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UNIVERSITE Lille 2, Droit et santé Ecole doctorale n° 74 Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales Mémoire de DEA de droit social Présenté par Alice DANG EGALITE DE TRAITEMENT ET LIBRE CIRCULATION DES TRAVAILLEURS EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA PROTECTION SOCIALE Sous la direction de Monsieur Olivier FARDOUX Année 2001-2002 à Athina, 2 SOMMAIRE INTRODUCTION.......................................................................................................................6 PREMIÈRE PARTIE :L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UNE ÉTENDUE UNIVERSELLE 20 CHAPITRE I. LA NOTION EXTENSIVE DE TRAVAILLEUR .....................................................23 SECTION I. La définition large du travailleur en droit communautaire de la sécurité sociale24 SECTION II. La souplesse des conditions d’octroi des prestations 36 CHAPITRE II. LA CONCEPTION LARGE DES PRESTATIONS SOCIALES .................................48 SECTION I. La délimitation floue du champ d’application matériel 48 SECTION II. La libéralisation jurisprudentielle de la protection sociale 59 SECONDE PARTIE :L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UN PRINCIPE ÉVOLUTIF 71 CHAPITRE I. L’ÉGALITÉ ENVISAGÉE COMME INSTRUMENT DE RÉALISATION DE LA LIBRE CIRCULATION DES TRAVAILLEURS ......................................................................................73 SECTION I. L’égalité de traitement, principe directeur du droit de la sécurité sociale 73 SECTION II. L’égalité de traitement, instrument d’efficacité des règles de coordination 82 3 CHAPITRE II. L’ÉGALITÉ ENVISAGÉE COMME DROIT FONDAMENTAL DE LA PERSONNE HUMAINE.............................................................................................................................100 SECTION I. Les transformations du principe d’égalité à travers les avantages sociaux 100 SECTION II. L’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes de sécurité sociale110 4 TABLE DES ABREVIATIONS a. Autres aff. Affaire AJDA Actualité juridique de droit administratif ASSEDIC Associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce Bull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation c. Contre Cah. dr. eur. Cahiers de droit européen Cass. Cour de cassation CE Communauté européenne CEE Communauté économique européenne Civ. Chambre civile de la Cour de cassation CJCE Cour de justice des Communautés européennes chron. Chronique Coll. Collection Concl. Conclusions de l’Avocat général coord. Coordination CRDS Contribution au remboursement de la dette sociale CSG Contribution sociale généralisée D. Recueil Dalloz, édition générale dir. Direction Dr. ouvrier Droit ouvrier Dr. Soc. Droit social Fasc. Fascicule Ibid. Ibidem J.-Cl. Jurisclasseur JDI Journal de droit international JO Journal officiel JOCE Journal officiel des Communautés européennes LGDJ Librairie générale de jurisprudence n° Numéro 5 obs. Observations OIT Organisation internationale du travail Op. cit. Opere citato p. Page pp. Pages PUAM Presses universitaires d’Aix-Marseille PUF Presses universitaires de France PUG Presses universitaires de Grenoble RD sanit. soc. Revue de droit sanitaire et social RDP Revue de droit public RDUE Revue du droit de l’Union européenne Rec. Recueil des décisions du tribunal de première instance et de la Cour de Justice des Communautés européennes RF Revue fiduciaire RI trav. Revue internationale du travail RJS Revue de jurisprudence sociale RMC Revue du Marché commun RMUE Revue du Marché unique européen RTD europe Revue trimestrielle de droit européen s. Pages suivantes Soc. Chambre sociale de la Cour de cassation Traité CE Traité instituant la Communauté européenne V° Voir 6 INTRODUCTION « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes ». Jean MONNET, Mémoires, Paris : Fayard, 1976. De la Charte de l’Atlantique1 à la Charte sociale européenne, bon nombre d’instruments ont oeuvré sur le plan communautaire comme sur le plan international, pour un droit à la protection sociale. La Conférence internationale du travail constituait en 1944 la nouvelle charte de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), et la Charte des Nations Unies préconisait le relèvement du niveau de vie dans l’ordre économique et social. Le principe du « droit à la sécurité sociale », fondé sur des impératifs de « dignité et de libre développement de la personnalité », a été expressément affirmé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, dont l’article 25 prescrit le droit à un niveau de vie suffisant ainsi que le droit à une protection particulière contre certaines éventualités. L’action normative d’organisations internationales et intergouvernementales comme l’OIT2 ou le Conseil de l’Europe, va favoriser le développement de la protection sociale internationale. La Convention n° 102 de l’OIT de 1952 concerne « la norme minimum de la sécurité sociale ». Plusieurs autres conventions prévoient la protection des personnes qui se déplacent à l’étranger pour y exercer une activité professionnelle par l’instauration du principe d’égalité de traitement en matière de sécurité sociale3. Le Conseil de l’Europe a adopté trois principaux instruments normatifs internationaux, la Charte sociale européenne du 18 octobre 1961, la Convention européenne relative au statut juridique du 1 Le 5ème considérant de la Charte de l’Atlantique signée le 12 août 1941 affirme la nécessité « d’établir la collaboration la plus complète entre toutes les nations dans le domaine économique, afin d’assurer à tous de meilleures conditions de travail, une situation économique plus favorable et la sécurité sociale ». 2 PERRIN (G.), « Les fondements du droit international de la sécurité sociale », Dr. soc., 1974, p. 479. 3 Convention n° 19 du 5 juin 1925 sur l’égalité de traitement des travailleurs étrangers et nationaux en matière de réparation des accidents du travail ; Convention n° 97 relative à l’égalité de traitement pour tous les risques couverts par un système de sécurité sociale ; Convention n° 118 sur l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale. 7 travailleur migrant du 24 novembre 1977 et le « Code » européen de sécurité sociale du 16 avril 1964. Ces normes internationales exercent une influence sensible sur les droits nationaux. Cependant, celles qui retiennent notre attention sont les normes sociales communautaires adoptées dans le cadre de l’Union européenne. Cerner la portée du droit communautaire de la protection sociale nécessite au préalable un bref retour aux sources. Le traité instituant la Communauté européenne (traité CE) prime sur l’ensemble des normes édictées par les Etats membres. Afin de réaliser les objectifs qui y sont visés, les institutions européennes élaborent des règles de droit communautaire dérivé qui s’imposent aux quinze Etats membres. De portée générale, le règlement est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable en droit interne. La directive « lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens4 ». Elle fixe en général un délai au terme duquel les Etats doivent avoir adopté les mesures nationales de transposition. Elle n’est donc pas, en principe, directement applicable dans l’ordre juridique interne5. La jurisprudence tient également une place importante parmi les sources du droit communautaire. Les méthodes d’interprétation et le recours aux principes généraux du droit6 confèrent à la Cour de justice des Communautés européennes une mission normative. Ainsi, la méthode téléologique consiste pour la CJCE à interpréter les dispositions qui lui sont soumises à la lumière des objectifs à atteindre. Lorsque, confrontée à un problème d’interprétation de normes communautaires, une juridiction nationale pose à la Cour une question préjudicielle, la solution de cette dernière s’impose au juge et aux autorités nationales. Les principes généraux du droit dégagés par la Cour possèdent une autorité supérieure à celle du droit dérivé et s’imposent aux Etats membres pour les mesures relevant du champ d’application et de l’exécution du droit communautaire. Un de ces 4 Article 249 du traité CE. 5 ISAAC (G.), BLANQUET (M.), Droit communautaire général, 8ème édition, Coll. U, Paris : Armand Colin, 2001, p. 133 et s. 6 PAPADOPOULOU (R.-E.), Principes généraux du droit et droit communautaire, Bruxelles : Bruylant, 1996, p. 59-80. 8 principes généraux du droit, l’égalité de traitement, retiendra toute notre attention, car de son respect dépend la réalisation des objectifs à atteindre. Sur le plan communautaire, le traité de Rome du 25 mars 1957 institue une Communauté européenne afin de réaliser le Marché commun, par la mise en place de politiques communes comme l’établissement de la libre circulation des marchandises, des personnes, des capitaux et des services et l’instauration de la libre concurrence. La mission de la Communauté est essentiellement économique. Cependant, « l’expansion économique ne doit pas être considérée comme une fin en soi. Elle doit aussi permettre l’amélioration de la qualité et du niveau de la vie7 ». Le marché du travail est nécessaire à la mise en oeuvre du Marché commun, ce qui implique d’en maîtriser les conditions et le fonctionnement. Les impératifs de la libre circulation des travailleurs qui se déplacent pour exercer un emploi, nécessitent que soit facilitée leur migration au sein de l’Union, notamment par l’existence d’une protection sociale adéquate. Certains s’accordent à supposer que du fonctionnement du Marché intérieur découlera naturellement le progrès social8. Cependant, l’élaboration d’une politique sociale reste nécessaire, non pour « corriger les effets des injustices résultant de la politique économique, mais afin de créer les bases de conditions de vie justes et humaines9 ». Bien que laborieuse, l’action de la Communauté en matière sociale a permis l’émergence, outre le droit européen du travail proprement dit, d’un droit communautaire de la protection sociale. En l’absence de définition textuelle de la protection sociale, on peut reprendre les termes de Monsieur Kessler selon lesquels « la protection sociale peut être définie comme la combinaison de diverses techniques de prise en charge de risques sociaux et de besoins sociaux à un moment donné. Le droit à la protection sociale est l’ensemble des normes qui rendent compte des solutions ainsi retenues10 ». Bien que certains auteurs les considèrent 7 CHEVAL (C.), « Politique sociale européenne et nouvelle société », in Etudes de droit du travail offertes à A. Brun, Paris : Libraire sociale et économique, 1974, p. 139. 8 DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, p. 432. 9 CHEVAL (C.), « Politique sociale européenne et nouvelle société », in Etudes de droit du travail offertes à A. Brun, Paris : Libraire sociale et économique, 1974, p. 139. 10 KESSLER (F.), Droit de la protection sociale, Coll. Cours, Paris : Dalloz, 2000, p. 1. 9 comme synonymes, la notion de protection sociale doit être distinguée de celle de « sécurité sociale11 ». Cette dernière a vocation à ne couvrir que certains risques concernés par les régimes de base obligatoires, auxquels cotisent les assurés. La protection sociale englobe une réalité plus large, puisqu’elle vise à couvrir tant les risques que les besoins sociaux. Dès lors, acquérir une vision complète du droit communautaire de la protection sociale nécessite de ne pas se limiter aux seuls risques couverts par les régimes de base. Toutefois nous nous efforcerons autant que possible de limiter notre étude aux besoins sociaux qui se rattachent plus ou moins directement aux prestations de sécurité sociale. Nous exclurons donc de nos développements la protection des personnes dans leurs conditions d’emploi et de travail stricto sensu. La politique sociale de la Communauté fait l’objet d’un chapitre spécifique dans le traité CE. Les institutions communautaires ont le pouvoir d’édicter des règles contraignantes afin de soutenir et compléter les actions des Etats membres dans le domaine social en général et de la protection sociale en particulier. Cependant, certains obstacles freinent l’action de la Communauté dans son entreprise d’harmonisation des normes sociales. Les systèmes nationaux de protection sociale se caractérisent par une diversité due à la différence de conceptions qui président à l’élaboration des législations nationales. Certains systèmes de protection sont fondés sur une logique d’assurance sociale12. Celle-ci consiste de la part du travailleur, à s’assurer financièrement contre la survenance de certains risques de l’existence, au moyen de cotisations sociales. Fortement liée à l’exercice d’une activité professionnelle, la protection ainsi acquise s’apparente à une technique d’assurance classique. D’autres systèmes retiennent comme critère les besoins de la personne envisagée en tant que telle, privilégiant une logique dite « assistancielle ». Chaque individu a le droit à la protection sociale. Les risques et les besoins auxquels celui-ci est amené à faire face, sont couverts par l’ensemble de la collectivité. La plupart des systèmes nationaux consistent à inclure ces deux logiques dans leur système de protection, dans des proportions différentes 11 Ibid. 12 DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, p. 44. 10 selon les Etats membres. Ces derniers se livrent parfois à ce que certains appellent une « conquête sociale13 ». Il suffirait pour les institutions communautaires d’adopter des mesures tendant à l’harmonisation des différents systèmes. Or, les réticences permanentes des Etats membres rendent cette entreprise utopique14. L’enjeu est double. D’une part, dans les Etats qui assurent à leurs travailleurs une protection sociale élevée, les bénéficiaires refuseront de perdre certains de leurs droits en vertu d’une unification des normes nationales. D’autre part, dans les Etats qui ne proposent qu’une moindre protection compte tenu de leur situation économique, une harmonisation « vers le haut » entraînerait de graves conséquences financières nuisibles, tant pour l’équilibre du système de protection sociale lui-même que pour la compétitivité économique de l’Etat concerné sur le plan communautaire. Malgré la multiplication des compétences sociales de la Communauté, la sécurité sociale et la protection sociale sont de rares domaines où subsiste la règle de l’unanimité des décisions, ce qui freine l’action de la Communauté dans l’adoption de règles normatives, celles-ci nécessitant l’accord de chacun des Etats membres. Dans les faits, il n’est donc pas de norme communautaire unifiée de protection sociale s’imposant aux Etats membres. Toutefois, il est possible de mentionner l’existence de directives qui s’inscrivent dans le cadre de l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes15. La directive 76/207/CEE relative à l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’accès à l’emploi et les conditions de travail prévoit que seront progressivement mises en place des dispositions concernant l’égalité des sexes en matière de sécurité sociale. Dans le cadre de la politique sociale de la Communauté furent adoptées successivement deux autres directives, l’une sur l’égalité entre hommes et femmes dans les régimes légaux de sécurité sociale16, l’autre relative à l’égalité des sexes dans les régimes professionnels17 de sécurité sociale. 13 VELDKAMP (G.-M.-J.), « L’harmonisation de la sécurité sociale dans la Communauté économique européenne », Dr. soc., n° 12, 1968, p. 674. 14 Ibid. 15 Directive 75/117/CEE du Conseil du 10 Février 1975 relative à l’égalité des rémunérations, JOCE, n° L 45, du 19 février 1975, p. 19 ; Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à l’égalité dans l’accès à l’emploi et les conditions de travail, JOCE, n° L 39 du 14 février 1976, p. 40. 16 Directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale , JOCE, n° L 6 du 10 janvier 1979, p. 24. 11 Les institutions de l’Union européenne ne peuvent que mettre en œuvre une politique de convergence des politiques sociale. Celle-ci se traduit par la fixation d’objectifs communs à l’égard des Etats membres, tout en maintenant la diversité des systèmes, afin d’unifier le niveau de charges et de protection sociale. La Commission, par des études, avis, recommandations ou consultations, peut encourager la coopération des Etats membres et faciliter la coordination de leurs actions18. L’absence de normes contraignantes pour les Etats membres s’accompagne d’une autre difficulté tenant au caractère territorial des systèmes nationaux de protection sociale. Le principe de territorialité des systèmes de protection sociale s’explique par le fait que les lois de sécurité sociale ont un caractère d’ordre public. La sécurité sociale est couramment considérée comme un service public. A ce titre les Etats membres ne leur permettent pas de recevoir une application hors du territoire national. Dans les Etats où la protection sociale répond à la logique de l’assurance, le bénéfice des prestations est lié à l’exercice d’une activité professionnelle qui donne lieu à une affiliation au régime de sécurité sociale du lieu où est exercée cette activité19. S’agissant de l’aide sociale, celle-ci est attribuée en fonction de l’état de besoin de l’intéressé. Or l’insuffisance des ressources est évaluée en fonction de l’environnement économique et social de l’Etat concerné. Un minimum social dans un pays peut ne pas être considéré comme tel dans un autre. Toutes ces raisons expliquent que les Etats prévoient fréquemment une applicabilité de leur législation uniquement sur leur territoire. En d’autres termes, la sécurité sociale est par principe non exportable. La territorialité de la protection sociale présente des risques non négligeables pour le travailleur qui transfère le lieu de sa résidence ou de son emploi sur le territoire d’un autre Etat membre. L’acquisition de certains droits est subordonnée à l’accomplissement de périodes de travail, de résidence ou d’affiliation. L’absence d’exportation des prestations sociales nationales dans un autre Etat membre entraîne une perte de droits acquis par le travailleur qui se déplace. Le principe de territorialité de la protection sociale constitue 17 Directive 86/378/CEE du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale, JOCE, n° L 225 du 12 août 1986, p. 40. 18 Article 140 du traité CE. 19 RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p. 12 donc un obstacle à la mobilité professionnelle des travailleurs, contraire aux objectifs économiques que la Communauté s’était donnée pour mission de réaliser, parmi lesquels la libre circulation des travailleurs. L’action de la Communauté, comporte parmi ses objectifs la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. Ce sont en fait quatre libertés économiques qui s’insèrent dans la réalisation du Marché commun prévu par le traité de Rome. La libre circulation des personnes à laquelle seront consacrés nos développements, implique « le droit pour les travailleurs de se déplacer librement à l’intérieur de la Communauté pour exercer une activité salariée, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique20 ». De cette liberté découle le droit de séjourner sur le territoire d’autres Etats membres pour y exercer un emploi, et celui d’y demeurer après y avoir occupé un emploi. Si ces dispositions s’adressent a priori aux travailleurs, pourquoi l’intitulé du titre III du traité CE fait-il référence aux personnes ? Une première réponse peut être apportée par le règlement 1612/68, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté21. Celui-ci inclut dans son champ d’application les membres de la famille des travailleurs. Le 5ème considérant du règlement indique que « le droit de libre circulation exige, […] d’éliminer les obstacles qui s’opposent à la mobilité des travailleurs, notamment en ce qui concerne le droit pour le travailleur de se faire rejoindre par sa famille, et les conditions d’intégration de cette famille dans le milieu du pays d’accueil ». Cette liberté est liée à l’existence d’une relation de travail, mais elle ne s’y limite pas, l’intéressé pouvant circuler dans la Communauté avec les membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité. Les seules conditions requises sont que les membres de la famille soient à la charge du travailleur et que celui-ci dispose d’un logement « normal » pour les y accueillir. Une seconde explication tient au dépassement de la dimension économique du traité de Rome. La Communauté ne peut se réduire à l’apparence d’une « Europe des marchands », 20 Article 39 § 1 du traité CE. 21 Règlement 1612/68 du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 257 du 19 octobre 1968. 13 mais elle doit également contribuer à l’épanouissement d’une Europe sociale et politique. En d’autres termes, la réalisation des objectifs économiques ne peut devenir réellement effective s’il n’est pas tenu compte des aspects sociaux et politiques. La dimension sociale est traitée de manière secondaire par le traité CE. Dès 1972, les chefs d’Etat et de gouvernement déclaraient : « L’expansion économique, qui n’est pas une fin en soi doit, par priorité, permettre d’atténuer la disparité des conditions de vie. Elle doit se poursuivre avec la participation de tous les partenaires sociaux. Elle doit se traduire par une amélioration de la qualité aussi bien que du niveau de la vie. […] ». La dimension politique a quant à elle été consacrée par la reconnaissance dans le traité de Maastricht22 du concept de « citoyenneté de l’Union ». Cette notion a des incidences sur la libre circulation puisque désormais, « toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire d’autres Etats membres », sans qu’il ne soit fait référence à la condition économique du bénéficiaire23. La libre circulation des travailleurs est devenue une libre circulation des personnes. Voyons comment cet objectif se réalise en matière de protection sociale. L’article 42 du traité CE prévoit que « le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251, adopte, dans le domaine de la sécurité sociale, les mesures nécessaires pour l’établissement de la libre circulation des travailleurs ». Compte tenu de la diversité des législations de sécurité sociale, il s’agit d’éliminer les obstacles qui s’opposent à la mobilité intra communautaire. Si la Communauté ne peut prendre des mesures tendant à harmoniser les législations nationales, elle peut cependant adopter d’autres normes contraignantes pour réduire les risques d’entrave à la libre circulation des travailleurs. Ceux-ci ne doivent pas être pénalisés par la perte de leurs droits acquis sous l’empire d’une législation, du fait de leur déplacement sur le territoire d’un autre Etat membre. C’est pourquoi, d’une part, le traité préconise à l’avantage des travailleurs migrants la possibilité d’une « totalisation, pour l’ouverture et le maintien du droit aux prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales ». L’article 42 du traité CE met ainsi en échec le principe 22 Traité sur l’Union européenne, 7 février 1992, JOCE, n° C 125 du 18 mai 1992. 23 KOVAR (R.), SIMON (D.), « La citoyenneté européenne », Cah. dr. eur., 1993, p. 285. 14 de territorialité qui domine les législations nationales, en permettant que des prestations acquises dans un pays puissent être servies sur le territoire d’un autre Etat membre. D’autre part, le Conseil doit assurer le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des Etats membres. La réalisation de la libre circulation des travailleurs en matière de protection sociale nécessite des instruments de mise en œuvre. Le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), outre les prescriptions relatives à l’égalité de traitement entre les travailleurs nationaux et immigrés en matière de rémunération, enjoignait les Etats membres à faire en sorte que les dispositions de sécurité sociale n’entravent pas la mobilité de main d’œuvre. Dans cette optique, une « convention européenne concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants » fut signée le 9 décembre 1957. Mais cette convention ne permettait pas une complète réalisation de la libre circulation des travailleurs, puisqu’elle ne s’adressait qu’à ceux qui étaient employés dans le secteur du charbon et de l’acier. Sous l’empire du traité de Rome, cette convention fut transformée par le règlement 3/58 du 25 septembre 1958 relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants24. Pris en application de l’article 42 du traité, ce texte de droit dérivé organise la coordination entre les différentes législations de sécurité sociale. Il met fin aux effets de la territorialité en évitant les ruptures de protection et les conflits de lois qui pénalisent le travailleur, en instaurant des mécanismes de détermination des législations applicables et de conservation des droits acquis. En 1971, le règlement 1408/7125 remplace le précédent pour s’adapter aux élargissements communautaires et à l’interprétation très extensive de la libre circulation des travailleurs par la Cour de justice des Communautés européennes. La libre circulation des travailleurs implique, tel que le prescrit l’article 39 § 2 du traité CE, « l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ». L’égalité de traitement bénéficie aussi bien au travailleur qu’aux membres de sa 24 Règlement n° 3/58 du 25 septembre 1958, relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants, JOCE, n° 30, du 16 décembre 1958. 25 Règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1971, n° L 149. 15 famille. Toute atteinte à ce principe, qu’elle soit directe ou indirecte, est considérée comme une entrave à la libre circulation des travailleurs que la Communauté doit éliminer. L’ensemble des actions entreprises par la Communauté en vue de réaliser sa mission est subordonné à l’élimination des inégalités et à la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes26. Principe général du droit, l’égalité de traitement est formalisée par l’article 12 du traité CE selon lequel « Dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ». Ce principe général du droit communautaire comprend notamment l’interdiction des discriminations selon la nationalité ou selon le sexe. La non-discrimination peut se définir comme la prohibition des distinctions fondées sur un critère interdit. L’égalité de traitement présente une portée plus large car elle dépasse l’emploi direct d’un critère interdit, pour condamner les différences fondées sur d’autres critères mais qui aboutissent au même résultat, c’est à dire les discriminations indirectes. En revanche, elle autorise parfois de prendre en compte des disparités de situations telles que la sous représentation d’une catégorie donnée, pour appliquer à celle-ci une différence de traitement, dans le but de rétablir une égalité concrète. C’est ce que la doctrine appelle la discrimination positive. La notion de non-discrimination entraîne une obligation de ne pas faire, tandis que celle de l’égalité de traitement fait appel à des actions positives27. Néanmoins, ces termes sont employés indifféremment en droit communautaire qui les résume tous deux par l’interdiction de traiter différemment des situations comparables et ne pas traiter de manière identique des situations différentes. L’égalité de traitement est prévue à l’article 3 du règlement 1408/71 selon lequel « Les personnes qui résident sur le territoire de l’un des Etats membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout Etat membre dans les mêmes conditions que 26 Article 3 § 2 du traité CE 27 ROBIN-OLIVIER (S.), Le principe d’égalité en droit communautaire, Thèse Aix-Marseille, PUAM, 1999, p. 19. 16 les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement ». Ce principe se présente comme l’élément central sur lequel reposent règles de coordination. Celles-ci ne peuvent recevoir d’effectivité si le travailleur migrant fait l’objet de dispositions moins favorables que les nationaux des Etats membres. L’application du règlement 1408/71 est donc subordonnée à l’égalité sans le respect de laquelle la libre circulation ne se résumerait qu’à un principe théorique. Les termes du règlement tout comme ceux qui permettent la réalisation des objectifs communautaires, font l’objet d’interprétations ambitieuses de la CJCE. La Cour de justice a joué un rôle considérable dans l’interprétation des dispositions de droit communautaires relatives à la libre circulation des travailleurs et à l’égalité de traitement en matière de protection sociale. Institution autonome, elle est à l’origine de nombreuses modifications du droit communautaire primaire et dérivé. Cette juridiction a pour mission d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité CE28. Pour éliminer les conflits nés des divergences d’interprétation du droit communautaire par les Etats membres, la Cour en assure une application uniforme. Son pouvoir est quasi-normatif, d’une part parce que ses décisions ont force obligatoire et exécutoire à l’égard des Etats membres, et d’autre part parce qu’elle est habilitée à invalider les dispositions communautaires qu’elle juge incompatibles avec la finalité du traité. Le mode de saisine le plus fréquent de la Cour demeure le renvoi préjudiciel. Celui-ci est le fait par une juridiction nationale saisie d’un litige où se pose le problème de l’application du droit communautaire, de demander à la Cour d’interpréter la norme litigieuse. La CJCE peut également être amenée à se prononcer à l’occasion d’un recours en manquement intenté à l’encontre d’un Etat membre par la Commission29. Ce bref rappel des compétences de la Cour de justice est nécessaire, car la plupart des transformations du droit communautaire de la protection sociale sont issues de ses interprétations. 28 ISAAC (G.), BLANQUET (M.), Droit communautaire général, 8ème édition, Coll. U, Paris : Armand Colin, 2001, p. 170 et s. 29 Article 226 CE : « Si la Commission estime qu’un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu du présent traité, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet Etat en demeure de présenter ses observations. Si l’Etat en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice ». 17 L’objet de cette étude est de montrer quels rapports entretiennent l’objectif de libre circulation des travailleurs et le principe d’égalité de traitement en droit communautaire de la protection sociale. Depuis la signature du traité de Rome en 1957, la conception des objectifs poursuivi par la Communauté a connu de profonds bouleversements, au premier rand desquels la mutation du principe de libre circulation des travailleurs. Conçue à l’origine comme une liberté économique, la libre circulation ne pouvait fonctionner selon une acceptation aussi réductrice, notamment en matière de protection sociale. Il est par exemple inutile de penser qu’un travailleur puisse transférer sa résidence ou son lieu de travail sur le territoire d’un autre Etat membre, sans qu’il soit possible de se faire rejoindre par les membres de sa famille30. Il est tout aussi vain de croire que le regroupement familial tel qu’envisagé par le droit communautaire, puisse s’exercer sans que la famille du travailleur soit en mesure de bénéficier d’une protection sociale adéquate. Même si elle présente un lien avec l’exercice d’une activité économique, l’amélioration du niveau de vie du travailleur et de sa famille relève moins d’une considération professionnelle que d’une nécessité humaine et sociale. En témoignent les élargissements textuels de cette liberté aux non actifs et à l’ensemble des citoyens de l’Union, ainsi que l’emploi parfois indifférencié des notions de « travailleurs » et de « personnes ». La généralisation de la libre circulation des travailleurs, favorisée par la jurisprudence nécessite l’adaptation des instruments normatifs qui la mettent en œuvre. Ainsi le règlement 1408/71 prévoit-il un champ d’application et des règles dont la portée dépasse le simple cadre des objectifs fixés par le traité de Rome31. L’interprétation extensive de la notion de sécurité sociale par la Cour de justice va également dans le sens de la protection des personnes et des citoyens entendus comme tels. Il en découle naturellement une mutation du principe général d’égalité de traitement qui, envisagé comme le corollaire direct de la libre circulation des personnes voit son domaine d’application élargi. 30 Selon le troisième considérant du règlement 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs, « La libre circulation constitue pour les travailleurs et leur famille un droit fondamental ». 31 Le règlement 1408/71 inclut par exemple dans son champ d’application personnel les fonctionnaires et personnels assimilés. 18 La réalisation de la libre circulation des personnes ne doit pas se réduire à des actions dans le seul domaine de la sécurité sociale auquel se limitent les règles de coordination. Ce domaine ne représente qu’une partie des évolutions ayant conduit au dépassement de la dimension économique. Admettre que les inactifs puissent exercer leur droit de circuler suppose que ceux-ci bénéficient d’un minimum de protection sociale. Cette possibilité ne relève pas du règlement 1408/71 qui exclut expressément l’aide sociale de son champ d’application. Permettre aux enfants des travailleurs migrants de suivre des études dans de bonnes conditions suppose que ces dites conditions ne soient pas plus difficiles à remplir pour le ressortissant communautaire que pour les sédentaires. Ces exigences en matière d’éducation ne comptent pas parmi les risques énumérés par le règlement 1408/71. Afin de ne pas priver ces personnes d’une réelle chance de s’intégrer socialement dans un Etat membre donné, la Cour de justice a recours à la notion d’avantage social prévue dans le règlement 1612/68. Dans ce domaine, l’égalité de traitement trouve également sa place. L’article 7 § 2 dispose que le travailleur bénéficie sur le territoire des autres Etats membres, « des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ». Le lien avec une activité économique, même s’il est mentionné expressément dans le règlement par les notions d’emploi, de travail ou de rémunération, se relâche au fur et à mesure des interprétations jurisprudentielles. La notion d’avantage social prend une signification tellement large que le lien avec la libre circulation des travailleurs devient presque imperceptible. Dans ces circonstances, quelle valeur convient-il de donner au principe d’égalité ? Doiton continuer à le considérer comme un simple instrument de réalisation de la libre circulation des travailleurs, ou au contraire est-il possible de l’ériger en tant qu’objectif à part entière de la Communauté ? Les diverses constatations qui ont permis notre analyse nous conduisent à privilégier la seconde hypothèse. Le principe de non-discrimination, même s’il a souvent été lié à l’objectif de libre circulation des travailleurs, a fait l’objet de dispositions spécifiques dès la signature du traité de Rome. Certaines normes de droit communautaire dérivé ont pour seul objectif d’éliminer les différences de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rémunération et de sécurité sociale. La mise en œuvre de la prohibition des 19 discriminations en raison de la nationalité ou du sexe se détache parfois exclusivement de toute considération économique, pour protéger les personnes en tant qu’êtres humains. C’est en cela que certains auteurs évoquent ce principe comme une satisfaction des impératifs de liberté et de dignité de la personne32. C’est aussi en cela que la Cour de justice considère l’égalité de traitement comme un droit fondamental de la personne humaine33. Ce droit à l’égalité de traitement apparaît autant comme un objectif à atteindre au même titre que la libre circulation des travailleurs, que comme un instrument au service de cette liberté. Une démarche en deux temps sera nécessaire pour montrer que les transformations du droit communautaire de la protection sociale ont permis à l’égalité de traitement de dépasser le simple cadre de la libre circulation des travailleurs. D’une part, les interprétations extensives de la jurisprudence communautaire ont permis d’élargir le domaine d’application de ce principe au-delà des règles de mise en œuvre de cette liberté. L’égalité ressort de l’étude du champ d’application du droit communautaire de la protection sociale, comme un principe d’étendue universelle (Première partie). D’autre part, l’analyse des règles communautaires de sécurité et de protection sociale met en évidence la capacité d’adaptation du principe d’égalité aux changements de mentalité et aux mutations qui affectent les conceptions originelles du traité de Rome. L’émancipation de l’égalité de traitement, stimulée par la jurisprudence de la Cour de justice est rendue possible grâce à son caractère évolutif (Seconde partie). 