuffisance d’actif et de la date de son apparition. François-Xavier Lucas Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Responsabilité RESPONSABILITE POUR INSUFFISANCE D’ACTIF : DELAI DE PRESCRIPTION Cass. com., 8 avril 2015, n°13-28512 « L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est indépendante de l’action spéciale en responsabilité ouverte par l’article L. 225-254 C. com. contre les dirigeants d’une société anonyme et de l’action générale en responsabilité civile extracontractuelle et se prescrit, aux termes de l’article L. 651-2, alinéa 3, du C. com., par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire, sans considération de la date de commission des fautes de gestion reprochées au dirigeant poursuivi. » L a loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 (art. 180) a aligné l’action en comblement de passif sur le droit commun de la responsabilité civile en exigeant la preuve d’une faute et d’un lien de causalité. Dès lors, s’est imposé un principe d’origine prétorienne (Cass. com. 28 févr. 1995, D. 1995. 390, note F. Derrida, BJS, 1995, p. 544) dit de non-cumul de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif (L. 651-2 C. com) avec les actions en responsabilité civile des dirigeants de sociétés in bonis (L. 225-251 et s. C. com.) et des actions fondées sur le droit commun de la responsabilité (art. 1382 et s. C. civ.). Cette autonomie procédurale, qui mérite d’être approuvée tant en droit qu’en équité, a des conséquences en matière de prescription de l’action. Alors qu’en vertu de l’art. L. 225-54 C. com., la prescription triennale de l’action en responsabilité civile d’un dirigeant de société in bonis court à compter du fait dommageable, ou s’il a été dissimulé, de sa révélation, l’art. L. 651-2, al. 3 C. com. fixe le point de départ de la prescription triennale de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif au jour du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire. En l’espèce, une caution d’un dirigeant avait été condamnée en référé à payer une provision à ce dirigeant et à la société créancière. Deux ans plus tard, la société est dissoute et le dirigeant est désigné liquidateur amiable. Peu après, l’arrêt confirmant la décision de référé est cassé tandis que le cautionnement est annulé. Par un jugement du 17 septembre 2009, la société est Page 10 mise en liquidation judiciaire ; la caution dont l’engagement avait été annulé déclare sa créance de restitution des sommes payées en exécution des décisions de référé. Le 6 juillet 2012, le liquidateur de la société engage alors une action en responsabilité pour insuffisance d’actif contre l’ancien dirigeant. Ce dernier, condamné en appel, forme un pourvoi en cassation dans lequel il fait valoir notamment que l’action était prescrite, se prévalant d’une faute qui, résultant de son choix de demander le paiement des provisions en exécution des décisions de référé et de l’utilisation des sommes versées, était antérieure de 13 ans au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire. Selon le pourvoi, les règles de prescription du droit des sociétés (L. 225-54 C. com.) d’une durée de trois ans à compter du fait dommageable et celles du droit commun (anc. art. 2270-1 C. civ.) faisant courir le délai décennal à compter de la manifestation du dommage, ne pouvaient être écartées. La Cour de cassation ne se range pas à cet avis et rejette le pourvoi. Se fondant sur le principe de non-cumul susnommé, elle se prononce en faveur de l’application de la prescription triennale de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif qui ne court qu’à compter du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire. En outre, la haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir retenu que la faute de gestion résulte de l’absence de toute mesure de la part du dirigeant pour garantir une éventuelle restitution à la caution, eu égard au caractère non définitif de la créance et à l’existence Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Responsabilité de contestations relatives à cette créance devant les juges du fond. A cela s’ajoute une dissipation fautive de l’actif par le dirigeant qui, commettant une erreur sur la situation de la société, a fait procéder à sa dissolution rapide et à la vente de tous ses actifs à de mauvaises conditions. Ainsi, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif permet de sanctionner des agissements très lointains dès lors qu’ils ont contribué à l’insuffisance d’actif. Cette interprétation souple du lien de causalité et l’application exclusive de la règle de prescription de l’art. L. 651-2 C. com. sont favorables aux poursuites des créanciers dans la mesure où le point de départ de la prescription est fixé à un moment où ces poursuites peuvent être effectivement exercées. Edouard Ruffin Page 11 Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Garanties CONDITIONS D’EFFICACITE D’UN GAGE AVEC DEPOSSESSION AVEC ENTIERCEMENT Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-13787 Lorsque rien ne permet d’identifier et d’isoler, de manière non équivoque, les marchandises effectivement remises en gage et d’assurer la publicité de leur dépossession, le gage obtenu par les banques, dont la dépossession ne s’est pas manifestée de manière non équivoque, ne prime pas le droit du vendeur avec réserve de propriété C et arrêt de pure espèce n’appelle pas d’amples commentaires mais il n’en mérite pas moins d’être signalé en ce qu’il illustre parfaitement le risque auquel se trouve exposé un gagiste lorsque la dépossession censée être intervenue est en réalité équivoque, de sorte que sa sûreté ne va pas pouvoir être opposée au vendeur avec clause de