Bananes Fairtrade: une concurrence un peu moins imparfaite sur le
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DISCLAIMER : Covalence employs university students and graduates as ethical information analyst interns in partnership with various universities. During their 2 to 4 months in-house or distant internship analysts have the opportunity to conduct a research on a topic of their choice. They can present their findings during a staff meeting and write an article that may be published on Covalence website. These articles reflect the intern analysts’ own views, opinions and methodological choices, and are published under the responsibility of their individual author. Nicolas Borzykowski Bachelor en Sciences économiques Université de Genève Bananes Fairtrade: une concurrence un peu moins imparfaite sur le marché des facteurs de production? Octobre 2012 Intern analyst papers Covalence EthicalQuote Abstract : Ce travail fait le constat de la concurrence imparfaite prévalant sur le marché des facteurs de production des bananes, notamment le travail. On note une forte concentration verticale et horizontale dans la chaı̂ne d’importation de ce produit ainsi qu’une forte asymétrie d’information sur les risques liés au travail dans les champs. Les travailleurs doivent accepter des conditions de travail souvent difficiles. Le bilan de l’introduction du commerce équitable sur ce marché révèle des évolutions contrastées. De façon générale, selon les données dont nous avons fait usage, on observe une dégradation parallèle à l’accroissement des parts de marché Fairtrade, poussant à croire que le commerce conventionnel tente de se diversifier du commerce équitable en baissant ses prix de vente et, de ce fait, en dégradant les conditions offertes aux travailleurs. Au niveau micro-régional, il semble que les salaires et les prix d’achat aient crû. Cependant, ces résultats doivent encore être confirmés et ne peuvent qu’exprimer une situation où le commerce équitable ne représente qu’une part marginale de la production mondiale et régionale. Abstract : This work shows the imperfect competition in the market for production factors of bananas. We observe information asymmetries as well as a high concentration level in both importation and retail sector. For these reasons, workers have to accept a low wage and low working conditions. The introduction of Fairtrade in this market has had different implications. According to our datas given by Covalence EthicalQuote, working conditions seem to have worsened on average. At the regional level, as Ruben and al. have found, wages and prices paid to non-affiliated producers increased in some cases. Nevertheless these results need to be confirmed and can only represent a situation where fair trade has a small part of production in global and regional production. Table des matières 1 Introduction 2 2 La Concurrence imparfaite sur le marché du travail 3 2.1 Asymétries d’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 2.2 Atomicité de la demande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 2.2.1 Les Compagnies bananières multinationales . . . . . . . . . . . . . 5 2.2.2 Le Commerce de détail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 3 Les conditions de travail après l’entrée du commerce équitable sur le marché des bananes 7 3.1 Hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 3.2 Modèle économétrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 3.3 L’Indice EthicalQuote . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 3.4 L’Étude de Ruben . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 4 Conclusion 13 5 Bibliographie 15 1 Introduction Depuis plusieurs années déjà, le marché des bananes représente le plus gros volume de denrées alimentaires échangées dans le monde. Produites en grande partie en Amérique du Sud, 1 elles sont principalement exportées vers les marchés européens et américains via des multinationales qui contrôlent une partie importante du marché. Alors que cette culture intensive provoque des dégâts importants sur l’environnement, les conditions de travail des producteurs sont, elles aussi, souvent critiquées. En effet, la chute des prix des bananes due à l’augmentation de l’offre mondiale et aux pressions des chaı̂nes de supermarché a provoqué une baisse de revenu importante pour les travailleurs, malgré les progrès technologiques. La grande volatilité des prix rend également plus difficile la prévision des recettes et l’utilisation de produits chimiques (fongicides, insecticides etc...) expose les organismes à des risques parfois