Les aides personnelles au logement
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Les aides personnelles au logement
Les aides personnelles au logement: réflexion économique à partir de l'expérience française Anne Laferrère (Centre de Recherche en Economie et Statistique, Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, 15 Boulevard Gabriel Péri, 92240 MALAKOFF Cedex., France, email : [email protected]). Février 2004 On ne peut isoler les aides personnelles au logement du reste de la politique du logement et il serait même trompeur d'étudier cette dernière indépendamment des autres politiques sociales, par exemple celles de revenu garanti ou de salaire minimum. On tente cependant ici une analyse partielle, tout en situant les aides personnelles aux locataires dans leur contexte, avec l'espoir qu'une telle analys e soit utile à la réflexion. Pour justifier des allocations de loyer, il est bon de partir des fondements économiques généraux des aides au logement, ce sera ma première partie. Comme dans d'autres domaines, on verra que les imperfections du marché et les asymétries d'information peuvent dans certains cas justifier une intervention publique. Ensuite je décrirai brièvement trois modes d'intervention: le contrôle des loyers, l'aide directe à la construction, et la distribution d'allocations personnalisées directes (seconde partie). Comme on pourrait soutenir que chacun de ces modes s'est développé historiquement en réaction au précédent et pour remédier à certains de ses effets néfastes, les problèmes soulevés par les logements sociaux (HLM) seront pointés (partie 3), puis, plus longuement, ceux des aides directes (partie 4), le contrôle des loyers étant évoqué pour mémoire. La conclusion élargit le champ à la question des effets de voisinage. 1. Pourquoi des aides au logement? Un gouvernement est amené à intervenir sur un marché comme celui du logement sur deux bases: un souci d'efficacité et des préoccupations d'équité. Si le marché du logement était parfaitement concurrentiel, c’est-à-dire si, entre autres conditions, le logement était un produit bien défini et homogène, les transactions nombreuses, l’information des acheteurs et vendeurs parfaite, toute intervention publique serait inefficace, car elle fausserait les vrais prix qui sont les signaux qui permettent aux agents de décider de façon optimale. Qua nt au souci de 1 redistribution des revenus, bien des spécialistes de la taxation soutiennent que l'impôt sur le revenu est un meilleur outil que la subvention. Pourtant, même dans les pays les plus libéraux, le logement est subventionné. La Grande-Bretagne distribue davantage d'aides aux loyer que la France, et aux USA il n'est question de supprimer ni leur équivalent, les section 8 vouchers, ni la déduction fiscale associée aux intérêts sur emprunts immobiliers. La Belgique (au niveau fédéral) et la France dépensent de l'ordre de 1% du PIB pour la politique du logement. C'est donc que le logement présente des spécificités qui feraient que son marché ne puisse pas être parfaitement concurrentiel et qu'il soit peut-être justifié d'aider les ménages à faibles ressources à se loger. 1.1. Internaliser les externalités Le logement est d'abord cher: c'est un des premiers postes (quelques 25%) de la dépense de chacun et sa valeur représente plusieurs années de revenu. Il est de plus ce qu'on appelle un bien de nécessité, on ne peut s'en passer et sa consommation ne peut pas être modulée. En cas de coup dur, on peut ne consommer de la viande qu'une fois par semaine, c'est impossible pour le logement. Une des modulations possible est le choix entre acheter et louer. L'achat réclame une épargne préalable, ou un marché du crédit développé, et l'assurance d'un revenu futur régulier, ce qui, joint à d’importants coûts de transaction, le réserve aux ménages les plus riches et les moins mobiles. Comme tout autre investisseme nt, il comporte des risques, de moins-value par exemple. Une seconde caractéristique du logement est donc qu'il est à la fois bien de consommation et placement. Ensuite, un logement est fixe dans l’espace. Occuper un logement, c'est bénéficier non seuleme nt de quatre murs et un toit, mais aussi d’une localisation, de son accessibilité (donc des coûts de transports associés et des emplois), d’un niveau d'impôts locaux, de services publics, de camarades de classe pour ses enfants, de relations de voisinage... Cette multidimensionnalité du logement a plusieurs conséquences. D'abord, deux logements ne sont jamais tout à fait identiques et cette hétérogénéité nuit au fonctionnement d'un marché. Ensuite, certains des aspects du logement peuvent échapper à ses habitants. On dira que le logement est non seulement une nécessité, mais un bien tutélaire, un produit qui `fait du bien’. Qu'on songe pour s'en persuader au processus rapide de désocialisation des personnes sans domicile. C’est ce qui sous-tend la notion de `droit au logement’. Dans le jargon des économistes, le logement produit des externalités que le consommateur n'internalise pas 2 complètement, donc ne valorise pas à leur juste prix. Il ne prendra pas non plus en compte l'augmentation du bien-être collectif qui résulte d'un environnement sain, amical et sûr, ni les externalités négatives dues par exemple aux risques d'incendie (dans un immeuble, tous peuvent pâtir d’un occupant négligeant), aux vagabondages, à l'insalubrité (une des première cause d'interve ntion publique, avant l’arrivée des antibiotiques), au bruit. Le fait que ceci ne soit pas parfaitement internalisé par les agents économiques, ni pour eux- mêmes, ni pour leurs voisins, est une première justification de l'intervention gouvernementale. Aides à la démolition, à la construction (pour éliminer les taudis et bidonvilles), à la réhabilitation, ou aussi à la propriété occupante sont ainsi fréquentes, l'idée étant alors qu'un propriétaire s'occupe mieux de son logement et de son quartier qu'un locataire, puisqu'il en tire des bénéfices en termes de valeur du logement, donc internalise mieux les externalités. Dans ce genre d'intervention, le gouvernement (ou historiquement le patron) est la puissance tutélaire qui sait mieux que les citoyens (ou les ouvriers) ce qui est bon pour eux en matière de logement. Une bonne part du coût d'un logement est celui de la terre, surtout en Europe où la densité de population est élevée et le terrain rare. Les droits de propriété des terrains, la façon dont la propriété est régulée et taxée influe sur le marché du logements. Autres dimensions, celles des coûts de transport et des aménités. Un choix de localisation est souvent un compromis entre prix, accessibilité, et qualité de l'environnement au sens large. Ainsi la politique du logement ne peut-elle faire abstraction ni des réglementations en matière de construction (plan d'occupation des sols, normes de construction, sécurité, hauteur), ni d'une politique de transports: routes, trains, métros sont aussi dans bien des cas subventionnés. Tout bien public (payé par la collectivité des contribuables, et utilisé en général par un sous-ensemble d'entre eux, ou par des non-contributeurs) rejaillit sur la valeur de la terre, donc finalement sur le patrimoine de son proprié taire. Si par exemple une ligne de métro est prolongée, elle apporte de la valeur aux terrains nouvellement desservis (moins sans doute aux riverains immédiats souffrant du bruit). C'est donc le propriétaire au moment de l'ouverture de la ligne qui fait une plus-value: la valeur de sa propriété est augmentée. Les propriétaires futurs ne gagnent ni ne perdent: prix d'achat et de vente reflèteront la nouvelle valeur du terrain rendu accessible. Les locataires en place profitent bien sûr de la ligne de métro, mais ne gagnent que dans la mesure où le nouveau prix du terrain lié aux nouveaux avantages d'accessibilité ne se répercute pas immédiatement dans les loyers ; à terme, ils payeront en loyer ce qu'ils auront gagné en temps de transport. Le rôle d'un gouvernement est donc de gérer ces plus ou moins-values, taxant les 3 premières, indemnisant les secondes, de façon la plus