Les ressources en eau et leur gestion en Chine
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Les ressources en eau et leur gestion en Chine
ÉOCARREFOUR Zongxia CAI Institut de géographie et des ressources naturelles Académie des sciences de Chine, Pékin RÉSUMÉ Avec une superficie de 9,6 millions de kilomètres carrés, la Chine dispose de ressources en eau considérables en volume absolu. Mais, compte tenu de l’importance de sa population (environ 1,3 milliard d’habitants), les disponibilités per capita s’avèrent très limitées. La répartition très inégale des ressources en eau dans l’espace et le temps, et par rapport à la population et aux terres cultivées, pose actuellement de grands problèmes pour le développement durable du pays. De plus, la pénurie d’eau dans les villes chinoises est de plus en plus marquée, notamment en Chine du Nord, par exemple dans la ville de Pékin. Face à l’insuffisance des ressources en eau se pose la question de l’amélioration de leur gestion, et notamment de la lutte contre la pollution et le gaspillage de l’eau en milieu rural et urbain. Plusieurs mesures ont été prises : la réalisation du transfert de l’eau du sud (bassin du Yangzi) vers le nord (grande plaine de Chine du Nord) et des opérations d’aménagement destinées à économiser l’eau agricole, industrielle et domestique. MOTS-CLÉS Yangzi, ressources en eau, aménagement hydraulique. ABSTRACT With an area of 9.6 millions km2, China disposes of considerable water resources in term of absolute volume. However, when this is compared with the considerable size of the population (1.3 billion inhabitants), per capita amounts are extremely limited. The problem raised for sustainable developpement to China is linked to the very unequal distribution of water VOL 79 1/2004 35 Les ressources en eau et leur gestion en Chine LES RESSOURCES EN EAU ET LEURS CARACTÉRISTIQUES EN CHINE Les ressources en eau en Chine Avec une superficie de 9,6 millions de km2, la Chine dispose de ressources en eau considérables. Mais, compte tenu de l’importance de sa population (environ 1,3 milliard d’habitants), les disponibilités par habitant s’avèrent très limitées. On estime que le volume total moyen des eaux de surface est de l’ordre de 2 711,5 milliards de m3, tandis que celui des eaux souterraines avoisine 828,8 milliards de mètres cubes (Zhao et Chen, 1999). Une fois déduits les doubles comptes, la quantité totale des ressources hydriques atteint environ 2 812,4 milliards de m3, soit 5,8% de celles du monde. C’est ainsi que la Chine est classée par ses ressources en eau au 6e rang, après le Brésil, la Russie, le Canada, les États-Unis et l’Indonésie. La lame d’eau moyenne contribuant au débit superficiel est, quant à elle, de l’ordre 284 mm, soit 90% de la moyenne mondiale, ce qui place la Chine au 7e rang après l’Indonésie, le Japon, le Brésil, l’Inde, les États-Unis et le Canada. La richesse de la Chine en ressources hydriques provient de diverses origines. En Chine, les cours d’eau sont très nombreux. On compte plus de 50 000 cours d’eau dont la superficie du bassin versant dépasse 100 km2, ainsi que 1 500 dont la superficie du bassin s’étend sur plus de 1 000 km2. Les huit fleuves les plus grands du pays sont, par ordre de débit, le Yangzi (Changjiang), premier fleuve de l’Asie et troisième fleuve du monde, la rivière des Perles (Zhujiang), le fleuve Jaune (Huanghe), le Haihe, le Liaohe, le Songhuajiang et le Yaluzhuanbu. En Chine, la superficie totale des lacs s’élève à 71 787 km2, pour un volume d’eau stocké de 709 milliards de mètres cubes. On compte 2 300 grands lacs dont la superficie unitaire dépasse 1 km2. Avec une superficie totale de 58 500 km2, les glaciers chinois représentent l’équivalent d’une réserve d’eau de 5 100 milliards de m3 (Zhao et Chen, 1999). La fonte des glaces est assez faible, seulement 56 milliards de m3 par an au total, soit à peine 2% du débit total