sous-estimés. C’est dans ce contexte qu’est née l’idée du Commerce équitable. Répondant à un besoin croissant des consommateurs de diminuer leur empreinte sociale et environnementale, l’innovation principale du ”fair-trade” est d’assurer aux producteurs un revenu stable leur permettant de vivre décemment, sans craindre les variations de prix du marché. La ”prime” Fairtrade permet également aux producteurs d’investir dans des projets sociaux régionaux, permettant ainsi d’améliorer les infrastructures de santé et d’éducation. Depuis sa création, la part des importations ”fair” n’a cessé de croı̂tre, de 25% en moyenne annuelle, la part de marché mondiale restant toutefois marginale. Covalence EthicalQuote est une entreprise spécialisée dans la cotation éthique et environnementale des plus grandes compagnies multinationales. Les données récoltées sur Internet leur permet de créer un indice de réputation destiné aux investisseurs ou aux entreprises en question. Basé entre autres sur ces observations, ce travail mettra en lumière l’effet de l’introduction du commerce équitable sur les multinationales bananières et sur les producteurs non-affiliés Fairtrade. La section 2 tâchera de faire l’état des lieux du marché des facteurs de production des bananes avant 1997, date de création de Fairtrade International. Puis, la section 3 analysera l’effet de l’entrée sur le marché du nouvel importateur équitable et de sa croissance progressive sur la scène internationale. 1. 80% entre 1998 et 2000, source FAO stat 2 2 La Concurrence imparfaite sur le marché du travail Dans cette section, deux axes seront analysés : tout d’abord, il s’agira d’observer les asymétries d’information entre les travailleurs et leurs employeurs. Puis, nous considérerons le pouvoir de monopsone (oligopsone) des firmes sur ce marché. 2.1 Asymétries d’information Depuis 30 ans, le rendement de la terre est en diminution dans de nombreux pays. Même si l’offre parvient aisément à alimenter la demande, la surexploitation des terrains et l’appauvrissement des sols forcent les producteurs à utiliser de plus en plus de produits chimiques pour maintenir un niveau de production constant. Alors que ces substances doivent être utilisés avec précaution, non seulement pour l’environnement mais aussi pour les utilisateurs, les prescriptions de sécurité ne sont que rarement remplie. La production de bananes est intensive en main d’oeuvre non-qualifiée. En effet, l’ensemencement, l’entretien et la récolte peuvent aisément être effectués sans qualifications préalables. On constate ainsi une méconnaissance des risques engendrés par l’utilisation des produits chimiques. Souvent, la sécurité est négligée au profit d’un rendement du travail plus important et de coûts plus bas. De plus, les campagnes de désinformation des compagnies agrochimiques participent à la sous-estimations de risques liés à cette production. Il existe donc une asymétrie d’information importante entre les travailleurs et leurs patrons : la mauvaise appréciation du risque qui en résulte fait apparaı̂tre une situation inefficiente. En effet, les employeurs profitent de ces asymétries pour payer un salaire plus faible et augmenter leurs profits, au détriment de leurs employés. Les travailleurs, eux, sont prêt à accepter un salaire plus faible puisqu’ils sous-estiment le risque pour lequel ils devraient recevoir compensation. La figure 1 représente la sous-estimation des risques par les travailleurs : ceux-ci pensent se situer sur une courbe d’indifférence plus éloignée de l’origine que celle où ils se trouvent réellement pour le salaire qu’ils perçoivent. L’équilibre trouvé n’est donc pas Pareto-efficient. La courbe violette, qui représente une courbe hédoniste des combinaisons 3 Figure 1 – La minimisation des risques par les travailleurs Source : Cours de Politiques Économiques, Pr. G. Ferro-Luzzi, Université de Genève, automne 2011 risques-salaire mises à disposition par deux firmes sur le marché, n’est pas tangente à la courbe d’indifférence au point (w2 ; r2 ). Une intervention en faveur d’une régulation des risques permettrait d’amoindrir l’asymétrie et augmenterait le bien-être des travailleurs de façon Pareto-efficiente. 