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UNIVERSITE Lille 2, Droit et santé
Ecole doctorale n° 74
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Mémoire de DEA de droit social
Présenté par
Alice DANG
EGALITE DE TRAITEMENT ET LIBRE CIRCULATION
DES TRAVAILLEURS EN DROIT COMMUNAUTAIRE
DE LA PROTECTION SOCIALE
Sous la direction de Monsieur Olivier FARDOUX
Année 2001-2002
à Athina,
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION.......................................................................................................................6
PREMIÈRE PARTIE :L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT
COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UNE ÉTENDUE
UNIVERSELLE
20
CHAPITRE I. LA NOTION EXTENSIVE DE TRAVAILLEUR .....................................................23
SECTION I. La définition large du travailleur en droit communautaire de la sécurité sociale24
SECTION II. La souplesse des conditions d’octroi des prestations
36
CHAPITRE II. LA CONCEPTION LARGE DES PRESTATIONS SOCIALES .................................48
SECTION I. La délimitation floue du champ d’application matériel
48
SECTION II. La libéralisation jurisprudentielle de la protection sociale
59
SECONDE PARTIE :L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT
COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UN PRINCIPE ÉVOLUTIF 71
CHAPITRE I. L’ÉGALITÉ ENVISAGÉE COMME INSTRUMENT DE RÉALISATION DE LA LIBRE
CIRCULATION DES TRAVAILLEURS ......................................................................................73
SECTION I. L’égalité de traitement, principe directeur du droit de la sécurité sociale
73
SECTION II. L’égalité de traitement, instrument d’efficacité des règles de coordination
82
3
CHAPITRE II. L’ÉGALITÉ ENVISAGÉE COMME DROIT FONDAMENTAL DE LA PERSONNE
HUMAINE.............................................................................................................................100
SECTION I. Les transformations du principe d’égalité à travers les avantages sociaux
100
SECTION II. L’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes de sécurité sociale110
4
TABLE DES ABREVIATIONS
a.
Autres
aff.
Affaire
AJDA
Actualité juridique de droit administratif
ASSEDIC
Associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce
Bull. civ.
Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation
c.
Contre
Cah. dr. eur.
Cahiers de droit européen
Cass.
Cour de cassation
CE
Communauté européenne
CEE
Communauté économique européenne
Civ.
Chambre civile de la Cour de cassation
CJCE
Cour de justice des Communautés européennes
chron.
Chronique
Coll.
Collection
Concl.
Conclusions de l’Avocat général
coord.
Coordination
CRDS
Contribution au remboursement de la dette sociale
CSG
Contribution sociale généralisée
D.
Recueil Dalloz, édition générale
dir.
Direction
Dr. ouvrier
Droit ouvrier
Dr. Soc.
Droit social
Fasc.
Fascicule
Ibid.
Ibidem
J.-Cl.
Jurisclasseur
JDI
Journal de droit international
JO
Journal officiel
JOCE
Journal officiel des Communautés européennes
LGDJ
Librairie générale de jurisprudence
n°
Numéro
5
obs.
Observations
OIT
Organisation internationale du travail
Op. cit.
Opere citato
p.
Page
pp.
Pages
PUAM
Presses universitaires d’Aix-Marseille
PUF
Presses universitaires de France
PUG
Presses universitaires de Grenoble
RD sanit. soc.
Revue de droit sanitaire et social
RDP
Revue de droit public
RDUE
Revue du droit de l’Union européenne
Rec.
Recueil des décisions du tribunal de première instance et de la Cour
de Justice des Communautés européennes
RF
Revue fiduciaire
RI trav.
Revue internationale du travail
RJS
Revue de jurisprudence sociale
RMC
Revue du Marché commun
RMUE
Revue du Marché unique européen
RTD europe
Revue trimestrielle de droit européen
s.
Pages suivantes
Soc.
Chambre sociale de la Cour de cassation
Traité CE
Traité instituant la Communauté européenne
V°
Voir
6
INTRODUCTION
« Nous ne coalisons pas des Etats, nous
unissons des hommes ».
Jean MONNET, Mémoires, Paris : Fayard,
1976.
De la Charte de l’Atlantique1 à la Charte sociale européenne, bon nombre d’instruments
ont oeuvré sur le plan communautaire comme sur le plan international, pour un droit à la
protection sociale.
La Conférence internationale du travail constituait en 1944 la nouvelle charte de
l’Organisation Internationale du Travail (OIT), et la Charte des Nations Unies préconisait
le relèvement du niveau de vie dans l’ordre économique et social. Le principe du « droit à
la sécurité sociale », fondé sur des impératifs de « dignité et de libre développement de la
personnalité », a été expressément affirmé dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme du 10 décembre 1948, dont l’article 25 prescrit le droit à un niveau de vie
suffisant ainsi que le droit à une protection particulière contre certaines éventualités.
L’action normative d’organisations internationales et intergouvernementales comme
l’OIT2 ou le Conseil de l’Europe, va favoriser le développement de la protection sociale
internationale. La Convention n° 102 de l’OIT de 1952 concerne « la norme minimum de
la sécurité sociale ». Plusieurs autres conventions prévoient la protection des personnes qui
se déplacent à l’étranger pour y exercer une activité professionnelle par l’instauration du
principe d’égalité de traitement en matière de sécurité sociale3. Le Conseil de l’Europe a
adopté trois principaux instruments normatifs internationaux, la Charte sociale européenne
du 18 octobre 1961, la Convention européenne relative au statut juridique du
1
Le 5ème considérant de la Charte de l’Atlantique signée le 12 août 1941 affirme la nécessité « d’établir la
collaboration la plus complète entre toutes les nations dans le domaine économique, afin d’assurer à tous de
meilleures conditions de travail, une situation économique plus favorable et la sécurité sociale ».
2
PERRIN (G.), « Les fondements du droit international de la sécurité sociale », Dr. soc., 1974, p. 479.
3
Convention n° 19 du 5 juin 1925 sur l’égalité de traitement des travailleurs étrangers et nationaux en
matière de réparation des accidents du travail ; Convention n° 97 relative à l’égalité de traitement pour tous
les risques couverts par un système de sécurité sociale ; Convention n° 118 sur l’égalité de traitement en
matière de sécurité sociale.
7
travailleur migrant du 24 novembre 1977 et le « Code » européen de sécurité sociale du 16
avril 1964. Ces normes internationales exercent une influence sensible sur les droits
nationaux. Cependant, celles qui retiennent notre attention sont les normes sociales
communautaires adoptées dans le cadre de l’Union européenne.
Cerner la portée du droit communautaire de la protection sociale nécessite au préalable
un bref retour aux sources.
Le traité instituant la Communauté européenne (traité CE) prime sur l’ensemble des
normes édictées par les Etats membres. Afin de réaliser les objectifs qui y sont visés, les
institutions européennes élaborent des règles de droit communautaire dérivé qui s’imposent
aux quinze Etats membres.
De portée générale, le règlement est obligatoire dans tous ses éléments et directement
applicable en droit interne. La directive « lie tout Etat membre destinataire quant au
résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme
et aux moyens4 ». Elle fixe en général un délai au terme duquel les Etats doivent avoir
adopté les mesures nationales de transposition. Elle n’est donc pas, en principe,
directement applicable dans l’ordre juridique interne5.
La jurisprudence tient également une place importante parmi les sources du droit
communautaire. Les méthodes d’interprétation et le recours aux principes généraux du
droit6 confèrent à la Cour de justice des Communautés européennes une mission
normative.
Ainsi, la méthode téléologique consiste pour la CJCE à interpréter les dispositions qui
lui sont soumises à la lumière des objectifs à atteindre. Lorsque, confrontée à un problème
d’interprétation de normes communautaires, une juridiction nationale pose à la Cour une
question préjudicielle, la solution de cette dernière s’impose au juge et aux autorités
nationales. Les principes généraux du droit dégagés par la Cour possèdent une autorité
supérieure à celle du droit dérivé et s’imposent aux Etats membres pour les mesures
relevant du champ d’application et de l’exécution du droit communautaire. Un de ces
4
Article 249 du traité CE.
5
ISAAC (G.), BLANQUET (M.), Droit communautaire général, 8ème édition, Coll. U, Paris : Armand Colin,
2001, p. 133 et s.
6
PAPADOPOULOU (R.-E.), Principes généraux du droit et droit communautaire, Bruxelles : Bruylant, 1996, p.
59-80.
8
principes généraux du droit, l’égalité de traitement, retiendra toute notre attention, car de
son respect dépend la réalisation des objectifs à atteindre.
Sur le plan communautaire, le traité de Rome du 25 mars 1957 institue une
Communauté européenne afin de réaliser le Marché commun, par la mise en place de
politiques communes comme l’établissement de la libre circulation des marchandises, des
personnes, des capitaux et des services et l’instauration de la libre concurrence.
La mission de la Communauté est essentiellement économique. Cependant,
« l’expansion économique ne doit pas être considérée comme une fin en soi. Elle doit aussi
permettre l’amélioration de la qualité et du niveau de la vie7 ».
Le marché du travail est nécessaire à la mise en oeuvre du Marché commun, ce qui
implique d’en maîtriser les conditions et le fonctionnement. Les impératifs de la libre
circulation des travailleurs qui se déplacent pour exercer un emploi, nécessitent que soit
facilitée leur migration au sein de l’Union, notamment par l’existence d’une protection
sociale adéquate. Certains s’accordent à supposer que du fonctionnement du Marché
intérieur découlera naturellement le progrès social8. Cependant, l’élaboration d’une
politique sociale reste nécessaire, non pour « corriger les effets des injustices résultant de
la politique économique, mais afin de créer les bases de conditions de vie justes et
humaines9 ».
Bien que laborieuse, l’action de la Communauté en matière sociale a permis
l’émergence, outre le droit européen du travail proprement dit, d’un droit communautaire
de la protection sociale.
En l’absence de définition textuelle de la protection sociale, on peut reprendre les
termes de Monsieur Kessler selon lesquels « la protection sociale peut être définie comme
la combinaison de diverses techniques de prise en charge de risques sociaux et de besoins
sociaux à un moment donné. Le droit à la protection sociale est l’ensemble des normes qui
rendent compte des solutions ainsi retenues10 ». Bien que certains auteurs les considèrent
7
CHEVAL (C.), « Politique sociale européenne et nouvelle société », in Etudes de droit du travail offertes à A.
Brun, Paris : Libraire sociale et économique, 1974, p. 139.
8
DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, p. 432.
9
CHEVAL (C.), « Politique sociale européenne et nouvelle société », in Etudes de droit du travail offertes à A.
Brun, Paris : Libraire sociale et économique, 1974, p. 139.
10
KESSLER (F.), Droit de la protection sociale, Coll. Cours, Paris : Dalloz, 2000, p. 1.
9
comme synonymes, la notion de protection sociale doit être distinguée de celle de
« sécurité sociale11 ». Cette dernière a vocation à ne couvrir que certains risques concernés
par les régimes de base obligatoires, auxquels cotisent les assurés. La protection sociale
englobe une réalité plus large, puisqu’elle vise à couvrir tant les risques que les besoins
sociaux.
Dès lors, acquérir une vision complète du droit communautaire de la protection sociale
nécessite de ne pas se limiter aux seuls risques couverts par les régimes de base. Toutefois
nous nous efforcerons autant que possible de limiter notre étude aux besoins sociaux qui se
rattachent plus ou moins directement aux prestations de sécurité sociale. Nous exclurons
donc de nos développements la protection des personnes dans leurs conditions d’emploi et
de travail stricto sensu.
La politique sociale de la Communauté fait l’objet d’un chapitre spécifique dans le traité
CE. Les institutions communautaires ont le pouvoir d’édicter des règles contraignantes afin
de soutenir et compléter les actions des Etats membres dans le domaine social en général et
de la protection sociale en particulier. Cependant, certains obstacles freinent l’action de la
Communauté dans son entreprise d’harmonisation des normes sociales.
Les systèmes nationaux de protection sociale se caractérisent par une diversité due à la
différence de conceptions qui président à l’élaboration des législations nationales.
Certains systèmes de protection sont fondés sur une logique d’assurance sociale12.
Celle-ci consiste de la part du travailleur, à s’assurer financièrement contre la survenance
de certains risques de l’existence, au moyen de cotisations sociales. Fortement liée à
l’exercice d’une activité professionnelle, la protection ainsi acquise s’apparente à une
technique d’assurance classique.
D’autres systèmes retiennent comme critère les besoins de la personne envisagée en tant
que telle, privilégiant une logique dite « assistancielle ». Chaque individu a le droit à la
protection sociale. Les risques et les besoins auxquels celui-ci est amené à faire face, sont
couverts par l’ensemble de la collectivité. La plupart des systèmes nationaux consistent à
inclure ces deux logiques dans leur système de protection, dans des proportions différentes
11
Ibid.
12
DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, p. 44.
10
selon les Etats membres. Ces derniers se livrent parfois à ce que certains appellent une
« conquête sociale13 ».
Il suffirait pour les institutions communautaires d’adopter des mesures tendant à
l’harmonisation des différents systèmes. Or, les réticences permanentes des Etats membres
rendent cette entreprise utopique14. L’enjeu est double. D’une part, dans les Etats qui
assurent à leurs travailleurs une protection sociale élevée, les bénéficiaires refuseront de
perdre certains de leurs droits en vertu d’une unification des normes nationales. D’autre
part, dans les Etats qui ne proposent qu’une moindre protection compte tenu de leur
situation économique, une harmonisation « vers le haut » entraînerait de graves
conséquences financières nuisibles, tant pour l’équilibre du système de protection sociale
lui-même que pour la compétitivité économique de l’Etat concerné sur le plan
communautaire.
Malgré la multiplication des compétences sociales de la Communauté, la sécurité
sociale et la protection sociale sont de rares domaines où subsiste la règle de l’unanimité
des décisions, ce qui freine l’action de la Communauté dans l’adoption de règles
normatives, celles-ci nécessitant l’accord de chacun des Etats membres. Dans les faits, il
n’est donc pas de norme communautaire unifiée de protection sociale s’imposant aux Etats
membres. Toutefois, il est possible de mentionner l’existence de directives qui s’inscrivent
dans le cadre de l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes15.
La directive 76/207/CEE relative à l’égalité entre les hommes et les femmes dans
l’accès à l’emploi et les conditions de travail prévoit que seront progressivement mises en
place des dispositions concernant l’égalité des sexes en matière de sécurité sociale. Dans le
cadre de la politique sociale de la Communauté furent adoptées successivement deux
autres directives, l’une sur l’égalité entre hommes et femmes dans les régimes légaux de
sécurité sociale16, l’autre relative à l’égalité des sexes dans les régimes professionnels17 de
sécurité sociale.
13
VELDKAMP (G.-M.-J.), « L’harmonisation de la sécurité sociale dans la Communauté économique
européenne », Dr. soc., n° 12, 1968, p. 674.
14
Ibid.
15
Directive 75/117/CEE du Conseil du 10 Février 1975 relative à l’égalité des rémunérations, JOCE, n° L
45, du 19 février 1975, p. 19 ; Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à l’égalité dans
l’accès à l’emploi et les conditions de travail, JOCE, n° L 39 du 14 février 1976, p. 40.
16
Directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe
d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale , JOCE, n° L 6 du 10
janvier 1979, p. 24.
11
Les institutions de l’Union européenne ne peuvent que mettre en œuvre une politique de
convergence des politiques sociale. Celle-ci se traduit par la fixation d’objectifs communs
à l’égard des Etats membres, tout en maintenant la diversité des systèmes, afin d’unifier le
niveau de charges et de protection sociale. La Commission, par des études, avis,
recommandations ou consultations, peut encourager la coopération des Etats membres et
faciliter la coordination de leurs actions18. L’absence de normes contraignantes pour les
Etats membres s’accompagne d’une autre difficulté tenant au caractère territorial des
systèmes nationaux de protection sociale.
Le principe de territorialité des systèmes de protection sociale s’explique par le fait que
les lois de sécurité sociale ont un caractère d’ordre public. La sécurité sociale est
couramment considérée comme un service public. A ce titre les Etats membres ne leur
permettent pas de recevoir une application hors du territoire national.
Dans les Etats où la protection sociale répond à la logique de l’assurance, le bénéfice
des prestations est lié à l’exercice d’une activité professionnelle qui donne lieu à une
affiliation au régime de sécurité sociale du lieu où est exercée cette activité19. S’agissant de
l’aide sociale, celle-ci est attribuée en fonction de l’état de besoin de l’intéressé. Or
l’insuffisance des ressources est évaluée en fonction de l’environnement économique et
social de l’Etat concerné. Un minimum social dans un pays peut ne pas être considéré
comme tel dans un autre. Toutes ces raisons expliquent que les Etats prévoient
fréquemment une applicabilité de leur législation uniquement sur leur territoire. En
d’autres termes, la sécurité sociale est par principe non exportable.
La territorialité de la protection sociale présente des risques non négligeables pour le
travailleur qui transfère le lieu de sa résidence ou de son emploi sur le territoire d’un autre
Etat membre. L’acquisition de certains droits est subordonnée à l’accomplissement de
périodes de travail, de résidence ou d’affiliation. L’absence d’exportation des prestations
sociales nationales dans un autre Etat membre entraîne une perte de droits acquis par le
travailleur qui se déplace. Le principe de territorialité de la protection sociale constitue
17
Directive 86/378/CEE du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de
traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale, JOCE, n° L 225 du
12 août 1986, p. 40.
18
Article 140 du traité CE.
19
RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p.
12
donc un obstacle à la mobilité professionnelle des travailleurs, contraire aux objectifs
économiques que la Communauté s’était donnée pour mission de réaliser, parmi lesquels la
libre circulation des travailleurs.
L’action de la Communauté, comporte parmi ses objectifs la libre circulation des
marchandises, des personnes, des services et des capitaux. Ce sont en fait quatre libertés
économiques qui s’insèrent dans la réalisation du Marché commun prévu par le traité de
Rome.
La libre circulation des personnes à laquelle seront consacrés nos développements,
implique « le droit pour les travailleurs de se déplacer librement à l’intérieur de la
Communauté pour exercer une activité salariée, sous réserve des limitations justifiées par
des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique20 ». De cette liberté
découle le droit de séjourner sur le territoire d’autres Etats membres pour y exercer un
emploi, et celui d’y demeurer après y avoir occupé un emploi.
Si ces dispositions s’adressent a priori aux travailleurs, pourquoi l’intitulé du titre III du
traité CE fait-il référence aux personnes ?
Une première réponse peut être apportée par le règlement 1612/68, relatif à la libre
circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté21. Celui-ci inclut dans son
champ d’application les membres de la famille des travailleurs. Le 5ème considérant du
règlement indique que « le droit de libre circulation exige, […] d’éliminer les obstacles qui
s’opposent à la mobilité des travailleurs, notamment en ce qui concerne le droit pour le
travailleur de se faire rejoindre par sa famille, et les conditions d’intégration de cette
famille dans le milieu du pays d’accueil ». Cette liberté est liée à l’existence d’une relation
de travail, mais elle ne s’y limite pas, l’intéressé pouvant circuler dans la Communauté
avec les membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité. Les seules conditions
requises sont que les membres de la famille soient à la charge du travailleur et que celui-ci
dispose d’un logement « normal » pour les y accueillir.
Une seconde explication tient au dépassement de la dimension économique du traité de
Rome. La Communauté ne peut se réduire à l’apparence d’une « Europe des marchands »,
20
Article 39 § 1 du traité CE.
21
Règlement 1612/68 du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs qui se déplacent à
l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 257 du 19 octobre 1968.
13
mais elle doit également contribuer à l’épanouissement d’une Europe sociale et politique.
En d’autres termes, la réalisation des objectifs économiques ne peut devenir réellement
effective s’il n’est pas tenu compte des aspects sociaux et politiques.
La dimension sociale est traitée de manière secondaire par le traité CE. Dès 1972, les
chefs d’Etat et de gouvernement déclaraient : « L’expansion économique, qui n’est pas une
fin en soi doit, par priorité, permettre d’atténuer la disparité des conditions de vie. Elle doit
se poursuivre avec la participation de tous les partenaires sociaux. Elle doit se traduire par
une amélioration de la qualité aussi bien que du niveau de la vie. […] ».
La dimension politique a quant à elle été consacrée par la reconnaissance dans le traité
de Maastricht22 du concept de « citoyenneté de l’Union ». Cette notion a des incidences sur
la libre circulation puisque désormais, « toute personne ayant la nationalité d’un Etat
membre a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire d’autres Etats
membres », sans qu’il ne soit fait référence à la condition économique du bénéficiaire23. La
libre circulation des travailleurs est devenue une libre circulation des personnes. Voyons
comment cet objectif se réalise en matière de protection sociale.
L’article 42 du traité CE prévoit que « le Conseil, statuant conformément à la procédure
visée à l’article 251, adopte, dans le domaine de la sécurité sociale, les mesures nécessaires
pour l’établissement de la libre circulation des travailleurs ».
Compte tenu de la diversité des législations de sécurité sociale, il s’agit d’éliminer les
obstacles qui s’opposent à la mobilité intra communautaire. Si la Communauté ne peut
prendre des mesures tendant à harmoniser les législations nationales, elle peut cependant
adopter d’autres normes contraignantes pour réduire les risques d’entrave à la libre
circulation des travailleurs. Ceux-ci ne doivent pas être pénalisés par la perte de leurs
droits acquis sous l’empire d’une législation, du fait de leur déplacement sur le territoire
d’un autre Etat membre.
C’est pourquoi, d’une part, le traité préconise à l’avantage des travailleurs migrants la
possibilité d’une « totalisation, pour l’ouverture et le maintien du droit aux prestations,
ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les
différentes législations nationales ». L’article 42 du traité CE met ainsi en échec le principe
22
Traité sur l’Union européenne, 7 février 1992, JOCE, n° C 125 du 18 mai 1992.
23
KOVAR (R.), SIMON (D.), « La citoyenneté européenne », Cah. dr. eur., 1993, p. 285.
14
de territorialité qui domine les législations nationales, en permettant que des prestations
acquises dans un pays puissent être servies sur le territoire d’un autre Etat membre.
D’autre part, le Conseil doit assurer le paiement des prestations aux personnes résidant
sur les territoires des Etats membres. La réalisation de la libre circulation des travailleurs
en matière de protection sociale nécessite des instruments de mise en œuvre.
Le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), outre
les prescriptions relatives à l’égalité de traitement entre les travailleurs nationaux et
immigrés en matière de rémunération, enjoignait les Etats membres à faire en sorte que les
dispositions de sécurité sociale n’entravent pas la mobilité de main d’œuvre. Dans cette
optique, une « convention européenne concernant la sécurité sociale des travailleurs
migrants » fut signée le 9 décembre 1957. Mais cette convention ne permettait pas une
complète réalisation de la libre circulation des travailleurs, puisqu’elle ne s’adressait qu’à
ceux qui étaient employés dans le secteur du charbon et de l’acier.
Sous l’empire du traité de Rome, cette convention fut transformée par le règlement 3/58
du 25 septembre 1958 relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants24. Pris en
application de l’article 42 du traité, ce texte de droit dérivé organise la coordination entre
les différentes législations de sécurité sociale. Il met fin aux effets de la territorialité en
évitant les ruptures de protection et les conflits de lois qui pénalisent le travailleur, en
instaurant des mécanismes de détermination des législations applicables et de conservation
des droits acquis.
En 1971, le règlement 1408/7125 remplace le précédent pour s’adapter aux
élargissements communautaires et à l’interprétation très extensive de la libre circulation
des travailleurs par la Cour de justice des Communautés européennes.
La libre circulation des travailleurs implique, tel que le prescrit l’article 39 § 2 du traité
CE, « l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des
Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de
travail ». L’égalité de traitement bénéficie aussi bien au travailleur qu’aux membres de sa
24
Règlement n° 3/58 du 25 septembre 1958, relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants, JOCE, n°
30, du 16 décembre 1958.
25
Règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux
travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1971, n° L 149.
15
famille. Toute atteinte à ce principe, qu’elle soit directe ou indirecte, est considérée comme
une entrave à la libre circulation des travailleurs que la Communauté doit éliminer.
L’ensemble des actions entreprises par la Communauté en vue de réaliser sa mission est
subordonné à l’élimination des inégalités et à la promotion de l’égalité entre les hommes et
les femmes26. Principe général du droit, l’égalité de traitement est formalisée par l’article
12 du traité CE selon lequel « Dans le domaine d’application du présent traité, et sans
préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination
exercée en raison de la nationalité ». Ce principe général du droit communautaire
comprend notamment l’interdiction des discriminations selon la nationalité ou selon le
sexe.
La non-discrimination peut se définir comme la prohibition des distinctions fondées sur
un critère interdit. L’égalité de traitement présente une portée plus large car elle dépasse
l’emploi direct d’un critère interdit, pour condamner les différences fondées sur d’autres
critères mais qui aboutissent au même résultat, c’est à dire les discriminations indirectes.
En revanche, elle autorise parfois de prendre en compte des disparités de situations telles
que la sous représentation d’une catégorie donnée, pour appliquer à celle-ci une différence
de traitement, dans le but de rétablir une égalité concrète. C’est ce que la doctrine appelle
la discrimination positive.
La notion de non-discrimination entraîne une obligation de ne pas faire, tandis que celle
de l’égalité de traitement fait appel à des actions positives27. Néanmoins, ces termes sont
employés indifféremment en droit communautaire qui les résume tous deux par
l’interdiction de traiter différemment des situations comparables et ne pas traiter de
manière identique des situations différentes.
L’égalité de traitement est prévue à l’article 3 du règlement 1408/71 selon lequel « Les
personnes qui résident sur le territoire de l’un des Etats membres et auxquelles les
dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont
admises au bénéfice de la législation de tout Etat membre dans les mêmes conditions que
26
Article 3 § 2 du traité CE
27
ROBIN-OLIVIER (S.), Le principe d’égalité en droit communautaire, Thèse Aix-Marseille, PUAM, 1999, p.
19.
16
les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le
présent règlement ».
Ce principe se présente comme l’élément central sur lequel reposent règles de
coordination. Celles-ci ne peuvent recevoir d’effectivité si le travailleur migrant fait l’objet
de dispositions moins favorables que les nationaux des Etats membres. L’application du
règlement 1408/71 est donc subordonnée à l’égalité sans le respect de laquelle la libre
circulation ne se résumerait qu’à un principe théorique. Les termes du règlement tout
comme ceux qui permettent la réalisation des objectifs communautaires, font l’objet
d’interprétations ambitieuses de la CJCE.
La Cour de justice a joué un rôle considérable dans l’interprétation des dispositions de
droit communautaires relatives à la libre circulation des travailleurs et à l’égalité de
traitement en matière de protection sociale. Institution autonome, elle est à l’origine de
nombreuses modifications du droit communautaire primaire et dérivé.
Cette juridiction a pour mission d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et
l’application du traité CE28. Pour éliminer les conflits nés des divergences d’interprétation
du droit communautaire par les Etats membres, la Cour en assure une application
uniforme. Son pouvoir est quasi-normatif, d’une part parce que ses décisions ont force
obligatoire et exécutoire à l’égard des Etats membres, et d’autre part parce qu’elle est
habilitée à invalider les dispositions communautaires qu’elle juge incompatibles avec la
finalité du traité.
Le mode de saisine le plus fréquent de la Cour demeure le renvoi préjudiciel. Celui-ci
est le fait par une juridiction nationale saisie d’un litige où se pose le problème de
l’application du droit communautaire, de demander à la Cour d’interpréter la norme
litigieuse. La CJCE peut également être amenée à se prononcer à l’occasion d’un recours
en manquement intenté à l’encontre d’un Etat membre par la Commission29. Ce bref rappel
des compétences de la Cour de justice est nécessaire, car la plupart des transformations du
droit communautaire de la protection sociale sont issues de ses interprétations.
28
ISAAC (G.), BLANQUET (M.), Droit communautaire général, 8ème édition, Coll. U, Paris : Armand Colin,
2001, p. 170 et s.
29
Article 226 CE : « Si la Commission estime qu’un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui
incombent en vertu du présent traité, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet Etat en demeure
de présenter ses observations. Si l’Etat en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la
Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice ».
17
L’objet de cette étude est de montrer quels rapports entretiennent l’objectif de libre
circulation des travailleurs et le principe d’égalité de traitement en droit communautaire de
la protection sociale.
Depuis la signature du traité de Rome en 1957, la conception des objectifs poursuivi par
la Communauté a connu de profonds bouleversements, au premier rand desquels la
mutation du principe de libre circulation des travailleurs.
Conçue à l’origine comme une liberté économique, la libre circulation ne pouvait
fonctionner selon une acceptation aussi réductrice, notamment en matière de protection
sociale. Il est par exemple inutile de penser qu’un travailleur puisse transférer sa résidence
ou son lieu de travail sur le territoire d’un autre Etat membre, sans qu’il soit possible de se
faire rejoindre par les membres de sa famille30. Il est tout aussi vain de croire que le
regroupement familial tel qu’envisagé par le droit communautaire, puisse s’exercer sans
que la famille du travailleur soit en mesure de bénéficier d’une protection sociale adéquate.
Même si elle présente un lien avec l’exercice d’une activité économique, l’amélioration
du niveau de vie du travailleur et de sa famille relève moins d’une considération
professionnelle que d’une nécessité humaine et sociale. En témoignent les élargissements
textuels de cette liberté aux non actifs et à l’ensemble des citoyens de l’Union, ainsi que
l’emploi parfois indifférencié des notions de « travailleurs » et de « personnes ».
La généralisation de la libre circulation des travailleurs, favorisée par la jurisprudence
nécessite l’adaptation des instruments normatifs qui la mettent en œuvre. Ainsi le
règlement 1408/71 prévoit-il un champ d’application et des règles dont la portée dépasse le
simple cadre des objectifs fixés par le traité de Rome31. L’interprétation extensive de la
notion de sécurité sociale par la Cour de justice va également dans le sens de la protection
des personnes et des citoyens entendus comme tels.
Il en découle naturellement une mutation du principe général d’égalité de traitement qui,
envisagé comme le corollaire direct de la libre circulation des personnes voit son domaine
d’application élargi.
30
Selon le troisième considérant du règlement 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs, « La libre
circulation constitue pour les travailleurs et leur famille un droit fondamental ».
31
Le règlement 1408/71 inclut par exemple dans son champ d’application personnel les fonctionnaires et
personnels assimilés.
18
La réalisation de la libre circulation des personnes ne doit pas se réduire à des actions
dans le seul domaine de la sécurité sociale auquel se limitent les règles de coordination. Ce
domaine ne représente qu’une partie des évolutions ayant conduit au dépassement de la
dimension économique.
Admettre que les inactifs puissent exercer leur droit de circuler suppose que ceux-ci
bénéficient d’un minimum de protection sociale. Cette possibilité ne relève pas du
règlement 1408/71 qui exclut expressément l’aide sociale de son champ d’application.
Permettre aux enfants des travailleurs migrants de suivre des études dans de bonnes
conditions suppose que ces dites conditions ne soient pas plus difficiles à remplir pour le
ressortissant communautaire que pour les sédentaires. Ces exigences en matière
d’éducation ne comptent pas parmi les risques énumérés par le règlement 1408/71. Afin de
ne pas priver ces personnes d’une réelle chance de s’intégrer socialement dans un Etat
membre donné, la Cour de justice a recours à la notion d’avantage social prévue dans le
règlement 1612/68.