des cours d’eau du pays. Néanmoins, ces eaux de fonte alimentant les cours d’eau jouent un rôle majeur pour l’agriculture irriguée des régions arides et semiarides de la Chine de l’Ouest. Les précipitations constituent l’origine principale des ressources en eau en Chine. Leur volume total moyen est estimé à 6 188,9 milliards de m3/an (Zhao et Chen, 1999). Toutefois, leur moyenne annuelle ne dépasse pas 648 mm, au lieu de 834 mm pour la moyenne mondiale. Surtout, leur répartition très inégale constitue un obstacle majeur au développement durable du pays. En valeur relative, la Chine ne dispose que de 2 260 m3 d’eau par personne et par an, soit 1/4 de la moyenne mondiale. De même, les disponibilités hydriques par hectare cultivé ne dépassent pas 28 320 m3, soit 80% de la moyenne mondiale. A titre d’exemple, les ressources en eau du Japon ne représentent que 20% de celles de la Chine, mais les quantités disponibles par habitant y sont deux fois plus élevées. La faiblesse des ressources en eau par habitant et par ha cultivé constitue un facteur limitant de taille pour le développement de la Chine. Une répartition très inégale des ressources en eau dans l’espace et le temps En Chine, les précipitations, qui proviennent principalement de la mousson de l’océan Pacifique, diminuent progressivement du littoral (au sud-est) vers l’intérieur (au nord-ouest du pays). En matière de précipitation moyenne annuelle, la Chine se divise en quatre ensembles climatiques : zone humide, semi-humide, semiaride et aride, qui représentent respectivement 32,4%, 14,7%, 21,9% et 31,0% du territoire. Les régions arides et semi-arides occupent 52,9% de la superficie de la Chine, au lieu de 47,1% pour les régions humides et semi-humides. Concernant les ressources en eau, la Chine peut être divisée en cinq zones (fig. 1), en fonction de la quantité des précipitations et de la hauteur de la lame d’eau contribuant au débit moyen annuel (Wu, 1998). Le tableau 1 (Lu, 1999) montre de grandes variations interrégionales en matière de ressources en eau par habitant. Les provinces ou municipalités les mieux pourvues occupent une vaste superficie et comptent peu d’habitants, comme aux Tibet, au Qinghai, au Yunnan et au Xinjiang, qui, toutes, dépassent le seuil des 5 000 m3/hab. Le Tibet dispose même, quant à lui, de plus de 186 750 m3 d’eau par personne. Les provinces ou municipalités les moins dotées en ressources hydriques sont à la fois de petite taille et très peuplées. C’est le cas notamment de Shanghai ou Pékin, ainsi que des provinces du Ningxia, du Hebei et du Shandong, dont les disponibilités sont inférieures à 400 m3 d’eau/hab. Pour Tianjin, elles ne dépassent même pas 159 m3. L’inégale répartition des ressources en eau dans le temps se manifeste principalement à travers l’ampleur des variations annuelles et interannuelles des quantités d’eau. Au cours de l’année, les précipitations et le débit des cours d’eau se concentrent normalement en été ou en automne, notamment vers le mi-juillet et au début août au sud et les mois d’août-septembre au nord. Pour la plupart des cours d’eau, la crue principale se produit en été ou à la fin de l’été. Une crue intervient au printemps : on l’appelle alors la "crue 36 VOL 79 1/2004 Les ressources en eau et leur gestion en Chine des pêches", car elle correspond à la période de floraison des pêchers. Sur le littoral du Sud-Est, les typhons venant du Pacifique occasionnent également de grandes crues d’automne. La forte concentration du débit des cours d’eau sur une courte période, notamment estivale, provoque de fréquentes inondations, notamment en Chine méridionale. Les variations pluviométriques inter-annuelles jouent également un rôle majeur. Les années fortement arrosées ou relativement arrosées peuvent se produire par séries ou ponctuellement. Ces fortes variations résultent surtout de l’instabilité des flux de mousson. Elles provoquent