tgi montpellier

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tgi montpellier
les hors-séries de
ISSN 1262-1218
Janvier 2004
Les prétoires
de la misère
Observation citoyenne
du tribunal correctionnel
de Montpellier
SOMMAIRE
I N T R O D U C T I O N par Michel Miaille
.................................................3
L’ENQUÊTE
Les raisons de l’enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Le dispositif d’enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
RESULTAT DE L’ENQUÊTE
Les audiences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Les prévenus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
Les chefs d’accusation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Les peines requises . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Les peines prononcées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
Commentaires sur le déroulement des audiences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
Commentaires sur la situation précaire des prévenus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Les comparutions immédiates . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
L’iniquité des réquisitions et des jugements en fonction des magistrats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Les « outrages » à agents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Le travail d’intérêt général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
L’influence du contexte médiatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
LE TRAITEMENT DES ÉTRANGERS
Une sur-représentation des étrangers parmi les prévenus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Les chefs d’accusation et les prévenus étrangers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Les comparutions immédiates et les prévenus étrangers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Le recours à l’interprète . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Les réquisitions et les peines prononcées à l’égard des prévenus étrangers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Les réquisitions et les peines prononcées selon le casier judiciaire du prévenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
L’interdiction de territoire national et la reconduite à la frontière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
C O N C L U S I O N par Gilles Sainati
BIBLIOGRAPHIE
GLOSSAIRE
ANNEXES
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
Causes Communes est la publication bimestrielle de la Cimade
Cimade, Service œcuménique d’entraide, 176, rue de Grenelle 75 007 Paris
Tél. : 01 44 18 60 50 - CCP : 4088 Y PARIS
Commission paritaire : 75961 AS - Dépôt légal : 1er trimestre 2004
Directeur de la Publication : Jeam-Marc Dupeux
Rédaction : Chantal Vergelys
Appui technique pour traitement des données : Olivier Delamare
Lecture critique : Michel Miaille, Gilles Sainati, Michel Elie, Sylvette Sevelec
et Annick Ballester.
Observateurs : Annick Ballester, Annick Ballester, Francine Benoit,
Elizabeth Bienvenu, Mathieu Boulleau, Monique Bourguet, Philippe Daumas,
René Diederichs, Michel Eldin, Michel Elie, Alain Faure, Diana Garcia, Houria
Lesbet, Marianne Loupiac, Véronique Millon, Sylvette Sevellec, Chantal
Vergelys, Jean Paul Nunez, Christophe Perrin, Michel Miaille.
Avec la participation du centre d'étude et de recherche sur la théorie de l'état
de l'université de Montpellier
Illustrations issues de « Justice » : Jean-Claude Bouvier
Photos : DR
Conception graphique, maquette : Romain Perrot
Imprimé par : Expressions II, 9, cité Beauharnais, 75 011 Paris.
INTRODUCTION
« Un regard citoyen »
L
es pages qui suivent livrent le résultat d’une enquête : le lecteur pourrait
s’interroger sur ce qu’elle est véritablement. Deux jugements pourraient immédiatement être formulés.
Selon le premier, il s’agirait d’une enquête de type sociologique, universitaire,
donnant toute la garantie de rigueur et de méthode. Pourtant, ni les acteurs de
ce travail ni le point de vue adopté ne peuvent relever de cette catégorie académique. L’objectif n’est pas de faire avancer la science mais de donner une
image, la plus près possible d’une réalité complexe, celle du fonctionnement de
la justice.
Alors le second jugement pourrait ranger ce travail dans la catégorie des
« témoignages », largement empreints d’idéologie. Au fond il s’agirait d’un discours de gens déjà convaincus s’adressant à d’autres également convaincus,
donc quasiment sans valeur. Ce n’est pourtant pas ainsi qu’il faut lire ces pages.
Pour comprendre l’esprit et les résultats de cette démarche, il faut revenir à
une réalité très simple que l’on pourrait appeler un « regard citoyen » sur le
monde.
Ce n’est pas un regard d’expert comme celui de juristes éminents ou de personnels académiques spécialistes des tribunaux, de procédure et de jurisprudence.
Mais ce n’est pas non plus un regard d’amateur, au sens péjoratif du mot,
regard qui serait naïf ou complice. Un regard de citoyen est légitime par l’exigence dont il est porteur : comprendre ce que sont les institutions qui ne fonctionnent « qu’au nom du Peuple », saisir la logique qui les habite au vu d’une
pratique quotidienne et banale d’audiences, ordinaires et répétitives.
Ce qui compte dans ce regard, c’est la capacité de mettre au jour, au travers de
gestes, de paroles et d’attitudes observés, le mode concret du fonctionnement
de la Justice tel qu’il s’impose à l’observateur. Lorsque celui-ci fait part de ce
qu’il voit, de ce qu’il entend et des sentiments que cette observation fait naître,
il ne prétend pas tout dire, ni même livrer toutes les clés des phénomènes. Bien
sûr, les acteurs judiciaires auront des explications plus savantes pour justifier
leur comportement et même pour récuser les critiques : mais cela n’invalide pas
l’observation telle qu’elle est rapportée ici.
Ce regard citoyen est une manière de se réapproprier un espace et une pratique
qui, la plupart du temps, échappent à nos contemporains. C’est pourtant ainsi
que commence la démocratie lorsque le citoyen ordinaire se mêle des choses
qui le regardent sans se laisser déposséder par les meilleures raisons du monde.
C’est ainsi qu’il faut lire ces observations : ni seulement techniques, ni apitoyées dans un sentimentalisme facile. Ce sont des questions posées abruptement à chacun d’entre nous : questions sur ceux qui jugent et questions sur
ceux qui sont jugés ; mais aussi questions à tous les autres, qui ne sont pas
directement saisis par la machine judiciaire, c’est à dire les citoyens ordinaires,
nous tous.
Apparemment, c’est une petite contribution : et pourtant c’est déjà une autre
manière de se situer dans notre société et de commencer à la transformer.
Michel Miaille
Président Cimade, Languedoc & Roussillon
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L’ENQUÊTE
Les raisons de l’enquête
Le dispositif d’enquête
e groupe local de la CIMADE de Montpellier, à
l’instigation des permanents régionaux, a décidé
début 2002 d’entreprendre une observation de
l’institution judiciaire.
La question de départ était la suivante ; les personnes
étrangères ou d’origines étrangères sont-elles traitées
de façon équitable par l’institution judiciaire ? La justice
est-elle rendue sans discrimination liée à la nationalité
ou aux origines réelles et/ou supposées des prévenus ?
Suite à ces interrogations, nous avons entrepris d’assister aux audiences du Tribunal de Grande Instance (T.G.I)
de Montpellier pour y observer le déroulement des
audiences durant lesquelles les prévenus sont présentés
devant le tribunal.
Ces observations ont été effectuées sur une période de
4 mois, de mars à juin 2002, durant laquelle 16 personnes, membres de la CIMADE, stagiaires et bénévoles,
se sont relayées pour assister seules ou à plusieurs aux
audiences. Durant les audiences et pour chaque affaire
ils ont eu à remplir un questionnaire, présenté sous
forme de cases à cocher, questions concernant les prévenus, les chefs d’accusations, les débats…
Après la période d’observation, ces questionnaires ont
été saisis et dépouillés grâce à un logiciel de traitement
statistique d’enquête. Le traitement de ces données
quantitatives est présenté dans la première partie de ce
document.
Par la suite, en novembre et décembre 2002, un entretien a été réalisé avec chacun des observateurs et observatrices pour recueillir leurs commentaires, leurs
«impressions » et des précisions sur le déroulement des
audiences auxquelles ils ont assisté. La seconde partie
de ce document présente une synthèse de ces remarques
et de ces «impressions » regroupées par thèmes qui forment les sous parties et qui sont illustrées par les propos des observateurs cités entre guillemets et appuyées
parfois par des données quantitatives.
La troisième partie de ce document est consacrée, plus
spécifiquement, à l’analyse du traitement des étrangers
par l’institution judiciaire, dans le cadre de leur présentation devant le tribunal.
Cette observation pose un regard ponctuel sur le déroulement des audiences (4 mois d’observation) dans un
cadre local (le T.G.I de Montpellier). Ce document ne
prétend pas à une analyse sociologique globale du
«champ» de l’institution judiciaire, mais se présente
comme une analyse factuelle de ce que nous avons
observé dans le cadre des audiences.
Une analyse factuelle, un sens commun qui donnent
toutefois des éléments pour comprendre les nouvelles
orientations en matière pénale et ses dérives mises en
avant par des professionnels de la justice ou des chercheurs (juristes, sociologues).
Le questionnaire
L
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Les prétoires de la misère
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La grille du questionnaire que les observateurs avaient à
remplir comportait deux parties ;
- une partie quantifiable, pour laquelle les observateurs
avaient des cases à cocher et dans laquelle étaient mentionnées des données objectives concernant les prévenus et les débats.
- une partie qualitative, intitulée ; « observations spécifiques concernant cette affaire » dans laquelle les observateurs mentionnaient selon leur subjectivité des
commentaires concernant les prévenus, les victimes, les
faits, les débats et autres commentaires.
Les audiences
Les observateurs se sont rendus aux audiences correctionnelles en collégiale du Tribunal de Grande Instance
de Montpellier (TGI).
50 jours d’audiences du tribunal Correctionnel, au T.G.I
de Montpellier ont ainsi été observés. Observations
durant lesquelles les observateurs remplissaient une
fiche/questionnaire par affaire présentée.
Au total 382 fiches ont été remplies.
Fiches/questionnaires qui concernent au total 480 prévenus. Un ou plusieurs prévenus pouvant figurer dans
une même affaire.
L’ENQUÊTE
Définition et procédure
Compétence du tribunal :
- à la division tripartite des infractions (crimes, délits et
contraventions) correspond une répartition également
tripartite des juridictions statuant en matière pénale
(cours d’assises, tribunal correctionnel et tribunal de
police)
- le tribunal correctionnel juge les délits.
- les audiences du tribunal correctionnel sont publiques
(art.400 du Code de procédure pénale)
Composition :
- le tribunal correctionnel dans sa forme collégiale est
composé ;
- de magistrats du siège, 1 président et 2 assesseurs.
- du Ministère public, exercé par le Procureur de la
République ou l’un de ses substituts.
- le greffier fait partie intégrante de la juridiction.
Ouverture des débats :
- le président ou l’un de ses assesseurs par lui désigné,
mène les débats.
- le président ou l’un de ses assesseurs, par lui désigné,
constate :
- l’identité du prévenu et donne connaissance de l’acte
qui a saisi le tribunal,
- la présence ou s’il y a lieu, l’absence de la personne
civilement responsable, de la partie civile , des experts
et des interprètes.
- l’instruction de l’audience terminée, la partie civile est
entendue en sa demande, le Ministère public prend ses
réquisitions, le prévenu et, s’il y a lieu, la personne civilement responsable, présentent leur défense. (art.460 du
Code de procédure pénale.)
Les débats proprement dits :
- ils s’ouvrent avec l’interrogatoire du prévenu sur les
faits.
- il s’agit ensuite de confronter la teneur et les pièces du
dossier aux explications des personnes présentes à l’audience ; prévenu(s), victime(s), témoin(s) et expert(s)…
- après l’instruction de l’affaire, il s’agit d’entendre dans
un ordre déterminé les «prétentions » ou demandes des
parties concernées.
- la partie civile (victimes) est entendue en premier,
après quoi le Ministère public prend ses réquisitions,
puis le prévenu présente sa défense par l’intermédiaire
d’un avocat, la présence de ce dernier n’est pas obligatoire.
- il est prévu que la partie civile et le Ministère public
peuvent répliquer, mais, en tout cas, le prévenu ou son
conseil (avocat) aura toujours la parole le dernier.
- la plaidoirie du conseil ne dispense pas les juges de
donner la parole au(x) prévenu(s) s’il la demande.
Les observateurs
Au total 16 observateurs se sont relayés durant les 4
mois d’observation.
Bénévoles, stagiaires, adhérents, d’une grande diversité
d’âge, de professions et d’horizons, rassemblés par leur
adhésion à la CIMADE et la volonté d’aider les étrangers
à faire valoir leurs droits dans la société française.
Chacun de ces observateurs est identifié par un numéro
de 1 à 16. Il nous est apparu pertinent de préciser la profession, le statut de chacun d’eux, afin que les propos
cités soient lus comme une «parole citoyenne ».
Observateur 1 (obs 1) retraitée du notariat.
Observateur 2 (obs 2) formatrice pour travailleurs
sociaux à la retraite.
Observateur 3 (obs 3) chargée de recherche au C.N.R.S à
la retraite.
Observateur 4 (obs 4) étudiant en développement social.
Observateur 5 (obs 5) professeur de lettres à la retraite.
Observateur 6 (obs 6) maître de conférence à la retraite.
Observateur 7 (obs 7) directeur de centre pour handicapés à la retraite.