neutre possible. Mais la question de la capitalisation des biens publics dans les prix est loin d'être simple en réalité car ces biens (ou maux, qu'on pense au bruit ou à la pollution) sont multidimensionnels, et taxer des plus-values dues à des activités privées doit être justifié sur d'autres critères. Et les taxes elles-mêmes sont plus ou moins capitalisées dans les prix (Voir Englund, 2003 pour un résumé des questions de taxation du logement). De même parmi toutes les aménités, l'offre d'éducation peut être financée au niveau national ou localement, avec des conséquences différentes sur la fiscalité locale et les prix des terrain. Retenons seulement ici qu'il est difficile de démêler les conséquence d'une politique indépendamment de toutes les autres : restreindre les constructions en hauteur a par exemple pour conséquence logique de faire monter les loyers. Pourtant, dans les cas de pénurie de logements, souvent mis en avant par les journalistes, ces mêmes journalistes, et les électeurs, sont en général opposés à la liberté totale de construction de gratte-ciel en centre ville historique pour répondre à la demande. Avant d’aider les locataires la puissance publique devra se demander si la réglementation en matière de densité reflète bien l’intérêt général. Alors, si une conséquence des règlements est d'augmenter les prix au-delà du bénéfice des externalités pour les pauvres, il pourra sembler justifier de les aider à financer leur consommation de logement. Il faut aussi s’interroger sur le niveau géographique du financement des éventuelles aides aux loyers. La `pénurie’ peut venir des règles de fixation des salaires. Ce sont souvent les membres des services publics (instituteurs, infirmières, employés d'entretien municipaux) dont la rémunération est fixée au niveau national qui ne peuvent se loger dans les zones chères (Sud-Est de l'Angleterre, Silicon Valley pendant la bulle internet, centre de Paris). Il pourrait être justifié de leur procurer un supplément de salaire financé sur des impôts locaux. S'ils entrent dans le système national des allocations logement, c'est l'ensemble des contribuables français qui financent les infirmières des ric hes parisiens. 1.2. Informer, réduire les coûts de transaction, le risque, l'incertitude Autre caractéristique du logement: l'importance des coûts de transaction et de recherche, et de l'incertitude, puisque c'est un bien cher à caractéristiques complexes. Un projet de construction est une oeuvre de long terme, qui comporte des risques. Le locataire ou l'acheteur ne sont que partiellement informés sur les caractéristiques des logements, les propriétaires bailleurs sont incertains du comportement de leur locataire, les banquiers cherchent à estimer 4 la solvabilité des emprunteurs. Il n'existe pas d'assurance pour tous ces risques. Là comme ailleurs le rôle d'un gouvernement sera d'apporter de l'information qui réduit l'incertitude: données sur les évolutions démographiques prévisibles, les migrations, collecte et mise à disposition d'indices de prix selon les caractéristiques des logements à un niveau géographique fin, informations sur l’offre, législations et institutions qui favorisent les engagements à long terme, développement du crédit, garantie, assurance... Tout ce qui pourra réduire les coûts de transaction pour les propriétaires comme pour les locataires et augmenter la confiance, améliorera le fonctionnement des marchés et réduira les besoins d'autres interventions dont on verra qu'elles sont coûteuses et parfois inefficaces. Par exemple en France une taxe est perçue sur toute transaction immobilière : les conséquences de cette augmentation des coûts de transaction sont à mettre en balance avec la facilité de perception de cet impôt qui le fait préférer à une taxe foncière assise sur des valeurs mises à jour régulièrement. 1.3. Asymétrie entre propriétaires et locataires La relation entre propriétaires et locataires a fait couler beaucoup d’encre depuis les caricatures de Daumier au 19ème siècle jusqu’aux marchands de sommeil du 21ème. Elle est par nature asymétrique. Les propriétaires bailleurs sont en général moins nombreux que les locataires ; même si en France chaque propriétaire privé ne possède en moyenne qu’un ou deux logements, les investisseurs institutionnels n’ont pas disparu. Compte tenus des coûts de recherche ou de mobilité pour les deux parties, chacun a un pouvoir de marché et le fractionnement des intermédiaires n’améliore pas la situa tion en France. Le caractère unique de chaque logement, les goûts individuels rendent le marché étroit et les coûts de transaction élevés confèrent du pouvoir de monopole au propriétaire qui tenant son locataire captif peut augmenter le loyer (Arnott, 1995). En sens inverse, le locataire ne supporte qu’en partie le coût des dégradations qu’il apporte au logement car il n’est pas intéressé comme l’est le propriétaire dans l’augmentation de la valeur du logement. Il y a pour cette raison une sélection des ménages les moins soigneux vers le secteur locatif. Cette sélection est renforcée si pour se prémunir contre le risque de dégradation, le propriétaire bailleur, dans l’ignorance des qualités de son locataire fixe le loyer plus haut. Ceci peut expliquer les décisions récurrentes de contrôler l’évolution des loyers. Nous y revenons plus bas. 5 1.4. Redistribuer vers les plus pauvres Un souci de redistribuer vers les plus pauvres est souvent avancé comme justification des politiques de logement. Mais si la préoccupation est bien celle d'équité, sous certaines conditions de forme de la fonction d'utilité, l'impôt sur le revenu sera le meilleur instrument (Atkinson et Stiglitz, 1976). Dans d'autres cas, si les individus ont des capacités différentes, et si ceux aux capacités les plus faibles consomment du logement de bas de gamme, subventionner ce type de logement peut se justifier. Cependant certains mettront en avant le fait que cela peut fausser les choix d'offre de travail. En résumé, il semble y avoir consensus pour pointer des éléments qui font que le marché du logement est imparfait et justifieraient une intervention publique, même si nous verrons plus bas qu'il y a aussi accord à reconnaître des effets compliqués et parfois pervers des interventions publiques (en simplifiant: pour pallier les imperfections du marché, on en introduit d'autres qui l'étouffent encore plus), sans parler des coûts d’administration des aides, de l'inefficacité de la bureaucratie et sa vulnérabilité aux pressions politiques. C'est peut-être sur le terrain de l'égalité des chances et de l'importance des effets de voisinage et de quartier qu'une politique du logement est la plus justifiée. C’est dans cette direction que vont les travaux les plus récents que nous évoquerons en conclusion. Avant de poursuivre, rappelons que tout ce qui précède, et ce qui suit, ne raisonne qu'en équilibre partiel, et n’aborde la taxation qu’incidemment. La question de qui finance par exemple les allocations logement (impôts, cotisations sociales ?), qui les paye en dernière analyse (salariés, entreprises, épargnants?) n’est pas posée. 2. Trois types d’aides : des politiques d'offre au soutien de la demande Une fois affirmée (à tort ou à raison) la nécessité d'intervenir, se pose la question du choix des politiques. Elles sont de trois grands types: contrôle des loyers, aides à la construction (de logements locatifs: HLM; de logement en propriété occupante: avantage fiscaux, organisation du crédit), et allocations directes aux ménages locataires, ou propriétaires. On distingue traditionnellement contrôle des prix, aide à la pierre (ou politique d'offre), et aide à la personne (ou politique de demande), même s’il convient de se méfier de ces appellations réductrices. L'aide à la pierre va bien in fine à des personnes, et l'aide à la personne pourrait bien ne pas aller à celles qu'on croit. Offre et demande se confrontent. 