fréquemment des inondations catastrophiques, comme au cours de l’été 1998 dans le bassin moyen du Yangzi, où elles ont provoqué la mort de plus de 3 000 personnes. Il arrive aussi que le sud de la Chine connaisse simultanément des inondations, tandis que le Nord est frappé par la sécheresse. La superficie affectée par des inondations ou des sécheresses atteint en moyenne 267 000 km2/an en Chine. Les régions les plus touchées par les inondations sont surtout les bassins moyen et inférieur des sept grands fleuves du pays : Yangzi, fleuve Jaune, Haihe, Huaihe, Songhuajiang, Zhujiang et Liaohe. Les bassins moyen et inférieur du Yangzi et du fleuve Jaune sont les zones les plus touchées. La surface des zones affectées par ces phénomènes extrêmes y représente les trois quarts de celles du pays dans son ensemble. Les régions les plus touchées par la sécheresse se concentrent principalement dans la Grande Plaine de Huang-Huai-Hai (c’est-à-dire la vaste plaine alluviale des fleuves Jaune, Huaihe et Haihe), le Plateau du loess, la plaine de Songhuajiang-Liaohe (ex-Mandchourie), le Nord-Est du Sichuan. À elle seule, la plaine Huang-Huai-Hai occupe presque 50% de la superficie du pays affectée par des sécheresses périodiques. Figure 1 : Carte des ressources en eau de la Chine ressources en eau, soit 556 m3 d’eau par habitant, niveau représentant à peine un quart de la moyenne nationale. C’est pourtant une région stratégique où se trouvent la mégapole de Pékin, la capitale, mais aussi Tianjin, grand foyer industriel et port maritime. La Chine du Nord possède les 3/5e des terres cultivées de la Chine, mais ne dispose que de 1/5e de ses ressources en eau, soit 9 465 m3 d’eau par hectare. À l’inverse, la Chine du Sud dispose de 2/5e des terres cultivées, mais 4/5e des ressources en eau, soit 28 695 m3 d’eau par hectare. Parmi les quinze provinces chinoises où la terre cultivée manque le plus d’eau (moins de 1 500 m3/ha), treize provinces se trouvent en Chine du Nord. L’insuffisance des ressources en eau constitue donc un frein majeur au développement de l’économie régionale, notamment pour l’agriculture et l’élevage en Chine du Nord et du Nord-Ouest. La pénurie d’eau dans les villes chinoises L’inégale répartition des ressources en eau par rapport à la population et aux terres cultivées Parmi les 668 villes chinoises, on estime que près de 300 d’entre elles manquent d’eau ; parmi celles-ci, 108 se trouvent dans une situation critique et 164 doivent limiter l’utilisation de l’eau. La Chine du Nord possède 42,41% de la population chinoise (483,44 millions de personnes), mais ne dispose que de 19,84% de ses ressources en eau (544,93 km3), soit 1 127 m3 d’eau par habitant. En revanche, la Chine du Sud héberge seulement 57,59% de la population (656,56 millions de personnes), mais concentre 80,16% des ressources hydriques (2 201,1 km3), soit, par habitant, environ le triple de la Chine du Nord avec 3352,5 m3 par habitant (Zhao et Chen, 1999). Cette insuffisance conduit à une exploitation excessive de l’eau souterraine en ville. Actuellement dans l’ensemble du pays, l’eau souterraine représente un tiers de l’ensemble des eaux consommées par les villes chinoises. On compte 310 villes où l’eau souterraine représente la source principale d’approvisionnement. C’est le cas notamment en Chine du Nord, où l’eau souterraine représente la moitié de l’eau utilisée par l’industrie et un quart de l’eau consommée par l’agriculture. La plaine de Huang-Huai-Hai possède 26% de la population du pays pour seulement 6% de ses En raison de cette surexploitation des nappes phréatiques, nombre de villes ont subi des resources throughout the territory, compared with population densities and the quality of agricultural land. Moreover, the lack of water reserves is becoming more and more severe, especially in the north of China, and in cities such as Beijing. Faced with an important shortage of