Observateur 8 (obs 8) chercheur en agronomie, à l’I.R.D
à la retraite.
Observateur 9 (obs 9) ingénieur informatique à la
retraite.
Observateur 10 (obs 10) médecin biologiste en recherche
médicale à la retraite.
Observateur 11 (obs 11) étudiante en développement
social.
Observateur 12 (obs 12) étudiante en science politique.
Observateur 13 (obs 13) conseillère au planning familial.
Observateur 14 (obs 14) infirmière.
Observateur 15 (obs 15) sans profession.
Observateur 16 (obs 16) étudiante en sociologie.
Les entretiens
Les entretiens ont été réalisés individuellement ou en
binôme lorsque les observateurs le souhaitaient, dès lors
qu’ils s’étaient rendus en binôme aux audiences du TGI.
Tous ces entretiens ont été enregistrés.
Durant ces entretiens :
- ils ont commenté et développé leurs observations.
- ils ont aussi fait part de leurs «impressions » sur le
déroulement des audiences (situation des prévenus,
attitudes des magistrats…).
- ils ont insisté sur les points qui semblaient être des
« dysfonctionnements » observés durant leur présence
aux audiences.
Clôture des débats :
- dans une acceptation fréquente, elle n’intervient qu’au
prononcé du jugement.
Les prétoires de la misère
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RESULTATS DE L’ENQUÊTE
Durant les observations, il n’a pas toujours été possible de remplir l’intégralité du
questionnaire, compte tenu des difficultés d’audition et de la rapidité d’énonciation des éléments qui constituent une affaire, d’où l’absence de réponse, de cases
non cochées dans certaines rubriques du questionnaire, qualifiée, dans les données suivantes de « non-réponses » et mentionnées en pourcentage.
Les audiences
Définition et procédure
- « La durée des débats, est évidemment fonction de la complexité de l’affaire, du nombre des prévenus ou des personnes
à entendre, de la longueur des plaidoiries et du réquisitoire. A
cet égard, il est sage de prévoir, le plus exactement possible,
lors de l’audiencement de l’affaire, la durée prévisible des
débats afin que l’audience puisse être tenue dans des conditions satisfaisantes, pour offrir aux parties et à leurs conseils
des possibilités d’expression convenables et de prévenir le renvoi intempestif d’autres affaires. En pratique, certaines juridictions procèdent à un appel de l’affaire en présence des conseils
et du Ministère public pour évaluer la durée probable de l’audience et en fixer la date d’un commun accord ».
- « Le Code d’instruction criminelle n’imposait pas au président
du tribunal correctionnel l’accomplissement de formalités particulières … toutefois, les présidents des juridictions correctionnelles avaient pris l’habitude de calquer leur pratique sur
celle des présidents de cours d’assises, afin d’éviter de graves
erreurs risquant d’affecter la validité des décisions de leur juridiction »1
Durée d’une affaire
- Temps minimum consacré à une affaire : 1 minute.
- Temps maximum consacré à une affaire : 232 minutes
(soit 3 heures et 52 minutes).
- Temps moyen consacré à une affaire : 26 minutes.
Les prévenus
Sexe des prévenus
Parmi les 480 prévenus présentés devant le tribunal durant les
4 mois d’observation la mention «sexe» a pu être systématiquement cochée par les observateurs, ainsi ;
- 93% des prévenus étaient de sexe masculin.
- 7% des prévenus étaient de sexe féminin.
Âge des prévenus
Les prévenus jeunes [18-30 ans] constituent presque la moitié
(47%) de la population totale des prévenus.
Constat
- Les audiences, au cours desquelles ont lieu les débats pour
chaque affaire présentée devant le tribunal débutaient à 14
heures et se terminaient avec le prononcé de la décision suite
aux délibérés entre le président et ses assesseurs. Les délibérés
étaient rarement prononcés avant 20 heures.
- Parfois les débats étaient suspendus, pour permettre un premier délibéré d’une partie des affaires, puis reprenaient.
- Les observateurs ont assisté au total à 382 affaires.
Nombre d’affaires observées
en une journée d’audience
- Nombre minimum d’affaires traitées en une journée d’audience : 3
- Nombre maximum d’affaires traitées en une journée d’audience : 20
- Moyenne du nombre d’affaires traitées en une journée d’audience : 10
1 Editions du Juris Classeur 2000
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Les prétoires de la misère
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Situation familiale des prévenus
- 28% de non-réponses.
- 13% des prévenus étaient mariés.
- 55% des prévenus étaient célibataires.
Prévenus ayant un
ou plusieurs enfants
- 86% de non-réponses.
- 8% des prévenus avaient 1 ou plusieurs enfants.
Domicile
- 29% de non-réponses.
- 308 prévenus étaient domiciliés, soit 64% des prévenus qui
ont pu fournir une adresse.
- 32 prévenus étaient sans domicile connu, soit 7% des prévenus qui n’ont pas pu fournir d’adresse.
RESULTATS DE L’ENQUÊTE
Casier judiciaire
Nationalité des prévenus
- 7% de non-réponses.
- 52% des prévenus avaient un casier judiciaire.
- 41%des prévenus n’avaient pas de casier judiciaire.
Profession des prévenus
La majorité des prévenus (44%) étaient sans profession.
Situation régulière ou non
des prévenus étrangers
- 12% de non-réponses.
- 48% des prévenus étrangers étaient en situation régulière.
- 40% des prévenus étrangers étaient en situation irrégulière.
Les chefs d’accusation
Les prévenus sont présentés devant le tribunal lorsqu’ils sont
soupçonnés d’avoir commis un délit. Les faits et la qualification
juridique des faits sont énoncés par les magistrats, pour chaque
affaire, sous la forme de chef d’accusation.
Les chefs d’accusation durant la période d’observation ont été
les suivants :
Les prétoires de la misère
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RESULTATS DE L’ENQUÊTE
Les chefs d’accusation selon la profession et l’âge
Les peines requises
Les peines prononcées
Les réquisitions (ou le réquisitoire) sont prononcées par le procureur, après avoir entendu le(s) prévenu(s), les plaidoiries des
avocats des victimes (partie civile) et de la défense ; il propose
(requiert) une peine. Le procureur représente l’Etat (Ministère
public) et a pour rôle de poursuivre, durant les audiences ; il
peut être représenté par l’un de ses substituts.
Les réquisitions durant la période d’observation ont été les suivants :
Après les débats, c’est à dire après avoir entendu successivement le(s) prévenu(s), les plaidoiries des avocats des victimes
(partie civile) et de la défense et le réquisitoire du procureur, et
en dernier lieu le prévenu ou son avocat si ces derniers en
éprouvent la nécessité, le juge (président) suspend les
audiences et se retire pour délibérer avec ses assesseurs. Suite
à ces délibérations le président prononce la ou les peines à
l’encontre du prévenu.
Les peines prononcées durant la période d’observation ont été
les suivantes :
Dans « Autre » sont compris les obligations de soin et de travail,
les suspensions/annulations du permis de conduire, les confiscations des armes, stupéfiants…saisis, les interdictions de lieux,
de revoir les victimes…
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Les prétoires de la misère
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RESULTATS DE L’ENQUÊTE
Conclusion
A chaque âge ses délits
(chefs d’accusation)
Le prévenu type, est un homme (93% des prévenus), jeune
(47% des prévenus avaient entre 18 et 30 ans), célibataire
(55% des prévenus étaient célibataires) sans profession (44%
des prévenus étaient sans profession) et de nationalité française (71% des prévenus étaient de nationalité française).
Lorsque le prévenu est de nationalité étrangère (25% des prévenus étaient de nationalité étrangère), 40% d’entre eux sont
en situation irrégulière.
51% des chefs d’accusation étaient énoncés à l’encontre des
18-30 ans.
Les chefs d’accusation les plus fréquents pour cette tranche
d’âge étaient les atteintes aux biens (70%), les violences (60%)
et les infractions à la législation des stupéfiants (49%).
Alors que les fraudes représentaient 6% et les délits sexuels
représentaient 15% des chefs d’accusation de cette tranche
d’âge.
Les chefs d’accusation les plus fréquents étaient les suivants :
atteintes aux biens (29%), violences (21%) et infractions à la
législation des stupéfiants (12%).
20% des chefs d’accusation étaient énoncés à l’encontre des
40-60 ans.
Les chefs d’accusation les plus fréquents pour cette tranche
d’âge étaient les fraudes (72%), les délits sexuels (53%) et les
escroqueries (52%).
Alors que les atteintes aux biens représentaient 4% et les violences représentaient 14% des chefs d’accusation de cette
tranche d’âge.
A chaque catégories sociale
ses délits (chefs d’accusation)
47% des chef d’accusation étaient énoncés à l’encontre des
sans profession.
Les chefs d’accusation les plus fréquents pour cette catégorie
sociale étaient : les atteintes aux biens (59%), les violences
(56%) et les infractions à la législation des stupéfiants (48%).
Alors que les fraudes représentaient 14% et les infractions à la
législation du travail représentaient 12% des chefs d’accusation de cette catégorie sociale.
8% des chefs d’accusation étaient énoncés à l’encontre des
artisans, commerçants et chefs d’entreprise.
Les chefs d’accusation les plus fréquents pour cette catégorie
sociale étaient : les fraudes (55%), et les infractions à la législation du travail (47%).
Alors que les atteintes aux biens et les violences représentaient
2% des chefs d’accusation de cette catégorie sociale.
Il est nécessaire de préciser que les délits tels que les violences,
les atteintes aux biens et les infractions à la législation des
stupéfiants qui concernent majoritairement les sans professions, les ouvriers et les jeunes, monopolisent actuellement
l’attention compte tenu des débats polémiques concernant
« l’insécurité » (les débats sur « l’insécurité » occupaient la
scène politique et médiatique au moment de notre observation
qui correspond à la période électorale des élections présidentielles de 2002)
Si les débats politiques et médiatiques et les orientations qui
en dépendent, pratiques policières et activité de la chaîne
pénale, focalisaient aussi leurs activités sur les délits tels que
les fraudes, les infractions à la législation du travail (délits qui
concernent par exemple les artisans, commerçants et chefs
d’entreprise et les 40-60 ans) le pourcentage des chefs d’accusation concernant cette catégorie sociale, qui est actuellement
de 8%, augmenterait sans doute, car les forces de police
seraient davantage monopolisées sur ces formes de délinquance et donc plus de poursuites en matière pénale seraient
engagées pour ce type de délits. Mais ceci dépasse le cadre de
notre observation.
Les prétoires de la misère
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COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
Les constats mentionnés dans chacune des sous parties suivantes sont la synthèse
des différents commentaires oraux (énoncés durant les entretiens) et écrits
(mentionnés dans les fiches d’observations) des 16 observateurs. Tous les
observateurs n’ont pas nécessairement constaté ce qui est décrit ci-dessous. Ceci
est une synthèse des propos et commentaires qui étaient le plus souvent énoncés
et formulés par une majorité des observateurs.
Tous les éléments qui constituent une audience ne sont pas systématiquement
abordés, seuls ont été retenus les éléments qui ont été l’objet de commentaires
répétés et sur lesquels les observateurs insistaient. Des réponses pourraient sans
doute être apportés par les acteurs (magistrats) soucieux de se justifier face à ces
constats, mais ce n’est pas l’objet de ce travail.
L’ensemble de ces constats pourront apparaître comme anodins compte tenu
de la banalisation de certaines attitudes et pratiques. Cette banalisation ne doit
pas empêcher de s’interroger sur la normalité de ces mêmes attitudes et pratiques.
Remarques
sur le déroulement
des audiences
Constat
Les propos des magistrats étaient difficilement audibles, parfois inaudibles pour les observateurs assis parmi le public.
l’énonciation des faits, la présentation du dossier étaient sommaires.
Les observateurs ont souvent eu « l’impression » que les
réponses fournies par les prévenus et les plaidoiries des avocats
n’étaient pas entendues par les magistrats. Les arguments de
la défense ne semblaient que peu influencer le jugement rendu
par la suite.
Commentaires des observateurs
«Au début des audiences, l’appel des accusés et l’énoncé de leur
état civil se fait avec une rigueur doublée en général d’humanité, mais l’acoustique médiocre et l’absence de micro rendent
cette partie de l’audience inaudible pour le public … Le prononcé des jugements souffre des mêmes problèmes que l’appel
des accusés : il est rapide, presque inaudible, non commenté,
quand il ne s’agit pas d’un renvoi à une audience ultérieure. »
« On a un peu l’impression d’un monde schizophrénique, c’est à
dire que chaque engrenage fonctionne en toute logique mais
complètement séparé des autres, on a l’impression qu’après que
le jugement a été prononcé c’est fini…ils vont en prison. »
obs10
«Ca va très vite, les gens qui sont accusés n’entendent rien, n’y
connaissent rien, les familles qui sont là non plus…et les juges,
on dirait qu’ils font exprès de parler quasiment à mi-voix… Il n’y
a vraiment pas un désir d’être entendu. Ils ne font aucun effort
10
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
pour que quelqu’un entende, eux ils ont le dossier, donc ils résument le dossier mais ils résument tellement vite, en lisant tellement vite que ce n’est pas audible et compréhensible par
quelqu’un d’en face […] Les audiences sont publiques donc le
public doit entendre, ça fait partie de la loi. »
obs13
« En fait on voit de tout, on voit des cas qui passent en deux
minutes et d’autres qui passent en quatre heures. […] Les cas qui
passent en quatre minutes se sont les agressions dans un bus ou
quelque chose comme ça. […] On a l’impression que ce n’est pas
proportionnel au volume de l’infraction et que des petites
infractions sont pénalisées par rapport à de grosses infractions.