Dans ce domaine, l’égalité de traitement trouve également sa place. L’article 7 § 2
dispose que le travailleur bénéficie sur le territoire des autres Etats membres, « des mêmes
avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ». Le lien avec une activité
économique, même s’il est mentionné expressément dans le règlement par les notions
d’emploi, de travail ou de rémunération, se relâche au fur et à mesure des interprétations
jurisprudentielles. La notion d’avantage social prend une signification tellement large que
le lien avec la libre circulation des travailleurs devient presque imperceptible.
Dans ces circonstances, quelle valeur convient-il de donner au principe d’égalité ? Doiton continuer à le considérer comme un simple instrument de réalisation de la libre
circulation des travailleurs, ou au contraire est-il possible de l’ériger en tant qu’objectif à
part entière de la Communauté ?
Les diverses constatations qui ont permis notre analyse nous conduisent à privilégier la
seconde hypothèse. Le principe de non-discrimination, même s’il a souvent été lié à
l’objectif de libre circulation des travailleurs, a fait l’objet de dispositions spécifiques dès
la signature du traité de Rome. Certaines normes de droit communautaire dérivé ont pour
seul objectif d’éliminer les différences de traitement entre les hommes et les femmes en
matière de rémunération et de sécurité sociale. La mise en œuvre de la prohibition des
19
discriminations en raison de la nationalité ou du sexe se détache parfois exclusivement de
toute considération économique, pour protéger les personnes en tant qu’êtres humains.
C’est en cela que certains auteurs évoquent ce principe comme une satisfaction des
impératifs de liberté et de dignité de la personne32. C’est aussi en cela que la Cour de
justice considère l’égalité de traitement comme un droit fondamental de la personne
humaine33.
Ce droit à l’égalité de traitement apparaît autant comme un objectif à atteindre au même
titre que la libre circulation des travailleurs, que comme un instrument au service de cette
liberté.
Une démarche en deux temps sera nécessaire pour montrer que les transformations du
droit communautaire de la protection sociale ont permis à l’égalité de traitement de
dépasser le simple cadre de la libre circulation des travailleurs.
D’une part, les interprétations extensives de la jurisprudence communautaire ont permis
d’élargir le domaine d’application de ce principe au-delà des règles de mise en œuvre de
cette liberté. L’égalité ressort de l’étude du champ d’application du droit communautaire
de la protection sociale, comme un principe d’étendue universelle (Première partie).
D’autre part, l’analyse des règles communautaires de sécurité et de protection sociale
met en évidence la capacité d’adaptation du principe d’égalité aux changements de
mentalité et aux mutations qui affectent les conceptions originelles du traité de Rome.
L’émancipation de l’égalité de traitement, stimulée par la jurisprudence de la Cour de
justice est rendue possible grâce à son caractère évolutif (Seconde partie).
32
MATTERA (A.), « La libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté européenne », RMUE,
4/1993, p. 47.
33
CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec., p. 455.
20
PREMIERE PARTIE :
L’EGALITE DE TRAITEMENT EN DROIT
COMMUNAUTAIRE DE LA SECURITE
SOCIALE, UNE ETENDUE UNIVERSELLE
21
Le droit communautaire est marqué par une certaine variabilité de son champ
d’application, selon le domaine étudié. Dans le cadre du principe d’égalité de traitement,
on peut relever trois niveaux de protection.
L’article 12 du Traité pose comme principe général l’interdiction des discriminations
exercées en raison de la nationalité. L’article 13 dispose que « le Conseil, statuant à
l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen,
peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur
le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou
l’orientation sexuelle ».
En matière de libre circulation des travailleurs, c’est la dimension économique qui
prévaut. L’article 39 du Traité et l’article 7 du règlement 1612/68, relatif à la libre
circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté34, prévoient la protection des
travailleurs entendus à l’origine comme agents économiques. Sont ainsi interdites les
discriminations entre les travailleurs ressortissants des Etats membres et les travailleurs
nationaux, quant à leurs conditions d’emploi, de rémunération et autres conditions de
travail.
Deux visions de l’égalité de traitement peuvent expliquer son étendue et sa portée en
droit communautaire. Ce principe peut tout d’abord être perçu comme un instrument de
réalisation de la libre circulation des travailleurs. Cette liberté économique constituant un
des éléments essentiels du Marché commun, il est nécessaire de faire disparaître tout ce qui
constitue pour elle une entrave. La libre circulation implique, selon l’article 39 du traité
CE, « l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des
Etats membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de
travail ». Le principe de non discrimination, indissociable de la libre circulation des
travailleurs, est conçu comme un moyen de sa mise en œuvre. L’objectif de libre
circulation des travailleurs ne peut être véritablement atteint si les Etats membres prévoient
des conditions d’emploi, de rémunération et de travail moins favorables pour les
travailleurs qui se déplacent que pour les nationaux. On peut ainsi dire que la libre
circulation des travailleurs est subordonnée au respect du principe d’égalité de traitement.
La réalisation de cette liberté économique déterminerait donc les limites et la portée de
l’égalité de traitement.
34
Règlement (CEE) n° 162/68 du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de
la Communauté, JOCE, 1968, n° L 257.
22
Or on ne peut concevoir une telle restriction du domaine d’application de ce principe
aux activités économiques exercées dans le Marché intérieur. L’égalité ne présente pas
qu’une fonction instrumentale. Elle est à elle seule devenue un objectif dont la réalisation
est nécessaire pour la protection des droits fondamentaux de l’homme35. Elle permet à la
Communauté de se développer selon des valeurs communes et démocratiques, et elle
contribue à l’émergence d’une Europe sociale.
Ainsi, le champ d’application de l’égalité de traitement ne cesse de s’élargir. Il doit au
moins correspondre à l’extension croissante du domaine de la libre circulation des
travailleurs. A cet objectif s’adapte aussi le règlement 1408/71 qui organise la coordination
des divers systèmes de sécurité sociale. Ce dernier a pour finalité de faciliter la mobilité
des personnes au sein de la Communauté, s’efforçant de s’appliquer dans le respect de
l’égalité de traitement entre les travailleurs qui se déplacent et les nationaux. A cet effet,
les rédacteurs du règlement 1408/71 ont prévu des dispositions spécifiques concernant les
bénéficiaires de la coordination des régimes de sécurité sociale.
Progressivement, le règlement 1408/71 s’est adapté aux évolutions des législations
nationales et de la libre circulation des travailleurs. La jurisprudence de la Cour de justice a
fortement contribué à cet effort d’adaptation du règlement aux nouvelles exigences du
Marché commun. Même si des progrès restent à faire concernant certains aspects de la
coordination, le domaine d’application du règlement 1408/71 s’est cependant fortement
étendu, élargissant du même coup celui de l’égalité de traitement.
L’intervention du juge communautaire est en partie à l’origine de la plupart des
modifications textuelles ayant conduit à ces extensions. Il demeure indispensable de
permettre au plus grand nombre de personnes de bénéficier d’un maximum de prestations.
Ainsi l’évolution du champ d’application personnel du règlement a-t-elle été favorisée par
l’interprétation extensive de la notion de travailleur36 (premier chapitre). Quant à
l’élargissement du champ d’application matériel, il a été rendu possible grâce à l’adoption
d’une conception large des prestations sociales (second chapitre).
35
ROBIN-OLIVIER (S.), Le principe d’égalité de traitement en droit communautaire, Etude à partir des libertés
économiques, Thèse, Aix-en-Provence : PUAM, 1999, p. 315.
36
LYON-CAEN (A.), « La libre circulation des travailleurs dans la Communauté économique européenne »,
Dr. Soc., Juillet-Août 1989, p. 526.
23
CHAPITRE I. LA NOTION EXTENSIVE DE
TRAVAILLEUR
La nature des migrations internationales a connu des modifications, tout comme celle
des déplacements des travailleurs. Le cercle des bénéficiaires de la libre circulation s’est à
tel point étendu, que la libre circulation des travailleurs a évolué vers une libre circulation
des personnes37. Le Traité de Rome dont la finalité originelle est économique, ne peut
trouver plein effet si on ne prend pas en compte ses aspects politiques et sociaux. Le
développement de la citoyenneté européenne en est un des plus significatifs témoignages.
Acteur majeur de cette évolution, la CJCE interprète de manière très extensive la notion
de travailleur, que ce soit dans le cadre de la libre circulation que dans celui de la
coordination des régimes de sécurité sociale. Les effets se ressentent sur l’égalité de
traitement, corollaire direct de la libre circulation des travailleurs, constituant le fondement
fréquent de la jurisprudence communautaire.
Le champ d’application du règlement 1408/71 n’est pas demeuré figé. Il devait lui aussi
s’étendre pour correspondre au moins à celui de la libre circulation des travailleurs. Cette
idée était déjà largement acquise dès l’entrée en vigueur du premier règlement concernant
la sécurité sociale des travailleurs migrants38. Plus vaste que le champ d’application de la
libre circulation des travailleurs, celui de la coordination des régimes de sécurité sociale
intégrait déjà d’autres catégories de bénéficiaires. C’est pourquoi par la suite, l’on a pu
parler d’un dépassement du cadre strict de la libre circulation des travailleurs sous
l’impulsion d’une vision libérale du juge communautaire. Le règlement 1408/71 est aussi
une manifestation de la vision sociale que l’on peut avoir de la construction européenne. Il
n’exige pas, par exemple, que soit exercée une activité économique pour la détermination
du droit aux prestations, ce qui peut ainsi illustrer le dépassement de la dimension
économique du Traité.
Le souci de faciliter la mobilité intracommunautaire des personnes conduit à une
définition large de la notion de travailleur au sens du règlement 1408/71 (Section 1). Il se
37
DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, Coll. Précis, 14ème édition, Paris : Dalloz, 2001, p. 428.
38
Règlement n° 3/58 du 25 septembre 1958, relatif à la sécurité sociale des travailleurs migrants, JOCE, n°
30, du 16 décembre 1958.
24
manifeste également par une certaine souplesse dans les conditions d’octroi des prestations
sociales (Section 2).
SECTION I. LA DEFINITION LARGE DU TRAVAILLEUR
EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA SECURITE
SOCIALE
La notion de travailleur conditionne le champ d’application d’une liberté fondamentale,
celle de la libre circulation des travailleurs39. L’égalité de traitement, corollaire direct de
cette liberté, figure à l’article 39 § 2 du traité instituant la Communauté européenne. Cet
article dispose que la libre circulation des travailleurs « implique l’abolition de toute
discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui
concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ».
Plus le cercle des bénéficiaires est étendu, plus les dispositions facilitant la mobilité
professionnelle sont efficaces. Le champ d’application personnel du règlement 1408/71
présente la particularité d’être plus étendu que celui de la libre circulation des travailleurs.
Par une interprétation téléologique de la notion de travailleur (§1), le juge
communautaire a permis l’application de la coordination à un cercle très vaste de
bénéficiaires (§ 2).
§1 e r . L’interprétation téléologique de la notion de
travailleur
La méthode d’interprétation de la Cour de justice a contribué à l’extension croissante du
champ d’application des dispositions communautaires en matière de libre circulation des
travailleurs. La définition de la notion de travailleur à la lumière de la finalité du traité CE
mène à une définition professionnelle (A). Quant à l’application de cette notion aux
personnes concernées, la Cour utilise des critères tirés du droit de la sécurité sociale (B).
A. Une définition professionnelle
L’application des dispositions relatives à la sécurité sociale des travailleurs qui se
déplacent et les difficultés qu’elles suscitent commandent une interprétation téléologique,
39
CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81, Rec., p. 1035 ; CJCE, 3 juillet 1986, Lawrie Blum, aff. 65/85, Rec.,
p. 2121 ; CJCE, 31 mai 1989, Bettray, aff. 344/87, Rec., p. 1641.
25
c'est-à-dire selon l’esprit et le but que les rédacteurs ont entendu leur conférer. Elles
doivent, selon la CJCE, « être interprétées à la lumière de leur objectif qui est de contribuer
à l’établissement d’une liberté aussi complète que possible de la libre circulation des
travailleurs migrants, principe qui s’inscrit dans les fondements de la Communauté40 ».
Dès lors, la notion de travailleur qui participe à cette réalisation, doit faire l’objet d’une
interprétation extensive41.
En raison de la disparité subsistante des législations des Etats membres, la Cour de
justice déclare ne pas pouvoir interpréter cette notion par référence aux critères nationaux,
son sens et son rôle n’étant pas partout comparables42. Laisser les Etats fixer
unilatéralement le contenu de cette notion risquerait de mettre en échec la libre circulation
des travailleurs43. La jurisprudence va elle-même fixer les critères de définition de cette
notion pour lui conférer une acceptation communautaire et en permettre une application
uniforme. Cela conduit à un élargissement du domaine d’application de la libre circulation
et de son corollaire, l’égalité de traitement. La volonté de généraliser ce principe se
manifeste par l’adoption d’une conception professionnelle de la notion de travailleur.
La conception originelle de la notion de travailleur est une conception que l’on peut
qualifier de contractuelle ou, selon certains auteurs, de « fonctionnelle44 ». Elle était fondée
sur l’existence d’un contrat de travail ou d’un contrat assimilé, ce qui coïncidait avec la
dimension économique des buts poursuivis par le législateur communautaire. Ainsi une
personne était qualifiée de travailleur au sens du droit communautaire par référence aux
critères de la relation de travail : effectuer des prestations déterminées, sous la
subordination d’un employeur45. Cette vision réductrice constitue un frein à la réalisation
de la libre circulation dans le cadre de la sécurité sociale des migrants, la rupture du contrat
de travail pouvant dans ce cas entraîner une perte de sa protection sociale par le travailleur,
nonobstant son déplacement à l’intérieur de la Communauté.
40
CJCE, 7mars 1991, Masgio, aff. C-10/90, Rec., p. I-1119.
41
CJCE, 19 mars 1964, aff. 75/63, Unger, Rec., p. 347.
42
LYON-CAEN (G.), note sous CJCE, 19 mars 1964, Unger, aff. 75/63, Dr.soc., 1964, p. 658.
43
MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE,
4/93, p. 47 ; TOUFFAIT (A.), « La jurisprudence de la CJCE en matière de sécurité sociale des travailleurs
européens qui se déplacent », in Etudes de droit des Communautés européennes, mélanges offerts à P.-H.
Teitgen, Paris : Pédone, 1984, p. 511.
44
LYON-CAEN (G.), note sous CJCE, 19 mars 1964, Unger, aff. 75/63, Dr.soc., 1964, p. 658.
45
MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE,
4/93, p. 47.
26
L’arrêt Unger46 met fin à cette vision contractuelle et laisse place à la conception dite
« professionnelle47 » de la notion de travailleur. Le juge communautaire abandonne l’idée
d’un lien avec un contrat de travail. Le travailleur, selon la Cour, « n’est pas exclusivement
celui qui détient un emploi actuel. L’article [39] vise aussi les individus susceptibles de
demeurer sur le territoire d’un Etat membre, après y avoir occupé un emploi »48. La Cour
de poursuivre que le travailleur salarié « est celui qui a un emploi actuel et aussi celui qui,
ayant quitté son emploi est susceptible d’en occuper un autre ». Cette nouvelle approche
témoigne à nouveau de la volonté d’extension du cercle des bénéficiaires.
Le nouveau règlement 1408/71 a consacré la jurisprudence Unger suivant laquelle la
notion communautaire de travailleur doit être entendue sous son acceptation
professionnelle, ce qui ouvre la protection à de plus nombreuses catégories de personnes.
Désormais, le chômeur entre dans le champ d’application du règlement 1408/71, ce qui lui
permet de conserver une protection, le temps de trouver un nouvel emploi.
La définition du travailleur en droit communautaire de la sécurité sociale a été établie
par l’emploi de critères tirés non pas du droit du travail, mais du droit de la sécurité
sociale.
B. L’emploi de critères tirés du droit de la sécurité sociale
Le juge communautaire qualifie de travailleurs « tous ceux qui en tant que tels ou sous
quelque appellation que ce soit, se trouvent couverts par les différents systèmes nationaux
de sécurité sociale ». La Cour de justice n’interprète pas cette notion selon une approche de
droit du travail, mais selon une approche de droit de la sécurité sociale : dès lors que
l’intéressé se rattache à un régime de sécurité sociale, il peut être couvert par les règles de
coordination. Il n’est pas nécessaire de prendre en compte l’exercice ou non d’une activité
professionnelle, ni les motivations qui ont poussé la personne à se déplacer à l’intérieur de
la Communauté.
46
CJCE, 19 mars 1964, aff. 75/63, Unger, Rec., p. 347.
47
MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE,
4/93, p. 47.
48
CJCE, 19 mars 1964, aff. 75/63, Unger, Rec., p. 347.
27
Autrement dit, une personne qui n’est pas un « travailleur » au sens économique peut
néanmoins prétendre au bénéfice de la coordination du seul fait qu’elle soit ou qu’elle ait
été affiliée à un régime de sécurité sociale. L’interprétation du juge dépasse le cadre de la
libre circulation des travailleurs. Suite à l’arrêt Unger, le règlement 1408/71 définit cette
notion selon les mêmes critères49 : les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale
s’appliquant aux travailleurs salariés ou non salariés, à tous les résidents ou à l’ensemble
de la population active, au titre d’une assurance obligatoire, facultative continuée ou
volontaire sont considérées comme travailleur au sens du règlement 1408/71.
Or, le règlement ne met en place qu’un système de coordination et laisse le soin aux
Etats membres de déterminer les conditions d’affiliation aux régimes nationaux de sécurité
sociale. Ceci peut s’avérer une limite à l’interprétation extensive de la notion
communautaire de travailleurs, dans la mesure où les Etats peuvent durcir les conditions
d’affiliation à un régime, à condition toutefois de ne pas porter atteinte au principe de
l’égalité de traitement figurant à l’article 3 du règlement 1408/71. Certains parleront de
« paradoxe »50, l’application d’une notion dite communautaire nécessitant toutefois
l’examen de dispositions nationales.
Ainsi, la dimension économique de la construction européenne a été largement dépassée
par les rédacteurs du règlement 1408/71. L’expression « travailleurs qui se déplacent » se
substitue à celle de « travailleurs migrants » employée par le règlement précédant, la
première expression englobant un champ plus large de bénéficiaires.
Le critère d’affiliation à la sécurité sociale ne suffit pas à conférer la qualité de
travailleur à celui qui s’en prévaut. Ce dernier doit également répondre à une condition de
nationalité, celle d’être un ressortissant d’un Etat membre.
La qualité de ressortissant d’un Etat membre conditionne l’application des principes
énoncés par le législateur communautaire. La définition de la « nationalité » est laissée à
l’appréciation des Etats membres. Un décret du 11 mars 1994 relatif aux conditions
49
Article 1er a) du règlement 1408/71.
50
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université,
2001, p. 38.
28
d’entrée et de séjour en France des ressortissants des Etats membres de la Communauté51
énumère les conditions exigées par la législation française pour obtenir la qualité de
ressortissant communautaire. Il subsiste donc dans l’Union européenne une diversité des
systèmes d’attribution de la nationalité, ce qui peut faire naître des disparités.
Il est important de savoir à quel moment s’apprécie la qualité de ressortissant du
travailleur qui se déplace. Tout est fonction du type de prestation réclamé52. Certaines
prestations dépendant de l’accomplissement de périodes d’assurance, il convient de tenir
compte de la nationalité que le travailleur possédait lors de l’accomplissement de ces
périodes53. La possession de la qualité de ressortissant communautaire à ce moment permet
à l’intéressé de bénéficier du régime de protection sociale au même titre que les nationaux
de l’Etat membre d’accueil.
D’autres prestations restent indépendantes de l’accomplissement de périodes
d’assurance. L’appréciation de la nationalité du travailleur est alors effectuée au moment
de la demande de prestation présentée par l’intéressé.
Parfois la nationalité du bénéficiaire des prestations reste indifférente. En principe, les
membres de la famille et les survivants du travailleur, les apatrides et les réfugiés54
bénéficient des règles de coordination, quelle que soit leur nationalité.
Des accords ont été conclus entre la Communauté européenne et des Etats tiers, selon
lesquels les travailleurs des Etats tiers et les membres de leur famille résidant avec eux sur
le territoire d’un Etat membre, peuvent bénéficier d’un « régime caractérisé par l’absence
de toute discrimination fondée sur la nationalité »55.
L’interprétation téléologique de la notion de travailleur est une première étape vers
« l’universalité » du principe de l’égalité de traitement car elle dépasse le strict cadre de la
libre circulation des travailleurs. La Cour contribue aux élargissements textuels du champ
d’application personnel des règles de coordination.
51
Décret n° 94.211 du 11 mars 1994 relatif aux conditions d’entrée et de séjour en France des ressortissants
des Etats membres de la Communauté, JO, 13 mars 1994.
52
RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, 2ème édition, Coll. Manuel, Paris : LGDJ, 2002, 668 p.
53
CJCE, 12 octobre 1978, Belbouab, aff. 10/78, Rec., p. 1915.
54
Voir infra, p. 35.
55
CJCE, 30 janvier 1991, Kziber, aff. C-19/90, Rec., p. I-198 ; CJCE, 5 avril 1995, Krid, aff. C-103/94, RJS,
1995, p. 469.
29
§2. Les élargissements
bénéficiaires
textuels
du
cercle
des
La Cour de justice a favorisé le dépassement de la dimension économique de la
construction européenne et la transformation de la libre circulation des travailleurs en libre
circulation des personnes. Les règlements 3/58 et 1408/71 ont adapté leur champ
d’application personnel à ces mutations, tant en ce qui concerne les travailleurs stricto
sensu (A) que les autres bénéficiaires (B).
A. Les catégories de travailleurs entrant dans le champ
d’application de la coordination
L’œuvre libérale de la CJCE est pour une grande part à l’origine de l’extension de la
coordination au profit des travailleurs non salariés (1), et de sa généralisation à l’ensemble
des fonctionnaires (2).
1) L’extension de la coordination au profit des travailleurs non salariés
Il n’existe pas de signification communautaire autonome du travail salarié ou non
salarié. Ces notions renvoient aux activités que la législation de sécurité sociale de l’Etat
concerné qualifie comme telles56.
L’article 4 du règlement 3/58 prévoyait que le travail salarié s’appliquait à tous les
travailleurs salariés ou assimilés, soumis ou ayant été soumis à la législation d’un ou de
plusieurs Etats membres. Se posait la question de savoir ce qu’il fallait entendre par
« l’assimilation » au travail salarié. Sous l’empire du règlement 3/58, des Etats membres
ont élargi le bénéfice de la coordination aux travailleurs non salariés57 pour se conformer
aux interprétations du juge communautaire.
La Cour de justice a d’abord déclaré qu’il a assimilation au travail salarié chaque fois
que le régime général est étendu à une catégorie de personnes autres que les travailleurs
salariés, quelles que soient les formes et modalités utilisées par la législation nationale58.
56
CHAVRIER (H.), COULON (E.), LORIOT (G.), TRUCHOT (L.), « Chronique générale de jurisprudence
communautaire, le droit matériel : Janvier 1997-Décembre 1998, Deuxième partie, la libre circulation des
personnes et des services », RMUE, n° 435, Février 2000, p. 117.
57
VOIRIN (M.), « Vers l’extension aux non-salariés des règlements de la C.E.E. sur la sécurité sociale des
migrants », Dr. soc., n° 7-8, Juillet-Août 1969, p. 467.
58
CJCE, 19 décembre 1968, De Cicco, aff. 19/68, Rec., 1968, p. 700 ; Dr. soc., 1969, p. 333, note LYONCAEN (G.).
30
La Cour d’ajouter que la coordination doit couvrir le travailleur « et celui qu’un système
national affilie en tant que salarié ou non salarié, et ceci en fonction de ses propres
définitions ». En l’espèce, le règlement s’appliquait donc à la catégorie des artisans
italiens. Une fois la personne inscrite au régime général, elle est considérée comme un
travailleur salarié, qu’elle le soit ou non, et bénéficie des règles de la coordination.
Cependant, la détermination des bénéficiaires du régime général de sécurité sociale reste
de la compétence des Etats membres. La subsistance de disparités entre les législations
peut engendrer des différences de traitement nuisibles pour les intéressés.
Par conséquent, le règlement 1390/81 du 12 mai 198159 a pallié cette lacune du champ
d’application personnel en y incluant les travailleurs non salariés. Il précise en annexe que
les termes « salarié » ou « non salarié » nécessitent de se référer aux différentes législations
nationales, ce que la CJCE a plusieurs fois rappelé60, précisant en outre que « la qualité de
travailleur est acquise dès lors que l’intéressé satisfait aux conditions matérielles
objectivement fixées par le régime général qui lui est applicable, même si les démarches
nécessaires pour l’affiliation à ce régime n’ont pas été accomplies61. Les vicissitudes ou
négligences de l’employeur ne font donc pas obstacle à l’attribution de la qualité de
travailleur.
Cette adaptation n’est qu’une étape dans le processus d’extension qui touche le droit
communautaire de la sécurité sociale. La généralisation du domaine de la coordination
concerne également la catégorie des fonctionnaires.
2) La généralisation de la coordination à l’ensemble des fonctionnaires
Le champ d’application du règlement 1408/71 ne correspond pas toujours au contenu de
l’article 39 § 4 du traité.
Le traité CE écarte de la libre circulation et donc de l’égalité de traitement, les
personnes qui occupent un emploi dans l’administration publique, quel que soit le lien
juridique que l’intéressé noue avec l’administration. Même si les rapports concernés sont
59
Règlement 1390/81 du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille
le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés
et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1981, n° L 143 du 29 mai 1981.
60
CJCE, 30 janvier 1997, De Jaeck, aff. C-340/94, Rec., p. I-461 ; CJCE, 3 mai 1990, Kitz Van Heijnigen,
aff. C-2-89, Rec., p. I-1755.
61
CJCE, 15 décembre 1976, Mouthaan, 39/76, Rec., p. 1901.
31
de droit privé, ils demeurent écartés compte tenu de l’objet des activités exercées62. La
Cour de justice explique ce point de vue par le fait que « de tels emplois supposent en
effet, de la part de leur titulaire, un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’Etat, ainsi
que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité »63.
Cette exception à l’égalité de traitement doit être appréciée de manière restrictive64. Elle
ne concerne que l’accès à l’emploi public. Une fois le ressortissant communautaire intégré
dans un tel emploi, il doit bénéficier des mêmes conditions de travail que les nationaux. Le
juge communautaire précise que « le principe de non-discrimination a une portée générale
et gouverne tous les ressortissants communautaires dans l’exercice de leur activité, quel
que soit l’emploi qu’ils occupent »65. Ceux ci étant entrés dans la fonction publique au
même titre que les nationaux, il demeure nécessaire de leur appliquer la même protection
sociale, sans distinction.
Par conséquent, l’article 2 § 3 du règlement 1408/71 dispose que « le présent règlement
s’applique aux fonctionnaires et au personnel qui, selon la législation applicable, leur est
assimilé, dans la mesure où ils sont ou ont été soumis à la législation d’un Etat membre à
laquelle le présent règlement est applicable ».
Le règlement ne définit pas cette catégorie. De grandes disparités risqueraient de naître
de la persistance des définitions nationales. La Cour a donc considéré que cette notion
devait nécessairement être interprétée conformément aux exigences propres du droit
communautaire. Elle définit le fonctionnariat comme « un ensemble d’emplois qui
comportent une participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et
aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou d’autres
collectivités publiques »66.
Néanmoins, jusque 1998, le régime applicable aux intéressés devait entrer dans le
champ d’application matériel du règlement, ce qui n’était pas le cas pour les régimes
spéciaux de fonctionnaires. Seuls les fonctionnaires et agents publics relevant du régime
des salariés du secteur privés étaient, selon une jurisprudence constante, admis au bénéfice
62
RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, 2ème édition, Coll. Manuel, Paris : LGDJ, 2002, 668 p.
63
CJCE, 17 décembre 1980, Commission c. Belgique, aff. 149/79, Rec., p.3881.
64
PERTEK (J.), « Reconnaissance des diplômes et ouverture des emplois publics aux ressortissants
communautaires », AJDA 20 octobre 1991, p. 680.
65
CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 153.
66
CJCE, 17 décembre 1980, Commission c. Belgique, aff. 149/79, Rec., p.3881.
32
de la coordination67. Le règlement CE 1606/98 du 29 juin 1998 élargit à son tour le champ
d’application de la coordination aux régimes spéciaux des fonctionnaires et assimilés,
conformément à la logique de généralisation des règles de coordination. Cette nouvelle
catégorie peut ainsi prétendre à la protection offerte par le règlement 1408/71.
Les transformations du droit social communautaires en matière de sécurité sociale ne
s’arrêtent pas là. Le règlement 1408/71 a prévu d’autres catégories de personnes ne se
présentant pas comme des travailleurs stricto sensu, mais comme des membres de la
famille, des apatrides et des réfugiés.
B. Les autres catégories de bénéficiaires
L’égalité doit être assurée en fait et en droit dans la Communauté. Elle ne peut
réellement devenir effective si ne sont pas intégrées dans les dispositions communautaires
des données essentielles comme la famille. C’est pourquoi les règlements 3/58 et 1408/71
ont intégré dans leur champ d’application personnel les membres de la famille et les
survivants du travailleur, ce qui facilite la mobilité professionnelle dans la Communauté
(1). La coordination s’étend également aux apatrides et aux réfugiés (2).
1) Les membres de la famille et survivants du travailleur
Les membres de la famille ont toujours été protégés par la libre circulation des
travailleurs. Plusieurs règlements successifs en ont élargi le cercle. En 1961 étaient
concernés le conjoint et les enfants de moins de 21 ans68. En 1964 étaient également
considérés comme membres de la famille les descendants autres que les enfants, de moins
de 21 ans et à charge69. Enfin, le règlement 1612/68 s’est étendu aux descendants âgés de
moins de 21 ans ou à charge, ainsi que les ascendants à charge du travailleur et de son
conjoint70. L’admission des personnes à la libre circulation s’est libéralisée.
En tant
qu’instrument de réalisation de la libre circulation des travailleurs, il convenait d’étendre le
domaine du règlement 1408/71 au plus grand nombre de membres de la famille.
L’article 1 f) du règlement 1408/71 définit le membre de la famille en renvoyant à la
législation au titre de laquelle les prestations sont servies, tant que cette législation n’est
67
CJCE, 24 mars 1994, Van Poucke, aff. 71/93, Rec., p. I-1101.
68
Article 11, règlement CEE n° 15, du 16 août 1961.
69
Article 17, règlement CEE n° 38/64, du 25 mars 1964.
70
Article 10, règlement CEE, n° 1612/68, du 15 octobre 1968, op. cit., supra, note n° 1.
33
pas contraire au principe d’égalité de traitement. Les notions de personnes à charge71 et de
conjoint du travailleur ont suscité un certain contentieux devant la Cour de justice
Le seul fait d’être à charge du travailleur, quels qu’en soient les motifs et quelles que
soient les possibilités matérielles dont disposerait l’intéressé, est une condition suffisante
pour qu’il soit considéré comme membre de la famille72.
Toutefois, le conjoint continue de faire l’objet d’une acceptation restrictive. Le juge
communautaire a en effet considéré que le mot « conjoint » tel qu’employé à l’article 10 du
règlement 1612/68, vise seulement un « rapport fondé sur le mariage »73. Si la Cour de
justice voit un avantage pour le travailleur de se faire rejoindre par son concubin au même
titre que les sédentaires74, cela ne revient pas à le considérer comme un membre de la
famille au sens du droit communautaire. Le concubin ne bénéficie donc pas de l’égalité de
traitement applicable aux membres de la famille.