6 2.1. Blocage et contrôle des loyers Historiquement, on a commencé à agir sur l'offre, autrement dit sur la `pierre'. Si comme on l'a vu le logement est un bien tutélaire qui entraîne des externalités et si les gens n'en consomment spontanément pas assez, leur fournir ainsi un avantage en nature peut sembler justifié. Cette vue paternaliste a eu cours au 19ème siècle en France et ailleurs, dans la lignée de ce qui avait débuté bien avant en termes d'assistance. Certains patrons (dans les industries textiles du Nord par exemple), ont construit des logements ouvriers plutôt que d'augmenter les salaires et laisser les ouvriers décider de leurs dépenses. Ensuite, dès avant la Première Guerre Mondiale, et plus encore à la suite des destructions et cataclysmes des deux guerres certains furent soucieux de l'inadéquation de la construction à la demande, et recommandèrent une intervention publique. La première mesure, pendant la Grande Guerre, fut le gel des loyers. Elle est devenue l'archétype de l'idée bien intentionnée dont les conséquences sont pire que le mal. Un fois les loyers bloqués, c'est tout l'investissement des propriétaires bailleurs qui est stoppé, et bientôt l'entretien des logements. La pénurie est donc exacerbée au lieu d'être comblée, avec son cortège d'inégalités entre locataires en place profitant des loyers dérisoires, et de jeunes familles mal logées en attente. La mobilité résidentielle est affectée, le marché noir se développe… Certains avancent que les conséquences du blocage des loyers furent plus dramatiques pour le logement que les destructions des deux guerres. Une politique directe de construction sembla donc nécessaire, dès les années vingt, et plus encore après la Grande Dépression. Alors furent lancés les premiers programmes publics de construction de logement, qui ne se développèrent vraiment qu'après la Seconde Guerre, sous la pression du baby boom et de l’exode rural. En 1948 une loi supprime le blocage des loyers pour les nouvelles constructions, tout en en réglementant l'évolution. La libéralisation est en 2004 toujours partielle: seuls les loyers de relocation sont fixés librement depuis 1997 (la région parisienne connaissant toujours un système de loyers de référence), les hausses annuelles sont limitées à un indice officiel (celui du coût de la construction) unique pour tout le territoire. Un locataire ne peut être expulsé que sous des conditions très restrictives. De nos jours plus personne ne défend le blocage des loyers. Cependant, un contrôle léger peut être justifié si on considère comme on l’a évoqué plus haut que les marchés sont imparfaits et qu'il y a par exemple un pouvoir de monopole du propriétaire bailleur qu’il convient de réduire, ou qu’une mobilité excessive entraîne des externalités non prises en compte par les agents. Retenons que la réglementation des loyers a des répercussions sur l'offre locative et sans doute sur la 7 demande de propriété occupante (Fallis et Smith 1984, 1985). Si on veut maintenir un marché locatif vivant, ce qui peut être utile aux jeunes ménages mobiles ou aux migrants par exemple, il convient de ne pas favoriser les locataires en place à leur détriment et de ne pas décourager l’offre des propriétaires bailleurs. 2.2. Aide à la construction locative Les HLM, habitation à loyer modéré, et assimilés, dont la construction est subventionnée, logent 17% des ménages en France, deux à trois fois plus qu'en Belgique, contre moins de 2% aux USA. Leur part a crû régulièrement jusqu’en 1996, à la fois grâce à la construction nouvelle (100 000 unités par an entre 1954 et 1984, encore 50 000 jusqu’en 1996, 40 000 depuis), et à la crise du secteur privé (le contrôle des loyers et la protection des locataires en étant partiellement responsables). Elle est stable depuis 1996. Près de la moitié des locataires français vivent dans le secteur social. 2.3. Aide directe au locataire Dès les années 1950, mais plus encore dans les années 1970 puis 1990, des aides directes aux locataires (et aux accédants) se sont développées parallèlement à la construction des HLM. En effet ces derniers sont apparus comme ayant aussi des conséquences néfastes. Par ailleurs, une fois satisfaits les besoins les plus criants, et surtout une fois développé un système de crédit, il apparaissait moins justifié de subventionner la construction, le marché pouvant se substituer à la puissance publique. Le problème n'était plus tant quantitatif que qualitatif. D'une part les HLM créaient des zones de bâtiments collectifs, sans charme aucun, dont on pressentait qu'ils allaient concentrer les problèmes de criminalité et de pauvreté; d'autre part les ménages modestes avaient des difficultés à s’y loger, en partie à cause du mode d'attribution des HLM (voir plus bas). L'idée de distribuer des allocations qui aideraient les gens à habiter où ils voudraient dans le secteur libre semblait bonne: on dépenserait moins qu'en construisant, et on éviterait les ghettos. De tels raisonnements, à plus ou moins grande échelle furent tenus dans de nombreux pays. Même les USA qui avaient construit beaucoup moins de logements sociaux qu'en France, ont créé des `housing vouchers' et `certificates', d'un type voisin des allocations logement. 2.4. Aide aux propriétaires Pendant toute cette période, la propriété occupante fut aussi encouragée. La mesure la plus efficace fut l'organisation du système bancaire et du crédit, la France des années trente ayant 8 un retard important, par rapport à la Grande-Bretagne par exemple. Il y eut aussi des avantages fiscaux. Ainsi le gouvernement français promit- il aux ménages qui construisaient un logement dans l'après guerre qu'ils pourraient le transmettre à leurs enfants sans payer de droits de succession. Promesse qui fut révoquée, dans l'indifférence générale, après 1981, juste au moment où les premières générations constructrices arrivaient à l'âge de penser à leur décès. Plus importante et incitative fut sans doute la déduction des intérêts d'emprunt du revenu imposable. Cette mesure existe toujours aux USA, mais a été supprimée en France pour les emprunts sur résidence principale postérieurs à 1997. La logique est que les propriétaires occupants ne sont pas imposés sur le loyer fictif qu'ils se versent à eux- mêmes (contrairement à la Belgique), et ne déduisent donc pas les charges correspondantes, comme le ferait un propriétaire bailleur. Les résidences principales sont aussi exemptées d'impôt sur les plus- values quand l'argent de la vente sert à acheter une nouvelle résidence principale. Le but de tels encouragement à l'accession n'est pas toujours clair. Il ne semble justifié que si les propriétaires ont un `effet externe positif' sur la collectivité. Aux USA est souvent mis en avant le fait que les propriétaires seraient de `meilleurs citoyens' (parce qu'ils bénéficient davantage directement des externalités du logement, comme dit plus haut). Ils voteraient davantage, participeraient plus à la vie associative, mais aussi auraient, `toutes choses égales par ailleurs', des enfants réussissant mieux en classe, devenant moins délinquants... Mais de telles études sont controversées : est-ce vraiment le fait d'être propriétaire qui joue, ou bien le type de logement ou le quartier dans lequel on vit?. Par ailleurs, les choix sont endogènes, i.e. des variables non forcément observées par l'économiste jouent à la fois sur le choix du statut d'occupation et les comportements sociaux. Quant à l’effet d’une aide fiscale, elle peut être de faire monter les prix des logements, ce qui bénéficie aux propriétaires du moment, mais pénalise les générations futures. En France comme ailleurs, il s'est souvent agi de favoriser le secteur de la construction, soit pour dynamiser la croissance (`quand le bâtiment va, tout va'), soit aussi de façon plus occulte pour financer tel ou tel groupe de pression. Notons qu'une déduction fiscale ne profite qu'à ceux qui payent des impôts, donc plutôt aux classes moyennes et supérieures, ce qui a pu sembler anti-redistributif et a donc été limité dans bien des pays d'Europe. La principale aide à l'accession à la propriété en France est actuellement le prêt à taux zéro (PTZ). Quelques 100 000 PTZ sont octroyés chaque année. Ils fonctionnent comme une augmentation de l'apport personnel de l'accédant