water, better management of resources is necessary. There is also a need to reduce water polution and the wastage of water in both urban and rural areas. Several reponses have been made such as the transfer of water from the south (lakes of the Yangtse floodplain) to the north (the northern chinese plain), as well as developpment schemes aiming at saving water for rural, industrial and domestic uses. KEY WORDS River Yangtse, water ressources, river development. Remerciements Cette rec herch e a été sou tenu e pa r le F onds de l'Académie des Sciences de Chine et a obtenu une aide financière de la Maison des Sciences de l'Homme à Paris. Les ressources en eau et leur gestion en Chine VOL 79 1/2004 phénomènes de subsidence du sol. Ainsi, dans la plaine de Huang-Huai-Hai, une zone de 200 km autour de la ville de Shijiazhuang (province du Hebei) connaît un affaissement. La ville de Pékin elle-même connaît ce phénomène avec un rythme de subsidence de 10 à 20 mm/an. Les problèmes de pollution et de gaspillage des ressources en eau Face à l’insuffisance des ressources en eau se pose la question de l’amélioration de la gestion de l’eau, et notamment de la lutte contre la pollution et le gaspillage de l’eau en milieu rural ou urbain. La pollution de l’eau tend à devenir un phénomène généralisé dans les villes et campagnes de certaines régions fluviales en raison de grands travaux, de la forte industrialisation dans les campagnes, de la périurbanisation accélérée et anarchique. Le gaspillage de l’eau est un phénomène courant tant en ville que dans les campagnes du fait d’une politique de gestion laxiste et de technologies de production encore souvent trop rudimentaires. Dans les campagnes, le taux d’utilisation de l’eau par l’agriculture reste assez faible. Surtout, le système traditionnel d’irrigation par inondation fait perdre presque 50% de l’eau utilisée, soit par infiltration, soit par évaporation. L’introduction de nouvelles techniques d’irrigation plus économes de l’eau (notamment l’irrigation par arrosage et par goutte-à-goutte) a progressé, mais reste limitée à certaines régions du pays. Dans l’industrie, le taux de recyclage des eaux utilisées ne dépasse pas 60% en moyenne, au lieu de 90% dans les pays développés. En matière d’utilisation de l’eau domestique, il existe des gaspillages considérables en raison de prix très bas. On estime qu’un robinet mal fermé peut perdre jusqu’à 6 m3 d’eau par mois, tandis que les pertes en eau de toilettes défectueuses peuvent atteindre 20 m 3 par mois. Avec une population d’1,3 milliard d’habitants et des centaines de millions de foyers, une politique antigaspillage peut produire une économie considérable de la ressource. De fait, la Chine dispose d’un très grand potentiel en matière d’économie d’eau. En appliquant des principes de bonne gestion et en généralisant des technologies plus modernes, il est possible de réduire la consommation d’eau de l’ordre de 10 à 50% dans l’agriculture, de 40 à 90% pour l’industrie et de 30% chez les ménages. Le cas de Pékin Capitale de la Chine, Pékin a fêté ses 850 ans cette année. Centre politique, historique et touristique du pays, la ville a connu un développement considérable depuis un demi-siècle, notamment 37 depuis les années 1980. Elle est passée de 3,7 millions d’habitants en 1958, 8,8 millions d’habitants en 1978, à plus de 13 millions d’habitants (pour l’ensemble de la municipalité) en 2002. Actuellement, le développement accéléré des périphéries entraîne de nouvelles sources de consommation hydrique, qu’il s’agisse des nouvelles zones industrielles de haute technologie, des parcs de loisirs, des programmes résidentiels de luxe ou des complexes sportifs liés aux Jeux olympiques qui seront organisés en 2008. Au total, la consommation a augmenté en moyenne de 1,54% entre 1994 et 1995, et de 4,74% entre 1996 et 1997. Alors que la demande hydrique est en plein essor, les