32 MATTERA (A.), « La libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté européenne », RMUE, 4/1993, p. 47. 33 CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec., p. 455. 20 PREMIERE PARTIE : L’EGALITE DE TRAITEMENT EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SECURITE SOCIALE, UNE ETENDUE UNIVERSELLE 21 Le droit communautaire est marqué par une certaine variabilité de son champ d’application, selon le domaine étudié. Dans le cadre du principe d’égalité de traitement, on peut relever trois niveaux de protection. L’article 12 du Traité pose comme principe général l’interdiction des discriminations exercées en raison de la nationalité. L’article 13 dispose que « le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ». En matière de libre circulation des travailleurs, c’est la dimension économique qui prévaut. L’article 39 du Traité et l’article 7 du règlement 1612/68, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté34, prévoient la protection des travailleurs entendus à l’origine comme agents économiques. Sont ainsi interdites les discriminations entre les travailleurs ressortissants des Etats membres et les travailleurs nationaux, quant à leurs conditions d’emploi, de rémunération et autres conditions de travail. Deux visions de l’égalité de traitement peuvent expliquer son étendue et sa portée en droit communautaire. Ce principe peut tout d’abord être perçu comme un instrument de réalisation de la libre circulation des travailleurs. Cette liberté économique constituant un des éléments essentiels du Marché commun, il est nécessaire de faire disparaître tout ce qui constitue pour elle une entrave. La libre circulation implique, selon l’article 39 du traité CE, « l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ». Le principe de non discrimination, indissociable de la libre circulation des travailleurs, est conçu comme un moyen de sa mise en œuvre. L’objectif de libre circulation des travailleurs ne peut être véritablement atteint si les Etats membres prévoient des conditions d’emploi, de rémunération et de travail moins favorables pour les travailleurs qui se déplacent que pour les nationaux. On peut ainsi dire que la libre circulation des travailleurs est subordonnée au respect du principe d’égalité de traitement. La réalisation de cette liberté économique déterminerait donc les limites et la portée de l’égalité de traitement. 34 Règlement (CEE) n° 162/68 du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1968, n° L 257. 22 Or on ne peut concevoir une telle restriction du domaine d’application de ce principe aux activités économiques exercées dans le Marché intérieur. L’égalité ne présente pas qu’une fonction instrumentale. Elle est à elle seule devenue un objectif dont la réalisation est nécessaire pour la protection des droits fondamentaux de l’homme35. Elle permet à la Communauté de se développer selon des valeurs communes et démocratiques, et elle contribue à l’émergence d’une Europe sociale. Ainsi, le champ d’application de l’égalité de traitement ne cesse de s’élargir. Il doit au moins correspondre à l’extension croissante du domaine de la libre circulation des travailleurs. A cet objectif s’adapte aussi le règlement 1408/71 qui organise la coordination des divers systèmes de sécurité sociale. Ce dernier a pour finalité de faciliter la mobilité des personnes au sein de la Communauté, s’efforçant de s’appliquer dans le respect de l’égalité de traitement entre les travailleurs qui se déplacent et les nationaux. A cet effet, les rédacteurs du règlement 1408/71 ont prévu des dispositions spécifiques concernant les bénéficiaires de la coordination des régimes de sécurité sociale. Progressivement, le règlement 1408/71 s’est adapté aux évolutions des législations nationales et de la libre circulation des travailleurs. La jurisprudence de la Cour de justice a fortement contribué à cet effort d’adaptation du règlement aux nouvelles exigences du Marché commun. Même si des progrès restent à faire concernant certains aspects de la coordination, le domaine d’application du règlement 1408/71 s’est cependant fortement étendu, élargissant du même coup celui de l’égalité de traitement. L’intervention du juge communautaire est en partie à l’origine de la plupart des modifications textuelles ayant conduit à ces extensions. Il demeure indispensable de permettre au plus grand nombre de personnes de bénéficier d’un maximum de prestations. Ainsi l’évolution du champ d’application personnel du règlement a-t-elle été favorisée par l’interprétation extensive de la notion de travailleur36 (premier chapitre). Quant à l’élargissement du champ d’application matériel, il a été rendu possible grâce à l’adoption d’une conception large des prestations sociales (second chapitre). 35 ROBIN-OLIVIER (S.), Le principe d’égalité de traitement en droit communautaire, Etude à partir des libertés économiques, Thèse, Aix-en-Provence : PUAM, 1999, p. 315. 36 LYON-CAEN (A.), « La libre circulation des travailleurs dans la Communauté économique européenne », Dr. Soc., Juillet-Août 1989, p. 526. 23 CHAPITRE I. LA NOTION EXTENSIVE DE TRAVAILLEUR La nature des migrations internationales a connu des modifications, tout comme celle des déplacements des travailleurs. Le cercle des bénéficiaires de la libre circulation s’est à tel point étendu, que la libre circulation des travailleurs a évolué vers une libre circulation des personnes37. Le Traité de Rome dont la finalité originelle est économique, ne peut trouver plein effet si on ne prend pas en compte ses aspects politiques et sociaux. Le développement de la citoyenneté européenne en est un des plus significatifs témoignages. Acteur majeur de cette évolution, la CJCE interprète de manière très extensive la notion de travailleur, que ce soit dans le cadre de la libre circulation que dans celui de la coordination des régimes de sécurité sociale. Les effets se ressentent sur l’égalité de traitement, corollaire direct de la libre circulation des travailleurs, constituant le fondement fréquent de la jurisprudence communautaire. Le champ d’application du règlement 1408/71 n’est pas demeuré figé. Il devait lui aussi s’étendre pour correspondre au moins à celui de la libre circulation des travailleurs. Cette idée était déjà largement acquise dès l’entrée en vigueur du premier règlement concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants38. Plus vaste que le champ d’application de la libre circulation des travailleurs, celui de la coordination des régimes de sécurité sociale intégrait déjà d’autres catégories de bénéficiaires. C’est pourquoi par la suite, l’on a pu parler d’un dépassement du cadre strict de la libre circulation des travailleurs sous l’impulsion d’une vision libérale du juge communautaire. Le règlement 1408/71 est aussi une manifestation de la vision sociale que l’on peut avoir de la construction européenne. Il n’exige pas, par exemple, que soit exercée une activité économique pour la détermination du droit aux prestations, ce qui peut ainsi illustrer le dépassement de la dimension économique du Traité. Le souci de faciliter la mobilité intracommunautaire des personnes conduit à une définition large de la notion de travailleur au sens du règlement 1408/71 (Section 1). Il se 37 DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, Coll. Précis, 14ème édition, Paris : Dalloz, 2001, p. 428. 38 Règlement n° 3/58 du 25 septembre 1958, relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants, JOCE, n° 30, du 16 décembre 1958. 24 manifeste également par une certaine souplesse dans les conditions d’octroi des prestations sociales (Section 2). SECTION I. LA DEFINITION LARGE DU TRAVAILLEUR EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SECURITE SOCIALE La notion de travailleur conditionne le champ d’application d’une liberté fondamentale, celle de la libre circulation des travailleurs39. L’égalité de traitement, corollaire direct de cette liberté, figure à l’article 39 § 2 du traité instituant la Communauté européenne. Cet article dispose que la libre circulation des travailleurs « implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ». Plus le cercle des bénéficiaires est étendu, plus les dispositions facilitant la mobilité professionnelle sont efficaces. Le champ d’application personnel du règlement 1408/71 présente la particularité d’être plus étendu que celui de la libre circulation des travailleurs. Par une interprétation téléologique de la notion de travailleur (§1), le juge communautaire a permis l’application de la coordination à un cercle très vaste de bénéficiaires (§ 2). §1 e r . L’interprétation téléologique de la notion de travailleur La méthode d’interprétation de la Cour de justice a contribué à l’extension croissante du champ d’application des dispositions communautaires en matière de libre circulation des travailleurs. La définition de la notion de travailleur à la lumière de la finalité du traité CE mène à une définition professionnelle (A). Quant à l’application de cette notion aux personnes concernées, la Cour utilise des critères tirés du droit de la sécurité sociale (B). A. Une définition professionnelle L’application des dispositions relatives à la sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent et les difficultés qu’elles suscitent commandent une interprétation téléologique, 39 CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81, Rec., p. 1035 ; CJCE, 3 juillet 1986, Lawrie Blum, aff. 65/85, Rec., p. 2121 ; CJCE, 31 mai 1989, Bettray, aff. 344/87, Rec., p. 1641. 25 c'est-à-dire selon l’esprit et le but que les rédacteurs ont entendu leur conférer. Elles doivent, selon la CJCE, « être interprétées à la lumière de leur objectif qui est de contribuer à l’établissement d’une liberté aussi complète que possible de la libre circulation des travailleurs migrants, principe qui s’inscrit dans les fondements de la Communauté40 ». Dès lors, la notion de travailleur qui participe à cette réalisation, doit faire l’objet d’une interprétation extensive41. En raison de la disparité subsistante des législations des Etats membres, la Cour de justice déclare ne pas pouvoir interpréter cette notion par référence aux critères nationaux, son sens et son rôle n’étant pas partout comparables42. Laisser les Etats fixer unilatéralement le contenu de cette notion risquerait de mettre en échec la libre circulation des travailleurs43. La jurisprudence va elle-même fixer les critères de définition de cette notion pour lui conférer une acceptation communautaire et en permettre une application uniforme. Cela conduit à un élargissement du domaine d’application de la libre circulation et de son corollaire, l’égalité de traitement. La volonté de généraliser ce principe se manifeste par l’adoption d’une conception professionnelle de la notion de travailleur. La conception originelle de la notion de travailleur est une conception que l’on peut qualifier de contractuelle ou, selon certains auteurs, de « fonctionnelle44 ». Elle était fondée sur l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat assimilé, ce qui coïncidait avec la dimension économique des buts poursuivis par le législateur communautaire. Ainsi une personne était qualifiée de travailleur au sens du droit communautaire par référence aux critères de la relation de travail : effectuer des prestations déterminées, sous la subordination d’un employeur45. Cette vision réductrice constitue un frein à la réalisation de la libre circulation dans le cadre de la sécurité sociale des migrants, la rupture du contrat de travail pouvant dans ce cas entraîner une perte de sa protection sociale par le travailleur, nonobstant son déplacement à l’intérieur de la Communauté. 40 CJCE, 7mars 1991, Masgio, aff. C-10/90, Rec., p. I-1119. 41 CJCE, 19 mars 1964, aff. 75/63, Unger, Rec., p. 347. 42 LYON-CAEN (G.), note sous CJCE, 19 mars 1964, Unger, aff. 75/63, Dr.soc., 1964, p. 658. 43 MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE, 4/93, p. 47 ; TOUFFAIT (A.), « La jurisprudence de la CJCE en matière de sécurité sociale des travailleurs européens qui se déplacent », in Etudes de droit des Communautés européennes, mélanges offerts à P.-H. Teitgen, Paris : Pédone, 1984, p. 511. 44 LYON-CAEN (G.), note sous CJCE, 19 mars 1964, Unger, aff. 75/63, Dr.soc., 1964, p. 658. 45 MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE, 4/93, p. 47. 26 L’arrêt Unger46 met fin à cette vision contractuelle et laisse place à la conception dite « professionnelle47 » de la notion de travailleur. Le juge communautaire abandonne l’idée d’un lien avec un contrat de travail. Le travailleur, selon la Cour, « n’est pas exclusivement celui qui détient un emploi actuel. L’article [39] vise aussi les individus susceptibles de demeurer sur le territoire d’un Etat membre, après y avoir occupé un emploi »48. La Cour de poursuivre que le travailleur salarié « est celui qui a un emploi actuel et aussi celui qui, ayant quitté son emploi est susceptible d’en occuper un autre ». Cette nouvelle approche témoigne à nouveau de la volonté d’extension du cercle des bénéficiaires. Le nouveau règlement 1408/71 a consacré la jurisprudence Unger suivant laquelle la notion communautaire de travailleur doit être entendue sous son acceptation professionnelle, ce qui ouvre la protection à de plus nombreuses catégories de personnes. Désormais, le chômeur entre dans le champ d’application du règlement 1408/71, ce qui lui permet de conserver une protection, le temps de trouver un nouvel emploi. La définition du travailleur en droit communautaire de la sécurité sociale a été établie par l’emploi de critères tirés non pas du droit du travail, mais du droit de la sécurité sociale. B. L’emploi de critères tirés du droit de la sécurité sociale Le juge communautaire qualifie de travailleurs « tous ceux qui en tant que tels ou sous quelque appellation que ce soit, se trouvent couverts par les différents systèmes nationaux de sécurité sociale ». La Cour de justice n’interprète pas cette notion selon une approche de droit du travail, mais selon une approche de droit de la sécurité sociale : dès lors que l’intéressé se rattache à un régime de sécurité sociale, il peut être couvert par les règles de coordination. Il n’est pas nécessaire de prendre en compte l’exercice ou non d’une activité professionnelle, ni les motivations qui ont poussé la personne à se déplacer à l’intérieur de la Communauté. 46 CJCE, 19 mars 1964, aff. 75/63, Unger, Rec., p. 347. 47 MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE, 4/93, p. 47. 48 CJCE, 19 mars 1964, aff. 75/63, Unger, Rec., p. 347. 27 Autrement dit, une personne qui n’est pas un « travailleur » au sens économique peut néanmoins prétendre au bénéfice de la coordination du seul fait qu’elle soit ou qu’elle ait été affiliée à un régime de sécurité sociale. L’interprétation du juge dépasse le cadre de la libre circulation des travailleurs. Suite à l’arrêt Unger, le règlement 1408/71 définit cette notion selon les mêmes critères49 : les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale s’appliquant aux travailleurs salariés ou non salariés, à tous les résidents ou à l’ensemble de la population active, au titre d’une assurance obligatoire, facultative continuée ou volontaire sont considérées comme travailleur au sens du règlement 1408/71. Or, le règlement ne met en place qu’un système de coordination et laisse le soin aux Etats membres de déterminer les conditions d’affiliation aux régimes nationaux de sécurité sociale. Ceci peut s’avérer une limite à l’interprétation extensive de la notion communautaire de travailleurs, dans la mesure où les Etats peuvent durcir les conditions d’affiliation à un régime, à condition toutefois de ne pas porter atteinte au principe de l’égalité de traitement figurant à l’article 3 du règlement 1408/71. Certains parleront de « paradoxe »50, l’application d’une notion dite communautaire nécessitant toutefois l’examen de dispositions nationales. Ainsi, la dimension économique de la construction européenne a été largement dépassée par les rédacteurs du règlement 1408/71. L’expression « travailleurs qui se déplacent » se substitue à celle de « travailleurs migrants » employée par le règlement précédant, la première expression englobant un champ plus large de bénéficiaires. Le critère d’affiliation à la sécurité sociale ne suffit pas à conférer la qualité de travailleur à celui qui s’en prévaut. Ce dernier doit également répondre à une condition de nationalité, celle d’être un ressortissant d’un Etat membre. La qualité de ressortissant d’un Etat membre conditionne l’application des principes énoncés par le législateur communautaire. La définition de la « nationalité » est laissée à l’appréciation des Etats membres. Un décret du 11 mars 1994 relatif aux conditions 49 Article 1er a) du règlement 1408/71. 50 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université, 2001, p. 38. 28 d’entrée et de séjour en France des ressortissants des Etats membres de la Communauté51 énumère les conditions exigées par la législation française pour obtenir la qualité de ressortissant communautaire. Il subsiste donc dans l’Union européenne une diversité des systèmes d’attribution de la nationalité, ce qui peut faire naître des disparités. Il est important de savoir à quel moment s’apprécie la qualité de ressortissant du travailleur qui se déplace. Tout est fonction du type de prestation réclamé52. Certaines prestations dépendant de l’accomplissement de périodes d’assurance, il convient de tenir compte de la nationalité que le travailleur possédait lors de l’accomplissement de ces périodes53. La possession de la qualité de ressortissant communautaire à ce moment permet à l’intéressé de bénéficier du régime de protection sociale au même titre que les nationaux de l’Etat membre d’accueil. D’autres prestations restent indépendantes de l’accomplissement de périodes d’assurance. L’appréciation de la nationalité du travailleur est alors effectuée au moment de la demande de prestation présentée par l’intéressé. Parfois la nationalité du bénéficiaire des prestations reste indifférente. En principe, les membres de la famille et les survivants du travailleur, les apatrides et les réfugiés54 bénéficient des règles de coordination, quelle que soit leur nationalité. Des accords ont été conclus entre la Communauté européenne et des Etats tiers, selon lesquels les travailleurs des Etats tiers et les membres de leur famille résidant avec eux sur le territoire d’un Etat membre, peuvent bénéficier d’un « régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité »55. L’interprétation téléologique de la notion de travailleur est une première étape vers « l’universalité » du principe de l’égalité de traitement car elle dépasse le strict cadre de la libre circulation des travailleurs. La Cour contribue aux élargissements textuels du champ d’application personnel des règles de coordination. 51 Décret n° 94.211 du 11 mars 1994 relatif aux conditions d’entrée et de séjour en France des ressortissants des Etats membres de la Communauté, JO, 13 mars 1994. 52 RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, 2ème édition, Coll. Manuel, Paris : LGDJ, 2002, 668 p. 53 CJCE, 12 octobre 1978, Belbouab, aff. 10/78, Rec., p. 1915. 54 Voir infra, p. 35. 55 CJCE, 30 janvier 1991, Kziber, aff. C-19/90, Rec., p. I-198 ; CJCE, 5 avril 1995, Krid, aff. C-103/94, RJS, 1995, p. 469. 29 §2. Les élargissements bénéficiaires textuels du cercle des La Cour de justice a favorisé le dépassement de la dimension économique de la construction européenne et la transformation de la libre circulation des travailleurs en libre circulation des personnes. Les règlements 3/58 et 1408/71 ont adapté leur champ d’application personnel à ces mutations, tant en ce qui concerne les travailleurs stricto sensu (A) que les autres bénéficiaires (B). A. Les catégories de travailleurs entrant dans le champ d’application de la coordination L’œuvre libérale de la CJCE est pour une grande part à l’origine de l’extension de la coordination au profit des travailleurs non salariés (1), et de sa généralisation à l’ensemble des fonctionnaires (2). 1) L’extension de la coordination au profit des travailleurs non salariés Il n’existe pas de signification communautaire autonome du travail salarié ou non salarié. Ces notions renvoient aux activités que la législation de sécurité sociale de l’Etat concerné qualifie comme telles56. L’article 4 du règlement 3/58 prévoyait que le travail salarié s’appliquait à tous les travailleurs salariés ou assimilés, soumis ou ayant été soumis à la législation d’un ou de plusieurs Etats membres. Se posait la question de savoir ce qu’il fallait entendre par « l’assimilation » au travail salarié. Sous l’empire du règlement 3/58, des Etats membres ont élargi le bénéfice de la coordination aux travailleurs non salariés57 pour se conformer aux interprétations du juge communautaire. La Cour de justice a d’abord déclaré qu’il a assimilation au travail salarié chaque fois que le régime général est étendu à une catégorie de personnes autres que les travailleurs salariés, quelles que soient les formes et modalités utilisées par la législation nationale58. 56 CHAVRIER (H.), COULON (E.), LORIOT (G.), TRUCHOT (L.), « Chronique générale de jurisprudence communautaire, le droit matériel : Janvier 1997-Décembre 1998, Deuxième partie, la libre circulation des personnes et des services », RMUE, n° 435, Février 2000, p. 117. 57 VOIRIN (M.), « Vers l’extension aux non-salariés des règlements de la C.E.E. sur la sécurité sociale des migrants », Dr. soc., n° 7-8, Juillet-Août 1969, p. 467. 58 CJCE, 19 décembre 1968, De Cicco, aff. 19/68, Rec., 1968, p. 700 ; Dr. soc., 1969, p. 333, note LYONCAEN (G.). 30 La Cour d’ajouter que la coordination doit couvrir le travailleur « et celui qu’un système national affilie en tant que salarié ou non salarié, et ceci en fonction de ses propres définitions ». En l’espèce, le règlement s’appliquait donc à la catégorie des artisans italiens. Une fois la personne inscrite au régime général, elle est considérée comme un travailleur salarié, qu’elle le soit ou non, et bénéficie des règles de la coordination. Cependant, la détermination des bénéficiaires du régime général de sécurité sociale reste de la compétence des Etats membres. La subsistance de disparités entre les législations peut engendrer des différences de traitement nuisibles pour les intéressés. Par conséquent, le règlement 1390/81 du 12 mai 198159 a pallié cette lacune du champ d’application personnel en y incluant les travailleurs non salariés. Il précise en annexe que les termes « salarié » ou « non salarié » nécessitent de se référer aux différentes législations nationales, ce que la CJCE a plusieurs fois rappelé60, précisant en outre que « la qualité de travailleur est acquise dès lors que l’intéressé satisfait aux conditions matérielles objectivement fixées par le régime général qui lui est applicable, même si les démarches nécessaires pour l’affiliation à ce régime n’ont pas été accomplies61. Les vicissitudes ou négligences de l’employeur ne font donc pas obstacle à l’attribution de la qualité de travailleur. Cette adaptation n’est qu’une étape dans le processus d’extension qui touche le droit communautaire de la sécurité sociale. La généralisation du domaine de la coordination concerne également la catégorie des fonctionnaires. 2) La généralisation de la coordination à l’ensemble des fonctionnaires Le champ d’application du règlement 1408/71 ne correspond pas toujours au contenu de l’article 39 § 4 du traité. Le traité CE écarte de la libre circulation et donc de l’égalité de traitement, les personnes qui occupent un emploi dans l’administration publique, quel que soit le lien juridique que l’intéressé noue avec l’administration. Même si les rapports concernés sont 59 Règlement 1390/81 du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1981, n° L 143 du 29 mai 1981. 60 CJCE, 30 janvier 1997, De Jaeck, aff. C-340/94, Rec., p. I-461 ; CJCE, 3 mai 1990, Kitz Van Heijnigen, aff. C-2-89, Rec., p. I-1755. 61 CJCE, 15 décembre 1976, Mouthaan, 39/76, Rec., p. 1901. 31 de droit privé, ils demeurent écartés compte tenu de l’objet des activités exercées62. La Cour de justice explique ce point de vue par le fait que « de tels emplois supposent en effet, de la part de leur titulaire, un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’Etat, ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité »63. Cette exception à l’égalité de traitement doit être appréciée de manière restrictive64. Elle ne concerne que l’accès à l’emploi public. Une fois le ressortissant communautaire intégré dans un tel emploi, il doit bénéficier des mêmes conditions de travail que les nationaux. Le juge communautaire précise que « le principe de non-discrimination a une portée générale et gouverne tous les ressortissants communautaires dans l’exercice de leur activité, quel que soit l’emploi qu’ils occupent »65. Ceux ci étant entrés dans la fonction publique au même titre que les nationaux, il demeure nécessaire de leur appliquer la même protection sociale, sans distinction. Par conséquent, l’article 2 § 3 du règlement 1408/71 dispose que « le présent règlement s’applique aux fonctionnaires et au personnel qui, selon la législation applicable, leur est assimilé, dans la mesure où ils sont ou ont été soumis à la législation d’un Etat membre à laquelle le présent règlement est applicable ». Le règlement ne définit pas cette catégorie. De grandes disparités risqueraient de naître de la persistance des définitions nationales. La Cour a donc considéré que cette notion devait nécessairement être interprétée conformément aux exigences propres du droit communautaire. Elle définit le fonctionnariat comme « un ensemble d’emplois qui comportent une participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou d’autres collectivités publiques »66. Néanmoins, jusque 1998, le régime applicable aux intéressés devait entrer dans le champ d’application matériel du règlement, ce qui n’était pas le cas pour les régimes spéciaux de fonctionnaires. Seuls les fonctionnaires et agents publics relevant du régime des salariés du secteur privés étaient, selon une jurisprudence constante, admis au bénéfice 62 RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, 2ème édition, Coll. Manuel, Paris : LGDJ, 2002, 668 p. 63 CJCE, 17 décembre 1980, Commission c. Belgique, aff. 149/79, Rec., p.3881. 64 PERTEK (J.), « Reconnaissance des diplômes et ouverture des emplois publics aux ressortissants communautaires », AJDA 20 octobre 1991, p. 680. 65 CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 153. 66 CJCE, 17 décembre 1980, Commission c. Belgique, aff. 149/79, Rec., p.3881. 32 de la coordination67. Le règlement CE 1606/98 du 29 juin 1998 élargit à son tour le champ d’application de la coordination aux régimes spéciaux des fonctionnaires et assimilés, conformément à la logique de généralisation des règles de coordination. Cette nouvelle catégorie peut ainsi prétendre à la protection offerte par le règlement 1408/71. Les transformations du droit social communautaires en matière de sécurité sociale ne s’arrêtent pas là. Le règlement 1408/71 a prévu d’autres catégories de personnes ne se présentant pas comme des travailleurs stricto sensu, mais comme des membres de la famille, des apatrides et des réfugiés. B. Les autres catégories de bénéficiaires L’égalité doit être assurée en fait et en droit dans la Communauté. Elle ne peut réellement devenir effective si ne sont pas intégrées dans les dispositions communautaires des données essentielles comme la famille. C’est pourquoi les règlements 3/58 et 1408/71 ont intégré dans leur champ d’application personnel les membres de la famille et les survivants du travailleur, ce qui facilite la mobilité professionnelle dans la Communauté (1). La coordination s’étend également aux apatrides et aux réfugiés (2). 1) Les membres de la famille et survivants du travailleur Les membres de la famille ont toujours été protégés par la libre circulation des travailleurs. Plusieurs règlements successifs en ont élargi le cercle. En 1961 étaient concernés le conjoint et les enfants de moins de 21 ans68. En 1964 étaient également considérés comme membres de la famille les descendants autres que les enfants, de moins de 21 ans et à charge69. Enfin, le règlement 1612/68 s’est étendu aux descendants âgés de moins de 21 ans ou à charge, ainsi que les ascendants à charge du travailleur et de son conjoint70. L’admission des personnes à la libre circulation s’est libéralisée. En tant qu’instrument de réalisation de la libre circulation des travailleurs, il convenait d’étendre le domaine du règlement 1408/71 au plus grand nombre de membres de la famille. L’article 1 f) du règlement 1408/71 définit le membre de la famille en renvoyant à la législation au titre de laquelle les prestations sont servies, tant que cette législation n’est 67 CJCE, 24 mars 1994, Van Poucke, aff. 71/93, Rec., p. I-1101. 68 Article 11, règlement CEE n° 15, du 16 août 1961. 69 Article 17, règlement CEE n° 38/64, du 25 mars 1964. 70 Article 10, règlement CEE, n° 1612/68, du 15 octobre 1968, op. cit., supra, note n° 1. 33 pas contraire au principe d’égalité de traitement. Les notions de personnes à charge71 et de conjoint du travailleur ont suscité un certain contentieux devant la Cour de justice Le seul fait d’être à charge du travailleur, quels qu’en soient les motifs et quelles que soient les possibilités matérielles dont disposerait l’intéressé, est une condition suffisante pour qu’il soit considéré comme membre de la famille72. Toutefois, le conjoint continue de faire l’objet d’une acceptation restrictive. Le juge communautaire a en effet considéré que le mot « conjoint » tel qu’employé à l’article 10 du règlement 1612/68, vise seulement un « rapport fondé sur le mariage »73. Si la Cour de justice voit un avantage pour le travailleur de se faire rejoindre par son concubin au même titre que les sédentaires74, cela ne revient pas à le considérer comme un membre de la famille au sens du droit communautaire. Le concubin ne bénéficie donc pas de l’égalité de traitement applicable aux membres de la famille. La seule condition qui subordonne l’admission des membres de la famille sur le territoire d’un autre Etat membre, réside dans la possibilité pour le travailleur de disposer au profit des intéressés d’un logement « normal ». Leur nationalité est indifférente, tant que le travailleur possède la qualité de ressortissant communautaire75. Cependant, la distinction entre les membres de la famille ressortissants communautaires et ceux qui ne le sont pas n’est pas dénuée d’intérêt76. Les premiers disposent d’un droit propre à circuler dans la Communauté, tandis que les seconds n’ont qu’un droit octroyé en tant qu’ayant droit d’un travailleur communautaire. La perte de la qualité de membre de la famille entraîne pour ces derniers un traitement en tant que ressortissants d’Etats tiers. Il demeure une différence de traitement en raison de la nationalité entre les membres de la famille, alors même que le travailleur duquel ils sont à la charge est un ressortissant de l’Union européenne. 71 MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE, 4/93, p. 47. 72 CJCE, 18 juin 1987, Lebon, aff. 316/85, Rec., 1987, p. 2832. 73 CJCE, 17 avril 1986, Reed, aff. 59/85, Rec., p. 1283. 74 HECKER (P.), note sous CJCE, 22 juin 2000, Safet Eyüp, aff. C-65/98, RDUE, 3/2000, p. 682. 75 Article 10 § 1 du règlement 1612/68. 76 RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p. 34 Le droit communautaire n’exige aucune condition de cohabitation. L’article 68 § 2 du règlement 1408/71 prévoit que « l’institution compétente d’un Etat membre dont la législation prévoit que le montant des prestations varie avec le nombre de membres de la famille tient compte également des membres de la famille qui résident sur le territoire d’un autre Etat membre, comme s’ils résidaient sur le territoire de l’Etat membre compétent ». Insérer une condition de cohabitation dans une législation nationale nuit à l’effet utile du règlement, et va à l’encontre du principe d’égalité de traitement sur lequel il se base77. La Cour de justice considère donc que la condition de cohabitation est réputée remplie lorsque la personne concernée est principalement à la charge du travailleur78. Dans l’arrêt Lebon79, il a été jugé que les membres de la famille du travailleur au sens de l’article 10 du règlement 1612/68, ne sont que les bénéficiaires indirects de l’égalité de traitement reconnue à celui-ci par l’article 12 du traité CE. Cette décision confirme une jurisprudence antérieure selon laquelle le droit dérivé est acquis en qualité de membre de la famille ou de survivant du travailleur80. La famille ne peut prétendre au bénéfice des prestations au titre des droits propres, prestations qui ne dépendent pas du lien de parenté avec le travailleur et réservés aux nationaux81. La qualification de droit propre ou de droit dérivé dépendait des législations nationales, ce qui risquait de limiter la portée du principe d’égalité de traitement, et de nuire à l’uniformité du droit communautaire. La CJCE va à son tour limiter la portée de la distinction en la faisant échapper aux qualifications nationales82. L’insertion dans le règlement 1408/71 des membres de la famille est un des signes de la généralisation du principe d’égalité de traitement en droit communautaire de la sécurité sociale. Une autre manifestation de cette tendance peut être relevée s’agissant des apatrides et des réfugiés. 77 CJCE, 16 décembre 1976, Inzirillo, aff. 63/76, Rec., p. 2057. 78 CJCE, 16 octobre 2001, Stallone, aff. 212/00, RJS, 1/02, chron., p. 11, obs. KESSLER (F.). 79 CJCE, 18 juin 1987, Lebon, aff. 316/85, Rec., 1987, p. 2832. 80 CJCE, 23 novembre 1976, Kermaschek, aff. 40/76, Rec., p. 1669. 81 CJCE, 6 juin 1985, Frascogna, aff. 157/84, Rec., p. 1739 ; CJCE, 27 mai 1993, Schmid, aff. C-310/91, Rec., p. I-3011. 82 CJCE, 30 avril 1996, Cabanis-Issarte, aff. C-308/93, Rec., p. I-2097. 35 2) Les apatrides et les réfugiés Avant l’entrée en vigueur du traité CEE, des engagements furent pris dans le cadre de l’ONU et du Conseil de l’Europe, prévoyant une égalité de traitement en matière de sécurité sociale aux apatrides et réfugiés. Les définitions de ces notions ont été respectivement données par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par la convention de New York du 28 septembre 1954. Si les règlements de coordination des régimes de sécurité sociale n’avaient pas inclus dans leur champ d’application ces personnes, il aurait fallu élaborer un système parallèle permettant de faire face aux engagements de la Communauté. L’extension du règlement 1408/71 répond à cette exigence. « Elle peut aussi s’analyser comme une manière de témoigner que le droit communautaire n’est pas seulement un droit de nature économique, mais aussi un droit qui intègre la dimension civile et politique des migrations internationales »83. Les conditions du droit aux prestations sociales des apatrides et réfugiés rejoignent celles des ressortissants communautaires. Les intéressés doivent se placer dans une situation de droit communautaire, c'est-à-dire exercer leur droit de circulation. Cette exigence est logique compte tenu du caractère accessoire de l’inclusion de cette catégorie dans le règlement 1408/71. Permettre aux apatrides ou réfugiés résidant sur le territoire d’un Etat membre ainsi qu’aux membres de leur famille d’invoquer des droits aux prestations sociales, alors que leur situation serait purement interne, créerait une situation d’inégalité à l’égard des ressortissants communautaires. C’est pourquoi le bénéfice de la coordination est réservé aux seules situations de migrations. La généralisation du système de coordination et de la libre circulation des travailleurs ouvre une voie vers l’universalité de l’égalité de traitement. L’interprétation téléologique de la Cour de justice a permis l’extension du champ d’application personnel du règlement 1408/71. Cette ouverture vers d’autres catégories de bénéficiaires témoigne de la volonté de donner à la construction européenne une signification tant économique, que sociale et politique. La coordination des régimes de sécurité sociale a largement dépassé les objectifs prévus par le droit communautaire. 