[…] En fait le justiciable dans ce monde un peu théâtral est facilement perdu, il ne comprend pas très bien ce qui se passe
autour de lui… »
« C’est une expérience à faire…en tant que citoyen…en fait il est
assez mal connu que chacun peut aller assister à des procès…
J’ai eu quelquefois l’impression que le public est toléré, mais
n’est pas souhaité. »
obs9
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
« Pour certaines comparutions… c’était la
panique… on appelait un prévenu, le dossier n’était pas là… on attendait pendant
un grand moment… il y avait des erreurs
sur les états civils… c’était très léger. »
obs 1 et 15
« Ce qui m’a peut être frappé aussi, c’est
dans certains cas la difficulté de savoir ce
qui s’est passé exactement. »
obs3
« Les conditions d’auditions des séances
sont lamentables, c’est un point qui est
grave, parce que nous sommes là pour voir
comment la justice est rendue en notre
nom, or nous n’arrivions pas à entendre ce
qui était dit. »
obs8
« Les qualifications n’étaient pas toujours données…donc nous
ne savions jamais exactement pour quel chef d’accusation la
personne était là, nous savions ce qu’on lui reprochait, mais en
terme de droit la qualification n’était pas donnée. »
obs1 et 15
Commentaires
sur la situation
précaire des prévenus
Constat
• La situation socio-économique : revenu(s), prestation(s) ou
aide(s) sociale(s), la situation de famille, logement, âge… ou
autres éléments pertinents pouvant prouver une forme d’intégration socio-économique sont autant d’éléments pris en
compte et sur lesquels se basent les magistrats pour leurs
réquisitions et leurs jugements. Ces éléments lorsqu’ils peuvent
être prouvés par le prévenu (ou son avocat) fournissent ce que
l’on appelle des « garanties de représentation » auprès du tribunal.
• Ces garanties de représentation déterminent le cheminement
des prévenus à chaque étape du traitement pénal de leur
affaire.
• Au Tribunal de Grande Instance de Montpellier, durant les 4
mois d’observation, nous avons pu constater que
44% des prévenus étaient «sans profession » ou
avaient des sources de revenus chaotiques ce qui
aux yeux du tribunal n’apporte aucune garantie.
• Ces prévenus «sans profession » ne pouvaient donc
pas fournir des garanties de représentation et ce
même si l’on part du postulat que le revenu n’est pas
le seul élément de garantie de représentation,
car les autres éléments (stabilité familiale,
garantie d’un logement, équilibre psychique…) sont étroitement liés à
la notion de revenus, de profession. Ce sont des éléments
interdépendants.
• Le choix du régime de détention, son déroulement et son
aménagement dépendent aussi des garanties de représentation.
• Ne pouvant fournir ces éléments de garanties de représentation nécessaires pour que le jugement rendu soit clément ou
plutôt ne se traduise pas sous forme de peine de prison ferme,
cette catégorie de la population sera le plus souvent pénalisée
par de la prison ferme. Un prévenu qui n’apporte pas un ou des
éléments de garanties de représentation ne bénéficie généralement pas d’aménagement de peine ou de peines substitutives.
• Cf. tableaux des corrélations entre les peines prononcées
selon la profession ou l’âge des prévenus.
• Bien qu’ayant à faire à une majorité de prévenus en situation
précaire, les magistrats continuent, pour prononcer leur jugement, à se baser sur les garanties de représentation face à des
prévenus qui ne peuvent en fournir.
• D’où le constat (cf. les commentaires) des observateurs ; sur
le fait qu’il ne semblait pas y avoir de traitement individuel des
dossiers. La particularité de chaque individu (situation sociale,
matérielle, psychologique…) n’était pas abordée.
• Ou était abordée lorsqu’il y avait des garanties de représentation, ce qui semblait innocenter ou du moins excuser le prévenu.
Sans garanties de représentation les magistrats ne cherchaient
pas à comprendre ce qui aurait pu conduire le prévenu à commettre tel ou tel délit.
• Les magistrats ne semblaient donc pas faire une étude
approfondie de chaque cas tel que l’exige la procédure et la
logique du droit pénal, lorsque les prévenus n’avaient pas de
garanties de représentation.
• Ce constat a été fait notamment et surtout dans le cadre des
comparutions immédiates.
• Le nombre important de dossiers à traiter par jour, souligné
par les observateurs semble être un élément d’explication, sans
pour autant justifier ce traitement sommaire.
• Pour conclure, nous pouvons nous interroger sur un tel pourcentage de sans profession parmi les prévenus, les propos suivants pourront sans doute fournir des éléments de réflexion :
« le moins d’Etat économique et social appelle et nécessite le
plus d’Etat pénal, auquel on demande d’endiguer les désordres
générés par la dérégulation économique et le délitement du
filet de protection sociale »2
2 (Loïc) WACQUANT (entretien avec) paru in Combats contre le sida, Printemps 2002.
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 11
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
Les peines prononcées selon la profession et l’âge
Remarques
Commentaires des observateurs
« Obligation de se soumettre à des mesures d’examen, de
contrôle de traitements, de soins médicaux même sous le
régime de l’hospitalisation » Art. 132.45 et art. 132.45 3ème du
Code pénal.
« On ne peut pas dire que c’est une justice qui répare. »
« La justice n’est pas juste, elle est là pour appliquer la loi. […]
Il y a d’un côté la loi… et de l’autre côté ce qui est juste et ce qui
est injuste en fonction des circonstances. »
obs10
« Obligation d’exercer une activité professionnelle ou suivre un
enseignement ou une formation professionnelle » Art. 132.45
1er du Code pénal.
• Ce type d’obligations a été mentionné pour 42 prévenus (sur
un total de 480 prévenus, soit pour 9% des prévenus) durant
les 4 mois d’observation.
• 35 prévenus ont eu pour peines complémentaires l’obligation
de soins.
• Dans la majorité des cas les obligations de soins étaient prononcées pour les cas d’alcoolémie.
• 7 prévenus ont eu pour peines complémentaires l’obligation
d’exercer une activité professionnelle.
• Ce type de peine prononcé à titre complémentaire lorsque le
jugement est rendu, semble prendre en considération la situation individuelle, matérielle et psychologique dans laquelle se
trouve le prévenu au moment des faits.
• Par l’obligation de soins ou par l’obligation d’exercer (donc de
chercher) une activité professionnelle le tribunal met en avant
une volonté de prévention (carence qui a été souligné par une
majorité des observateurs) mais aussi de réinsertion des prévenus et éviter que ces derniers ne récidivent.
• Le travail et les revenus qu’il implique devraient permettre au
prévenu de s’insérer, de sortir d’une certaine forme de marginalité et du circuit de l’économie parallèle.
• L’obligation de soins devrait permettre de ne plus voir les cas
qualifiés de «psychiatrique » par les observateurs et qui semblent grossir inutilement les bancs des accusés. Mais quel est
le suivi et l’application de ce type d’obligations ? Et quel est le
poids de ce type de peine au sein du système judiciaire ?
Enfin nous pouvons souligner le taux très faible de ce type de
peine durant notre période d’observation.
12
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
« J’ai eu l’impression que les gens étaient victimes de situations
sociales extrêmement dégradées et que l’on n’en tenait pas
compte…»
(au sujet d’un cas où une jeune fille a agressé une autre jeune
fille à coups de couteaux, à La Paillade).
« Je me suis dit : le jugement n’a rien cherché là-dessus, ce n’est
quand même pas tous les jours qu’une jeune fille fait une chose
pareille ! On dirait que le tribunal accueille ; voilà ce qui s’est
passé, on juge, et voilà c’est tout on ne cherche pas la cause. […]
Est-ce dû à un laxisme ou à de la mauvaise foi, je pense qu’il y a
des deux, la misère de la justice c’est quand même quelque chose
qui existe, le manque de moyens…il faut qu’ils traitent beaucoup
de dossiers en peu de temps, ça c’est sûr… »
« L’impression que les juges étaient derrière leur vitre de verre,
on avait l’impression qu’ils traitaient des gens qui n’étaient pas
de leur monde… ça ne les touche pas personnellement…c’est
une routine…il me semble que la justice doit être remplie en
même temps de compréhension, sinon elle devient injuste…il n’y
a pas de justice sans compréhension… »
obs13
« Je ne crois pas que ce soit leur rôle de chercher à expliquer les
choses, il y a un moment où il y a un délit et ils sont quand même
obligés de sanctionner […] C’est simplement l’aboutissement, la
conséquence, on ne touche pas aux causes… »
« Je pense qu’ils ont un dossier plus complet, qu’il y a toute une
recherche qui a été faite, mais ils estiment que ce n’est pas leur
rôle de le dire au moment de la séance. […] J’ai plutôt eu l’impression que pour eux le tribunal c’était presque une formalité[…]. C’est une formalité envers le public. […] Tout le reste a
été fait avant et puis le suivi doit être fait après.»
obs5
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
« Très souvent, il y avait tout un aspect moralisateur pour expliquer pourquoi ce n’était pas bon pour la société ce qu’il avait
fait et pourquoi ils étaient condamnés, pour les inciter à ne pas
recommencer. »
obs3
Les comparutions
immédiates
« J’ai eu le sentiment d’une volonté de punir, de déstabiliser,
de condamner dans certains cas… » « (s’agissant de deux
jeunes qui avaient du mal à s’exprimer). J’ai eu le sentiment
que ces deux jeunes étaient déjà jugés, avant que la séance
ait commencé, que le jugement était déjà rendu dans la tête
du juge, que c’était des voyous et que de toutes façons quoiqu’ils puissent dire, ils seraient condamnés et condamnés
sévèrement. »
obs8
Définition et procédure
« Au mieux c’est neutre et au pire le procureur dit qu’il n’est pas
assistante sociale. L’un d’eux a dit carrément ≤moi je ne suis pas
psychiatre≤ […] Honnêtement quand on passe dix à douze cas
dans l’après-midi c’est pas possible…parfois ils s’attardaient on
ne comprend pas bien pourquoi d’ailleurs, des fois ça allait vite
ou moins vite mais jamais on ne cherchait à savoir pourquoi…tout ça c’est toujours la même histoire. »
obs 1 et 15
« Il y avait une certaine volonté d’explication … la présidente
essayait de trouver les motivations …beaucoup plus que le procureur… »
« Nous voyons que la justice n’a pas vraiment de solution dans
beaucoup de cas, surtout dans les cas d’accusés un peu marginaux, c’est pas la justice qui a la solution, c’est pas six mois de
prison qui vont changer grand chose. Nous voyons donc un peu
une certaine impuissance de la justice devant certains types de
choses, devant la marginalité »
obs9
Champ d’application de la comparution immédiate
• Pour être présenté en comparution immédiate au tribunal,
l’auteur du délit doit être identifié et majeur.
• Procédure par laquelle un prévenu est traduit immédiatement après l’infraction (cf fonctionnement de la comparution
immédiate) devant le tribunal correctionnel pour être jugé le
jour même.
• Exclusion de certains délits ; « ne peuvent être poursuivis par la
voie de la comparution immédiate les délits en matière de presse,
les délits politiques et les infractions dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale (code de procédure pénale,
art.397-6), tels que les délits forestiers, de chasse, de pêche, de
contributions indirectes, de spéculation illicite, de fraude »3
Fonctionnement de la comparution immédiate
• Après la garde à vue, le prévenu est déféré devant le procureur (présentation devant le parquet) pour audition.
• Après audition si le procureur estime qu’une information
n’est pas nécessaire, peut opter pour la procédure de comparution immédiate ou de comparution par procès verbal.
• 3 critères aux choix : que les charges réunies soient suffisantes, l’affaire doit être en état d’être jugée, il faut enfin que
le procureur estime que les éléments de l’espèce justifient une
comparution immédiate.
• Le procureur notifie sa décision à la personne poursuivie et
l’informe qu’elle a droit à l’assistance d’un avocat de son choix
ou commis d’office.
• Le prévenu est alors aux termes de l’art 395 du Code de procédure pénale ; « conduit sur-le-champ devant le tribunal, le prévenu
est retenu jusqu’à sa comparution qui doit avoir lieu le jour même
(si la réunion du tribunal est possible ce jour là), sous escorte ».