ressources s’avèrent limitées et insuffisantes : la région de Pékin ne dispose en moyenne que de 3,6 milliards de m 3 d’eau en moyenne, soit seulement 300 m3 par personne, ce qui représente à peine 1/8e de la moyenne nationale, et 1/30e de la moyenne mondiale. Afin de répondre à cette demande, les ressources souterraines ont fait l’objet d’une surexploitation. Ce phénomène s’est traduit par un abaissement du niveau des nappes, de -13,2 m en 1996 à -14,8 m en 1997, ce qui équivaut à une diminution du stock des eaux souterraines d’environ 768 millions de mètres cubes en une seule année. On estime ainsi que Pékin manque de 170 à 330 millions de mètres cubes par an. Face à ce déficit, les autorités municipales ont pris diverses mesures : la création d’un Bureau spécialement chargé de l’économie de l’eau, l’augmentation du taux de recyclage des eaux usées industrielles, l’introduction de techniques modernes et de nouveaux principes de gestion, comme par exemple le relèvement des prix de l’eau pour limiter le gaspillage. Grâce à ces mesures, le Bureau spécialement chargé de l’économie de l’eau estime que la municipalité a économisé 1,26 milliard de mètres cubes d’eau en dix ans. Mais, le gouvernement chinois a surtout décidé d’accélérer les travaux du transfert des eaux du Sud vers le Nord (nanshui beidiao), ce qui représentera un transfert d’eau d’1,3 milliard de mètres cubes d’eau par an. LES GRANDS TRAVAUX DU TRANSFERT DES EAUX DU YANGZI Face à l’inégale répartition des eaux sur le territoire chinois, les grands travaux hydrauliques destinés à rééquilibrer les ressources du pays s’avèrent indispensables. La fonction des aménagements hydrauliques varie fortement suivant les secteurs du territoire chinois : au sud, il s’agit de lutter contre les inondations, tandis qu’au nord il convient d’exploiter rationnellement et d’économiser les ressources limitées existantes. En matière de grands travaux hydrauliques, le propos sera centré ici non sur le barrage des Trois Gorges, 38 VOL 79 1/2004 Les ressources en eau et leur gestion en Chine Figure 2 : Les trois itinéraires de nanshui beidiao abordé dans diverses publications récentes, mais sur la dérivation d’une partie des eaux du Yangzi vers le Nord. Les travaux du nanshui beidiao ont été lancés en 2002 après une longue série d’études de faisabilité réalisées depuis près de cinquante ans. Le montant total des travaux est estimé actuellement à 486 milliards de yuans (1 euro correspond à 9,5 yuans le 10 octobre 2003). L’objectif est de transférer une partie des eaux du Yangzi vers la Grande Plaine de Chine du Nord (la Huang-HuaiHai) par trois itinéraires (fig. 2). L’itinéraire oriental L’itinéraire oriental traverse un ensemble de plaines littorales, du bas Yangzi aux bassins inférieurs des fleuves Jaune, Huai et Hai. Les eaux seront prélevées à partir de la station de pompage de Jiangdu, près de la ville de Yangzhou sur les bords du Yangzi pour se diriger ensuite vers le Nord jusqu’à Tianjin. Le dispositif représente une distance de 1 156 km, auquel s’ajoute un embranchement de 701 km vers l’Est jusqu’aux villes de Yantai et de Weihai, dans la péninsule de la province du Shandong. Les travaux de cet itinéraire ont été inaugurés officiellement le 27 décembre 2002. La première phase, d’une durée de cinq ans et d’un coût estimé à 32 milliards de yuans, reliera les bassins inférieurs du Yangzi et du fleuve Jaune, dans les provinces du Jiangsu et du Shandong. Il est prévu d’utiliser le plus possible le Grand Canal en améliorant son cours et en reliant les quatre lacs de Hongze, Loma, Nansi et Dongping. Les travaux de construction, et donc les investissements, seront réduits. En revanche, cet aménagement nécessitera une forte consommation d’énergie électrique. En effet, en raison de la topographie, le niveau des eaux du fleuve Jaune est supérieur de 40 m à celui du Yangzi : il sera donc nécessaire de construire 13 