puisqu'il n'est remboursé que bien après les autres emprunts. Notons que le PTZ est plus ou moins réservé à la construction neuve. On encourage donc le 9 secteur du bâtiment plutôt que le logement. Il serait souvent moins cher pour des primo accédants d'acheter un logement d'occasion plutôt que de construire des maisons de piètre qualité (puisque leurs revenus sont modestes), souvent loin des emplois, ce qui entraînera d'importants coûts de transport pour le jeune ménage. Par ailleurs, si les aides à la constructio n sont captées par les promoteurs qui `adaptent' leurs prix en conséquence, les acheteurs subiront ce qu'on appelle pudiquement une `décote', voire des moins- values à la revente bien des année après, puisque le nouvel acheteur ne bénéficiera pas de l'aide à la construction. Je ne connais pas d’étude sur ce sujet précis. Selon Gobillon et le Blanc (2002), le PTZ a eu un effet positif sur l'accession, mais il est probable qu'il a eu un important effet d'aubaine, en ce sens que la majorité des ménages bénéficiaires seraient devenus propriétaires même en son absence. On se concentre maintenant sur deux types de politiques: la construction de logements locatifs sociaux et les allocations logement. 3. Le secteur social: les HLM Les conditions d'éligibilité à un logement HLM (basées sur le revenu et la composition familiale) sont telles que 65% des ménages français peuvent y prétendre. Il n'y a donc qu'une faible fraction des ménages éligibles qui en bénéficient. Le loyer est fixé en fonction du nombre de pièces, et de quatre zones géographiques très larges, mais il est indépendant du revenu du locataire (contrairement aux USA où il est une proportion du revenu, en général 30%). Ex post le loyer est au-dessous du loyer de marché d'environ 40% : 20% dans les villes de moins de 100 000 habitants, et plus de 50% en agglomération parisienne (Le Blanc et al. 1998, 2001). Les offices locaux d'HLM partagent le droit d'attribution des logements avec les municipalités, les préfets, et des représentants des entreprises contribuant au financement par un impôt sur les salaires. Chacun gère son quota de logements, et le processus est opaque pour les ménages postulants inscrits sur des listes d'attente qui n’ont été que récemment fusionnées localement. L'attente moyenne, en cas de succès est de 10 mois. La question de qui doit être privilégié sur une liste d'attente HLM est cruciale. Les critères d'éligibilité, imprécis et larges en termes de revenu, ne sont pas sans risques de corruption. Par ailleurs, une fois entré, le ménage, même devenu non éligible ne peut être évincé de son logement. Je ne fais ci-après que soulever les principales questions posées par les HLM. 3.1. Comparaison des coûts de construction public/privé et effet d’éviction 10 Tout d’abord, construire des HLM a-t-il été efficace en termes de coût de construction? A qualité égale, un logement HLM revient- il plus cher? Je ne connais pas d'études empiriques précises sur ces questions. Historiquement les HLM furent construits par souci d'efficacité à un moment de pénur ie grave et quand tout financement privé manquait. De plus comme les coûts de maintenance devaient être supportés par les offices eux-même, ils étaient incités à construire des logements de bonne qualité moins coûteux d'entretien, d'autant plus que la construction était subventionnée. Aux USA des études ont montré que les logements du secteur public étaient beaucoup plus coûteux que ceux du secteur privé, de même en Allemagne (Mayo, 1986). Mais de telles études doivent être faites sur le long terme, et leur méthodologie est critiquable. Autre question liée: la construction de HLM a-t-elle fait diminuer la construction privée, ce qu’on appelle un effet d’éviction? Toujours aux USA, il semble que la subvention de logements pour les niveaux intermédiaires de revenu se soit substituée à la construction par le secteur privé, mais qu'au contraire il soit justifié de construire pour les très bas revenus pour lesquels le secteur privé ne trouve pas rentable de construire (Murray, 1999). L'existence de HLM modifie-t-elle les loyers dans le secteur privé? Si elle diminue l'offre privée, cela fait monter les loyers. Mais la concurrence et l'importance quantitative du secteur public a fait d'un côté diminuer la demande dans le secteur locatif privé (moindre pression sur les prix), mais a aussi pu rendre moins attractive l'accession à la propriété, donc augmenter la demande locative d'attente (pression en sens inverse). Il n'est pas facile de déterminer l'effet global. Au niveau local dans la banlieue parisienne, la présence de HLM semble déprimer les prix du quartier, par un effet de `mauvais voisinage’. 3. 2. Les HLM bénéficient-ils aux ménages les plus pauvres? Pour savoir si le logement subventionné bénéficie aux ménages les plus pauvres, il faut d'une part évaluer le bénéfice pour un locataire d'être en HLM, en comparant son loyer à celui qu'il paierait pour le même logement en secteur libre, et d'autre part comparer sa consommation de logement à celle du même ménage en secteur libre, ce qui a été fait par Le Blanc et al. (2001). Selon cette étude, comme on l'a dit plus haut, les loyers des HLM sont inférieurs en moyenne de 40% à ceux des logements similaires du secteur libre. Mais ceci ne suffit pas pour comparer la situation des deux types de locataires. En effet un ménage en HLM réside dans un 11 logement plus grand que le même ménage locataire du secteur libre: il consomme plus de logement, d'une part parce qu'il ne choisit pas précisément sa quantité consommée (et surtout ne la réajuste pas au fil du temps), d'autre part parce qu'il n'est pas incité à refuser un grand logement puisqu'il le paye moins cher. On trouve que les locataires HLM consomment 10% de services de logement en plus que les mêmes locataires du parc privé. Finalement, comme ils payent moins cher cette plus grande consommation, ils peuvent consommer 11% de plus d'autres biens que s'ils étaient locataires du secteur libre. Les gains en consommation de logement décroissent quand le revenu augmente, mais les gains en autre consommation sont encore de 8% pour les trois plus haut déciles de revenu. Les locataires HLM du plus bas décile de revenu gagnent 17% de service de logement et 21% de consommation hors logement; jusqu'au cinquième décile, les gains sont au dessus de 10 %, à la fois pour le logement et le hors logement. En un sens le secteur public remplit son rôle, et permet aux ménages à bas revenu de vivre dans le plus grands appartements, tout en consommant davantage d'autres biens. Cependant le ciblage sur les plus bas revenus est faible: 45 % du surplus procuré par les HLM va à des ménages dont le revenu est au-dessus de la médiane. Pour les locataires les plus riches, le seul effet des HLM est de leur permettre une plus forte consommation d'autres biens. Ils vivent dans des logements équivalents à ceux qu'ils choisiraient dans le secteur privé et ceci leur donne la possibilité d'épargner. Cette faillite relative des HLM à loger les pauvres est liée à l'impossibilité de faire quitter son HLM à un ménage locataire dont les revenus augmentent. Puisqu'il reste, même devenu non éligible, moins de logements seront disponibles pour les ménages éligibles. 3.3. Le logement social comme `trappe à mobilité' La concentration des HLM laisse peu de choix au locataire potentiel, qui ne peut qu'accepter ou refuser une offre. Compte tenu de l'avantage de loyer et des difficultés d'entrée, un ménage HLM sera peu mobile de peur de perdre son logement. Face à une situation de chômage, il sera donc moins à même d'aller vers les zones d'emplois qu'un ménage du secteur locatif libre (même si le contrôle général des loyers diminue la mobilité, et si les propriétaires sont aussi peu mobiles). Ceci est particulièrement néfaste pour les jeunes, soit qu'ils soient en HLM, soit que leurs parents y vivent. Ce problème est exacerbé par la concentration spatiale des HLM. Notons toutefois que cette trappe à la mobilité qui empêche les locataires de déménager vers des zones où ils trouveraient des emplois, et concentre les problèmes de pauvreté, de chômage 12 et de délinquance n'est pas directement une trappe à l’inactivité, puisque les loyers HLM ne sont pas fonction du revenu. Une littérature importante s'est développée sur le spatial mismatch , l’inadéquation géographique entre résidence et emploi (Benabou, 1993, par exemple, après Kain, 1968). 