La seule condition qui subordonne l’admission des membres de la famille sur le
territoire d’un autre Etat membre, réside dans la possibilité pour le travailleur de disposer
au profit des intéressés d’un logement « normal ». Leur nationalité est indifférente, tant que
le travailleur possède la qualité de ressortissant communautaire75.
Cependant, la distinction entre les membres de la famille ressortissants communautaires
et ceux qui ne le sont pas n’est pas dénuée d’intérêt76. Les premiers disposent d’un droit
propre à circuler dans la Communauté, tandis que les seconds n’ont qu’un droit octroyé en
tant qu’ayant droit d’un travailleur communautaire. La perte de la qualité de membre de la
famille entraîne pour ces derniers un traitement en tant que ressortissants d’Etats tiers. Il
demeure une différence de traitement en raison de la nationalité entre les membres de la
famille, alors même que le travailleur duquel ils sont à la charge est un ressortissant de
l’Union européenne.
71
MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE,
4/93, p. 47.
72
CJCE, 18 juin 1987, Lebon, aff. 316/85, Rec., 1987, p. 2832.
73
CJCE, 17 avril 1986, Reed, aff. 59/85, Rec., p. 1283.
74
HECKER (P.), note sous CJCE, 22 juin 2000, Safet Eyüp, aff. C-65/98, RDUE, 3/2000, p. 682.
75
Article 10 § 1 du règlement 1612/68.
76
RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p.
34
Le droit communautaire n’exige aucune condition de cohabitation. L’article 68 § 2 du
règlement 1408/71 prévoit que « l’institution compétente d’un Etat membre dont la
législation prévoit que le montant des prestations varie avec le nombre de membres de la
famille tient compte également des membres de la famille qui résident sur le territoire d’un
autre Etat membre, comme s’ils résidaient sur le territoire de l’Etat membre compétent ».
Insérer une condition de cohabitation dans une législation nationale nuit à l’effet utile du
règlement, et va à l’encontre du principe d’égalité de traitement sur lequel il se base77. La
Cour de justice considère donc que la condition de cohabitation est réputée remplie lorsque
la personne concernée est principalement à la charge du travailleur78.
Dans l’arrêt Lebon79, il a été jugé que les membres de la famille du travailleur au sens
de l’article 10 du règlement 1612/68, ne sont que les bénéficiaires indirects de l’égalité de
traitement reconnue à celui-ci par l’article 12 du traité CE. Cette décision confirme une
jurisprudence antérieure selon laquelle le droit dérivé est acquis en qualité de membre de la
famille ou de survivant du travailleur80. La famille ne peut prétendre au bénéfice des
prestations au titre des droits propres, prestations qui ne dépendent pas du lien de parenté
avec le travailleur et réservés aux nationaux81.
La qualification de droit propre ou de droit dérivé dépendait des législations nationales,
ce qui risquait de limiter la portée du principe d’égalité de traitement, et de nuire à
l’uniformité du droit communautaire.
La CJCE va à son tour limiter la portée de la distinction en la faisant échapper aux
qualifications nationales82. L’insertion dans le règlement 1408/71 des membres de la
famille est un des signes de la généralisation du principe d’égalité de traitement en droit
communautaire de la sécurité sociale.
Une autre manifestation de cette tendance peut être relevée s’agissant des apatrides et
des réfugiés.
77
CJCE, 16 décembre 1976, Inzirillo, aff. 63/76, Rec., p. 2057.
78
CJCE, 16 octobre 2001, Stallone, aff. 212/00, RJS, 1/02, chron., p. 11, obs. KESSLER (F.).
79
CJCE, 18 juin 1987, Lebon, aff. 316/85, Rec., 1987, p. 2832.
80
CJCE, 23 novembre 1976, Kermaschek, aff. 40/76, Rec., p. 1669.
81
CJCE, 6 juin 1985, Frascogna, aff. 157/84, Rec., p. 1739 ; CJCE, 27 mai 1993, Schmid, aff. C-310/91,
Rec., p. I-3011.
82
CJCE, 30 avril 1996, Cabanis-Issarte, aff. C-308/93, Rec., p. I-2097.
35
2) Les apatrides et les réfugiés
Avant l’entrée en vigueur du traité CEE, des engagements furent pris dans le cadre de
l’ONU et du Conseil de l’Europe, prévoyant une égalité de traitement en matière de
sécurité sociale aux apatrides et réfugiés. Les définitions de ces notions ont été
respectivement données par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par la
convention de New York du 28 septembre 1954. Si les règlements de coordination des
régimes de sécurité sociale n’avaient pas inclus dans leur champ d’application ces
personnes, il aurait fallu élaborer un système parallèle permettant de faire face aux
engagements de la Communauté. L’extension du règlement 1408/71 répond à cette
exigence. « Elle peut aussi s’analyser comme une manière de témoigner que le droit
communautaire n’est pas seulement un droit de nature économique, mais aussi un droit qui
intègre la dimension civile et politique des migrations internationales »83.
Les conditions du droit aux prestations sociales des apatrides et réfugiés rejoignent
celles des ressortissants communautaires. Les intéressés doivent se placer dans une
situation de droit communautaire, c'est-à-dire exercer leur droit de circulation. Cette
exigence est logique compte tenu du caractère accessoire de l’inclusion de cette catégorie
dans le règlement 1408/71. Permettre aux apatrides ou réfugiés résidant sur le territoire
d’un Etat membre ainsi qu’aux membres de leur famille d’invoquer des droits aux
prestations sociales, alors que leur situation serait purement interne, créerait une situation
d’inégalité à l’égard des ressortissants communautaires. C’est pourquoi le bénéfice de la
coordination est réservé aux seules situations de migrations.
La généralisation du système de coordination et de la libre circulation des travailleurs
ouvre une voie vers l’universalité de l’égalité de traitement. L’interprétation téléologique
de la Cour de justice a permis l’extension du champ d’application personnel du règlement
1408/71. Cette ouverture vers d’autres catégories de bénéficiaires témoigne de la volonté
de donner à la construction européenne une signification tant économique, que sociale et
politique. La coordination des régimes de sécurité sociale a largement dépassé les objectifs
prévus par le droit communautaire.
83
LHERNOULD (J.-P.), « L’actualité de la jurisprudence communautaire et internationale », RJS, Janvier 2002,
chron., p. 11.
36
Il suffit de constater la souplesse des conditions d’octroi des prestations, pour se rendre
compte que le processus d’extension de la libre circulation des travailleurs et des principes
dont elle dépend, demeurent inachevé.
SECTION II. LA SOUPLESSE DES CONDITIONS
D’OCTROI DES PRESTATIONS
Alors que l’objectif de libre circulation exigeait pour sa mise en œuvre des conditions
d’ordre économique, celles-ci semblent progressivement mises en échec en droit de la
sécurité sociale communautaire. Le développement du concept de « citoyenneté de
l’Union » a bouleversé les données relatives à l’application du droit communautaire aux
personnes qui se déplacent dans la Communauté, ainsi qu’aux nationaux qui demeurent
dans leur Etat. L’activité de la Cour de justice s’oriente vers une dimension civile et
politique de la libre circulation et de l’égalité de traitement.
Le droit communautaire de la sécurité sociale, chargé de mettre en œuvre ces principes,
adopte le même point de vue s’agissant des conditions d’octroi des prestations. Le juge
communautaire accentue la souplesse initiale du règlement 1408/71 pour l’adapter à
l’évolution libérale de la construction européenne. L’application des règles de coordination
ne requiert pas l’exercice d’une activité économique pour l’octroi des prestations (§ 1). Le
développement de la citoyenneté européenne risque remet en cause la condition d’exercice
de son droit de circulation (§ 2).
§1 e r . L’absence d’exigence
activité économique
de
l’exercice
d’une
L’objectif originel du traité instituant la Communauté européenne est de permettre aux
travailleurs de circuler dans la Communauté pour y exercer un emploi en favorisant leurs
déplacements. Le dépassement de la dimension économique du marché commun et
l’émergence du concept de citoyenneté de l’Union tendent à remettre en cause les
conditions d’application du droit communautaire aux travailleurs.
Il se manifeste par l’évolution d’une liberté de circulation à la citoyenneté de l’Union
(A). L’émergence de ce nouveau concept s’est accompagnée de la généralisation des droits
en matière de protection sociale (B).
37
A. De la libre circulation des travailleurs à la citoyenneté de
l’Union
Les conditions d’application des règles de coordination sont plus favorables à la
mobilité intra-communautaire que ne le sont celles de la libre circulation des travailleurs.
Les motifs de déplacement des personnes intéressées sont indifférents en droit
communautaire de la sécurité sociale (1). Le développement de la citoyenneté européenne
contribue au relâchement du lien avec l’activité professionnelle (2).
1) L’indifférence des motifs de déplacement en droit communautaire de
la sécurité sociale
La logique initiale du traité CE imposait que les déplacements de travailleurs soient
motivés par le travail. Cependant, sous l’empire du règlement 3/58, le motif de
déplacement se révèle déjà indifférent. La Cour de justice accorde le droit aux prestations à
des personnes qui séjournent pour des motifs de convenance personnelle dans un autre Etat
membre84. Elle déclare que « les dispositions de l’article 19 § 3 qui accordent à l’assuré
social en séjour temporaire dans un Etat membre autre que l’Etat d’affiliation un droit aux
prestations en cas de soins urgents ou d’hospitalisation, ne prévoient aucune exception,
notamment en ce qui concerne le motif du séjour à l’étranger ».
Dans l’arrêt Singer du 9 décembre 196585, la Cour rappelle que l’établissement d’une
liberté aussi complète que possible de la libre circulation des travailleurs est un fondement
de la Communauté. « Il ne serait pas conforme à cet esprit de limiter la notion de
travailleur aux seuls travailleurs migrants stricto sensu, ou aux seuls déplacements relatifs
à l’exercice de leur emploi ». L’indifférence des motifs de déplacement permet donc aux
ressortissants de la Communauté de bénéficier en tant que touristes des règles de
coordination. Le règlement 3/58 encouragerait ainsi une certaine forme de « tourisme
social »86. Cependant la reconnaissance de la qualité de travailleur n’est pas sans limites.
Elle exige qu’ait été préalablement accomplie une activité professionnelle effective, peu
important le temps que l’intéressé y ait consacré, pourvu que cette activité « ne soit pas
tellement réduite qu’elle se présente comme purement marginale et accessoire »87.
84
CJCE, Unger, 19 mars 1964, aff. 75/63, Rec., p. 347.
85
CJCE, 9 décembre 1965, Singer, aff. 44/65, Rec., p. 1192.
86
LYON-CAEN (G.), note sous CJCE, 19 mars 1964, Unger, Dr. Soc., n° 12, Décembre 1964, p. 658.
87
CJCE, 23 mars 1982, Levin, aff. 53/81, Rec., p. 1035.
38
Tout assuré peut désormais se prévaloir du droit communautaire en tant que
consommateur ou destinataire de service, même s’il n’exerce pas actuellement une activité
professionnelle. La libre circulation des travailleurs semble se diriger dans ce sens : deux
directives du 28 juin 199088 accordent le droit de séjour aux inactifs. Ces derniers sont
admis au droit de séjour sur le territoire des Etats membres, à condition toutefois de ne pas
devenir une charge pour l’assistance sociale de l’Etat d’accueil. Les inactifs doivent
disposer de ressources suffisantes, et les étudiants déclarer avoir les ressources nécessaires
pour séjourner dans un Etat membre. Le droit de demeurer sur le territoire d’un Etat
membre reste assez variable, ce qui engendre parfois certaines disparités89.
Cette généralisation du droit de séjour et des règles de coordination se double du
développement de la citoyenneté de l’Union, nouvelle étape dans le processus
d’élargissement et d’approfondissement de l’intégration communautaire90.
2) Le développement de la citoyenneté européenne
Le traité de Maastricht91 substitue la notion de citoyenneté européenne à celle de
ressortissant communautaire, ce qui marque le franchissement des limites du domaine
économique et social pour atteindre une union politique92. Est instituée une citoyenneté de
l’Union dont est titulaire toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. La
citoyenneté européenne complète celle des Etats membres qui demeurent libres de définir
les conditions d’acquisition de la nationalité.
Elle entraîne un droit de circulation et de séjour dont la jouissance est indépendante de
la condition économique des bénéficiaires, ainsi que le droit de vote et d’éligibilité au
Parlement européen et aux élections municipales. Les dispositions du traité relatives à la
citoyenneté européenne sont le corollaire de la liberté de circulation et de séjour du citoyen
européen. Elles confèrent aux intéressés une protection accrue contre les discriminations.
Elles leur attribuent des droits civiques et politiques sur le territoire de l’Etat d’accueil, au
88
Directive 90/364 CEE du conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour ; Directive 90/365 du conseil,
du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité
professionnelle.
89
RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p.
90
KOVAR (R.), SIMON (D.), « La citoyenneté européenne », Cah. dr. eur., 1993, p. 285.
91
Traité sur l’Union européenne, 7 février 1992, JOCE, n° C 191 du 29 juillet 1992.
92
ISAAC (G.), BLANQUET (M.), Droit communautaire général, 8ème édition, Coll. U, Paris : Armand Colin,
2001, p. 13.
39
même titre que les nationaux93. Le développement de la citoyenneté de l’Union engendre
un assouplissement des conditions de circulation et de séjour. L’appartenance à une des
nationalités de la Communauté suffit, en dehors de toute considération économique. Le
traité CE change d’orientation, évoluant d’une finalité économique à une construction
politique.
Ces progrès dans la reconnaissance de la dimension politique du droit communautaire
ne sont pas sans influence sur le principe d’égalité de traitement en matière de sécurité
sociale. L’assouplissement des conditions de bénéfice de la protection sociale en Europe
s’accompagne dans ce domaine, de la généralisation du droit à la protection sociale.
B. La généralisation des droits en matière de protection sociale
L’intervention de la Cour de justice des Communautés sur le fondement de la
citoyenneté européenne est demeurée longtemps hésitante, tant les conditions requises pour
le droit aux prestations restaient empruntes de considérations économiques. Puis des
changements progressifs sont intervenus, notamment concernant le droit de séjour des
étudiants (1). La prise en compte de la citoyenneté substituée à la notion de travailleur
risque d’accélérer la généralisation du droit aux prestations sociales à tous les nationaux de
la Communauté (2).
1) L’influence de la jurisprudence communautaire sur les droits du
citoyen de l’Union
La situation des étudiants est très révélatrice des transformations déclenchées par la
citoyenneté européenne.
Dans ce domaine, le règlement 1408/71 s’est adapté de manière anticipée, en permettant
la dispense d’affiliation au régime français des étudiants s’il justifient de l’affiliation à un
régime conventionnel d’assurance maladie ou à un régime d’assurance privée. Mais
jusqu’à la modification intervenue par un règlement 307/99, les étudiants étaient exclus des
règles de coordination s’ils n’étaient pas assurés pendant leurs études à un régime de
sécurité sociale organisé au bénéfice des travailleurs salariés94. Ce point de vue se justifiait
par le fait que les articles 39 à 42 du traité CE, sont destinés à favoriser la libre circulation
des travailleurs.
93
SEBASTIEN (G.), « La citoyenneté de l’Union européenne », RDP, p. 1263.
94
CJCE, 1er décembre 1977, Kuyken, aff. 66/77, Rec., p. 2311.
40
Le droit communautaire antérieur à l’instauration de la citoyenneté européenne, ne
couvre pas expressément la situation des étudiants qui se déplacent dans le seul but d’y
poursuivre des études. Certaines formations sont prises en charge, à condition qu’elles
présentent un lien avec la profession antérieure de l’intéressé. L’enseignement suivi doit
préparer l’étudiant à une qualification professionnelle ou lui conférer une aptitude
particulière à exercer une profession95.
La mise en œuvre concrète de la notion de citoyenneté ne s’est ressentie que bien après
son instauration dans le Traité CE. Ce n’est que dans l’affaire Martinez Sala en 199896 que
la Cour de justice fonde une décision relative à l’application du principe de l’égalité de
traitement sur ce nouveau concept. Dans cet arrêt retentissant, elle déclare qu’un
« ressortissant d’un Etat membre, résidant sur le territoire d’un autre Etat membre, relève
du domaine d’application ratione personae des dispositions du Traité consacrées à la
citoyenneté européenne, et peut se prévaloir des droits prévus par le traité que l’article 8 §
2 (ancien) attache au statut de citoyen européen, dont celui, prévu à l’article [12], de ne pas
subir de discrimination en raison de la nationalité dans le champ d’application ratione
materiae du Traité ». Dès que la situation d’une personne relève du champ d’application
matériel du traité, les dispositions relatives à la non-discrimination en raison de la
nationalité s’appliquent, du seul fait que l’intéressé possède la nationalité d’un des Etats
membres.
Cette décision risque de remettre en cause les conditions d’application du droit
communautaire en matière de droit de séjour ou de coordination des législations de sécurité
sociale. La référence aux citoyens de l’Union englobe un nombre très étendu de
bénéficiaires parmi lesquels des personnes qui n’étaient pas couvertes par le droit
communautaire, ce qui permet d’envisager un accroissement du champ d’application
personnel des règles de coordination et de l’accès aux prestations sociales.
La question s’est posée de savoir si un étudiant français poursuivant des études en
Belgique pouvait se prévaloir du revenu minimum belge97. Cette prestation sociale non
95
CJCE, 13 février 1985, Gravier, aff. 293/83, Rec., 1985, p.593.
96
CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691 ; Europe, 1998, n° 241, obs. IDOT, RMUE,
1998, n° 3, p. 254, obs. CABRAL ; JDI, 1999, p. 557, obs. LUBY.
97
LHERNOULD (J.-P.), « L’accès aux prestations sociales des citoyens de l’Union européenne », note sous
CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyc, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, décembre 2001, p. 1103.
41
contributive n’entre pas dans le champ d’application du règlement 1408/71, mais est
considérée au regard des règles sur la libre circulation des travailleurs, comme un avantage
social98 entraînant l’application du droit communautaire. La Cour de justice des
Communautés ne va pas fonder sa décision sur la qualité de travailleur requise pour
bénéficier des avantages sociaux, mais sur le statut de citoyen européen. Elle déclare qu’un
« citoyen de l’Union européenne qui réside légalement sur le territoire de l’Etat membre
d’accueil peut se prévaloir de l’article 12 du Traité dans toutes les situations relevant du
domaine d’application ratione materiae du droit communautaire ». Cette décision confirme
le dispositif employé par le juge dans l’affaire Martinez Sala99 à propos de l’application
des dispositions relatives à l’interdiction des discriminations à tous les citoyens européens.
S’agissant des étudiants, la cour ajoute que « rien ne permet de considérer que les
étudiants qui sont des citoyens de l’Union, lorsqu’ils se déplacent dans un autre Etat
membre pour y poursuivre des études, sont privés des droits conférés par le Traité aux
citoyens de l’Union ». Cette jurisprudence témoigne du passage d’une conception
économique à une conception civile du droit communautaire. Les seules exceptions qui
subsistent en matière de libre circulation sont liées aux motifs d’ordre public, de santé et de
sécurité publiques. Cette décision risque d’entraîner un bouleversement du droit
communautaire de la protection sociale, aboutissant à la généralisation pour tous les
citoyens de l’ensemble des prestations sociales.
2) Le droit à l’ensemble des prestations sociales
Si la jurisprudence Grzelczyc100 se confirmait, le concept de citoyen de l'Union devrait
permettre à tout étudiant communautaire placé dans la même situation et résidant
légalement sur le territoire de cet Etat membre de revendiquer le même avantage. La
qualité de travailleur ne serait plus requise pour prétendre à un traitement identique au
national. L’Etat membre d’accueil ne pourrait imposer aux citoyens d’autres Etats des
conditions plus dures que celles qui seraient requises pour ses propres nationaux, ce qui
entraînerait une généralisation globale de traitement101 entre tous les citoyens de l’union,
qu’ils soient ressortissants communautaires ou nationaux.
98
Sur la notion d’avantage social, voir infra, p. 65.
99
CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691.
100
CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyc, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, décembre 2001, p. 1103.
101
LHERNOULD (J.-P.), « L’accès aux prestations sociales des citoyens de l’Union européenne », note sous
CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyc, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, décembre 2001, p. 1103.
42
Cette décision a été rendue à propos des avantages sociaux accordés en matière de libre
circulation des personnes. Logiquement ce point de vue devrait s’étendre au système de
coordination assuré par le règlement 1408/71. Les limitations de son champ d’application
personnel n’auraient plus lieu d’être, car certains droits refusés sur le fondement des règles
de la coordination seraient accordés sur celui de la citoyenneté européenne.
En 1999, a été adopté le règlement 307/99 qui étend les règles de coordination des
régimes de sécurité sociale aux étudiants. Leur entrée dans le champ d’application du
règlement 1408/71 témoigne à nouveau de l’avancée vers l’universalité de la libre
circulation des personnes et de l’égalité de traitement qui en est l’instrument. Cet
élargissement n’est qu’un pas supplémentaire dans le mouvement général d’extension
amorcé depuis longtemps par le droit communautaire de la sécurité sociale.
La libre circulation des personnes est un droit qui tend progressivement à être réalisé
indépendamment de l’exercice d’activités économiques. Il a donné naissance au droit de
tous les citoyens à ne pas subir de discrimination fondée sur la nationalité, notamment en
matière de protection sociale. Ce bouleversement remet en cause l’exigence de l’utilisation
de son droit de libre circulation par les citoyens européens.
§2. La condition d’exercice du droit de circulation
La libre circulation étant destinée à faciliter les migrations intra-communautaires, il
semble logique que son application soit subordonnée à l’exercice par l’intéressé de son
droit de circulation. En d’autres termes, la libre circulation ne concerne pas les situations
purement internes à un seul Etat membre (A), ce qui justifie dans une certaine mesure les
discriminations « à rebours » (B). La pertinence de cette exigence semble toutefois remise
en cause avec le développement de la notion de citoyenneté de l’Union.
A. L’inapplication du droit communautaire aux situations
purement internes
Le principe de la négation du droit communautaire aux personnes qui demeurent sur un
Etat membre nécessite une définition de ce qu’il faut entendre par « situation purement
interne » (1). Si cette négation est le principe, il existe dès le règlement 1408/71 des
dérogations (2).
43
1) La définition de la situation purement interne
Dès l’entrée en vigueur du règlement 1408/71 s’est posée la question de savoir si le
national d’un Etat membre qui est demeuré sur ce territoire pouvait prétendre au même
titre que les travailleurs migrants à l’application du droit communautaire. La Cour de
justice considère que la libre circulation ne s’applique pas à des situations purement
internes. Elle définit ces situations comme celles qui se caractérisent par « l’absence de
rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire »102.
Il est nécessaire de se placer dans une hypothèse prévue par la règle communautaire, de
sorte que l’existence de certains éléments de fait empêche de traiter la situation sur un plan
purement national103. Le travailleur qui n’a jamais résidé, séjourné ou travaillé sur le
territoire d’un Etat membre autre que le sien, ne peut se prévaloir des droits résultant de la
libre circulation des personnes.
La Cour précise que les situations purement internes sont celles qui ne correspondent à
aucun mouvement de circulation entre Etats membres104. Dans l’hypothèse de circulation
d’un travailleur pour des motifs de résidence ou de travail, il faut noter que certains
déplacements s’apparentent à des situations internes, car n’entraînant pas une situation de
droit communautaire. Il en est ainsi pour les déplacements entre un Etat membre et un Etat
tiers.
Par conséquent, une personne qui est toujours demeurée sur le territoire d’un Etat
membre sans jamais avoir exercé son droit de libre circulation, ne peut contester une
mesure qui restreint sa libre circulation de la part des autorités de son propre Etat105. A
l’inverse, un national qui se place dans une situation communautaire peut réclamer aux
autorités de l’Etat membre dont il est ressortissant, l’application des règles auxquelles peut
prétendre le migrant dans la même situation. En attendant les conséquences de la prise en
compte de la citoyenneté de l’Union, l’égalité de traitement reste subordonnée à l’exercice
de son droit de circulation. Cependant, la Cour de justice a devancé ces bouleversements
dans le cadre du règlement 1408/71, en admettant certaines dérogations.
102
CJCE, 7 février 1979, Saunders, aff. 175/78, Rec., p. 1129.
103
DRUESNE (G.), « Remarques sur le champ d’application personnel du droit communautaire : des
« discriminations à rebours » peuvent-elles tenir en échec la libre circulation des personnes ? », RTD Europe,
1979, p. 429.
104
CJCE, 15 janvier 1986, Hurt, aff. 44/84, Rec., p. 84.
105
CJCE, 7 février 1979, Saunders, aff. 175/78, Rec., p. 1129 ; RTD Europe, 1979, p. 506 et 429.
44
2) Les dérogations
La Cour de justice considère que l’application des dispositions du règlement sur l’accès
aux soins en cas de séjour temporaire ne nécessite pas que la personne concernée ait fait
usage de son droit de libre circulation106. La seule présence d’un « élément européen »
suffit pour que le travailleur et les membres de sa famille soient couverts. L’intéressé qui
n’a jamais travaillé ni résidé dans un autre Etat membre peut réclamer l’accès aux soins de
santé à l’étranger, sous trois conditions alternatives : séjourner temporairement dans cet
autre Etat membre, y transférer sa résidence, ou être autorisé par l’institution compétente à
s’y faire soigner107.
Le règlement 1408/71 intègre dans son champ d’application personnel les travailleurs
frontaliers et saisonniers. L’article 1er b) du règlement définit le frontalier comme celui qui
est « occupé sur le territoire d’un Etat membre et réside sur le territoire d’un autre Etat
membre, où il retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine ». Le
travailleur saisonnier est défini par l’article 1 c) du règlement comme celui qui se rend sur
le territoire d’un Etat membre autre que celui où il réside, afin d’y effectuer, pour le
compte d’une entreprise ou d’un employeur de cet Etat, un travail à caractère saisonnier
dont la durée ne peut dépasser en aucun cas huit mois s’il séjourne sur le territoire dudit
Etat pendant la durée de son travail ».
Ces situations ne présentent pas un caractère réellement migratoire, le travailleur ne
s’établissant pas ou uniquement de manière temporaire, dans un autre Etat membre. Les
travailleurs frontaliers et saisonniers étaient ignorés du règlement 3/58. Mais le règlement
1408/71 les a intégrés dans son champ d’application personnel. Leur situation présente un
certain caractère d’extranéité qui permet de les rattacher au droit communautaire. Ils
accomplissent leur activité professionnelle dans un Etat autre que celui où ils résident.
Cependant ils n’exercent pas réellement leur droit de libre circulation puisqu’ils retournent
régulièrement dans leur pays d’origine.
Admettre les travailleurs frontaliers et saisonniers dans le champ d’application du
règlement 1408/71 confirme la tendance à la généralisation de l’octroi des prestations au
plus grand nombre de bénéficiaires, conformément aux objectifs du droit communautaire.
De plus, l’émergence de la citoyenneté européenne et son importance croissante dans la
106
CJCE, 3 mai 1990, Kitz van Heijningen, aff. C-2/89, Rec., p. 1755.
107
Sur la validité de l’autorisation préalable, voir infra, p. 93.
45
jurisprudence de la Cour de justice sont une des raisons de faire tomber la justification des
discriminations à rebours à l’égard des nationaux.
B. La justification des discriminations à rebours
L’inapplication du droit communautaire aux situations purement internes entraîne des
différences de traitement en faveur des travailleurs migrants. Ces « discriminations à
rebours » sont définies comme celles qui se produisent lorsque les Etats traitent leurs
propres ressortissants de manière moins favorable que les ressortissants des autres Etats
membres108. Elles trouvent leur fondement dans l’objectif de construction du marché qui
nécessite une faveur à tout ce qui facilite ou représente la libre circulation.
Dans les règlements mettant en œuvre la libre circulation des travailleurs, seules les
discriminations contraires à la mobilité communautaire, furent pendant longtemps
prohibées. Certains parlent de conception « unilatérale » de la discrimination à rebours109,
qui s’applique exclusivement au profit de la liberté de circulation entre Etats membres. Par
conséquent, ne sont pas interdites les différences fondées sur la nationalité qui
défavoriserait les nationaux, tant qu’elles ne nuisent pas à la mobilité intracommunautaire110.
Les règles de coordination répondent à la même conception. L’égalité de traitement ne
peut être invoquée que dans le sens de la protection des travailleurs migrants111. L’article
46 § 3 du règlement 1408/71 imposait une limitation du cumul des prestations acquises
dans différents Etats membres, par une diminution du montant d’une prestation acquise en
vertu de la seule législation nationale, pour ne pas engendrer de différence défavorable aux
nationaux. La Cour de justice en 1975112, déclarait cette article incompatible avec l’article
42 du traité CE, car il n’abondait pas dans le sens de la protection du travailleur qui se
déplace.
108
DENYS (C.), « Les notions de discrimination et de discrimination à rebours suite à l’arrêt Kraus, Cah. Dr.
Eur., 1994, n° 5-6, p. 638.
109
ROBIN-OLIVIER (S.), Le principe d’égalité de traitement en droit communautaire, Etude à partir des
libertés économiques, Aix-en-Provence : PUAM, 1999, p. 129.
110
CHRISTOPHE TCHAKALOF (M.-F.), « Le principe d’égalité », AJDA, n° spécial, 20 juin 1996, p. 171.
111
TANTAROUDAS (M.), « L’égalité de traitement en matière de sécurité sociale dans les règlements
communautaires », RTD Europe, 1979, p. 256 ; VAN RAEPENBUSCH (S.), « La jurisprudence communautaire
en matière de règles anti-cumul de sécurité sociale », Cah. dr. eur., 1985, p. 286.
112
CJCE, 21 octobre 1975, Petroni, aff. 24/75, Rec., p. 1149.
46
La justification des discriminations à rebours fait appel au critère de comparabilité des
situations. Le national qui se trouve dans une situation purement interne ne se verra pas
appliquer les règles de la libre circulation des personnes que l’on applique aux travailleurs
qui se déplacent au sens du droit communautaire. Mais le national qui a lui aussi exercé
son droit de libre circulation, se trouve dans une situation assimilable à celle du migrant.
Les autorités nationales ne peuvent refuser de lui appliquer le droit communautaire, car
cela entraînerait une différence de traitement injustifiée. Ainsi, celui qui exerce son droit
de libre circulation demeure bénéficiaire des règles communautaires, même vis-à-vis des
autorités de l’Etat dont il est ressortissant113.
La reconnaissance de la citoyenneté de l’Union par le traité de Maastricht n’a pas remis
en cause cette solution. Selon la CJCE, cette citoyenneté n’entraîne pas l’extension du
champ d’application matériel du traité à des situations internes n’ayant aucun lien avec le
droit communautaire114. Jusqu’à la décision rendue dans l’affaire Martinez Sala115, les
discriminations à rebours relevaient du champ d’application du droit de l’Etat concerné et
devaient par conséquent être résolues dans le cadre de son système juridique interne. Un
Etat ne peut pourtant pas laisser persister de telles discriminations à l’encontre de ses
propres nationaux.