stations de pompage pour surélever les eaux du Yangzi d’un total de 65 m. Une fois achevée, cette première section permettra de transférer 8,8 milliards de mètres cubes d’eau du Yangzi jusqu’à la rive sud du fleuve Jaune de manière à irriguer 16 000 km2 de terres cultivées. Lors d’une seconde étape, un ouvrage d’art doit traverser le fleuve Jaune par un tunnel. Plus au nord, l’eau du Yangzi pourra s’écouler par simple gravité à travers un canal artificiel. À la fin de cette phase de travaux, 19,2 milliards de mètres cubes d’eau seront transférés vers le Nord, dont 8 milliards au nord du fleuve Jaune. L’une des préoccupations majeures des responsables du projet tient à la qualité des eaux du Bas-Yangzi, grand foyer de pollutions urbaines et industrielles. Pour éviter que le nanshui beidiao ne devienne wushui beidiao (un transfert des eaux polluées vers le Nord), trois grands programmes d’épuration des eaux représentant 369 ouvrages d’art seront réalisés, pour un coût total de 24 milliards de yuans. Ainsi, sur les 32 milliards de yuans de la première phase des travaux, 18 milliards concernent la réalisation des canaux proprement dits (56% du total), tandis que les 14 milliards de yuan restants (43,8%) seront affectés au traitement des eaux polluées. L’itinéraire central Il s’agit du transfert des eaux du bassin moyen du Yangzi vers la Grande Plaine du Nord jusqu’à Pékin. Les eaux sont prélevées à partir du Les ressources en eau et leur gestion en Chine VOL 79 1/2004 réservoir de Danjiangkou sur le fleuve Han, affluent de rive gauche du Yangzi et situé dans la province du Hubei, soit une longueur totale de 1 267 km pour le canal principal. Les travaux de la première phase ont été lancés en même temps que ceux de l’itinéraire oriental le 27 décembre 2002. Ils consisteront d’abord à relever la hauteur du barrage existant de Danjiangkou pour la faire passer de 162 m à 175 m, de manière à ce que le volume de la retenue d’eau augmente de 17,5 milliards de mètres cubes à 29 milliards. À partir du barrage de Danjiangkou seront creusés des canaux artificiels et des tunnels longeant le piémont oriental des massifs de Funiu et Taihang. Cet itinéraire doit traverser plus de 200 cours d’eau, soit par franchissement aérien, soit par galerie souterraine. Grâce à la pente, les eaux s’écouleront par simple gravité naturelle vers le Nord. En outre, les risques de pollution sont faibles, car le tracé passe à l’écart des zones urbaines et minières. Néanmoins, le coût des canaux et des tunnels est bien plus élevé que dans l’itinéraire oriental. La surélévation du barrage de Danjiangkou nécessitera également de déplacer et de réinstaller les populations vivant actuellement sur les rives de la retenue d’eau existante. La dernière phase des travaux prévoit de réaliser, après l’achèvement du barrage des Trois Gorges en 2009, un prélèvement direct des eaux du Yangzi. Le volume d’eau alimentant le réservoir de Danjiangkou et donc, au-delà, la Chine du Nord sera fortement augmenté. 39 l’environnement du Bas-Yangzi, notamment dans le delta se trouvera affecté. Ainsi, à l’embouchure, près de Shanghai, les prélèvements des eaux du Yangzi favoriseront la remontée des eaux polluées lors des fortes marées ainsi que l’accélération de la sédimentation. La population de Shanghai s’inquiète ainsi d’une dégradation de la qualité des eaux. De même, la diminution du débit fluvial sur l’itinéraire central va affecter la navigation et l’irrigation dans le bassin du fleuve Han. Il est cependant prévu de creuser un canal d’un débit de 360-540 m3/s entre Jingzhou et Shayang pour compenser ce déficit. Les régions de transit seront également touchées. Sur l’itinéraire oriental, le transfert des eaux va entraîner une augmentation du niveau des lacs dans la zone lacustre du Jiangsu traversée par cet itinéraire. Ce phénomène aura des conséquences sur la faune aquatique herbivore. L’accroissement de