83 LHERNOULD (J.-P.), « L’actualité de la jurisprudence communautaire et internationale », RJS, Janvier 2002, chron., p. 11. 36 Il suffit de constater la souplesse des conditions d’octroi des prestations, pour se rendre compte que le processus d’extension de la libre circulation des travailleurs et des principes dont elle dépend, demeurent inachevé. SECTION II. LA SOUPLESSE DES CONDITIONS D’OCTROI DES PRESTATIONS Alors que l’objectif de libre circulation exigeait pour sa mise en œuvre des conditions d’ordre économique, celles-ci semblent progressivement mises en échec en droit de la sécurité sociale communautaire. Le développement du concept de « citoyenneté de l’Union » a bouleversé les données relatives à l’application du droit communautaire aux personnes qui se déplacent dans la Communauté, ainsi qu’aux nationaux qui demeurent dans leur Etat. L’activité de la Cour de justice s’oriente vers une dimension civile et politique de la libre circulation et de l’égalité de traitement. Le droit communautaire de la sécurité sociale, chargé de mettre en œuvre ces principes, adopte le même point de vue s’agissant des conditions d’octroi des prestations. Le juge communautaire accentue la souplesse initiale du règlement 1408/71 pour l’adapter à l’évolution libérale de la construction européenne. L’application des règles de coordination ne requiert pas l’exercice d’une activité économique pour l’octroi des prestations (§ 1). Le développement de la citoyenneté européenne risque remet en cause la condition d’exercice de son droit de circulation (§ 2). §1 e r . L’absence d’exigence activité économique de l’exercice d’une L’objectif originel du traité instituant la Communauté européenne est de permettre aux travailleurs de circuler dans la Communauté pour y exercer un emploi en favorisant leurs déplacements. Le dépassement de la dimension économique du marché commun et l’émergence du concept de citoyenneté de l’Union tendent à remettre en cause les conditions d’application du droit communautaire aux travailleurs. Il se manifeste par l’évolution d’une liberté de circulation à la citoyenneté de l’Union (A). L’émergence de ce nouveau concept s’est accompagnée de la généralisation des droits en matière de protection sociale (B). 37 A. De la libre circulation des travailleurs à la citoyenneté de l’Union Les conditions d’application des règles de coordination sont plus favorables à la mobilité intra-communautaire que ne le sont celles de la libre circulation des travailleurs. Les motifs de déplacement des personnes intéressées sont indifférents en droit communautaire de la sécurité sociale (1). Le développement de la citoyenneté européenne contribue au relâchement du lien avec l’activité professionnelle (2). 1) L’indifférence des motifs de déplacement en droit communautaire de la sécurité sociale La logique initiale du traité CE imposait que les déplacements de travailleurs soient motivés par le travail. Cependant, sous l’empire du règlement 3/58, le motif de déplacement se révèle déjà indifférent. La Cour de justice accorde le droit aux prestations à des personnes qui séjournent pour des motifs de convenance personnelle dans un autre Etat membre84. Elle déclare que « les dispositions de l’article 19 § 3 qui accordent à l’assuré social en séjour temporaire dans un Etat membre autre que l’Etat d’affiliation un droit aux prestations en cas de soins urgents ou d’hospitalisation, ne prévoient aucune exception, notamment en ce qui concerne le motif du séjour à l’étranger ». Dans l’arrêt Singer du 9 décembre 196585, la Cour rappelle que l’établissement d’une liberté aussi complète que possible de la libre circulation des travailleurs est un fondement de la Communauté. « Il ne serait pas conforme à cet esprit de limiter la notion de travailleur aux seuls travailleurs migrants stricto sensu, ou aux seuls déplacements relatifs à l’exercice de leur emploi ». L’indifférence des motifs de déplacement permet donc aux ressortissants de la Communauté de bénéficier en tant que touristes des règles de coordination. Le règlement 3/58 encouragerait ainsi une certaine forme de « tourisme social »86. Cependant la reconnaissance de la qualité de travailleur n’est pas sans limites. Elle exige qu’ait été préalablement accomplie une activité professionnelle effective, peu important le temps que l’intéressé y ait consacré, pourvu que cette activité « ne soit pas tellement réduite qu’elle se présente comme purement marginale et accessoire »87. 84 CJCE, Unger, 19 mars 1964, aff. 75/63, Rec., p. 347. 85 CJCE, 9 décembre 1965, Singer, aff. 44/65, Rec., p. 1192. 86 LYON-CAEN (G.), note sous CJCE, 19 mars 1964, Unger, Dr. Soc., n° 12, Décembre 1964, p. 658. 87 CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81, Rec., p. 1035. 38 Tout assuré peut désormais se prévaloir du droit communautaire en tant que consommateur ou destinataire de service, même s’il n’exerce pas actuellement une activité professionnelle. La libre circulation des travailleurs semble se diriger dans ce sens : deux directives du 28 juin 199088 accordent le droit de séjour aux inactifs. Ces derniers sont admis au droit de séjour sur le territoire des Etats membres, à condition toutefois de ne pas devenir une charge pour l’assistance sociale de l’Etat d’accueil. Les inactifs doivent disposer de ressources suffisantes, et les étudiants déclarer avoir les ressources nécessaires pour séjourner dans un Etat membre. Le droit de demeurer sur le territoire d’un Etat membre reste assez variable, ce qui engendre parfois certaines disparités89. Cette généralisation du droit de séjour et des règles de coordination se double du développement de la citoyenneté de l’Union, nouvelle étape dans le processus d’élargissement et d’approfondissement de l’intégration communautaire90. 2) Le développement de la citoyenneté européenne Le traité de Maastricht91 substitue la notion de citoyenneté européenne à celle de ressortissant communautaire, ce qui marque le franchissement des limites du domaine économique et social pour atteindre une union politique92. Est instituée une citoyenneté de l’Union dont est titulaire toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. La citoyenneté européenne complète celle des Etats membres qui demeurent libres de définir les conditions d’acquisition de la nationalité. Elle entraîne un droit de circulation et de séjour dont la jouissance est indépendante de la condition économique des bénéficiaires, ainsi que le droit de vote et d’éligibilité au Parlement européen et aux élections municipales. Les dispositions du traité relatives à la citoyenneté européenne sont le corollaire de la liberté de circulation et de séjour du citoyen européen. Elles confèrent aux intéressés une protection accrue contre les discriminations. Elles leur attribuent des droits civiques et politiques sur le territoire de l’Etat d’accueil, au 88 Directive 90/364 CEE du conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour ; Directive 90/365 du conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle. 89 RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p. 90 KOVAR (R.), SIMON (D.), « La citoyenneté européenne », Cah. dr. eur., 1993, p. 285. 91 Traité sur l’Union européenne, 7 février 1992, JOCE, n° C 191 du 29 juillet 1992. 92 ISAAC (G.), BLANQUET (M.), Droit communautaire général, 8ème édition, Coll. U, Paris : Armand Colin, 2001, p. 13. 39 même titre que les nationaux93. Le développement de la citoyenneté de l’Union engendre un assouplissement des conditions de circulation et de séjour. L’appartenance à une des nationalités de la Communauté suffit, en dehors de toute considération économique. Le traité CE change d’orientation, évoluant d’une finalité économique à une construction politique. Ces progrès dans la reconnaissance de la dimension politique du droit communautaire ne sont pas sans influence sur le principe d’égalité de traitement en matière de sécurité sociale. L’assouplissement des conditions de bénéfice de la protection sociale en Europe s’accompagne dans ce domaine, de la généralisation du droit à la protection sociale. B. La généralisation des droits en matière de protection sociale L’intervention de la Cour de justice des Communautés sur le fondement de la citoyenneté européenne est demeurée longtemps hésitante, tant les conditions requises pour le droit aux prestations restaient empruntes de considérations économiques. Puis des changements progressifs sont intervenus, notamment concernant le droit de séjour des étudiants (1). La prise en compte de la citoyenneté substituée à la notion de travailleur risque d’accélérer la généralisation du droit aux prestations sociales à tous les nationaux de la Communauté (2). 1) L’influence de la jurisprudence communautaire sur les droits du citoyen de l’Union La situation des étudiants est très révélatrice des transformations déclenchées par la citoyenneté européenne. Dans ce domaine, le règlement 1408/71 s’est adapté de manière anticipée, en permettant la dispense d’affiliation au régime français des étudiants s’il justifient de l’affiliation à un régime conventionnel d’assurance maladie ou à un régime d’assurance privée. Mais jusqu’à la modification intervenue par un règlement 307/99, les étudiants étaient exclus des règles de coordination s’ils n’étaient pas assurés pendant leurs études à un régime de sécurité sociale organisé au bénéfice des travailleurs salariés94. Ce point de vue se justifiait par le fait que les articles 39 à 42 du traité CE, sont destinés à favoriser la libre circulation des travailleurs. 93 SEBASTIEN (G.), « La citoyenneté de l’Union européenne », RDP, p. 1263. 94 CJCE, 1er décembre 1977, Kuyken, aff. 66/77, Rec., p. 2311. 40 Le droit communautaire antérieur à l’instauration de la citoyenneté européenne, ne couvre pas expressément la situation des étudiants qui se déplacent dans le seul but d’y poursuivre des études. Certaines formations sont prises en charge, à condition qu’elles présentent un lien avec la profession antérieure de l’intéressé. L’enseignement suivi doit préparer l’étudiant à une qualification professionnelle ou lui conférer une aptitude particulière à exercer une profession95. La mise en œuvre concrète de la notion de citoyenneté ne s’est ressentie que bien après son instauration dans le Traité CE. Ce n’est que dans l’affaire Martinez Sala en 199896 que la Cour de justice fonde une décision relative à l’application du principe de l’égalité de traitement sur ce nouveau concept. Dans cet arrêt retentissant, elle déclare qu’un « ressortissant d’un Etat membre, résidant sur le territoire d’un autre Etat membre, relève du domaine d’application ratione personae des dispositions du Traité consacrées à la citoyenneté européenne, et peut se prévaloir des droits prévus par le traité que l’article 8 § 2 (ancien) attache au statut de citoyen européen, dont celui, prévu à l’article [12], de ne pas subir de discrimination en raison de la nationalité dans le champ d’application ratione materiae du Traité ». Dès que la situation d’une personne relève du champ d’application matériel du traité, les dispositions relatives à la non-discrimination en raison de la nationalité s’appliquent, du seul fait que l’intéressé possède la nationalité d’un des Etats membres. Cette décision risque de remettre en cause les conditions d’application du droit communautaire en matière de droit de séjour ou de coordination des législations de sécurité sociale. La référence aux citoyens de l’Union englobe un nombre très étendu de bénéficiaires parmi lesquels des personnes qui n’étaient pas couvertes par le droit communautaire, ce qui permet d’envisager un accroissement du champ d’application personnel des règles de coordination et de l’accès aux prestations sociales. La question s’est posée de savoir si un étudiant français poursuivant des études en Belgique pouvait se prévaloir du revenu minimum belge97. Cette prestation sociale non 95 CJCE, 13 février 1985, Gravier, aff. 293/83, Rec., 1985, p.593. 96 CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691 ; Europe, 1998, n° 241, obs. IDOT, RMUE, 1998, n° 3, p. 254, obs. CABRAL ; JDI, 1999, p. 557, obs. LUBY. 97 LHERNOULD (J.-P.), « L’accès aux prestations sociales des citoyens de l’Union européenne », note sous CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyc, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, décembre 2001, p. 1103. 41 contributive n’entre pas dans le champ d’application du règlement 1408/71, mais est considérée au regard des règles sur la libre circulation des travailleurs, comme un avantage social98 entraînant l’application du droit communautaire. La Cour de justice des Communautés ne va pas fonder sa décision sur la qualité de travailleur requise pour bénéficier des avantages sociaux, mais sur le statut de citoyen européen. Elle déclare qu’un « citoyen de l’Union européenne qui réside légalement sur le territoire de l’Etat membre d’accueil peut se prévaloir de l’article 12 du Traité dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit communautaire ». Cette décision confirme le dispositif employé par le juge dans l’affaire Martinez Sala99 à propos de l’application des dispositions relatives à l’interdiction des discriminations à tous les citoyens européens. S’agissant des étudiants, la cour ajoute que « rien ne permet de considérer que les étudiants qui sont des citoyens de l’Union, lorsqu’ils se déplacent dans un autre Etat membre pour y poursuivre des études, sont privés des droits conférés par le Traité aux citoyens de l’Union ». Cette jurisprudence témoigne du passage d’une conception économique à une conception civile du droit communautaire. Les seules exceptions qui subsistent en matière de libre circulation sont liées aux motifs d’ordre public, de santé et de sécurité publiques. Cette décision risque d’entraîner un bouleversement du droit communautaire de la protection sociale, aboutissant à la généralisation pour tous les citoyens de l’ensemble des prestations sociales. 2) Le droit à l’ensemble des prestations sociales Si la jurisprudence Grzelczyc100 se confirmait, le concept de citoyen de l'Union devrait permettre à tout étudiant communautaire placé dans la même situation et résidant légalement sur le territoire de cet Etat membre de revendiquer le même avantage. La qualité de travailleur ne serait plus requise pour prétendre à un traitement identique au national. L’Etat membre d’accueil ne pourrait imposer aux citoyens d’autres Etats des conditions plus dures que celles qui seraient requises pour ses propres nationaux, ce qui entraînerait une généralisation globale de traitement101 entre tous les citoyens de l’union, qu’ils soient ressortissants communautaires ou nationaux. 98 Sur la notion d’avantage social, voir infra, p. 65. 99 CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691. 100 CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyc, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, décembre 2001, p. 1103. 101 LHERNOULD (J.-P.), « L’accès aux prestations sociales des citoyens de l’Union européenne », note sous CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyc, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, décembre 2001, p. 1103. 42 Cette décision a été rendue à propos des avantages sociaux accordés en matière de libre circulation des personnes. Logiquement ce point de vue devrait s’étendre au système de coordination assuré par le règlement 1408/71. Les limitations de son champ d’application personnel n’auraient plus lieu d’être, car certains droits refusés sur le fondement des règles de la coordination seraient accordés sur celui de la citoyenneté européenne. En 1999, a été adopté le règlement 307/99 qui étend les règles de coordination des régimes de sécurité sociale aux étudiants. Leur entrée dans le champ d’application du règlement 1408/71 témoigne à nouveau de l’avancée vers l’universalité de la libre circulation des personnes et de l’égalité de traitement qui en est l’instrument. Cet élargissement n’est qu’un pas supplémentaire dans le mouvement général d’extension amorcé depuis longtemps par le droit communautaire de la sécurité sociale. La libre circulation des personnes est un droit qui tend progressivement à être réalisé indépendamment de l’exercice d’activités économiques. Il a donné naissance au droit de tous les citoyens à ne pas subir de discrimination fondée sur la nationalité, notamment en matière de protection sociale. Ce bouleversement remet en cause l’exigence de l’utilisation de son droit de libre circulation par les citoyens européens. §2. La condition d’exercice du droit de circulation La libre circulation étant destinée à faciliter les migrations intra-communautaires, il semble logique que son application soit subordonnée à l’exercice par l’intéressé de son droit de circulation. En d’autres termes, la libre circulation ne concerne pas les situations purement internes à un seul Etat membre (A), ce qui justifie dans une certaine mesure les discriminations « à rebours » (B). La pertinence de cette exigence semble toutefois remise en cause avec le développement de la notion de citoyenneté de l’Union. A. L’inapplication du droit communautaire aux situations purement internes Le principe de la négation du droit communautaire aux personnes qui demeurent sur un Etat membre nécessite une définition de ce qu’il faut entendre par « situation purement interne » (1). Si cette négation est le principe, il existe dès le règlement 1408/71 des dérogations (2). 43 1) La définition de la situation purement interne Dès l’entrée en vigueur du règlement 1408/71 s’est posée la question de savoir si le national d’un Etat membre qui est demeuré sur ce territoire pouvait prétendre au même titre que les travailleurs migrants à l’application du droit communautaire. La Cour de justice considère que la libre circulation ne s’applique pas à des situations purement internes. Elle définit ces situations comme celles qui se caractérisent par « l’absence de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire »102. Il est nécessaire de se placer dans une hypothèse prévue par la règle communautaire, de sorte que l’existence de certains éléments de fait empêche de traiter la situation sur un plan purement national103. Le travailleur qui n’a jamais résidé, séjourné ou travaillé sur le territoire d’un Etat membre autre que le sien, ne peut se prévaloir des droits résultant de la libre circulation des personnes. La Cour précise que les situations purement internes sont celles qui ne correspondent à aucun mouvement de circulation entre Etats membres104. Dans l’hypothèse de circulation d’un travailleur pour des motifs de résidence ou de travail, il faut noter que certains déplacements s’apparentent à des situations internes, car n’entraînant pas une situation de droit communautaire. Il en est ainsi pour les déplacements entre un Etat membre et un Etat tiers. Par conséquent, une personne qui est toujours demeurée sur le territoire d’un Etat membre sans jamais avoir exercé son droit de libre circulation, ne peut contester une mesure qui restreint sa libre circulation de la part des autorités de son propre Etat105. A l’inverse, un national qui se place dans une situation communautaire peut réclamer aux autorités de l’Etat membre dont il est ressortissant, l’application des règles auxquelles peut prétendre le migrant dans la même situation. En attendant les conséquences de la prise en compte de la citoyenneté de l’Union, l’égalité de traitement reste subordonnée à l’exercice de son droit de circulation. Cependant, la Cour de justice a devancé ces bouleversements dans le cadre du règlement 1408/71, en admettant certaines dérogations. 102 CJCE, 7 février 1979, Saunders, aff. 175/78, Rec., p. 1129. 103 DRUESNE (G.), « Remarques sur le champ d’application personnel du droit communautaire : des « discriminations à rebours » peuvent-elles tenir en échec la libre circulation des personnes ? », RTD Europe, 1979, p. 429. 104 CJCE, 15 janvier 1986, Hurt, aff. 44/84, Rec., p. 84. 105 CJCE, 7 février 1979, Saunders, aff. 175/78, Rec., p. 1129 ; RTD Europe, 1979, p. 506 et 429. 44 2) Les dérogations La Cour de justice considère que l’application des dispositions du règlement sur l’accès aux soins en cas de séjour temporaire ne nécessite pas que la personne concernée ait fait usage de son droit de libre circulation106. La seule présence d’un « élément européen » suffit pour que le travailleur et les membres de sa famille soient couverts. L’intéressé qui n’a jamais travaillé ni résidé dans un autre Etat membre peut réclamer l’accès aux soins de santé à l’étranger, sous trois conditions alternatives : séjourner temporairement dans cet autre Etat membre, y transférer sa résidence, ou être autorisé par l’institution compétente à s’y faire soigner107. Le règlement 1408/71 intègre dans son champ d’application personnel les travailleurs frontaliers et saisonniers. L’article 1er b) du règlement définit le frontalier comme celui qui est « occupé sur le territoire d’un Etat membre et réside sur le territoire d’un autre Etat membre, où il retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine ». Le travailleur saisonnier est défini par l’article 1 c) du règlement comme celui qui se rend sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où il réside, afin d’y effectuer, pour le compte d’une entreprise ou d’un employeur de cet Etat, un travail à caractère saisonnier dont la durée ne peut dépasser en aucun cas huit mois s’il séjourne sur le territoire dudit Etat pendant la durée de son travail ». Ces situations ne présentent pas un caractère réellement migratoire, le travailleur ne s’établissant pas ou uniquement de manière temporaire, dans un autre Etat membre. Les travailleurs frontaliers et saisonniers étaient ignorés du règlement 3/58. Mais le règlement 1408/71 les a intégrés dans son champ d’application personnel. Leur situation présente un certain caractère d’extranéité qui permet de les rattacher au droit communautaire. Ils accomplissent leur activité professionnelle dans un Etat autre que celui où ils résident. Cependant ils n’exercent pas réellement leur droit de libre circulation puisqu’ils retournent régulièrement dans leur pays d’origine. Admettre les travailleurs frontaliers et saisonniers dans le champ d’application du règlement 1408/71 confirme la tendance à la généralisation de l’octroi des prestations au plus grand nombre de bénéficiaires, conformément aux objectifs du droit communautaire. De plus, l’émergence de la citoyenneté européenne et son importance croissante dans la 106 CJCE, 3 mai 1990, Kitz van Heijningen, aff. C-2/89, Rec., p. 1755. 107 Sur la validité de l’autorisation préalable, voir infra, p. 93. 45 jurisprudence de la Cour de justice sont une des raisons de faire tomber la justification des discriminations à rebours à l’égard des nationaux. B. La justification des discriminations à rebours L’inapplication du droit communautaire aux situations purement internes entraîne des différences de traitement en faveur des travailleurs migrants. Ces « discriminations à rebours » sont définies comme celles qui se produisent lorsque les Etats traitent leurs propres ressortissants de manière moins favorable que les ressortissants des autres Etats membres108. Elles trouvent leur fondement dans l’objectif de construction du marché qui nécessite une faveur à tout ce qui facilite ou représente la libre circulation. Dans les règlements mettant en œuvre la libre circulation des travailleurs, seules les discriminations contraires à la mobilité communautaire, furent pendant longtemps prohibées. Certains parlent de conception « unilatérale » de la discrimination à rebours109, qui s’applique exclusivement au profit de la liberté de circulation entre Etats membres. Par conséquent, ne sont pas interdites les différences fondées sur la nationalité qui défavoriserait les nationaux, tant qu’elles ne nuisent pas à la mobilité intracommunautaire110. Les règles de coordination répondent à la même conception. L’égalité de traitement ne peut être invoquée que dans le sens de la protection des travailleurs migrants111. L’article 46 § 3 du règlement 1408/71 imposait une limitation du cumul des prestations acquises dans différents Etats membres, par une diminution du montant d’une prestation acquise en vertu de la seule législation nationale, pour ne pas engendrer de différence défavorable aux nationaux. La Cour de justice en 1975112, déclarait cette article incompatible avec l’article 42 du traité CE, car il n’abondait pas dans le sens de la protection du travailleur qui se déplace. 108 DENYS (C.), « Les notions de discrimination et de discrimination à rebours suite à l’arrêt Kraus, Cah. Dr. Eur., 1994, n° 5-6, p. 638. 109 ROBIN-OLIVIER (S.), Le principe d’égalité de traitement en droit communautaire, Etude à partir des libertés économiques, Aix-en-Provence : PUAM, 1999, p. 129. 110 CHRISTOPHE TCHAKALOF (M.-F.), « Le principe d’égalité », AJDA, n° spécial, 20 juin 1996, p. 171. 111 TANTAROUDAS (M.), « L’égalité de traitement en matière de sécurité sociale dans les règlements communautaires », RTD Europe, 1979, p. 256 ; VAN RAEPENBUSCH (S.), « La jurisprudence communautaire en matière de règles anti-cumul de sécurité sociale », Cah. dr. eur., 1985, p. 286. 112 CJCE, 21 octobre 1975, Petroni, aff. 24/75, Rec., p. 1149. 46 La justification des discriminations à rebours fait appel au critère de comparabilité des situations. Le national qui se trouve dans une situation purement interne ne se verra pas appliquer les règles de la libre circulation des personnes que l’on applique aux travailleurs qui se déplacent au sens du droit communautaire. Mais le national qui a lui aussi exercé son droit de libre circulation, se trouve dans une situation assimilable à celle du migrant. Les autorités nationales ne peuvent refuser de lui appliquer le droit communautaire, car cela entraînerait une différence de traitement injustifiée. Ainsi, celui qui exerce son droit de libre circulation demeure bénéficiaire des règles communautaires, même vis-à-vis des autorités de l’Etat dont il est ressortissant113. La reconnaissance de la citoyenneté de l’Union par le traité de Maastricht n’a pas remis en cause cette solution. Selon la CJCE, cette citoyenneté n’entraîne pas l’extension du champ d’application matériel du traité à des situations internes n’ayant aucun lien avec le droit communautaire114. Jusqu’à la décision rendue dans l’affaire Martinez Sala115, les discriminations à rebours relevaient du champ d’application du droit de l’Etat concerné et devaient par conséquent être résolues dans le cadre de son système juridique interne. Un Etat ne peut pourtant pas laisser persister de telles discriminations à l’encontre de ses propres nationaux. Depuis l’émergence de la citoyenneté européenne, tous les citoyens tels que reconnus par le traité CE, doivent en principe avoir le droit de ne pas subir de discriminations en raison de la nationalité. Chaque citoyen de l'Union, même s’il ne fait pas usage de sa libre circulation, peut alors revendiquer le même droit que les ressortissants communautaires. La tendance du droit communautaire en matière de libre circulation des travailleurs s’oriente vers une généralisation de ce droit pour l’ensemble des ressortissants de l’Union européenne. Les notions employées dans les dispositions mises en œuvre pour faciliter la mobilité des travailleurs sont à géométrie variable. De plus en plus de notions reçoivent une acceptation communautaire afin de contrer la diversité naissant du maintien des différentes définitions nationales. Le phénomène de généralisation engendre une 113 DRUESNE (G.), « Liberté de circulation des personnes », RTD Europe, 1984, p. 290. 114 CJCE, 5 juin 1997, Uecker et Jacquet, aff. 64 et 65/96, Rec., p. I-3171. 115 CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691. 47 interprétation extensive des notions, notamment dans le cadre de la coordination des législations de sécurité sociale. Il en résulte un accroissement sensible du champ d’application personnel qui tend à l’universalité du principe d’égalité de traitement. La mise en œuvre de ce principe dans le cadre du champ d’application personnel du règlement 1408/71, s’effectue en tant qu’instrument de réalisation de la libre circulation des travailleurs. L’extension considérable du cercle des bénéficiaires manifeste le passage de la libre circulation des travailleurs à une libre circulation des personnes, c'est-à-dire de la prise en compte, non plus uniquement de l’aspect économique du droit communautaire, mais également de sa dimension sociale, civile et politique. En témoigne la reconnaissance de la citoyenneté européenne par le traité de Maastricht en 1992 et son application par la Cour de justice. Cette citoyenneté tend à devenir le fondement de bon nombre de décisions de la Cour, ce qui risque de bouleverser l’ensemble du droit de la protection sociale. Une adaptation du règlement 1408/71 à ce nouveau concept semble désormais nécessaire. L’interprétation extensive des notions envisagées par le droit communautaire ne se rencontre pas seulement sur le plan personnel. Le champ d’application matériel des règles de coordination est caractérisé par une conception large des prestations sociales. 48 CHAPITRE II. LA CONCEPTION LARGE DES PRESTATIONS SOCIALES Les divers systèmes de protection sociale en Europe présentent chacun leurs particularités, notamment en matière de prestations sociales. L’absence de règles de coordination entraînerait pour le travailleur communautaire et les membres de sa famille des difficultés d’application des régimes de sécurité sociale. Les Etats membres demeurent fidèles au principe de territorialité qui domine les législations nationales de sécurité sociale. A l’appui de leurs restrictions, ils invoquent les difficultés pratiques tenant à la justification ou le calcul des droits, mais aussi des motifs d’ordre économique. Cette position est nuisible à la mobilité des travailleurs qui risquent de subir des discriminations. Afin d’éviter de telles ruptures d’égalité, la Cour de justice procède à une interprétation extensive du champ d’application matériel du règlement 1408/71. La pleine réalisation de l’objectif de libre circulation des travailleurs nécessite que chaque travailleur et membre de sa famille puisse bénéficier de la plus grande couverture sociale possible. L’action du juge communautaire en la matière va le conduire à préciser le champ d’application demeuré flou des règles de coordination (Section 1). L’acceptation sans cesse étendue des prestations sociales témoigne ici encore, de la libéralisation jurisprudentielle de la protection sociale (Section 2). SECTION I. LA DELIMITATION FLOUE DU CHAMP D’APPLICATION MATERIEL Le règlement 1408/71 inclut dans son champ d’application les législations relatives aux branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 § 1. Celui-ci s’applique aux régimes de sécurité sociale tant généraux, spéciaux, contributifs que non contributifs. En revanche, il ne concerne ni les prestations d’assistance sociale et médicale, ni les régimes de prestations en faveur des victimes de la guerre ou de ses conséquences. La distinction entre les prestations qui relèvent et celles qui ne relèvent pas du règlement 1408/71 semble nette. Pourtant, la délimitation des prestations soumises aux règles de coordination reste imprécise en ce qui concerne les risques pris en compte par le 49 règlement (§ 1), imprécision accentuée par la difficulté de cerner la frontière entre les prestations de sécurité sociale et les prestations d’assistance sociale (§ 2). §1 e r . La définition des risques pris en compte par le règlement 1408/71 L’absence d’harmonisation des législations nationales en matière de sécurité sociale fait obstacle à une définition claire des prestations de sécurité sociale. L’action de la Cour de justice a cependant permis de cerner les contours du champ d’application matériel du règlement 1408/71, en précisant ce qu’il faut entendre par régimes légaux de sécurité sociale (A), ainsi que par régimes complémentaires et régimes de substitution (B). A. Les régimes légaux de sécurité sociale L’article 4 du règlement 1408/71 dispose que les règles de coordination s’appliquent à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent les prestations de maladie et de maternité, les prestations d’invalidité, de vieillesse, de survivants, d’accident du travail et de maladies professionnelles, les allocations de décès, les prestations de chômage et les prestations familiales. Ces événements qualifiés de risques sociaux ont été énumérés sur la base de la convention n° 112 de l’OIT de 1952 concernant la norme minimale de sécurité sociale. Le second paragraphe de l’article 4 précise que sont visés les régimes généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs de sécurité sociale. Chaque Etat reste compétent pour déterminer les conditions du droit ou de l’obligation de s’affilier à un régime national de sécurité sociale116, d’où les risques de disparité nuisibles au traitement égal des travailleurs. Le règlement 1408/71 n’a pas pour objet d’harmoniser les législations des Etats membres, mais uniquement de les coordonner afin que le travailleur et les membres de sa famille qui exercent leur droit de circulation ne subissent pas la perte de droits aux prestations qu’ils auraient acquis au titre d’une ou de plusieurs législations nationales. 116 TANTAROUDAS (C.), « L’égalité de traitement en matière de sécurité sociale dans les règlements communautaires », RTD Europe, 1979, p. 245. 50 Le règlement définit le terme « législations »117 qu’il convient d’entendre largement selon la Cour de justice. Cette notion doit être comprise en droit communautaire comme visant « l’ensemble des mesures nationales applicables en matière de protection sociale, qu’elles soient législatives, réglementaires ou administratives118 ». Les Etats membres sont tenus de déclarer quelles législations et régimes de sécurité sociale entrent dans le champ d’application matériel du règlement 1408/71119. Il résulte de cette déclaration une présomption irréfragable que les prestations mentionnées relèvent de la sécurité sociale. Le fait pour un Etat membre de ne pas déclarer une loi ou un règlement n’empêche cependant pas la Cour de justice d’analyser les prestations concernées comme relevant du champ d’application du règlement120. L’article 1 t) désigne par le terme "prestations" « toutes prestations, pensions et rentes, y compris les événements à charge des fonds publics, les majorations de revalorisation ou allocations supplémentaires, ainsi que les prestations en capital qui peuvent être substituées aux pensions et rentes et les versements effectués à titre de remboursement de cotisations ». Autrement dit, il s’agit de tous les versements faits à l’assuré à la suite de la réalisation d’un risque déterminé. Cette notion suppose la réalisation d’un risque concret, à défaut de quoi ce versement ne peut être considéré comme une prestation de sécurité sociale au sens du règlement 1408/71121. Enfin, le règlement concerne aussi bien les régimes généraux que les régimes légaux de sécurité sociale. Les régimes spéciaux se substituent aux régimes légaux pour couvrir des catégories spéciales de travailleurs. Les régimes spéciaux de fonctionnaires, ignorés des règles de coordination, sont entrés dans le champ d’application matériel du règlement 1408/71, suite à l’adoption le 29 juin 1998, du règlement CE 1606/98122. 117 Article 1 j) du règlement 1408/71 : « le terme "législation" désigne, pour chaque Etat membre, les lois, les règlements, les dispositions statutaires et autres mesures d'application, existants ou futurs, qui concernent les branches et régimes de sécurité sociale visés à l'article 4 paragraphes 1 et 2 ». 118 CJCE, 31 mars 1977, Bozzone, aff. 87/76, Rec., p. 687. 119 Article 5 du règlement 1408/71. 120 CJCE, 27 janvier 1981, Vigier, aff. 70/80, Rec., p. 229. 121 CJCE, 1er décembre 1965, Dekker, aff. 33/65, Rec., p. 1111 ; RTD Europe, 1966, p. 327, note LYON-CAEN (G.). 122 Voir supra, p. 30. 