2.2 Atomicité de la demande Comme pour la majeure partie des produits alimentaires importés, les coûts liés à l’importation des bananes résultent du travail d’une multitude d’acteurs. Ainsi, du prix payé par le consommateur, 11.5% parvient au producteur (10%) et à ses employés (1.5%). Les importateurs multinationaux remportent 31% de ce montant, alors que les détaillants se taillent la part du lion avec 60% 2 . La figure 2 montre la répartition du revenu de chacun de ces acteurs ainsi que leur concentration dans la chaı̂ne d’importation des bananes au Royaume-Uni. 2. Source : Rééquilibrer la chaı̂ne d’approvisionnement (2008) 4 Figure 2 – Le goulot d’étranglement du commerce des bananes et répartition du prix payé par le consommateur dans la chaı̂ne d’approvisionnement au Royaume-Uni Source : Rééquilibrer la chaı̂ne d’approvisionnement (2008), p. 28 2.2.1 Les Compagnies bananières multinationales On l’a vu, le marché des bananes pour l’exportation est contrôlé en grande partie par des multinationales. À elles seules, Chiquita, Dole, Del Monte, Noboa et Fyffes gèrent entre 40 et 100% de la production dans certains pays d’Amérique centrale et jusqu’à 80% de la production mondiale. Si elles ne possèdent pas les terrains où sont cultivées les bananes, elles ont souvent des contrats d’exclusivité avec les producteurs locaux. Figure 3 – Parts dans la production des principales entreprises exportatrices de bananes Source : FAO International, repris de L’économie mondiale de la banane 1985-2002 5 Comme le fait remarquer Mark Hayes (2006), les pays exportateurs de bananes sont loin du plein emploi de leurs ressources, ceux-ci étant en voie de développement. Sur le marché du travail, il en résulte inévitablement un chômage involontaire important. Ainsi, les travailleurs, n’ayant pas d’autre revenus que celui de leur travail, se voient obligés de s’assurer un moyen de subsistance en allouant leur temps à des activités (faiblement) productives. Pineau (2008) voit trois causes à la productivité faible des activités alternatives : ≪ les conditions climatiques locales qui ne sont propices qu’à un nombre limité de culture,[l’interdiction de] certains produits à plus forte valeur ajoutée (cannabis, coca, pavot), bien qu’une demande assez vigoureuse de certains produits dérivés de ces cultures persistent dans beaucoup de pays[...] [et les] subventions agricoles des pays industrialisés [qui] minent la compétitivité des agriculteurs des pays en voie de développement.≫ 3 Les travailleurs de ces pays doivent donc arbitrer entre travail et autres activités de subsistance (modèle keynésien) plutôt qu’entre travail et loisir (modèle néoclassique). Ainsi, les travailleurs, en compétition entre eux, font face à une situation de concurrence imparfaite : bien souvent, les coûts trop élevés liés à une recherche d’emploi plus étendue (coûts liés aux déplacements et à la formation) les amènent à accepter l’activité proposée par une compagnie bananière pour un salaire faible. On le voit, les travailleurs non-qualifiés de certaines régions font face à un marché qui remplit les conditions d’un monopsone (ou oligopsone). Le salaire et l’emploi sont donc significativement plus bas qu’en concurrence parfaite. Cette situation est source de grandes inefficiences. Selon la théorie économique, un taux de salaire minimum accroı̂trait le bien-être de la société. Malheureusement, ces ”oligopsoneurs” ont un pouvoir économique considérable et les États d’Amérique latine semblent souvent être séduits par leurs pratiques lobbyistes voire corruptrices, d’où le sobriquet de ”république bananière”. 2.2.2 Le Commerce de détail Les distributeurs en Europe et aux États-Unis possèdent également un grand pouvoir de marché. Ceux-ci exercent une pression constante sur les prix d’achat et utilisent les bananes comme ”loss leader”. Plusieurs sessions de négociation entre les compagnies importatrices et les chaı̂nes de supermarchés ont abouti à une baisse drastique du prix. 3. Pineau (2008), p. 55 6 ≪ En 2002, par exemple, Asda Wal-Mart négocie avec le fournisseur Del Monte et fait passer le prix de la banane au détail de 1.08£ à 94p/kg. Dans les jours qui suivent Tesco, Safeway, Sainsbury’s et Morrison’s font de même et en 2005 les prix d’Asda étaient tombés à 79p/kg. D’après Banana Link, pour un prix de vente au détail de 81p/kg il est impossible qu’un producteur du Costa Rica reçoive le prix minimum légal pour une caisse de bananes et il est également impossible pour ce producteur de payer le salaire minimum légal à ses travailleurs. 4 5 ≫ Sainsburry’s a, cependant, décidé de ne plus vendre que des bananes labellisées Fairtrade depuis. 