3.4. Attribution des HLM et mécanisme de sortie Beaucoup de HLM sont dans des immeubles de grande hauteur, des années 1960 et 1970, dont la qualité d'insonorisation était faible. Ceci, joint au faible renouvellement de la population des locataires, a entraîné la concentration des familles à faible revenu dans des zones spécifiques, d'abord appelées les `grands ensembles’, puis `les banlieues’, et finalement maintenant juste `les quartiers'. Ainsi le mot quartier est-il devenu synonyme de problèmes. Cette concentration spatiale des ménages les plus pauvres a été renforcée au fil du temps par le mécanisme suivant. Les ménages les plus à l'aise qui pourraient se permettre de vivre en secteur libre, ne quitteront leur HLM que si ce dernier est situé dans un quartier peu agréable, tandis qu'ils resteront s'il est bien situé. Les plus pauvres locataires HLM n'ont pas ce choix et restent en HLM même s'ils n'en sont pas satisfaits. Ainsi les HLM libérées pour de nouveaux locataires (pauvres) sont-t-elles principalement situées dans les pires environnements. De fait l'ancienneté d'occupation des logements et la qualité des quartiers HLM peuvent être mises en regard du niveau de revenu des locataires. Pour les locataires HLM, un indice de qualité du quartier (basé sur sa composition socio-économique) ne varie pas beaucoup avec le revenu pour ceux situés sous le 7ème décile de revenu. Mais pour ceux dont le revenu est au-dessus du 7ème décile (à peu près ceux au-dessus de la limite d'éligibilité), l'indice monte nettement, spécialement en région parisienne où le gain à vivre en HLM est plus élevé. Les plus riches des locataires vivent dans les meilleurs quartiers. Parallèlement, l'ancienneté d'occupation du logement social augmente avec le revenu. Ceci, joint parfois à des politiques de certains offices, fait que la concentration des pauvres est devenu un problème dans beaucoup de villes françaises. Une forte proportion des ménages en HLM ne sont ainsi plus éligibles. Face à ce système qui crée une double injustice (à l'entrée, une sélection opaque; une fois entré le ménage profite du loyer moins cher, alors que son revenu a monté), une loi a institué un supplément de loyer pour ceux dont les ressources sont au-dessus des plafonds. Mais, mis à part le coût administratif d'une telle mesure, les offices d'HLM sont peu enclins à l'appliquer. C'est en 13 effet leur demander de choisir entre garder des `bons' locataires riches à des loyers bas, ou les faire payer davantage au risque de les perdre pour des locataires à bas revenu qui payeraient leur loyer irrégulièrement. En pratique, les suppléments de loyer sont réclamés à une très petite fraction de locataires. C'est à cause de ces effets pervers sur la mobilité et la ghettoïsation (auxquels il faudrait ajouter des problèmes d'inefficacité de gestion) et parce que les HLM n'étaient pas à l'origine destinés aux plus pauvres (la situation après guerre n'était pas celle de la solvabilité faible mais du manque de logements) que se sont développées les aides directes aux locataires. Dans le même temps, la population pauvre a changé. Schématiquement, on est passé d'une situation où les pauvres étaient âgés, vivant dans des logements certes vétustes, mais dont ils étaient souvent propriétaires, à la campagne, à une situation où les pauvres sont des familles avec enfants (chômage, mono-parentalité), locataires, en ville (Clanché et le Blanc, 1998). 4. Les aides directes personnelles au locataires Les allocations logement sont distribuées en France sous conditions de ressources pour couvrir une partie de la dépense de loyer. Pour élargir la réflexion il n'est pas inutile de comparer les systèmes français (les autres systèmes européens sont voisins) et américains. Aux USA, le système des s̀ection 8 vouchers' est le suivant. Les dépense de logement dépassant 30% du revenu (ajusté pour la composition familiale) et jusqu'à en général un `juste loyer de marché' local (parfois le loyer réel), sont prises en charge par le voucher. Si R est le loyer, R le `loyer juste de marché', et Y le revenu ajusté, l'allocation logement A est en général de la forme: AUSA =[ min (R, R ) - 0.3 Y ] si 0.3 Y <R . Un problème souvent mentionné est que dans certaines zones, le juste loyer de marché R est si bas que les bénéficiaires potentiels sont incapables de trouver un logement, et ne peuvent donc toucher l'aide : en moyenne en 2000 le taux d’insuccès était de 31% et très variable d’une zone à l’autre (Finkel et Buron, 2001. Voir aussi Olsen, 2001). 14 En France, il y a une contribution minimum au loyer, R0 (Y ) , croissante avec le revenu ajusté, au-dessus de laquelle une fraction du loyer est couverte par l'allocation, jusqu'à un loyer plafond R : AFrance = k(Y) [ min(R, R ) - R0 (Y ) ], avec 0<k(Y)<0.9, k diminuant avec le revenu. Le loyer plafond R augmente avec la taille de la famille, mais n'est pas calculé au niveau local, comme aux USA, et varie peu avec la localisation (en fait il y a un plafond pour Paris, et un autre, plus bas, pour le reste de la France). Sous l’apparente simplicité de la formule se cache une myriade de cas particuliers. Cependant les types de prestations (ALS, ALF, APL) ont été unifiés au 1er janvier 2002. L'allocation est un droit en France, tandis qu’un tiers seulement des ménages éligibles la perçoivent aux USA, où les élus semblent tirés au sort dans des listes d'attente, et où l’on s'arrête chaque année de distribuer d'autres allocations quand les crédits votés sont épuisés. 45% des locataires français sont aidés (contre 13% aux USA), et l'aide couvre en moyenne la moitié du loyer. En outre, près de la moitié des locataires du parc social reçoivent une aide au logement, en sus de leur loyer bas, et les propriétaires accédant bénéficient aussi d'allocations logement fonction de leurs charges de remboursement. Il y a aux USA des conditions assez sévères sur les qualités des logements, ce qui peut sembler bien intentionné. Mais si on ne peut louer ces logements, l'offre va baisser, et il y aura donc moins de choix de logement pour la population qu'on voulait aider initialement, les prix monteront. En France, les conditions sont moins restrictives, mais les réhabilitations des quartiers anciens en ont chassé les populations pauvres : le parc dit parc social de fait a disparu. Les aides directes sont mieux ciblées vers les ménages à bas revenu que les logements sociaux parce qu'elles s'ajustent au revenu du ménage (même si en pratique le délai peut être de plus de un an) : 95% vont à la moitié la plus pauvre de la population. Pour un ménage locataire pauvre (dont le revenu est inférieur à la demi médiane), les aides au logement font passer la part du revenu consacrée au logement de 40 à 16% (cette part est divisée par deux dans le parc privé, passant de 51 à 26%, et par trois dans le parc public, de 33 %à 10%). Mais les aides directes posent à leur tour d'autres questions et là encore il n'y a que peu d'études empiriques en France ou en Europe. 4. 1. Les allocations logement sont-elles plus efficaces que les subventions à l'offre? 