51 Tout semble donc mis en œuvre pour satisfaire aux objectifs fixés par l’article 42 du traité CE en matière de sécurité sociale. L’interprétation extensive des notions relatives au champ d’application matériel du règlement 1408/71 permet aux travailleurs communautaires de bénéficier du plus grand nombre de prestations. Cependant certaines difficultés ont pu être rencontrées concernant les régimes complémentaires et les régimes de substitution. B. Les régimes complémentaires et les régimes de substitution Ces régimes ne sont pas mentionnés par le règlement 1408/71 qui ne les inclut, ni ne les exclut des règles de coordination123. Le droit communautaire ne vise que la sécurité sociale légale, ce qui laisse place à la question de savoir si les régimes complémentaires ou de substitution entrent dans le champ d’application du règlement. Il est nécessaire de préciser que les régimes conventionnels existants ou futurs, même ayant fait l’objet d’une décision des pouvoirs publics les rendant obligatoires, sont exclus de la définition du terme « législation » donnée par l’article 1 j) du règlement 1408/71. Cependant, le texte ajoute que la limitation peut être levée par une déclaration de l’Etat membre intéressé, lorsque les dispositions conventionnelles servent à la mise en œuvre d’une obligation d’assurance résultant des lois ou des règlements nationaux. Certains régimes conventionnels peuvent donc être inclus volontairement dans le champ d’application des règles de coordination, en tant qu’ils se substituent à la sécurité sociale légale et assurent des prestations de base124. Le régime d’assurance chômage français des ASSEDIC a été institué par une convention collective du 31 décembre 1958, agréée en application d’une ordonnance du 7 janvier 1959 et étendue par l’ordonnance n° 67-580 du 13 juillet 1967. Ce régime, bien que conventionnel, a fait l’objet d’une déclaration du gouvernement français125 visant à l’intégrer parmi les régimes soumis au règlement 1408/71. La croissance du chômage dans certaines régions de la Communauté nécessitait que soit pris en compte ce risque au titre de la coordination des législations de sécurité sociale. 123 LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 1993, p. 226. 124 RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p. 125 JOCE, n° L 90, du 6 avril 1973, p. 1. 52 Beaucoup de personnes étendent leur recherche d’emploi à d’autres Etats membres. C’est pourquoi les règles de coordination en matière d’assurance chômage permettent à l’assuré de conserver le droit aux prestations pendant la période nécessaire à ses recherches, ce qui lui permet de les étendre à d’autres Etats membres126. Ne pas déclarer le régime d’assurance chômage français aurait constitué une entrave à la libre circulation des travailleurs, ces derniers demeurant empêchés de chercher un emploi approprié sur certaines parties du territoire de la Communauté127. L’insertion volontaire de régime dans le champ d’application matériel des règles de coordination, ne concerne que les régimes qui se substituent à la sécurité sociale légale de base, mais pas ceux qui complètent ces régimes pour couvrir des risques déjà énumérés et pris en charge par le règlement128. La particularité des régimes complémentaires de retraite français AGIRC et ARRCO est de fonctionner selon le principe de la répartition, ce qui les rapproche sensiblement des techniques des régimes de base de sécurité sociale. Pourtant, ces régimes sont demeurés exclus du champ d’application du règlement 1408/71 jusqu’au 1er janvier 2000, date à laquelle une notification du gouvernement au Conseil est enfin venue les ajouter à la liste des prestations soumises aux règles de la coordination129. Les régimes de pension complémentaire sont souvent organisés dans le cadre de l’entreprise. Fonctionnant en général par capitalisation, ils viennent s’ajouter au régime légal et au régime complémentaire général. De nature très diversifiée, ces régimes ne peuvent faire l’objet d’une coordination adaptée130. Ils restent exclus du champ d’application du règlement 1408/71 en raison de leur grande hétérogénéité131 et de leur caractère conventionnel. 126 ALTMAIER (P.), « Prestations de chômage », in Commission des Communautés européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe sociale, numéro spécial, 3/92, p. 38 et s. 127 Cependant le temps accordé pour la conservation des prestations de chômage semble aujourd’hui très limité. Voir infra, p. 94. 128 RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p. 129 JOCE, n° C 215, 28 janvier 1999, p. 1. 130 DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, p. 429. 131 VAN RAEPENBUSCH (S.), « Qui est protégé par la coordination ? Quels régimes sont concernés ? », in Commission des Communautés européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe sociale, numéro spécial, 3/92, p. 19. 53 Pour enrayer cet obstacle à la libre circulation dans le domaine des pensions complémentaires ainsi qu’aux inégalités qui en découlent, a été adoptée en 1998 une directive tendant à la sauvegarde des droits des affiliés à des régimes complémentaires de pension qui se déplacent dans la Communauté132. Ce texte concerne les droits à pension au titre des régimes complémentaires tant volontaires qu’obligatoires, à l’exception des régimes couverts par le règlement 1408/71. La nouvelle directive prévoit le maintien des droits à pension dans le respect du principe d’égalité de traitement, ce qui permet aux travailleurs de se déplacer sans risquer de perdre les droits à pension qu’ils tenaient d’autres Etats membres. Ce système permet également de ne pas dissuader les travailleurs de migrer entre Etats membres. L’analyse du contenu et de la nature des prestations inclues dans le champ d’application du règlement 1408/71 a permis de mieux cerner ce qu’il fallait entendre par régimes de sécurité sociale. Le cercle des prestations couvertes par les règles de coordination ne cesse de s’étendre, malgré l’exclusion des régimes de pension complémentaire. Une exclusion fondamentale du règlement 1408/71 demeure : les prestations d’assistance sociale. Au premier abord, l’assistance sociale ne semblait pas poser de grandes difficultés de définition. Or, dans les législations nationales de sécurité sociale apparaissent de plus en plus de prestations d’aide sociale et de prestations empruntant les caractéristiques, tant de la sécurité sociale que de l’assistance sociale. Cette évolution suscite certaines difficultés concernant l’établissement d’une frontière entre ces deux ensembles. §2. La difficulté d’établir une frontière entre la sécurité sociale et l’assistance sociale L’assistance sociale et médicale est exclue du champ d’application matériel du règlement 1408/71133. Le droit communautaire ne donne pas pour autant de définition de la distinction entre sécurité sociale et assistance sociale134. Le seul élément de réponse que 132 Directive n° 98/49 CE du Conseil du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 209, 25 juillet 1998, p. 46. 133 Article 4 § 2 du règlement 1408/71 : « Le présent règlement s’applique aux régimes de sécurité sociale généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations de l’employeur ou de l’armateur concernant les prestations visées au paragraphe 1 ». 134 NERI (S.), Encyclopédie Dalloz, Droit communautaire, 15 avril 1992, V° Sécurité sociale, p. 11. 54 fournit la Cour de justice réside dans l’indifférence de la qualification de la prestation concernée par les Etats membres ainsi que son mode de financement135. Ce qui compte sont les éléments substantiels tenant à la finalité et les conditions d’octroi du droit à l’aide sociale. Certaines prestations de sécurité sociale présentent un caractère non contributif, c'est-àdire qu’elles sont versées aux intéressés sans contrepartie de cotisations salariales ou patronales, mais par le biais de la solidarité nationale. Selon la CJCE, ces prestations ne peuvent échapper au champ d’application du règlement136 en raison de leur rattachement à un risque de sécurité sociale. La circonstance qu’un Etat membre ait qualifié une de ces prestations comme relevant de l’assistance est indifférente, le juge communautaire pouvant l’analyser comme tombant dans le domaine de la sécurité sociale.137 L’exclusion de l’assistance sociale du champ d’application du règlement 1408/71 doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. Le droit aux prestations de sécurité sociale est en général lié à l’exercice d’une activité professionnelle, tandis que l’assistance est l’expression de la solidarité nationale, constituant un palliatif des besoins des individus138. Or, le droit social voit se développer un grand nombre de prestations « mixtes » qui empruntent à la fois les caractères de l’assistance et de la sécurité sociale. Il apparaît dès lors de plus en plus difficile de distinguer ces deux ensembles. Rares deviennent les prestations financées exclusivement sur les fonds publics ou exclusivement par des cotisations139. De cette évolution découle un conflit d’intérêts entre les Etats membres et la Cour de justice. D’une part, les Etats membres adoptent une conception large de l’assistance pour y faire entrer les prestations mixtes et n’en faire profiter que ceux qui résident sur leur territoire. D’autre part, la CJCE en retient une conception restrictive, permettant ainsi d’éliminer les obstacles à la libre circulation des travailleurs. 135 CJCE, 6 juillet 1978, Directeur régional de la sécurité sociale de Nancy c. Gillard, aff. 9/78, Rec., p. 1661. 136 Article 4 § 2 du règlement 1408/71. 137 CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, Rec., p. 457 ; CJCE, 9 octobre 1974, Biason, Rec., 1974, p. 999. 138 SEDIVY (G.), « A propos de la distinction entre prestation de Sécurité sociale et prestation d’assistance », Dr. soc., n° 12, Décembre 1980, p. 563. 139 PERRIN (G.), « Les prestations non contributives et la sécurité sociale », Dr. soc., n°3, Mars 1961, p. 179. 55 A cette fin, la Cour de justice va élaborer des critères de distinction entre l’assistance et la sécurité sociale, critères qui se sont appliqués en droit communautaire de la sécurité sociale, jusqu’à la création en 1992 des prestations spéciales à caractère non contributif, remettant en cause les interprétations jurisprudentielles. A. Les critères jurisprudentiels de distinction entre assistance sociale et sécurité sociale Une première analyse consistait à considérer les prestations mixtes comme appartenant à la sécurité sociale, en raison de leur rattachement à un des risques énumérés à l’article 4§1 du règlement 1408/71. Selon la Cour, la notion de sécurité sociale doit être interprétée de manière extensive. En raison du caractère attractif de la sécurité sociale, « si dans un régime donné de protection sociale, l’on trouve parmi d’autres, des éléments qui procèdent de l’esprit et des techniques de la sécurité sociale, ce sont ces éléments qui l’emportent et doivent entraîner au regard du droit communautaire, la qualification juridique de sécurité sociale »140. Par exemple, l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité est destinée à compléter les prestations de sécurité sociale versées aux personnes âgées, lorsque le montant de leurs prestations ne permet pas d’atteindre le minimum vieillesse. Cette allocation présente un caractère accessoire à l’égard de la sécurité sociale. La CJCE applique à la prestation litigieuse la règle civiliste selon laquelle « l’accessoire suit le principal »141, considérant ainsi que la nature juridique des prestations de base devait s’étendre à celle de la prestation principale.142 Le critère du rattachement à un risque de sécurité sociale énuméré à l’article 4 § 1 du règlement 1408/71, ouvre la voie à une généralisation de la notion de sécurité sociale. Peu de prestations sont octroyées indépendamment d’un tel risque, si ce ne sont celles qui, comme le revenu minimum d’insertion ou le « minimex » belge, pallient l’état général de besoin des personnes qui se trouvent hors du système de sécurité sociale143. Ainsi, 140 CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, concl. Avocat général MAYRAS (H.), Rec., p. 469. 141 SEDIVY (G.), « A propos de la distinction entre prestation de Sécurité sociale et prestation d’assistance », Dr. soc., n° 12, Décembre 1980, p. 563. 142 CJCE, 9 octobre 1974, Biason, aff. 24/74, Rec., p. 999. 143 VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996, p. 95. 56 l’objectif de la sécurité sociale consisterait non plus seulement dans l’assurance des besoins primaires des individus, mais aussi dans la garantie d’un certain niveau de vie144. D’autres critères jurisprudentiels de distinction entre assistance sociale et sécurité sociale sont relevés par le juge communautaire. Ces éléments tiennent non plus à la finalité des prestations litigieuses, mais à leurs conditions d’octroi. Les prestations d’assistance sont versées selon une condition de besoin du bénéficiaire, tout comme peuvent l’être certaines prestations mixtes. L’aide sociale est versée à des personnes dont l’insuffisance des revenus est appréciée de manière individuelle, faisant abstraction de toute exigence relative à des périodes d’activité professionnelle, d’affiliation ou de cotisation. L’accord de l’institution débitrice intervient de manière discrétionnaire. Au contraire, les législations de sécurité sociale abandonnent cette appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins, et s’apparentent à un droit inconditionnel aux prestations145. Les législations de sécurité sociale confèrent à leur bénéficiaire une position légalement définie. C’est ainsi que le revenu minimum garanti aux personnes âgées146, l’allocation ordinaire pour handicapés147 ou l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité148 ont été qualifiées de prestations de sécurité sociale par la Cour de justice, avec la conséquence de les soumettre aux règles de coordination du règlement 1408/71, bien que présentant une double fonction : garantir un minimum de moyens d’existence à des personnes placées entièrement en dehors du système de sécurité sociale, et assurer un complément de revenu aux bénéficiaires de prestations de sécurité sociale insuffisantes149. Une prestation peut donc être considérée comme une prestation de sécurité sociale au sens du règlement 1408/71, dans la mesure où elle est octroyée aux bénéficiaires en dehors de toute appréciation individuelle discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d’une 144 CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, concl. Avocat général MAYRAS (H.), Rec., p. 469. 145 PERRIN (G.), « Les prestations non contributives et la sécurité sociale », Dr. soc., n°3, Mars 1961, p. 179. 146 CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, concl. Avocat général MAYRAS (H.), Rec., p. 469. 147 CJCE, 28 mai 1974, Callemeyn c. Etat belge, aff. 187/73, Rec., p. 553. 148 CJCE, 9 octobre 1974, Biason, aff. 24/74, Rec., p. 999. 149 VERSCHUERNEN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement communautaire 1408/71 », Dr.soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921. 57 situation légalement définie, et où elle se rapporte à un des risques énumérés expressément à l’article 4 § 1 du règlement 1408/71150. La jurisprudence communautaire a permis par l’appréciation extensive de la sécurité sociale et la conception restrictive de l’assistance d’élargir le champ d’application personnel du règlement 1408/71. Or les aspirations restrictives des Etats membres à vouloir faire entrer les prestations mixtes dans le domaine de l’aide sociale, ont fini par s’imposer. Un règlement 1247/92151 va créer les prestations spéciales à caractère non contributif, parmi lesquelles certaines échapperont aux règles de coordination pour ne bénéficier qu’aux résidents des Etats membres débiteurs. Cette création marque un net recul du point de vue communautaire visà-vis de l’objectif de libre circulation des travailleurs ainsi que du principe d’égalité de traitement qui permet sa mise en œuvre efficace. B. La création des prestations spéciales à caractère non contributif Le règlement 1247/92 ajoute à l’ancien article 4 § 2 un article 4 § 2 bis qui fait entrer dans le champ d’application des règles de coordination les « prestations spéciales à caractère non contributif ». Ces dernières sont destinées, soit à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches visées par l’article 4 § 1, soit uniquement à assurer la protection spécifique des handicapés. Cette nouvelle catégorie ne relève ni de l’assistance car elle peut se rattacher à la sécurité sociale à titre complémentaire ou accessoire, ni de la sécurité sociale classique car elle est financée sur les fonds publics, indépendamment de toute cotisation des assurés. Ces prestations doivent être servies, en principe, conformément aux autres dispositions du règlement 1408/71. Elles sont acquises aux bénéficiaires qui quittent le territoire de l’Etat membre du siège de l’organisme débiteur152. En d’autres termes, l’Etat membre débiteur doit continuer à verser la prestation au bénéficiaire qui quitte le territoire pour résider dans 150 VERSCHUERNEN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement communautaire 1408/71 », Dr.soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921. 151 Règlement CEE n° 1247/92 du conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 136 du 19 mai 1992. 152 CHENILLET (P.), « L’exportation du Fonds national de solidarité au sein de la Communauté européenne : suite et fin ? », RD sanit. soc., 1992, p. 745. 58 un autre Etat membre. Cette règle résulte de l’article 10 du règlement 1408/71 qui instaure le principe de la prohibition des clauses de résidence concernant certaines des prestations couvrant les risques énumérés à l’article 4 § 1153. Certaines prestations spéciales à caractère non contributif figurent dans une annexe II bis insérée au règlement 1408/71 par le règlement 1247/92. Elles sont en général destinées à donner un support financier à des personnes handicapées ou invalides, à des personnes âgées ou à des familles démunies de ressources suffisantes154. Concernant la France, il s’agit de l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité et de l’allocation pour adultes handicapés. Ces allocations présentent désormais un régime dérogatoire : le nouvel article 10 bis dispose que les personnes bénéficient des prestations visées à l’article 4 § 2 bis exclusivement sur le territoire de l’Etat membre dans lequel elles résident « pour autant que ces prestations soient mentionnées à l’annexe II bis ». Elles sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge. Le nouvel article 10 bis constitue un retour au principe de territorialité contre lequel furent élaborées les règles de coordination155. Les Etats membres soutiennent que les prestations de type mixtes sont accordées en vertu d’un environnement économique et social précis. Dès lors leur versement ne remplirait pas la même fonction si elle était servie dans un autre Etat membre. De plus, il causerait des problèmes de gestion, de coordination et de fonds importants que seul un règlement communautaire peut résoudre156. La résistance des Etats membres à la jurisprudence libérale de la CJCE a donné lieu à des condamnations pour manquement157. Les législations restrictives en contradiction avec le droit communautaire, soumettent l’octroi de ces prestations à une condition de résidence. Les modifications de 1992 donnent ainsi raison à ces aspirations restrictives. 153 Article 10 du règlement 1408/71 : « A moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les prestations […] acquises au titre de la législation d’un ou de plusieurs Etats membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice ». 154 VERSCHUERNEN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement communautaire 1408/71 », Dr.soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921. 155 DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, n° 519 et s., et n° 550. 156 CHENILLET (P.), « L’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité face au droit communautaire européen à la lumière de l’arrêt CJCE 24 juillet 1987 », RD sanit. soc., 1987, p. 528 ; CHENILLET (P.), « L’exportation du Fonds national de solidarité au sein de la Communauté européenne : suite et fin ? », RD sanit. soc., 1992, p. 745. 157 CJCE, 12 juillet 1990, Commission c. République française, aff. C 236/88, Rec., p. I-3163 ; D. 1991, somm. P. 120, obs. PRETOT (X.) ; RD Sanit. Soc., 1991, p. 138, obs. CHENILLET (P.). 59 Cependant, nombre de ressortissants évincés par ces nouvelles règles vont contester la validité de l’annexe II bis, arguant de son incompatibilité avec l’objectif de libre circulation des travailleurs et le principe d’égalité de traitement. L’absence de définition claire des prestations spéciales à caractère non contributif ainsi que la frontière ténue entre assistance et sécurité sociale, va ouvrir à la Cour de justice la voie vers une libéralisation de la protection sociale. SECTION II. LA LIBERALISATION JURISPRUDENTIELLE DE LA PROTECTION SOCIALE La Cour de justice va profiter de certaines lacunes du droit communautaire concernant les définitions des prestations spéciales à caractère non contributif, ainsi que du principe général d’égalité de traitement en matière de libre circulation des personnes, pour étendre à nouveau le champ d’application de la protection sociale. Cette libéralisation jurisprudentielle de la protection sociale va se traduire en matière de coordination des régimes, par un retour à l’interprétation téléologique de la notion de prestation spéciale à caractère non contributif (§ 1). Elle se manifeste parallèlement, s’agissant des prestations n’entrant pas dans le champ d’application matériel du règlement 1408/71, par un contournement des exclusions grâce au recours à la notion d’avantage social (§ 2). §1 e r . Le retour à l’interprétation téléologique de la notion de prestation spéciale à caractère non contributif L’entrée en vigueur du règlement 1247/92 instaure des dérogations aux principes libéraux du règlement 1408/71. De ces modifications apparaît un constat indéniable : les dérogations visant à soumettre l’octroi de certaines prestations relevant de l’annexe II bis à une condition de résidence, demeurent résolument incompatibles avec l’objectif de libre circulation des travailleurs (A). La Cour de justice va à nouveau adopter une conception très large de la sécurité sociale en posant des conditions cumulatives de qualification des prestations spéciales à caractère non contributif (B). 60 A. L’incompatibilité de la nouvelle dérogation avec l’objectif de libre circulation des travailleurs Des travailleurs migrants vont contester le retour à la territorialité des prestations auxquelles ils auraient eu droit sous l’empire du règlement d’origine. La soumission des prestations spéciales à caractère non contributif figurant à l’annexe II bis pose un problème de compatibilité des nouvelles règles à l’article 42 du traité. Celles-ci ne satisfont ni à l’objectif de libre circulation des travailleurs, ni au principe de l’égalité de traitement entre les ressortissants communautaires et les nationaux. Ces règles dérogatoires constituent une entrave à la libre circulation. Ayant acquis des droits dans leur Etat membre d’emploi, les requérants ne peuvent les conserver s’ils partent résider sur le territoire d’un autre Etat membre. Une satisfaction partielle peut être apportée : les nouvelles règles ne privent pas les travailleurs migrants de toute protection offerte par les prestations sociales concernées158. L’intéressé peut prétendre à d’autres prestations spéciales à caractère non contributif dans l’Etat de résidence, s’il en existe ou s’il répond aux conditions posées pour l’obtenir. Or, s’il obtient une telle prestation, il est tout à fait possible que la protection offerte demeure inférieure au montant des droits qu’il tenait de son Etat d’origine. Dans le pire des cas, lorsque la prestation équivalente demandée est contributive, le travailleur risque de se voir refuser son versement au motif qu’il n’aurait pas accompli de périodes de travail, d’affiliation ou de cotisations suffisantes, ce qui entraîne une perte pure et simple de ses droits acquis159. Ces nouvelles règles présentent un caractère dissuasif contraire à l’esprit du règlement 1408/71 qui devait à l’origine contribuer à l’établissement d’une liberté de circulation aussi complète que possible en matière de protection sociale. Elles entraînent en outre des situations discriminatoires. Le national qui a acquis les mêmes droits que celui qui se déplace peut prétendre au bénéfice de la prestation parce qu’il réside sur le territoire de l’Etat membre débiteur. La condition de résidence est bien plus aisée à remplir pour le national, ce qui engendre une discrimination indirecte fondée sur la nationalité160. La levée des clauses de résidence était justement intervenue pour lutter 158 VERSCHUEREN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement communautaire 1408/71 », Dr. soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921. 159 VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996, p. 83. 160 Voir infra, p. 78. 61 contre cette forme de discrimination. Il en résulte que celui qui réside sur le territoire d’un Etat membre autre que celui dans lequel il réclame un droit acquis, ne peut bénéficier de la prestation à laquelle il aurait eu droit s’il était ressortissant ou national résidant dans ce dernier Etat. Cette dérogation est également contraire au principe de l’unicité des législations applicables. Le travailleur risque d’être soumis à une double législation. D’une part les prestations de sécurité sociale lui seront servies conformément à la législation de son Etat d’emploi. D’autre part, il ne pourra réclamer les prestations spéciales à caractère non contributif de l’annexe II bis que de son Etat de résidence. Le retour des clauses de résidence n’a pas fait l’unanimité au sein des juridictions nationales. Dès 1990, le Conseil constitutionnel déclarait que l’application d’une condition de résidence aux seuls étrangers communautaires est contraire au principe d’égalité de traitement161. Au sein même de la Commission des Communautés européennes il a été rappelé que le maintien d’une clause de résidence cause des inconvénients pour le migrant qui se voit restreindre la libre circulation des travailleurs162. L’application des règles spéciales aux prestations de l’annexe II bis, est analysée comme un recul de la solidarité des Etats membres en matière de protection sociale163. Par l’analyse de ces prestations, l’on peut relever que le législateur communautaire n’a pas clairement défini ce qu’il fallait entendre par prestation spéciale à caractère non contributif. Aucun critère de qualification n’est employé pour l’application de l’article 10 bis du règlement. Il suffit que la prestation soit inscrite à l’annexe II bis pour que lui soient applicables les règles dérogatoires. Dans un premier temps, cette inscription n’a pas été remise en cause par la jurisprudence communautaire qui y voyait une présomption irréfragable de dérogation à la levée des clauses de résidence. La Cour de justice déclarait en effet « la circonstance que le législateur mentionne une réglementation à l’annexe II bis du règlement 1408/71 doit être admise comme établissant que les prestations accordées sur la base de cette réglementation 161 Déc. Cons. Const., 22 janvier 1990, Rec., 1990, p. 497 ; Dr. soc., 1990,p. 352, chron. PRETOT (X.). 162 CORNELISSEN (R.), chef de l’unité « sécurité sociale des travailleurs migrants » à la Commission des Communautés européennes, « Les quatre principes de la coordination », in Commission des Communautés européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe sociale, numéro spécial, 3/92, p. 12 et s. 163 LHERNOULD (J.P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387. 62 constituent des prestations spéciales à caractère non contributif relevant du champ d’application de l’article 10 bis de ce règlement 1408/71 »164. La Cour n’a pas répondu aux arguments des Etats membres selon lesquels les prestations litigieuses étaient liées à l’environnement économique et social national165. Certains auteurs estimaient que les vrais motifs des Etats membres tenaient à la limitation des coûts engendrés par ces prestations de subsistance166. Ce texte, selon la Cour de justice, ne semblait pas contredire les dispositions de l’article 42 du traité CE, jusqu’à ce que le juge communautaire à l’occasion d’un litige concernant une allocation spéciale dépendance soit amené à préciser les critères de qualification des prestations spéciales à caractère non contributif. B. Les critères jurisprudentiels de qualification des prestations spéciales à caractère non contributif La Cour de justice va profiter du flou textuel laissé par le législateur communautaire pour revenir à une interprétation téléologique du règlement. Par un arrêt en date du 8 mars 2001, le juge communautaire a renversé ce qui devait être une présomption « irréfragable » de non exportation des prestations de l’annexe II bis167. Il rappelle que les interprétations de la Cour doivent être données à la lumière de l’article 42 du traité CE qui contribue à l’établissement d’une libre circulation des travailleurs migrants la plus complète possible en matière de sécurité sociale. Les règles dérogatoires au règlement 1408/71 doivent donc faire l’objet d’une conception restrictive. Il ressort de l’arrêt Jauch168 que l’inscription de la prestation litigieuse à l’annexe II bis du règlement 1408/71 est une condition nécessaire, mais insuffisante pour que l’allocation soit qualifiée de prestation spéciale à caractère non contributif. D’autres conditions cumulatives doivent nécessairement être remplies : la prestation doit être réellement spéciale et non contributive. La Cour va procéder à une définition négative de ces termes. 164 CJCE, 4 novembre 1997, Snares, aff. C-20/96, Rec., p. I-6057 ; CJCE, 11 juin 1998, Partridge, aff. C297/96, Rec., p. I-3467 ; CJCE, 25 février 1999, Swaddling, aff. 90/97, Rec., p. I-1075. 165 VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996, p. 83. 166 LHERNOULD (J.P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387. 167 CJCE, 8 mars 2001, Jauch, aff. C-215/99, Rec., p. 1901. 168 Ibid. 63 Elle va tout d’abord adopter une conception très large de la « contributivité » : dès lors que la prestation présente un lien indirect avec des cotisations, elle devient contributive. Or compte tenu de l’imbrication et de la complexité des systèmes de financement de la protection sociale169, il demeurera presque toujours impossible de relever une prestation qui soit accordée exclusivement sur la base d’un financement public, tout comme il restera impossible d’y déceler un caractère purement contributif170. Seuls les revenu minimum d’insertion français et « minimex » belge répondent à cette logique exclusive d’assistance. Cette première interprétation peut permettre d’aboutir à une généralisation de la notion de contributivité à la quasi-totalité des prestations sociales. Concernant la spécialité de l’allocation litigieuse, la Cour va également apporter une définition négative, adoptant une conception très large de la sécurité sociale. Elle va juger que l’allocation qui se rattache, même indirectement, à un des risques énumérés à l’article 4 § 1 du règlement 1408/71, n’est pas spéciale, et entre dans le domaine de la sécurité sociale171. Ce retour à l’idée du caractère attractif de la sécurité sociale172 va entraîner une généralisation de cette notion à l’ensemble des prestations. L’on peut rappeler qu’il n’existe que très peu de prestations présentant un caractère autonome par rapport aux risques concernés. Ici encore, seuls le « minimex » et le revenu minimum d’insertion qui assurent aux bénéficiaires un revenu minimum général et inconditionnel présentent ce caractère de spécialité173. Le critère de spécialité va être précisé par un arrêt confirmatif de la Cour à propos d’une allocation luxembourgeoise de maternité174. Cette allocation doit bénéficier selon les termes de la législation luxembourgeoise « à toute femme enceinte ou accouchée » qui remplit les conditions requises, ce qui montre bien que la prestation est octroyée à une généralité de destinataires. La législation, bien que mentionnée en annexe II bis du règlement 1408/71, a bien abandonné l’appréciation individuelle discrétionnaire caractéristique de l’assistance, et confère au bénéficiaire une position légalement définie. Il 169 KESSLER (F.), « L’exportation des prestations non contributives de sécurité sociale : du nouveau », Dr. soc., n° 7-8, Juillet-Août 2001, p. 751. 170 PERRIN (G.), « Les prestations non contributives et la sécurité sociale », Dr. soc., n°3, Mars 1961, p. 179. 171 LHERNOULD (J.P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387. 172 CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, concl. Avocat général MAYRAS (H.), Rec., p. 469. 173 CJCE, 27 mars 1985, Scrivener, aff. 122/84, Rec., p. 1027 ; CJCE, 27 mars 1985, Hoeckx, aff. 249/83, Rec., p. 973. 174 CJCE, 31 mai 2001, Leclere, aff. C-43/99, Rec., p. 4265. 64 ne s’agit donc pas d’une allocation spéciale, et par conséquent elle ne peut être qualifiée de prestation spéciale à caractère non contributif. Concernant l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité ou l’allocation aux adultes handicapés, cette interprétation des caractères de non-contributivité et de spécialité risque bien de mener la Cour à invalider l’annexe II bis. La Cour de justice a déclaré que la première allocation connaissait un mode de financement proche de cotisations sociales175. De plus, elle se rapproche du risque vieillesse car elle est destinée à compléter une prestation qui ne procurerait pas à l’assuré des revenus suffisants. Quant à l’allocation pour adultes handicapés, il s’agit d’une prestation subsidiaire destinée aux personnes « qui ne peuvent pas prétendre au titre d’un régime de sécurité sociale, d’un régime de pension de retraite ou d’une législation particulière à un avantage de vieillesse ou d’invalidité, ou d’une rente d’accident du travail au moins égale à ladite allocation »176. Même si la prestation est non contributive, elle se rattache néanmoins au regard du droit communautaire, à un risque invalidité, ce qui fait d’elle une prestation de sécurité sociale. Progressivement, la CJCE en vient à vider de son contenu l’annexe II bis177. Avec cette libéralisation nouvelle de la protection sociale, on assiste au retour du principe d’égalité de traitement, le juge tendant à rendre l’article 10 bis du règlement inapplicable en pratique. Il s’agit d’une sorte de revirement vers le système antérieur à l’adoption du règlement 1247/92. Outre ce retour à une conception large de la sécurité sociale, certains auteurs envisagent de différencier entre les prestations non contributives prolongeant des périodes de travail antérieures, et celles qui seraient indépendantes de telles périodes178. Seules les premières seraient exportables, parmi lesquelles l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité, accessoire d’une prestation sociale contributive. C’est cette voie qu’a suivie la Cour de justice des Communautés européennes dans une jurisprudence parallèle, s’agissant de la notion d’avantage social appliquée notamment aux prestations exclues du champ d’application du règlement 1408/71. 175 CJCE, 15 février 2000, Commission c. France, aff. C-169/98, Rec., p. I-1049. 176 Article 811-1 du Code de la Sécurité sociale. 177 KESSLER (F.), « L’exportation des prestations non contributives de sécurité sociale : du nouveau », Dr. soc., n° 7-8, Juillet-Août 2001, p. 751. 178 LHERNOULD (J.P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387. 