Depuis l’émergence de la citoyenneté européenne, tous les citoyens tels que reconnus
par le traité CE, doivent en principe avoir le droit de ne pas subir de discriminations en
raison de la nationalité. Chaque citoyen de l'Union, même s’il ne fait pas usage de sa libre
circulation, peut alors revendiquer le même droit que les ressortissants communautaires.
La tendance du droit communautaire en matière de libre circulation des travailleurs
s’oriente vers une généralisation de ce droit pour l’ensemble des ressortissants de l’Union
européenne. Les notions employées dans les dispositions mises en œuvre pour faciliter la
mobilité des travailleurs sont à géométrie variable. De plus en plus de notions reçoivent
une acceptation communautaire afin de contrer la diversité naissant du maintien des
différentes définitions nationales. Le phénomène de généralisation engendre une
113
DRUESNE (G.), « Liberté de circulation des personnes », RTD Europe, 1984, p. 290.
114
CJCE, 5 juin 1997, Uecker et Jacquet, aff. 64 et 65/96, Rec., p. I-3171.
115
CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691.
47
interprétation extensive des notions, notamment dans le cadre de la coordination des
législations de sécurité sociale. Il en résulte un accroissement sensible du champ
d’application personnel qui tend à l’universalité du principe d’égalité de traitement. La
mise en œuvre de ce principe dans le cadre du champ d’application personnel du règlement
1408/71, s’effectue en tant qu’instrument de réalisation de la libre circulation des
travailleurs.
L’extension considérable du cercle des bénéficiaires manifeste le passage de la libre
circulation des travailleurs à une libre circulation des personnes, c'est-à-dire de la prise en
compte, non plus uniquement de l’aspect économique du droit communautaire, mais
également de sa dimension sociale, civile et politique. En témoigne la reconnaissance de la
citoyenneté européenne par le traité de Maastricht en 1992 et son application par la Cour
de justice. Cette citoyenneté tend à devenir le fondement de bon nombre de décisions de la
Cour, ce qui risque de bouleverser l’ensemble du droit de la protection sociale. Une
adaptation du règlement 1408/71 à ce nouveau concept semble désormais nécessaire.
L’interprétation extensive des notions envisagées par le droit communautaire ne se
rencontre pas seulement sur le plan personnel. Le champ d’application matériel des règles
de coordination est caractérisé par une conception large des prestations sociales.
48
CHAPITRE II. LA CONCEPTION LARGE DES
PRESTATIONS SOCIALES
Les divers systèmes de protection sociale en Europe présentent chacun leurs
particularités, notamment en matière de prestations sociales. L’absence de règles de
coordination entraînerait pour le travailleur communautaire et les membres de sa famille
des difficultés d’application des régimes de sécurité sociale. Les Etats membres demeurent
fidèles au principe de territorialité qui domine les législations nationales de sécurité
sociale. A l’appui de leurs restrictions, ils invoquent les difficultés pratiques tenant à la
justification ou le calcul des droits, mais aussi des motifs d’ordre économique. Cette
position est nuisible à la mobilité des travailleurs qui risquent de subir des discriminations.
Afin d’éviter de telles ruptures d’égalité, la Cour de justice procède à une interprétation
extensive du champ d’application matériel du règlement 1408/71.
La pleine réalisation de l’objectif de libre circulation des travailleurs nécessite que
chaque travailleur et membre de sa famille puisse bénéficier de la plus grande couverture
sociale possible.
L’action du juge communautaire en la matière va le conduire à préciser le champ
d’application demeuré flou des règles de coordination (Section 1). L’acceptation sans cesse
étendue des prestations sociales témoigne ici encore, de la libéralisation jurisprudentielle
de la protection sociale (Section 2).
SECTION I. LA DELIMITATION FLOUE DU CHAMP
D’APPLICATION MATERIEL
Le règlement 1408/71 inclut dans son champ d’application les législations relatives aux
branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 § 1. Celui-ci s’applique aux régimes de
sécurité sociale tant généraux, spéciaux, contributifs que non contributifs. En revanche, il
ne concerne ni les prestations d’assistance sociale et médicale, ni les régimes de prestations
en faveur des victimes de la guerre ou de ses conséquences.
La distinction entre les prestations qui relèvent et celles qui ne relèvent pas du
règlement 1408/71 semble nette. Pourtant, la délimitation des prestations soumises aux
règles de coordination reste imprécise en ce qui concerne les risques pris en compte par le
49
règlement (§ 1), imprécision accentuée par la difficulté de cerner la frontière entre les
prestations de sécurité sociale et les prestations d’assistance sociale (§ 2).
§1 e r . La définition des risques pris en compte par
le règlement 1408/71
L’absence d’harmonisation des législations nationales en matière de sécurité sociale fait
obstacle à une définition claire des prestations de sécurité sociale. L’action de la Cour de
justice a cependant permis de cerner les contours du champ d’application matériel du
règlement 1408/71, en précisant ce qu’il faut entendre par régimes légaux de sécurité
sociale (A), ainsi que par régimes complémentaires et régimes de substitution (B).
A. Les régimes légaux de sécurité sociale
L’article 4 du règlement 1408/71 dispose que les règles de coordination s’appliquent à
toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent les
prestations de maladie et de maternité, les prestations d’invalidité, de vieillesse, de
survivants, d’accident du travail et de maladies professionnelles, les allocations de décès,
les prestations de chômage et les prestations familiales. Ces événements qualifiés de
risques sociaux ont été énumérés sur la base de la convention n° 112 de l’OIT de 1952
concernant la norme minimale de sécurité sociale. Le second paragraphe de l’article 4
précise que sont visés les régimes généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs de
sécurité sociale.
Chaque Etat reste compétent pour déterminer les conditions du droit ou de l’obligation
de s’affilier à un régime national de sécurité sociale116, d’où les risques de disparité
nuisibles au traitement égal des travailleurs. Le règlement 1408/71 n’a pas pour objet
d’harmoniser les législations des Etats membres, mais uniquement de les coordonner afin
que le travailleur et les membres de sa famille qui exercent leur droit de circulation ne
subissent pas la perte de droits aux prestations qu’ils auraient acquis au titre d’une ou de
plusieurs législations nationales.
116
TANTAROUDAS (C.), « L’égalité de traitement en matière de sécurité sociale dans les règlements
communautaires », RTD Europe, 1979, p. 245.
50
Le règlement définit le terme « législations »117 qu’il convient d’entendre largement
selon la Cour de justice. Cette notion doit être comprise en droit communautaire comme
visant « l’ensemble des mesures nationales applicables en matière de protection sociale,
qu’elles soient législatives, réglementaires ou administratives118 ».
Les Etats membres sont tenus de déclarer quelles législations et régimes de sécurité
sociale entrent dans le champ d’application matériel du règlement 1408/71119. Il résulte de
cette déclaration une présomption irréfragable que les prestations mentionnées relèvent de
la sécurité sociale. Le fait pour un Etat membre de ne pas déclarer une loi ou un règlement
n’empêche cependant pas la Cour de justice d’analyser les prestations concernées comme
relevant du champ d’application du règlement120.
L’article 1 t) désigne par le terme "prestations" « toutes prestations, pensions et rentes, y
compris les événements à charge des fonds publics, les majorations de revalorisation ou
allocations supplémentaires, ainsi que les prestations en capital qui peuvent être substituées
aux pensions et rentes et les versements effectués à titre de remboursement de
cotisations ». Autrement dit, il s’agit de tous les versements faits à l’assuré à la suite de la
réalisation d’un risque déterminé. Cette notion suppose la réalisation d’un risque concret, à
défaut de quoi ce versement ne peut être considéré comme une prestation de sécurité
sociale au sens du règlement 1408/71121.
Enfin, le règlement concerne aussi bien les régimes généraux que les régimes légaux de
sécurité sociale. Les régimes spéciaux se substituent aux régimes légaux pour couvrir des
catégories spéciales de travailleurs. Les régimes spéciaux de fonctionnaires, ignorés des
règles de coordination, sont entrés dans le champ d’application matériel du règlement
1408/71, suite à l’adoption le 29 juin 1998, du règlement CE 1606/98122.
117
Article 1 j) du règlement 1408/71 : « le terme "législation" désigne, pour chaque Etat membre, les lois, les
règlements, les dispositions statutaires et autres mesures d'application, existants ou futurs, qui concernent les
branches et régimes de sécurité sociale visés à l'article 4 paragraphes 1 et 2 ».
118
CJCE, 31 mars 1977, Bozzone, aff. 87/76, Rec., p. 687.
119
Article 5 du règlement 1408/71.
120
CJCE, 27 janvier 1981, Vigier, aff. 70/80, Rec., p. 229.
121
CJCE, 1er décembre 1965, Dekker, aff. 33/65, Rec., p. 1111 ; RTD Europe, 1966, p. 327, note LYON-CAEN
(G.).
122
Voir supra, p. 30.
51
Tout semble donc mis en œuvre pour satisfaire aux objectifs fixés par l’article 42 du
traité CE en matière de sécurité sociale. L’interprétation extensive des notions relatives au
champ
d’application
matériel
du
règlement
1408/71
permet
aux
travailleurs
communautaires de bénéficier du plus grand nombre de prestations. Cependant certaines
difficultés ont pu être rencontrées concernant les régimes complémentaires et les régimes
de substitution.
B. Les régimes complémentaires et les régimes de substitution
Ces régimes ne sont pas mentionnés par le règlement 1408/71 qui ne les inclut, ni ne les
exclut des règles de coordination123. Le droit communautaire ne vise que la sécurité sociale
légale, ce qui laisse place à la question de savoir si les régimes complémentaires ou de
substitution entrent dans le champ d’application du règlement. Il est nécessaire de préciser
que les régimes conventionnels existants ou futurs, même ayant fait l’objet d’une décision
des pouvoirs publics les rendant obligatoires, sont exclus de la définition du terme
« législation » donnée par l’article 1 j) du règlement 1408/71.
Cependant, le texte ajoute que la limitation peut être levée par une déclaration de l’Etat
membre intéressé, lorsque les dispositions conventionnelles servent à la mise en œuvre
d’une obligation d’assurance résultant des lois ou des règlements nationaux. Certains
régimes conventionnels peuvent donc être inclus volontairement dans le champ
d’application des règles de coordination, en tant qu’ils se substituent à la sécurité sociale
légale et assurent des prestations de base124.
Le régime d’assurance chômage français des ASSEDIC a été institué par une
convention collective du 31 décembre 1958, agréée en application d’une ordonnance du 7
janvier 1959 et étendue par l’ordonnance n° 67-580 du 13 juillet 1967. Ce régime, bien que
conventionnel, a fait l’objet d’une déclaration du gouvernement français125 visant à
l’intégrer parmi les régimes soumis au règlement 1408/71. La croissance du chômage dans
certaines régions de la Communauté nécessitait que soit pris en compte ce risque au titre de
la coordination des législations de sécurité sociale.
123
LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis,
Paris : Dalloz, 1993, p. 226.
124
RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p.
125
JOCE, n° L 90, du 6 avril 1973, p. 1.
52
Beaucoup de personnes étendent leur recherche d’emploi à d’autres Etats membres.
C’est pourquoi les règles de coordination en matière d’assurance chômage permettent à
l’assuré de conserver le droit aux prestations pendant la période nécessaire à ses
recherches, ce qui lui permet de les étendre à d’autres Etats membres126. Ne pas déclarer le
régime d’assurance chômage français aurait constitué une entrave à la libre circulation des
travailleurs, ces derniers demeurant empêchés de chercher un emploi approprié sur
certaines parties du territoire de la Communauté127.
L’insertion volontaire de régime dans le champ d’application matériel des règles de
coordination, ne concerne que les régimes qui se substituent à la sécurité sociale légale de
base, mais pas ceux qui complètent ces régimes pour couvrir des risques déjà énumérés et
pris en charge par le règlement128. La particularité des régimes complémentaires de retraite
français AGIRC et ARRCO est de fonctionner selon le principe de la répartition, ce qui les
rapproche sensiblement des techniques des régimes de base de sécurité sociale.
Pourtant, ces régimes sont demeurés exclus du champ d’application du règlement
1408/71 jusqu’au 1er janvier 2000, date à laquelle une notification du gouvernement au
Conseil est enfin venue les ajouter à la liste des prestations soumises aux règles de la
coordination129.
Les régimes de pension complémentaire sont souvent organisés dans le cadre de
l’entreprise. Fonctionnant en général par capitalisation, ils viennent s’ajouter au régime
légal et au régime complémentaire général. De nature très diversifiée, ces régimes ne
peuvent faire l’objet d’une coordination adaptée130. Ils restent exclus du champ
d’application du règlement 1408/71 en raison de leur grande hétérogénéité131 et de leur
caractère conventionnel.
126
ALTMAIER (P.), « Prestations de chômage », in Commission des Communautés européennes, Sécurité
sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe sociale, numéro spécial,
3/92, p. 38 et s.
127
Cependant le temps accordé pour la conservation des prestations de chômage semble aujourd’hui très
limité. Voir infra, p. 94.
128
RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, Coll. Manuel, 2ème édition, Paris : LGDJ, 2002, 668 p.
129
JOCE, n° C 215, 28 janvier 1999, p. 1.
130
DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, p. 429.
131
VAN RAEPENBUSCH (S.), « Qui est protégé par la coordination ? Quels régimes sont concernés ? », in
Commission des Communautés européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de
la Communauté, Europe sociale, numéro spécial, 3/92, p. 19.
53
Pour enrayer cet obstacle à la libre circulation dans le domaine des pensions
complémentaires ainsi qu’aux inégalités qui en découlent, a été adoptée en 1998 une
directive tendant à la sauvegarde des droits des affiliés à des régimes complémentaires de
pension qui se déplacent dans la Communauté132. Ce texte concerne les droits à pension au
titre des régimes complémentaires tant volontaires qu’obligatoires, à l’exception des
régimes couverts par le règlement 1408/71. La nouvelle directive prévoit le maintien des
droits à pension dans le respect du principe d’égalité de traitement, ce qui permet aux
travailleurs de se déplacer sans risquer de perdre les droits à pension qu’ils tenaient
d’autres Etats membres. Ce système permet également de ne pas dissuader les travailleurs
de migrer entre Etats membres.
L’analyse du contenu et de la nature des prestations inclues dans le champ d’application
du règlement 1408/71 a permis de mieux cerner ce qu’il fallait entendre par régimes de
sécurité sociale. Le cercle des prestations couvertes par les règles de coordination ne cesse
de s’étendre, malgré l’exclusion des régimes de pension complémentaire.
Une exclusion fondamentale du règlement 1408/71 demeure : les prestations
d’assistance sociale. Au premier abord, l’assistance sociale ne semblait pas poser de
grandes difficultés de définition. Or, dans les législations nationales de sécurité sociale
apparaissent de plus en plus de prestations d’aide sociale et de prestations empruntant les
caractéristiques, tant de la sécurité sociale que de l’assistance sociale. Cette évolution
suscite certaines difficultés concernant l’établissement d’une frontière entre ces deux
ensembles.
§2. La difficulté d’établir une frontière entre la
sécurité sociale et l’assistance sociale
L’assistance sociale et médicale est exclue du champ d’application matériel du
règlement 1408/71133. Le droit communautaire ne donne pas pour autant de définition de la
distinction entre sécurité sociale et assistance sociale134. Le seul élément de réponse que
132
Directive n° 98/49 CE du Conseil du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension
complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté,
JOCE, n° L 209, 25 juillet 1998, p. 46.
133
Article 4 § 2 du règlement 1408/71 : « Le présent règlement s’applique aux régimes de sécurité sociale
généraux et spéciaux, contributifs et non contributifs, ainsi qu’aux régimes relatifs aux obligations de
l’employeur ou de l’armateur concernant les prestations visées au paragraphe 1 ».
134
NERI (S.), Encyclopédie Dalloz, Droit communautaire, 15 avril 1992, V° Sécurité sociale, p. 11.
54
fournit la Cour de justice réside dans l’indifférence de la qualification de la prestation
concernée par les Etats membres ainsi que son mode de financement135. Ce qui compte
sont les éléments substantiels tenant à la finalité et les conditions d’octroi du droit à l’aide
sociale.
Certaines prestations de sécurité sociale présentent un caractère non contributif, c'est-àdire qu’elles sont versées aux intéressés sans contrepartie de cotisations salariales ou
patronales, mais par le biais de la solidarité nationale. Selon la CJCE, ces prestations ne
peuvent échapper au champ d’application du règlement136 en raison de leur rattachement à
un risque de sécurité sociale.
La circonstance qu’un Etat membre ait qualifié une de ces prestations comme relevant
de l’assistance est indifférente, le juge communautaire pouvant l’analyser comme tombant
dans le domaine de la sécurité sociale.137 L’exclusion de l’assistance sociale du champ
d’application du règlement 1408/71 doit faire l’objet d’une interprétation restrictive.
Le droit aux prestations de sécurité sociale est en général lié à l’exercice d’une activité
professionnelle, tandis que l’assistance est l’expression de la solidarité nationale,
constituant un palliatif des besoins des individus138. Or, le droit social voit se développer
un grand nombre de prestations « mixtes » qui empruntent à la fois les caractères de
l’assistance et de la sécurité sociale. Il apparaît dès lors de plus en plus difficile de
distinguer ces deux ensembles. Rares deviennent les prestations financées exclusivement
sur les fonds publics ou exclusivement par des cotisations139.
De cette évolution découle un conflit d’intérêts entre les Etats membres et la Cour de
justice. D’une part, les Etats membres adoptent une conception large de l’assistance pour y
faire entrer les prestations mixtes et n’en faire profiter que ceux qui résident sur leur
territoire. D’autre part, la CJCE en retient une conception restrictive, permettant ainsi
d’éliminer les obstacles à la libre circulation des travailleurs.
135
CJCE, 6 juillet 1978, Directeur régional de la sécurité sociale de Nancy c. Gillard, aff. 9/78, Rec., p. 1661.
136
Article 4 § 2 du règlement 1408/71.
137
CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, Rec., p. 457 ; CJCE, 9 octobre 1974, Biason, Rec., 1974, p. 999.
138
SEDIVY (G.), « A propos de la distinction entre prestation de Sécurité sociale et prestation d’assistance »,
Dr. soc., n° 12, Décembre 1980, p. 563.
139
PERRIN (G.), « Les prestations non contributives et la sécurité sociale », Dr. soc., n°3, Mars 1961, p. 179.
55
A cette fin, la Cour de justice va élaborer des critères de distinction entre l’assistance et
la sécurité sociale, critères qui se sont appliqués en droit communautaire de la sécurité
sociale, jusqu’à la création en 1992 des prestations spéciales à caractère non contributif,
remettant en cause les interprétations jurisprudentielles.
A. Les critères jurisprudentiels de distinction entre assistance
sociale et sécurité sociale
Une première analyse consistait à considérer les prestations mixtes comme appartenant
à la sécurité sociale, en raison de leur rattachement à un des risques énumérés à l’article
4§1 du règlement 1408/71.
Selon la Cour, la notion de sécurité sociale doit être interprétée de manière extensive.
En raison du caractère attractif de la sécurité sociale, « si dans un régime donné de
protection sociale, l’on trouve parmi d’autres, des éléments qui procèdent de l’esprit et des
techniques de la sécurité sociale, ce sont ces éléments qui l’emportent et doivent entraîner
au regard du droit communautaire, la qualification juridique de sécurité sociale »140.
Par exemple, l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité est destinée à
compléter les prestations de sécurité sociale versées aux personnes âgées, lorsque le
montant de leurs prestations ne permet pas d’atteindre le minimum vieillesse. Cette
allocation présente un caractère accessoire à l’égard de la sécurité sociale. La CJCE
applique à la prestation litigieuse la règle civiliste selon laquelle « l’accessoire suit le
principal »141, considérant ainsi que la nature juridique des prestations de base devait
s’étendre à celle de la prestation principale.142
Le critère du rattachement à un risque de sécurité sociale énuméré à l’article 4 § 1 du
règlement 1408/71, ouvre la voie à une généralisation de la notion de sécurité sociale. Peu
de prestations sont octroyées indépendamment d’un tel risque, si ce ne sont celles qui,
comme le revenu minimum d’insertion ou le « minimex » belge, pallient l’état général de
besoin des personnes qui se trouvent hors du système de sécurité sociale143. Ainsi,
140
CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, concl. Avocat général MAYRAS (H.), Rec., p. 469.
141
SEDIVY (G.), « A propos de la distinction entre prestation de Sécurité sociale et prestation d’assistance »,
Dr. soc., n° 12, Décembre 1980, p. 563.
142
CJCE, 9 octobre 1974, Biason, aff. 24/74, Rec., p. 999.
143
VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996,
p. 95.
56
l’objectif de la sécurité sociale consisterait non plus seulement dans l’assurance des
besoins primaires des individus, mais aussi dans la garantie d’un certain niveau de vie144.
D’autres critères jurisprudentiels de distinction entre assistance sociale et sécurité
sociale sont relevés par le juge communautaire. Ces éléments tiennent non plus à la finalité
des prestations litigieuses, mais à leurs conditions d’octroi.
Les prestations d’assistance sont versées selon une condition de besoin du bénéficiaire,
tout comme peuvent l’être certaines prestations mixtes. L’aide sociale est versée à des
personnes dont l’insuffisance des revenus est appréciée de manière individuelle, faisant
abstraction de toute exigence relative à des périodes d’activité professionnelle, d’affiliation
ou de cotisation. L’accord de l’institution débitrice intervient de manière discrétionnaire.
Au contraire, les législations de sécurité sociale abandonnent cette appréciation
individuelle et discrétionnaire des besoins, et s’apparentent à un droit inconditionnel aux
prestations145. Les législations de sécurité sociale confèrent à leur bénéficiaire une position
légalement définie. C’est ainsi que le revenu minimum garanti aux personnes âgées146,
l’allocation ordinaire pour handicapés147 ou l’allocation supplémentaire du fonds national
de solidarité148 ont été qualifiées de prestations de sécurité sociale par la Cour de justice,
avec la conséquence de les soumettre aux règles de coordination du règlement 1408/71,
bien que présentant une double fonction : garantir un minimum de moyens d’existence à
des personnes placées entièrement en dehors du système de sécurité sociale, et assurer un
complément de revenu aux bénéficiaires de prestations de sécurité sociale insuffisantes149.
Une prestation peut donc être considérée comme une prestation de sécurité sociale au
sens du règlement 1408/71, dans la mesure où elle est octroyée aux bénéficiaires en dehors
de toute appréciation individuelle discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d’une
144
CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, concl. Avocat général MAYRAS (H.), Rec., p. 469.
145
PERRIN (G.), « Les prestations non contributives et la sécurité sociale », Dr. soc., n°3, Mars 1961, p. 179.
146
CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, concl. Avocat général MAYRAS (H.), Rec., p. 469.
147
CJCE, 28 mai 1974, Callemeyn c. Etat belge, aff. 187/73, Rec., p. 553.
148
CJCE, 9 octobre 1974, Biason, aff. 24/74, Rec., p. 999.
149
VERSCHUERNEN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement
communautaire 1408/71 », Dr.soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921.
57
situation légalement définie, et où elle se rapporte à un des risques énumérés expressément
à l’article 4 § 1 du règlement 1408/71150.
La jurisprudence communautaire a permis par l’appréciation extensive de la sécurité
sociale et la conception restrictive de l’assistance d’élargir le champ d’application
personnel du règlement 1408/71.
Or les aspirations restrictives des Etats membres à vouloir faire entrer les prestations
mixtes dans le domaine de l’aide sociale, ont fini par s’imposer. Un règlement 1247/92151
va créer les prestations spéciales à caractère non contributif, parmi lesquelles certaines
échapperont aux règles de coordination pour ne bénéficier qu’aux résidents des Etats
membres débiteurs. Cette création marque un net recul du point de vue communautaire visà-vis de l’objectif de libre circulation des travailleurs ainsi que du principe d’égalité de
traitement qui permet sa mise en œuvre efficace.
B. La création des prestations spéciales à caractère non
contributif
Le règlement 1247/92 ajoute à l’ancien article 4 § 2 un article 4 § 2 bis qui fait entrer
dans le champ d’application des règles de coordination les « prestations spéciales à
caractère non contributif ». Ces dernières sont destinées, soit à couvrir, à titre supplétif,
complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches visées par
l’article 4 § 1, soit uniquement à assurer la protection spécifique des handicapés.
Cette nouvelle catégorie ne relève ni de l’assistance car elle peut se rattacher à la
sécurité sociale à titre complémentaire ou accessoire, ni de la sécurité sociale classique car
elle est financée sur les fonds publics, indépendamment de toute cotisation des assurés. Ces
prestations doivent être servies, en principe, conformément aux autres dispositions du
règlement 1408/71. Elles sont acquises aux bénéficiaires qui quittent le territoire de l’Etat
membre du siège de l’organisme débiteur152. En d’autres termes, l’Etat membre débiteur
doit continuer à verser la prestation au bénéficiaire qui quitte le territoire pour résider dans
150
VERSCHUERNEN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement
communautaire 1408/71 », Dr.soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921.
151
Règlement CEE n° 1247/92 du conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement 1408/71 relatif à
l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux
membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 136 du 19 mai 1992.
152
CHENILLET (P.), « L’exportation du Fonds national de solidarité au sein de la Communauté européenne :
suite et fin ? », RD sanit. soc., 1992, p. 745.
58
un autre Etat membre. Cette règle résulte de l’article 10 du règlement 1408/71 qui instaure
le principe de la prohibition des clauses de résidence concernant certaines des prestations
couvrant les risques énumérés à l’article 4 § 1153.
Certaines prestations spéciales à caractère non contributif figurent dans une annexe II
bis insérée au règlement 1408/71 par le règlement 1247/92. Elles sont en général destinées
à donner un support financier à des personnes handicapées ou invalides, à des personnes
âgées ou à des familles démunies de ressources suffisantes154. Concernant la France, il
s’agit de l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité et de l’allocation pour
adultes handicapés. Ces allocations présentent désormais un régime dérogatoire : le nouvel
article 10 bis dispose que les personnes bénéficient des prestations visées à l’article 4 § 2
bis exclusivement sur le territoire de l’Etat membre dans lequel elles résident « pour autant
que ces prestations soient mentionnées à l’annexe II bis ». Elles sont servies par
l’institution du lieu de résidence et à sa charge.
Le nouvel article 10 bis constitue un retour au principe de territorialité contre lequel
furent élaborées les règles de coordination155. Les Etats membres soutiennent que les
prestations de type mixtes sont accordées en vertu d’un environnement économique et
social précis. Dès lors leur versement ne remplirait pas la même fonction si elle était servie
dans un autre Etat membre. De plus, il causerait des problèmes de gestion, de coordination
et de fonds importants que seul un règlement communautaire peut résoudre156.
La résistance des Etats membres à la jurisprudence libérale de la CJCE a donné lieu à
des condamnations pour manquement157. Les législations restrictives en contradiction avec
le droit communautaire, soumettent l’octroi de ces prestations à une condition de résidence.
Les modifications de 1992 donnent ainsi raison à ces aspirations restrictives.
153
Article 10 du règlement 1408/71 : « A moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les
prestations […] acquises au titre de la législation d’un ou de plusieurs Etats membres ne peuvent subir
aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire
réside sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice ».
154
VERSCHUERNEN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement
communautaire 1408/71 », Dr.soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921.
155
DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, n° 519 et
s., et n° 550.
156
CHENILLET (P.), « L’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité face au droit
communautaire européen à la lumière de l’arrêt CJCE 24 juillet 1987 », RD sanit. soc., 1987, p. 528 ;
CHENILLET (P.), « L’exportation du Fonds national de solidarité au sein de la Communauté européenne :
suite et fin ? », RD sanit. soc., 1992, p. 745.
157
CJCE, 12 juillet 1990, Commission c. République française, aff. C 236/88, Rec., p. I-3163 ; D. 1991,
somm. P. 120, obs. PRETOT (X.) ; RD Sanit. Soc., 1991, p. 138, obs. CHENILLET (P.).
59
Cependant, nombre de ressortissants évincés par ces nouvelles règles vont contester la
validité de l’annexe II bis, arguant de son incompatibilité avec l’objectif de libre
circulation des travailleurs et le principe d’égalité de traitement. L’absence de définition
claire des prestations spéciales à caractère non contributif ainsi que la frontière ténue entre
assistance et sécurité sociale, va ouvrir à la Cour de justice la voie vers une libéralisation
de la protection sociale.
SECTION II. LA LIBERALISATION
JURISPRUDENTIELLE DE LA PROTECTION SOCIALE
La Cour de justice va profiter de certaines lacunes du droit communautaire concernant
les définitions des prestations spéciales à caractère non contributif, ainsi que du principe
général d’égalité de traitement en matière de libre circulation des personnes, pour étendre à
nouveau le champ d’application de la protection sociale.
Cette libéralisation jurisprudentielle de la protection sociale va se traduire en matière de
coordination des régimes, par un retour à l’interprétation téléologique de la notion de
prestation spéciale à caractère non contributif (§ 1). Elle se manifeste parallèlement,
s’agissant des prestations n’entrant pas dans le champ d’application matériel du règlement
1408/71, par un contournement des exclusions grâce au recours à la notion d’avantage
social (§ 2).
§1 e r . Le retour à l’interprétation téléologique de la
notion de prestation spéciale à caractère non
contributif
L’entrée en vigueur du règlement 1247/92 instaure des dérogations aux principes
libéraux du règlement 1408/71. De ces modifications apparaît un constat indéniable : les
dérogations visant à soumettre l’octroi de certaines prestations relevant de l’annexe II bis à
une condition de résidence, demeurent résolument incompatibles avec l’objectif de libre
circulation des travailleurs (A). La Cour de justice va à nouveau adopter une conception
très large de la sécurité sociale en posant des conditions cumulatives de qualification des
prestations spéciales à caractère non contributif (B).
60
A. L’incompatibilité de la nouvelle dérogation avec l’objectif de
libre circulation des travailleurs
Des travailleurs migrants vont contester le retour à la territorialité des prestations
auxquelles ils auraient eu droit sous l’empire du règlement d’origine. La soumission des
prestations spéciales à caractère non contributif figurant à l’annexe II bis pose un problème
de compatibilité des nouvelles règles à l’article 42 du traité. Celles-ci ne satisfont ni à
l’objectif de libre circulation des travailleurs, ni au principe de l’égalité de traitement entre
les ressortissants communautaires et les nationaux.
Ces règles dérogatoires constituent une entrave à la libre circulation. Ayant acquis des
droits dans leur Etat membre d’emploi, les requérants ne peuvent les conserver s’ils partent
résider sur le territoire d’un autre Etat membre. Une satisfaction partielle peut être
apportée : les nouvelles règles ne privent pas les travailleurs migrants de toute protection
offerte par les prestations sociales concernées158. L’intéressé peut prétendre à d’autres
prestations spéciales à caractère non contributif dans l’Etat de résidence, s’il en existe ou
s’il répond aux conditions posées pour l’obtenir. Or, s’il obtient une telle prestation, il est
tout à fait possible que la protection offerte demeure inférieure au montant des droits qu’il
tenait de son Etat d’origine. Dans le pire des cas, lorsque la prestation équivalente
demandée est contributive, le travailleur risque de se voir refuser son versement au motif
qu’il n’aurait pas accompli de périodes de travail, d’affiliation ou de cotisations suffisantes,
ce qui entraîne une perte pure et simple de ses droits acquis159.