3 Les conditions de travail après l’entrée du commerce équitable sur le marché des bananes 3.1 Hypothèses Ce marché, avant l’entrée des ”fair-agents” est caractérisé par un oligopsone et une importante concentration verticale et horizontale. La théorie économique prédit donc que des conditions de travail minimales imposées par l’État est un outil efficace pour résoudre la perte de bien-être engendrée. Cependant, l’État seul aura beaucoup de peine à y contraindre les multinationales. En effet, si l’on passe outre la force des lobbys, un coût du travail supérieur entraı̂nerait une perte relative de compétitivité. Ainsi, les oligopsoneurs auraient tendance à se détourner de ce pays. De plus, les moyens limités dont jouissent les pays en voie de développement ne permettent pas un contrôle systématique des conditions de travail sur leur territoire. Les consommateurs dans les pays importateurs ne retirent pas directement de bien-être des conditions de travail. Néanmoins, on constate une disposition à payer plus importante pour les produits Fairtrade que pour les produits traditionnels. Ces biens, identiques sur le plan physique, se différencient par des considérations morales. La valeur ajoutée par le label peut donc être considérée comme un ”bien moral”, comme le dit Stefan Mann (2008). Le fair trade permet de créer un marché pour ce nouveau ”bien”. 4. Source :Rééquilibrer la chaı̂ne d’approvisionnement (2008), p. 28 5. Banana Link est une association ayant pour but de dénoncer et de lutter contre les mauvaises conditions de travail des travailleurs dans les plantations de bananes. 7 Trois hypothèses sur l’effet de l’entrée sur le marché de producteurs équitables peuvent être formulées : 1. L’entrée d’un nouvel acteur équitable sur ce marché proposant de meilleures conditions de travail pourrait accroı̂tre la concurrence sur le marché des facteurs et pousser l’équilibre vers plus d’efficience économique au fur et à mesure de l’augmentation des parts de marché ”fair”. Le fair trade aurait donc le même pouvoir que le salaire minimum imposé par l’État, préconisé dans les situations monopsonistiques. Si cette hypothèse se vérifie, on devrait observer des conditions de travail allant en s’améliorant sur les plantations de bananes. 2. Il est également possible que le commerce équitable n’ait que peu d’effet sur la concurrence du marché des facteurs de production, soit par une part de production trop minime, soit par des contraintes géographiques ne permettant pas la libre circulation des travailleurs entre les plantations. Dans ce cas de figure, il serait raisonnable de penser que les multinationales bananières devrait tenter de se différencier du produit équitable, en baissant leurs prix de vente sur le marché des biens. Il en résulterait ainsi une pression sur les coûts de production et donc des conditions de travail dégradées. C’est l’hypothèse couramment appelée ”race-to-the-bottom”. 3. De nombreux auteurs ont argumenté que l’arrivée du commerce équitable dans un marché où la demande est plus inélastique que l’offre (voir par exemple Griffiths (2012) pour le marché du café) augmentait la quantité offerte et faisait drastiquement baisser le prix payé au producteur. Dans ce cas de figure, les conditions de travail des producteurs non-affiliés Fairtrade devraient également se détériorer. Il faut noter que les deux premières hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives étant donnée l’hétérogénéité des régions productrices de bananes. 8 3.2 Modèle économétrique On pourrait imaginer, pour vérifier ces hypothèses le modèle économétrique suivant : Yi = α + β1 P DMmulti + β2 P DMf air + β3 Elast + β4 T ransp + β5 Chom + β6 Lex+ β7 Corr + β8 Af ri + β9 Amelat + β1 0Cara + ϵ Avec : Yi : Un indice annuel représentant les conditions de travail des producteurs de bananes non-affiliés Fairtrade. Cet indice pourrait être agrégé selon la méthodologie de Covalence EthicalQuote en ne prenant en compte que les critères concernant les conditions de travail. 6 P DMmulti : la part nationale des exportations non Fairtrade. P DMf air : la part nationale des exportations Fairtrade. Elast : l’élasticité-prix de la demande de bananes. T ransp : le temps de trajet moyen entre les différentes plantations. Chom : le taux de chômage involontaire. Lex : un indice représentant la sévérité de la loi sur la concurrence. Corr : un indice représentant le degré de corruption du gouvernement. Af r : une variable indicatrice prenant la valeur 1 si le pays fait partie du continent africain et 0 sinon. Amelat : idem pour l’Amérique du Sud. Cara : idem pour les Caraı̈bes. ϵ : le terme d’erreur normalement distribué. Covalence EthicalQuote récolte des données complètes sur plus de 600 firmes multinationales. Malheureusement, les entreprises concernées par ce travail n’ont pas fait l’objet d’une collecte de données suffisante, ce modèle économétrique devra donc être testé dans une étude ultérieure. 