• Le prévenu se trouve dès lors devant le tribunal ; 2 cas peuvent se présenter, le dossier est complet et le prévenu accepte
d’être jugé de suite. Ou bien le jugement immédiat est impossible (le dossier peut n’être pas encore en état d’être jugé ou le
prévenu peut bénéficier d’un délai que lui offre la loi pour préparer sa défense) et dans ce cas le tribunal peut adopter le
maintien en détention et/ou un supplément d’information, l’affaire est alors renvoyée.
Constat
Sur les fiches d’observation, l’observateur devait mentionner
pour chaque personne mise en cause, s’il s’agissait d’une comparution immédiate.
la question se présentait ainsi :
comparution immédiate : ❑ oui ❑ non
Ainsi sur les 382 fiches complétées durant les quatre mois
d’observation, les observateurs ont coché 196 fois la réponse
«oui » et 281 fois la réponse «non » (il y a 3 non réponses)
• Il y a donc eu 196 comparutions immédiates durant la
période d’observation.
• Les comparutions immédiates représentent donc 41% des
audiences auxquelles les observateurs ont assisté.
3 (Jacques) BUISSON et (Serge) GUINCHARD Procédure pénale.
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 13
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
• La probabilité pour un prévenu de comparaître en comparution immédiate est d’autant plus élevée qu’il n’a pas de garanties de représentation. (cf tableaux)
• La comparution immédiate s’applique surtout
- à des hommes (97,4% d’hommes)
- jeunes (56% d’entre eux avaient entre 18 et 30 ans)
- sans famille (75,5% de célibataires) et
- sans profession (53%),
- étrangers (51% des prévenus étrangers comparaissaient en comparution immédiate).
• Les infractions traitées par cette procédure, simple par hypothèse, sont avant tout des atteintes aux biens (37%) et des violences (28%).
• Ces infractions sont le plus souvent commises par un seul
individu.
• L’emprisonnement est la peine la plus souvent prononcée
(37%). Suit le sursis.
14
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
Commentaires des observateurs
« Ce qui me frappe, ce sont les comparutions immédiates. C’est
vraiment quelque chose de scandaleux et de trop rapide, car on
propose cela aux gens, ils n’ont aucune idée de savoir si c’est
bien ou pas bien et ils se disent, je vais être débarrassé vite, je
vais être jugé, condamné éventuellement mais ça ira très vite et
après je sors de là. Alors qu’ils sont très mal défendus parce que
les avocats sont commis d’office. »
obs13
« Tous ces trucs…problèmes fiscaux, de détournement pour pas
payer…tout ça, ce ne sont pas des comparutions immédiates, ce
sont des histoires qui traînent, évidemment on peut trouver que
là il y a discrimination. Ceux qu’on trouve de nuit en train de bricoler autour des voitures…évidemment ils sont jugés tout de
suite, tandis que là ce sont des histoires qui traînent, parce qu’il
y a toujours des recours, des compléments d’enquêtes… »
«Est-ce-qu’il faut voir là les problèmes un peu sécuritaires ? On
se dit : celui-là il n’est pas dangereux tandis que ceux qui cassent des voitures ils embêtent tout le monde, donc on va un peu
les coincer […] C’est surtout des degrés de perception, c’est vrai
que, que se soient des Français ou pas, il y a pas d’indulgence on
aime pas le gars qui casse des voitures… parce que c’est ça qui
gène le public et c’est donc ceux là qu’il faut essayer d’intimider. »
obs5
« Des questions de mœurs […] de non-paiement de TVA et autres
mettent des années à être jugés alors que l’on juge des fois des
personnes le lendemain ou le surlendemain des faits dans une
urgence qui est quelquefois un peu problématique. »
« L’avocat commis d’office n’avait même pas pu voir son client
avant le jugement… Une autre fois la présidente a arrêté le
jugement pour que l’avocat puisse aller voir son client dans des
locaux attenants… Ils sont revenus en séance dix minutes après,
et ensuite l’avocate disait mon client comme si elle était très au
courant des faits de sa vie, et des faits qu’on lui reprochait…ça
c’est une question relativement grave me semble-t-il. »
obs7
« Dans le cadre de la comparution immédiate, les avocats sont
appelés au mieux au dernier moment et il arrive parfois qu’il n’y
en aie pas eu de nommé. Ainsi, dans une affaire, pour un prévenu dont les facultés mentales étaient visiblement très affectées, aucun avocat n’avait été désigné d’office. La présidente
interpelle un avocat dans la salle en lui demandant s’il était de
garde. Celui-ci ayant répondu par l’affirmative, elle lui demande
d’assurer la défense du prévenu et lui donne 3 minutes pour
consulter les dossiers. Celui-ci rétorque que cela est court et elle
répond : - bon alors 5 minutes et de toutes façons l’affaire sera
renvoyée à une autre audience -. Il est clair qu’en matière de
comparution immédiate les droits de la défense ne sont absolument pas respectés.»
obs 1 et 15
L’iniquité des réquisitions et jugements en
fonction des magistrats
Constat
Les remarques suivantes ont été faites par les observateurs qui
ont assisté aux audiences du T.G.I de Montpellier durant 4
mois. Elles seront positives ou très critiques selon les jours de
comparutions auxquelles les observateurs ont assisté, c’est à
dire en fonction des magistrats qui présidaient la séance le jour
de leur observation. Mais aussi en fonction du degré d’appréciation de l’observateur, c’est à dire en fonction de sa réactivité face à ce qui peut paraître normal ou non, face à ce qui
est peut-être banalisé mais qui en soi n’est pas normal…
• Il a donc été constaté que l’attitude des juges et des procureurs ont une influence sur :
- le déroulement de l’audience (temps de comparution, organisation).
- la qualité de l’audience (silence dans la salle, chefs d’accusations énoncés clairement ou pas…).
- le réquisitoire.
- le jugement prononcé.
• Les audiences et les jugements n’étaient donc pas de qualités égales selon la composition du tribunal.
• Le réquisitoire et le jugement prononcés contre le prévenu
étaient différents selon l’individu qui tenait le rôle du procureur et du juge et qui traitait le dossier.
Ainsi l’observateur, et/ou le citoyen pourront avoir un jugement, un regard très différents sur le fonctionnement de la justice selon les magistrats qui siègent aux audiences.
• L’attitude des magistrats est un facteur important dans le
déroulement d’une audience, facteur qui conduit à une iniquité
judiciaire. Par exemple l’attitude de tel ou tel magistrat sera
différente selon le nombre de dossier à traiter le jour où il préside l’audience.
• Ces attitudes peuvent varier, en fonction, de la gravité des
faits, de la répétitivité des faits par un même prévenu (récidive)
et l’on ne peut s’empêcher de penser que des stigmates tels
que l’extranéité, la marginalité, la pauvreté… qu’offre le prévenu au regard du tribunal ont aussi une influence sur l’attitude des magistrats au moments où ils doivent se prononcer.
• Le droit dans le cadre des audiences, pourrait se résumer
ainsi : des outils apparemment rationnels (codes, lois) utilisés
par des êtres humains et subjectifs.
À souligner cependant, que les observateurs sont conscients
que les magistrats, dans l’exercice de leur fonction ont un
« rôle » à tenir, une conduite à suivre durant les audiences,
induits par l’institution judiciaire dans son ensemble.
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 15
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
Commentaires des observateurs
« La qualité de la justice dépend beaucoup de celui qui l’exerce…
On a vu que selon la composition du tribunal elle pouvait être
très différente […] Le procureur avait une attitude très stéréotypée, il ne tenait pas compte des débats et avait des positions de
principe. »
« La discrimination principale c’est ; ou tu as de la chance
d’avoir un bon président ou un bon procureur ou bien tu n’en as
pas… Disons que c’est dans la variété des personnes à qui tu
auras à faire… Je pense que dans des situations analogues le
tribunal prendra des décisions différentes selon la personnalité
des juges et des procureurs. […] La notion de qualité du personnel de justice est très importante pour que justement l’esprit
d’équité soit respecté… Il semble qu’il y a des gens qui n’ont pas
l’attitude professionnelle requise, il peut y avoir des critiques à
ce niveau là. »
« Cette enquête, je pense…permet d’avoir une vue plus nuancée
de la discrimination raciale, comment elle peut s’instaurer et
qu’il peut y avoir une discrimination même s’il n’y a pas parole
raciste, il peut y avoir une discrimination d’habitude d’ailleurs
souvent sans doute inconsciente. »
obs 9
« Sur 7 ou 8 séances il me paraît difficile de juger…en plus j’ai eu
l’impression qu’avec une autre présidente cela avait été plus dur
comme condamnation, mais c’est un peu intuitif, ce n’est pas
vraiment fondé… je n’ai pas assez de points de comparaison…
mais sans doute cela doit jouer un peu aussi. »
« La présidente était peut-être impolie dans ses remarques ou
très négative a priori dans ses remarques ou ses questions mais
ça reste exceptionnel… Il y a peut-être une ou deux fois où il y
avait des a priori défavorables qui se manifestaient dans la formulation des questions. »
obs3
« Dans l’ensemble je n’ai rien vu d’anormal, cela fonctionne
comme cela doit fonctionner… il y a des gens qui on fait des
bêtises, ils comparaissent, on les condamne à des peines, cela ne
me paraît ni injuste, ni inégal… j’ai pas assez d’habitude pour
juger des peines… »
« C’est juste une question de rigidité…il y a des dossiers, certains
les interprètent dans un sens, d’autres dans l’autre sens. »
obs 6
« Je pense que c’est très intéressant pour ceux qui y assistent
d’avoir une expérience sur la façon dont la justice est rendue en
notre nom. […] Le commentaire général que je pourrais faire,
c’est qu’on réalise à quel point la personnalité et la conscience
professionnelle, ou l’éthique du juge est importante, je dirais
que ça fait 90% des résultats. »
obs 8
« Quand nous sommes arrivées un mardi, j’ai écrit le commentaire suivant : - habituées aux autres juges nous trouvons
aujourd’hui que les peines sont plus légères et plus justes... Il y
a deux poids et deux mesures entre le mardi et le vendredi, les
ITN ne sont pas les mêmes, il y a relaxe lorsque les preuves sont
absentes… Le mardi, préférence est donnée aux peines de
sûreté plutôt qu’à la prison… C’était vraiment un autre monde,
c’était un respect du prévenu que l’on n’avait pas vu les vendredis… une sensation de vivre vraiment quelque chose de beaucoup plus juste. Le prévenu semblait mieux respecté, moins
agressé dans la formulation des questions .»
obs1 et 15
16
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
« Quand l’inculpation n’était pas fondée elle (la juge) ne disait
ni oui, ni non. Elle disait je suis désolée, aujourd’hui je le relaxe
(le prévenu), car vous n’emportez pas la preuve qu’il est coupable… Alors que dans l’autre tribunal (les vendredis) c’est on ne
sait pas trop mais si vous voulez qu’on le mette en prison, on le
met en prison… »
obs1 et 15
Les outrages à agents
Constat
Il s’agit des outrages suivants ;
• Outrage(s) à une personne dépositaire de l’autorité
publique.
• Outrage(s) ou violence(s) à une personne chargée
d’une mission de service public.
• Rébellion(s).
Ce type d’outrages a été mentionné 19 fois par les observateurs durant les 4 mois d’observation.
Les observateurs ont souligné que ce type de chef d’accusation
posait les agents en victimes, qui se constituaient parfois partie civile.
L’insulte, les cris, le refus d’obtempérer sont des faits auxquels
les agents ont toujours été confrontés, dans l’exercice de leurs
fonctions.
S’agit-il de particularités, de faits isolés ou d’une tendance ?
Nous ne pouvons pas répondre à ces interrogations dans le
cadre de notre observation, car nous n’avons pas de point de
comparaison. Cependant certains observateurs ont tenu à souligner ces faits.
« Il est certes probable que les tensions, les conflits et donc les
échanges de mots avec les forces de police soient réellement en
augmentation (pour des raisons sur lesquelles il faudra revenir)
mais il faut également souligner d’une part que la « susceptibilité » des agents de police augmente elle aussi, et que le « seuil »
au-delà duquel un mot de travers devient un outrage semble de
plus en plus bas… »4
Exemples de circonstances
dans lesquelles figuraient
ce chef d’accusation
• (le XX/XX/XXXX) le prévenu comparait pour atteinte aux
biens, le chef d’accusation est le suivant ;
- détérioration,
- dégradation grave d’un bien appartenant à autrui,
- outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique.
4 (Pierre) TEVANIAN, in l’Ecole Emancipée, décembre 2002.