65 §2. Le contournement des exclusions par le recours aux avantages sociaux L’article 7 du règlement 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs, pose le principe de non discrimination entre les ressortissants et les nationaux pour toutes conditions d’emploi et de travail. Le second paragraphe prévoit que les ressortissants des Etats membres de la Communauté « bénéficient des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ». Ces dispositions favorisent la libre circulation des travailleurs. Elles doivent donc faire l’objet d’une interprétation large (A). Appliquée au droit communautaire de la sécurité sociale, la notion d’avantage social permet de compléter la protection que le travailleur migrant tient du règlement 1408/71. Cela nécessite quelques précisions concernant l’articulation entre le règlement 1408/71 et les avantages sociaux (B). A. La conception large de la notion d’avantage social Les avantages sociaux se rapprochent de l’aide sociale par leur finalité. Leur destination première réside dans le financement des besoins sur le budget général de l’Etat pour ceux qui n’ont pas suffisamment de moyens propres d’existence ou de prestations de sécurité sociale. Ces avantages s’adressent principalement aux personnes qui résident sur le territoire de l’Etat membre débiteur. Pour séjourner dans un Etat membre autre que le sien, il faut disposer de ressources suffisantes et ne pas devenir une charge pour l’assistance de l’Etat membre d’accueil. Il faut préalablement au séjour, exercer une activité professionnelle. En revanche, le travailleur migrant qui exerce son droit de libre circulation puis se retrouve au chômage conserve le droit de demeurer sur le territoire de l’Etat membre d’accueil179 et y demander prestations d’aide sociale et avantages sociaux. Les Etats membres prévoient de plus en plus de prestations d’assistance dans leur législation, ce qui aboutit à des systèmes d’avantage tournés vers une logique de solidarité. Les travailleurs qui entrent dans le champ d’application de l’article 39 CE et du règlement 1612/68, ont droit de la part de l’Etat membre où ils travaillent, à l’aide sociale ou aux prestations sociales dans les mêmes conditions que les ressortissants de l’Etat en 179 Règlement 1251/70 CEE du 29 juin 1970 relatif au droit des travailleurs de demeurer sur le territoire d’un Etat membre après y avoir occupé un emploi. 66 question180. Ils bénéficient, comme le prévoit l’article 7 § 2 du règlement 1612/68, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. L’avantage social a été défini par la CJCE qui entend lui conférer une portée très large181. Cette notion comprend « tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d’emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison principalement de leur qualité objective de travailleur ou au simple fait de leur résidence sur le territoire national, et dont l’extension aux travailleurs ressortissants d’autres Etats membres apparaît de nature à faciliter leur mobilité à l’intérieur de la Communauté »182. La notion d’avantage peut donc ne pas être liée avec la qualité de travailleur ou au contrat de travail183. Il en résulte une extension du champ d’application matériel du principe de non discrimination dans des domaines périphériques à la relation de travail184. L’avantage social concerne l’ensemble des conditions de vie du ressortissant communautaire accueilli sur le territoire d’un autre Etat membre185. L’abandon du lien avec le contrat de travail a de nouveau été confirmé concernant la satisfaction d’une demande de revenu minimum, posée par une étudiant ne disposant pas de ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins. La Cour de justice de considérer sur le fondement de la citoyenneté européenne, que cet étudiant devait bénéficier de ce minimum au même titre que les nationaux186. Les avantages sociaux peuvent également bénéficier aux membres de la famille. Selon le cinquième considérant du règlement 1612/68, « le droit de libre circulation exige […] que soient éliminés les obstacles qui s’opposent à la mobilité des travailleurs, notamment en ce qui concerne… les condition d’intégration de cette famille dans le milieu du pays d’accueil ». Le principe d’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux se trouve dès lors considérablement élargi. L’interdiction d’imposer aux ressortissants communautaires des 180 VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996, p. 83. 181 CATTALA (N.), J.-Cl.-Europe, Fasc. 601, Editions du Jurisclasseur, 1995, V° Libre circulation des travailleurs (déplacement, séjour, exceptions). 182 CJCE, 6 juin 1985, Frascogna, aff. 157/84, Rec., p. 1739. 183 CJCE, 31 mai 1979, Even, aff. 207/78, Rec., p. 2019. 184 CEREXHE (E.), « L’égalité de traitement dans l’ordre juridique communautaire », in Etudes de droit des communautés européennes, Mélanges offerts à P.-H. Teitgen, Paris : Pédone, 1984, p. 33. 185 CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085 ; CJCE, 19 janvier 1982, Reina, aff ; 65/81, Rec., p. 33 ; CJCE, 6 juin 1985, Frascogna, op. cit., supra note n° 151 ; CJCE, 17 avril 1986, Reed, aff. 59/85, Rec., p. 1283. 186 CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyc, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, Décembre 2001, p. 1108. 67 conditions plus difficiles à remplir que pour les nationaux s’applique par exemple aux enfants des travailleurs. L’insertion d’une clause de résidence ou d’une condition d’accomplissement d’une durée de résidence peut s’avérer discriminatoire. L’article 7 § 2 n’impose en aucun cas de condition de résidence sur le territoire d’un Etat membre. Quant au premier considérant du règlement 1612/68, il précise que « la libre circulation implique le droit de se déplacer librement pour exercer une activité salariée, quel que soit le lieu de résidence ». Une législation ne peut non plus imposer des conditions supplémentaires aux étrangers communautaires, tel que le paiement d’un droit d’inscription spécial. Par le biais des avantages sociaux, on assiste à une généralisation de l’égalité de traitement, qui contribue à la réalisation efficace de la libre circulation des travailleurs. Cette notion d’avantages sociaux se présente comme un complément à la protection sociale dont bénéficie le travailleur migrant avec le règlement 1408/71. Cependant il est nécessaire de bien différencier ces régimes et voir comment ils s’articulent. B. L’articulation entre le règlement 1408/71 et les avantages sociaux Si le règlement 1408/71 exclut de son champ d’application personnel les prestations d’assistance sociale, cette exclusion ne constitue pas pour autant un obstacle à leur reconnaissance en tant qu’avantage social187. Les dispositions relatives à l’interdiction des discriminations valent tant pour les avantages sociaux que pour l’aide sociale ou les prestations sociales dépendant du niveau des moyens d’existence de l’intéressé188. Dès lors, tout bénéfice social autre que les prestations de sécurité sociale est considéré comme un avantage social au sens de l’article 7 § 2. Qualifier le revenu minimum d’insertion, le minimex ou l’allocation pour adultes handicapés d’avantage social, permet d’apporter un complément utile à la protection sociale du migrant. Cela contribue à une meilleure égalité de traitement et facilite la mobilité des travailleurs au sein de la Communauté européenne. Cette solution permet d’enrayer les tentatives nationales de restrictions, telles que l’insertion de clauses de résidence pour certaines prestations. 187 VAN RAEPENBUSCH (S.), « Qui est protégé par la coordination ? Quels régimes sont concernés ? », in Commission des Communautés européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe sociale, numéro spécial, 3/92, p. 18 et s. 188 VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996, p. 83. 68 Cependant il ne faut pas confondre les prestations sociales du règlement 1408/71 et les avantages sociaux de l’article 7 § 2. Gardons bien à l’esprit que cette distinction doit s’effectuer eu égard à la finalité et les conditions d’octroi des bénéfices sociaux. Les avantages sociaux sont ceux qui, indépendamment d’une éventuelle affiliation à un régime de sécurité sociale et indépendamment du versement de cotisations, sont accordés à des personnes en raison de la situation particulière dans laquelle ils se trouvent, par exemple leur âge, leur état physique ou de besoin. Ces avantages concernent non seulement les bénéfices accordés au titre d’un droit, mais aussi ceux qui sont octroyés sur une base discrétionnaire189. Une autre différence réside dans le constat que si les prestations concernées par le règlement 1408/71 sont exportables, il n’en est en revanche pas le cas pour les avantages sociaux du règlement 1612/68. L’avantage social présente un caractère subsidiaire par rapport à la sécurité sociale190. Si la prestation concernée entre dans le champ d’application du règlement 1408/71, il n’y a pas lieu de se soucier de son appartenance au règlement 1612/68191. A l’inverse, si le demandeur au bénéfice des règles de coordination essuie un refus de la part de l’institution compétente, la CJCE, sans même qu’il soit nécessaire de vérifier que la prestation est bien exclue du règlement 1408/71, peut se tourner directement vers la notion d’avantage social. Il peut ainsi arriver qu’une même prestation soit successivement qualifiée d’avantage social, puis de prestation soumise à la coordination192. Ces deux régimes peuvent présenter un caractère cumulatif. L’adoption d’une interprétation large des dispositions favorables à la libre circulation des travailleurs, le fait qu’une prestation relève d’abord du règlement 1408/71 ne peut, pour cette seule raison lui permettre d’échapper à la définition d’avantage social193. Ce point de vue a été adopté par la CJCE à propos d’une allocation luxembourgeoise de naissance194. La solution a été 189 CATTALA (N.), J.-Cl.-Europe, Fasc. 601, Editions du Jurisclasseur, 1995, V° Libre circulation des travailleurs (déplacement, séjour, exceptions). 190 BONNECHERE (M.), « La libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne », Dr. Ouvrier, Août 1995, p. 319 ; MARTIN (D.), « Réflexions sur le champ d’application matériel de l’article 48 du traité CE », Cah. dr. eur., 1993, n° 5-6, p. 558. 191 CJCE, 16 juillet 1992, Hugues, aff. C-78/91, Rec., p. I-4839. 192 CJCE, 20 juin 1985, Deak, aff. 94/84, Rec., p. I-1873 ; CJCE, 31 janvier 1991, Kziber, aff. C-18/90, Rec., p. I-199. 193 MARTIN (D.), « Réflexions sur le champ d’application matériel de l’article 48 du traité CE », op. cit., supra note n° 159. 194 CJCE, 10 mars 1993, Commission c. Luxembourg, aff. C-111/91, Rec., p. I-817. 69 confirmée dans l’affaire Martinez Sala195, la Cour déclarant qu’une allocation d’éducation était une prestation familiale au sens du règlement 1408/71, et un avantage social au sens de l’article 7 § 2 du règlement 1612/68. Cette complémentarité de protection sociale est une solution favorable au principe d’égalité de traitement envers les travailleurs migrants et indirectement envers les membres de leur famille. Elle permet d’assurer au mieux la libre circulation des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté. Le champ d’application personnel et matériel des règlements 1408/71 et 1612/68 fait l’objet d’une interprétation très libérale de la Cour de justice des Communautés européennes. Cette conception permet une généralisation d’une protection sociale complète à la quasi-totalité des citoyens de l’Union, sans discrimination par rapports aux nationaux des Etats membres. La libre circulation des travailleurs a fait l’objet de transformations importantes. Le dépassement de la dimension économique du marché intérieur a conduit ce principe vers une libre circulation des personnes. Le règlement 1408/71 dont l’ambition s’est révélé bien plus social que l’objectif qu’il poursuit, présente des conditions d’application très souples. L’octroi des prestations sociales n’est subordonné, ni à l’exercice d’une activité économique, ni à l’exercice de sa libre circulation. Le champ d’application matériel est le fruit de constants débats entre les institutions communautaires et les Etats membres. Deux logiques s’affrontent dans un permanent conflit d’intérêts. Les Etats membres semblent manifester la volonté de ne pas répercuter le coût de l’assistance sociale sur les budgets nationaux, quitte à passer outre l’interdiction des discriminations à l’égard des travailleurs migrants et des membres de leur famille. L’influente Cour de justice lutte pour l’établissement de la libre circulation la plus complète possible dans une Europe sans frontières intérieures, en faisant élargir le domaine d’application du règlement 1408/71 et du principe d’égalité de traitement. La Cour adopte la conception du caractère attractif de la sécurité sociale pour faire sortir certaines prestations de situations dérogatoires contraires à l’esprit du règlement. Elle utilise de manière libérale la notion d’avantage social pour assurer au travailleur migrant la plus complète des protections sociales. 195 CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691. 70 Le champ d’application du droit communautaire de la sécurité sociale pose ainsi les bases d’une réalisation effective de la libre circulation des travailleurs. Il tend vers une application universelle de l’égalité de traitement. Le principe d’égalité de traitement est considéré comme un instrument de réalisation de la libre circulation des travailleurs, lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les règles de coordination. Grâce à l’activité jurisprudentielle et normative de la Cour de justice, l’égalité a su s’adapter aux mutations des objectifs du traité. Il est difficile aujourd’hui, compte tenu des évolutions du droit communautaire et de ses finalités, de considérer l’égalité dans sa simple fonction instrumentale. Le changement de finalité dont elle fait l’objet tient à son caractère évolutif. 71 SECONDE PARTIE : L’EGALITE DE TRAITEMENT EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SECURITE SOCIALE, UN PRINCIPE EVOLUTIF 72 Dans le domaine du droit communautaire de la sécurité sociale, le principe d’égalité de traitement facilite la jouissance par les travailleurs migrants de leur libre circulation. Ces derniers peuvent bénéficier d’une protection sociale dans les mêmes conditions que les nationaux de l’Etat débiteur des prestations. Cet encouragement à la mobilité par la prescription de règles égalitaires, se manifeste également s’agissant des avantages sociaux prévus par le règlement 1612/68. La volonté du législateur communautaire ne réside pas exclusivement dans la promotion de libertés économiques. Certes, le système de coordination et l’article 7 § 2 du règlement 1612/68 permettent aux travailleurs le bénéfice d’une protection sociale adéquate, ce qui facilite leur mobilité ainsi que celle des membres de leur famille à l’intérieur de la Communauté. Mais les exigences de leur libre circulation évoluent. D’une dimension économique de l’objectif à atteindre, le droit communautaire fortement inspiré des interprétations libérales de la Cour, en donne progressivement une acceptation civile et politique. En témoignent les évolutions textuelles et jurisprudentielles fondées sur le concept de la citoyenneté de l’Union dans un espace sans frontières intérieures. L’égalité de traitement permet alors, au-delà des conceptions économiques du droit social européen, de rendre efficace le « rapprochement sans cesse plus étroit entre les peuples » voulu par les pères fondateurs de la Communauté européenne. Plus encore, le principe de non discrimination se détache parfois des objectifs poursuivis pour devenir un moyen de protection des personnes envisagées non plus comme des agents économiques, mais comme des individus à part entière. Bien qu’employée dans le cadre de la libre circulation des personnes, cette vision humaine conduit à ériger l’égalité de traitement comme principe indépendant de l’objectif poursuivi. Cette évolution s’est manifestée notamment s’agissant de l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de protection sociale. L’analyse de ce principe lui confère un caractère évolutif. Il peut s’adapter à la fois aux exigences des libertés économiques et aux exigences du respect de la personne dans son humanité et sa dignité. Certains domaines de la protection sociale communautaire tels que le règlement 1408/71, envisagent ainsi le principe d’égalité de traitement comme un instrument de réalisation de la libre circulation des travailleurs (premier chapitre). D’autres domaines privilégient l’acceptation de l’égalité en tant que droit fondamental de la personne humaine (second chapitre). 73 CHAPITRE I. L’EGALITE ENVISAGEE COMME INSTRUMENT DE REALISATION DE LA LIBRE CIRCULATION DES TRAVAILLEURS Il n’est pas concevable de faciliter la mobilité des travailleurs sans leur donner la possibilité d’obtenir une protection sociale adéquate. Cette protection ne peut trouver son efficacité que si elle permet au travailleur migrant d’en bénéficier aux mêmes conditions que les nationaux du pays d’accueil. Il est en effet nécessaire pour faciliter la mobilité intra-communautaire, de ne pas défavoriser un travailleur qui exerce son droit de libre circulation, par rapport à celui qui exerce toute sa carrière sur le territoire d’un seul Etat membre196. L’égalité de traitement est donc un principe indispensable à la réalisation de la libre circulation des travailleurs en matière de protection sociale. Le caractère instrumental de l’égalité de traitement est surtout perceptible dans le cadre du règlement 1408/71, dont le but premier est la réalisation la plus complète possible des objectifs fixés par le traité de Rome. Cette nécessité donne à l’égalité la qualité de principe directeur en droit de la sécurité sociale (Section 1). Il s’inscrit dans la coordination des régimes de sécurité sociale qui ont été prises en application des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs. Celles-ci constituent une dérogation au principe de territorialité des droits nationaux de sécurité sociale. Leur efficacité est fonction de l’objectif de libre circulation dont la mise en œuvre est instrumentée par le principe d’égalité (Section 2). SECTION I. L’EGALITE DE TRAITEMENT, PRINCIPE DIRECTEUR DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE L’article 39 du traité CE prescrit l’abolition de toutes les discriminations fondées sur la nationalité entre les travailleurs des Etats membres. En matière de sécurité sociale, l’article 3 du règlement 1408/71 a pour objet d’assurer l’égalité entre les travailleurs, en supprimant 196 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université, 2001, p. 69. 74 toute discrimination résultant des législations nationales des Etats membres197. L’égalité apparaît donc clairement comme un moyen de parvenir à la libre circulation des travailleurs. Elle est le principe directeur majeur de la coordination des systèmes de sécurité sociale (§ 1er). Sa mise en œuvre révèle le caractère absolu de l’interdiction des discriminations en matière de sécurité sociale (§ 2). §1 e r . Le principe majeur de la coordination des systèmes de sécurité sociale Le système du règlement 1408/71 a été élaboré pour coordonner les différentes législations de sécurité sociale. Il laisse subsister les disparités résultant du maintien de chaque système national. L’égalité de traitement est le premier des principes de coordination prévus par le règlement. Il constitue une limite à la compétence des Etats membres (A) et se traduit par l’assimilation des travailleurs qui se déplacent aux travailleurs nationaux (B). A. La limite au maintien des compétences des Etats membres Le principe de l’égalité de traitement s’impose aux Etats membres et aux institutions publiques ou privées chargés de gérer les régimes de sécurité sociale, ainsi qu’aux autorités communautaires chargées d’édicter la réglementation198. Chaque Etat membre de l’Union demeure compétent pour fixer les conditions d’affiliation à son système de sécurité sociale et au bénéfice des prestations. Les droits nationaux de sécurité sociale et notamment le droit français, se caractérisent par le principe de territorialité qui veut que les prestations ne soient servies qu’aux résidants de l’Etat concerné et en considération des conditions propres à chaque prestation199. La territorialité engendre pour les travailleurs qui se déplacent des ruptures de protection qui nuisent à leur mobilité professionnelle. 197 CJCE, 28 juin 1978, Kenny c. Insurance Officer, aff. 1/78, Rec., p. 1489. 198 PRETOT (X.), Le droit social européen, Coll. Que sais-je ?, n° 2522, 2ème édition, Paris : PUF, 1990, p. 95 et s. 199 DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, n° 550. 75 L’égalité de traitement constitue le socle des règles de coordination des législations dont les instruments « neutralisent les effets de ces logiques nationales »200. L’objectif de l’article 3 § 1 du règlement 1408/71 est de supprimer toute discrimination fondée sur la nationalité, résultant des législations nationales des Etats membres201. Ces derniers, bien qu’indépendants dans la fixation de leur politique sociale, sont tenus au respect du droit communautaire. La Cour de justice à cet égard a déclaré que l’article 39 CE « s’oppose aux mesures qui pourraient défavoriser les ressortissants communautaires lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre Etat membre »202. Par exemple, la fixation de cotisations sociales plus lourdes que pour le national constitue une discrimination entravant la mobilité des travailleurs, en ce qu’elle les dissuade d’exercer leur droit de libre circulation. Cela nécessite de la part de l’Etat concerné, l’abolition ou la modification d’une telle disposition. Cependant, il convient de préciser ce qu’il faut entendre par la suppression des différences de traitement résultant des législations nationales. Retenons de cette idée que les discriminations visées doivent l’être au titre d’une même législation. L’article 42 CE prescrit l’adoption dans le domaine de la sécurité sociale, des mesures nécessaires pour l’établissement de la libre circulation des travailleurs, telles que la totalisation des périodes et le paiement des prestations aux résidants des Etats membres. Mais il laisse subsister des différences entre les régimes nationaux de sécurité sociale, qu’elles soient de fond ou de procédure. Les disparités persistant entre les différents Etats membres ne sont touchées ni par l’article 42 CE, ni par le principe de non discrimination203. Seules les différences de traitement internes à un seul Etat membre sont concernées. Les autorités communautaires sont également tenues au respect du principe de l’égalité. Si le rôle du droit communautaire n’est pas d’harmoniser les droits nationaux, il n’en demeure pas moins tenu de ne pas ajouter de disparités supplémentaires à celles qui subsistent déjà204. Certaines clauses du règlement 1408/71 ont été invalidées, en ce qu’elles prévoyaient pour des situations identiques un traitement différent. Dans l’affaire Pinna205, 200 Ibid. 201 CJCE, 21 septembre 2000, Borawitz, aff. C-124/99, Rec., p. I-7293. 202 CJCE, 15 décembre 1995, Bosman, aff. C-415/93, Rec., p. I-4921. 203 CJCE, 15 janvier 1986, Pinna, aff. 41/84, Rec., p. 1. 204 CJCE, 27 septembre 1988, Lenoir, aff. 313/86, Rec., p. 5391. 205 CJCE, 15 janvier 1986, Pinna, op. cit., supra note n°172. 76 une clause du règlement instituait un régime particulier pour les prestations familiales dues au titre de la législation française. Le travailleur migrant qui sollicitait les mêmes prestations se voyait appliquer des règles différentes selon que celles-ci étaient dues du chef de la France, ou du chef d’un autre Etat membre206. L’article du règlement qui prévoyait cette mesure fut invalidé par la Cour qui le jugeait constitutif d’une discrimination prohibée, solution confirmée par la suite207. Les instances nationales comme communautaires sont tenues au respect du principe de l’égalité de traitement. Toute violation constitue une entrave à la mobilité des travailleurs. C’est en cela que la Cour de justice y voit un instrument de réalisation de la libre circulation, « un prolongement fonctionnel des libertés économiques plutôt qu’un application en ligne directe de ce principe »208. Quant aux obligations des autorités concernées, celles-ci consistent en l’assimilation des travailleurs migrants aux nationaux. B. L’assimilation des travailleurs migrants aux nationaux L’article 3 § 1 du règlement 1408/71 dispose que « les personnes qui résident sur le territoire de l’un des Etats membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout Etat membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement ». Il s’agit du principe de l’assimilation au national, selon lequel les travailleurs migrants bénéficient des prestations dans les mêmes termes que les nationaux. Cette règle se révèle en pratique favorable aux migrants. C’est en effet à leur égard que des mesures nationales discriminatoires risquent le plus souvent d’être prises. La règle de l’assimilation du migrant au national appelle cependant une précision. Il est important de distinguer l’assimilation au national de l’assimilation de faits survenus sur le territoire de plusieurs Etats membres. Avec le système de coordination, il est impossible d’obliger un Etat membre à qualifier des faits survenus à l’étranger comme le seraient les faits nationaux. En dehors des cas prévus par le règlement 1408/71, les Etats tentent tant 206 Ancien article 73 § 2 du règlement 1408/71. 207 CJCE, 7 juin 1988, Roviello, aff. 20/85, Dr. soc., 1989, p. 419, chron. PRETOT (X.). 208 CASSAN (H.), « Le principe de non-discrimination dans le domaine social à travers la jurisprudence récente de la C.J.C.E. », RTD Europe, 1976, p. 259. 77 que possible d’appliquer le principe de territorialité de leur législation, source de différences de traitement. Avant l’entrée en vigueur du règlement 1408/71, la cour considérait que la règle de nondiscrimination engendrait l’obligation d’assimiler des situations survenues sur le territoire de différents Etats membres209. Puis à propos du service des allocations de chômage encore dominé par la territorialité, la Cour était hostile à cette assimilation210, position restrictive confirmée par l’arrêt Kenny211. Après une longue période d’hésitations concernant l’assimilation des faits survenus à l’étranger dans le domaine de la sécurité sociale212, la Cour montre une tendance à interpréter la règle de manière extensive. Avec le développement de la citoyenneté de l’Union et les exigences de la libre circulation des travailleurs, le juge communautaire se montre plus favorable à l’idée d’une « reconnaissance mutuelle des situations »213. Pour donner plein effet au principe de libre circulation des travailleurs, la Cour de justice donne une interprétation extensive de la règle de l’assimilation au national. Celle-ci concerne les travailleurs eux-mêmes, mais aussi parfois les faits survenus dans différents Etats membres. La jurisprudence met également en évidence le caractère absolu de l’interdiction des discriminations. §2. Le caractère discriminations absolu de l’interdiction des Le principe de l’égalité de traitement s’avère très contraignant pour les autorités chargées d’édicter la réglementation interne et communautaire en matière de sécurité sociale. Il l’est aussi pour les instances dont la mission est d’appliquer la législation nationale. L’interprétation téléologique du juge communautaire le conduit à interdire toutes 209 CJCE, 15 octobre 1969, Ugliola, aff. 15/69, Rec., p. 36. 210 CJCE, 9 juillet 1975, d’Amico, aff. 20/75, Rec., p. I-891. 211 CJCE, 28 juin 1978, Kenny c. Insurance Officer, aff. 1/78, Rec., p. 1489. 212 Position restrictive de la Cour : CJCE, 1er décembre 1977, Kuyken, aff. 66/77, Rec., p. 2711 ; Reconnaissance de l’assimilation des faits : CJCE, 15 mai 1974, Kaufmann, aff. 184/73, Rec., p. 517 ; CJCE, 30 octobre 1975, Galati, aff. 33/75, Rec., p. 1357. 213 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck, 2001, p. 78 ; CJCE, 22 février 1990, Bronzino, aff. C-12/89, Rec., p. I-549 ; CJCE, 9 décembre 1993, Lepore et a., aff. C45 et C-46/92, Rec., p. I-6497, CJCE, 4 octobre 1991, Paraschi, aff. C-349/91, Rec., p. I-4501. 78 les formes de discriminations fondées sur la nationalité (A). Les différences de traitement subissent une appréciation très restrictive, à tel point que leur justification reste absente du règlement 1408/71 (B). A. La prohibition de toutes les formes de discrimination Le traité instituant la Communauté européenne repose sur le principe fondamental de la prohibition de toute discrimination fondée sur la nationalité. Institué à titre général par l’article 12 CE, ce principe figure à l’article 39 CE au titre de la libre circulation des travailleurs. En matière de sécurité sociale, il est rappelé à l’article 3 du règlement 1408/71 selon lequel « les personnes qui résident sur le territoire de l’un des Etats membres et auxquelles les dispositions du règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont soumises au bénéfice de la législation de tout Etat membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci ». L’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité constitue la « pierre angulaire » de la coordination des régimes de sécurité sociale214, que cette discrimination soit directe ou indirecte. Une discrimination directe apparaît lorsqu’une réglementation traite différemment des situations identiques ou de manière identique des situations différentes215. Cela n’empêche pas une législation de traiter différemment deux travailleurs se trouvant dans des situations différentes216. De l’application de la réglementation communautaire peuvent néanmoins apparaître certaines formes de discrimination, dite « à rebours217 », même si cette possibilité tend à être remise en cause, sur le fondement de la citoyenneté de l’Union. Chaque ressortissant des Etats membres pourrait désormais prétendre à l’application du droit communautaire, qu’il eut ou non exercé son droit de libre circulation. Compte tenu de la règle de l’assimilation au national, il est rare que les législations opèrent des distinctions directement sur le critère de la nationalité218 à moins que ne 214 CORNELISSEN (R.), « Les quatre principes de la coordination », in Commission des Communautés européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe sociale, numéro spécial, 3/92, p. 15. 215 LENAERTS (K.), « L’égalité de traitement en droit communautaire, un principe unique aux apparences multiples », Cah. Dr. Eur., 1991, p. 3. 216 CJCE, 13 octobre 1977, Mura, aff. 22/77, Rec., p. 1-1699. 217 Sur la justification des discriminations à rebours, voir supra p. 45. 218 LHERNOULD (J.-P.), J.-Cl.-Europe, Fasc. 630, Editions du Jurisclasseur, 2001, V° Coordination des systèmes nationaux de Sécurité sociale (généralités), n° 87. 79 subsiste, par exemple, quelque convention de réciprocité entre deux Etats membres. Or le caractère inconditionnel de l’égalité s’oppose à ce que les autorités d’un Etat membre puissent édicter une condition de réciprocité dans leur législation nationale219. Le risque est grand de voir le législateur national contourner le principe d’égalité en employant d’autres critères ne se rapportant pas à la nationalité. Ces mesures en apparence neutres, aboutissent à une discrimination matérielle220. Dans ce cas, la Cour de justice est intervenue et déclare que l’ensemble des règles relatives à l’égalité de traitement « prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par l’application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat »221. Cette solution permet au principe d’égalité de traitement de se voir assuré en fait et en droit, facilitant ainsi la mobilité des travailleurs qui se déplacent au sein de la Communauté. La notion de discrimination s’en trouve considérablement élargie. Bien entendu, le critère de distinction dont dépend l’octroi de l’avantage envisagé doit avoir pour conséquence effective de défavoriser les travailleurs communautaires par rapport aux nationaux222. De nombreux litiges ont abouti à la reconnaissance par la Cour de justice du caractère discriminatoire de certaines mesures. Cette dernière considère qu’il y a discrimination interdite si les conditions d’accès ou de maintien du droit aux prestations de sécurité sociale « sont définies de telle façon, qu’en fait, elles ne pourraient être remplies que par les nationaux ou si les conditions de déchéance ou de suspension du droit étaient définies de telle façon qu’en fait, elles seraient plus facilement réalisées dans le chef des ressortissants d’autres Etats membres que dans celui des ressortissants de l’Etat dont relève l’institution compétente »223. Ainsi la condition de résidence sur le territoire de l’Etat débiteur a été jugée discriminatoire, tout comme la condition de durée de résidence224. De la même manière, la condition exigeant que les enfants soient de nationalité française est 219 FRESIA (A.), « La libre circulation des personnes et le principe de non discrimination dans la jurisprudence de la C.J.C.E. », RMC, 1975, p. 550. 220 PAPADOPOULOU (R.-E.), Principes généraux du droit et droit communautaire, Bruxelles : Bruylant, 1996, p. 59-80. 221 CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 153 ; CJCE, 12 juillet 1979, Toia, aff. 237/78, Rec., p. 2645. 222 MAYRAS (H.), concl. sous CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 172-173. 223 CJCE, 28 juin 1978, Kenny c. Insurance Officer, aff. 1/78, Rec., p. 1489. 224 CJCE, 10 novembre 1992, Commission c. Belgique, aff. C-326/90, Rec., 1992, p. 5517. 80 en pratique remplie plus facilement par une femme qui est elle-même française que par une femme qui ne l’est pas. L’octroi d’un avantage vieillesse à une mère de famille ne peut être subordonné ni à la nationalité de la mère, ni à celle de ses enfants225. Ces discriminations déguisées représentent une entrave importante à l’exercice du droit de libre circulation des travailleurs. La crainte de ne pouvoir bénéficier des mêmes prestations que les nationaux, dissuade les travailleurs de se rendre dans un autre Etat membre226. La Cour de justice fait donc preuve de sévérité quant à la nature discriminatoire des mesures soumises à son examen. Elle le demeure tout autant s’agissant de leur caractère discriminatoire car en pratique, il ne peut en matière de sécurité sociale, être altéré par aucune justification, même objective. B. L’absence de justification des différences de traitement Lorsqu’une législation applique une différence de traitement entre deux travailleurs placés dans la même situation, elle peut être considérée comme discriminatoire. En revanche, lorsqu’il existe une différence objective entre les deux situations, l’inégalité ne se trouve pas sanctionnée227. Pour qu’une différence soit qualifiée de discriminatoire, il faut que celle-ci soit arbitraire, subjective et disproportionnée au but recherché. Une différence de traitement reposant sur une condition de nationalité, est susceptible d’être justifiée quand elle repose sur des différences objectives entre les situations de ceux auxquels cette différence de traitement est appliquée228. En matière de droits sociaux découlant de la libre circulation des travailleurs, la Cour de justice a tenté de définir ce qu’il fallait entendre par différenciation objective, en procédant au cas par cas. Si certaines inégalités sont tolérées dans le cadre général de la libre circulation, il n’en est guère ainsi concernant le domaine spécifique de la coordination. L’accès aux emplois publics, malgré l’existence d’un système de reconnaissance des diplômes, est souvent réservé aux nationaux des Etats membres, dans la mesure où « de tels emplois supposent en effet, de la part de leur titulaire, un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’Etat, ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le 225 CJCE, 12 juillet 1979, Toia, aff. 237/78, Rec., p. 2645. 226 CARPENTIER (J.-L.), « L’application aux travailleurs salariés du principe de non discrimination en raison de la nationalité », Europe, 1992, n° 3, p. 4. 227 FRESIA (A.), « La libre circulation des personnes et le principe de non discrimination dans la jurisprudence de la C.J.C.E. », RMC, 1975, p. 550. 228 CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 153. 