réserve de propriété des marchandises engagées. Gare au gagiste lorsque la dépossession est contestable car il risque alors de ne pouvoir s’opposer à l’action en revendication du vendeur, demeuré propriétaire de l’assiette de la sûreté. La solution est d’une grande importance pratique car ces gages avec dépossession et entiercement (biens gagés dont la détention est confiée à la société Auxiga) sont pratique courante et la procédure collective est pour eux l’épreuve du feu lorsqu’il s’agit de s’assurer que le créancier gagiste va être en mesure d’opposer sa sûreté en retenant les biens engagés jusqu’à complet paiement. Pour parvenir à cette conclusion que la dépossession était demeurée équivoque et que partant le gage avec dépossession était inopposable au propriétaire des marchandises grevées, la cour d’appel se voit approuvée d’avoir retenu qu’une partie des marchandises étaient entreposées dans des locaux dédiés sans qu’aucune mention relative à des droits particuliers sur les marchandises ne soient affichée ni sur la porte d’accès, ni à l’intérieur de ces locaux et que l’accès à la chambre froide et la manipulation des marchandises sur les racks ne faisaient l’objet d’aucune restriction, ni d’aucun système de sécurité. La cour relève que Page 12 d’autres marchandises étaient stockées chez le débiteur, constituant du gage, sur des racks métalliques portant le panneau « Magasin prêté à usage Auxiga », mais que leur manipulation restait matériellement possible dès lors que – nous apprend la cour d’appel - la chaîne censée en interdire l’accès n’était pas fixée par un cadenas et qu’aucune autre mention relative à des droits particuliers sur des marchandises n’était affichée, ni sur la porte d’accès à la chambre froide, ni à l’intérieur et que la procédure prévoyant que deux employés de la société débitrice avaient qualité pour intervenir sur les racks en question après déclaration ou demande d’autorisation à la société Auxiga, à la supposer respectée, ne suffisait pas pour matérialiser la dépossession puisque la société débitrice gardait la maîtrise des marchandises dès lors qu’une simple déclaration au tiers était considérée comme suffisante. On retiendra de cette motivation très factuelle que c’est en définitive la maitrise des biens gagés qui caractérise la dépossession et assure du même coup au gage son efficacité. Si le constituant conserve cette maitrise (pour des raisons pratiques évidentes tenant à ce que le stock gagé doit circuler et se reconstituer), il est alors à craindre que la dépossession soit tenue pour équivoque avec le risque que cela fait planer sur l’efficacité de la sûreté. François-Xavier Lucas Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne Juin 2015 - Numéro 20 Actualité jurisprudentielle des administrateurs judiciaires - LA REVUE DE L’ASPAJ Brèves jurisprudentielles « Mais attendu qu’ayant constaté que la SCI n’avait plus de sources de revenus… qu’il n’était pas justifié de l’existence d’autres ressources ..., la cour d’appel a, dans l’exercice de son pouvoir souverain, retenu que le redressement de la SCI était manifestement impossible et ainsi légalement justifié sa décision » Cass. com., 08 avril 2015, n°12-10102 Cet arrêt se penche sur les conditions de la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire, question sur laquelle le droit positif n’a que peu évolué depuis la loi de 1985. Appréciant le caractère « manifestement impossible » du redressement, la Cour de cassation considère que l’absence de ressources et le montant du passif déclaré rendent le redressement de la SCI manifestement impossible. L’analyse ainsi faite est purement patrimoniale, la juridiction mettant en rapport un passif déclaré et une masse active. « Lorsque le plan de continuation est arrivé à son terme sans avoir fait l’objet d’une décision de résolution, le créancier recouvre son droit de poursuite individuelle contre le débiteur » Cass. com., 08 avril 2015, 13-28061 Une société a bénéficié d’un plan de redressement d’une durée de dix ans. Un créancier fait valoir que sa créance n’a pas été payée en exécution du plan, et l’assigne, quatre ans après l’expiration du plan, devant le juge des référés en paiement d’une provision. La mission du commissaire à l’exécution du plan prenant fin à l’arrivée du terme du plan (L. 626-5 C. com.), sa compétence est donc exclue. La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir retenu que le créancier recouvre son droit de poursuite individuelle. Depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, l’art. L. 626-27 C. com. prévoit la nomination d’un mandataire ad hoc pour recouvrer les dividendes lorsque le commissaire à l’exécution du plan a cessé ses fonctions. « Dans le cas où deux inscriptions hypothécaires, prises le même jour sur un même immeuble, viennent en concurrence […], la répartition des deniers du débiteur se fait par contribution ; […] le solde du prix de vente de l’immeuble grevé devait être distribué entre les banques à proportion du montant de leurs créances admises » Cass. com., 05 mai 2015, 14-17941 La Cour de cassation tranche la question de la répartition des fonds issus de la réalisation d’un l’immeuble dans le cadre de la liquidation judiciaire entre deux créanciers hypothécaires ayant inscrit leur sûreté le même jour à la conservation des hypothèques. Se fondant sur l’art. 2425, al. 4 C. civ., elle se prononce en faveur d’une répartition par contribution, par dérogation à la règle de la primauté en faveur de la première inscription. En toute logique, elle ajoute que dans le cadre d’une procédure collective, cette répartition doit se faire à proportion du montant des créances admises. Page 13 Juin 2015 - Numéro 20