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
l’attitude de la police lorsque l’on entend les prévenus… il me
semble qu’il n’y a pas toujours un respect de la personne, alors
que du côté des juges cela m’a paru respectueux. »
obs3
« Il y a une tendance à grossir la peine pour les altercations avec
les agents de la TAM (société de transport de l’agglomération
montpelliéraine) […] Il a été dit, « quelque part ils sont représentants de l’ordre…donc si l’un d’eux est menacé ou agressé,
on va taper très fort comme s’ils étaient représentants de
l’ordre public. »
obs1 et 15
• Un prévenu, français, 39 ans, célibataire, réceptionniste, avec
casier judiciaire.
Durée de l’affaire, 16h18 à 16h35, en comparution immédiate.
Description des faits, le prévenu a refusé de se soumettre à un
contrôle systématique du taux d’alcoolémie. Il a fait marche
arrière, s’est enfermé dans sa voiture et a refusé de faire le test,
les gendarme l’ont alors menotté de force.
Chef d’accusation, refus de se soumettre aux vérifications tendant à établir l’état alcoolique à la suite d’une infraction routière… et rébellion.
Peine requise, ?
Peine prononcée, 6 mois de prison dont 5 avec sursis, mise à
l’épreuve de 18 mois et obligations de soins.
• Deux prévenus, français, de 18 et 20 ans, célibataires, le premier est sans profession et le second lycéen, sans casiers judiciaires.
Durée de l’affaire, 17h22 à 18h30.
Description des faits, sont entrés par effraction (bris de vitres)
dans des locaux pour voler du matériel informatique.
Chef d’accusation, tentative de vol et outrage à une personne
dépositaire de l’autorité publique.
Peine requise, 18 mois de prison dont 12 avec sursis et amende.
Peine prononcée, 12 mois de prison dont 7 avec sursis et
amende.
Commentaires des observateurs
«Il semblerait qu’il se dessine une tendance chez certains procureurs à inciter les policiers qui ont été victimes d’injures ou de
bousculades lors d’une arrestation à se porter partie civile et à
demander des dommages et intérêts au prévenu. Lors d’une
audience, un avocat a dénoncé cette pratique nouvelle qui a
pour effet d’aggraver la situation du prévenu. Il s’agit là d’une
dérive du fonctionnement car, quand on est policier, on sait
qu’on est obligé d’agir par la force et il est compréhensible que
la personne interpellée, se sentant agressée, réagisse peut-être
un peu violemment. L’agression verbale des forces de l’ordre
peut même être considérée comme une tradition française… »
obs1 et 15
« Je ne sais pas ce qu’il faut en dire ou en penser, mais c’est clair
que ce que dit la police ou l’autorité a de toute façon prépondérance par rapport à ce que dit l’accusé. Quand les policiers et
l’accusé ont eu des coups c’est forcément mis à la charge de
l’accusé, même s’il dit que ce n’est pas lui qui a commencé… »
« Moi je verrais des problèmes sur la police plus que sur la justice, à observer ces audiences… on se sent un peu mal à l’aise sur
Le travail
d’intérêt général (T.I.G)
Définition et procédure
« En premier lieu, dans l’application de cette peine, le passé
pénal est indifférent.
Introduit dans notre droit par une loi du 10 juin 1983, reprise
aujourd’hui par les articles.131-8 et 131-32 du Code Pénal.
Le travail d’intérêt général est une prestation d’activité non
rémunérée accomplie au profit d’une collectivité publique, d’un
établissement public ou d’une association.
Ainsi le juge, au lieu de confisquer sa liberté au délinquant, se
borne à la réduire par l’imposition d’une activité déterminée. »
« Le travail d’intérêt général est conçu comme une alternative
à l’emprisonnement. »5
« La durée du T.I.G varie entre 40 et 240 heures (matière délictuelle) ou entre 20 et 120 heures (en matière contraventionnelle). »
« Les modalités d’exécution du T.I.G sont fixées par le juge
d’application des peines. »6
Constat
Nombre de T.I.G prononcés durant les 4 mois d’observation : 11
prévenus sur 480 prévenus, ont été condamnés à ce type de
peine, soit une fréquence de 1,3% parmi toutes les peines prononcées durant la période d’observation.
Les observateurs durant les entretiens ont relevé la rareté de ce
type de peine, plus appropriée selon eux que les peines fermes
de prison et ce compte tenu ;
• de la nature des délits pour lesquels les prévenus étaient présentés devant le tribunal.
• de la nocivité des peines d’emprisonnement, pour un individu,
qui limite les chances de réinsertion sociale.
5 (Jean) PRADEL, Droit pénal
général, p.535.
6 Edition du Juris-Classeur-2000
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 17
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
L’influence
du contexte médiatique
Constat
Un délit d’actualité (agression dans transports publics, agressions sexuelles…pour la période qui nous concerne) ou qui est
l’objet de débats politiques ou médiatiques semble être plus
sévèrement puni.
Les procureurs faisaient parfois, mais pas systématiquement,
référence à cette actualité médiatique et politique dans leurs
réquisitions pour donner une valeur d’exemple à leurs réquisitoires et aux jugements rendus par la suite. Se sont alors des
«peines exemplaires » qui semblent avoir été prononcées.
ces constats loin d’être systématiques doivent être cependant
soulignés car cette attitude revêt une forme de discrimination
puisque le délit et le prévenu qui l’a commis ne sont pas jugés
en relation avec la situation du prévenu mais en fonction de
la place que l’acte commis occupe dans l’actualité et dans le
discours politique ou du moins en partie.
Le prévenu semble dans ce cas servir « d’exemple ».
Dans ce cadre, le prévenu est donc « victime » du tapage
médiatique, il n’est pas jugé avec toute l’objectivité, la neutralité et le recul requis en matière de droit.
Il n’est pas jugé en fonction de sa situation particulière, c’est
à dire en fonction des « circonstances de l’infraction et de la
personnalité de son auteur » (art.132-24 du nouveau Code
pénal).
Commentaires des observateurs
• Au sujet d’une jeune fille de 19 ans, sans casier judiciaire,
non scolarisée mise en cause pour avoir agressé une autre
jeune fille à coups de couteaux. Les faits se sont déroulés à La
Paillade.
Les observatrices (obs5 et obs13). ont mentionné les
remarques suivantes sur leurs fiches :
« le procureur a fait tout le discours habituel sur la situation à
La Paillade, l’insécurité, la violence parmi les jeunes …et a relevé
une circonstance positive : la prévenue s’est rendue spontanément au commissariat. »
« Aucune recherche des raisons profondes de cette violence
chez une jeune fille. »
La séance a duré 40 minutes
Le procureur a requis :
8 mois de prison dont 5 mois de sursis.
Suivi médico psychiatrique.
Interdiction de rentrer en relation avec la victime.
Le jugement a été le suivant :
18 mois de prison dont 10 mois de sursis.
2 ans de sursis et mise à l’épreuve.
Indemnisation de la victime (1500 euros).
• Au sujet d’un jeune homme de 25 ans, avec un casier judiciaire, qui a un emploi, qui voyage avec un chien sans titre de
transport dans le tramway, à Montpellier, après une altercation
avec les contrôleurs, il comparait en comparution immédiate,
pour « violence sur une personne chargée de mission de service
public, sans incapacité de travail »
Les observateurs (obs8 et obs3) ont mentionné les remarques
suivantes sur leurs fiches :
« Altercation avec le contrôleur qui prétend avoir reçu un coup
à la lèvre. Le prévenu a reçu des coups (hématomes aux côtes et
œil gauche sérieusement abîmé, avec points de sutures.) »
« Réquisitoire du procureur disproportionné, nous voyons qu’il
faut être du côté des agents - agressés - des transports publics…
et faire exemple, peine excessive ».
Commentaires d’un des observateurs durant les entretiens :
« Il est en tort, mais en même temps nous voyons que ce sont des
faits complètement mineurs comme il y en a cent par jour à
Montpellier (voyager sans titre de transport)… Tous les jours il y
a quelque part des contrôleurs qui sont en grève pour ces motifs
là (pour avoir été agressé par des usagers). Donc il y a un climat
général de violence dans les transports*, qu’on monte en
épingle…et là dans cette affaire nous avions vraiment l’impression que le procureur voulait faire un exemple, c’est à dire obtenir une peine sans rapport avec la gravité des faits… Donc là
aussi agression verbale contre le prévenu lui disant que c’était
incroyable, que les gens qui faisaient leur boulot avaient droit
au respect… »
obs8
(* L’observateur fait référence à l’actualité du printemps 2002
concernant les agressions dans les transports urbains de
Strasbourg et de Marseille.)
La séance a duré 35 minutes.
Le procureur a requis :
6 à 8 mois de prison dont 5 à 7 mois de sursis.
Le jugement a été le suivant :
6 mois de prison avec sursis.
120 heures de T.I.G dans un délai de 18 mois.
Renvoi au … pour parties civiles.
18
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
COMMENTAIRES DES OBSERVATEURS
• Au sujet d’un homme de 67 ans retraité, sans casier judiciaire
qui comparait pour « agressions sexuelles imposées à une
mineure de moins de 15 ans », le prévenu prétendait avoir juste
fait une bise à la victime, qu’il prétendait notamment
connaître…
La séance a duré 17 minutes.
Le procureur a requis :
12 à 18 mois de prison, le tout avec sursis et mise à l’épreuve.
Le jugement a été le suivant :
6 mois de prison avec sursis.
Commentaires d’un des observateurs durant l’entretien :
« le procureur a essayé là aussi de faire un exemple… il y a
comme ça des affaires médiatisées où l’on s’attend à ce que le
tribunal emboîte le pas… »
obs8
• Au sujet de deux hommes âgés 21 et 22 ans, l’un des deux a
un casier judiciaire, il ne s’agit pas d’une comparution immédiate, ils comparaissent pour « vol aggravé par deux circonstances », les faits datent de l’année précédente.
L’observatrice a mentionné le commentaire suivant sur sa fiche
d’observation :
« dans sa réquisition le procureur a dit - période où le thème de
sécurité tant utilisé… dans l’Hérault beaucoup de cambriolages, pour les victimes c’est un cataclysme…- et requiert de la
peine ferme pour les deux prévenus ».
La séance a duré 20 minutes.
Le procureur a requis :
6 mois de prison ferme, pour les deux prévenus.
Les avocats :
insistent sur le fait que leurs clients reconnaissent les faits,
que les actes commis sont des « dérapages de jeunesse » et
qu’à présent les deux prévenus ont trouvé un emploi. Ils
demandent des heures de T.I.G plutôt que prison.
Le jugement a été le suivant :
6 mois de prison ferme pour le prévenu qui a un casier judiciaire.
6 mois de prison avec sursis pour le prévenu sans casier
judiciaire.
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 19
LA JUSTICE ET LES ÉTRANGERS
Juridiquement, un étranger est une personne, résidant en France, qui n’a pas la
nationalité française, avec ou sans titre de séjour.
Notion à distinguer de celle d’immigré, avec laquelle l’amalgame est courant. En
dépit de leur sens très différent, les termes d’étranger et d’immigré sont
employés le plus souvent l’un pour l’autre.
L’immigré est quelqu’un qui est né à l’étranger, qui est entré en France et qui y
vit en général définitivement.
Il y a des immigrés qui sont restés étrangers et des immigrés qui sont devenus
français
source : Haut Conseil à l’Intégration.
ans les différentes sous-parties qui suivent, seule la
distinction national/étranger a été faite, la notion de
« personnes d’origine étrangère » ou, pour être plus
précis, celle de personnes nées en France d’un parent (ou de
grands-parents) ayant immigré en France, n’a pas été prise en
considération,
Bien qu’utile au plan de la recherche sociologique, la notion de
« personne d’origine étrangère » n’a aucune valeur juridique, en
effet la nationalité ne se divise pas.
De plus le recueil d’informations sur les parents et les grandsparents, fait l’objet d’une surveillance pointilleuse de la part de
la CNIL(Commission Nationale Informatique et Liberté).
D
Une sur-représentation
des étrangers
parmi les prévenus
Les chefs d’accusation
et les prévenus étrangers
Constat
Pour avoir des chiffres pertinents, il faut isoler les délits relatifs à la législation des étrangers tels que :
« entrée ou/et séjour irrégulier d’un étranger en France »,
« soustraction à l’exécution d’un arrêté d’expulsion »,
« soustraction à l’exécution d’une mesure de reconduite à la
frontière »,
« pénétration non autorisée sur le territoire national après
expulsion »,
« non communication de documents ou de renseignements
permettant l’exécution d’une reconduite à la frontière ».
La répartition par types d’infractions, si l’on exclu les infractions concernant la législation des étrangers, ne montre pas de
prédominance de la délinquance des étrangers concentrée
dans certains domaines particuliers.
Constat
Durant les 4 mois d’observation :
• sur 480 prévenus, pour lesquels la mention «nationalité » (le
taux de non-réponses est de 4%) a pu être précisée :
• 341 prévenus étaient de nationalité française.
• soit 71% des prévenus durant la période d’observation.
• 121 prévenus étaient de nationalités étrangères.