81 fondement du lien de nationalité »229. Dans le cadre de la liberté d’établissement, une législation peut exiger une condition d’établissement professionnel stable dans le ressort de la juridiction où postule le travailleur. Cette exigence s’avère selon la cour nécessaire « en vue de garantir l’observation des règles professionnelles, liées au fonctionnement de la justice et au respect de la déontologie »230. D’autres domaines parmi lesquels celui des avantages sociaux, supportent certaines différences objectives de traitement, malgré qu’elles se fondent directement ou indirectement sur un critère de nationalité. En revanche s’agissant du domaine de la coordination, le caractère absolu et inconditionnel de l’égalité domine, la Cour de justice rejetant quasi systématiquement toute tentative de justification. Par exemple, des considérations d’ordre natalistes ne peuvent justifier une différence de traitement d’après la nationalité, « le règlement 1408/71 ne faisant pas de différence entre les régimes de sécurité sociale auxquels il s’applique, selon que ces régimes poursuivent ou non des objectifs de politique démographique »231. Les difficultés administratives liées à l’évaluation des ressources des intéressés ou aux difficultés de recouvrement, ne sont pas non plus justificatives de mesures distinctes232. Enfin, l’argument national selon lequel une prestation servie en considération d’un environnement économique et social précis perdrait sa signification si elle était exportée dans un autre Etat membre, ne justifie en rien la condition de résidence auquel son octroi est subordonné233. Compte tenu de la jurisprudence communautaire restrictive à l’égard des différences de traitement, seules des dispositions particulières contenues dans le règlement 1408/71 peuvent prévoir certaines dérogations au principe d’égalité. La réserve contenue dans l’article 3 § 1 du règlement 1408/71, a fait l’objet de quelques applications textuelles dont la validité fut par la suite remise en cause, notamment sur le fondement de l’égalité de traitement234. 229 CJCE, 26 mai 1982, Commission c. Belgique, aff. 149/79, Rec., p. 1845. 230 FRESIA (A.), « La libre circulation des personnes et le principe de non discrimination dans la jurisprudence de la C.J.C.E. », RMC, 1975, p. 550. 231 CJCE, 12 juillet 1979, Toia, aff. 237/78, Rec., p. 2645. 232 CJCE, 12 juillet 1990, Commission c. France, aff. C-236/88, Rec., p. I-3163. 233 CJCE, 8 mars 2001, Jauch, aff. C-215/99, Rec., p. 1901. 234 Voir, par exemple l’article 10 bis du règlement 1247/92 du 30 avril 1992 concernant les exceptions à la levée des clauses de résidence, JOCE, n° L 136 du 19 mai 1992 ; CJCE, 8 mars 2001, Jauch, aff. C-215/99, Rec., p. 1901 ; CJCE, 31 mai 2001, Leclere, aff. C-43/99, Rec., p. 4265. 82 La prévision de règles égalitaires en application du règlement 1408/71, favorise les migrations intra-communautaires : les travailleurs ne voient pas d’obstacle à leur mobilité dans la mesure où ils sont assurés de bénéficier de leurs prestations sociales dans les mêmes conditions que les travailleurs nationaux. Or en matière de sécurité sociale subsistent des disparités entre les législations nationales. L’égalité de traitement ne peut devenir effective et la protection sociale adéquate, si le règlement ne prévoit pas de règles permettant l’application de ces différents régimes aux travailleurs migrants. A cet effet existe un système communautaire de coordination, système qui influe de manière conséquente sur l’effectivité du principe d’égalité de traitement. SECTION II. L’EGALITE DE TRAITEMENT, INSTRUMENT D’EFFICACITE DES REGLES DE COORDINATION Le règlement 1408/71 prévoit des techniques de coordination des législations nationales pour permettre aux travailleurs migrants d’exercer leur droit de libre circulation sans perdre le bénéfice du droit aux prestations sociales qu’ils tiennent de différentes législations successives. Ces techniques ont pour effet de déroger à la logique territoriale des Etats membres, source d’inégalités et d’entrave à la mobilité intra-communautaire. Deux dimensions sont prises en compte pour l’élaboration et l’application des règles de coordination. La dimension spatiale se manifeste par la règle de la détermination de la loi applicable (§ 1er). La dimension temporelle se manifeste par des mécanismes de conservation des droits acquis ou en cours d’acquisition (§ 2). §1 e r . La coordination dans l’espace détermination de la législation applicable par la La détermination de la législation applicable répond à problème de conflit de lois engendré par l’absence d’harmonisation des règles de rattachement aux législations nationales de sécurité sociale. Les risques de disparités renforcés par l’idée de territorialité ont conduit le législateur communautaire à imposer des dispositions communautaires de rattachement. Deux principes s’en dégagent, celui de l’unicité de la législation applicable (A), et celui de l’application de la loi de l’Etat d’emploi (B). 83 A. Le principe d’unicité de la législation applicable Le droit communautaire instaure des règles dérogatoires à la logique nationale de territorialité des législations de sécurité sociale (1). Ces règles impératives se traduisent par l’application de la législation d’un seul Etat membre (2). 1) l’instauration de règles de conflit dérogatoires à la logique nationale de territorialité En droit de la sécurité sociale, les Etats membres sont compétents pour fixer les conditions d’affiliation et d’octroi de ses prestations sociales. Selon la Cour de cassation, les lois de sécurité sociale présentent un caractère d’ordre public et de territorialité qui ne leur permet pas de recevoir application hors du territoire national235. Cette solution présente des conséquences néfastes pour les travailleurs migrants en droit communautaire. L’insertion de clauses de territorialité par les Etats membres risque d’engendrer des discriminations et des entraves à la libre circulation des travailleurs. L’application du droit de la sécurité sociale peut faire naître des situations de conflit au préjudice des bénéficiaires. Dans l’hypothèse de conflit positif, l’assuré bénéficie de plusieurs législations, tandis que dans le cas d’un conflit négatif, aucune législation ne peut lui être appliquée236. Le législateur communautaire a remédié à cette situation par l’élaboration d’un système complet et uniforme de règles de conflit de lois pour l’ensemble des prestations sociales. Aux règles générales sur lesquelles il conviendra de s’attarder, s’ajoutent des dispositions particulières à chaque prestation. La Cour de justice rappelle que « leur but est d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter, mais également empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application du règlement 1408/71 soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable »237. De plus, ces règles de conflit restent propres aux législations de sécurité sociale et ne s’appliquent pas aux relations de travail. Elles ne règlent pas les situations de conflit 235 Cass., 2ème civ., 19 janvier 1956 ; Soc, 25 avril 1979, Bull. civ., V, n° 339. 236 WIBAULT (J.), « Le droit de la sécurité sociale et la notion de conflit de lois », Dr. soc., Mai 1965, p. 318. 237 CJCE, 4 octobre 1991, De Paep, aff. C-196/90, Rec., p. I-4815. 84 concernant la législation applicable à la relation de travail existant entre le travailleur et l’employeur238. Les règles de détermination de la loi applicable, permettent aux législations de sécurité sociale d’être mises en œuvre en dehors du territoire national, dérogeant ainsi à la logique de territorialité. L’on peut y voir une forme d’atteinte à la souveraineté des Etats membres. Certes ces derniers restent compétents en matière de fixation des conditions d’affiliation aux régimes de sécurité sociale. Mais ils sont tenus par l’interdiction d’adopter des mesures fiscales ou sociales allant à l’encontre, entravant ou dissuadant l’exercice de la libre circulation des travailleurs. Selon une jurisprudence constante, « les conditions d’affiliation ne peuvent avoir pour effet d’exclure de la législation les personnes auxquelles la législation est applicable en vertu du règlement 1408/71 »239. La solution communautaire aux conflits de lois présente un caractère impératif pour les Etats membres qui « ne disposent pas de la faculté de déterminer dans quelle mesure est applicable leur propre législation ou celle d’un autre Etat membre. Ils sont tenus de respecter les dispositions du droit communautaire en vigueur »240. Cette démarche d’uniformisation des critères de rattachement à un système de sécurité sociale permet aux travailleurs une application uniforme des régimes de sécurité sociale, renforçant l’importance du principe d’égalité de traitement en tant qu’instrument de facilitation de la mobilité professionnelle. Les règles de conflits trouvent leur traduction dans l’obligation de soumettre les assurés à la législation d’un seul Etat membre. 2) L’application de la législation d’un seul Etat membre La détermination communautaire de la législation compétente est l’expression du principe d’unicité de la législation. Selon l’article 13 § 1 du règlement 1408/71, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre. Cette règle est valable tant pour les salariés que pour les non salariés. La Cour de justice rappelle que « la détermination de la législation d’un Etat membre en tant que législation applicable à un travailleur indépendant à pour effet que 238 Ibid. 239 CJCE, 4 octobre 1991, De Paep, aff. C-196/90, Rec., p. I-4815 ; CJCE, 3 mai 1990, Kitz Van Heijnigen, aff. C-2-89, Rec., p. I-1755. 240 CJCE, 23 septembre 1982, Kuijpers, aff. 276/81, Rec., p. 3027. 85 seule cette législation lui est applicable »241. Peu importe la teneur du contrat de travail qui lie le travailleur à son employeur. La règle d’unicité vaut par exemple pour les travailleurs à temps partiel242. Par conséquent, sont interdites les doubles cotisations considérées logiquement par la Cour de justice, comme contraire à l’égalité de traitement. « Lorsqu’une obligation comparable est déjà respectée dans le pays d’origine, l’Etat d’accueil ne peut exiger la satisfaction d’une telle obligation. Le traité CE interdit la double cotisation car elle constitue une discrimination indirecte et un obstacle à la libre circulation des personnes et des services »243. Sur le fondement de ce principe, la France a fait l’objet de condamnations par la CJCE. Cette dernière de considérer que « en appliquant la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) aux revenus d’activité et de remplacement des travailleurs salariés et indépendants qui résident en France mais travaillent dans un autre Etat membre et qui, en vertu du règlement 1408/71, ne sont pas soumis à la législation française de sécurité sociale, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 13 du règlement ainsi que des articles 39 et 52 du Traité CE »244. Cependant, si l’unicité de la législation applicable demeure la règle, elle n’exclut pas en toutes circonstances l’application de la législation d’un Etat membre autre que celle désignée par la législation communautaire et c’est bien là tout ce qui fait la fragilité de ce principe d’unicité. Dans certains cas strictement interprétés par le juge communautaire, la Cour considère que l’application simultanée de plusieurs législations est permise même si cela augmente la charge contributive, dès lors qu’il en résulte un complément de protection sociale245. Certaines dérogations à l’unicité de la législation applicable sont envisagées par le 241 CJCE, 10 juillet 1986, Luijten, aff. 60/85, Rec., p. 236. 242 CJCE, 3 mai 1990, Kitz Van Heijnigen, aff. C-2-89, Rec., p. I-1755. 243 CJCE, 18 janvier 1979, Van Wesmael, aff. 110 et 111/78, Rec., p. 35. 244 CJCE, 15 février 2000, Commission c. France, aff. C-34/98 et 169/98, Rec., p. I-995 et I-1049 ; PRETOT (X.), « Les travailleurs frontaliers et la CSG », Dr. soc., 2000, p. 529. 245 CJCE, 9 juin 1964, Nonnenmacher, aff. 92/63, Rec., p. 557 ; CJCE, 5 décembre 1967, Van der Vecht, aff. 19/67, Rec., p. 445. 86 règlement 1408/71246. Enfin, l’article 14 septies permet un cumul de législations pour les fonctionnaires employés dans plusieurs Etats membres et relevant dans l’un d’entre eux d’un régime spécial de fonctionnaire. Le règlement prévoit l’application pour les travailleurs migrants d’une seule législation de sécurité sociale. S’agissant de déterminer exactement quelle législation est concernée, le paragraphe 2 de l’article 13 pose le principe de la lex loci laboris, la loi de l’Etat d’emploi. B. L’application de la lex loci laboris L’article 13 § 2 du règlement 1408/71 pose le principe de l’application de la loi de l’Etat d’emploi (1), sous réserve des dispositions particulières des articles 14 à 17, ce qui nous conduira à envisager les exceptions à ce principe (2). 1) Le principe de l’application de la loi de l’Etat d’emploi Les règles communautaires de rattachement sont l’expression d’un choix entre deux conceptions de la sécurité sociale. La conception « bismarckienne » propose une vision de la sécurité sociale fondée sur des rapports de travail. Répondant à une logique d’assurance, les prestations versées le sont en contrepartie de l’exercice d’un travail. Les coûts de la sécurité sociale sont à la charge de l’Etat où le travailleur exerce son activité et contribue à ce régime247. Logiquement, la détermination de la législation applicable doit s’effectuer par référence au lieu de l’activité. Une autre conception prend en compte les personnes inactives dans le système de protection sociale. Le lien avec le travail s’avère dès lors insuffisant pour fonder une règle de rattachement, d’où le renvoi au critère du lieu de résidence de l’intéressé248. Pour les rédacteurs du règlement 1408/71, le choix du facteur de rattachement s’inscrit dans le cadre de la libre circulation des travailleurs, envisagée à l’origine dans sa dimension économique. Par conséquent, la loi de l’Etat d’emploi ou du lieu d’exercice de l’activité économique est apparue comme la référence principale pour déterminer la législation applicable. La conception bismarckienne est alors adoptée pour l’ensemble de la 246 Dans les cas prévus à l’annexe VII du règlement, relatifs à la situation de pluralité d’activités, salariées et non salariées 247 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université, 2001, p. 88. 248 Voir infra, p. 88. 87 protection sociale, qu’elle soit contributive, c'est-à-dire fondée sur une logique d’assurance, ou non contributive, c'est-à-dire répondant à une logique d’assistance249. L’absence de distinction entre les deux conceptions risque d’engendrer une inadaptation du principe à certaines catégories de travailleur ou de prestations. Mais le règlement 1408/71 a le mérite de poser des règles uniformes pour tous les travailleurs migrants, ainsi qu’une multitude de règles particulières adaptée à la situation particulière de certains assurés. L’article 13 § 2 a) dispose que « la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d’un autre Etat membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège sur le territoire d’un autre Etat membre ». La même règle s’applique concernant les non salariés, les salariés occupés sur des navires, les fonctionnaires et les personnels assimilés ainsi que les personnes appelées sous les drapeaux250. Ce principe de la primauté de la lex loci laboris a été précisé et renforcé par la Cour de justice selon laquelle le défaut de disposition spécifique pour une situation juridique donnée entraîne l’application de la loi de l’Etat d’emploi251. En outre, ces dispositions commandent de toujours donner la priorité à l’Etat d’emploi sur l’Etat de résidence, quand bien même une autre législation que celle qui a été déterminée et qui pourrait s’appliquer à la situation litigieuse, s’avèrerait plus favorable252. Une lacune du règlement 1408/71 a été révélée par la situation de personnes qui cessaient leur activité professionnelle et qui résidaient sur le territoire d’un autre Etat membre. La législation de l’Etat d’emploi cessait d’être applicable, sans qu’une autre législation ne s’applique à son tour. A cet égard, la jurisprudence s’est montrée pour le moins incertaine. Quelques décisions semblaient favorables à l’application de l’Etat de résidence253. Certaines optaient pour la législation de l’Etat du dernier emploi254. D’autres 249 RODIERE (P.), « L’arrêt Bentzinger et la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes relative aux conflits de lois de sécurité sociale », RTD Europe, 1974, p. 431. 250 Article 13 § 2 b) à f) du règlement 1408/71. 251 CJCE, 1er mars 1973, Benzinger, aff. 73/72, Rec., p. 283 ; obs. RODIERE (P.), « L’arrêt Bentzinger et la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes relative aux conflits de lois de sécurité sociale », RTD Europe, 1974, p. 431. 252 CJCE, 5 mai 1997, Perenboom, aff. 102/76, Rec., p. 815 ; CJCE, 10 juillet 1986, Luijten, aff. 60/85, Rec., p. 2365. 253 CJCE, 29 juin 1988, Rebmann, aff. 58/87, Rec., p. 3467. 254 CJCE, 12 juin 1986, Ten Holder, aff. 302/84, Rec., p. 1827 ; CJCE, 12 janvier 1983, Coppola, aff. 150/82, Rec., p. 43 ; CJCE, 28 avril 1988, Vanhaeren, aff. 192/87, Rec., p. 2419. 88 déclaraient inapplicables les règles de conflit aux personnes qui cessaient toute activité professionnelle255. La Cour de justice s’est efforcée de donner des interprétations conformes aux intérêts des travailleurs, dans un souci d’égalité dans l’application des critères de rattachement, et surtout pour éviter les complications pour les travailleurs et les organismes sociaux256. Pour combler cette lacune du droit communautaire, le règlement 2195/91 du 25 juin 1991257 a ajouté une lettre f) à l’article 13 § 2 du règlement 1408/71. Selon laquelle « la personne à laquelle la législation d’un Etat membre cesse d’être applicable, sans que la législation d’un autre Etat membre lui devienne applicable en conformité avec l’une des règles énoncées aux alinéas précédents ou avec l’une des exceptions ou règles particulières visées aux articles 14 à 17, est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel elle réside, conformément aux dispositions de cette seule législation ». Cette disposition constitue une première exception à la lex loci laboris, les personnes qu’elle vise sont soumises à la législation de l’Etat de résidence. D’autres exceptions et règles particulières sont envisagées dans les articles 14 à 17 du règlement 1408/71. 2) Les exceptions à l’application de la loi de l’Etat d’emploi Le règlement 1408/71 a prévu des règles précises pour certaines catégories de travailleurs qui présentent des caractéristiques particulières compte tenu de leur situation de travail. Par exemple, les règles applicables aux travailleurs détachés sont celle de l’Etat d’origine, c'est-à-dire celui duquel le travailleur a été détaché. Par ailleurs, un travailleur peut exercer des activités salariées dans deux ou plusieurs Etats membres. Dans ce cas, si l’Etat de résidence coïncide avec un des lieux d’emploi, il convient d’appliquer la législation du lieu de résidence258. Cette exception appelle une définition de la notion de résidence. La jurisprudence recueille pour ce faire des indices de qualification. Par exemple, elle considère que la résidence correspond au centre permanent des intérêts du travailleur et où il retourne dans l’intervalle de ses tournées259. Il importe de 255 CJCE, 21 février 1991, Noij, aff. C-140/88, Rec., p. I-387. 256 CJCE, 17 décembre 1970, Manpower, aff. 35/70, Rec., p. 1251. 257 Règlement 2195/91 du 25 juin 1991, JOCE, 1991, n° L 206. 258 CJCE, 29 juin 1994, Aldewereld, aff. C-60/93, Rec., p. I-2991. 259 CJCE, 12 juillet 1973, Hakenberg, aff.13/73, Rec., p. 935 ; CJCE, 8 juillet 1992, Knoch, aff. C-102/91, Rec., p. I-4341. 89 considérer non seulement la situation familiale du travailleur, mais aussi les raisons qui l’ont amené à se déplacer et la nature du travail260. D’autres exceptions appellent la définition du travail salarié ou non salarié. Il en est ainsi s’agissant de l’hypothèse de l’exercice simultané d’activités salariées et non salariées. Le règlement impose dans ce cas précis une règle communautaire de conflit. Mais il laisse le soin aux législations nationales de déterminer ce qu’elles entendent par « salarié » ou « non salarié ». Selon le juge communautaire, sont des personnes exerçant une activité non salariée « celles qui sont considérées comme telles pour l’application de la législation de sécurité sociale de l’Etat membre sur le territoire duquel ces activités sont exercées »261. En revanche, concernant les fonctionnaires, la cour considère que « l’activité exercée en qualité de fonctionnaire par une personne relevant du champ d’application du règlement 1408/71 est une activité salariée au sens de son article 14 quater, qui fixe les règles particulières applicables aux personnes exerçant simultanément une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre et une activité non salariée sur le territoire d’un autre Etat membre » car « dans le système du traité, les fonctionnaires sont considérés comme des travailleurs salariés »262. Au regard des règles relatives à l’assurance volontaire ou facultative continuée, il n’est plus fait allusion au lieu d’emploi ou de résidence, mais au régime d’assurance considéré263. Précisons que les dispositions des articles 13 à 14 quinquies ne sont applicables qu’aux régimes d’assurance obligatoire. Lorsque l’assuré est affilié à la fois à une assurance obligatoire et à une ou plusieurs assurances volontaires ou facultatives continuées, le règlement lui prescrit l’application de la législation où l’assuré cotise pour l’assurance obligatoire. Lorsque l’intéressé n’est affilié qu’à des régimes volontaires ou facultatifs continués, la législation qui s’applique est celle pour laquelle l’assuré a opté. Certains cumuls de législations sont également possibles en présence d’assurance vieillesse, invalidité ou décès. 260 CJCE, 17 février 1977, Di Paolo, aff. 76/76, Rec., p. 315 ; CJCE, 22 septembre 1988, Bergemann, aff. 236/87, Rec., p. 5125. 261 CJCE, 20 janvier 1997, Hervein, aff. C-221/95, Rec., p. I-609. 262 CJCE, 24 mars 1994, Van Poucke, aff. C-71/93, Rec., p. I-1101. 263 Article 15 du règlement 1408/71. 90 D’autres règles laissent à certaines catégories de travailleurs le choix de la législation qui peut leur être applicable. Sont par exemple concernés les personnels des services des missions diplomatiques et des postes consulaires, ou les agents auxiliaires des Communautés européennes. Enfin, deux Etats membres peuvent prévoir d’un commun accord, dans l’intérêt de certaines catégories de personnes, des exceptions aux dispositions 13 à 16 du règlement 1408/71. Ces accords peuvent être rétroactifs, « l’esprit et le système de l’article 17 exigeant qu’un accord au sens de cette disposition puissent couvrir également, dans l’intérêt du travailleur concerné, des périodes déjà écoulées »264. En toute hypothèse, les règles de coordination spatiales tiennent compte de l’intérêt des travailleurs pour la fixation de la législation applicable. Le système de coordination ne saurait devenir efficace si le travailleur perdait le droit ou le bénéfice de prestations acquises ou en cours d’acquisition au titre de la législation de plusieurs Etats membres. C’est pourquoi le règlement 1408/71 prévoit pour l’ensemble des prestations sociales, des règles temporelles de coordination des législations. §2. La coordination dans le temps par les mécanismes de conservation des droits acquis ou en cours d’acquisition L’acquisition des droits aux prestations de sécurité sociale présente un caractère progressif265. Le droit communautaire de la sécurité sociale doit permettre au travailleur de conserver le bénéfice de prestations sociales acquises dans un Etat membre, mais dont le versement est empêché par la résidence dans un autre pays266. Le règlement prévoit dans ce cas des mécanismes de conservation des droits acquis (A). Le problème de la conservation des droits en cours d’acquisition doit être résolu par l’addition ou la combinaison des périodes d’activité et de cotisations accomplies successivement dans plusieurs Etats membres267. En d’autres termes, il s’agit du mécanisme de la totalisation des périodes (B). 264 CJCE, 29 juin 1995, Van Gestel, aff. C-454/93, Rec., p. I-1707 ; CJCE, 17 mai 1984, Brusse, aff. 101/83, Rec., p. 2223. 265 RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, 2ème édition, Coll. Manuel, Paris : LGDJ, 2002, 668 p. 266 Ibid. 267 Ibid. 91 A. La conservation des droits acquis La conservation des droits acquis ne s’opère pas de la même manière selon le type de prestations demandées par l’assuré social. Certaines d’entre elles font l’objet d’une règle spécifique prévoyant leur exportation (1). La conservation des droits acquis concernant les autres prestations est régie pour chacune d’elles par des dispositions spécifiques (2). 1) L’exportation des prestations « à long terme268 » Les prestations exportables au sens du règlement sont énumérées à l’article 10 du règlement 1408/71. Il s’agit de prestations d’invalidité, de vieillesse ou de survivants, de rentes d’accident du travail ou de maladie professionnelle et des allocations de décès acquises au titre de la législation d’un ou de plusieurs Etats membres. La finalité de l’article 10 § 1 est de favoriser la libre circulation des travailleurs « en protégeant les intéressés contre les préjudices qui pourraient résulter du transfert de leur résidence d’un Etat membre à un autre269 ». Il permet aux travailleurs de ne pas être dissuadés d’exercer leur libre circulation, mettant un frein au principe de territorialité qui entrave de manière discriminatoire cette liberté. Pour ce faire, l’article 10 pose le principe de la levée des clauses de résidence270 qui empêche les Etats membre de subordonner l’octroi des prestations concernées à une condition de résidence, et permet leur exportation hors du territoire de l’Etat membre de la législation duquel elles relèvent. Ce principe concerne le versement des prestations et l’acquisition du droit aux prestations, quand bien même le titulaire n’aurait pas ou plus de résidence dans l’Etat membre concerné271. Les Etats membres ont entendu réagir contre cette atteinte à leur indépendance concernant la fixation des conditions d’octroi de leurs prestations. Suite à d’incessants débats sur la qualification des prestations mixtes telles l’allocation supplémentaire du FNS ou l’allocation pour adultes handicapés, fut adopté le règlement 1247/92 du 30 avril 1992 268 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck, 2001, p. 111. 269 CJCE, 7 novembre 1973, Smieja, aff. 51/73, Rec., p. 1213 ; CJCE, 10 juin 1982, Camera, aff. 92/81, Rec., p. 2213 ; CJCE, 24 février 1987, Giletti, aff. 379, 380, 381/85 et 93/86, Rec., p. 955. 270 Article 10 § 1 du règlement 1408/71 : « A moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les prestations en espèces d’invalidité, de vieillesse ou des survivants, les rentes d’accident du travail ou de maladies professionnelles et les allocations de décès acquises au titre de la législation d’un ou de plusieurs Etats membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice ». 92 créant les prestations spéciales à caractère non contributif272. Certaines d’entre elles, inscrites à l’annexe II bis du règlement 1408/71, font l’objet d’un régime dérogatoire, puisqu’elles ne peuvent être servies qu’aux résidants des Etats membres débiteurs de ces prestations273. Cette inscription des prestations à l’annexe II bis du règlement constituait une sorte de présomption irréfragable de « non-exportation ». La Cour de justice a réagi contre ces dispositions restrictives du règlement, explicitant ce qu’il fallait entendre par « prestation spéciale à caractère non contributif ». Par une interprétation conforme à l’esprit du règlement 1408/71 qui est d’assurer la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, le juge communautaire a considérablement réduit la portée de cette exception à la levée des clauses de résidence274. Posant des conditions cumulatives, la solution montre que pour être une prestation spéciale à caractère non contributif au sens du règlement, la prestation doit être réellement spéciale et non contributive275. Elle ne doit pas se rattacher directement ou indirectement à un des risques énumérés à l’article 4 § 1, et ne doit pas être liée directement ou indirectement à des cotisations. Progressivement, la jurisprudence libérale de la CJCE va vider de son contenu l’annexe II bis du règlement en assimilant les prestations qui y figurent, à de la sécurité sociale276. Les liens que présentent la quasi-totalité des prestations à long terme avec la sécurité sociale ou des cotisations rendront les prestations exportables, quand bien même celles-ci seraient inscrites dans l’annexe II bis. 271 CJCE, 24 février 1987, Giletti, aff. 379, 380, 381/85 et 93/86, Rec., p. 955 ; CJCE, 23 octobre 1986, Van Roosmalen, aff. 300/84, Rec., p. 3097. 272 VERSCHUEREN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement communautaire 1408/71 », Dr. soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921. 273 Article 10 bis du règlement 1408/71 : « Nonobstant les dispositions de l’article 10 et du titre III, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable bénéficient des prestations spéciales en espèce à caractère non contributif visées à l’article 4 § 2 bis exclusivement sur le territoire de l’Etat membre dans lequel elles résident et au titre de la législation de cet Etat, pour autant que ces prestations soient mentionnées à l’annexe II bis. Les prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge ». 274 CJCE, 8 mars 2001, Jauch, aff. C-215/99, Rec., p. 1901 ; CJCE, 31 mai 2001, Leclere, aff. C-43/99, Rec., p. 4265. 275 Sur la notion de prestation spéciale à caractère non contributif, voir supra p. 57. 276 KESSLER (F.), « L’exportation des prestations non contributives de sécurité sociale : du nouveau », Dr. soc., Juillet-Août 2001, p. 751 ; LHERNOULD (J.-P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387. 93 Les autres prestations de sécurité sociales non concernées par l’article 10 du règlement ne sont pas exportables, mais font l’objet de dispositions spécifiques permettant la conservation des droits acquis par le travailleur. 2) La conservation des droits acquis pour les autres prestations Le régime applicable aux autres prestations figure dans le titre III du règlement 1408/71. Leur existence est très diverse et variée, ce pourquoi il conviendra de n’en étudier que les principales, telles les prestations de maladie et de maternité, de chômage et les prestations familiales. Le bénéfice des prestations de maladie au sein de l’Union européenne n’est pas nécessairement subordonné à l’exercice de sa libre circulation par l’intéressé277. Les personnes qui ne font que séjourner dans un Etat membre autre que l’Etat compétent reçoivent les prestations de maladie dans les mêmes conditions qu’en matière de résidence. Les prestations en nature destinées à rembourser les frais engendrés par la maladie ou l’accident sont servies par l’institution du lieu de séjour ou de résidence, pour le compte de l’institution compétente et à sa charge. Les prestations en espèce destinées à compenser la perte de revenus engendrée par l’arrêt de travail obéissent à une différence de régime, puisqu’elles sont versées par l’institution compétente. Bien que le droit aux prestations soit ouvert à un cercle large d’assurés, l’article 22 § 1 du règlement impose cependant que soient remplies certaines conditions. Une autorisation préalable de l’institution compétente est nécessaire pour maintenir les droits acquis en matière d’assurance maladie sur le territoire d’un autre Etat membre. L’assuré social peut en être dispensé lorsque son état de santé nécessite immédiatement des prestations au cours de son séjour dans l’autre Etat membre. L’institution compétente peut refuser le déplacement de l’intéressé sur un autre Etat membre lorsque ce déplacement est de nature à compromettre son état de santé ou l’application du traitement médical. L’autorisation préalable a donné lieu à quelques contestations au regard des objectifs de libre circulation des marchandises et de libre prestation de services278. Dans ces espèces, l’institution compétente avait refusé de rembourser une paire de lunettes achetée dans un 277 MAVRIDIS (P.), « Prestations de maladie et de maternité », in Commission des Communautés européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe sociale, numéro spécial, 3/92, p. 32 et s. 278 CJCE, 28 avril 1998, Kholl et Decker, aff. C-158/96 et C-120/95, Rec., p. 1931 et 1831 ; MAVRIDIS (P.), « Une libération des soins de santé ? », Dr. soc., Février 1999, p. 172. 94 autre Etat membre que l’Etat compétent à défaut d’autorisation préalable, et refusé de rembourser des soins d’orthodontie considérés par cette institution comme non urgents. Selon la Cour de justice, l’autorisation requise aux fins de la prise en charge par l’Etat d’affiliation constitue une entrave à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation de services, car la réglementation en cause dissuade les intéressés d’acheter des produits médicaux ou de recourir à des prestations de service dans un autre Etat membre279. Cette remise en cause de la validité de l’autorisation préalable a été confirmée par l’arrêt Van Braeckel280, les Etats membres n’étant pas parvenus à faire valoir des raisons impérieuses d’intérêt général telles que l’atteinte grave à l’équilibre du système financier de sécurité sociale. Le service des prestations de chômage est encore fortement dominé par le principe de territorialité car celles-ci ne sont pas exportables. Cette circonstance s’avère dissuasive pour le travailleur souhaitant retourner dans son pays d’origine ou le quitter pour élargir sa recherche d’emploi281. Toutefois, le règlement prévoit que le chômeur à la recherche d’un emploi dans un Etat membre autre que l’Etat compétent a droit au maintien de ses prestations pendant une durée de trois mois282, s’il demeure sur l’Etat dans lequel sont effectuées les recherches. Si l’intéressé retourne dans son pays d’origine à l’expiration de ce délai, il perdra tout droit aux prestations. Enfin, s’il demeure sur le territoire de l’Etat d’accueil, mais ne prouve pas qu’il a de véritables chances d’être engagé, le chômeur sera éloigné du territoire d’accueil à l’issue d’une durée de six mois. Compte tenu de la conjoncture économique actuelle, certains considèrent que malgré les règles instaurées en vue de faciliter la recherche d’emploi, ces mesures ne sont plus adaptées pour les chômeurs. La crise du marché de l’emploi et l’accroissement considérable du nombre des demandeurs d’emploi ces dernières années, rendent les délais de recherche de travail très longs. Les délais prévus par le règlement ne permettent pas au chômeur de trouver un emploi. Au contraire, à l’issue de ceux-ci, l’intéressé se verra retirer ses prestations, ou contraint de retourner dans son pays d’origine. Il n’est donc pas très 279 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck, 2001, p. 121. 280 CJCE, 12 juillet 2001, Van Braeckel, aff. C-368/98, non publié ; LHERNOULD (J.-P.), KESSLER (F.), « La prise en charge des soins programmés dans l’espace communautaire », RJS, 10/01, p. 751. 281 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck, 2001, p. 121. 282 Article 69 du règlement 1408/71 ; CJCE, 16 mai 1991, Van Norden, aff. C-272/90, Rec., p. I-2543. 95 pertinent de dire à l’heure actuelle qu’il existe une libre circulation des chômeurs à l’intérieur de la Communauté283. Enfin, les prestations familiales, destinées à compenser des charges de famille, sont servies au travailleur salarié ou non salarié soumis à la législation d’un Etat membre pour les membres de sa famille qui résident dans un autre Etat membre, conformément à la législation du premier Etat, comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci284. La Cour considère que « aussi longtemps que le travailleur reste soumis à la législation sociale d’un Etat membre, il a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d’un autre Etat membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier Etat, comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci285 ». Imposer une condition de résidence pour les enfants et la famille du travailleur constitue une discrimination indirecte sur la nationalité. L’ancien article 73 § 2 du règlement 1408/71 prévoyait un régime spécifique pour les travailleurs salariés occupés en France. Les prestations familiales pour les enfants résidant sur le territoire d’un autre Etat membre étaient versées à la charge de la France, mais selon la législation de l’Etat de résidence des enfants. Cet article constituait une discrimination déguisée en fonction de la nationalité, contraire à l’article 39 § 2 du traité CE. Il fut invalidé par la Cour de justice en 1986286. Dans le domaine de la conservation des droits acquis, l’interdiction des discriminations se manifeste comme un instrument indispensable au service de la libre circulation des travailleurs. Instrument de facilitation de la mobilité intracommunautaire, ce principe sert également de limite au cumul injustifié de certaines prestations dans le cadre de la conservation des droits en cours d’acquisition. B. La conservation des droits en cours d’acquisition et la totalisation des périodes 283 MAVRIDIS (P.), « Y a-t-il une libre circulation des chômeurs ? », Dr. soc., n° 5, Mai 1998, p. 472. 