15 De même que le coût total de la construction des HLM n'a jamais été comparé à celui de la construction privée, il ne l'a pas été au coût de long terme des allocations logement en France. Aux Etats-Unis, de telles études concluent que les allocations (vouchers) sont plus efficaces que les programmes de production de logements. DiPasquale et al. (2003) compare les coûts totaux sur 30 ans des projets de production (tel le Low Income Housing Tax Credit, qui consiste à donner des avantages fiscaux au secteur privé pour qu'il construise à destination des bas revenus) et des aides au ol yer comme les vouchers. Le coût total des vouchers est la valeur actualisée des loyers (donc le voucher proprement dit, plus la part payée par le ménage), plus le coût administratif du programme. Pour les programmes de construction, les loyers ne couvrent pas tous les coûts, le coût total est donc la somme de la valeur actualisée des loyers et des subventions à la construction (valeur des taux d'intérêt en dessous de ceux du marché, et des avantages fiscaux). Construire paraît moins efficace que subventionner la consommation. Par exemple, pour un logement de deux chambres, subventionner la construction revient de 6% à 14% plus cher, selon le programme. L’avantage aux allocations loyer est cependant moindre dans les grandes agglomérations, sans doute parce que le marché y est plus tendu. Mais cette façon de mesurer les coûts programme par programme, si elle est instructive, ne tient pas compte de leur importance relative. Ce n'est pas grave pour les US où les allocations logement sont contingentées. En France, au contraire, la préoccupation est le coût croissant des allocations logement, bien au-delà des prévisions initiales à leur création en 1977. Les allocations de loyers représentent 11 milliards d’euros en 2002. 5,9 millions de ménages locataires en bénéficient. Une des raisons du dérapage est la montée du nombre des ménages éligibles, suivant celle du chômage et de la mono-parentalité. Comme les allocations logement sont un droit, le nombre des bénéficiaires a crû. La régulation se fait donc par modification des paramètres du barèmes des allocations, fixés chaque année. Il ne faut donc pas oublier que lutter contre le chômage mérite la priorité sur les allocations logement en termes de politique publique… 4. 2. Les allocations logement ont -elles fait monter les loyers du secteur locatif privé? Les effets des aides au logement sur l'offre et la demande des ménages sont traditionnellement appréhendés dans un cadre d'équilibre partiel. Si l'on considère que le versement d'aides personnelles au logement réduit le prix relatif du logement par rapport à celui des autres biens, les choix de consommation des ménages sont modifiés par rapport à une situation sans 16 aide. Effet théorique L'effet total d'une baisse du prix du logement se décompose en deux: un effet de substitution et un effet revenu. L'effet de substitution mesure l'augmentation de la demande de logement par rapport aux autres biens, à utilité constante, en réaction à la baisse du prix du logement. L'effet revenu mesure la modification de consommation de logement face à une augmentation de revenu modifiant la contrainte de budget du ménage, à prix relatifs du logement et des autres biens constants. Le signe de cet effet n'est pas prédit par la théorie, mais on constate empiriquement qu'il est positif: le logement est un bien normal, on en consomme davantage quand le revenu augmente. La répartition de la consommation supplémentaire entre le logement et les autres biens dépend alors de l'élasticité-revenu de la consommation de logement par rapport à celle de la consommation d'autres biens (si on dispose d'un euro supplémentaire comment choisit-on de le dépenser?). Au total, les deux effets de substitution et de revenu s'ajoutent pour faire augmenter la consommation de logement. Notons que parmi les autres biens on pourrait isoler le loisir: un ménage peut donc choisir de moins travailler suite à la réception de l'allocation. Autre effet important du côté de la demande: l'aide peut inciter de nouveaux ménages à entrer sur le marché locatif. Par exemple un enfant quittera le logement de ses parents pour s'installer. Il y aura probablement dans ce cas augmentation de la consommation globale de logement, puisque la décohabitation entraîne moins d'économies d'échelle que la vie chez les parents qui réduisent peu ou pas du tout leur propre consommation de logement au moment du départ des enfants. Notons enfin que le bénéficiaire ultime de l'aide peut être non pas le récipiendaire lui- même, mais un membre de sa famille, par exemple les parents d'un étudiant qui lui payaient son loyer antérieurement à l'aide: c'est la réponse classique à un transfert public dans le cadre du modèle intergénérationnel altruiste (Laferrère et LeBlanc, 2003). Dans ce cas, c'est la consommation des parents qui est modifiée et non celle du bénéficiaire direct de l'aide. Face à la hausse de la demande, les prix montent, donc l'offre réagit, plus ou moins rapidement. Des logements seront progressivement détruits, abandonnés, rénovés, construits: offre et demande auront augmenté. Mais il se peut, au moins à court terme, que ce soit le même logement que, grâce à l'existence de l'aide et la pression qu'elle induit sur la demande, 17 le propriétaire bailleur puisse louer plus cher, sans création de nouveaux logements ou sans rénovation. A l'extrême limite, dans le cas d'une offre totalement rigide à court terme, ce n'est plus au ménage aidé que bénéficie l'aide, mais au propriétaire bailleur: seule la demande augmente, avec uniquement un effet de hausse des prix. Cet effet est souvent mentionné à propos des logements des étudiants, voire de la location de taudis. En pratique, la réaction de l'offre va dépendre de l'état du marché local et du taux de vacance. Par exemple, dans un marché déprimé à fort taux de vacance, il peut n'y avoir aucune hausse de prix, mais baisse du taux de vacance, ce qui augmente le revenu moyen des propriétaires bailleurs. A long terme, la répartition des aides entre bailleurs et locataire dépend de l'élasticité de l'offre. On sait peu de choses sur l'offre de logements. La plupart des rares études empiriques américaines (voir Rosen, 1985a, pour une revue ancienne) considèrent des fonctions de production à rendements d'échelle constants, ce qui implique une courbe d'offre à long terme infiniment élastique. Dans ce cadre, seule l'étude des effets de court terme sur les prix ou les loyers a un sens. Mais en réalité, l'offre de court terme est très inélastique, surtout si on raisonne sur des sous- marchés comme les logements de gamme moyenne et basse qui sont ceux des bénéficiaires des aides. Evaluation empirique La controverse sur l'efficacité comparée des aides à la construction et des aides à la personne, n'a pas été propre à la France. Malgré le niveau assez faible du parc social aux USA, la réflexion y est née dans les années soixante. Des expériences à grande échelle ont été menées dans les années soixante-dix (Experimental Housing Allowance Program, EHAP) pour mesurer les effets de l'introduction d'aide directe aux locataires sur la demande de logement, sur les prix, et sur l'offre. Ces expériences ont donné lieu à une littérature abondante (les références sont données dans Rosen, 1985b), mais l'effet sur les loyers n'a pas reçu une grande attention. Deux types d'études ont donné des résultats opposés. D'abord, le EHAP a conclu que `les allocations logement n'ont pratiquement pas d'effet sur le prix du logement, et font peu pour stimuler la construction neuve ou la réhabilitation' (Voir Maney and Crowley, 1999, et les références). Plus précisément Rydell (1982) écrit que les hausses potentielles des loyers suite à celle modeste (4 à 6%) de la demande dans les deux zones du Wisconsin et de l'Indiana qui furent concernées par l'expérience ont pu être atténuées d'un tiers à la moitié par la réponse de l'offre. En fait, la façon dont l'expérience a été menée dans deux petites villes du Middle-West où le marché n'était pas tendu et où tous les ménages éligibles volontaires ont 18 reçu une allocation, rend difficile les conclusions générales faute d'un groupe de contrôle approprié (Rosen, 1985). Crews Cutts et Olsen (2002) insistent sur le résultat de Rydell (1980) sur l'importance de la réponse de l'offre et l’inexistence des hausses de loyers suite à l'expérience. Un résultat totalement opposé est trouvé par Susin (2002). Il étudie l' impact des `vouchers' et `certificates' sur les loyers des 90 plus grandes métropoles américaines en utilisant le fait qu’ils sont inégalement distribués d'une ville à l'autre. Il trouve que là où les vouchers sont plus abondants les ménages à bas revenu ont connu des hausses de