• soit 25% des prévenus de nationalités étrangères.
sachant que :
• Les étrangers résidant en France métropolitaine représentent
5,6% de la population nationale (soit 3260000 étrangers).
• Les étrangers résidant dans la région Languedoc-Roussillon
représentent 5,7% de la population régionale (soit 131 493
étrangers).
• Les étrangers résidant dans le département l’Hérault représentent 5,9% de la population départementale (soit 52 589
étrangers).
(source INSEE, recensement de 1999.)
Proportionnellement au taux que représentent les étrangers
dans la population nationale, régionale et départementale,
nous pouvons affirmer que les étrangers étaient sur-représentés parmi les prévenus durant la période d’observation.
20
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
Sur 614 chefs d’accusations mentionnés par les observateurs
durant les 4 mois d’observation :
• 426 délits ont été commis par des français (soit 71% des
délits totaux) dont, pour les plus fréquents :
• 138 atteintes aux biens soit 32%.
• 95 violences soit 22%.
• 42 infractions à la législation des stupéfiants soit 10%.
LA JUSTICE ET LES ÉTRANGERS
• 169 délits ont été commis par des étrangers (soit 25% des
délits totaux) dont, pour les plus fréquents :
• 38 atteintes aux biens soit 22%,
• 31 violences soit 18%,
• 26 infractions à la législation des stupéfiants soit 15%.
Les comparutions
immédiates
et prévenus étrangers
Constat
Proportionnellement, ce type de procédure touche davantage
les prévenus étrangers.
• 39% des prévenus français ont comparu en comparution
immédiate.
• 51% des prévenus étrangers ont comparu en comparution
immédiate.
Comme nous l’avons vu, la probabilité de comparaître en comparution immédiate est liée aux garanties de représentations.
Les étrangers font partie de la population qui potentiellement
offre peu ou pas de garanties de représentations.
À cela peut s’ajouter, le fait que les prévenus étrangers sont
peut-être moins informés quant au principe de la comparution
immédiate. (il est possible de refuser de comparaître selon
cette procédure pour préparer sa défense par exemple).
Chiffres
Le recours à l’interprète
Définition et procédure
• « Dans le cas où le prévenu ou le témoin ne parle pas suffisamment la langue française, ou s’il est nécessaire de traduire
un document versé aux débats, le président désigne d’office un
interprète, âgé de vingt et un ans au moins, et lui fait prêter serment d’apporter son concours à la justice en son honneur et en
sa conscience » (article 407 du Code de procédure pénale).
• « La Convention Européenne des Droits de l’Homme de son
côté décide que tout accusé peut se faire assister gratuitement
d’un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue
employée à l’audience (art.6, §3 e) »7.
Constat
Durant les 4 mois d’observations,
• 33 recours à l’interprète ont été mentionnés.
• 121 étrangers ont été présentés devant le tribunal durant
cette période d’observation.
• À noter que certaines personnes de nationalité française,
mais sans doute d’origine étrangère, ont pu avoir recours, à
leur demande, à l’interprète.
• Selon certains observateurs, la parole des prévenus était
résumée par l’interprète, il ne s’agissait pas d’une traduction
simultanée, mot à mot (pour faire ce constat il n’est pas nécessaire de maîtriser l’idiome du prévenu).
• De plus le traducteur se permettait de commenter les propos
qu’il lui était demandé de traduire et jugeait à son tour le prévenu.
• L’interprète semblait être de connivence avec les juges et
procureurs et n’avait donc pas toujours la position neutre et
nécessaire à sa profession.
• D’une façon générale, l’interprète faisait des commentaires
acerbes sur le contenant (accent, origine possible du prévenu…) et le contenu (propos tenus par prévenu).
• Les magistrats semblaient agacés par la nécessité d’un
recours à l’interprète, car son intervention complique et ralentit le déroulement de l’audience.
Remarques
Nous pouvons raisonnablement penser que les prévenus étrangers, déjà coupables d’être étrangers même s’ils sont en situation régulière, aux yeux des magistrats, accentuent, par leurs
recours au traducteur, leur statut d’étranger (être un étranger,
commettre un délit et avoir recours aux services d’un traducteur). Trois facteurs aggravants qui, semble-t-il, ne poussent
pas à la clémence un tribunal inconsciemment et/ou sournoisement discriminant.
De même que les prévenus étrangers ou d’origine étrangère
reconnus comme tels à travers leurs accents, leurs faciès et
leurs patronymes (= facteurs d’extranéité), qui en plus ne maîtrisent pas correctement le français au point d’avoir recours à
un traducteur, alors qu’ils ont la nationalité française, ou sont
en situation régulière et qu’ils vivent depuis de nombreuses
années sur le territoire français, semblent coupables aux yeux
des magistrats, en plus du délit réellement commis, de ne pas
être intégrés à la société dans laquelle ils vivent. Cette non
intégration est comme prouvée par la non maîtrise de la
langue française, le recours à l’interprète et entérinée par le
fait d’avoir commis un délit.
7 (Jean) PRADEL, Procédure pénale, p.329.
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 21
LA JUSTICE ET LES ÉTRANGERS
Commentaires des observateurs
« L’interprète donne son avis sur la situation alors qu’il n’a pas
du tout son avis à donner sur la situation, enfin il se permet de
dire des choses alors qu’on lui demande juste de traduire et puis
il n’est pas sûr non plus qu’il traduise bien le langage précis de
la personne qui est là… »
obs13
« Les traducteurs ont un rôle un peu trouble, ils ont tendance à
prendre position et à faire partager leurs ressentis au tribunal,
alors qu’ils devraient avoir un rôle de neutralité. […] Ils donnaient l’impression de vouloir se faire bien voir du tribunal, il y
avait une connivence réelle… »
obs1 et 15
« L’interprète s’est permis de dire au tribunal « s’il (le prévenu)
est palestinien, moi je suis grec », le procureur a bien ri et ils ont
tous traité le prévenu de menteur. »
obs1 et 15
« Je pense que là il y a un problème réel, et que nous ne pouvons
pas concevoir un tribunal comme il est à l’heure actuelle avec
des interprètes. L’interprète a beau faire ce qu’il peut, ça ralentit tellement les débats, ce n’est plus la même chose… »
obs10
Réquisitions et peines
prononcées à l’égard
des prévenus étrangers
Constat
La question des garanties de représentation se pose surtout
pour les étrangers «sans papiers », c’est à dire en situation irrégulière sur le territoire français.
22
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
Dans le cadre de notre observation nous avons vu que 40% des
prévenus étrangers étaient en situation irrégulière. (le taux des
non-réponses est de 12%)
De par leur situation irrégulière les étrangers «sans papiers »
n’offrent aucune garantie de représentation. De plus, comme
nous l’avons souligné, exercer une profession est une des principales garanties de représentation ; or les étrangers en situation irrégulière n’exercent pas de profession, du moins
légalement.
Durant les 4 mois d’observation parmi les 480 prévenus pour
lesquelles les professions ont été mentionnées toutes nationalités confondues :
146 prévenus français sur l’ensemble des prévenus étaient sans
profession, soit 30%.
65 prévenus étrangers (avec ou sans papiers) sur l’ensemble
des prévenus étaient sans professions, soit 13%.
Les prévenus étrangers sont plus souvent condamnés à des
peines de prison ferme que les français.
dans le cadre des réquisitions
• Sur 185 réquisitions énoncées à l’égard des prévenus étrangers, 86 peines de prison ferme ont été requises. Ce type de
peine représente donc 46% des réquisitions énoncées pour
l’ensemble des prévenus étrangers.
• Sur 539 réquisitions énoncées à l’égard des prévenus français, 193 peines de prison ferme ont été requises. Ce type de
peine représente donc 36% des réquisitions énoncées pour
l’ensemble des prévenus français.
dans le cadre des jugements
• Sur 216 jugements prononcés à l’égard des prévenus étrangers, 92 peines de prison ferme ont été prononcées. Ce type de
peine représente 43% des jugements prononcés pour l’ensemble des prévenus étrangers.
• Sur 674 jugements prononcés à l’égard des prévenus français, 200 peines de prison ferme ont été prononcées. Ce type
de peine représente 30% des jugements prononcés pour l’ensemble des prévenus français.
LA JUSTICE ET LES ÉTRANGERS
Les peines requises
et les peines prononcées selon
le casier judiciaire du prévenu
Les valeurs du tableau sont les pourcentages en colonne établis sur 367 affaires.
Ce tableau et les camemberts suivants sont construits sur la strate de population
‘nationalité avec Casier Judiciaire’ contenant 250 observations et définie par le
filtrage suivant :
CASIER JUDICIAIRE = {oui}
Les valeurs du tableau sont les pourcentages en colonne établis sur 336 affaires.
Ce tableau et les camemberts suivants sont construits sur la strate de population
‘nationalité avec Casier Judiciaire’ contenant 250 observations et définie par le
filtrage suivant :
CASIER JUDICIAIRE = {non}
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 23
LA JUSTICE ET LES ÉTRANGERS
Les valeurs du tableau sont les pourcentages en colonne établis
sur 463 affaires.
Ce tableau est construit sur la strate de population ‘nationalité
avec CJ’ contenant 250 observations et définie par le filtrage
suivant :
CASIER JUDICIAIRE = {oui}
Les valeurs du tableau sont les pourcentages en colonne établis
sur 403 affaires.
Ce tableau est construit sur la strate de population ‘nationalité
sans CJ’ contenant 195 observations et définie par le filtrage
suivant :
CASIER JUDICIAIRE = {non}
24
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
LA JUSTICE ET LES ÉTRANGERS
L’Interdiction de
Territoire Français et la
reconduite à la frontière
Définition et procédure
• « L’interdiction de Territoire Français (I.T.F) et la reconduite à
la frontière ont en commun qu’elles ne peuvent s’appliquer
qu’à des délinquants étrangers. Elles s’apparentent aussi parce
que la seconde peut-être le préliminaire (ou au contraire la
suite) de la première.
• L’I.T.F peut frapper l’étranger lorsque le texte applicable le
prévoit ; elle peut être définitive ou pour une durée de 10 ans
(Code pénal art.131.30).
• La reconduite à la frontière accompagne pour certains étrangers le simple fait qu’ils se trouvent en situation irrégulière sur
le territoire français ; elle est d’autre part le corollaire de l’I.T.F.
(le cas échéant, à l’expiration de la peine principale privative
de liberté, Code pénal art.131.30, al 2).
• « Cependant l’I.T.F n’est pas applicable, sauf décision spécialement motivée, au regard de la gravité de l’infraction, à
l’étranger qui remplit l’une des conditions prévues à l’article
131.30, al 3 du Code pénal.
Ces exceptions sont les suivantes :
a. résider habituellement en France depuis qu’il a atteint au
plus l’âge de 10 ans.
b. résider régulièrement en France depuis plus de 1 an (ce
qui implique qu’il était pourvu du permis de séjour nécessaire).
c. être père ou mère d’un enfant ayant la nationalité française et résidant en France. (…).
d. être marié depuis au moins un an avec un conjoint de
nationalité française, à condition que le mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné la condamnation, que la communauté de vie n’ait pas cessé et que le conjoint ait
conservé la nationalité française.
e. être titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont
le taux d’incapacité est égal ou supérieur à 20%.
f. résider habituellement en France, si l’état de santé nécessite une prise en charge médicale et si l’intéressé ne peut
bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est
originaire.
Ces exceptions ne sont cependant pas applicables en cas de
crime contre l’humanité (art.213-2) ou contre les intérêts fondamentaux de la nation (art.414-6), non plus qu’au terrorisme
(art.422-4), au faux monnayage (art.442-12) et à l’appartenance à des groupes de combat (art.431-19).
• En cas de reconduite à la frontière, l’intéressé peut être
détenu dans un centre de rétention en attendant son transfert
à l’étranger. Il en est de même en cas d’interdiction du territoire prononcée à titre de peine principale et assortie de l’exécution provisoire (art.35 bis, dern. al. Ord.2 nov.1945 ; L.11 mai
1998, art.23). »8
« L’I.T.F est parfois qualifiée de « double peine » car elle est en
fait associée à une peine privative de liberté (prison) et s’exécute à l’issue de cette dernière9.
Constat
Durant les 4 mois d’observation, 15 ITF, à notre connaissance,
ont été prononcées.
Il s’agissait de prévenus ayant commis un délit en situation
irrégulière et pour lesquels l’ITF a été prononcée à titre de
peine complémentaire.
D’autre part durant les quatre mois d’observation ;
• Des étrangers en situation irrégulière ont comparu et ont été
condamnés à des peines de prison pour le délit qu’ils avaient
commis (agressions sexuelles, infractions à la législation des
stupéfiants…) et à une interdiction de territoire compte tenu
de leur situation irrégulière.
Dans ce cadre là l’I.T.F était prononcée à titre complémentaire.
• Des étrangers en situation irrégulière ont été mis en cause
pour des infractions telles que : « soustraction à l’exécution
d’une mesure de reconduite à la frontière » sans avoir commis
d’autres délits et ont été condamnés à des peines de prison.