284 Article 73 du règlement 1408/71. 285 CJCE, 14 mars 1989, Baldi, aff. 1/88, Rec., p. 667 ; obs. CHENILLET (P.), RD Sanit. Soc., 1989, p. 551. 286 CJCE, 15 janvier 1986, Pinna, aff. 41/84, Rec., p. 1. 96 Le bénéfice de certaines prestations de sécurité sociale peut être subordonné à l’accomplissement de périodes d’emploi, d’assurance ou de résidence287. L’article 42 a) du traité CE dispose que doit être institué un système permettant d’assurer aux travailleurs migrants et à leurs ayants droit « la totalisation, pour l’ouverture et le maintien du droit aux prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes les périodes prises en considération par les différentes législations nationales ». La règle de la totalisation vise à garantir à une personne qui a travaillé dans un Etat membre, la prise en considération de cette période dans le pays où elle se rend pour l’ouverture d’un droit à prestation de sécurité sociale288. L’institution compétente doit tenir compte des périodes d’affiliation sous la législation d’un autre Etat membre, comme s’il s’agissait de périodes accomplies par l’assuré sous la législation qu’elle applique289. Cette technique vaut tant pour l’ouverture du droit aux prestations de sécurité sociale que pour le calcul de celles-ci, et doit s’exercer sans discrimination à l’égard des autres travailleurs, en raison de l’exercice de son droit de libre circulation290. Cependant, les dispositions sur la totalisation ne règlent pas la question préalable de l’affiliation à un régime national, chaque Etat membre demeurant compétent pour fixer les conditions d’affiliation291 dans la limite du respect de l’égalité de traitement. La compétence nationale demeure également, sous les mêmes conditions, en matière de définition des notions de périodes de cotisation ou d’emploi. Concernant le calcul des prestations, celui-ci engendre l’application d’un mécanisme corollaire à la totalisation qui est la « proratisation ». Lorsqu’une personne a été soumise à la législation de plusieurs Etats membres, il ne reçoit pas dans l’Etat concerné une prestation complète, comme s’il y avait exercé toutes les périodes. Il ne reçoit de cet Etat qu’une part de la prestation nationale, proportionnellement à la période que le travailleur y a accomplie292. La prestation versée est dite « proratisée ». Cette répartition prorata 287 Tous les régimes ne sont pas visés par la totalisation. Le droit aux prestations d’accident du travail et de maladie professionnelle, ne sont pas fonction de la durée d’assurance ou d’emploi. 288 CJCE, 26 octobre 1995, Moscato, aff. C-481/93, Rec., p. I-3537 ; Klaus, aff. C-482/ 93, Rec., p. I-3560. 289 Ibid. 290 CJCE, 13 juillet 1966, Hagenbeck, aff. 4/66, Rec., p. 625. 291 CJCE, 12 juillet 1979, Brunori, aff. 266/78, Rec., p. 2705. 292 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université, 2001, p. 136 et s. 97 temporis entre l’institution débitrice et l’institution qui avait perçu antérieurement des cotisations du migrant nécessite une collaboration entre les différentes institutions nationales293, telles que le centre de sécurité sociale des travailleurs migrants pour la France. La règle communautaire complète le droit interne. La coordination en matière de conservation des droits en cours d’acquisition présente un caractère supplétif. La Cour de justice a en effet précisé, conformément au règlement 1408/71, que « la proratisation ne joue que lorsque la législation nationale n’octroie pas de pension autonome, quand par exemple l’activité passée sur le territoire est insuffisante pour obtenir un droit à pension ». La coordination n’intervient donc qu’en cas de nécessité, « car il subsiste des régimes distincts engendrant des créances distinctes à l’égard d’institutions distinctes294 ». Si le recours à la totalisation est inutile parce que l’intéressé peut recevoir des prestations en vertu d’une seule législation nationale, c’est cette dernière qui sera appliquée295. Le travailleur recevra une prestation dite « autonome ». Concernant les règles de calcul, le mécanisme de la proratisation a fait l’objet de la censure jurisprudentielle, suivie d’une modification textuelle. En matière de totalisation, la coordination des législations est dominée par le principe de l’intangibilité des droits acquis. La subsistance des législations nationales ne peut permettre au législateur communautaire de priver les travailleurs migrants de droits qui leur sont reconnus par la loi nationale296. Conformément aux objectifs du règlement 1408/71, les travailleurs ne doivent pas perdre de droits à des prestations de sécurité sociale, ni subir une réduction de leur montant du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation que leur confère le traité297. Le recours à la proratisation engendre un double calcul. Dans un premier temps est déterminé le montant théorique de la prestation si toutes les périodes avaient été accomplies sur le même Etat membre. Sur cette base est calculé le montant des prestations 293 LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 1993, p. 244 et s. 294 CJCE, 5 juillet 1967, Ciechelski, aff. 1-67, Rec., p. 239 ; De Moor, aff. 2-67, Rec., p. 255. 295 CJCE, 15 juillet 1964, Van der Veen, aff. 100/63, Rec., p. 1105 ; CJCE, 9 juin 1964, Nonnenmacher, aff. 92/63, Rec., p.557. 296 VAN RAEPENBUSCH (S.), « La jurisprudence communautaire en matière de règles anti-cumul de sécurité sociale », Cah. dr. eur., 1985, p. 286. 297 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université, 2001, p. 136 et s. 98 proportionnellement à la durée des périodes sous la législation appliquée, par rapport à la durée totale des périodes accomplies dans les différents Etats298. En cas de dépassement du montant théorique obtenu par la prise en compte d’une seule législation, le système antérieur à l’adoption du règlement 1248/92299 prévoyait en son article 46 § 3 la règle de « l’écrêtement ». La somme de toutes les prestations autonomes et proratisées dont pouvait bénéficier le travailleur migrant, ne pouvait dépasser le montant théorique atteint si toutes les périodes avaient été accomplies dans un même Etat membre. La jurisprudence a apporté une correction à cette règle, sur le fondement du principe d’intangibilité des droits acquis. Elle considère que ce système de plafonnement est incompatible avec l’article 42 CE, « dans la mesure où il impose une limitation du cumul des deux prestations acquises dans différents Etats membres, par une diminution du montant d’une prestation acquise en vertu de la seule législation nationale300 ». Cette affaire Petroni et les confirmations jurisprudentielles qui suivirent301 donnèrent lieu à modification de l’article 46 § 3 du règlement 1408/71. Désormais, en cas de dépassement du montant théorique, la prestation la plus élevée est versée au travailleur. Certains auteurs y voient une discrimination à rebours ainsi qu’une inégalité entre les travailleurs migrants eux-mêmes302. Mais la cour considère que dans ces espèces ont été traitées différemment des situations qui n’étaient pas comparables. La disposition litigieuse est ainsi conforme à l’objectif poursuivi par le règlement. Elle ne fait toutefois pas obstacle à l’insertion de clauses anti-cumul nationales. L’unicité de la législation applicable tend à diminuer les cumuls des prestations. Mais ces derniers demeurent inévitables compte tenu de la disparité des régimes de sécurité 298 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université, 2001, p. 136 et s. 299 Règlement CEE n° 1247/92 du conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 136 du 19 mai 1992. 300 CJCE, 21 octobre 1975, Petroni, aff. 24/75, Rec., p. 1149, concl. WARNER. 301 CJCE, 3 février 1977, Strehl, aff. 62/76, Rec., p. 211 ; CJCE, 12 juin 1980, Laterza, aff. 733/79, Rec., p. 1915 ; CJCE, 9 juillet 1980, Gravina, aff. 807/79, Rec., p. 2215 ; CJCE, 19 février 1981, Beeck, aff. 104/80, Rec., p. 503. 302 LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 1993, p. 244 et s. 99 sociale que ne peut éliminer, pour diverses raisons, la coordination des législations303. Des clauses nationales visent à éviter les cumuls injustifiés entre des prestations de même nature, c'est-à-dire qui ont un objet, une finalité, une base de calcul et des conditions d’octroi identiques. Ces clauses anti-cumul nationales ne sont prises en compte que lorsqu’une prestation est due en vertu de la législation d’un seul Etat membre. En cas d’application des règles communautaires de proratisation, ne seront appliquées que les dispositions de l’article 46 § 3 qui pose lui-même les modalités de calcul304. Dans tous les cas, le travailleur ne peut recevoir un montant inférieur à celui de la prestation minimale fixée par une législation nationale, sans que cela engendre une discrimination en raison de la nationalité. Le règlement 1408/71 met en exergue la fonction instrumentale du principe d’égalité de traitement. D’une part, il figure expressément à l’article 3 du règlement dont le but est de faciliter la mobilité intra communautaire. D’autre part il est au centre des règles de coordination qui ne peuvent, sans son respect, recevoir d’application efficace et satisfaire aux objectifs poursuivis. Ce principe évolutif s’est adapté aux exigences du droit communautaire et à la généralisation progressive des prestations sociales. Dans le cadre du règlement 1408/71, l’égalité demeure au service de la libre circulation des personnes. Appliqué à d’autres domaines de la protection sociale, ce principe manifeste son caractère évolutif, s’émancipant progressivement des libertés économiques pour devenir un objectif à part entière, fondement nouveau de la politique sociale, droit fondamental de la personne humaine. 303 VAN RAEPENBUSCH (S.), « La jurisprudence communautaire en matière de règles anti-cumul de sécurité sociale », Cah. dr. eur., 1985, p. 286. 304 VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université, 2001, p. 136 et s. 100 CHAPITRE II. L’EGALITE ENVISAGEE COMME DROIT FONDAMENTAL DE LA PERSONNE HUMAINE La protection sociale du travailleur migrant ne se limite pas aux dispositions du règlement 1408/71. Les prestations de base offertes par les régimes légaux de sécurité sociale sont octroyées selon des règles destinées expressément à faciliter la mobilité intra communautaire des travailleurs. Le principe d’égalité qui concourait à la réalisation de la libre circulation des travailleurs trouve son expression dans une autre forme de protection sociale, les avantages sociaux. Les objectifs poursuivis par l’Union européenne ont connu des mutations importantes, dont le témoignage le plus remarquable réside dans la reconnaissance par le traité de Maastricht, de la citoyenneté européenne. Le développement de cette notion est la manifestation du dépassement de la dimension économique de la libre circulation des travailleurs, auquel la Cour de justice a contribué par l’application du principe d’égalité. Plus encore, le juge communautaire a fondé ses décisions sur ce principe dans des domaines étrangers à la relation de travail. Cela renforce l’idée selon laquelle la nondiscrimination s’est émancipée de la libre circulation des travailleurs pour devenir un objectif à part entière fondé sur le respect de la dignité des personnes. La transformation du principe de non-discrimination en droit fondamental de la personne humaine a connu un premier écho dans le domaine des avantages sociaux (Section 1), et une confirmation en matière d’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes de sécurité sociale (Section 2). SECTION I. LES TRANSFORMATIONS DU PRINCIPE D’EGALITE A TRAVERS LES AVANTAGES SOCIAUX Les avantages sociaux constituent des vecteurs d’intégration des ressortissants communautaire dans un Etat membre donné. Leur octroi permet au travailleur et aux membres de sa famille de se déplacer à l’intérieur de la Communauté et de bénéficier d’une protection sociale suffisante, dans les mêmes conditions que les travailleurs 101 nationaux. Mais les prestations versées au titre du règlement 1612/68 répondent fréquemment à une logique d’assistance, raison pour laquelle elles restent exclues des règles de coordination du règlement 1408/71. L’importance de ses avantages ne doit cependant pas être négligée. Les Etats membres tendent à l’heure actuelle à développer considérablement les prestations d’aide sociale, à destination de leurs ressortissants se trouvant dans le besoin. Le principe d’égalité impose que ces prestations soient versées dans les mêmes conditions aux travailleurs communautaires. Les Etats membres, tenus au respect de l’interdiction des discriminations en raison de la nationalité, ne peuvent édicter de législation prévoyant des conditions défavorables pour ceux qui se déplacent. L’interprétation libérale de la jurisprudence en matière d’avantage social a collaboré à une véritable mutation du principe d’égalité. Plus qu’un élément d’équilibre entre les intérêts nationaux et communautaires, l’égalité favorisée par le concept de citoyenneté de l’Union, a fortement contribué à la libéralisation des avantages sociaux (§ 1er). Ce principe tend en outre à être invoquée directement dans des domaines autres que la libre circulation des travailleurs. Progressivement conçue comme un fondement à part entière de la politique sociale européenne, l’égalité fonctionne de manière émancipée par rapport aux objectifs initiaux (§ 2). §1 e r . L’égalité, facteur avantages sociaux de libéralisation des L’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux est subordonnée à la satisfaction des exigences posées par la libre circulation des travailleurs. L’intéressé doit répondre à des conditions de ressources, en sorte qu’il ne devienne pas une charge pour l’Etat membre d’accueil. Il doit entrer dans le champ d’application personnel du règlement 1612/68, c'està-dire présenter la qualité de travailleur au sens du même règlement, et exercer son droit de circulation au sein de la Communauté. Les avantages sociaux constituant un vecteur d’intégration dans les Etats membres de la Communauté305. Celui qui les réclame est souvent soumis à une condition de résidence dans l’Etat débiteur. Les exigences de la libre circulation des travailleurs ont évolué, entraînant un assouplissement des conditions d’octroi des avantages sociaux. La résidence sur le territoire de l’Etat membre débiteur, nécessitée par l’idée d’intégration dans le pays d’accueil, a cependant été considérée 305 LHERNOULD (J.-P.), « Avantages sociaux et égalité de traitement », Dr. soc., Novembre 1999, p. 938. 102 comme discriminatoire à l’égard des travailleurs migrants (A). Les conditions de ressource et d’exercice du droit de circuler au sein de la Communauté se révèlent progressivement incompatibles avec l’égalité entendue comme protection des citoyens de l’Union (B). A. L’égalité et l’intégration dans les Etats membres de la Communauté A titre de rappel, certains avantages sociaux répondent à une logique d’assistance, échappant ainsi à l’application des règles de coordination et relevant des seules politiques nationales. Ainsi les Etats membres semblent-ils libres de subordonner le versement de ces avantages à une obligation de résidence du demandeur sur leur territoire. Pour refuser l’octroi de ces prestations aux personnes ne résidant pas sur le territoire national, les Etats membres justifient leur position par le fait que les avantages sociaux sont versés en fonction d’un environnement économique et social précis, et que le critère de besoin est relatif, selon le pays où demeure le demandeur. De plus, les avantages sociaux conçus comme vecteur d’intégration dans le pays d’accueil nécessitent, selon une première position de la jurisprudence, la résidence du travailleur dans l’Etat d’emploi à qui il réclame l’avantage306. Or, comme le souligne la doctrine, l’article 7 § 2 du règlement 1612/68, ne pose pas expressément de condition de résidence dans l’Etat d’emploi pour faire bénéficier le travailleur des avantages sociaux307. Selon cet article, le travailleur d’un Etat membre « bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ». En outre, la Cour de justice définit constamment l’avantage social comme celui qui est reconnu en raison de la qualité objective du travailleur, ou du simple fait de la résidence sur le territoire national308. La seule qualité objective de travailleur devrait suffire à l’application de l’article 7 § 2, la libre circulation impliquant par ailleurs le droit de se déplacer librement à l’intérieur de la Communauté pour exercer une activité salariée, quel que soit le lieu de résidence309. C’est la position adoptée par la Cour de justice qui ne prend en compte que la qualité de 306 CJCE, 27 mars 1985, Hoeckx, aff. 249/83, Rec., p. 973. 307 LHERNOULD (J.-P.), « Avantages sociaux et égalité de traitement », Dr. soc., Novembre 1999, p. 938. 308 CJCE, 31 mai 1979, Even, aff. 207/78, Rec., p. 2019. 309 Premier considérant et article 1er du règlement 1612/68. 103 travailleur, indépendamment de tout critère de résidence de l’intéressé310. Elle considère que subordonner l’octroi d’un avantage social à la résidence du travailleur dans l’Etat d’emploi constitue une discrimination fondée sur la nationalité contraire au droit communautaire. Cette condition représente une discrimination indirecte, dans la mesure où, bien que demandée à l’ensemble des travailleurs, nationaux ou non, elle reste plus difficile à accomplir par les ressortissants d’autres Etats membres. Le but d’intégration poursuivi par les avantages sociaux est une cause insuffisante à justifier une obligation de résidence imposée par les Etats membres. Il engendre en outre, la nécessité d’admettre les membres de la famille au bénéfice de l’article 7 § 2. Une personne ne peut prétendre à une intégration complète dans le pays d’accueil si des restrictions sont apportées aux membres de sa famille. Même si le règlement 1612/68 n’y fait pas référence au titre de l’article 7 § 2, la jurisprudence communautaire considère qu’ils bénéficient des avantages sociaux aux mêmes conditions que pour les nationaux311. Les prestations servies aux membres de la famille sont considérées comme avantages pour le travailleur lui-même. Leur octroi ne peut être subordonné à une condition de résidence si elle ne l’est pas pour les ressortissants de l’Etat membre concerné. Dans le cas où une telle clause est imposée nonobstant la nationalité du travailleur, l’on peut douter de sa validité à l’égard du principe d’égalité de traitement, cette condition se révélant ici encore, plus difficile à remplir pour le travailleur migrant et sa famille312. La condition de résidence, facteur d’intégration dans le pays membre d’accueil, est jugée discriminatoire au regard de l’article 7 § 2 interprété largement par la jurisprudence. Cette solution a pour effet de libéraliser l’octroi des avantages sociaux aux travailleurs et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté. L’égalité de traitement se manifeste à l’égard des autres conditions d’octroi, en tant que moyen de protection des citoyens de l’Union. 310 CJCE, 27 novembre 1997, Meints, aff. C-57/96, Rec., p. I-6689 ; CJCE, 8 juin 1999, Meeusen, aff. C337/97. 311 CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085 ; CJCE, 16 décembre 1976, Inzirillo, aff. 63/76, Rec., p. 2057 ; CJCE, 11 avril 1973, Michel, aff. 76/72, Rec., p. 462. 312 LHERNOULD (J.-P.), « Avantages sociaux et égalité de traitement », Dr. soc., Novembre 1999, p. 938 ; CJCE, 26 février 1992, Bernini, aff. C-3/90, Rec., p. I-1071. 104 B. L’égalité en tant que protection des citoyens de l’Union La notion de citoyenneté de l’Union tend à remettre progressivement en cause les exigences de la libre circulation des travailleurs dans la Communauté. L’interprétation jurisprudentielle de l’égalité de traitement contribue à la protection du citoyen européen vu en tant que tel, entraînant un assouplissement sensible des conditions d’octroi des avantages sociaux. L’égalité intervient directement dans les conditions de vie des citoyens et non plus dans un contexte purement économique. Certains auteurs soulignent que « le principe d’égalité contribue de façon importante à l’Europe des citoyens car au-delà de l’objectif économique d’une intégration du marché aussi complète que possible, la Communauté entend également conférer à ses citoyens, par le truchement des règles juridiques dont elle s’est dotée, la protection de droits qui n’ont plus guère de rapport avec l’activité économique313 ». Un relâchement du lien avec les conditions économiques s’était déjà fait ressentir lors de l’adoption de la directive 90/364 relative au droit de séjour des inactifs. Cette distance s’accroît davantage avec la reconnaissance du droit de séjour à l’ensemble des citoyens de l’union et non plus uniquement aux travailleurs ressortissants communautaires. La jouissance des droits ainsi conférés, se rapporte désormais à un concept politique314. En matière d’avantages sociaux, la Cour de justice consacre ce point de vue en déclarant que la citoyenneté de l’Union entraîne la reconnaissance du droit à l’égalité de bénéficier des avantages sociaux pour tous les ressortissants communautaires qui résident légalement sur le territoire d’autres Etats membres315. Se fonder sur cette notion de citoyenneté engendre des conséquences considérables sur les exigences relatives au statut de travailleur, aux conditions de ressources et à l’exercice du droit de circulation. Le droit de séjour comme les droits qui en découlent, est à l’origine subordonné à la condition d’avoir des moyens suffisants d’existence. Les personnes souhaitant séjourner dans un Etat membre ne doivent pas constituer une charge pour l’assistance du pays d’accueil. Ils ne peuvent donc prétendre à des avantages dépendant de leur état de besoin. 313 LENAERTS (K.), « L’égalité de traitement en droit communautaire, un principe unique aux apparences multiples », Cah. Dr. Eur., 1991, p. 3. 314 CHRISTOPHE TCHALAKOFF (M.-F.), « Le principe de non-discrimination », in SUDRE (F.), LABAYLE (H.) (dir.), Réalités et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Coll. Droit et justice, Bruxelles : Bruylant, 2000, 531 p., pp. 187 et s. 315 CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691. 105 Cette condition demeure cependant relative. A partir du moment où le bénéficiaire exerce une activité rémunérée, le fait de demander un complément de ressources en recourrant à l’assistance ne peut plus constituer un motif de retrait du droit de séjour316. Le travailleur migrant et les membres de sa famille ne peuvent se voir refuser des allocations sous condition de ressource par l’Etat membre où le bénéficiaire exerce son activité. Au départ, le droit de libre circulation des personnes était réservé aux acteurs du marché économique. Puis le traité de Maastricht a marqué un tournant dans la conception de la libre circulation, par l’insertion de l’article [18] CE selon lequel « Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres… ». L’on peut désormais se demander si le Marché intérieur, émancipé en partie de sa dimension économique, peut devenir une réalité pour les personnes les plus défavorisées317. Dès lors, est-il concevable de verser des prestations d’assistance à des citoyens dans le besoin séjournant dans un autre Etat membre aux mêmes conditions que les nationaux ? La Cour de justice nous fournit une réponse positive fondée sur le concept de citoyenneté européenne318. Pour dénoncer les différences entre les étudiants nationaux et étrangers, relativement à l’attribution de revenus minimum, elle rappelle que « Un citoyen de l'Union qui réside légalement sur le territoire de l’Etat membre d’accueil peut se prévaloir de l’article [12] du traité CE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit communautaire ». Le requérant s’était vu refuser des autorités belges le versement du « minimex ». L’intéressé ne remplissait pas la qualité de travailleur et n’était pas considéré par l’Etat belge comme résidant légalement sur le territoire, en raison de la situation de besoin à l’origine de sa demande. La Cour, en plus d’assimiler le simple séjour de l’étudiant à la résidence légale, se fonde sur le principe de non-discrimination entre les citoyens de l’union pour admettre le versement d’une prestation sous condition de ressources à son égard. Le requérant peut donc prétendre au bénéfice de cet avantage social dans les mêmes conditions que les nationaux, conformément à l’article 7 § 2. L’Etat membre ne peut imposer des conditions supplémentaires aux étrangers. La condition d’entrer dans le champ des bénéficiaires des avantages ne peut pas être demandée aux étrangers si elle n’est pas 316 CJCE, 3 juin 1986, Kempf, aff. 139/85, Rec., p. 1741. 317 VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996, p. 95. 318 CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyk, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, Décembre 2001, p. 1103, chron. LHERNOULD (J.-P.). 106 exigée des nationaux. Cela revient à dire que la qualité de travailleur ne peut être requise des citoyens européens si elle ne l’est des ressortissants du pays concerné. Cette reconnaissance du droit aux avantages sociaux comme droits individuels, participe à l’institution d’une « société européenne plus humaine319 ». La conception de l’égalité de traitement en matière de libre circulation n’est plus fondée uniquement sur des considérations économiques, mais également sur des impératifs de liberté et de dignité320. Le développement de la citoyenneté européenne a largement contribué à la libéralisation des avantages sociaux, par le dépassement de la dimension économique de la libre circulation des travailleurs et la prise en compte du principe d’égalité, protecteur de la liberté et de la dignité. L’égalité tend à déborder le champ des articles 39 à 42 CE et à devenir un fondement de la politique sociale de l’Union321, au même titre que l’est la libre circulation des travailleurs. On assiste à une certaine émancipation du principe d’égalité. §2. L’émancipation du principe d’égalité Le champ d’application matériel du principe d’égalité de traitement en matière de protection sociale s’est souvent rapproché de celui des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs. L’égal octroi des avantages sociaux a longtemps supposé que leurs bénéficiaires présentent la qualité de travailleur ou disposent de revenus suffisants pour subvenir à leurs besoins. La transformation des exigences de la libre circulation a engendré une mutation du principe d’égalité entendu davantage comme instrument de protection de la liberté et de la dignité. Bénéficier d’une protection sociale adéquate nécessite que soient prises en compte des situations dépassant le seul cadre de la libre circulation des travailleurs. Les avantages sociaux et le principe d’égalité qui conditionne leurs conditions d’octroi interviennent audelà des rapports de travail proprement dits322, pour intégrer des domaines périphériques (A). Dans sa démarche d’extension de la protection sociale, la Cour de justice contribue à 319 MATTERA (A.), « La libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté européenne », RMUE, 4/1993, p. 47. 320 Ibid. 321 BONNECHERE (M.), « La libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne », Dr. Ouvrier, Août 1995, p. 319. 322 LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 1993, p. 217 et s. 107 l’émancipation de l’égalité de traitement, en se référant parfois directement au principe général d’égalité mentionné à l’article 12 du traité CE (B). A. L’application du principe à des domaines périphériques à la relation de travail La Cour de justice a étendu le champ d’application matériel de l’égalité de traitement à des domaines périphériques à la relation de travail323, ce qui renforce l’intégration communautaire des personnes324. Toute une série de dispositions étrangères à la relation de travail proprement dite se trouve intégrée au titre des avantages sociaux dans l’article 7 du règlement 1612/68, pour le travailleur lui-même et pour les membres de sa famille325. Le caractère économique s’efface progressivement, permettant la diversification de la notion d’avantage social à des domaines variés tels que l’enseignement et la formation. L’article 12 du règlement 1612/68 dispose que « Les enfants d’un ressortissant d’un Etat membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre Etat membre sont admis aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ». Cette disposition a permis à la CJCE d’étendre la notion d’avantages sociaux à ce domaine périphérique. Cela permet une meilleure intégration du travailleur dans le pays d’accueil, mais également d’atteindre d’autres objectifs que la libre circulation des travailleurs, tels que la possibilité pour les enfants du travailleur d’étudier dans de meilleures conditions. Ainsi le juge communautaire admet l’enfant au bénéfice de tous les avantages prévus par la législation du pays d’accueil en vue d’encourager la formation326. L’égalité de traitement est employée selon une conception humaine et non plus économique, pour permettre à l’enfant de suivre ses études secondaires dans de bonnes conditions. La jurisprudence est allée plus loin, admettant que l’enfant de parents résidant dans un pays et dont le père travaille dans un autre Etat, puisse obtenir une bourse d’étude dans les 323 CJCE, 15 octobre 1969, Ugliola, aff. 15/69, Rec., p. 3 ; CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085 ; CJCE, 19 janvier 1982, Reina, aff ; 65/81, Rec., p. 33. 324 CHRISTOPHE TCHALAKOFF (M.-F.), « Le principe de non-discrimination », in SUDRE (F.), LABAYLE (H.) (dir.), Réalités et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Coll. Droit et justice, Bruxelles : Bruylant, 2000, 531 p., pp. 187 et s. 325 CEREXHE (E.), « L’égalité de traitement dans l’ordre juridique communautaire », in Etudes de droit des communautés européennes, Mélanges offerts à P.-H. Teitgen, Paris : Pédone, 1984, p. 33. 326 CJCE, 3 juillet 1974, Casagrande, aff. 9/74, Rec., p. 773. 108 mêmes conditions que les nationaux de cet Etat, pour suivre ses études dans son pays d’origine. Ni le travailleur, ni les membres de la famille ne se trouvaient dans une véritable situation de libre circulation. Le père, travailleur frontalier, ne résidait pas dans son Etat d’emploi, et le fils, résidant et poursuivant ses études dans son pays d’origine. La seule présence d’un élément européen, tel que le statut de travailleur frontalier du père, suffisait à accorder à son enfant les avantages sociaux du pays d’emploi. L’octroi de ces avantages n’était donc pas lié à une réelle situation de libre circulation, mais à la seule présence d’un élément communautaire, et par conséquent à l’intérêt pour l’enfant d’être traité dans les mêmes conditions que les autres citoyens communautaires. Certains avantages sociaux ont été spécialement prévus dans un but d’encouragement à la natalité, se manifestant par l’octroi de prêts sans intérêts à la naissance versés par des organismes publics de crédit327. La motivation demeure tout autre qu’économique. En témoignent d’autres décisions en faveur des membres de la famille du travailleur. La Cour admet en effet le maintien d’une allocation pour adultes handicapés, alors même que son bénéficiaire ne se trouve plus à la charge du travailleur328. Elle considère que l’avantage ne saurait prendre fin à la mort du travailleur, alors que les membres de la famille ne bénéficiaient qu’indirectement, c'est-à-dire par l’intermédiaire de ce travailleur, des prestations329. Il s’agissait en l’espèce du maintien d’une carte de réduction pour famille nombreuse sur les transports ferroviaires français, à la veuve d’un travailleur migrant. Cette prise de position très libérale montre que la Cour de justice entend tirer toutes les conséquences du principe de non-discrimination dans le domaine social, en prouvant que « par delà les besoins de la libre circulation des travailleurs, la règle de non-discrimination représente une valeur en soi dans des domaines où des intérêts humains sont directement en jeu330 ». En matière d’avantages sociaux, la Cour fait une place de plus en plus importante à la dimension humaine, se fondant parfois directement sur le principe général d’égalité inscrit à l’article 12 du traité CE. 327 CJCE, 19 janvier 1982, Reina, aff ; 65/81, Rec., p. 33. 328 Inzirillo, aff. 63/76, Rec., p. 2057 ; CJCE, 11 avril 1973, Michel, aff. 76/72, Rec., p. 462. 329 CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085. 330 PESCATORE (P.), « Les objectifs de la Communauté européenne comme principe d’interprétation dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes », in Mélanges G. Van der Meersch, Tome II, p. 337. 109 B. La référence directe au principe général d’égalité La notion d’avantage social constitue un complément de protection sociale utile pour les travailleurs et membres de leur famille. Instaurée par le règlement 1612/68, relatif à la libre circulation des travailleurs dans la Communauté, elle n’appartient pas systématiquement aux rapports de travail ou à la sécurité sociale. Elle permet à titre complémentaire ou subsidiaire d’assurer une meilleure protection sociale, dans des domaines qui ne font parfois pas de référence expresse à l’interdiction des discriminations. La Cour de justice cherche dans ces matières à lutter contre les différences de traitement injustifiées, en se fondant sur l’article 12 CE qui consacre le principe fondamental de non discrimination331. Cet article énonce : « Dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ». L’objectif poursuivi par la Cour ne réside plus exclusivement sur la réalisation de l’objectif de libre circulation des travailleurs. Parfois, le juge se fonde moins sur l’interprétation du règlement communautaire lui-même que sur l’examen des situations de fait, dans le seul but d’éliminer les différences de traitement332. Dans certaines décisions, le principe de non-discrimination est devenu le fondement de l’interprétation du règlement 1612/68333. Dans l’arrêt Sotgiu334, la Cour érige ce principe en objectif à part entière, déclarant que « l’article 7 du règlement a pour but l’égalité des travailleurs ressortissants des Etats membres au regard de toutes les dispositions légales ou conventionnelles qui déterminent leur situation ». L’on peut donc retenir que le principe général de nondiscrimination de l’article 12 CE peut faire l’objet d’une application directe, lorsqu’une discrimination fondée sur la nationalité est exercée dans un domaine relevant du champ d’application du traité mais non visé par une disposition spéciale de celui-ci335. Le principe d’égalité de traitement s’est transformé, au même titre que les autres droits fondamentaux, en principe directeur destiné à conduire les pouvoirs publics, les institutions 331 CJCE, 2 février 1989, Cowan, aff. 186/87, Rec., p. 195. 332 CASSAN (H.), « Le principe de non-discrimination dans le domaine social à travers la jurisprudence récente de la C.J.C.E. », RTD Europe, 1976, p. 259. 333 CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085 ; CJCE, 3 juillet 1974, Casagrande, aff. 9/74, Rec., p. 773. 334 CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 153. 335 MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE, 4/93, p. 47. 