Ces nouvelles règles présentent un caractère dissuasif contraire à l’esprit du règlement
1408/71 qui devait à l’origine contribuer à l’établissement d’une liberté de circulation aussi
complète que possible en matière de protection sociale.
Elles entraînent en outre des situations discriminatoires. Le national qui a acquis les
mêmes droits que celui qui se déplace peut prétendre au bénéfice de la prestation parce
qu’il réside sur le territoire de l’Etat membre débiteur. La condition de résidence est bien
plus aisée à remplir pour le national, ce qui engendre une discrimination indirecte fondée
sur la nationalité160. La levée des clauses de résidence était justement intervenue pour lutter
158
VERSCHUEREN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement communautaire
1408/71 », Dr. soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921.
159
VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996,
p. 83.
160
Voir infra, p. 78.
61
contre cette forme de discrimination. Il en résulte que celui qui réside sur le territoire d’un
Etat membre autre que celui dans lequel il réclame un droit acquis, ne peut bénéficier de la
prestation à laquelle il aurait eu droit s’il était ressortissant ou national résidant dans ce
dernier Etat.
Cette dérogation est également contraire au principe de l’unicité des législations
applicables. Le travailleur risque d’être soumis à une double législation. D’une part les
prestations de sécurité sociale lui seront servies conformément à la législation de son Etat
d’emploi. D’autre part, il ne pourra réclamer les prestations spéciales à caractère non
contributif de l’annexe II bis que de son Etat de résidence.
Le retour des clauses de résidence n’a pas fait l’unanimité au sein des juridictions
nationales. Dès 1990, le Conseil constitutionnel déclarait que l’application d’une condition
de résidence aux seuls étrangers communautaires est contraire au principe d’égalité de
traitement161. Au sein même de la Commission des Communautés européennes il a été
rappelé que le maintien d’une clause de résidence cause des inconvénients pour le migrant
qui se voit restreindre la libre circulation des travailleurs162. L’application des règles
spéciales aux prestations de l’annexe II bis, est analysée comme un recul de la solidarité
des Etats membres en matière de protection sociale163.
Par l’analyse de ces prestations, l’on peut relever que le législateur communautaire n’a
pas clairement défini ce qu’il fallait entendre par prestation spéciale à caractère non
contributif. Aucun critère de qualification n’est employé pour l’application de l’article 10
bis du règlement. Il suffit que la prestation soit inscrite à l’annexe II bis pour que lui soient
applicables les règles dérogatoires.
Dans un premier temps, cette inscription n’a pas été remise en cause par la
jurisprudence communautaire qui y voyait une présomption irréfragable de dérogation à la
levée des clauses de résidence. La Cour de justice déclarait en effet « la circonstance que le
législateur mentionne une réglementation à l’annexe II bis du règlement 1408/71 doit être
admise comme établissant que les prestations accordées sur la base de cette réglementation
161
Déc. Cons. Const., 22 janvier 1990, Rec., 1990, p. 497 ; Dr. soc., 1990,p. 352, chron. PRETOT (X.).
162
CORNELISSEN (R.), chef de l’unité « sécurité sociale des travailleurs migrants » à la Commission des
Communautés européennes, « Les quatre principes de la coordination », in Commission des Communautés
européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe
sociale, numéro spécial, 3/92, p. 12 et s.
163
LHERNOULD (J.P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace
communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387.
62
constituent des prestations spéciales à caractère non contributif relevant du champ
d’application de l’article 10 bis de ce règlement 1408/71 »164. La Cour n’a pas répondu aux
arguments des Etats membres selon lesquels les prestations litigieuses étaient liées à
l’environnement économique et social national165. Certains auteurs estimaient que les vrais
motifs des Etats membres tenaient à la limitation des coûts engendrés par ces prestations de
subsistance166. Ce texte, selon la Cour de justice, ne semblait pas contredire les dispositions
de l’article 42 du traité CE, jusqu’à ce que le juge communautaire à l’occasion d’un litige
concernant une allocation spéciale dépendance soit amené à préciser les critères de
qualification des prestations spéciales à caractère non contributif.
B. Les critères jurisprudentiels de qualification des prestations
spéciales à caractère non contributif
La Cour de justice va profiter du flou textuel laissé par le législateur communautaire
pour revenir à une interprétation téléologique du règlement. Par un arrêt en date du 8 mars
2001, le juge communautaire a renversé ce qui devait être une présomption « irréfragable »
de non exportation des prestations de l’annexe II bis167. Il rappelle que les interprétations
de la Cour doivent être données à la lumière de l’article 42 du traité CE qui contribue à
l’établissement d’une libre circulation des travailleurs migrants la plus complète possible
en matière de sécurité sociale. Les règles dérogatoires au règlement 1408/71 doivent donc
faire l’objet d’une conception restrictive.
Il ressort de l’arrêt Jauch168 que l’inscription de la prestation litigieuse à l’annexe II bis
du règlement 1408/71 est une condition nécessaire, mais insuffisante pour que l’allocation
soit qualifiée de prestation spéciale à caractère non contributif. D’autres conditions
cumulatives doivent nécessairement être remplies : la prestation doit être réellement
spéciale et non contributive. La Cour va procéder à une définition négative de ces termes.
164
CJCE, 4 novembre 1997, Snares, aff. C-20/96, Rec., p. I-6057 ; CJCE, 11 juin 1998, Partridge, aff. C297/96, Rec., p. I-3467 ; CJCE, 25 février 1999, Swaddling, aff. 90/97, Rec., p. I-1075.
165
VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996,
p. 83.
166
LHERNOULD (J.P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace
communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387.
167
CJCE, 8 mars 2001, Jauch, aff. C-215/99, Rec., p. 1901.
168
Ibid.
63
Elle va tout d’abord adopter une conception très large de la « contributivité » : dès lors
que la prestation présente un lien indirect avec des cotisations, elle devient contributive. Or
compte tenu de l’imbrication et de la complexité des systèmes de financement de la
protection sociale169, il demeurera presque toujours impossible de relever une prestation
qui soit accordée exclusivement sur la base d’un financement public, tout comme il restera
impossible d’y déceler un caractère purement contributif170. Seuls les revenu minimum
d’insertion français et « minimex » belge répondent à cette logique exclusive d’assistance.
Cette première interprétation peut permettre d’aboutir à une généralisation de la notion de
contributivité à la quasi-totalité des prestations sociales.
Concernant la spécialité de l’allocation litigieuse, la Cour va également apporter une
définition négative, adoptant une conception très large de la sécurité sociale. Elle va juger
que l’allocation qui se rattache, même indirectement, à un des risques énumérés à l’article
4 § 1 du règlement 1408/71, n’est pas spéciale, et entre dans le domaine de la sécurité
sociale171. Ce retour à l’idée du caractère attractif de la sécurité sociale172 va entraîner une
généralisation de cette notion à l’ensemble des prestations. L’on peut rappeler qu’il
n’existe que très peu de prestations présentant un caractère autonome par rapport aux
risques concernés. Ici encore, seuls le « minimex » et le revenu minimum d’insertion qui
assurent aux bénéficiaires un revenu minimum général et inconditionnel présentent ce
caractère de spécialité173.
Le critère de spécialité va être précisé par un arrêt confirmatif de la Cour à propos d’une
allocation luxembourgeoise de maternité174. Cette allocation doit bénéficier selon les
termes de la législation luxembourgeoise « à toute femme enceinte ou accouchée » qui
remplit les conditions requises, ce qui montre bien que la prestation est octroyée à une
généralité de destinataires. La législation, bien que mentionnée en annexe II bis du
règlement 1408/71, a bien abandonné l’appréciation individuelle discrétionnaire
caractéristique de l’assistance, et confère au bénéficiaire une position légalement définie. Il
169
KESSLER (F.), « L’exportation des prestations non contributives de sécurité sociale : du nouveau », Dr.
soc., n° 7-8, Juillet-Août 2001, p. 751.
170
PERRIN (G.), « Les prestations non contributives et la sécurité sociale », Dr. soc., n°3, Mars 1961, p. 179.
171
LHERNOULD (J.P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace
communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387.
172
CJCE, 22 juin 1972, Frilli, aff. 1/72, concl. Avocat général MAYRAS (H.), Rec., p. 469.
173
CJCE, 27 mars 1985, Scrivener, aff. 122/84, Rec., p. 1027 ; CJCE, 27 mars 1985, Hoeckx, aff. 249/83,
Rec., p. 973.
174
CJCE, 31 mai 2001, Leclere, aff. C-43/99, Rec., p. 4265.
64
ne s’agit donc pas d’une allocation spéciale, et par conséquent elle ne peut être qualifiée de
prestation spéciale à caractère non contributif.
Concernant l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité ou l’allocation
aux adultes handicapés, cette interprétation des caractères de non-contributivité et de
spécialité risque bien de mener la Cour à invalider l’annexe II bis. La Cour de justice a
déclaré que la première allocation connaissait un mode de financement proche de
cotisations sociales175. De plus, elle se rapproche du risque vieillesse car elle est destinée à
compléter une prestation qui ne procurerait pas à l’assuré des revenus suffisants.
Quant à l’allocation pour adultes handicapés, il s’agit d’une prestation subsidiaire
destinée aux personnes « qui ne peuvent pas prétendre au titre d’un régime de sécurité
sociale, d’un régime de pension de retraite ou d’une législation particulière à un avantage
de vieillesse ou d’invalidité, ou d’une rente d’accident du travail au moins égale à ladite
allocation »176. Même si la prestation est non contributive, elle se rattache néanmoins au
regard du droit communautaire, à un risque invalidité, ce qui fait d’elle une prestation de
sécurité sociale.
Progressivement, la CJCE en vient à vider de son contenu l’annexe II bis177. Avec cette
libéralisation nouvelle de la protection sociale, on assiste au retour du principe d’égalité de
traitement, le juge tendant à rendre l’article 10 bis du règlement inapplicable en pratique. Il
s’agit d’une sorte de revirement vers le système antérieur à l’adoption du règlement
1247/92. Outre ce retour à une conception large de la sécurité sociale, certains auteurs
envisagent de différencier entre les prestations non contributives prolongeant des périodes
de travail antérieures, et celles qui seraient indépendantes de telles périodes178. Seules les
premières seraient exportables, parmi lesquelles l’allocation supplémentaire du fonds
national de solidarité, accessoire d’une prestation sociale contributive.
C’est cette voie qu’a suivie la Cour de justice des Communautés européennes dans une
jurisprudence parallèle, s’agissant de la notion d’avantage social appliquée notamment aux
prestations exclues du champ d’application du règlement 1408/71.
175
CJCE, 15 février 2000, Commission c. France, aff. C-169/98, Rec., p. I-1049.
176
Article 811-1 du Code de la Sécurité sociale.
177
KESSLER (F.), « L’exportation des prestations non contributives de sécurité sociale : du nouveau », Dr.
soc., n° 7-8, Juillet-Août 2001, p. 751.
178
LHERNOULD (J.P.), « Exportation des prestations sociales non contributives dans l’espace
communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387.
65
§2. Le contournement des exclusions par le recours
aux avantages sociaux
L’article 7 du règlement 1612/68 relatif à la libre circulation des travailleurs, pose le
principe de non discrimination entre les ressortissants et les nationaux pour toutes
conditions d’emploi et de travail. Le second paragraphe prévoit que les ressortissants des
Etats membres de la Communauté « bénéficient des mêmes avantages sociaux et fiscaux
que les travailleurs nationaux ».
Ces dispositions favorisent la libre circulation des travailleurs. Elles doivent donc faire
l’objet d’une interprétation large (A). Appliquée au droit communautaire de la sécurité
sociale, la notion d’avantage social permet de compléter la protection que le travailleur
migrant tient du règlement 1408/71. Cela nécessite quelques précisions concernant
l’articulation entre le règlement 1408/71 et les avantages sociaux (B).
A. La conception large de la notion d’avantage social
Les avantages sociaux se rapprochent de l’aide sociale par leur finalité. Leur destination
première réside dans le financement des besoins sur le budget général de l’Etat pour ceux
qui n’ont pas suffisamment de moyens propres d’existence ou de prestations de sécurité
sociale. Ces avantages s’adressent principalement aux personnes qui résident sur le
territoire de l’Etat membre débiteur. Pour séjourner dans un Etat membre autre que le sien,
il faut disposer de ressources suffisantes et ne pas devenir une charge pour l’assistance de
l’Etat membre d’accueil. Il faut préalablement au séjour, exercer une activité
professionnelle. En revanche, le travailleur migrant qui exerce son droit de libre circulation
puis se retrouve au chômage conserve le droit de demeurer sur le territoire de l’Etat
membre d’accueil179 et y demander prestations d’aide sociale et avantages sociaux.
Les Etats membres prévoient de plus en plus de prestations d’assistance dans leur
législation, ce qui aboutit à des systèmes d’avantage tournés vers une logique de solidarité.
Les travailleurs qui entrent dans le champ d’application de l’article 39 CE et du règlement
1612/68, ont droit de la part de l’Etat membre où ils travaillent, à l’aide sociale ou aux
prestations sociales dans les mêmes conditions que les ressortissants de l’Etat en
179
Règlement 1251/70 CEE du 29 juin 1970 relatif au droit des travailleurs de demeurer sur le territoire d’un
Etat membre après y avoir occupé un emploi.
66
question180. Ils bénéficient, comme le prévoit l’article 7 § 2 du règlement 1612/68, des
mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.
L’avantage social a été défini par la CJCE qui entend lui conférer une portée très
large181. Cette notion comprend « tous les avantages qui, liés ou non à un contrat d’emploi,
sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison principalement de leur
qualité objective de travailleur ou au simple fait de leur résidence sur le territoire national,
et dont l’extension aux travailleurs ressortissants d’autres Etats membres apparaît de nature
à faciliter leur mobilité à l’intérieur de la Communauté »182. La notion d’avantage peut
donc ne pas être liée avec la qualité de travailleur ou au contrat de travail183. Il en résulte
une extension du champ d’application matériel du principe de non discrimination dans des
domaines périphériques à la relation de travail184. L’avantage social concerne l’ensemble
des conditions de vie du ressortissant communautaire accueilli sur le territoire d’un autre
Etat membre185. L’abandon du lien avec le contrat de travail a de nouveau été confirmé
concernant la satisfaction d’une demande de revenu minimum, posée par une étudiant ne
disposant pas de ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins. La Cour de justice de
considérer sur le fondement de la citoyenneté européenne, que cet étudiant devait
bénéficier de ce minimum au même titre que les nationaux186.
Les avantages sociaux peuvent également bénéficier aux membres de la famille. Selon
le cinquième considérant du règlement 1612/68, « le droit de libre circulation exige […]
que soient éliminés les obstacles qui s’opposent à la mobilité des travailleurs, notamment
en ce qui concerne… les condition d’intégration de cette famille dans le milieu du pays
d’accueil ».
Le principe d’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux se trouve dès lors
considérablement élargi. L’interdiction d’imposer aux ressortissants communautaires des
180
VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996,
p. 83.
181
CATTALA (N.), J.-Cl.-Europe, Fasc. 601, Editions du Jurisclasseur, 1995, V° Libre circulation des
travailleurs (déplacement, séjour, exceptions).
182
CJCE, 6 juin 1985, Frascogna, aff. 157/84, Rec., p. 1739.
183
CJCE, 31 mai 1979, Even, aff. 207/78, Rec., p. 2019.
184
CEREXHE (E.), « L’égalité de traitement dans l’ordre juridique communautaire », in Etudes de droit des
communautés européennes, Mélanges offerts à P.-H. Teitgen, Paris : Pédone, 1984, p. 33.
185
CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085 ; CJCE, 19 janvier 1982, Reina, aff ; 65/81,
Rec., p. 33 ; CJCE, 6 juin 1985, Frascogna, op. cit., supra note n° 151 ; CJCE, 17 avril 1986, Reed, aff.
59/85, Rec., p. 1283.
186
CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyc, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, Décembre 2001, p. 1108.
67
conditions plus difficiles à remplir que pour les nationaux s’applique par exemple aux
enfants des travailleurs. L’insertion d’une clause de résidence ou d’une condition
d’accomplissement d’une durée de résidence peut s’avérer discriminatoire. L’article 7 § 2
n’impose en aucun cas de condition de résidence sur le territoire d’un Etat membre. Quant
au premier considérant du règlement 1612/68, il précise que « la libre circulation implique
le droit de se déplacer librement pour exercer une activité salariée, quel que soit le lieu de
résidence ». Une législation ne peut non plus imposer des conditions supplémentaires aux
étrangers communautaires, tel que le paiement d’un droit d’inscription spécial.
Par le biais des avantages sociaux, on assiste à une généralisation de l’égalité de
traitement, qui contribue à la réalisation efficace de la libre circulation des travailleurs.
Cette notion d’avantages sociaux se présente comme un complément à la protection sociale
dont bénéficie le travailleur migrant avec le règlement 1408/71. Cependant il est nécessaire
de bien différencier ces régimes et voir comment ils s’articulent.
B. L’articulation entre le règlement 1408/71 et les avantages
sociaux
Si le règlement 1408/71 exclut de son champ d’application personnel les prestations
d’assistance sociale, cette exclusion ne constitue pas pour autant un obstacle à leur
reconnaissance en tant qu’avantage social187. Les dispositions relatives à l’interdiction des
discriminations valent tant pour les avantages sociaux que pour l’aide sociale ou les
prestations sociales dépendant du niveau des moyens d’existence de l’intéressé188. Dès
lors, tout bénéfice social autre que les prestations de sécurité sociale est considéré comme
un avantage social au sens de l’article 7 § 2. Qualifier le revenu minimum d’insertion, le
minimex ou l’allocation pour adultes handicapés d’avantage social, permet d’apporter un
complément utile à la protection sociale du migrant. Cela contribue à une meilleure égalité
de traitement et facilite la mobilité des travailleurs au sein de la Communauté européenne.
Cette solution permet d’enrayer les tentatives nationales de restrictions, telles que
l’insertion de clauses de résidence pour certaines prestations.
187
VAN RAEPENBUSCH (S.), « Qui est protégé par la coordination ? Quels régimes sont concernés ? », in
Commission des Communautés européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de
la Communauté, Europe sociale, numéro spécial, 3/92, p. 18 et s.
188
VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996,
p. 83.
68
Cependant il ne faut pas confondre les prestations sociales du règlement 1408/71 et les
avantages sociaux de l’article 7 § 2. Gardons bien à l’esprit que cette distinction doit
s’effectuer eu égard à la finalité et les conditions d’octroi des bénéfices sociaux. Les
avantages sociaux sont ceux qui, indépendamment d’une éventuelle affiliation à un régime
de sécurité sociale et indépendamment du versement de cotisations, sont accordés à des
personnes en raison de la situation particulière dans laquelle ils se trouvent, par exemple
leur âge, leur état physique ou de besoin. Ces avantages concernent non seulement les
bénéfices accordés au titre d’un droit, mais aussi ceux qui sont octroyés sur une base
discrétionnaire189. Une autre différence réside dans le constat que si les prestations
concernées par le règlement 1408/71 sont exportables, il n’en est en revanche pas le cas
pour les avantages sociaux du règlement 1612/68.
L’avantage social présente un caractère subsidiaire par rapport à la sécurité sociale190. Si
la prestation concernée entre dans le champ d’application du règlement 1408/71, il n’y a
pas lieu de se soucier de son appartenance au règlement 1612/68191. A l’inverse, si le
demandeur au bénéfice des règles de coordination essuie un refus de la part de l’institution
compétente, la CJCE, sans même qu’il soit nécessaire de vérifier que la prestation est bien
exclue du règlement 1408/71, peut se tourner directement vers la notion d’avantage social.
Il peut ainsi arriver qu’une même prestation soit successivement qualifiée d’avantage
social, puis de prestation soumise à la coordination192.
Ces deux régimes peuvent présenter un caractère cumulatif. L’adoption d’une
interprétation large des dispositions favorables à la libre circulation des travailleurs, le fait
qu’une prestation relève d’abord du règlement 1408/71 ne peut, pour cette seule raison lui
permettre d’échapper à la définition d’avantage social193. Ce point de vue a été adopté par
la CJCE à propos d’une allocation luxembourgeoise de naissance194. La solution a été
189
CATTALA (N.), J.-Cl.-Europe, Fasc. 601, Editions du Jurisclasseur, 1995, V° Libre circulation des
travailleurs (déplacement, séjour, exceptions).
190
BONNECHERE (M.), « La libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne », Dr. Ouvrier, Août
1995, p. 319 ; MARTIN (D.), « Réflexions sur le champ d’application matériel de l’article 48 du traité CE »,
Cah. dr. eur., 1993, n° 5-6, p. 558.
191
CJCE, 16 juillet 1992, Hugues, aff. C-78/91, Rec., p. I-4839.
192
CJCE, 20 juin 1985, Deak, aff. 94/84, Rec., p. I-1873 ; CJCE, 31 janvier 1991, Kziber, aff. C-18/90, Rec.,
p. I-199.
193
MARTIN (D.), « Réflexions sur le champ d’application matériel de l’article 48 du traité CE », op. cit., supra
note n° 159.
194
CJCE, 10 mars 1993, Commission c. Luxembourg, aff. C-111/91, Rec., p. I-817.
69
confirmée dans l’affaire Martinez Sala195, la Cour déclarant qu’une allocation d’éducation
était une prestation familiale au sens du règlement 1408/71, et un avantage social au sens
de l’article 7 § 2 du règlement 1612/68.
Cette complémentarité de protection sociale est une solution favorable au principe
d’égalité de traitement envers les travailleurs migrants et indirectement envers les membres
de leur famille. Elle permet d’assurer au mieux la libre circulation des travailleurs qui se
déplacent à l’intérieur de la Communauté.
Le champ d’application personnel et matériel des règlements 1408/71 et 1612/68 fait
l’objet d’une interprétation très libérale de la Cour de justice des Communautés
européennes.
Cette conception permet une généralisation d’une protection sociale
complète à la quasi-totalité des citoyens de l’Union, sans discrimination par rapports aux
nationaux des Etats membres.
La libre circulation des travailleurs a fait l’objet de transformations importantes. Le
dépassement de la dimension économique du marché intérieur a conduit ce principe vers
une libre circulation des personnes. Le règlement 1408/71 dont l’ambition s’est révélé bien
plus social que l’objectif qu’il poursuit, présente des conditions d’application très souples.
L’octroi des prestations sociales n’est subordonné, ni à l’exercice d’une activité
économique, ni à l’exercice de sa libre circulation.
Le champ d’application matériel est le fruit de constants débats entre les institutions
communautaires et les Etats membres. Deux logiques s’affrontent dans un permanent
conflit d’intérêts. Les Etats membres semblent manifester la volonté de ne pas répercuter le
coût de l’assistance sociale sur les budgets nationaux, quitte à passer outre l’interdiction
des discriminations à l’égard des travailleurs migrants et des membres de leur famille.
L’influente Cour de justice lutte pour l’établissement de la libre circulation la plus
complète possible dans une Europe sans frontières intérieures, en faisant élargir le domaine
d’application du règlement 1408/71 et du principe d’égalité de traitement.
La Cour adopte la conception du caractère attractif de la sécurité sociale pour faire sortir
certaines prestations de situations dérogatoires contraires à l’esprit du règlement. Elle
utilise de manière libérale la notion d’avantage social pour assurer au travailleur migrant la
plus complète des protections sociales.
195
CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691.
70
Le champ d’application du droit communautaire de la sécurité sociale pose ainsi les
bases d’une réalisation effective de la libre circulation des travailleurs. Il tend vers une
application universelle de l’égalité de traitement.
Le principe d’égalité de traitement est considéré comme un instrument de réalisation de
la libre circulation des travailleurs, lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les règles de
coordination. Grâce à l’activité jurisprudentielle et normative de la Cour de justice,
l’égalité a su s’adapter aux mutations des objectifs du traité. Il est difficile aujourd’hui,
compte tenu des évolutions du droit communautaire et de ses finalités, de considérer
l’égalité dans sa simple fonction instrumentale. Le changement de finalité dont elle fait
l’objet tient à son caractère évolutif.
71
SECONDE PARTIE :
L’EGALITE DE TRAITEMENT EN DROIT
COMMUNAUTAIRE DE LA SECURITE
SOCIALE, UN PRINCIPE EVOLUTIF
72
Dans le domaine du droit communautaire de la sécurité sociale, le principe d’égalité de
traitement facilite la jouissance par les travailleurs migrants de leur libre circulation. Ces
derniers peuvent bénéficier d’une protection sociale dans les mêmes conditions que les
nationaux de l’Etat débiteur des prestations. Cet encouragement à la mobilité par la
prescription de règles égalitaires, se manifeste également s’agissant des avantages sociaux
prévus par le règlement 1612/68.
La volonté du législateur communautaire ne réside pas exclusivement dans la promotion
de libertés économiques. Certes, le système de coordination et l’article 7 § 2 du règlement
1612/68 permettent aux travailleurs le bénéfice d’une protection sociale adéquate, ce qui
facilite leur mobilité ainsi que celle des membres de leur famille à l’intérieur de la
Communauté. Mais les exigences de leur libre circulation évoluent. D’une dimension
économique de l’objectif à atteindre, le droit communautaire fortement inspiré des
interprétations libérales de la Cour, en donne progressivement une acceptation civile et
politique. En témoignent les évolutions textuelles et jurisprudentielles fondées sur le
concept de la citoyenneté de l’Union dans un espace sans frontières intérieures. L’égalité
de traitement permet alors, au-delà des conceptions économiques du droit social européen,
de rendre efficace le « rapprochement sans cesse plus étroit entre les peuples » voulu par
les pères fondateurs de la Communauté européenne.
Plus encore, le principe de non discrimination se détache parfois des objectifs
poursuivis pour devenir un moyen de protection des personnes envisagées non plus comme
des agents économiques, mais comme des individus à part entière. Bien qu’employée dans
le cadre de la libre circulation des personnes, cette vision humaine conduit à ériger l’égalité
de traitement comme principe indépendant de l’objectif poursuivi. Cette évolution s’est
manifestée notamment s’agissant de l’égalité entre les hommes et les femmes en matière
de protection sociale.
L’analyse de ce principe lui confère un caractère évolutif. Il peut s’adapter à la fois aux
exigences des libertés économiques et aux exigences du respect de la personne dans son
humanité et sa dignité.
Certains domaines de la protection sociale communautaire tels que le règlement
1408/71, envisagent ainsi le principe d’égalité de traitement comme un instrument de
réalisation de la libre circulation des travailleurs (premier chapitre). D’autres domaines
privilégient l’acceptation de l’égalité en tant que droit fondamental de la personne humaine
(second chapitre).
73
CHAPITRE I. L’EGALITE ENVISAGEE COMME
INSTRUMENT DE REALISATION DE LA LIBRE
CIRCULATION DES TRAVAILLEURS
Il n’est pas concevable de faciliter la mobilité des travailleurs sans leur donner la
possibilité d’obtenir une protection sociale adéquate. Cette protection ne peut trouver son
efficacité que si elle permet au travailleur migrant d’en bénéficier aux mêmes conditions
que les nationaux du pays d’accueil. Il est en effet nécessaire pour faciliter la mobilité
intra-communautaire, de ne pas défavoriser un travailleur qui exerce son droit de libre
circulation, par rapport à celui qui exerce toute sa carrière sur le territoire d’un seul Etat
membre196. L’égalité de traitement est donc un principe indispensable à la réalisation de la
libre circulation des travailleurs en matière de protection sociale.
Le caractère instrumental de l’égalité de traitement est surtout perceptible dans le cadre
du règlement 1408/71, dont le but premier est la réalisation la plus complète possible des
objectifs fixés par le traité de Rome.
Cette nécessité donne à l’égalité la qualité de principe directeur en droit de la sécurité
sociale (Section 1). Il s’inscrit dans la coordination des régimes de sécurité sociale qui ont
été prises en application des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs.
Celles-ci constituent une dérogation au principe de territorialité des droits nationaux de
sécurité sociale. Leur efficacité est fonction de l’objectif de libre circulation dont la mise
en œuvre est instrumentée par le principe d’égalité (Section 2).
SECTION I. L’EGALITE DE TRAITEMENT, PRINCIPE
DIRECTEUR DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE
L’article 39 du traité CE prescrit l’abolition de toutes les discriminations fondées sur la
nationalité entre les travailleurs des Etats membres. En matière de sécurité sociale, l’article
3 du règlement 1408/71 a pour objet d’assurer l’égalité entre les travailleurs, en supprimant
196
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université,
2001, p. 69.
74
toute discrimination résultant des législations nationales des Etats membres197. L’égalité
apparaît donc clairement comme un moyen de parvenir à la libre circulation des
travailleurs. Elle est le principe directeur majeur de la coordination des systèmes de
sécurité sociale (§ 1er). Sa mise en œuvre révèle le caractère absolu de l’interdiction des
discriminations en matière de sécurité sociale (§ 2).
§1 e r . Le principe majeur de la coordination des
systèmes de sécurité sociale
Le système du règlement 1408/71 a été élaboré pour coordonner les différentes
législations de sécurité sociale. Il laisse subsister les disparités résultant du maintien de
chaque système national. L’égalité de traitement est le premier des principes de
coordination prévus par le règlement. Il constitue une limite à la compétence des Etats
membres (A) et se traduit par l’assimilation des travailleurs qui se déplacent aux
travailleurs nationaux (B).
A. La limite au maintien des compétences des Etats membres
Le principe de l’égalité de traitement s’impose aux Etats membres et aux institutions
publiques ou privées chargés de gérer les régimes de sécurité sociale, ainsi qu’aux autorités
communautaires chargées d’édicter la réglementation198.
Chaque Etat membre de l’Union demeure compétent pour fixer les conditions
d’affiliation à son système de sécurité sociale et au bénéfice des prestations. Les droits
nationaux de sécurité sociale et notamment le droit français, se caractérisent par le principe
de territorialité qui veut que les prestations ne soient servies qu’aux résidants de l’Etat
concerné et en considération des conditions propres à chaque prestation199. La territorialité
engendre pour les travailleurs qui se déplacent des ruptures de protection qui nuisent à leur
mobilité professionnelle.
197
CJCE, 28 juin 1978, Kenny c. Insurance Officer, aff. 1/78, Rec., p. 1489.
198
PRETOT (X.), Le droit social européen, Coll. Que sais-je ?, n° 2522, 2ème édition, Paris : PUF, 1990, p. 95
et s.
199
DUPEYROUX (J.-J.), Droit de la sécurité sociale, 14ème édition, Coll. Précis, Paris : Dalloz, 2001, n° 550.
75
L’égalité de traitement constitue le socle des règles de coordination des législations dont
les instruments « neutralisent les effets de ces logiques nationales »200. L’objectif de
l’article 3 § 1 du règlement 1408/71 est de supprimer toute discrimination fondée sur la
nationalité, résultant des législations nationales des Etats membres201. Ces derniers, bien
qu’indépendants dans la fixation de leur politique sociale, sont tenus au respect du droit
communautaire. La Cour de justice à cet égard a déclaré que l’article 39 CE « s’oppose aux
mesures qui pourraient défavoriser les ressortissants communautaires lorsqu’ils souhaitent
exercer une activité économique sur le territoire d’un autre Etat membre »202. Par exemple,
la fixation de cotisations sociales plus lourdes que pour le national constitue une
discrimination entravant la mobilité des travailleurs, en ce qu’elle les dissuade d’exercer
leur droit de libre circulation. Cela nécessite de la part de l’Etat concerné, l’abolition ou la
modification d’une telle disposition.