Dans ce cadre là une des propositions faites par les magistrats,
et souvent mentionnée par les observateurs était la suivante :
si le prévenu « sans papiers » n’a pas commis de délit, il lui est
proposé de quitter le territoire français de son plein gré et dans
ce cas il n’effectuait pas de peine de prison.
Une différence de traitement, par les magistrats (dans la façon
de s’adresser au prévenu par exemple et dans le type de propos
tenus par les magistrats), à l’égard des étrangers irréguliers a
été mentionnée par les observateurs.
Exemple
• Cas d’un prévenu algérien, en situation irrégulière,
sans profession, sans domicile, avec un casier judiciaire.
Il comparait pour « soustraction à l’exécution d’une mesure
de reconduite à la frontière, en récidive ».
réquisition : 6 à 8 mois de prison ferme.
jugement : 5 mois de prison ferme.
Commentaires des observatrices concernant les débats :
« Le prévenu dit qu’il préfère retourner en prison plutôt que
d’être renvoyé en Algérie… le président lui rétorque ”bien sûr il
préfère la prison où il est nourri et logé à l’œil” ».
obs1 et 15.
8 (Georges) LEVASSEUR, (Albert) CHAVANNE, (Jean) MONTREUIL…Droit pénal général et
procédure pénale, p.419 et 420.
9 (Jean) PRADEL Droit pénal général, p.535.
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 25
LA JUSTICE ET LES ÉTRANGERS
• Cas d’un prévenu marocain, en situation irrégulière, ouvrier agricole, sans domicile, avec casier
judiciaire.
Il comparait pour « soustraction à l’exécution d’une mesure
de reconduite à la frontière, en récidive ».
réquisition : 6 mois de prison ferme.
jugement : 4 mois de prison ferme.
commentaires des observatrices concernant les débats :
« C’est la quatrième fois que le prévenu comparait pour situation irrégulière, il est ”cueilli” à chaque fois à sa sortie de prison,
le procureur lui dit ”vous n’avez pas de papiers vous allez faire
un aller-retour tous les six mois” »
« Propos du juge : ”4 mois de prison ferme pour vous permettre
de retrouver vos papiers”. »
obs1 et 2.
• Cas d’un prévenu algérien, demandeur d’asile
sans profession, sans casier judiciaire.
Il comparait en comparution immédiate pour « vol et vol
aggravé par deux circonstances ».
réquisition : 8 mois de prison dont 4 avec sursis ;
jugement : relaxe pour le vol.
6 mois de prison ferme pour le vol aggravé par deux circonstances (en réunion et avec violence).
Commentaires des observatrices concernant les débats
propos du procureur : « vous avez déposé une demande d’asile à
Marseille, donc vous venez commettre vos délits à Montpellier.
Quand on demande le droit d’asile on commence par bien se
conduire »
Propos du président : « vous n’avez peut-être pas de casier en
France mais vous en avez peut-être un en Algérie ».
obs1 et 15.
• Cas d’un prévenu marocain, né en France, âgé
de 41 ans, en situation irrégulière, sans profession, avec casier judiciaire.
Il comparait pour « vol par ruse sur personnes vulnérables ».
Commentaires des observateurs concernant les débats :
« Le procureur déplore que l’ITF définitive ne puisse être prononcée eu égard à l’état actuel de la loi… Il insiste sur la nationalité
du prévenu, alors qu’il a toujours vécu en France et sur le fait
qu’en tant qu’étranger il doit se soumettre aux lois françaises ».
obs12.
26
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
• Cas d’un prévenu algérien, qui a commis un
délit en situation irrégulière, sans profession,
avec casier judiciaire.
Il comparait pour « exhibition sexuelle et entrée ou séjour
irrégulier d’un étranger en France, sans document, visa ou
titre l’y autorisant ou après la durée autorisée par son visa ».
réquisition : 6 mois de prison ferme, ITF.
jugement : 4 mois de prison ferme et 2 ans d’ITF.
Commentaires des observatrices concernant le prévenu :
« le prévenu est sourd et malade psychiatrique, il est venu en
France pour se faire opérer des oreilles, son visa a expiré entre
les deux opérations. Il a perdu ses papiers en prison ou à l’hôpital. Il a fait notamment une demande d’asile territorial, refusée
le X/XX/XXXX ».
Commentaires des observatrices concernant les débats :
« Le tribunal somnole pendant la plaidoirie de l’avocat, le procureur a dit au prévenu qu’il devait retrouver ses papiers lui-même,
qu’il pourrait alors quitter la prison pour la frontière dès qui les
aurait…Et qu’il pourrait faire une nouvelle demande de visa pour
revenir se faire soigner la seconde oreille dans trois ans »
obs1 et 15.
• Cas d’un prévenu marocain, en situation irrégulière, sans profession, sans domicile connu, sans
casier judiciaire.
Il comparait en comparution immédiate, pour « soustraction
à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière ».
réquisition : 3 mois de prison ferme et ITF.
jugement : 2 mois de prison ferme.
Commentaires des observatrices concernant les débats :
« Le prévenu a déclaré que suite à sa garde a vue il préférait
retourner au Maroc que d’aller en prison, mais le procureur a
estimé qu’un peu de prison lui ferait du bien car la reconduite
entraîne des frais pour l’Etat et donc son refus avait entraîné un
dommage à l’Etat ».
« Mais lors du prononcé du jugement, il lui a été indiqué que s’il
prouvait sa nationalité et était reconnu par le consulat du
Maroc et s’il acceptait d’être reconduit à la frontière il pourrait
être libéré plus tôt ».
LA JUSTICE ET LES ÉTRANGERS
Conclusion
ous avons observé une sur-représentation des populations étrangères qui ne représentent que 5,6% de la
population nationale, parmi les prévenus qui ont comparu au Tribunal Correctionnel de Montpellier durant notre
période d’observation.
Pour reprendre une interrogation du Haut Conseil à
l’Intégration, une question s’impose ; « Cette sur-représentation des étrangers s’explique-t-elle par le fait qu’ils commettent
davantage d’infractions que les Français et qu’elles sont plus
graves ou trouve-t-elle sa source dans les attitudes ou les comportements discriminatoires de la police et de la justice ? »10
Même si nous ne pouvons pas répondre, dans le cadre de notre
observation, quant aux pratiques et attitudes policières, nous
pouvons répondre sur certains points compte tenu des éléments dont nous disposons.
N
La répartition, dans le cadre de nos observation, par types d’infractions, si l’on exclu les infractions concernant la législation
des étrangers, ne montre pas de prédominance de la délinquance des étrangers concentrée dans certains domaines particuliers. (cf. tableaux corrélation nationalité prévenus et chef
d’accusation).
Si proportionnellement les étrangers sont sur-représentés, l’explication n’est pas culturelle mais sociale. En effet la majorité
des prévenus étrangers étaient sans profession ou ouvriers,
catégories sociales qui sont, comme nous l’avons vu, les plus
représentées parmi les prévenus.
• Sur 341 prévenus français, 146 étaient sans profession, soit
43% des prévenus français.
• Sur 121 prévenus étrangers 65 étaient sans profession soit
54% des prévenus étrangers.
Quand aux attitudes discriminantes de la justice elles sont
explicites lorsqu’il s’agit de requérir ou de prononcer une peine.
Les étrangers sont plus souvent condamnés à des peines de prison ferme, proportionnellement aux prévenus français, tant au
moment des réquisitions qu’au prononcé du jugement et ce
qu’ils aient un casier judiciaire ou non.
Peines de prison ferme requises ; avec casier judiciaire,
42% des français et 50% des étrangers et sans casier
judiciaire ; 32% des français et 43% des étrangers.
Peines de prison ferme prononcées ; avec casier judiciaire,
35% des français et 47% des étrangers et sans casier
judiciaire 25% des français et 38% des étrangers.
10 HCI, Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité, p.59.
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 27
CONCLUSION
e travail militant est un regard posé sur la justice correctionnelle au TGI de Montpellier, part de vérité où se
mêle la collecte de faits objectifs avec des impressions
forcément subjectives. La justice, sa symbolique, sa sévérité,
voulue ou non, s’inscrit dans ce principe de la publicité des
débats et des audiences. Il est souvent souligné que cette
publicité est le fondement qui garantit une justice démocratique, « au nom du peuple français ». Il était grand temps que
les citoyens se l’approprient. Qu’est ce qu’un droit fondamental s’il n’est pas utilisé ?
Il est vrai qu’en préalable, il faut souligner que la justice observée par les représentants de la CIMADE est progressivement
déstructurée par d’autres modes de justices, non publiques,
peu contradictoires, encore plus rapides, qui évacuent le juge
du siège et la défense. Elles se nomment ; délégués du
Procureur, composition pénale, ordonnances pénales, reconnaissance préalable de culpabilité…. Si bien que l’on pourrait
rêver que l’audience correctionnelle, surtout pratiquée par une
collégialité de juges, reste le modèle d’une justice pénale
contradictoire.
Las…cette petite étude nous informe que dans la pratique se
sont infiltrés des outils de gestion. Pour faire un bon juge, il
faut évacuer une quantité d’affaires toujours plus nombreuses
dans un temps toujours plus limité. Alors tout se précipite,
cette productivité accélère le temps judiciaire, et l’on peut
édicter une peine en une minute, ou bien à la suite d’un monologue que seul le greffier peut noter, tant le vocabulaire juridique lié avec une acoustique défectueuse aboutissent à un
gouffre d’incompréhension avec le prévenu et souvent avec le
public. En ce sens, les procédures mises en place, du traitement
en temps réel à la comparution immédiate, non seulement placent définitivement le juge et le parquet au diapason du temps
policier et leur enlèvent tout recul, mais donnent souvent ce
sentiment d’arbitraire. Pourquoi telle affaire sera sanctionnée
si rapidement et si sévèrement alors qu’il ne s’agit que d’une
broutille alors que l’on aura le sentiment que le pollueur, l’escroc patenté sera préservé, parfois au cours de la même
audience ?
C
28
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
La réponse repose en deux mots : ordre public.
Dans son écrasante majorité, la justice pénale est devenue une
justice d’ordre public, et de loin en loin, avec respect et délectation on évoquera une affaire de police judiciaire qui sera
arrivée aléatoirement à l’audience. Ainsi c’est sans surprise que
l’étude relève au rang des principales masses d’affaires jugées :
les atteintes aux biens (vols) et les violences, suivies de près par
les infractions à la législation sur les stupéfiants. Les auteurs
de ces infractions sont dès lors ceux que l’on trouve dans la
rue ; des hommes sans emploi (44%). Sans surprise non plus
lorsque l’on sait que 6 millions de personnes vivent en dessous
du seuil de pauvreté en France. Certes, tous les pauvres ne
volent pas, diront certains. Exact, mais ceux qui volent, souvent
pour vivre ou imiter le modèle de consommation, occupent la
majorité des prétoires. Et parmi ces précaires on trouvera 25%
d’étrangers alors qu’ils ne sont que 5.9 % à résider dans
l’Hérault.
De l’ordre public à la tranquillité publique il n’y a qu’un pas.
Bonnes gens dormez tranquilles, le critère fonctionnel d’incarcération étant l’absence de domicile et d’emploi, ces individus
dangereux seront donc incarcérés du fait de l’absence de structures sociales adaptées pour leur donner la chance de l’insertion.
Tout ce tri pénal se fera sur un fond de détresse médicale et
psychique que jamais la prison ne pourra prendre en charge.
Depuis mars et juin 2002, cette tendance s’est accélérée, de
nombreuses infractions concernant l’espace public ont été
crées : rassemblement dans les halls d’immeubles, racolage
passif, mendicité agressive, occupation de terrains sans autorisation…
La tolérance zéro devient la nouvelle politique pénale. Un projet de société se dessine dans nos prétoires.
Gilles SAINATI,
Syndicat de la magistrature
Juin 2003
BIBLIOGRAPHIE - GLOSSAIRE
FAURE (Michaël), Voyage au pays de la double peine, L’Esprit Fappeur, 2000, Paris, 86 pages.
GUINCHARD (Serge) et BUISSON (Jacques), Procédure pénale, éd.Litec, 2002, Paris, 1233 pages.
Haut Conseil à l’Intégration, Lutte contre les discriminations ; faire respecter le principe d’égalité, La Documentation française,
1999, Paris, 127 pages.
Hommes et Migrations, n°1219, mai-juin 1999, « Connaître et combattre les discriminations ».
INSEE, Portrait de la France ; le recensement de 1999, 32 pages.
LEVASSEUR (Georges), CHAVANNE (Albert), MONTREUIL (Jean)…, Droit pénal général et procédure pénale, 14ème édition, SIREY
éditions, 2002, Paris, 456 pages.
PRADEL (Jean) Droit pénal général, 14ème édition, éd.Cujas, 2002/2003,Paris, 749 pages.