6. Bien que l’indice EthicalQuote ne prenne en compte que la visibilité réputationnelle des multinationales, il y a des bonnes raisons de penser que celle-ci est fortement corrélée à la réalité. En effet, cet indice dépend de critères objectifs, en plusieurs langues et provient de nombreuses observations. Il permet donc de fournir une vue d’ensemble représentative. 9 3.3 L’Indice EthicalQuote Ne disposant pas d’un nombre d’observation suffisant, nous devrons, dans ce travail, nous contenter de constater des tendances. La figure 4 représente la croissance de la part de marché mondial des exportations équitables. Avec 0.16% en 1998, celle-ci est presque insignifiante. On constate cependant une forte croissance, menant le commerce équitable à contrôler près de 2.3% du commerce de bananes en 2009. Cette part reste relativement faible au niveau mondial mais ces statistiques reflètent une grande disparité entre les pays consommateurs. En Suisse, par exemple, plus de 55% des bananes vendues sont labellisées Fairtrade, alors qu’aux États-Unis, cette proportion est marginale. Du côté de la production, presque la totalité des bananes produites sur les Îles du Vent sont part du commerce équitable tandis qu’au Honduras, ce dernier n’exportant qu’exclusivement aux États-Unis, aucune plantation ne vend des bananes équitables. Figure 4 – Progression de la part de marché Fairtrade sur les importations mondiales de bananes (1998-2010) Sources : FAO International (2011), UNCTAD, FLO (2003-2012) La figure 5 montre la cotte réputationnelle agrégée de Chiquita, Del Monte et Dole entre 2002 et 2012 créé par Covalence Ethicalquote. On constate une tendance à la dégradation de cet indice. Ce dernier prend également en compte des considérations écologiques que l’on peut mettre en rapport avec la protection de la santé des travailleurs, les dommages environnementaux étant généralement dus aux pesticides et engrais, nocif également pour l’Homme. Toutefois, les résultats projetés par ce graphe sont à prendre avec précaution. 10 Figure 5 – Cotation éthique agrégée de Chiquita, Dole et Del Monte (2002-2012) Source : Fourni par Covalence EthicalQuote Nombre d’observations : 248 En effet, les trois multinationales en question ne font pas partie de l’univers de Covalence EthicalQuote et ont fait l’objet d’une observation ponctuelle. Ce graphe nous pousse à penser qu’il existe une corrélation négative entre les conditions de travail des travailleurs de Chiquita, Del Monte et Dole et la croissance des parts de marché ”fair”. La balance pencherait donc pour les deux dernières hypothèses présentées dans ce travail. Plusieurs indices nous poussent de plus en faveur de la deuxième. En effet, l’hypothèse d’une chute des prix payés aux producteurs due à l’augmentation de l’offre suppose une substituabilité parfaite des biens Fairtrade et des biens conventionnels. Néanmoins, on a pu le voir, les consommateurs expriment une disposition à payer différente pour chacun de ceux-ci. Mann (2008) suppose que le commerce équitable lie l’achat de bananes équitables à celui d’un ”bien moral”. Il est donc difficile d’admettre une substituabilité parfaite dans ce cas de figure. Au mieux, on peut imaginer qu’une banane non-Fairtrade est un substitut imparfait, car de moindre qualité éthique. De plus, le label Fairtrade est souvent critiqué pour son exclusivité envers les producteurs. Il est vrai que seule une petite part des producteurs en ayant fait la demande est labellisée. Souvent critiquée, cette restriction peut-être compréhensible en ce sens qu’elle permet l’accroisse11 ment progressif de la production à la même vitesse que la demande, sans inonder le marché et faire baisser les prix. On peut donc supposer que l’hypothèse d’une différentiation des importateurs non-fairtrade est la plus plausible avec les données dont on dispose. 3.4 L’Étude de Ruben Un rapport commandité par Solidaridad, effectué par le Centre for International Issues de l’Université de Nijmegen aux Pays-Bas (Ruben et al.) a analysé l’impact du Fairtrade sur le niveau général des salaires et les infrastructures, entre autres. Prenant en compte des éléments objectifs quantitatifs comme la consommation réelle, ce rapport inclut également des réponses à des questionnaires, reflétant le bien-être subjectif des travailleurs des plantations. Ruben et al. observent les différences d’un point de vue statique entre les conditions de travail conventionnelles et équitables, notre étude se concentrant plutôt sur les aspects dynamiques de l’introduction du commerce équitable sur les producteurs non-affiliés. Cependant, la rubrique ”Externalités” peut nous être utile dans ce cadre. L’étude en question se concentre sur la production de bananes et de café au Costa Rica, au Pérou et au Ghana. En utilisant la méthode du ”matching” avec différents groupes de contrôle, elle révèle une amélioration significative des conditions de travail au Ghana. Ceci indique que les plantations et coopératives Fairtrade peuvent être capable d’exercer ≪ un pouvoir de marché régional afin d’influencer les conditions générales du marché.