Cependant, il convient de préciser ce qu’il faut entendre par la suppression des
différences de traitement résultant des législations nationales. Retenons de cette idée que
les discriminations visées doivent l’être au titre d’une même législation. L’article 42 CE
prescrit l’adoption dans le domaine de la sécurité sociale, des mesures nécessaires pour
l’établissement de la libre circulation des travailleurs, telles que la totalisation des périodes
et le paiement des prestations aux résidants des Etats membres. Mais il laisse subsister des
différences entre les régimes nationaux de sécurité sociale, qu’elles soient de fond ou de
procédure. Les disparités persistant entre les différents Etats membres ne sont touchées ni
par l’article 42 CE, ni par le principe de non discrimination203. Seules les différences de
traitement internes à un seul Etat membre sont concernées.
Les autorités communautaires sont également tenues au respect du principe de l’égalité.
Si le rôle du droit communautaire n’est pas d’harmoniser les droits nationaux, il n’en
demeure pas moins tenu de ne pas ajouter de disparités supplémentaires à celles qui
subsistent déjà204. Certaines clauses du règlement 1408/71 ont été invalidées, en ce qu’elles
prévoyaient pour des situations identiques un traitement différent. Dans l’affaire Pinna205,
200
Ibid.
201
CJCE, 21 septembre 2000, Borawitz, aff. C-124/99, Rec., p. I-7293.
202
CJCE, 15 décembre 1995, Bosman, aff. C-415/93, Rec., p. I-4921.
203
CJCE, 15 janvier 1986, Pinna, aff. 41/84, Rec., p. 1.
204
CJCE, 27 septembre 1988, Lenoir, aff. 313/86, Rec., p. 5391.
205
CJCE, 15 janvier 1986, Pinna, op. cit., supra note n°172.
76
une clause du règlement instituait un régime particulier pour les prestations familiales dues
au titre de la législation française. Le travailleur migrant qui sollicitait les mêmes
prestations se voyait appliquer des règles différentes selon que celles-ci étaient dues du
chef de la France, ou du chef d’un autre Etat membre206. L’article du règlement qui
prévoyait cette mesure fut invalidé par la Cour qui le jugeait constitutif d’une
discrimination prohibée, solution confirmée par la suite207.
Les instances nationales comme communautaires sont tenues au respect du principe de
l’égalité de traitement. Toute violation constitue une entrave à la mobilité des travailleurs.
C’est en cela que la Cour de justice y voit un instrument de réalisation de la libre
circulation, « un prolongement fonctionnel des libertés économiques plutôt qu’un
application en ligne directe de ce principe »208. Quant aux obligations des autorités
concernées, celles-ci consistent en l’assimilation des travailleurs migrants aux nationaux.
B. L’assimilation des travailleurs migrants aux nationaux
L’article 3 § 1 du règlement 1408/71 dispose que « les personnes qui résident sur le
territoire de l’un des Etats membres et auxquelles les dispositions du présent règlement
sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation
de tout Etat membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous
réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement ». Il s’agit du
principe de l’assimilation au national, selon lequel les travailleurs migrants bénéficient des
prestations dans les mêmes termes que les nationaux. Cette règle se révèle en pratique
favorable aux migrants. C’est en effet à leur égard que des mesures nationales
discriminatoires risquent le plus souvent d’être prises.
La règle de l’assimilation du migrant au national appelle cependant une précision. Il est
important de distinguer l’assimilation au national de l’assimilation de faits survenus sur le
territoire de plusieurs Etats membres. Avec le système de coordination, il est impossible
d’obliger un Etat membre à qualifier des faits survenus à l’étranger comme le seraient les
faits nationaux. En dehors des cas prévus par le règlement 1408/71, les Etats tentent tant
206
Ancien article 73 § 2 du règlement 1408/71.
207
CJCE, 7 juin 1988, Roviello, aff. 20/85, Dr. soc., 1989, p. 419, chron. PRETOT (X.).
208
CASSAN (H.), « Le principe de non-discrimination dans le domaine social à travers la jurisprudence
récente de la C.J.C.E. », RTD Europe, 1976, p. 259.
77
que possible d’appliquer le principe de territorialité de leur législation, source de
différences de traitement.
Avant l’entrée en vigueur du règlement 1408/71, la cour considérait que la règle de nondiscrimination engendrait l’obligation d’assimiler des situations survenues sur le territoire
de différents Etats membres209. Puis à propos du service des allocations de chômage encore
dominé par la territorialité, la Cour était hostile à cette assimilation210, position restrictive
confirmée par l’arrêt Kenny211.
Après une longue période d’hésitations concernant l’assimilation des faits survenus à
l’étranger dans le domaine de la sécurité sociale212, la Cour montre une tendance à
interpréter la règle de manière extensive. Avec le développement de la citoyenneté de
l’Union et les exigences de la libre circulation des travailleurs, le juge communautaire se
montre plus favorable à l’idée d’une « reconnaissance mutuelle des situations »213.
Pour donner plein effet au principe de libre circulation des travailleurs, la Cour de
justice donne une interprétation extensive de la règle de l’assimilation au national. Celle-ci
concerne les travailleurs eux-mêmes, mais aussi parfois les faits survenus dans différents
Etats membres. La jurisprudence met également en évidence le caractère absolu de
l’interdiction des discriminations.
§2. Le caractère
discriminations
absolu
de
l’interdiction
des
Le principe de l’égalité de traitement s’avère très contraignant pour les autorités
chargées d’édicter la réglementation interne et communautaire en matière de sécurité
sociale. Il l’est aussi pour les instances dont la mission est d’appliquer la législation
nationale. L’interprétation téléologique du juge communautaire le conduit à interdire toutes
209
CJCE, 15 octobre 1969, Ugliola, aff. 15/69, Rec., p. 36.
210
CJCE, 9 juillet 1975, d’Amico, aff. 20/75, Rec., p. I-891.
211
CJCE, 28 juin 1978, Kenny c. Insurance Officer, aff. 1/78, Rec., p. 1489.
212
Position restrictive de la Cour : CJCE, 1er décembre 1977, Kuyken, aff. 66/77, Rec., p. 2711 ;
Reconnaissance de l’assimilation des faits : CJCE, 15 mai 1974, Kaufmann, aff. 184/73, Rec., p. 517 ; CJCE,
30 octobre 1975, Galati, aff. 33/75, Rec., p. 1357.
213
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck, 2001, p. 78 ;
CJCE, 22 février 1990, Bronzino, aff. C-12/89, Rec., p. I-549 ; CJCE, 9 décembre 1993, Lepore et a., aff. C45 et C-46/92, Rec., p. I-6497, CJCE, 4 octobre 1991, Paraschi, aff. C-349/91, Rec., p. I-4501.
78
les formes de discriminations fondées sur la nationalité (A). Les différences de traitement
subissent une appréciation très restrictive, à tel point que leur justification reste absente du
règlement 1408/71 (B).
A. La prohibition de toutes les formes de discrimination
Le traité instituant la Communauté européenne repose sur le principe fondamental de la
prohibition de toute discrimination fondée sur la nationalité. Institué à titre général par
l’article 12 CE, ce principe figure à l’article 39 CE au titre de la libre circulation des
travailleurs. En matière de sécurité sociale, il est rappelé à l’article 3 du règlement 1408/71
selon lequel « les personnes qui résident sur le territoire de l’un des Etats membres et
auxquelles les dispositions du règlement sont applicables sont soumises aux obligations et
sont soumises au bénéfice de la législation de tout Etat membre dans les mêmes conditions
que les ressortissants de celui-ci ». L’interdiction de toute discrimination fondée sur la
nationalité constitue la « pierre angulaire » de la coordination des régimes de sécurité
sociale214, que cette discrimination soit directe ou indirecte.
Une discrimination directe apparaît lorsqu’une réglementation traite différemment des
situations identiques ou de manière identique des situations différentes215. Cela n’empêche
pas une législation de traiter différemment deux travailleurs se trouvant dans des situations
différentes216. De l’application de la réglementation communautaire peuvent néanmoins
apparaître certaines formes de discrimination, dite « à rebours217 », même si cette
possibilité tend à être remise en cause, sur le fondement de la citoyenneté de l’Union.
Chaque ressortissant des Etats membres pourrait désormais prétendre à l’application du
droit communautaire, qu’il eut ou non exercé son droit de libre circulation.
Compte tenu de la règle de l’assimilation au national, il est rare que les législations
opèrent des distinctions directement sur le critère de la nationalité218 à moins que ne
214
CORNELISSEN (R.), « Les quatre principes de la coordination », in Commission des Communautés
européennes, Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe
sociale, numéro spécial, 3/92, p. 15.
215
LENAERTS (K.), « L’égalité de traitement en droit communautaire, un principe unique aux apparences
multiples », Cah. Dr. Eur., 1991, p. 3.
216
CJCE, 13 octobre 1977, Mura, aff. 22/77, Rec., p. 1-1699.
217
Sur la justification des discriminations à rebours, voir supra p. 45.
218
LHERNOULD (J.-P.), J.-Cl.-Europe, Fasc. 630, Editions du Jurisclasseur, 2001, V° Coordination des
systèmes nationaux de Sécurité sociale (généralités), n° 87.
79
subsiste, par exemple, quelque convention de réciprocité entre deux Etats membres. Or le
caractère inconditionnel de l’égalité s’oppose à ce que les autorités d’un Etat membre
puissent édicter une condition de réciprocité dans leur législation nationale219.
Le risque est grand de voir le législateur national contourner le principe d’égalité en
employant d’autres critères ne se rapportant pas à la nationalité. Ces mesures en apparence
neutres, aboutissent à une discrimination matérielle220. Dans ce cas, la Cour de justice est
intervenue et déclare que l’ensemble des règles relatives à l’égalité de traitement « prohibe
non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore
toutes formes dissimulées de discrimination qui, par l’application d’autres critères de
distinction, aboutissent en fait au même résultat »221. Cette solution permet au principe
d’égalité de traitement de se voir assuré en fait et en droit, facilitant ainsi la mobilité des
travailleurs qui se déplacent au sein de la Communauté. La notion de discrimination s’en
trouve considérablement élargie. Bien entendu, le critère de distinction dont dépend
l’octroi de l’avantage envisagé doit avoir pour conséquence effective de défavoriser les
travailleurs communautaires par rapport aux nationaux222.
De nombreux litiges ont abouti à la reconnaissance par la Cour de justice du caractère
discriminatoire de certaines mesures. Cette dernière considère qu’il y a discrimination
interdite si les conditions d’accès ou de maintien du droit aux prestations de sécurité
sociale « sont définies de telle façon, qu’en fait, elles ne pourraient être remplies que par
les nationaux ou si les conditions de déchéance ou de suspension du droit étaient définies
de telle façon qu’en fait, elles seraient plus facilement réalisées dans le chef des
ressortissants d’autres Etats membres que dans celui des ressortissants de l’Etat dont relève
l’institution compétente »223. Ainsi la condition de résidence sur le territoire de l’Etat
débiteur a été jugée discriminatoire, tout comme la condition de durée de résidence224. De
la même manière, la condition exigeant que les enfants soient de nationalité française est
219
FRESIA (A.), « La libre circulation des personnes et le principe de non discrimination dans la jurisprudence
de la C.J.C.E. », RMC, 1975, p. 550.
220
PAPADOPOULOU (R.-E.), Principes généraux du droit et droit communautaire, Bruxelles : Bruylant, 1996,
p. 59-80.
221
CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 153 ; CJCE, 12 juillet 1979, Toia, aff. 237/78, Rec., p.
2645.
222
MAYRAS (H.), concl. sous CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 172-173.
223
CJCE, 28 juin 1978, Kenny c. Insurance Officer, aff. 1/78, Rec., p. 1489.
224
CJCE, 10 novembre 1992, Commission c. Belgique, aff. C-326/90, Rec., 1992, p. 5517.
80
en pratique remplie plus facilement par une femme qui est elle-même française que par une
femme qui ne l’est pas. L’octroi d’un avantage vieillesse à une mère de famille ne peut être
subordonné ni à la nationalité de la mère, ni à celle de ses enfants225. Ces discriminations
déguisées représentent une entrave importante à l’exercice du droit de libre circulation des
travailleurs. La crainte de ne pouvoir bénéficier des mêmes prestations que les nationaux,
dissuade les travailleurs de se rendre dans un autre Etat membre226.
La Cour de justice fait donc preuve de sévérité quant à la nature discriminatoire des
mesures soumises à son examen. Elle le demeure tout autant s’agissant de leur caractère
discriminatoire car en pratique, il ne peut en matière de sécurité sociale, être altéré par
aucune justification, même objective.
B. L’absence de justification des différences de traitement
Lorsqu’une législation applique une différence de traitement entre deux travailleurs
placés dans la même situation, elle peut être considérée comme discriminatoire. En
revanche, lorsqu’il existe une différence objective entre les deux situations, l’inégalité ne
se trouve pas sanctionnée227. Pour qu’une différence soit qualifiée de discriminatoire, il
faut que celle-ci soit arbitraire, subjective et disproportionnée au but recherché. Une
différence de traitement reposant sur une condition de nationalité, est susceptible d’être
justifiée quand elle repose sur des différences objectives entre les situations de ceux
auxquels cette différence de traitement est appliquée228. En matière de droits sociaux
découlant de la libre circulation des travailleurs, la Cour de justice a tenté de définir ce
qu’il fallait entendre par différenciation objective, en procédant au cas par cas. Si certaines
inégalités sont tolérées dans le cadre général de la libre circulation, il n’en est guère ainsi
concernant le domaine spécifique de la coordination.
L’accès aux emplois publics, malgré l’existence d’un système de reconnaissance des
diplômes, est souvent réservé aux nationaux des Etats membres, dans la mesure où « de
tels emplois supposent en effet, de la part de leur titulaire, un rapport particulier de
solidarité à l’égard de l’Etat, ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le
225
CJCE, 12 juillet 1979, Toia, aff. 237/78, Rec., p. 2645.
226
CARPENTIER (J.-L.), « L’application aux travailleurs salariés du principe de non discrimination en raison
de la nationalité », Europe, 1992, n° 3, p. 4.
227
FRESIA (A.), « La libre circulation des personnes et le principe de non discrimination dans la jurisprudence
de la C.J.C.E. », RMC, 1975, p. 550.
228
CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 153.
81
fondement du lien de nationalité »229. Dans le cadre de la liberté d’établissement, une
législation peut exiger une condition d’établissement professionnel stable dans le ressort de
la juridiction où postule le travailleur. Cette exigence s’avère selon la cour nécessaire « en
vue de garantir l’observation des règles professionnelles, liées au fonctionnement de la
justice et au respect de la déontologie »230. D’autres domaines parmi lesquels celui des
avantages sociaux, supportent certaines différences objectives de traitement, malgré
qu’elles se fondent directement ou indirectement sur un critère de nationalité.
En revanche s’agissant du domaine de la coordination, le caractère absolu et
inconditionnel de l’égalité domine, la Cour de justice rejetant quasi systématiquement toute
tentative de justification. Par exemple, des considérations d’ordre natalistes ne peuvent
justifier une différence de traitement d’après la nationalité, « le règlement 1408/71 ne
faisant pas de différence entre les régimes de sécurité sociale auxquels il s’applique, selon
que ces régimes poursuivent ou non des objectifs de politique démographique »231. Les
difficultés administratives liées à l’évaluation des ressources des intéressés ou aux
difficultés de recouvrement, ne sont pas non plus justificatives de mesures distinctes232.
Enfin, l’argument national selon lequel une prestation servie en considération d’un
environnement économique et social précis perdrait sa signification si elle était exportée
dans un autre Etat membre, ne justifie en rien la condition de résidence auquel son octroi
est subordonné233.
Compte tenu de la jurisprudence communautaire restrictive à l’égard des différences de
traitement, seules des dispositions particulières contenues dans le règlement 1408/71
peuvent prévoir certaines dérogations au principe d’égalité. La réserve contenue dans
l’article 3 § 1 du règlement 1408/71, a fait l’objet de quelques applications textuelles dont
la validité fut par la suite remise en cause, notamment sur le fondement de l’égalité de
traitement234.
229
CJCE, 26 mai 1982, Commission c. Belgique, aff. 149/79, Rec., p. 1845.
230
FRESIA (A.), « La libre circulation des personnes et le principe de non discrimination dans la jurisprudence
de la C.J.C.E. », RMC, 1975, p. 550.
231
CJCE, 12 juillet 1979, Toia, aff. 237/78, Rec., p. 2645.
232
CJCE, 12 juillet 1990, Commission c. France, aff. C-236/88, Rec., p. I-3163.
233
CJCE, 8 mars 2001, Jauch, aff. C-215/99, Rec., p. 1901.
234
Voir, par exemple l’article 10 bis du règlement 1247/92 du 30 avril 1992 concernant les exceptions à la
levée des clauses de résidence, JOCE, n° L 136 du 19 mai 1992 ; CJCE, 8 mars 2001, Jauch, aff. C-215/99,
Rec., p. 1901 ; CJCE, 31 mai 2001, Leclere, aff. C-43/99, Rec., p. 4265.
82
La prévision de règles égalitaires en application du règlement 1408/71, favorise les
migrations intra-communautaires : les travailleurs ne voient pas d’obstacle à leur mobilité
dans la mesure où ils sont assurés de bénéficier de leurs prestations sociales dans les
mêmes conditions que les travailleurs nationaux. Or en matière de sécurité sociale
subsistent des disparités entre les législations nationales. L’égalité de traitement ne peut
devenir effective et la protection sociale adéquate, si le règlement ne prévoit pas de règles
permettant l’application de ces différents régimes aux travailleurs migrants. A cet effet
existe un système communautaire de coordination, système qui influe de manière
conséquente sur l’effectivité du principe d’égalité de traitement.
SECTION II. L’EGALITE DE TRAITEMENT,
INSTRUMENT D’EFFICACITE DES REGLES DE
COORDINATION
Le règlement 1408/71 prévoit des techniques de coordination des législations nationales
pour permettre aux travailleurs migrants d’exercer leur droit de libre circulation sans
perdre le bénéfice du droit aux prestations sociales qu’ils tiennent de différentes
législations successives. Ces techniques ont pour effet de déroger à la logique territoriale
des Etats membres, source d’inégalités et d’entrave à la mobilité intra-communautaire.
Deux dimensions sont prises en compte pour l’élaboration et l’application des règles de
coordination. La dimension spatiale se manifeste par la règle de la détermination de la loi
applicable (§ 1er). La dimension temporelle se manifeste par des mécanismes de
conservation des droits acquis ou en cours d’acquisition (§ 2).
§1 e r . La coordination dans l’espace
détermination de la législation applicable
par
la
La détermination de la législation applicable répond à problème de conflit de lois
engendré par l’absence d’harmonisation des règles de rattachement aux législations
nationales de sécurité sociale. Les risques de disparités renforcés par l’idée de territorialité
ont conduit le législateur communautaire à imposer des dispositions communautaires de
rattachement. Deux principes s’en dégagent, celui de l’unicité de la législation applicable
(A), et celui de l’application de la loi de l’Etat d’emploi (B).
83
A. Le principe d’unicité de la législation applicable
Le droit communautaire instaure des règles dérogatoires à la logique nationale de
territorialité des législations de sécurité sociale (1). Ces règles impératives se traduisent par
l’application de la législation d’un seul Etat membre (2).
1) l’instauration de règles de conflit dérogatoires à la logique nationale
de territorialité
En droit de la sécurité sociale, les Etats membres sont compétents pour fixer les
conditions d’affiliation et d’octroi de ses prestations sociales. Selon la Cour de cassation,
les lois de sécurité sociale présentent un caractère d’ordre public et de territorialité qui ne
leur permet pas de recevoir application hors du territoire national235. Cette solution
présente des conséquences néfastes pour les travailleurs migrants en droit communautaire.
L’insertion de clauses de territorialité par les Etats membres risque d’engendrer des
discriminations et des entraves à la libre circulation des travailleurs. L’application du droit
de la sécurité sociale peut faire naître des situations de conflit au préjudice des
bénéficiaires. Dans l’hypothèse de conflit positif, l’assuré bénéficie de plusieurs
législations, tandis que dans le cas d’un conflit négatif, aucune législation ne peut lui être
appliquée236.
Le législateur communautaire a remédié à cette situation par l’élaboration d’un système
complet et uniforme de règles de conflit de lois pour l’ensemble des prestations sociales.
Aux règles générales sur lesquelles il conviendra de s’attarder, s’ajoutent des dispositions
particulières à chaque prestation. La Cour de justice rappelle que « leur but est d’éviter
l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui
peuvent en résulter, mais également empêcher que les personnes entrant dans le champ
d’application du règlement 1408/71 soient privées de protection en matière de sécurité
sociale, faute de législation qui leur serait applicable »237.
De plus, ces règles de conflit restent propres aux législations de sécurité sociale et ne
s’appliquent pas aux relations de travail. Elles ne règlent pas les situations de conflit
235
Cass., 2ème civ., 19 janvier 1956 ; Soc, 25 avril 1979, Bull. civ., V, n° 339.
236
WIBAULT (J.), « Le droit de la sécurité sociale et la notion de conflit de lois », Dr. soc., Mai 1965, p. 318.
237
CJCE, 4 octobre 1991, De Paep, aff. C-196/90, Rec., p. I-4815.
84
concernant la législation applicable à la relation de travail existant entre le travailleur et
l’employeur238.
Les règles de détermination de la loi applicable, permettent aux législations de sécurité
sociale d’être mises en œuvre en dehors du territoire national, dérogeant ainsi à la logique
de territorialité. L’on peut y voir une forme d’atteinte à la souveraineté des Etats membres.
Certes ces derniers restent compétents en matière de fixation des conditions d’affiliation
aux régimes de sécurité sociale. Mais ils sont tenus par l’interdiction d’adopter des mesures
fiscales ou sociales allant à l’encontre, entravant ou dissuadant l’exercice de la libre
circulation des travailleurs. Selon une jurisprudence constante, « les conditions d’affiliation
ne peuvent avoir pour effet d’exclure de la législation les personnes auxquelles la
législation est applicable en vertu du règlement 1408/71 »239.
La solution communautaire aux conflits de lois présente un caractère impératif pour les
Etats membres qui « ne disposent pas de la faculté de déterminer dans quelle mesure est
applicable leur propre législation ou celle d’un autre Etat membre. Ils sont tenus de
respecter les dispositions du droit communautaire en vigueur »240.
Cette démarche d’uniformisation des critères de rattachement à un système de sécurité
sociale permet aux travailleurs une application uniforme des régimes de sécurité sociale,
renforçant l’importance du principe d’égalité de traitement en tant qu’instrument de
facilitation de la mobilité professionnelle. Les règles de conflits trouvent leur traduction
dans l’obligation de soumettre les assurés à la législation d’un seul Etat membre.
2) L’application de la législation d’un seul Etat membre
La détermination communautaire de la législation compétente est l’expression du
principe d’unicité de la législation. Selon l’article 13 § 1 du règlement 1408/71, les
personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la
législation d’un seul Etat membre. Cette règle est valable tant pour les salariés que pour les
non salariés. La Cour de justice rappelle que « la détermination de la législation d’un Etat
membre en tant que législation applicable à un travailleur indépendant à pour effet que
238
Ibid.
239
CJCE, 4 octobre 1991, De Paep, aff. C-196/90, Rec., p. I-4815 ; CJCE, 3 mai 1990, Kitz Van Heijnigen,
aff. C-2-89, Rec., p. I-1755.
240
CJCE, 23 septembre 1982, Kuijpers, aff. 276/81, Rec., p. 3027.
85
seule cette législation lui est applicable »241. Peu importe la teneur du contrat de travail qui
lie le travailleur à son employeur. La règle d’unicité vaut par exemple pour les travailleurs
à temps partiel242.
Par conséquent, sont interdites les doubles cotisations considérées logiquement par la
Cour de justice, comme contraire à l’égalité de traitement. « Lorsqu’une obligation
comparable est déjà respectée dans le pays d’origine, l’Etat d’accueil ne peut exiger la
satisfaction d’une telle obligation. Le traité CE interdit la double cotisation car elle
constitue une discrimination indirecte et un obstacle à la libre circulation des personnes et
des services »243.
Sur le fondement de ce principe, la France a fait l’objet de condamnations par la CJCE.
Cette dernière de considérer que « en appliquant la contribution au remboursement de la
dette sociale (CRDS) aux revenus d’activité et de remplacement des travailleurs salariés et
indépendants qui résident en France mais travaillent dans un autre Etat membre et qui, en
vertu du règlement 1408/71, ne sont pas soumis à la législation française de sécurité
sociale, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de
l’article 13 du règlement ainsi que des articles 39 et 52 du Traité CE »244.
Cependant, si l’unicité de la législation applicable demeure la règle, elle n’exclut pas en
toutes circonstances l’application de la législation d’un Etat membre autre que celle
désignée par la législation communautaire et c’est bien là tout ce qui fait la fragilité de ce
principe d’unicité.
Dans certains cas strictement interprétés par le juge communautaire, la Cour considère
que l’application simultanée de plusieurs législations est permise même si cela augmente la
charge contributive, dès lors qu’il en résulte un complément de protection sociale245.
Certaines dérogations à l’unicité de la législation applicable sont envisagées par le
241
CJCE, 10 juillet 1986, Luijten, aff. 60/85, Rec., p. 236.
242
CJCE, 3 mai 1990, Kitz Van Heijnigen, aff. C-2-89, Rec., p. I-1755.
243
CJCE, 18 janvier 1979, Van Wesmael, aff. 110 et 111/78, Rec., p. 35.
244
CJCE, 15 février 2000, Commission c. France, aff. C-34/98 et 169/98, Rec., p. I-995 et I-1049 ; PRETOT
(X.), « Les travailleurs frontaliers et la CSG », Dr. soc., 2000, p. 529.
245
CJCE, 9 juin 1964, Nonnenmacher, aff. 92/63, Rec., p. 557 ; CJCE, 5 décembre 1967, Van der Vecht, aff.
19/67, Rec., p. 445.
86
règlement 1408/71246. Enfin, l’article 14 septies permet un cumul de législations pour les
fonctionnaires employés dans plusieurs Etats membres et relevant dans l’un d’entre eux
d’un régime spécial de fonctionnaire.
Le règlement prévoit l’application pour les travailleurs migrants d’une seule législation
de sécurité sociale. S’agissant de déterminer exactement quelle législation est concernée, le
paragraphe 2 de l’article 13 pose le principe de la lex loci laboris, la loi de l’Etat d’emploi.
B. L’application de la lex loci laboris
L’article 13 § 2 du règlement 1408/71 pose le principe de l’application de la loi de
l’Etat d’emploi (1), sous réserve des dispositions particulières des articles 14 à 17, ce qui
nous conduira à envisager les exceptions à ce principe (2).
1) Le principe de l’application de la loi de l’Etat d’emploi
Les règles communautaires de rattachement sont l’expression d’un choix entre deux
conceptions de la sécurité sociale. La conception « bismarckienne » propose une vision de
la sécurité sociale fondée sur des rapports de travail. Répondant à une logique d’assurance,
les prestations versées le sont en contrepartie de l’exercice d’un travail. Les coûts de la
sécurité sociale sont à la charge de l’Etat où le travailleur exerce son activité et contribue à
ce régime247. Logiquement, la détermination de la législation applicable doit s’effectuer par
référence au lieu de l’activité. Une autre conception prend en compte les personnes
inactives dans le système de protection sociale. Le lien avec le travail s’avère dès lors
insuffisant pour fonder une règle de rattachement, d’où le renvoi au critère du lieu de
résidence de l’intéressé248.
Pour les rédacteurs du règlement 1408/71, le choix du facteur de rattachement s’inscrit
dans le cadre de la libre circulation des travailleurs, envisagée à l’origine dans sa
dimension économique. Par conséquent, la loi de l’Etat d’emploi ou du lieu d’exercice de
l’activité économique est apparue comme la référence principale pour déterminer la
législation applicable. La conception bismarckienne est alors adoptée pour l’ensemble de la
246
Dans les cas prévus à l’annexe VII du règlement, relatifs à la situation de pluralité d’activités, salariées et
non salariées
247
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université,
2001, p. 88.
248
Voir infra, p. 88.
87
protection sociale, qu’elle soit contributive, c'est-à-dire fondée sur une logique
d’assurance, ou non contributive, c'est-à-dire répondant à une logique d’assistance249.
L’absence de distinction entre les deux conceptions risque d’engendrer une inadaptation du
principe à certaines catégories de travailleur ou de prestations. Mais le règlement 1408/71 a
le mérite de poser des règles uniformes pour tous les travailleurs migrants, ainsi qu’une
multitude de règles particulières adaptée à la situation particulière de certains assurés.
L’article 13 § 2 a) dispose que « la personne qui exerce une activité salariée sur le
territoire d’un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur
le territoire d’un autre Etat membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son
siège sur le territoire d’un autre Etat membre ». La même règle s’applique concernant les
non salariés, les salariés occupés sur des navires, les fonctionnaires et les personnels
assimilés ainsi que les personnes appelées sous les drapeaux250.
Ce principe de la primauté de la lex loci laboris a été précisé et renforcé par la Cour de
justice selon laquelle le défaut de disposition spécifique pour une situation juridique
donnée entraîne l’application de la loi de l’Etat d’emploi251. En outre, ces dispositions
commandent de toujours donner la priorité à l’Etat d’emploi sur l’Etat de résidence, quand
bien même une autre législation que celle qui a été déterminée et qui pourrait s’appliquer à
la situation litigieuse, s’avèrerait plus favorable252.
Une lacune du règlement 1408/71 a été révélée par la situation de personnes qui
cessaient leur activité professionnelle et qui résidaient sur le territoire d’un autre Etat
membre. La législation de l’Etat d’emploi cessait d’être applicable, sans qu’une autre
législation ne s’applique à son tour. A cet égard, la jurisprudence s’est montrée pour le
moins incertaine. Quelques décisions semblaient favorables à l’application de l’Etat de
résidence253. Certaines optaient pour la législation de l’Etat du dernier emploi254. D’autres
249
RODIERE (P.), « L’arrêt Bentzinger et la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés
européennes relative aux conflits de lois de sécurité sociale », RTD Europe, 1974, p. 431.
250
Article 13 § 2 b) à f) du règlement 1408/71.
251
CJCE, 1er mars 1973, Benzinger, aff. 73/72, Rec., p. 283 ; obs. RODIERE (P.), « L’arrêt Bentzinger et la
jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes relative aux conflits de lois de sécurité
sociale », RTD Europe, 1974, p. 431.
252
CJCE, 5 mai 1997, Perenboom, aff. 102/76, Rec., p. 815 ; CJCE, 10 juillet 1986, Luijten, aff. 60/85, Rec.,
p. 2365.
253
CJCE, 29 juin 1988, Rebmann, aff. 58/87, Rec., p. 3467.
254
CJCE, 12 juin 1986, Ten Holder, aff. 302/84, Rec., p. 1827 ; CJCE, 12 janvier 1983, Coppola, aff. 150/82,
Rec., p. 43 ; CJCE, 28 avril 1988, Vanhaeren, aff. 192/87, Rec., p. 2419.
88
déclaraient inapplicables les règles de conflit aux personnes qui cessaient toute activité
professionnelle255. La Cour de justice s’est efforcée de donner des interprétations
conformes aux intérêts des travailleurs, dans un souci d’égalité dans l’application des
critères de rattachement, et surtout pour éviter les complications pour les travailleurs et les
organismes sociaux256.