loyer plus importantes que là où les vouchers étaient moins abondants. En moyenne, les vouchers auraient fait monter les loyers de 16%, effet important compatible avec une très faible élasticité de l'offre de logement de bas de gamme, jointe à la segmentation du marché en sous- marchés relativement étanches (Sweeney, 1974). Il n'y a pas d'effet de la distribution de vouchers sur les loyers des logements de plus haute qualité. Mais la hausse de la demande qui a suivi la réception de vouchers ne s'est pas accompagnée d'une hausse correspondante de l'offre sur ce sous-marché, où les ménages subventionnés, ou éligibles mais non-subventionnés, ont été en compétition pour les mêmes logements. Susin conclut que les vouchers ont été un important transfert vers les propriétaires et une perte nette pour les ménages à bas revenus, avec un gain pour les bénéficiaires, mais une dégradation du bien-être des non bénéficiaires. Il prône donc une politique de l'offre (construction) pour les bas revenus. En France, Laferrère et le Blanc (2002, 2004) prouvent aussi que les allocations logement ont conduit à une augmentation des loyers, même s'ils ne peuvent en mesurer l'effet à long terme. Ils n'utilisent pas des différences spatiales, mais le calendrier d'une réforme qui a étendu les aides à tous les ménages quel que soit leur logement ou la composition familiale, sous seule condition de ressources. Leur étude se limite au secteur libre. Entre 1990 et 1997 le nombre des allocataires est passé de 1.9 million à 3.1 millions. Sur séries temporelles on remarque une hausse plus rapide des loyers des logements occupés par les bénéficiaires d'allocation que ce ceux des non-allocataires, après la réforme. Aucun effet n'est apparent sur la période de 8 ans avant la réforme. L'observation pourrait provenir d'un afflux de nouveaux ménages dans des logements plus chers: chacun sait qu'un nouveau ménage fait face à un loyer plus élevé puisque l'évolution des loyers est contrôlée pour les locataires en place. Par ailleurs les ménages aidés ont pu choisir grâce à l'aide des logements de meilleure qualité, donc plus chers. Mais l'effet demeure quand on raisonne à ancienneté du locataire donnée, et à qualité 19 observable des logements constante. Une autre façon d'éliminer cet effet de composition, est de raisonner sur des données individuelles en panel trimestriel, c'est-à-dire de suivre un même logement pendant une période qui peut aller jusqu'à 8 trimestres et d'analyser non plus le niveau de loyer, mais l'évolution du loyer d'un même logement. On trouve alors que la hausse du loyer est plus forte quand le nouveau locataire bénéficie d'une allocation et que l'ancien n'en bénéficiait pas, que dans tous les autres cas. Ceci est vérifié sur toute la période, aussi bien avant qu'après la réforme. Ainsi quand un locataire change et que donc le loyer est fixé librement, le propriétaire bailleur augmente-t-il davantage le loyer quand le nouveau locataire est subventionné. Ce comportement des propriétaires existait mais n'était pas vis ible sur les données agrégées avant la réforme, parce que le marché locatif était en régime de croisière: les flux d'entrée dans l'aide étaient à peu près égaux aux flux de sortie de l'aide. La réforme a momentanément augmenté les flux d'entrée dans l'aide, révélant par là que le loyer moyen des logements aidés augmentait davantage que celui des logements dont le locataire n'était pas aidé. Le mécanisme qui pourrait être à l’œuvre en France est celui d'un comportement de discrimination des bailleurs en situation de quasi- monopole. Face à une subvention qui est proportionnelle à la dépense pour les locataires situés au-dessous des plafonds de loyer, l'incitation est grande de repérer que le locataire est aidé (ce qui est possible compte tenu des garanties demandées par les propriétaires) et de s'arranger tacitement ou non pour partager l'allocation avec le locataire. Pour les loyers inférieurs au plafond, une hausse de loyer, prise en charge par l'allocation, ne suscitera pas beaucoup de résistance de la part du locataire. Cette étude ne porte que sur les loyers du secteur libre, mais la même chose a pu se passer en HLM, surtout en cas de logements pour étudiants, où de tels comportements ont été localement documentés. Cependant les loyers HLM sont davantage réglementés. Il est probable que tous les loyers, et non seulement ceux des locataires aidés ont monté à la suite de l'extension des aides au logement et de la hausse de la demande, conformément à ce que prédit la théorie. Plus précisément, si le marché du logement est segmenté, c’est, comme aux Etats-Unis, sur le sous- marché destiné à la population modeste que les hausses seront les plus fortes. C’est exactement ce que trouve une autre étude française (Fack, 2003). Entre 1973 et 2002 ce sont les ménages du premier décile de revenu, donc les plus pauvres, qui ont vu leur loyer monter le plus vite. Trois types d’explication sont possibles. D’abord ces logements ont changé : ils sont plus en particulier plus confortables, ce dont on pourrait se réjouir. 20 Ensuite, les ménages du premier décile eux- mêmes ne sont plus du tout les mêmes. En simplifiant, ils étaient des familles nombreuses et des gens âgés, ils sont maintenant de jeunes locataires, occupant de petits logements, plus chers au mètre carré, dont l’ancie nneté d’occupation est faible (ce qui renchérit encore le coût), et dont le revenu est mal connu (cas des étudiants qui ne déclarent pas les transferts reçus de leurs parents et sont donc parfois classés à tort dans le premier décile). Mais, même une fois prises en compte ces explications structurelles, il reste une légère hausse différentielle des ces loyers qu’on pourrait expliquer par l’introduction des aides au logement. G. Fack estime que 50 à 80% des allocations ont été absorbée par les augmentations de loyer ce qui suggère une offre très inélastique. 4. 3. Les allocations logement permettent-elles aux familles à bas revenu de consommer davantage de logement? Vu l'effet sur les prix, est-ce que les bénéficiaires d'allocation consomment davantage de services de logement que les autres? Susin (2002) répond clairement par la négative pour les USA. Il est probable que l'effet pervers sur les ménages pauvres est moins fort en France, pour deux raisons. D'abord, les allocations logement ne sont pas continge ntées, toutes les familles à bas revenus en profitent, et non pas seulement celles qui ont la chance d'être au sommet d'une liste d'attente ou tirées au sort. La seconde raison est plus hypothétique: on peut penser que les marchés du logement sont moins segmentés en France, de telle sorte que la réponse de l'offre aux allocations logement est plus importante. On peut en voir un exemple dans ce qui s'est passé pour les étudiants: en 1991, les allocations logement furent étendues aux étudiants, indépendamment des ressources de leurs parents. La réponse de l'offre semble avoir été importante: la proportion d'étudiants vivant de façon indépendante a monté de 28 à 40%, et ce dans une période de forte augmentation des effectifs. Et parmi ceux vivant indépendamment, la proportion partageant un logement avec d'autres a baissé de 26 à 16% entre 1988 et 1996 (Laferrère et Le Blanc, 2003). Rappelons toutefois que de telles allocations aux étudiants sont souvent un transfert à leurs parents. Aux USA, Sinai et Waldfolgel (2002) regardent si les zones avec plus de logements sociaux ou plus de vouchers par tête ont aussi plus de logements par tête, en tenant compte des autres déterminants potentiels du nombre de logements. Comme Murray (1999) avant eux, ils trouvent un important effet d’éviction du secteur privé par la construction subventionnée: trois à quatre logements sociaux en plus, font deux à trois logements privé en moins, donc 21 finalement seulement un logement net en plus. Les allocations directes aux locataires leur semblent donc plus efficaces à procurer des logements à des ménages qui n'en auraient pas sans cela, l’effet d’éviction étant plus faible. En France, s'il y a eu effectivement un effet inflationniste sur les loyers, il a pu inciter des propriétaires bailleurs à se porter sur le marché, donc augmenter l'offre. Cette inflation n'est pas forcément néfaste dans une situation où les loyers sont trop faibles pour rémunérer le placement en logement. Mais si tel est le but, ne faudrait-il pas mieux revoir la façon dont les revenus des bailleurs sont taxés? Finalement, il semblerait que les allocations logement soient plus efficaces et causent moins de dommage à la construction du secteur privé que la politique de soutien direct de l'offre. Cependant, à la fois Murray et Susin s'accordent pour dire que les ménages à très bas revenu risquent de ne pas trouver de logement sur le marché: des allocations sont alors pour eux insuffisantes et il peut être utile de subventionner la construction sur ce segment de marché particulier. 