110 communautaires et les Etats membres, en vertu de l’article 12 du traité CE336, invocable directement par les citoyens de l’Union, dans toutes les situations relevant du domaine d’application matériel du droit communautaire337. Reprenant une formulation de Monsieur MATTERA, l’évolution de l’égalité en matière d’avantages sociaux peut se résumer comme suit : « En consacrant dans son droit social le principe d’égalité de traitement entre travailleurs nationaux et travailleurs ressortissants des autres Etats membres, la Communauté a ajouté aux droits du citoyen communautaire un droit individuel nouveau, accomplissant ainsi un pas décisif vers l’institution d’une véritable citoyenneté communautaire et la création d’une société européenne plus humaine338 ». L’égalité a dépassé le cadre de la libre circulation et des rapports de travail, pour protéger les personnes entendues comme individus et non plus comme seuls agents économiques. Ce principe fondamental reposant sur des impératifs de liberté et de dignité humaine, trouve enfin une application significative en matière d’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes de sécurité sociale. SECTION II. L’EGALITE ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES DANS LES REGIMES DE SECURITE SOCIALE L’égalité entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale est une étape de la politique sociale de la Communauté en matière d’égalité salariale. Le droit communautaire consacre le principe d’égalité des rémunérations à l’article 141 qui énonce que « chaque Etat membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur ». Cet article contraignant pour les Etats membres a été introduit à la demande de la France dans le traité de Rome, afin d’éviter les distorsions de concurrence engendrées par le sous paiement de la main-d’œuvre féminine dans certains 336 CHRISTOPHE TCHAKALOFF (M.-F.), « Le principe de non-discrimination », in SUDRE (F.), LABAYLE (H.) (dir.), Réalités et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Coll. Droit et justice, Bruxelles : Bruylant, 2000, 531 p., pp. 187 et s. 337 CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691 ; CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyk, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, Décembre 2001, p. 1103. 338 MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE, 4/93, p. 47. 111 pays339. La logique première est économique, ce pourquoi l’égalité entre hommes et femmes ne concerne que les rémunérations340. Mais le principe énoncé par le traité de Rome a évolué vers un concept plus large, donnant lieu à l’adoption de directives qui ont étendu le champ d’application de l’égalité en matière de rémunérations. La Cour de justice va déduire de toutes ces dispositions un principe général d’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe dans les relations de travail et les conséquences de cellesci341, donnant naissance à un droit fondamental autonome (§1er). La coexistence entre ces normes de droit primaire et de droit dérivé nécessite, pour assurer l’efficacité de ce principe, une coordination (§2). §1 e r . L’émergence autonome d’un droit fondamental La transformation du principe d’égalité en un droit fondamental autonome résulte de l’interprétation des directives relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes et de l’article 141 du traité CE. Examinons dans un premier temps la portée de l’égalité de traitement dans les directives relatives à l’égalité de traitement dans les régimes légaux et professionnels de sécurité sociale (A), puis les raisons qui ont conduit au recours à la notion de rémunération de l’article 141 (B). A. La naissance des directives relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes de sécurité sociale Un programme d’action sociale adopté par le Conseil des Ministres le 21 janvier 1974 tendait à « entreprendre des actions afin d’assurer l’égalité des hommes et des femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles ainsi que les conditions de travail, y compris les rémunérations ». Deux directives consacrent l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rémunération et dans 339 LAURENT (A.), « Le droit communautaire européen et l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale », RI trav., n° 4, Juillet-Août 1982, p. 399. 340 Sur la notion de rémunération, Voir infra, p. 113. 341 LECLERC (S.), « L’égalité de traitement entre les hommes et les femmes : l’ascension d’un droit social fondamental », in LECLERC (S.), AKANDJI-KOMBE (J.-F.), REDOR (M.-J.), L’Union européenne et les droits fondamentaux, Bruxelles : Bruylant, 1999, pp. 197 à 222. 112 l’accès à l’emploi, la formation, la promotion professionnelle et les conditions de travail342. La seconde visait également à la mise en œuvre de ce principe en matière de sécurité sociale, ce qui conduit à l’adoption d’une nouvelle directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978343 concernant les régimes légaux de sécurité sociale, puis une autre, 86/378 concernant les régimes professionnels de sécurité sociale. Le principe d’égalité de traitement et des sexes est considéré par la Cour comme faisant partie des droits fondamentaux de la Communauté344. Il implique l’abolition de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement, par référence notamment à l’état matrimonial et familial. Ainsi, toute les notions telles que « chef de famille » ou « conjoint à charge » qui indiquent un lien de subordination ou de dépendance économique au sein du ménage sont considérées comme discriminatoires345. La Cour de justice a en outre défini les discriminations indirectes comme celles, « occultes ou cachées, qui pourraient résulter en fait, pour le travailleur et un sexe déterminé, de la prise en considération de l’état matrimonial ou familial pour la détermination des droits couverts par le champ d’application des directives 76/207 et79/7346 ». Leur champ d’application personnel est très large, car il concerne les salariés et indépendants, les malades et accidentés, les chômeurs involontaires à la recherche d’un emploi, les retraités et les invalides347. Le champ d’application matériel est cependant très réduit. La directive 79/7/CEE ne concerne que les régimes légaux ainsi que l’aide sociale qui leur correspond, à l’exclusion des prestations familiales et celles de survivants. La raison est que rétablir l’égalité entre les hommes et les femmes dans ces régimes entraînerait des conséquences financières pour les Etats membres. Ce texte constitue un compromis entre le principe énoncé et les intérêts 342 Directive 75/117/CEE du Conseil du 10 Février 1975 relative à l’égalité des rémunérations, JOCE, n° L 45, du 19 février 1975, p. 19 ; Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à l’égalité dans l’accès à l’emploi et les conditions de travail, JOCE, n° L 39 du 14 février 1976, p. 40. 343 Directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale , JOCE, n° L 6 du 10 janvier 1979, p. 24. 344 CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec., p. 455. 345 QUINTIN (O.), « L’égalité entre hommes femmes : une réalisation spécifique de la politique sociale communautaire », RMC, 1985, p. 309. 346 CJCE, 31 mars 1981, Jenkins, aff. 96/80, Rec., p. 911. 347 LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 1993, p. 300. 113 nationaux348. De plus, il réserve le droit pour les Etats d’exclure certaines mesures de son champ d’application, telles que l’âge de départ en retraite ou les majorations pour épouse à charge349, ce qui a pour effet de restreindre considérablement les effets de l’égalité de traitement. Une nouvelle directive a été adoptée en 1986, qui met en œuvre le principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale. Son champ d’application matériel a été calqué sur la liste limitative des régimes légaux de la précédente directive. L’article 2 définit les régimes professionnels comme ceux qui ne sont pas régis par la directive 79/7/CEE et qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer350. Il s’agit de régimes complémentaires privés fondés sur des négociations entre employeur, travailleurs et leurs représentants dans les entreprises ou les branches professionnelles. Mais ne sont en aucun cas concernés les contrats d’assurance individuels souscrits par les intéressés. Les nombreuses exceptions autorisées par les directives et les applications qui en ont été faites par les Etats membres ont poussé certains assurés à se fonder directement sur l’article 141 et la notion de rémunération pour bénéficier de l’égalité de traitement en matière de régimes professionnels. B. Le recours à la notion de rémunération L’article 141 du traité CE définit la rémunération comme « le salaire ou le traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèce ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ». Les assurés au régime légal et au régime complémentaire ont voulu contourner les nombreuses exceptions subsistant dans les directives concernées pour bénéficier du principe d’égalité de traitement. Ils ont cherché à faire qualifier les prestations de sécurité sociale d’avantages au sens de l’article 141 CE. 348 LAIGRE (P.), « L’application du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes aux régimes de retraite professionnels », RJS, 1994, p. 803. 349 La liste des exceptions autorisées par la directive 79/7/CEE figure à l’article 7 § 1. 350 LAURENT (A.), « Les CE éliminent des discriminations fondées sur le sexe dans les régimes professionnels de sécurité sociale », RI trav., 1986, p. 753. 114 L’avantage de cet article est de présenter un caractère contraignant pour les Etats membres, alors que les directives ne fixent que des objectifs à atteindre, les gouvernements demeurant libre de choisir quelles prestations seront soumises au principe d’égalité de traitement. Le champ d’application matériel des directives est beaucoup moins large que la notion de rémunération au sens du traité CE. Malgré la qualification de l’égalité de traitement comme droit fondamental du droit communautaire par la jurisprudence, l’impression est que l’interdiction des discrimination fondées sur le sexe n’est toujours pas entré parmi les préoccupations premières de l’Union européenne351. Ce constat peut paraître choquant car les évolutions que connaît la libre circulation des travailleurs ou les règles de coordination des législations n’ont pas d’écho en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Mais il démontre aussi que le principe d’égalité entre les sexes est une réalisation spécifique de la politique sociale communautaire, indépendante de toute considération économique. S’appuyant sur les critères de qualification de la rémunération, la Cour de justice a toujours refusé d’appliquer l’article 141 aux pensions instituées dans le cadre de régimes légaux de sécurité sociale, car elles ne constituent pas un avantage payé indirectement par l’employeur au travailleur en raison de son emploi352. Ces pensions sont toujours réglées par la loi à l’exclusion de tout élément de concertation au sein de l’entreprise ou de la branche professionnelle, et appliquées à des catégories générales de travailleurs. Elles sont versées en considération d’une politique sociale à ceux qui réunissent les conditions légales exigées353. Concernant les régimes légaux de sécurité sociale, il n’a donc pas été possible de leur appliquer la notion de rémunération au sens de l’article 141 CE, ce qui tend à compromettre sérieusement l’efficacité de l’interdiction des discriminations en la matière. En revanche, l’analyse jurisprudentielle des régimes professionnels a débouché sur une extension du champ d’application de l’article 141 du traité CE. Cela pose le problème de l’application différenciée de l’égalité de traitement entre les régimes de base et les régimes professionnels de sécurité sociale et par conséquent, de la coordination des différents textes mettant en œuvre ce principe. 351 LAIGRE (P.), « Le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes professionnels, sept ans après l’arrêt Barber », RJS, 1997, p. 242. 352 CJCE, 25 mai 1971, Defrenne I, aff. 80/70, Rec., p. 445 353 Ibid. 115 §2. La coordination des textes relatifs à l’égalité de traitement La Cour de justice tente d’harmoniser le principe d’égalité de traitement aux différentes dispositions qui le mettent en œuvre. Pour ce faire, elle tend à éliminer les exceptions qui subsistent à cause de la réticence des Etats membres à appliquer de manière égale les régimes, notamment professionnels de sécurité sociale. Elle procède par l’extension à ces derniers du champ d’application de l’article 141 du traité CE (A). Cela confirme la place que le juge communautaire tend à donner au principe d’égalité de traitement dans l’ordre juridique communautaire (B). A. L’application de l’article 141 aux régimes professionnels de sécurité sociale Les régimes professionnels de retraite ont un champ d’application matériel calqué sur celui des régimes légaux de sécurité sociale. D’après l’article 141 CE, le principe d’égalité s’étend au-delà du salaire proprement dit, à « tous autres avantages, payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ». Quelques mois avant l’adoption de la directive 378/86, la jurisprudence a entendu donner une interprétation large de cet article, admettant que les prestations servies au titre d’un régime professionnel étaient des rémunérations au sens de l’article 141 du traité CE354. Une salariée travaillant à temps partiel se plaignait d’être exclue du bénéfice du régime des pensions d’entreprise mis en place par la société. Selon la Cour, le régime de pensions d’entreprise en cause ne constituait pas un régime de sécurité sociale directement régi par la loi et que, dès lors, les prestations servies aux employés constituaient un avantage payé par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier, au sens de l’article 141 du traité CE355. Le juge communautaire semble avoir dégagé les critères de distinction entre les régimes légaux et les régimes professionnels de sécurité sociale pour en déduire une application différenciée du principe d’égalité de traitement. Le régime professionnel est le produit de concertations au sein de l’entreprise ou de la branche professionnelle, contrairement au 354 LAURENT (A.), « Les CE éliminent des discriminations fondées sur le sexe dans les régimes professionnels de sécurité sociale », RI trav., 1986, p. 753. 355 CJCE, 13 mai 1986, Bilka, aff. 170/84, Rec., p. 1607. 116 régime légal qui est directement réglé par la loi. De plus, il a pour objet de compléter les prestations sociales dues en vertu de la législation nationale par des prestations dont le financement est supporté uniquement par l’employeur. Enfin, à l’inverse des régimes légaux, il ne s’applique pas à une généralité de travailleurs. Ainsi selon la Cour, « les prestations du régime professionnel font partie des avantages que l’employeur propose aux travailleurs356 » et peut faire l’objet d’une application directe de l’article 141357. Grâce à l’assimilation des prestations des régimes professionnels à la notion de rémunération, la Cour est parvenue à réduire considérablement les exceptions au principe d’égalité de traitement. Mais l’adoption de la directive 378/86 a rétabli la possibilité pour les Etats membres d’exclure certaines prestations du principe d’égalité de traitement. Le travailleur se retrouve face à une alternative. Soit il se fonde sur les dispositions de la directive, auquel cas il prend le risque de voir sa prestation exclue du champ d’application de l’égalité de traitement. Soit il fait qualifier cette prestation de rémunération, ce qui engendre l’obligation pour l’Etat concerné de le traiter de manière identique au travailleur du sexe opposé. Cette alternative risque de faire naître une application à deux vitesses du principe d’égalité de traitement, à moins que la seule référence à l’article 141 ne conduise à rendre la directive 378/86 superflue358. Reprenant une expression utilisée par certains auteurs, « l’article [141] constitue, entre les mains de la Cour de justice, un moyen de faire avancer la construction communautaire en matière d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes face aux réticences exprimées par les Etats membres au travers des exceptions qui figurent dans les directives qu’ils ont adoptées359 ». Ces réticences peuvent s’expliquer par les conséquences financières que l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe fait peser sur les systèmes nationaux de sécurité sociale. La Cour de justice fait fi de ces considérations économiques, préférant conférer au principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes une fonction sociale. 356 CJCE, 17 mai 1990, Barber, aff. 222/91, Rec., p. I-1889. 357 CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec., p. 455. 358 LAURENT (A.), « Les CE éliminent des discriminations fondées sur le sexe dans les régimes professionnels de sécurité sociale », RI trav., 1986, p. 753. 359 LAIGRE (P.), « L’application du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes aux régimes de retraite professionnels », RJS, 1994, p. 803. 117 L’extension du champ d’application de l’article 141 du traité CE aux régimes professionnels de sécurité sociale confirme le changement d’orientation opérée par la jurisprudence en matière d’égalité avant l’adoption de la première directive relative à l’égalité dans les régimes légaux de sécurité sociale : « le respect des droits fondamentaux de la personne humaine fait partie des principes généraux du droit communautaire dont la Cour a pour mission d’assurer le respect ; qu’on ne saurait mettre en doute le fait que l’élimination des discriminations fondées sur le sexe fait partie de ces droits fondamentaux360 ». Voyons à présent quelles conséquences entraîne cette application différenciée du principe d’égalité de traitement sur sa portée dans l’ordre juridique communautaire. B. Les conséquences sur la portée du principe de l’égalité de traitement dans l’ordre juridique communautaire Les plus grands progrès de l’égalité de traitement ont été accomplis en matière de régimes professionnels de sécurité sociale. Ces régimes qui relèvent du secteur privé se voient appliquer des normes sociales contraignantes, par l’interprétation du principe d’égalité dans les rémunérations. Il en résulte un conflit d’intérêts entre d’une part, les Etats membres soucieux de préserver l’équilibre financier de leurs régimes de protection sociale et d’autre part, la Cour de justice soucieuse d’assurer la pleine efficacité de ce qu’elle considère aujourd’hui comme un droit social fondamental. D’importantes exceptions à l’égalité de traitement sont demeurées en matière de protection sociale361, qu’elles concernent les régimes légaux ou spéciaux. L’application différenciée du principe de non-discrimination entre les régimes de base et les régimes professionnels fait naître une différence de niveau de protection préjudiciable aux assurés. Elle entretient les discriminations sexuelles, notamment en matière de retraite où subsistent des différences d’âge entre les hommes et les femmes. C’est en cela que l’on peut dire que l’élaboration de normes en matière d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, bien que très avancée, nécessite encore quelques progrès en terme d’efficacité362. 360 CJCE, 15 juin 1978, Defrenne III, aff. 149/77, Rec., p. 1365. 361 LAIGRE (P.), « Le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes professionnels, sept ans après l’arrêt Barber », RJS, 1997, p. 242. 362 MOREAU-BOURLES (M.-A.), « La jurisprudence européenne en matière d’égalité de traitement entre les travailleurs masculins et féminins », Dr. soc., n° 7/8, Juillet-Août 1989, p. 541. 118 Les directives présentent au moins l’avantage de pouvoir être invoquées directement par les particuliers lorsque leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises pour recevoir une application directe dans les Etats membres. L’analyse téléologique opérée par la Cour de justice met en évidence la double finalité économique et sociale du traité CE. Sur le plan économique, « elle permet d’éviter un déséquilibre dans la compétition intracommunautaire entre les entreprises établies dans les Etats qui réalisent le principe d’égalité de traitement et celles qui n’ont pas encore éliminé les discrimination au détriment de la main d’œuvre féminine. Elle conduit sur le plan social à favoriser l’égalisation des conditions de travail, tout en assurant la dignité des travailleurs363 ». Pour ce faire, l’égalité de traitement doit devenir un résultat à atteindre et non plus seulement un moyen de réaliser des objectifs, dont la finalité économique tend aujourd’hui à laisser la place à une conception humaine et sociale. L’article 2 du traité CE consacre le principe évolutif d’égalité entre les hommes et les femmes comme un objectif à part entière de la Communauté, au même titre que la libre circulation des personnes. La consécration textuelle de ce droit fondamental364 conforte le point de vue constant de la jurisprudence communautaire365 selon lequel l’égalité de traitement « relève des objectifs sociaux de la Communauté, celle-ci ne se limitant pas à une union économique, mais devant assurer en même temps, par une action commune, le progrès social et poursuivre l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi des peuples européens, ainsi qu’il est souligné par le préambule du traité ». 363 Ibid. 364 LECLERC (S.), « L’égalité de traitement entre les hommes et les femmes : l’ascension d’un droit social fondamental », in LECLERC (S.), AKANDJI-KOMBE (J.-F.), REDOR (M.-J.), L’Union européenne et les droits fondamentaux, Bruxelles : Bruylant, 1999, pp. 197 à 222. 365 CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec., p. 455. 119 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages généraux Traités et manuels BLANPAIN (R.), JAVILLIER (J.-C.), Droit du travail communautaire, Coll. 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Directive 86/378/CEE du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale, JOCE, n° L 225 du 12 août 1986, p. 40. Directive 89/48 du 21 décembre 1988, instituant un système général de reconnaissance des diplômes d’enseignement supérieur, JOCE, n° L 19 du 24 janvier 1989. 125 Directive 90/364 CEE du conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour. Directive 90/365 du conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle. Directive 92/51 du 18 juin 1992, JOCE, n° L 209 du 24 juillet 1992. Directive n° 98/49 CE du Conseil du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 209, 25 juillet 1998, p. 46. Règlement n° 3/58 du 25 septembre 1958, relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants, JOCE, n° 30, du 16 décembre 1958. Règlement (CEE) n° 162/68 du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1968, n° L 257. Règlement 1251/70 CEE du 29 juin 1970 relatif au droit des travailleurs de demeurer sur le territoire d’un Etat membre après y avoir occupé un emploi. Règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1971, n° L 149. Règlement 1390/81 du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1981, n° L 143 du 29 mai 1981. Règlement CEE n° 1247/92 du conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 136 du 19 mai 1992. Traité sur l’Union européenne, 7 février 1992, JOCE, n° C 191 du 29 juillet 1992. 126 TABLE DES ARRETS DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES Aldewereld, 29 juin 1994, aff. C-60/93, Rec., p. I-2991. Baldi, 14 mars 1989, aff. 1/88, Rec., p. 667. Barber, 17 mai 1990, aff. 222/91, Rec., p. I-1889. Beeck, 19 février 1981, aff. 104/80, Rec., p. 503. Belbouab, 12 octobre 1978, aff. 10/78, Rec., p. 1915. Benzinger, 1er mars 1973, aff. 73/72, Rec., p. 283. Bergemann, 22 septembre 1988, aff. 236/87, Rec., p. 5125. Bernini, 26 février 1992, aff. C-3/90, Rec., p. I-1071. Bettray, 31 mai 1989, aff. 344/87, Rec., p. 1641. Biason, 9 octobre 1974, Rec., 1974, p. 999. Bilka,13 mai 1986, aff. 170/84, Rec., p. 1607. Borawitz, 21 septembre 2000, aff. C-124/99, Rec., p. I-7293. Bosman, 15 décembre 1995, aff. C-415/93, Rec., p. I-4921. Bozzone, 31 mars 1977, aff. 87/76, Rec., p. 687. Bronzino, 22 février 1990, aff. C-12/89, Rec., p. I-549. Brunori, 12 juillet 1979, aff. 266/78, Rec., p. 2705. Brusse, 17 mai 1984, aff. 101/83, Rec., p. 2223. Cabanis-Issarte, 30 avril 1996, aff. C-308/93, Rec., p. I-2097. Callemeyn c. Etat belge, 28 mai 1974, aff. 187/73, Rec., p. 553. Camera, CJCE, 10 juin 1982, aff. 92/81, Rec., p. 2213. Casagrande, CJCE 3 juillet 1974, , aff. 9/74, Rec., p. 773. Ciechelski, 5 juillet 1967, aff. 1-67, Rec., p. 239. Commission c. Belgique, 26 mai 1982, aff. 149/79, Rec., p. 1845. Commission c. Belgique, 10 novembre 1992, aff. C-326/90, Rec., 1992, p. 5517. Commission c. France, 15 février 2000, aff. C-169/98, Rec., p. I-1049. Commission c. Luxembourg, 10 mars 1993, aff. C-111/91, Rec., p. I-817. Commission c. République française, 12 juillet 1990, aff. C 236/88, Rec., p. I-3163. Coonan c. Insurance Officer, 24 avril 1980, aff. 110/79, Rec., p. 1445. Coppola, 12 janvier 1983, aff. 150/82, Rec., p. 43. Cowan, 2 février 1989, aff. 186/87, Rec., p. 195. 127 Cristini, 30 septembre 1975, aff. 32/75, Rec., p. 1085. D’Amico, 9 juillet 1975, aff. 20/75, Rec., p. I-891. Deak, 20 juin 1985, aff. 94/84, Rec., p. I-1873. De Cicco, 19 décembre 1968, aff. 19/68, Rec., 1968, p. 700. Decker, 28 avril 1998, aff. C-120/95, Rec., p. 1831. Defrenne I, CJCE, 25 mai 1971, aff. 80/70, Rec., p. 445. Defrenne II, 8 avril 1976, aff. 43/75, Rec., p. 455. Defrenne III, 15 juin 1978, aff. 149/77, Rec., p. 1365. De Jaeck, 30 janvier 1997, aff. C-340/94, Rec., p. I-461. Dekker, 1er décembre 1965, aff. 33/65, Rec., p. 1111. De Moor, 5 juillet 1967, aff. 2-67, Rec., p. 255. De Paep, 4 octobre 1991, aff. C-196/90, Rec., p. I-4815. Di Paolo, 17 février 1977, aff. 76/76, Rec., p. 315. Directeur régional de la sécurité sociale de Nancy c. Gillard, 6 juillet 1978, aff. 9/78, Rec., p. 1661. Even, 31 mai 1979, aff. 207/78, Rec., p. 2019. Frascogna, 6 juin 1985, aff. 157/84, Rec., p. 1739. Frilli, 22 juin 1972, aff. 1/72, Rec., p. 457. Galati, 30 octobre 1975, aff. 33/75, Rec., p. 1357. Giletti, CJCE, 24 février 1987, aff. 379, 380, 381/85 et 93/86, Rec., p. 955. Gravier, 13 février 1985, aff. 293/83, Rec., 1985, p.593. Grzelczyc, 20 septembre 2001, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, Décembre 2001, p. 1108 (extraits). Hagenbeck, 13 juillet 1966, aff. 4/66, Rec., p. 625. Hakenberg, 12 juillet 1973, aff.13/73, Rec., p. 935. Hervein, 20 janvier 1997, aff. C-221/95, Rec., p. I-609. Hoeckx, 27 mars 1985, aff. 249/83, Rec., p. 973. Hugues, 16 juillet 1992, aff. C-78/91, Rec., p. I-4839. Hurt, 15 janvier 1986, aff. 44/84, Rec., p. 84. Inzirillo, 16 décembre 1976, aff. 63/76, Rec., p. 2057. Jauch, 8 mars 2001, aff. C-215/99, Rec., p. 1901. Jenkins, 31 mars 1981, aff. 96/80, Rec., p. 911. Kaufmann, 15 mai 1974, aff. 184/73, Rec., p. 517. Kempf, 3 juin 1986, aff. 139/85, Rec., p. 1741. Kenny c. Insurance Officer, 28 juin 1978, aff. 1/78, Rec., p. 1489. Kermaschek, 23 novembre 1976, aff. 40/76, Rec., p. 1669. 128 Kholl, 28 avril 1998, aff. C-158/96, Rec., p. 1931. Kitz Van Heijnigen, 3 mai 1990, aff. C-2-89, Rec., p. I-1755. Klaus, aff. C-482/ 93, Rec., p. I-3560. Knoch, 8 juillet 1992, aff. C-102/91, Rec., p. I-4341. Krid, 5 avril 1995, aff. C-103/94, RJS, 1995, p. 469. Kuijpers, 23 septembre 1982, aff. 276/81, Rec., p. 3027. Kuyken, 1er décembre 1977, aff. 66/77, Rec., p. 2711. Kziber, 30 janvier 1991, aff. C-19/90, Rec., p. I-198. Laterza, 12 juin 1980, aff. 733/79, Rec., p. 1915. Lawrie Blum, 3 juillet 1986, aff. 65/85, Rec., p. 2121. Lebon, 18 juin 1987, aff. 316/85, Rec., 1987, p. 2832. Leclere, 31 mai 2001, aff. C-43/99, Rec., p. 4265. Lenoir, 27 septembre 1988, aff. 313/86, Rec., p. 539. Lepore et a., 9 décembre 1993, aff. C-45 et C-46/92, Rec., p. I-6497. Levin, 23 mars 1982, aff. 53/81, Rec., p. 1035. Luijten, 10 juillet 1986, aff. 60/85, Rec., p. 236. Manpower, 17 décembre 1970, aff. 35/70, Rec., p. 1251. Martinez Sala, 12 mai 1998, aff. 85/96, Rec., p. I-2691. Masgio, 7 mars 1991, aff. C-10/90, Rec., p. I-1119. Meints, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, Rec., p. I-6689. Meeusen, 8 juin 1999, aff. C-337/97. Michel, 11 avril 1973, aff. 76/72, Rec., p. 462. Morson et Jhanjan, 27 octobre 1982, aff. 35 et 36/82, Rec., p. 3723. Moscato, 26 octobre 1995, aff. C-481/93, Rec., p. I-3537. Mouthaan, 15 décembre 1976, 39/76, Rec., p. 1901. Mura, 13 octobre 1977, aff. 22/77, Rec., p. 1-1699. Noij, 21 février 1991, aff. C-140/88, Rec., p. I-387. Nonnenmacher, 9 juin 1964, aff. 92/63, Rec., p. 557. Paraschi, 4 octobre 1991, aff. C-349/91, Rec., p. I-4501. Partridge, aff. 11 juin 1998, C-297/96, Rec., p. I-3467. Perenboom, 5 mai 1997, aff. 102/76, Rec., p. 815. Petroni, 21 octobre 1975, aff. 24/75, Rec., p. 1149. Pinna, 15 janvier 1986, aff. 41/84, Rec., p. 1. Rebmann, 29 juin 1988, aff. 58/87, Rec., p. 3467. Reina, 19 janvier 1982, aff ; 65/81, Rec., p. 33. 129 Reed, 17 avril 1986, aff. 59/85, Rec., p. 1283. Roviello, 7 juin 1988, aff. 20/85, Dr. soc., 1989, p. 419, chron. PRETOT (X.). Safet Eyüp, 22 juin 2000, aff. C-65/98, RDUE, 3/2000, p. 682. Saunders, 7 février 1979, aff. 175/78, Rec., p. 1129. Schmid, 27 mai 1993, aff. C-310/91, Rec., p. I-3011. Scrivener, 27 mars 1985, aff. 122/84, Rec., p. 1027. Singer, 9 décembre 1965, aff. 44/65, Rec., p. 1192. Smieja, 7 novembre 1973, aff. 51/73, Rec., p. 1213. Snares, 4 novembre 1997, aff. C-20/96, Rec., p. I-6057. Sotgiu, 12 février 1974, aff. 152/73, Rec., p. 153. Stallone, 16 octobre 2001, aff. 212/00, non publié. Strehl, 3 février 1977, aff. 62/76, Rec., p. 211. Swaddling, 25 février 1999, aff. 90/97, Rec., p. I-1075. Ten Holder, 12 juin 1986, aff. 302/84, Rec., p. 1827. Toia, 12 juillet 1979, aff. 237/78, Rec., p. 2645. Uecker et Jacquet, 5 juin 1997, aff. 64 et 65/96, Rec., p. I-3171. Ugliola, 15 octobre 1969, aff. 15/69, Rec., p. 36. Unger, 19 mars 1964, aff. 75/63, Rec., p. 347. Van Braeckel, 12 juillet 2001, aff. C-368/98, non publié. Van der Veen, 15 juillet 1964, aff. 100/63, Rec., p. 1105. Van der Vecht, 5 décembre 1967, aff. 19/67, Rec., p. 445. Van Gestel, 29 juin 1995, aff. C-454/93, Rec., p. I-1707. Vanhaeren, 28 avril 1988, aff. 192/87, Rec., p. 2419. Van Norden, 16 mai 1991, aff. C-272/90, Rec., p. I-2543. Van Poucke, 24 mars 1994, aff. 71/93, Rec., p. I-1101. Van Roosmalen, CJCE, 23 octobre 1986, aff. 300/84, Rec., p. 3097. Van Wesmael, 18 janvier 1979, aff. 110 et 111/78, Rec., p. 35. Vigier, 27 janvier 1981, aff. 70/80, Rec., p. 229. 130 TABLE DES MATIERES SOMMAIRE..............................................................................................................................3 TABLE DES ABRÉVIATIONS .....................................................................................................4 INTRODUCTION.......................................................................................................................6 PREMIÈRE PARTIE : L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UNE ÉTENDUE UNIVERSELLE 20 CHAPITRE I. LA NOTION EXTENSIVE DE TRAVAILLEUR .....................................................23 SECTION I. LA DÉFINITION LARGE DU TRAVAILLEUR EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE §1er. L’interprétation téléologique de la notion de travailleur 24 24 A. Une définition professionnelle 24 B. L’emploi de critères tirés du droit de la sécurité sociale 26 §2. Les élargissements textuels du cercle des bénéficiaires 29 A. Les catégories de travailleurs entrant dans le champ d’application de la coordination 29 1) L’extension de la coordination au profit des travailleurs non salariés 2) La généralisation de la coordination à l’ensemble des fonctionnaires 29 30 B. Les autres catégories de bénéficiaires 32 1) Les membres de la famille et survivants du travailleur 2) Les apatrides et les réfugiés 32 35 SECTION II. LA SOUPLESSE DES CONDITIONS D’OCTROI DES PRESTATIONS §1er. L’absence d’exigence de l’exercice d’une activité économique 36 36 131 A. De la libre circulation des travailleurs à la citoyenneté de l’Union 37 1) L’indifférence des motifs de déplacement en droit communautaire de la sécurité sociale 37 2) Le développement de la citoyenneté européenne 38 B. La généralisation des droits en matière de protection sociale 39 1) L’influence de la jurisprudence communautaire sur les droits du citoyen de l’Union 2) Le droit à l’ensemble des prestations sociales 39 41 §2. La condition d’exercice du droit de circulation 42 A. L’inapplication du droit communautaire aux situations purement internes 42 1) La définition de la situation purement interne 2) Les dérogations 43 44 B. La justification des discriminations à rebours 45 CHAPITRE II. LA CONCEPTION LARGE DES PRESTATIONS SOCIALES .................................48 SECTION I. LA DÉLIMITATION FLOUE DU CHAMP D’APPLICATION MATÉRIEL §1er. La définition des risques pris en compte par le règlement 1408/71 48 49 A. Les régimes légaux de sécurité sociale 49 B. Les régimes complémentaires et les régimes de substitution 51 §2. La difficulté d’établir une frontière entre la sécurité sociale et l’assistance sociale 53 A. Les critères jurisprudentiels de distinction entre assistance sociale et sécurité sociale 55 B. La création des prestations spéciales à caractère non contributif 57 SECTION II. LA LIBÉRALISATION JURISPRUDENTIELLE DE LA PROTECTION SOCIALE 59 §1er. Le retour à l’interprétation téléologique de la notion de prestation spéciale à caractère non contributif 59 A. L’incompatibilité de la nouvelle dérogation avec l’objectif de libre circulation des travailleurs 60 B. Les critères jurisprudentiels de qualification des prestations spéciales à caractère non contributif 62 132 §2. Le contournement des exclusions par le recours aux avantages sociaux 65 A. La conception large de la notion d’avantage social 65 B. L’articulation entre le règlement 1408/71 et les avantages sociaux 67 SECONDE PARTIE : L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UN PRINCIPE ÉVOLUTIF 71 CHAPITRE I. L’ÉGALITÉ ENVISAGÉE COMME INSTRUMENT DE RÉALISATION DE LA LIBRE CIRCULATION DES TRAVAILLEURS ......................................................................................73 SECTION I. L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT, PRINCIPE DIRECTEUR DU DROIT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE §1er. Le principe majeur de la coordination des systèmes de sécurité sociale 73 74 A. La limite au maintien des compétences des Etats membres 74 B. L’assimilation des travailleurs migrants aux nationaux 76 §2. Le caractère absolu de l’interdiction des discriminations 77 A. La prohibition de toutes les formes de discrimination 78 B. L’absence de justification des différences de traitement 80 SECTION II. L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT, INSTRUMENT D’EFFICACITÉ DES RÈGLES DE COORDINATION §1er. La coordination dans l’espace par la détermination de la législation applicable 82 82 A. Le principe d’unicité de la législation applicable 83 1) l’instauration de règles de conflit dérogatoires à la logique nationale de territorialité 2) L’application de la législation d’un seul Etat membre 83 84 B. L’application de la lex loci laboris 86 1) Le principe de l’application de la loi de l’Etat d’emploi 2) Les exceptions à l’application de la loi de l’Etat d’emploi 86 88 §2. La coordination dans le temps par les mécanismes de conservation des droits acquis ou en cours d’acquisition 90 133 A. La conservation des droits acquis 91 1) L’exportation des prestations « à long terme » 2) La conservation des droits acquis pour les autres prestations 91 93 B. La conservation des droits en cours d’acquisition et la totalisation des périodes 95 CHAPITRE II. L’ÉGALITÉ ENVISAGÉE COMME DROIT FONDAMENTAL DE LA PERSONNE HUMAINE.............................................................................................................................100 SECTION I. LES TRANSFORMATIONS DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ À TRAVERS LES AVANTAGES SOCIAUX §1er. L’égalité, facteur de libéralisation des avantages sociaux 100 101 A. L’égalité et l’intégration dans les Etats membres de la Communauté 102 B. L’égalité en tant que protection des citoyens de l’Union 104 §2. L’émancipation du principe d’égalité 106 A. L’application du principe à des domaines périphériques à la relation de travail107 B. La référence directe au principe général d’égalité 109 SECTION II. L’ÉGALITÉ ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES DANS LES RÉGIMES DE SÉCURITÉ SOCIALE 110 §1er. L’émergence d’un droit fondamental autonome 111 A. La naissance des directives relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes de sécurité sociale 111 B. Le recours à la notion de rémunération §2. La coordination des textes relatifs à l’égalité de traitement A. L’application de l’article 141 aux régimes professionnels de sécurité sociale 113 115 115 B. Les conséquences sur la portée du principe de l’égalité de traitement dans l’ordre juridique communautaire 117 BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................119 134 TABLE DES ARRÊTS DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES .........126 TABLE DES MATIÈRES ........................................................................................................130 135