Pour combler cette lacune du droit communautaire, le règlement 2195/91 du 25 juin
1991257 a ajouté une lettre f) à l’article 13 § 2 du règlement 1408/71. Selon laquelle « la
personne à laquelle la législation d’un Etat membre cesse d’être applicable, sans que la
législation d’un autre Etat membre lui devienne applicable en conformité avec l’une des
règles énoncées aux alinéas précédents ou avec l’une des exceptions ou règles particulières
visées aux articles 14 à 17, est soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire
duquel elle réside, conformément aux dispositions de cette seule législation ».
Cette disposition constitue une première exception à la lex loci laboris, les personnes
qu’elle vise sont soumises à la législation de l’Etat de résidence. D’autres exceptions et
règles particulières sont envisagées dans les articles 14 à 17 du règlement 1408/71.
2) Les exceptions à l’application de la loi de l’Etat d’emploi
Le règlement 1408/71 a prévu des règles précises pour certaines catégories de
travailleurs qui présentent des caractéristiques particulières compte tenu de leur situation
de travail. Par exemple, les règles applicables aux travailleurs détachés sont celle de l’Etat
d’origine, c'est-à-dire celui duquel le travailleur a été détaché.
Par ailleurs, un travailleur peut exercer des activités salariées dans deux ou plusieurs
Etats membres. Dans ce cas, si l’Etat de résidence coïncide avec un des lieux d’emploi, il
convient d’appliquer la législation du lieu de résidence258. Cette exception appelle une
définition de la notion de résidence. La jurisprudence recueille pour ce faire des indices de
qualification. Par exemple, elle considère que la résidence correspond au centre permanent
des intérêts du travailleur et où il retourne dans l’intervalle de ses tournées259. Il importe de
255
CJCE, 21 février 1991, Noij, aff. C-140/88, Rec., p. I-387.
256
CJCE, 17 décembre 1970, Manpower, aff. 35/70, Rec., p. 1251.
257
Règlement 2195/91 du 25 juin 1991, JOCE, 1991, n° L 206.
258
CJCE, 29 juin 1994, Aldewereld, aff. C-60/93, Rec., p. I-2991.
259
CJCE, 12 juillet 1973, Hakenberg, aff.13/73, Rec., p. 935 ; CJCE, 8 juillet 1992, Knoch, aff. C-102/91,
Rec., p. I-4341.
89
considérer non seulement la situation familiale du travailleur, mais aussi les raisons qui
l’ont amené à se déplacer et la nature du travail260.
D’autres exceptions appellent la définition du travail salarié ou non salarié. Il en est
ainsi s’agissant de l’hypothèse de l’exercice simultané d’activités salariées et non salariées.
Le règlement impose dans ce cas précis une règle communautaire de conflit. Mais il laisse
le soin aux législations nationales de déterminer ce qu’elles entendent par « salarié » ou
« non salarié ». Selon le juge communautaire, sont des personnes exerçant une activité non
salariée « celles qui sont considérées comme telles pour l’application de la législation de
sécurité sociale de l’Etat membre sur le territoire duquel ces activités sont exercées »261. En
revanche, concernant les fonctionnaires, la cour considère que « l’activité exercée en
qualité de fonctionnaire par une personne relevant du champ d’application du règlement
1408/71 est une activité salariée au sens de son article 14 quater, qui fixe les règles
particulières applicables aux personnes exerçant simultanément une activité salariée sur le
territoire d’un Etat membre et une activité non salariée sur le territoire d’un autre Etat
membre » car « dans le système du traité, les fonctionnaires sont considérés comme des
travailleurs salariés »262.
Au regard des règles relatives à l’assurance volontaire ou facultative continuée, il n’est
plus fait allusion au lieu d’emploi ou de résidence, mais au régime d’assurance
considéré263. Précisons que les dispositions des articles 13 à 14 quinquies ne sont
applicables qu’aux régimes d’assurance obligatoire. Lorsque l’assuré est affilié à la fois à
une assurance obligatoire et à une ou plusieurs assurances volontaires ou facultatives
continuées, le règlement lui prescrit l’application de la législation où l’assuré cotise pour
l’assurance obligatoire. Lorsque l’intéressé n’est affilié qu’à des régimes volontaires ou
facultatifs continués, la législation qui s’applique est celle pour laquelle l’assuré a opté.
Certains cumuls de législations sont également possibles en présence d’assurance
vieillesse, invalidité ou décès.
260
CJCE, 17 février 1977, Di Paolo, aff. 76/76, Rec., p. 315 ; CJCE, 22 septembre 1988, Bergemann, aff.
236/87, Rec., p. 5125.
261
CJCE, 20 janvier 1997, Hervein, aff. C-221/95, Rec., p. I-609.
262
CJCE, 24 mars 1994, Van Poucke, aff. C-71/93, Rec., p. I-1101.
263
Article 15 du règlement 1408/71.
90
D’autres règles laissent à certaines catégories de travailleurs le choix de la législation
qui peut leur être applicable. Sont par exemple concernés les personnels des services des
missions diplomatiques et des postes consulaires, ou les agents auxiliaires des
Communautés européennes. Enfin, deux Etats membres peuvent prévoir d’un commun
accord, dans l’intérêt de certaines catégories de personnes, des exceptions aux dispositions
13 à 16 du règlement 1408/71. Ces accords peuvent être rétroactifs, « l’esprit et le système
de l’article 17 exigeant qu’un accord au sens de cette disposition puissent couvrir
également, dans l’intérêt du travailleur concerné, des périodes déjà écoulées »264.
En toute hypothèse, les règles de coordination spatiales tiennent compte de l’intérêt des
travailleurs pour la fixation de la législation applicable. Le système de coordination ne
saurait devenir efficace si le travailleur perdait le droit ou le bénéfice de prestations
acquises ou en cours d’acquisition au titre de la législation de plusieurs Etats membres.
C’est pourquoi le règlement 1408/71 prévoit pour l’ensemble des prestations sociales, des
règles temporelles de coordination des législations.
§2. La coordination dans le temps par les
mécanismes de conservation des droits acquis ou
en cours d’acquisition
L’acquisition des droits aux prestations de sécurité sociale présente un caractère
progressif265. Le droit communautaire de la sécurité sociale doit permettre au travailleur de
conserver le bénéfice de prestations sociales acquises dans un Etat membre, mais dont le
versement est empêché par la résidence dans un autre pays266. Le règlement prévoit dans ce
cas des mécanismes de conservation des droits acquis (A). Le problème de la conservation
des droits en cours d’acquisition doit être résolu par l’addition ou la combinaison des
périodes d’activité et de cotisations accomplies successivement dans plusieurs Etats
membres267. En d’autres termes, il s’agit du mécanisme de la totalisation des périodes (B).
264
CJCE, 29 juin 1995, Van Gestel, aff. C-454/93, Rec., p. I-1707 ; CJCE, 17 mai 1984, Brusse, aff. 101/83,
Rec., p. 2223.
265
RODIERE (P.), Droit social de l’Union européenne, 2ème édition, Coll. Manuel, Paris : LGDJ, 2002, 668 p.
266
Ibid.
267
Ibid.
91
A. La conservation des droits acquis
La conservation des droits acquis ne s’opère pas de la même manière selon le type de
prestations demandées par l’assuré social. Certaines d’entre elles font l’objet d’une règle
spécifique prévoyant leur exportation (1). La conservation des droits acquis concernant les
autres prestations est régie pour chacune d’elles par des dispositions spécifiques (2).
1) L’exportation des prestations « à long terme268 »
Les prestations exportables au sens du règlement sont énumérées à l’article 10 du
règlement 1408/71. Il s’agit de prestations d’invalidité, de vieillesse ou de survivants, de
rentes d’accident du travail ou de maladie professionnelle et des allocations de décès
acquises au titre de la législation d’un ou de plusieurs Etats membres. La finalité de
l’article 10 § 1 est de favoriser la libre circulation des travailleurs « en protégeant les
intéressés contre les préjudices qui pourraient résulter du transfert de leur résidence d’un
Etat membre à un autre269 ». Il permet aux travailleurs de ne pas être dissuadés d’exercer
leur libre circulation, mettant un frein au principe de territorialité qui entrave de manière
discriminatoire cette liberté. Pour ce faire, l’article 10 pose le principe de la levée des
clauses de résidence270 qui empêche les Etats membre de subordonner l’octroi des
prestations concernées à une condition de résidence, et permet leur exportation hors du
territoire de l’Etat membre de la législation duquel elles relèvent. Ce principe concerne le
versement des prestations et l’acquisition du droit aux prestations, quand bien même le
titulaire n’aurait pas ou plus de résidence dans l’Etat membre concerné271.
Les Etats membres ont entendu réagir contre cette atteinte à leur indépendance
concernant la fixation des conditions d’octroi de leurs prestations. Suite à d’incessants
débats sur la qualification des prestations mixtes telles l’allocation supplémentaire du FNS
ou l’allocation pour adultes handicapés, fut adopté le règlement 1247/92 du 30 avril 1992
268
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck, 2001, p. 111.
269
CJCE, 7 novembre 1973, Smieja, aff. 51/73, Rec., p. 1213 ; CJCE, 10 juin 1982, Camera, aff. 92/81, Rec.,
p. 2213 ; CJCE, 24 février 1987, Giletti, aff. 379, 380, 381/85 et 93/86, Rec., p. 955.
270
Article 10 § 1 du règlement 1408/71 : « A moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les
prestations en espèces d’invalidité, de vieillesse ou des survivants, les rentes d’accident du travail ou de
maladies professionnelles et les allocations de décès acquises au titre de la législation d’un ou de plusieurs
Etats membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression ni
confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d’un Etat membre autre que celui où se trouve
l’institution débitrice ».
92
créant les prestations spéciales à caractère non contributif272. Certaines d’entre elles,
inscrites à l’annexe II bis du règlement 1408/71, font l’objet d’un régime dérogatoire,
puisqu’elles ne peuvent être servies qu’aux résidants des Etats membres débiteurs de ces
prestations273.
Cette inscription des prestations à l’annexe II bis du règlement constituait une sorte de
présomption irréfragable de « non-exportation ». La Cour de justice a réagi contre ces
dispositions restrictives du règlement, explicitant ce qu’il fallait entendre par « prestation
spéciale à caractère non contributif ». Par une interprétation conforme à l’esprit du
règlement 1408/71 qui est d’assurer la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la
Communauté, le juge communautaire a considérablement réduit la portée de cette
exception à la levée des clauses de résidence274. Posant des conditions cumulatives, la
solution montre que pour être une prestation spéciale à caractère non contributif au sens du
règlement, la prestation doit être réellement spéciale et non contributive275. Elle ne doit pas
se rattacher directement ou indirectement à un des risques énumérés à l’article 4 § 1, et ne
doit pas être liée directement ou indirectement à des cotisations. Progressivement, la
jurisprudence libérale de la CJCE va vider de son contenu l’annexe II bis du règlement en
assimilant les prestations qui y figurent, à de la sécurité sociale276. Les liens que présentent
la quasi-totalité des prestations à long terme avec la sécurité sociale ou des cotisations
rendront les prestations exportables, quand bien même celles-ci seraient inscrites dans
l’annexe II bis.
271
CJCE, 24 février 1987, Giletti, aff. 379, 380, 381/85 et 93/86, Rec., p. 955 ; CJCE, 23 octobre 1986, Van
Roosmalen, aff. 300/84, Rec., p. 3097.
272
VERSCHUEREN (H.), « Les prestations spéciales à caractère non contributif et le règlement communautaire
1408/71 », Dr. soc., n° 11, Novembre 1995, p. 921.
273
Article 10 bis du règlement 1408/71 : « Nonobstant les dispositions de l’article 10 et du titre III, les
personnes auxquelles le présent règlement est applicable bénéficient des prestations spéciales en espèce à
caractère non contributif visées à l’article 4 § 2 bis exclusivement sur le territoire de l’Etat membre dans
lequel elles résident et au titre de la législation de cet Etat, pour autant que ces prestations soient mentionnées
à l’annexe II bis. Les prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge ».
274
CJCE, 8 mars 2001, Jauch, aff. C-215/99, Rec., p. 1901 ; CJCE, 31 mai 2001, Leclere, aff. C-43/99, Rec.,
p. 4265.
275
Sur la notion de prestation spéciale à caractère non contributif, voir supra p. 57.
276
KESSLER (F.), « L’exportation des prestations non contributives de sécurité sociale : du nouveau », Dr.
soc., Juillet-Août 2001, p. 751 ; LHERNOULD (J.-P.), « Exportation des prestations sociales non contributives
dans l’espace communautaire : acte III », RJS, Mai 2001, p. 387.
93
Les autres prestations de sécurité sociales non concernées par l’article 10 du règlement
ne sont pas exportables, mais font l’objet de dispositions spécifiques permettant la
conservation des droits acquis par le travailleur.
2) La conservation des droits acquis pour les autres prestations
Le régime applicable aux autres prestations figure dans le titre III du règlement
1408/71. Leur existence est très diverse et variée, ce pourquoi il conviendra de n’en étudier
que les principales, telles les prestations de maladie et de maternité, de chômage et les
prestations familiales.
Le bénéfice des prestations de maladie au sein de l’Union européenne n’est pas
nécessairement subordonné à l’exercice de sa libre circulation par l’intéressé277. Les
personnes qui ne font que séjourner dans un Etat membre autre que l’Etat compétent
reçoivent les prestations de maladie dans les mêmes conditions qu’en matière de résidence.
Les prestations en nature destinées à rembourser les frais engendrés par la maladie ou
l’accident sont servies par l’institution du lieu de séjour ou de résidence, pour le compte de
l’institution compétente et à sa charge. Les prestations en espèce destinées à compenser la
perte de revenus engendrée par l’arrêt de travail obéissent à une différence de régime,
puisqu’elles sont versées par l’institution compétente.
Bien que le droit aux prestations soit ouvert à un cercle large d’assurés, l’article 22 § 1
du règlement impose cependant que soient remplies certaines conditions. Une autorisation
préalable de l’institution compétente est nécessaire pour maintenir les droits acquis en
matière d’assurance maladie sur le territoire d’un autre Etat membre. L’assuré social peut
en être dispensé lorsque son état de santé nécessite immédiatement des prestations au cours
de son séjour dans l’autre Etat membre. L’institution compétente peut refuser le
déplacement de l’intéressé sur un autre Etat membre lorsque ce déplacement est de nature à
compromettre son état de santé ou l’application du traitement médical.
L’autorisation préalable a donné lieu à quelques contestations au regard des objectifs de
libre circulation des marchandises et de libre prestation de services278. Dans ces espèces,
l’institution compétente avait refusé de rembourser une paire de lunettes achetée dans un
277
MAVRIDIS (P.), « Prestations de maladie et de maternité », in Commission des Communautés européennes,
Sécurité sociale des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, Europe sociale, numéro
spécial, 3/92, p. 32 et s.
278
CJCE, 28 avril 1998, Kholl et Decker, aff. C-158/96 et C-120/95, Rec., p. 1931 et 1831 ; MAVRIDIS (P.),
« Une libération des soins de santé ? », Dr. soc., Février 1999, p. 172.
94
autre Etat membre que l’Etat compétent à défaut d’autorisation préalable, et refusé de
rembourser des soins d’orthodontie considérés par cette institution comme non urgents.
Selon la Cour de justice, l’autorisation requise aux fins de la prise en charge par l’Etat
d’affiliation constitue une entrave à la libre circulation des marchandises et à la libre
prestation de services, car la réglementation en cause dissuade les intéressés d’acheter des
produits médicaux ou de recourir à des prestations de service dans un autre Etat
membre279. Cette remise en cause de la validité de l’autorisation préalable a été confirmée
par l’arrêt Van Braeckel280, les Etats membres n’étant pas parvenus à faire valoir des
raisons impérieuses d’intérêt général telles que l’atteinte grave à l’équilibre du système
financier de sécurité sociale.
Le service des prestations de chômage est encore fortement dominé par le principe de
territorialité car celles-ci ne sont pas exportables. Cette circonstance s’avère dissuasive
pour le travailleur souhaitant retourner dans son pays d’origine ou le quitter pour élargir sa
recherche d’emploi281. Toutefois, le règlement prévoit que le chômeur à la recherche d’un
emploi dans un Etat membre autre que l’Etat compétent a droit au maintien de ses
prestations pendant une durée de trois mois282, s’il demeure sur l’Etat dans lequel sont
effectuées les recherches. Si l’intéressé retourne dans son pays d’origine à l’expiration de
ce délai, il perdra tout droit aux prestations. Enfin, s’il demeure sur le territoire de l’Etat
d’accueil, mais ne prouve pas qu’il a de véritables chances d’être engagé, le chômeur sera
éloigné du territoire d’accueil à l’issue d’une durée de six mois.
Compte tenu de la conjoncture économique actuelle, certains considèrent que malgré les
règles instaurées en vue de faciliter la recherche d’emploi, ces mesures ne sont plus
adaptées pour les chômeurs. La crise du marché de l’emploi et l’accroissement
considérable du nombre des demandeurs d’emploi ces dernières années, rendent les délais
de recherche de travail très longs. Les délais prévus par le règlement ne permettent pas au
chômeur de trouver un emploi. Au contraire, à l’issue de ceux-ci, l’intéressé se verra retirer
ses prestations, ou contraint de retourner dans son pays d’origine. Il n’est donc pas très
279
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck, 2001, p. 121.
280
CJCE, 12 juillet 2001, Van Braeckel, aff. C-368/98, non publié ; LHERNOULD (J.-P.), KESSLER (F.), « La
prise en charge des soins programmés dans l’espace communautaire », RJS, 10/01, p. 751.
281
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck, 2001, p. 121.
282
Article 69 du règlement 1408/71 ; CJCE, 16 mai 1991, Van Norden, aff. C-272/90, Rec., p. I-2543.
95
pertinent de dire à l’heure actuelle qu’il existe une libre circulation des chômeurs à
l’intérieur de la Communauté283.
Enfin, les prestations familiales, destinées à compenser des charges de famille, sont
servies au travailleur salarié ou non salarié soumis à la législation d’un Etat membre pour
les membres de sa famille qui résident dans un autre Etat membre, conformément à la
législation du premier Etat, comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci284. La Cour
considère que « aussi longtemps que le travailleur reste soumis à la législation sociale d’un
Etat membre, il a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d’un
autre Etat membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier Etat,
comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci285 ». Imposer une condition de résidence
pour les enfants et la famille du travailleur constitue une discrimination indirecte sur la
nationalité.
L’ancien article 73 § 2 du règlement 1408/71 prévoyait un régime spécifique pour les
travailleurs salariés occupés en France. Les prestations familiales pour les enfants résidant
sur le territoire d’un autre Etat membre étaient versées à la charge de la France, mais selon
la législation de l’Etat de résidence des enfants. Cet article constituait une discrimination
déguisée en fonction de la nationalité, contraire à l’article 39 § 2 du traité CE. Il fut
invalidé par la Cour de justice en 1986286.
Dans le domaine de la conservation des droits acquis, l’interdiction des discriminations
se manifeste comme un instrument indispensable au service de la libre circulation des
travailleurs. Instrument de facilitation de la mobilité intracommunautaire, ce principe sert
également de limite au cumul injustifié de certaines prestations dans le cadre de la
conservation des droits en cours d’acquisition.
B. La conservation des droits en cours d’acquisition et la
totalisation des périodes
283
MAVRIDIS (P.), « Y a-t-il une libre circulation des chômeurs ? », Dr. soc., n° 5, Mai 1998, p. 472.
284
Article 73 du règlement 1408/71.
285
CJCE, 14 mars 1989, Baldi, aff. 1/88, Rec., p. 667 ; obs. CHENILLET (P.), RD Sanit. Soc., 1989, p. 551.
286
CJCE, 15 janvier 1986, Pinna, aff. 41/84, Rec., p. 1.
96
Le bénéfice de certaines prestations de sécurité sociale peut être subordonné à
l’accomplissement de périodes d’emploi, d’assurance ou de résidence287. L’article 42 a) du
traité CE dispose que doit être institué un système permettant d’assurer aux travailleurs
migrants et à leurs ayants droit « la totalisation, pour l’ouverture et le maintien du droit aux
prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes les périodes prises en
considération par les différentes législations nationales ». La règle de la totalisation vise à
garantir à une personne qui a travaillé dans un Etat membre, la prise en considération de
cette période dans le pays où elle se rend pour l’ouverture d’un droit à prestation de
sécurité sociale288.
L’institution compétente doit tenir compte des périodes d’affiliation sous la législation
d’un autre Etat membre, comme s’il s’agissait de périodes accomplies par l’assuré sous la
législation qu’elle applique289. Cette technique vaut tant pour l’ouverture du droit aux
prestations de sécurité sociale que pour le calcul de celles-ci, et doit s’exercer sans
discrimination à l’égard des autres travailleurs, en raison de l’exercice de son droit de libre
circulation290. Cependant, les dispositions sur la totalisation ne règlent pas la question
préalable de l’affiliation à un régime national, chaque Etat membre demeurant compétent
pour fixer les conditions d’affiliation291 dans la limite du respect de l’égalité de traitement.
La compétence nationale demeure également, sous les mêmes conditions, en matière de
définition des notions de périodes de cotisation ou d’emploi.
Concernant le calcul des prestations, celui-ci engendre l’application d’un mécanisme
corollaire à la totalisation qui est la « proratisation ». Lorsqu’une personne a été soumise à
la législation de plusieurs Etats membres, il ne reçoit pas dans l’Etat concerné une
prestation complète, comme s’il y avait exercé toutes les périodes. Il ne reçoit de cet Etat
qu’une part de la prestation nationale, proportionnellement à la période que le travailleur y
a accomplie292. La prestation versée est dite « proratisée ». Cette répartition prorata
287
Tous les régimes ne sont pas visés par la totalisation. Le droit aux prestations d’accident du travail et de
maladie professionnelle, ne sont pas fonction de la durée d’assurance ou d’emploi.
288
CJCE, 26 octobre 1995, Moscato, aff. C-481/93, Rec., p. I-3537 ; Klaus, aff. C-482/ 93, Rec., p. I-3560.
289
Ibid.
290
CJCE, 13 juillet 1966, Hagenbeck, aff. 4/66, Rec., p. 625.
291
CJCE, 12 juillet 1979, Brunori, aff. 266/78, Rec., p. 2705.
292
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université,
2001, p. 136 et s.
97
temporis entre l’institution débitrice et l’institution qui avait perçu antérieurement des
cotisations du migrant nécessite une collaboration entre les différentes institutions
nationales293, telles que le centre de sécurité sociale des travailleurs migrants pour la
France.
La règle communautaire complète le droit interne. La coordination en matière de
conservation des droits en cours d’acquisition présente un caractère supplétif. La Cour de
justice a en effet précisé, conformément au règlement 1408/71, que « la proratisation ne
joue que lorsque la législation nationale n’octroie pas de pension autonome, quand par
exemple l’activité passée sur le territoire est insuffisante pour obtenir un droit à pension ».
La coordination n’intervient donc qu’en cas de nécessité, « car il subsiste des régimes
distincts engendrant des créances distinctes à l’égard d’institutions distinctes294 ». Si le
recours à la totalisation est inutile parce que l’intéressé peut recevoir des prestations en
vertu d’une seule législation nationale, c’est cette dernière qui sera appliquée295. Le
travailleur recevra une prestation dite « autonome ».
Concernant les règles de calcul, le mécanisme de la proratisation a fait l’objet de la
censure jurisprudentielle, suivie d’une modification textuelle. En matière de totalisation, la
coordination des législations est dominée par le principe de l’intangibilité des droits acquis.
La subsistance des législations nationales ne peut permettre au législateur communautaire
de priver les travailleurs migrants de droits qui leur sont reconnus par la loi nationale296.
Conformément aux objectifs du règlement 1408/71, les travailleurs ne doivent pas perdre
de droits à des prestations de sécurité sociale, ni subir une réduction de leur montant du fait
qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation que leur confère le traité297.
Le recours à la proratisation engendre un double calcul. Dans un premier temps est
déterminé le montant théorique de la prestation si toutes les périodes avaient été
accomplies sur le même Etat membre. Sur cette base est calculé le montant des prestations
293
LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis,
Paris : Dalloz, 1993, p. 244 et s.
294
CJCE, 5 juillet 1967, Ciechelski, aff. 1-67, Rec., p. 239 ; De Moor, aff. 2-67, Rec., p. 255.
295
CJCE, 15 juillet 1964, Van der Veen, aff. 100/63, Rec., p. 1105 ; CJCE, 9 juin 1964, Nonnenmacher, aff.
92/63, Rec., p.557.
296
VAN RAEPENBUSCH (S.), « La jurisprudence communautaire en matière de règles anti-cumul de sécurité
sociale », Cah. dr. eur., 1985, p. 286.
297
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université,
2001, p. 136 et s.
98
proportionnellement à la durée des périodes sous la législation appliquée, par rapport à la
durée totale des périodes accomplies dans les différents Etats298. En cas de dépassement
du montant théorique obtenu par la prise en compte d’une seule législation, le système
antérieur à l’adoption du règlement 1248/92299 prévoyait en son article 46 § 3 la règle de
« l’écrêtement ». La somme de toutes les prestations autonomes et proratisées dont pouvait
bénéficier le travailleur migrant, ne pouvait dépasser le montant théorique atteint si toutes
les périodes avaient été accomplies dans un même Etat membre.
La jurisprudence a apporté une correction à cette règle, sur le fondement du principe
d’intangibilité des droits acquis. Elle considère que ce système de plafonnement est
incompatible avec l’article 42 CE, « dans la mesure où il impose une limitation du cumul
des deux prestations acquises dans différents Etats membres, par une diminution du
montant d’une prestation acquise en vertu de la seule législation nationale300 ». Cette
affaire Petroni et les confirmations jurisprudentielles qui suivirent301 donnèrent lieu à
modification de l’article 46 § 3 du règlement 1408/71. Désormais, en cas de dépassement
du montant théorique, la prestation la plus élevée est versée au travailleur. Certains auteurs
y voient une discrimination à rebours ainsi qu’une inégalité entre les travailleurs migrants
eux-mêmes302. Mais la cour considère que dans ces espèces ont été traitées différemment
des situations qui n’étaient pas comparables. La disposition litigieuse est ainsi conforme à
l’objectif poursuivi par le règlement. Elle ne fait toutefois pas obstacle à l’insertion de
clauses anti-cumul nationales.
L’unicité de la législation applicable tend à diminuer les cumuls des prestations. Mais
ces derniers demeurent inévitables compte tenu de la disparité des régimes de sécurité
298
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université,
2001, p. 136 et s.
299
Règlement CEE n° 1247/92 du conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement 1408/71 relatif à
l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux
membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 136 du 19 mai 1992.
300
CJCE, 21 octobre 1975, Petroni, aff. 24/75, Rec., p. 1149, concl. WARNER.
301
CJCE, 3 février 1977, Strehl, aff. 62/76, Rec., p. 211 ; CJCE, 12 juin 1980, Laterza, aff. 733/79, Rec., p.
1915 ; CJCE, 9 juillet 1980, Gravina, aff. 807/79, Rec., p. 2215 ; CJCE, 19 février 1981, Beeck, aff. 104/80,
Rec., p. 503.
302
LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis,
Paris : Dalloz, 1993, p. 244 et s.
99
sociale que ne peut éliminer, pour diverses raisons, la coordination des législations303. Des
clauses nationales visent à éviter les cumuls injustifiés entre des prestations de même
nature, c'est-à-dire qui ont un objet, une finalité, une base de calcul et des conditions
d’octroi identiques. Ces clauses anti-cumul nationales ne sont prises en compte que
lorsqu’une prestation est due en vertu de la législation d’un seul Etat membre. En cas
d’application des règles communautaires de proratisation, ne seront appliquées que les
dispositions de l’article 46 § 3 qui pose lui-même les modalités de calcul304. Dans tous les
cas, le travailleur ne peut recevoir un montant inférieur à celui de la prestation minimale
fixée par une législation nationale, sans que cela engendre une discrimination en raison de
la nationalité.
Le règlement 1408/71 met en exergue la fonction instrumentale du principe d’égalité de
traitement. D’une part, il figure expressément à l’article 3 du règlement dont le but est de
faciliter la mobilité intra communautaire. D’autre part il est au centre des règles de
coordination qui ne peuvent, sans son respect, recevoir d’application efficace et satisfaire
aux objectifs poursuivis. Ce principe évolutif s’est adapté aux exigences du droit
communautaire et à la généralisation progressive des prestations sociales. Dans le cadre du
règlement 1408/71, l’égalité demeure au service de la libre circulation des personnes.
Appliqué à d’autres domaines de la protection sociale, ce principe manifeste son
caractère évolutif, s’émancipant progressivement des libertés économiques pour devenir un
objectif à part entière, fondement nouveau de la politique sociale, droit fondamental de la
personne humaine.
303
VAN RAEPENBUSCH (S.), « La jurisprudence communautaire en matière de règles anti-cumul de sécurité
sociale », Cah. dr. eur., 1985, p. 286.
304
VAN RAEPENBUSCH (S.), La sécurité sociale des travailleurs européens, Principes directeurs et grands
arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes, 1ère édition, Bruxelles : De Boeck Université,
2001, p. 136 et s.
100
CHAPITRE II. L’EGALITE ENVISAGEE COMME
DROIT FONDAMENTAL DE LA PERSONNE
HUMAINE
La protection sociale du travailleur migrant ne se limite pas aux dispositions du
règlement 1408/71. Les prestations de base offertes par les régimes légaux de sécurité
sociale sont octroyées selon des règles destinées expressément à faciliter la mobilité intra
communautaire des travailleurs. Le principe d’égalité qui concourait à la réalisation de la
libre circulation des travailleurs trouve son expression dans une autre forme de protection
sociale, les avantages sociaux.
Les objectifs poursuivis par l’Union européenne ont connu des mutations importantes,
dont le témoignage le plus remarquable réside dans la reconnaissance par le traité de
Maastricht, de la citoyenneté européenne. Le développement de cette notion est la
manifestation du dépassement de la dimension économique de la libre circulation des
travailleurs, auquel la Cour de justice a contribué par l’application du principe d’égalité.
Plus encore, le juge communautaire a fondé ses décisions sur ce principe dans des
domaines étrangers à la relation de travail. Cela renforce l’idée selon laquelle la nondiscrimination s’est émancipée de la libre circulation des travailleurs pour devenir un
objectif à part entière fondé sur le respect de la dignité des personnes.
La transformation du principe de non-discrimination en droit fondamental de la
personne humaine a connu un premier écho dans le domaine des avantages sociaux
(Section 1), et une confirmation en matière d’égalité entre les hommes et les femmes dans
les régimes de sécurité sociale (Section 2).
SECTION I. LES TRANSFORMATIONS DU PRINCIPE
D’EGALITE A TRAVERS LES AVANTAGES SOCIAUX
Les avantages sociaux constituent des vecteurs d’intégration des ressortissants
communautaire dans un Etat membre donné. Leur octroi permet au travailleur et aux
membres de sa famille de se déplacer à l’intérieur de la Communauté et de bénéficier
d’une protection sociale suffisante, dans les mêmes conditions que les travailleurs
101
nationaux. Mais les prestations versées au titre du règlement 1612/68 répondent
fréquemment à une logique d’assistance, raison pour laquelle elles restent exclues des
règles de coordination du règlement 1408/71.