4.4. Allocation logement et offre de travail Aux USA la préoccupation que les aides gouvernementales pourraient inciter à ne pas travailler est forte (ainsi que leur incitation à la mono-parentalité). Il y a tout un débat autour de la notion de `pauvre méritant'. Une telle préoccupation a longtemps été absente en France, mais elle est aussi à l'ordre du jour et des études ont montré que le travail des ménages à bas revenu était taxé à des taux confiscatoires (Laroque et Salanié, 2002). En effet pour beaucoup reprendre un emploi, c'est se voir supprimer ou baisser le revenu minimum (RMI) et les allocations logement, et plus généralement tout transfert sous condition de ressources. De plus le RMI ne comptait pas dans les ressources prises en compte dans le calcul, les allocations étaient donc plus hautes sous RMI qu’avec le même revenu fruit d'une activité. Des réformes récentes ont accru les gains financiers du retour à l'emploi mais les modes de calculs deviennent compliqués et de gestion coûteuse. Les distorsions en termes de composition familiales sont moins étudiées. Il semble que deux personnes seules reçoivent davantage d'allocation qu'un couple. Pour les USA, Shroder (2002) fait une revue de la littérature existante et conclut cependant à un effet nul des aides au logement (public housing ou vouchers) sur l'emploi. 22 Conclusion :du logement au voisinage… Examinant les aides au logement, il est apparu que les aides personnelles sont mieux ciblées sur les ménages à bas revenu que les logements sociaux, donc plus équitables, et entraînent moins d'effets pervers sur l'offre, donc aussi plus efficaces. Elles ont eu en revanche un effet inflationniste sur les loyers. Leur effet global sur le bien-être est donc difficile à évaluer. Pour les très bas revenus, l'offre spontanée reste sans doute trop faible, et il peut être justifié de subventionner la construction. Il semble que dans le cas français rendre les loyers HLM fonction du revenu serait une réforme bienvenue qui atténuerait leur effet parfois antiredistributif. La contrepartie serait une désincitation au travail (et un risque de fraude, travail au noir, des coûts administratifs). Quant aux allocations logement leurs conditions d'attribution pourraient être durcies : on distribuerait ainsi les mêmes sommes globales à une population mieux ciblée (on peut douter que la moitié des locataires soient indigents), et elles ne devraient pas être attribuées aux étudiants, la question du financement de leurs études devant être réglée globalement tout autrement. Pour terminer revenons à la question de l'effet des politiques de logement au delà du seul effet sur les prix ou le revenu. Quel est vraiment l'effet du voisinage sur les comportements et la vie des individus ? Si un logement va avec des biens publics locaux, tels les écoles, les groupes de référence (les `pairs'), des emplois et une vie de quartier, la politique du logement va au-delà du logement au sens étroit. En France le débat s'est focalisé sur la mixité sociale et une loi de décembre 2000 (loi Solidarité et Renouvellement Urbain) prescrit une norme de 20% de logement sociaux dans les communes des agglomérations de plus de 50 000 habitants, sous peine d'amendes redistribuées vers les communes à fort taux de logement HLM. Il semble que bien des communautés ne puissent atteindre ce seuil fixé arbitrairement, et préfèrent payer. Mais quel est l'effet de la présence de logements sociaux sur un voisinage, plus généralement quel est le `bon’ niveau de mixité sociale? Il est très difficile de répondre à de telles questions (Préteceille, 2000, Galster, 2001). Aux USA où la ségrégation spatiale est un problème encore plus crucial (en partie parce que beaucoup dépend des impôts locaux) les études sur ce sujet se développent, avec des résultats parfois contre intuitifs. Bayer et al. (2003) appliquent un modèle à la région de San Francisco, où l’élimination des inégalités de revenu et de 23 patrimoine entre races pourrait conduire à une augmentation de la ségrégation résidentielle, à cause de la structure des préférences ou des discriminations (sans qu’on puisse distinguer entre les deux). Il y aurait alors des quartiers riches de noirs et d'hispaniques. La discrimination (ou les préférences) actuelle entraînent une réduction de la consommation de logement, de la sécurité ou de la qualité des écoles pour les noirs et les hispaniques, surtout pour les plus riches d'entre eux pour qui le fossé est plus large. En l'absence de préférence de telle ou telle race pour un quartier particulier, les noirs et les hispaniques pourraient consommer beaucoup plus de `qualité d'école’. Les auteurs en concluent que déconnecter les choix de logement de ceux d'école publique pourrait bénéficier à certaines minorités défavorisées. En France, Goux et Maurin (2003) mettent aussi en évidence des effets de quartier sur les résultats scolaires des enfants. Mais déterminer l'effet de la vie en HLM ou des allocations logement sur par exemple la santé, les comportements des enfants, leur éducation, la délinquance, le taux de famille monoparentales, la transmission de la pauvreté d'une génération à l'autre, n'est pas sans embûches. Il faut en effet trouver le bon groupe de comparaison: où et dans quel type de logement habiterait le ménage s'il n'était pas aidé? De même l’étude des effets du quartier doit les isoler des effets de l’environnement familial, alors que les familles choisissent le quartier qui correspond à leur besoins et leurs moyens : il y a ce qu’on appelle de l’auto-sélection. Aux USA, comme pour les allocations, des expériences, telle le Moving To Opportunity Program, ont eu lieu. Elles ont consisté à donner des allocations logement à des ménages choisis au hasard parmi les habitants des logement sociaux pour leur permettre de se reloger dans des zones où le taux de pauvreté était inférieur à 10%. De nombreuses estimations ont été menées, mais peu de conclusions radicales s'en dégagent. A partir d'un échantillon de ménages de Boston, Katz et al. (2001) trouvent que sous bien des aspects, les ménages relogés sont radicalement mieux lotis (meilleure santé, sécurité améliorée), surtout en ce qui concerne les enfants (réduction des problèmes de comportements des jeunes garçons en particulier). Mais sous d'autres, il n'y a pas de résultats tangibles (emploi, salaires, réception d’aide sociale), peut-être parce qu’il faudra les observer sur le long terme. A la suite de la démolition de HLM à Chicago, Jacob (2003) trouve que les enfants qui ont quitté leur quartier ne réussissent ni mieux ni moins bien que ceux qui n'ont pas bougé. En fa it, bien des familles ont déménagé vers des quartiers très similaires, et les enfants ne sont pas arrivés dans des écoles de meilleurs qualité. D'autres études et expériences restent à faire, en particulier sur l’effet de l’arrivée de familles pauvres sur les quartiers d’accueil. 24 Références Arnott, Richard, (1995). Time for revisionism on rent control?, Journal of Economic Perspectives, 9, 1, 99-120. Atkinson A. et J. Stiglitz, The Design of the Tax Structure: Direct versus Indirect Taxation, Journal of Public Economics, 6, 55-75. Bayer, Patrick, McMillan, Robert NMI et Kim Rueben, (2003). 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