≫ 7 De même, on constate une augmentation du prix payé au producteur au nord du Pérou parallèlement à l’accroissement des ventes Fairtrade. Ceci est représenté par la figure 6. Selon Ruben, cela met en évidence que les détaillants locaux ont du se mettre au diapason pour éviter une fuite des travailleurs vers les plantations équitables, relayant ainsi notre première hypothèse. Les auteurs relèvent toutefois des particularités géographiques qui rendent hasardeux l’extrapolation à d’autres régions. L’étude de Ruben fait également ressortir le fait que, bien que les investissements de la ”prime Fairtrade” puissent bénéficier à la ≪ communauté dans son ensemble, une gestion ”isolée” de la prime [...] limite fortement les possibilités d’activer les effets du multiplicateur [des investissements].≫ 8 7. Tiré de Ruben et al. p. 10-11, traduit par mes soins 8. Tiré de Ruben et al. p. 10-11, traduit par mes soins 12 Figure 6 – Évolution du prix des bananes conventionnelles (en cents/kg) et des quantités de bananes Fairtrade et biologique (en milliers de tonnes) au nord du Pérou Source : tiré de Ruben et al. p. 47, selon la source citée 4 Conclusion Le marché des facteurs de production des bananes est bien loin de la concurrence parfaite. La concentration verticale des entreprises impliquées dans ce commerce met en évidence une situation monopsonistique. Les détaillants européens et américains, en faisant usage de leur pouvoir de négociation sur les prix à l’importation, forcent les compagnies bananières multinationales à faire pression sur les coûts de production. Ces dernières tirent elles aussi profit de leur situation d’oligopsoneurs pour engager des travailleurs en leur proposant des conditions de travail encore plus mauvaises. Les travailleurs non-qualifiés sont obligés d’accepter ces conditions car ils n’ont d’autres choix que des activités trop coûteuses ou trop peu productives, au détriment de leur santé et de leur salaire. Globalement, l’introduction du commerce équitable en 1997 n’a, selon les tendances que nous observons, pas aidé à améliorer les conditions des travailleurs non-affiliés Fairtrade. Au contraire, l’indice EthicalQuote nous indique une dégradation aussi progressive que l’accroissement des parts de marché Fairtrade. L’étude de Ruben et al. arrive à des conclusions contraires bien qu’hétérogènes et peu générales. Cependant, les parts de marché Fairtrade étant encore faible dans de nombreux pays et dans les importations mondiales, il est probable que l’effet positif potentiel n’ait été qu’assez marginal mais qu’il s’amplifiera avec l’accroissement de la consommation équitable dans le monde. Selon Ruben, ≪les 13 bénéfices externes du commerce équitable ne pourront être constatés que lorsque sa part d’un marché régional aura atteint un niveau significatif.≫ 9 10 Il nous faut également remarquer que le manque de recul et les observations ponctuelles dont nous disposons ne nous permettent pas de conclure avec certitude dans un sens ou dans un autre. Alors que l’indice EthicalQuote développé par Covalence est principalement utile à l’audit et à l’investissement, ce travail a tenté de donner des pistes quant à une autre utilisation de ces observations : la réputation numérique des multinationales donne une bonne image de l’évolution des conditions de travail. En effet, sous l’hypothèse d’un internet libre et gratuit pour tous, la réalité est probablement largement corrélée aux informations sur internet. Peu d’études sur l’effet du commerce équitable sur les producteurs non-affiliés ont été réalisée jusqu’à présent. Dans un monde où la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) prend une place de plus en plus déterminante dans notre consommation, ce thème devra être plus largement traité. 9. Il donne la limite de 30%. 10. Ruben et al. p.80 14 5 Bibliographie Références [1] Arias Pedro, Dankers Cora, Liu Pascal, Pilkauskas Paul, ”L’économie mondiale de la Banane 1985-2002”, Études Fao sur les produits de base , 2003. 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