la profondeur des lacs sera en effet défavorable aux poissons herbivores à valeur marchande élevée, mais favorable aux petits poissons superficiels de moindre valeur. Sur les itinéraires oriental et surtout central, le creusement de canaux parfois profonds et l’extension de l’irrigation vont modifier les nappes phréatiques, notamment dans les plaines situées au nord du fleuve Jaune. De même, l’augmentation du volume d’eau destiné à l’irrigation comporte un sérieux risque d’accélération de la salinisation secondaire des sols. L’itinéraire occidental Il s’agit d’un projet à plus long terme (pas avant 2010) dont les études de faisabilité sont encore en cours. Il se situe entre les bassins supérieurs du Yangzi et du fleuve Jaune, et doit traverser des zones de hautes montagnes. D’une grande difficulté technique, il comporte un grand intérêt économique, mais exigera un montant considérable d’investissements. Potentiellement, il représente un volume d’eau transférable de 1 0 0 milliards de mètres cubes, qui pourrait alimenter les parties arides et semi-arides de la Chine du Nord. À ce titre, il pourrait contribuer de manière décisive au développement agricole et industriel du bassin du fleuve Jaune. Adresse de l'auteur Académie des Sciences de Chine Institut de Géographie Bat. 917 rue Datun Beijing 100101 République populaire de Chine Les travaux du nanshui beidiao sont d’une grande utilité socio-économique, notamment pour contribuer à rééquilibrer partiellement la répartition de l'eau entre Chine du Nord et Chine du Sud. De tels aménagements entraînent néanmoins une série de problèmes, notamment écologiques. Pour les régions où l’eau sera prélevée, le transfert va diminuer le débit du Yangzi, surtout en période d’étiage. Les effets sur la navigation, l’irrigation ou la fourniture en électricité seront faibles dans ses bassins supérieur et moyen. En revanche, En ce qui concerne les régions de réception des eaux du Yangzi, cette question des sols salins et alcalins se posera également de manière générale. De plus, de coûteux investissements seront nécessaires pour contrôler la qualité de l’eau du départ jusqu’à son arrivée. Ce contrôle représente un enjeu de santé publique dans la mesure où il s’agit d’éviter la propagation des maladies endémiques, comme par exemple la schistosomiase qui affecte certaines zones du bassin moyen du Yangzi, notamment dans la province du Hubei. En outre, les effets microclimatiques d’un tel transfert sont encore mal connus. Certains chercheurs s’interrogent sur les conséquences d’une année particulièrement sèche sur le Yangzi : dans ce cas, la qualité des eaux transférées sera-telle assurée ? N’y aura-t-il pas une forte augmentation des prix de l’eau ? BIBLIOGRAPHIE HUANG J., 1999, Changjiang sanxia dili [ L a géographie des Trois Gorges le long du Yangzi], Chongqing, Chongqing chubanshe. 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Tianjin Shanghai Ningxia 159 191 195 200 - 500 Beijing Hebei Shandong Henan Jiangsu Shanxi 328 368 385 448 460 468 500 - 1500 Liaoning Gansu Anhui Shaanxi 887 1 124 1 126 1 258 1500 - 2500 Jilin Hubei Zhejiang Heilongjiang Mongolie-Intérieure 1 505 1 700 2 077 2 097 2 220 2500 - 3500 Hunan Guangdong Sichuan Guizhou Jiangxi 2 545 2 647 2 767 2 950 3 500 3500 - 4500 Fujian Guangxi Hainan 3 611 4 138 4 365 > 4500 Xinjiang Yunnan Qinghai Tibet 5 316 5 566 13 015 186 750 Renmin ribao [Quotidien du peuple], édition d’outre-mer, quotidien. WU C., 1998, Zhongguo jingji dili [La géographie économique de la Chine], Pékin, Kexue chubanshe. ZHAO J. et CHEN C., 1999, Zhongguo dili [La géographie de la Chine], Pékin, Higher Education Press, 620 p. Ressource en eau par personne (m3) < 200 Ouzhou Shibao [Nouvelles d’Europe], quotidien. QU G., et LI J., 1992, Zhongguo renkou yu huanjing [La population et l’environnement en Chine], Pékin, Zhongguo huanjing kexue chubanshe, 237 p. Provinces ou municipalités