PRADEL (Jean) Procédure pénale, 11ème édition, éd.Cujas, 2002/2003, Paris, 890 pages.
SAINATI (Gilles) entretien avec, in Vacarmes,n°22, hiver 2003.
SINOU (Jean) Education civique ; le guide pratique, Istra, 1985, Paris, 237 pages.
SOYER (Jean-Claude) Droit pénal et procédure pénale, 13ème édition, LGDJ, 1997, Paris, 454 pages.
TEVANIAN (Pierre) « Le mythe de l’insécurité, ou …comment on construit des classes dangereuses », in L’Ecole Emancipée,
décembre 2002.
WACQUANT (Loïc) Les prisons de la misère, Raisons d’agir éditions, 1999, Paris, 189 pages.
WACQUANT (Loïc) entretien avec, « socialiser, médicaliser ou pénaliser : un choix politique » in Combats contre le sida, printemps 2002.
Audience :
Séances (une séance par affaire) d’un tribunal durant lesquelles les prévenus sont présentés aux magistrats et durant
lesquelles les débats ont lieu.
Comparution immédiate :
Procédure par laquelle un prévenu est traduit immédiatement
après l’infraction (délit) devant le tribunal correctionnel pour
être jugé le jour même. Cette procédure n’est prévue par la
loi que si l’auteur est identifié et majeur.
Délit :
Infraction (conduite en état d’ivresse, vol, escroquerie…)
punissable d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas
10 ans, et/ou d’une amende, d’une peine de Travail d’Intérêt
Général, ou d’autres peines complémentaires… jugée par le
tribunal correctionnel.
Discrimination :
« Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée
sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans
des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés
fondamentales dans les domaines politique, économique,
social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie
publique »
Convention internationale contre la discrimination raciale de
1966, source Haut Conseil à l’Intégration.
Interdiction du Territoire Français (I.T.F) :
ou Interdiction du Territoire National (I.T.N)
Cette mesure, peut être prononcée à titre définitif ou pour
une période de 1 à 10 ans au plus, à l’encontre de tout étranger (en situation régulière ou non) coupable d’un crime ou
d’un délit. Elle entraîne de plein droit la reconduite du
condamné à la frontière, le cas échéant, à l’expiration de sa
peine d’emprisonnement ou de réclusion. Cette peine n’est
prononçable qu’avec une « décision spécialement motivée au
regard de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et familiale de l’étranger » art.131.30 du Code Pénal.
Interprète :
Personne qui donne oralement, dans une langue, l’équivalent
de ce qui a été dit dans une autre. Elle sert d’intermédiaire
entre deux personnes parlant des langues différentes.
Magistrat :
Membre du personnel de l’ordre judiciaire ayant pour fonction de rendre la justice ; juges (magistrats du siège) ou de
requérir, au nom de l’Etat, l’application de la loi ; Ministère
public représenté par le procureur ou l’un de ses substituts
(magistrats du parquet).
Outrages :
Délit par lequel on met en cause l’honneur d’un personnage
officiel (magistrats…), d’une personne dépositaire de l’autorité
publique (policiers…) ou d’une personne chargée d’une mission de service public (conducteur des transports publics…),
dans l’exercice de ses fonctions. Outrages par paroles, gestes,
menaces, écrits ou dessins.
Prévenu :
Personne, traduite devant un tribunal correctionnel pour
répondre d’un délit.
Travail d’Intérêt général :
ou Travail d’Intérêt Collectif (T.I.C)
Type de peine qui consiste en une prestation d’activité non
rémunérée accomplie, par le prévenu condamné à ce type de
peine, au profit d’une collectivité ou un établissement publics
ou une association.
Tribunal Correctionnel :
C’est une formation du Tribunal de Grande Instance, il est
compétent en matière de délits. 2 types d’audiences, en collégiale ou en juge unique. Lors de ses audiences en collégiale, il
est composé de 3 juges, soit 1 président et 2 assesseurs
(art.398 du Code de procédure pénale), ou d’un juge unique
qui statue sur certains délits énumérés limitativement par
l’art.398-1 du Code pénal. Le Ministère public et le greffier
font partie intégrante de ces deux types de juridiction. La formation collégiale est exigée dans 2 hypothèses : lorsque le
prévenu est en état de détention provisoire ou lorsque le prévenu est poursuivi selon la procédure de comparution immédiate.
Tribunal de Grande Instance : (T.G.I)
Le tribunal est le lieu ou l’on rend la justice. Le T.G.I est compétent pour les affaires civiles qui dépassent la compétence
du Tribunal d’Instance et en tant que Tribunal Correctionnel il
est compétent pour les affaires pénales qui dépassent la
compétence du Tribunal de Police.
Les prétoires de la misère
• janvier 2004 29
ANNEXES
Une journée au Tribunal Correctionnel
Affaire 1, (14h15 à 14h24)
Affaire 6, (15h49 à 16h20)
Homme, 28 ans, célibataire, sans profession.
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Les faits : tentative d’extorsion de fonds, en état d’ivresse,
avec menace d’un couteau, dans parking, à Montpellier.
Chef d’accusation : menace de mort réitérée et violence avec
usage ou menace d’une arme sans incapacité.
Renvoi de l’affaire au 29/03/2002 et maintient en détention
du prévenu.
Peine prononcée : (le 29/03) 3 mois de prison ferme et 2000
euros de dommages et intérêts pour la victime.
Cf article journal n°1.
Comparution immédiate.
Homme, 26 ans, célibataire, sans profession.
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Chef d’accusation : violence sur une personne vulnérable,
sans incapacité.
Peine requise : 12 mois de prison ferme.
Peine prononcée : relaxe.
sortie libre.
Affaire 2, (14h26 à 14h40)
Comparution immédiate.
Femme, 29 ans, célibataire, 3 enfants, sans profession.
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Chef d’accusation : tentative d’extorsion avec violence et
port d’arme de 6ème catégorie.
Peine requise : 18 mois de prison ferme.
Peine prononcée : 15 mois de prison ferme et obligations de soins.
Affaire 3, (14h43 à 15h03)
Comparution immédiate.
Homme, 22 ans, célibataire, sans profession.
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Les faits : vol de 35 euros, le prévenu a été surpris en flagrant délit par la victime
Chef d’accusation : vol à l’aide d’une escalade en récidive.
Peine requise : 15 mois de prison ferme.
Peine prononcée : 12 mois de prison ferme.
Affaire 4, (15h04 à 15h22)
Comparution immédiate.
Homme, 22 ans, célibataire, sans profession.
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Les faits : vol de matériel dans les locaux de l’O.N.F et tentative de revente de ce matériel.
Chef d’accusation : recel d’un bien provenant d’un vol.
Peine requise : 6 mois de prison dont 4 avec sursis.
Peine prononcée : 4 mois de prison avec sursis, 18 mois de
sursis et mise à l’épreuve et 200 euros de dommages et intérêts pour partie civile (O.N.F).
Affaire 5, (15h22 à 15h44)
Comparution immédiate.
• Homme, 20 ans, célibataire, monteur-câbleur.
Nationalité française, sans casier judiciaire.
Les faits : vol de la caisse par effraction et en réunion dans
une pharmacie, durant la nuit, à Prades-le-Lez.
Chef d’accusation : vol en réunion.
Peine requise : 8 mois de prison avec sursis.
Peine prononcée : 8 mois avec sursis
sortie libre
• Homme, 19 ans, célibataire, profession ?
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Chef d’accusation : dégradation ou détérioration grave d’un
bien appartenant à autrui.
Peine requise : 10 mois de prison avec sursis.
Peine prononcée : 10 mois avec sursis.
sortie libre.
30
Les prétoires de la misère
• janvier 2004
Affaire 7, (16h20 à 16h43)
Comparution immédiate.
Homme, 30 ans, concubin, 1 enfant, sans- profession.
Nationalité algérienne, sans casier judiciaire.
Chef d’accusation : violence par concubin suivie d’incapacité
n’excédant pas 8 jours.
Peine requise : 10 mois de prison dont 7 avec sursis.
Peine prononcée : 12 mois de prison dont 6 avec sursis, sursis
et mise à l’épreuve pendant 24 mois et obligations de soins.
Affaire 8, (16h47 à 17h39)
Comparution immédiate.
• Homme, 23 ans, état civil ? profession ?
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Chef d’accusation : vol aggravé par 2 circonstances, outrages
à une personne dépositaire de l’autorité publique et rébellion.
Peine requise : 15 mois de prison ferme.
Peine prononcée : relaxe pour le vol et 10 mois de prison
ferme pour outrages et rébellions…
• Homme, 22 ans, célibataire, chauffeur routier.
Nationalité française, pas de casier judiciaire.
Chef d’accusation : idem.
Peine requise : 10 mois de prison dont 7 avec sursis.
Peine prononcée : relaxe pour le vol et 6 mois de prison dont
4 avec sursis pour outrages et rébellions…
Affaire 9, (18h45 à 18h53)
Comparution immédiate.
Homme, 39 ans, célibataire, maçon.
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Chef d’accusation : conduite en état d’ivresse et refus
d’obtempérer.
Peine requise : 8 mois de prison, sursis et mise à l’épreuve,
obligations de soins, annulation du permis de conduire et
interdiction de le repasser pendant 2 ans.
Peine prononcée : 8 mois de prison avec sursis et idem que
réquisition.
Affaire 10,
Comparution immédiate.
• Homme, 20 ans, état civil ?, sans profession.
Nationalité française, sans casier judiciaire.
Chef d’accusation : dégradations volontaires.
Peine requise : 4 mois de prison, sursis et mise à l’épreuve.
Peine prononcée : 3 mois de prison avec sursis.
• Homme, 19 ans, état civil ?, sans profession.
Nationalité française, avec casier judiciaire.
Chef d’accusation : dégradation grave du bien d’autrui.
Peine requise : 8 mois de prison, sursis et mise à l’épreuve.
Peine prononcée : 200 heures de T.I.G/18 mois.
trouve-t-on l’analyse de la loi Sarkozy ? Qui donne la parole aux réfugiés et aux
demandeurs d’asile ? Qui enquête sur ce qui se passe à nos frontières, dans
les zones d’attente et dans les centres de rétention ? Qui s’intéresse aux
sociétés civiles des pays en voie de développement ? Qui rencontre Souha
Béchara, prisonnière politique tout juste libérée après 10 ans passés au
bagne libanais de Khiam ? Qui dénonce les guerre oubliées, au Congo
Brazzaville, en Irak ou en Tchétchénie ?
Où
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LES PRÉTOIRES DE LA MISÈRE
« Plus que le droit, la loi
plus que la loi, la justice
plus que la justice, l'équité »
Victor HUGO
O
bserver la justice qui s’exerce dans un prétoire au quotidien nous éclaire sur le sens des peines qui y
sont appliquées ; un énoncé en forme d’arbitre et de règlement qui doit être prononcé.
Ainsi, en 1980, la justice a condamné quelques 5 000 personnes à des peines supérieures à cinq ans. En 2000,
elle en a prononcé plus de 12 500. Cette inflation frénétique de sévérité est le signe de l’évolution des
consciences sur le traitement des faits de justice. Elle fluctue avec les cécités politiques !
Ce qui apparaît à partir de la présente observation, c'est la mise en pratique d'un discours sécuritaire
ambiant. Ce durcissement n'a rien d'un hasard. Il fait partie d'un processus que des penseurs libéraux ont
élaborés il y a quelques années aux Etats Unis . Ces théories affirmaient que la misère n'a pas de causes
sociales et n'est due qu'à la mauvaise volonté de l'individu. Par conséquence l'Etat providence est une
aberration non seulement économique (charge pour le contribuable), mais aussi sociale (pervertissement du
chômeur de confort).
La doctrine sécuritaire s’est installée.
Ainsi, depuis quelques temps s'exprime une panique morale capable, par son ampleur et sa virulence, de
redessiner la physionomie de nos sociétés ; délinquance des « étrangers », sauvagerie des « jeunes »,
« violences urbaines », désordres dans les « quartiers sensibles » et « incivilités » des habitants. Ces notions
s’inscrivent dans une constellation d’articles et de thèses sur le crime, la violence, la justice, l’inégalité et la
responsabilité.
La banalisation de ces analyses dissimule un enjeu qui n’a que peu à voir avec les problèmes auxquels elles
se réfèrent. Ainsi, l’Etat providence se met à sévir et à élever la « sécurité », définie méticuleusement en
termes physiques et non en termes de risques de vie (salariale, sociale, médicale, éducative, etc.), au rang de
priorité de l’action publique. Avec l’effacement de l’Etat économique et l’abaissement de l’Etat social, nous
assistons au renforcement et à la glorification de l’Etat pénal par lesquels le nouveau sens commun vise à
criminaliser la misère par une gestion policière et carcérale…
Jean Paul NUNEZ
Responsable Régional CIMADE
avec le soutien du
5€