L’importance de ses avantages ne doit cependant pas être négligée. Les Etats membres
tendent à l’heure actuelle à développer considérablement les prestations d’aide sociale, à
destination de leurs ressortissants se trouvant dans le besoin. Le principe d’égalité impose
que ces prestations soient versées dans les mêmes conditions aux travailleurs
communautaires. Les Etats membres, tenus au respect de l’interdiction des discriminations
en raison de la nationalité, ne peuvent édicter de législation prévoyant des conditions
défavorables pour ceux qui se déplacent.
L’interprétation libérale de la jurisprudence en matière d’avantage social a collaboré à
une véritable mutation du principe d’égalité. Plus qu’un élément d’équilibre entre les
intérêts nationaux et communautaires, l’égalité favorisée par le concept de citoyenneté de
l’Union, a fortement contribué à la libéralisation des avantages sociaux (§ 1er). Ce principe
tend en outre à être invoquée directement dans des domaines autres que la libre circulation
des travailleurs. Progressivement conçue comme un fondement à part entière de la
politique sociale européenne, l’égalité fonctionne de manière émancipée par rapport aux
objectifs initiaux (§ 2).
§1 e r . L’égalité, facteur
avantages sociaux
de
libéralisation
des
L’égalité de traitement en matière d’avantages sociaux est subordonnée à la satisfaction
des exigences posées par la libre circulation des travailleurs. L’intéressé doit répondre à
des conditions de ressources, en sorte qu’il ne devienne pas une charge pour l’Etat membre
d’accueil. Il doit entrer dans le champ d’application personnel du règlement 1612/68, c'està-dire présenter la qualité de travailleur au sens du même règlement, et exercer son droit de
circulation au sein de la Communauté. Les avantages sociaux constituant un vecteur
d’intégration dans les Etats membres de la Communauté305. Celui qui les réclame est
souvent soumis à une condition de résidence dans l’Etat débiteur. Les exigences de la libre
circulation des travailleurs ont évolué, entraînant un assouplissement des conditions
d’octroi des avantages sociaux. La résidence sur le territoire de l’Etat membre débiteur,
nécessitée par l’idée d’intégration dans le pays d’accueil, a cependant été considérée
305
LHERNOULD (J.-P.), « Avantages sociaux et égalité de traitement », Dr. soc., Novembre 1999, p. 938.
102
comme discriminatoire à l’égard des travailleurs migrants (A). Les conditions de ressource
et d’exercice du droit de circuler au sein de la Communauté se révèlent progressivement
incompatibles avec l’égalité entendue comme protection des citoyens de l’Union (B).
A. L’égalité et l’intégration dans les Etats membres de la
Communauté
A titre de rappel, certains avantages sociaux répondent à une logique d’assistance,
échappant ainsi à l’application des règles de coordination et relevant des seules politiques
nationales. Ainsi les Etats membres semblent-ils libres de subordonner le versement de ces
avantages à une obligation de résidence du demandeur sur leur territoire. Pour refuser
l’octroi de ces prestations aux personnes ne résidant pas sur le territoire national, les Etats
membres justifient leur position par le fait que les avantages sociaux sont versés en
fonction d’un environnement économique et social précis, et que le critère de besoin est
relatif, selon le pays où demeure le demandeur. De plus, les avantages sociaux conçus
comme vecteur d’intégration dans le pays d’accueil nécessitent, selon une première
position de la jurisprudence, la résidence du travailleur dans l’Etat d’emploi à qui il
réclame l’avantage306.
Or, comme le souligne la doctrine, l’article 7 § 2 du règlement 1612/68, ne pose pas
expressément de condition de résidence dans l’Etat d’emploi pour faire bénéficier le
travailleur des avantages sociaux307. Selon cet article, le travailleur d’un Etat membre
« bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ». En
outre, la Cour de justice définit constamment l’avantage social comme celui qui est
reconnu en raison de la qualité objective du travailleur, ou du simple fait de la résidence
sur le territoire national308.
La seule qualité objective de travailleur devrait suffire à l’application de l’article 7 § 2,
la libre circulation impliquant par ailleurs le droit de se déplacer librement à l’intérieur de
la Communauté pour exercer une activité salariée, quel que soit le lieu de résidence309.
C’est la position adoptée par la Cour de justice qui ne prend en compte que la qualité de
306
CJCE, 27 mars 1985, Hoeckx, aff. 249/83, Rec., p. 973.
307
LHERNOULD (J.-P.), « Avantages sociaux et égalité de traitement », Dr. soc., Novembre 1999, p. 938.
308
CJCE, 31 mai 1979, Even, aff. 207/78, Rec., p. 2019.
309
Premier considérant et article 1er du règlement 1612/68.
103
travailleur, indépendamment de tout critère de résidence de l’intéressé310. Elle considère
que subordonner l’octroi d’un avantage social à la résidence du travailleur dans l’Etat
d’emploi constitue une discrimination fondée sur la nationalité contraire au droit
communautaire. Cette condition représente une discrimination indirecte, dans la mesure
où, bien que demandée à l’ensemble des travailleurs, nationaux ou non, elle reste plus
difficile à accomplir par les ressortissants d’autres Etats membres. Le but d’intégration
poursuivi par les avantages sociaux est une cause insuffisante à justifier une obligation de
résidence imposée par les Etats membres. Il engendre en outre, la nécessité d’admettre les
membres de la famille au bénéfice de l’article 7 § 2.
Une personne ne peut prétendre à une intégration complète dans le pays d’accueil si des
restrictions sont apportées aux membres de sa famille. Même si le règlement 1612/68 n’y
fait pas référence au titre de l’article 7 § 2, la jurisprudence communautaire considère
qu’ils bénéficient des avantages sociaux aux mêmes conditions que pour les nationaux311.
Les prestations servies aux membres de la famille sont considérées comme avantages pour
le travailleur lui-même. Leur octroi ne peut être subordonné à une condition de résidence si
elle ne l’est pas pour les ressortissants de l’Etat membre concerné. Dans le cas où une telle
clause est imposée nonobstant la nationalité du travailleur, l’on peut douter de sa validité à
l’égard du principe d’égalité de traitement, cette condition se révélant ici encore, plus
difficile à remplir pour le travailleur migrant et sa famille312.
La condition de résidence, facteur d’intégration dans le pays membre d’accueil, est
jugée discriminatoire au regard de l’article 7 § 2 interprété largement par la jurisprudence.
Cette solution a pour effet de libéraliser l’octroi des avantages sociaux aux travailleurs et
aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté. L’égalité de
traitement se manifeste à l’égard des autres conditions d’octroi, en tant que moyen de
protection des citoyens de l’Union.
310
CJCE, 27 novembre 1997, Meints, aff. C-57/96, Rec., p. I-6689 ; CJCE, 8 juin 1999, Meeusen, aff. C337/97.
311
CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085 ; CJCE, 16 décembre 1976, Inzirillo, aff.
63/76, Rec., p. 2057 ; CJCE, 11 avril 1973, Michel, aff. 76/72, Rec., p. 462.
312
LHERNOULD (J.-P.), « Avantages sociaux et égalité de traitement », Dr. soc., Novembre 1999, p. 938 ;
CJCE, 26 février 1992, Bernini, aff. C-3/90, Rec., p. I-1071.
104
B. L’égalité en tant que protection des citoyens de l’Union
La notion de citoyenneté de l’Union tend à remettre progressivement en cause les
exigences de la libre circulation des travailleurs dans la Communauté. L’interprétation
jurisprudentielle de l’égalité de traitement contribue à la protection du citoyen européen vu
en tant que tel, entraînant un assouplissement sensible des conditions d’octroi des
avantages sociaux.
L’égalité intervient directement dans les conditions de vie des citoyens et non plus dans
un contexte purement économique. Certains auteurs soulignent que « le principe d’égalité
contribue de façon importante à l’Europe des citoyens car au-delà de l’objectif économique
d’une intégration du marché aussi complète que possible, la Communauté entend
également conférer à ses citoyens, par le truchement des règles juridiques dont elle s’est
dotée, la protection de droits qui n’ont plus guère de rapport avec l’activité
économique313 ». Un relâchement du lien avec les conditions économiques s’était déjà fait
ressentir lors de l’adoption de la directive 90/364 relative au droit de séjour des inactifs.
Cette distance s’accroît davantage avec la reconnaissance du droit de séjour à l’ensemble
des citoyens de l’union et non plus uniquement aux travailleurs ressortissants
communautaires. La jouissance des droits ainsi conférés, se rapporte désormais à un
concept politique314. En matière d’avantages sociaux, la Cour de justice consacre ce point
de vue en déclarant que la citoyenneté de l’Union entraîne la reconnaissance du droit à
l’égalité de bénéficier des avantages sociaux pour tous les ressortissants communautaires
qui résident légalement sur le territoire d’autres Etats membres315. Se fonder sur cette
notion de citoyenneté engendre des conséquences considérables sur les exigences relatives
au statut de travailleur, aux conditions de ressources et à l’exercice du droit de circulation.
Le droit de séjour comme les droits qui en découlent, est à l’origine subordonné à la
condition d’avoir des moyens suffisants d’existence. Les personnes souhaitant séjourner
dans un Etat membre ne doivent pas constituer une charge pour l’assistance du pays
d’accueil. Ils ne peuvent donc prétendre à des avantages dépendant de leur état de besoin.
313
LENAERTS (K.), « L’égalité de traitement en droit communautaire, un principe unique aux apparences
multiples », Cah. Dr. Eur., 1991, p. 3.
314
CHRISTOPHE TCHALAKOFF (M.-F.), « Le principe de non-discrimination », in SUDRE (F.), LABAYLE (H.)
(dir.), Réalités et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Coll. Droit et justice,
Bruxelles : Bruylant, 2000, 531 p., pp. 187 et s.
315
CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691.
105
Cette condition demeure cependant relative. A partir du moment où le bénéficiaire exerce
une activité rémunérée, le fait de demander un complément de ressources en recourrant à
l’assistance ne peut plus constituer un motif de retrait du droit de séjour316. Le travailleur
migrant et les membres de sa famille ne peuvent se voir refuser des allocations sous
condition de ressource par l’Etat membre où le bénéficiaire exerce son activité.
Au départ, le droit de libre circulation des personnes était réservé aux acteurs du marché
économique. Puis le traité de Maastricht a marqué un tournant dans la conception de la
libre circulation, par l’insertion de l’article [18] CE selon lequel « Tout citoyen de l'Union
a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres… ». L’on
peut désormais se demander si le Marché intérieur, émancipé en partie de sa dimension
économique, peut devenir une réalité pour les personnes les plus défavorisées317. Dès lors,
est-il concevable de verser des prestations d’assistance à des citoyens dans le besoin
séjournant dans un autre Etat membre aux mêmes conditions que les nationaux ?
La Cour de justice nous fournit une réponse positive fondée sur le concept de
citoyenneté européenne318. Pour dénoncer les différences entre les étudiants nationaux et
étrangers, relativement à l’attribution de revenus minimum, elle rappelle que « Un citoyen
de l'Union qui réside légalement sur le territoire de l’Etat membre d’accueil peut se
prévaloir de l’article [12] du traité CE dans toutes les situations relevant du domaine
d’application ratione materiae du droit communautaire ». Le requérant s’était vu refuser
des autorités belges le versement du « minimex ». L’intéressé ne remplissait pas la qualité
de travailleur et n’était pas considéré par l’Etat belge comme résidant légalement sur le
territoire, en raison de la situation de besoin à l’origine de sa demande. La Cour, en plus
d’assimiler le simple séjour de l’étudiant à la résidence légale, se fonde sur le principe de
non-discrimination entre les citoyens de l’union pour admettre le versement d’une
prestation sous condition de ressources à son égard.
Le requérant peut donc prétendre au bénéfice de cet avantage social dans les mêmes
conditions que les nationaux, conformément à l’article 7 § 2. L’Etat membre ne peut
imposer des conditions supplémentaires aux étrangers. La condition d’entrer dans le champ
des bénéficiaires des avantages ne peut pas être demandée aux étrangers si elle n’est pas
316
CJCE, 3 juin 1986, Kempf, aff. 139/85, Rec., p. 1741.
317
VERSCHUERNEN (H.), « Libre circulation des personnes et protection sociale minimale », RMUE, 2-1996,
p. 95.
318
CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyk, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, Décembre 2001, p. 1103, chron.
LHERNOULD (J.-P.).
106
exigée des nationaux. Cela revient à dire que la qualité de travailleur ne peut être requise
des citoyens européens si elle ne l’est des ressortissants du pays concerné.
Cette reconnaissance du droit aux avantages sociaux comme droits individuels, participe
à l’institution d’une « société européenne plus humaine319 ». La conception de l’égalité de
traitement en matière de libre circulation n’est plus fondée uniquement sur des
considérations économiques, mais également sur des impératifs de liberté et de dignité320.
Le développement de la citoyenneté européenne a largement contribué à la libéralisation
des avantages sociaux, par le dépassement de la dimension économique de la libre
circulation des travailleurs et la prise en compte du principe d’égalité, protecteur de la
liberté et de la dignité. L’égalité tend à déborder le champ des articles 39 à 42 CE et à
devenir un fondement de la politique sociale de l’Union321, au même titre que l’est la libre
circulation des travailleurs. On assiste à une certaine émancipation du principe d’égalité.
§2. L’émancipation du principe d’égalité
Le champ d’application matériel du principe d’égalité de traitement en matière de
protection sociale s’est souvent rapproché de celui des dispositions relatives à la libre
circulation des travailleurs. L’égal octroi des avantages sociaux a longtemps supposé que
leurs bénéficiaires présentent la qualité de travailleur ou disposent de revenus suffisants
pour subvenir à leurs besoins. La transformation des exigences de la libre circulation a
engendré une mutation du principe d’égalité entendu davantage comme instrument de
protection de la liberté et de la dignité.
Bénéficier d’une protection sociale adéquate nécessite que soient prises en compte des
situations dépassant le seul cadre de la libre circulation des travailleurs. Les avantages
sociaux et le principe d’égalité qui conditionne leurs conditions d’octroi interviennent audelà des rapports de travail proprement dits322, pour intégrer des domaines périphériques
(A). Dans sa démarche d’extension de la protection sociale, la Cour de justice contribue à
319
MATTERA (A.), « La libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté européenne »,
RMUE, 4/1993, p. 47.
320
Ibid.
321
BONNECHERE (M.), « La libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne », Dr. Ouvrier, Août
1995, p. 319.
322
LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis,
Paris : Dalloz, 1993, p. 217 et s.
107
l’émancipation de l’égalité de traitement, en se référant parfois directement au principe
général d’égalité mentionné à l’article 12 du traité CE (B).
A. L’application du principe à des domaines périphériques à la
relation de travail
La Cour de justice a étendu le champ d’application matériel de l’égalité de traitement à
des domaines périphériques à la relation de travail323, ce qui renforce l’intégration
communautaire des personnes324. Toute une série de dispositions étrangères à la relation de
travail proprement dite se trouve intégrée au titre des avantages sociaux dans l’article 7 du
règlement 1612/68, pour le travailleur lui-même et pour les membres de sa famille325.
Le caractère économique s’efface progressivement, permettant la diversification de la
notion d’avantage social à des domaines variés tels que l’enseignement et la formation.
L’article 12 du règlement 1612/68 dispose que « Les enfants d’un ressortissant d’un Etat
membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre Etat membre sont admis aux
cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les
mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ». Cette disposition a permis à la CJCE
d’étendre la notion d’avantages sociaux à ce domaine périphérique. Cela permet une
meilleure intégration du travailleur dans le pays d’accueil, mais également d’atteindre
d’autres objectifs que la libre circulation des travailleurs, tels que la possibilité pour les
enfants du travailleur d’étudier dans de meilleures conditions. Ainsi le juge communautaire
admet l’enfant au bénéfice de tous les avantages prévus par la législation du pays d’accueil
en vue d’encourager la formation326. L’égalité de traitement est employée selon une
conception humaine et non plus économique, pour permettre à l’enfant de suivre ses études
secondaires dans de bonnes conditions.
La jurisprudence est allée plus loin, admettant que l’enfant de parents résidant dans un
pays et dont le père travaille dans un autre Etat, puisse obtenir une bourse d’étude dans les
323
CJCE, 15 octobre 1969, Ugliola, aff. 15/69, Rec., p. 3 ; CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75,
Rec., p. 1085 ; CJCE, 19 janvier 1982, Reina, aff ; 65/81, Rec., p. 33.
324
CHRISTOPHE TCHALAKOFF (M.-F.), « Le principe de non-discrimination », in SUDRE (F.), LABAYLE (H.)
(dir.), Réalités et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Coll. Droit et justice,
Bruxelles : Bruylant, 2000, 531 p., pp. 187 et s.
325
CEREXHE (E.), « L’égalité de traitement dans l’ordre juridique communautaire », in Etudes de droit des
communautés européennes, Mélanges offerts à P.-H. Teitgen, Paris : Pédone, 1984, p. 33.
326
CJCE, 3 juillet 1974, Casagrande, aff. 9/74, Rec., p. 773.
108
mêmes conditions que les nationaux de cet Etat, pour suivre ses études dans son pays
d’origine. Ni le travailleur, ni les membres de la famille ne se trouvaient dans une véritable
situation de libre circulation. Le père, travailleur frontalier, ne résidait pas dans son Etat
d’emploi, et le fils, résidant et poursuivant ses études dans son pays d’origine. La seule
présence d’un élément européen, tel que le statut de travailleur frontalier du père, suffisait
à accorder à son enfant les avantages sociaux du pays d’emploi. L’octroi de ces avantages
n’était donc pas lié à une réelle situation de libre circulation, mais à la seule présence d’un
élément communautaire, et par conséquent à l’intérêt pour l’enfant d’être traité dans les
mêmes conditions que les autres citoyens communautaires.
Certains avantages sociaux ont été spécialement prévus dans un but d’encouragement à
la natalité, se manifestant par l’octroi de prêts sans intérêts à la naissance versés par des
organismes publics de crédit327. La motivation demeure tout autre qu’économique. En
témoignent d’autres décisions en faveur des membres de la famille du travailleur. La Cour
admet en effet le maintien d’une allocation pour adultes handicapés, alors même que son
bénéficiaire ne se trouve plus à la charge du travailleur328. Elle considère que l’avantage ne
saurait prendre fin à la mort du travailleur, alors que les membres de la famille ne
bénéficiaient qu’indirectement, c'est-à-dire par l’intermédiaire de ce travailleur, des
prestations329. Il s’agissait en l’espèce du maintien d’une carte de réduction pour famille
nombreuse sur les transports ferroviaires français, à la veuve d’un travailleur migrant.
Cette prise de position très libérale montre que la Cour de justice entend tirer toutes les
conséquences du principe de non-discrimination dans le domaine social, en prouvant que
« par delà les besoins de la libre circulation des travailleurs, la règle de non-discrimination
représente une valeur en soi dans des domaines où des intérêts humains sont directement
en jeu330 ». En matière d’avantages sociaux, la Cour fait une place de plus en plus
importante à la dimension humaine, se fondant parfois directement sur le principe général
d’égalité inscrit à l’article 12 du traité CE.
327
CJCE, 19 janvier 1982, Reina, aff ; 65/81, Rec., p. 33.
328
Inzirillo, aff. 63/76, Rec., p. 2057 ; CJCE, 11 avril 1973, Michel, aff. 76/72, Rec., p. 462.
329
CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085.
330
PESCATORE (P.), « Les objectifs de la Communauté européenne comme principe d’interprétation dans la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes », in Mélanges G. Van der Meersch,
Tome II, p. 337.
109
B. La référence directe au principe général d’égalité
La notion d’avantage social constitue un complément de protection sociale utile pour les
travailleurs et membres de leur famille. Instaurée par le règlement 1612/68, relatif à la libre
circulation des travailleurs dans la Communauté, elle n’appartient pas systématiquement
aux rapports de travail ou à la sécurité sociale. Elle permet à titre complémentaire ou
subsidiaire d’assurer une meilleure protection sociale, dans des domaines qui ne font
parfois pas de référence expresse à l’interdiction des discriminations.
La Cour de justice cherche dans ces matières à lutter contre les différences de traitement
injustifiées, en se fondant sur l’article 12 CE qui consacre le principe fondamental de non
discrimination331. Cet article énonce : « Dans le domaine d’application du présent traité, et
sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination
exercée en raison de la nationalité ».
L’objectif poursuivi par la Cour ne réside plus exclusivement sur la réalisation de
l’objectif de libre circulation des travailleurs. Parfois, le juge se fonde moins sur
l’interprétation du règlement communautaire lui-même que sur l’examen des situations de
fait, dans le seul but d’éliminer les différences de traitement332. Dans certaines décisions, le
principe de non-discrimination est devenu le fondement de l’interprétation du règlement
1612/68333. Dans l’arrêt Sotgiu334, la Cour érige ce principe en objectif à part entière,
déclarant que « l’article 7 du règlement a pour but l’égalité des travailleurs ressortissants
des Etats membres au regard de toutes les dispositions légales ou conventionnelles qui
déterminent leur situation ». L’on peut donc retenir que le principe général de nondiscrimination de l’article 12 CE peut faire l’objet d’une application directe, lorsqu’une
discrimination fondée sur la nationalité est exercée dans un domaine relevant du champ
d’application du traité mais non visé par une disposition spéciale de celui-ci335.
Le principe d’égalité de traitement s’est transformé, au même titre que les autres droits
fondamentaux, en principe directeur destiné à conduire les pouvoirs publics, les institutions
331
CJCE, 2 février 1989, Cowan, aff. 186/87, Rec., p. 195.
332
CASSAN (H.), « Le principe de non-discrimination dans le domaine social à travers la jurisprudence
récente de la C.J.C.E. », RTD Europe, 1976, p. 259.
333
CJCE, 30 septembre 1975, Cristini, aff. 32/75, Rec., p. 1085 ; CJCE, 3 juillet 1974, Casagrande, aff. 9/74,
Rec., p. 773.
334
CJCE, 12 février 1974, Sotgiu, aff. 152/73, Rec., p. 153.
335
MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE,
4/93, p. 47.
110
communautaires et les Etats membres, en vertu de l’article 12 du traité CE336, invocable
directement par les citoyens de l’Union, dans toutes les situations relevant du domaine
d’application matériel du droit communautaire337.
Reprenant une formulation de Monsieur MATTERA, l’évolution de l’égalité en matière
d’avantages sociaux peut se résumer comme suit : « En consacrant dans son droit social le
principe d’égalité de traitement entre travailleurs nationaux et travailleurs ressortissants des
autres Etats membres, la Communauté a ajouté aux droits du citoyen communautaire un
droit individuel nouveau, accomplissant ainsi un pas décisif vers l’institution d’une
véritable citoyenneté communautaire et la création d’une société européenne plus
humaine338 ».
L’égalité a dépassé le cadre de la libre circulation et des rapports de travail, pour
protéger les personnes entendues comme individus et non plus comme seuls agents
économiques. Ce principe fondamental reposant sur des impératifs de liberté et de dignité
humaine, trouve enfin une application significative en matière d’égalité entre les hommes
et les femmes dans les régimes de sécurité sociale.
SECTION II. L’EGALITE ENTRE LES HOMMES ET LES
FEMMES DANS LES REGIMES DE SECURITE SOCIALE
L’égalité entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale est une étape de
la politique sociale de la Communauté en matière d’égalité salariale.
Le droit communautaire consacre le principe d’égalité des rémunérations à l’article 141
qui énonce que « chaque Etat membre assure l’application du principe de l’égalité des
rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou
un travail de même valeur ». Cet article contraignant pour les Etats membres a été introduit
à la demande de la France dans le traité de Rome, afin d’éviter les distorsions de
concurrence engendrées par le sous paiement de la main-d’œuvre féminine dans certains
336
CHRISTOPHE TCHAKALOFF (M.-F.), « Le principe de non-discrimination », in SUDRE (F.), LABAYLE (H.)
(dir.), Réalités et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Coll. Droit et justice,
Bruxelles : Bruylant, 2000, 531 p., pp. 187 et s.
337
CJCE, 12 mai 1998, Martinez Sala, aff. 85/96, Rec., p. I-2691 ; CJCE, 20 septembre 2001, Grzelczyk, aff.
C-184/99, Dr. soc., n° 12, Décembre 2001, p. 1103.
338
MATTERA (A.), « La libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne », RMUE,
4/93, p. 47.
111
pays339. La logique première est économique, ce pourquoi l’égalité entre hommes et
femmes ne concerne que les rémunérations340. Mais le principe énoncé par le traité de
Rome a évolué vers un concept plus large, donnant lieu à l’adoption de directives qui ont
étendu le champ d’application de l’égalité en matière de rémunérations. La Cour de justice
va déduire de toutes ces dispositions un principe général d’interdiction de toute
discrimination fondée sur le sexe dans les relations de travail et les conséquences de cellesci341, donnant naissance à un droit fondamental autonome (§1er). La coexistence entre ces
normes de droit primaire et de droit dérivé nécessite, pour assurer l’efficacité de ce
principe, une coordination (§2).
§1 e r .
L’émergence
autonome
d’un
droit
fondamental
La transformation du principe d’égalité en un droit fondamental autonome résulte de
l’interprétation des directives relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes et de
l’article 141 du traité CE. Examinons dans un premier temps la portée de l’égalité de
traitement dans les directives relatives à l’égalité de traitement dans les régimes légaux et
professionnels de sécurité sociale (A), puis les raisons qui ont conduit au recours à la
notion de rémunération de l’article 141 (B).
A. La naissance des directives relatives à l’égalité entre les
hommes et les femmes dans les régimes de sécurité sociale
Un programme d’action sociale adopté par le Conseil des Ministres le 21 janvier 1974
tendait à « entreprendre des actions afin d’assurer l’égalité des hommes et des femmes en
ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles ainsi
que les conditions de travail, y compris les rémunérations ». Deux directives consacrent
l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rémunération et dans
339
LAURENT (A.), « Le droit communautaire européen et l’égalité de traitement entre hommes et femmes en
matière de sécurité sociale », RI trav., n° 4, Juillet-Août 1982, p. 399.
340
Sur la notion de rémunération, Voir infra, p. 113.
341
LECLERC (S.), « L’égalité de traitement entre les hommes et les femmes : l’ascension d’un droit social
fondamental », in LECLERC (S.), AKANDJI-KOMBE (J.-F.), REDOR (M.-J.), L’Union européenne et les droits
fondamentaux, Bruxelles : Bruylant, 1999, pp. 197 à 222.
112
l’accès à l’emploi, la formation, la promotion professionnelle et les conditions de travail342.
La seconde visait également à la mise en œuvre de ce principe en matière de sécurité
sociale, ce qui conduit à l’adoption d’une nouvelle directive 79/7/CEE du 19 décembre
1978343 concernant les régimes légaux de sécurité sociale, puis une autre, 86/378
concernant les régimes professionnels de sécurité sociale.
Le principe d’égalité de traitement et des sexes est considéré par la Cour comme faisant
partie des droits fondamentaux de la Communauté344. Il implique l’abolition de toute
discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement, par référence
notamment à l’état matrimonial et familial. Ainsi, toute les notions telles que « chef de
famille » ou « conjoint à charge » qui indiquent un lien de subordination ou de dépendance
économique au sein du ménage sont considérées comme discriminatoires345. La Cour de
justice a en outre défini les discriminations indirectes comme celles, « occultes ou cachées,
qui pourraient résulter en fait, pour le travailleur et un sexe déterminé, de la prise en
considération de l’état matrimonial ou familial pour la détermination des droits couverts
par le champ d’application des directives 76/207 et79/7346 ».
Leur champ d’application personnel est très large, car il concerne les salariés et
indépendants, les malades et accidentés, les chômeurs involontaires à la recherche d’un
emploi, les retraités et les invalides347.
Le champ d’application matériel est cependant très réduit. La directive 79/7/CEE ne
concerne que les régimes légaux ainsi que l’aide sociale qui leur correspond, à l’exclusion
des prestations familiales et celles de survivants. La raison est que rétablir l’égalité entre
les hommes et les femmes dans ces régimes entraînerait des conséquences financières pour
les Etats membres. Ce texte constitue un compromis entre le principe énoncé et les intérêts
342
Directive 75/117/CEE du Conseil du 10 Février 1975 relative à l’égalité des rémunérations, JOCE, n° L
45, du 19 février 1975, p. 19 ; Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à l’égalité dans
l’accès à l’emploi et les conditions de travail, JOCE, n° L 39 du 14 février 1976, p. 40.
343
Directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe
d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de sécurité sociale , JOCE, n° L 6 du 10
janvier 1979, p. 24.
344
CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec., p. 455.
345
QUINTIN (O.), « L’égalité entre hommes femmes : une réalisation spécifique de la politique sociale
communautaire », RMC, 1985, p. 309.
346
CJCE, 31 mars 1981, Jenkins, aff. 96/80, Rec., p. 911.
347
LYON-CAEN (G.), LYON-CAEN (A.), Droit social européen et international, 8ème édition, Coll. Précis,
Paris : Dalloz, 1993, p. 300.
113
nationaux348. De plus, il réserve le droit pour les Etats d’exclure certaines mesures de son
champ d’application, telles que l’âge de départ en retraite ou les majorations pour épouse à
charge349, ce qui a pour effet de restreindre considérablement les effets de l’égalité de
traitement.
Une nouvelle directive a été adoptée en 1986, qui met en œuvre le principe d’égalité de
traitement entre les hommes et les femmes dans les régimes professionnels de sécurité
sociale. Son champ d’application matériel a été calqué sur la liste limitative des régimes
légaux de la précédente directive. L’article 2 définit les régimes professionnels comme
ceux qui ne sont pas régis par la directive 79/7/CEE et qui ont pour objet de fournir aux
travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un
groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou
interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux
de sécurité sociale ou à s’y substituer350. Il s’agit de régimes complémentaires privés
fondés sur des négociations entre employeur, travailleurs et leurs représentants dans les
entreprises ou les branches professionnelles. Mais ne sont en aucun cas concernés les
contrats d’assurance individuels souscrits par les intéressés.
Les nombreuses exceptions autorisées par les directives et les applications qui en ont été
faites par les Etats membres ont poussé certains assurés à se fonder directement sur
l’article 141 et la notion de rémunération pour bénéficier de l’égalité de traitement en
matière de régimes professionnels.
B. Le recours à la notion de rémunération
L’article 141 du traité CE définit la rémunération comme « le salaire ou le traitement
ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou
indirectement, en espèce ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi
de ce dernier ». Les assurés au régime légal et au régime complémentaire ont voulu
contourner les nombreuses exceptions subsistant dans les directives concernées pour
bénéficier du principe d’égalité de traitement. Ils ont cherché à faire qualifier les
prestations de sécurité sociale d’avantages au sens de l’article 141 CE.
348
LAIGRE (P.), « L’application du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes aux
régimes de retraite professionnels », RJS, 1994, p. 803.
349
La liste des exceptions autorisées par la directive 79/7/CEE figure à l’article 7 § 1.
350
LAURENT (A.), « Les CE éliminent des discriminations fondées sur le sexe dans les régimes professionnels
de sécurité sociale », RI trav., 1986, p. 753.
114
L’avantage de cet article est de présenter un caractère contraignant pour les Etats
membres, alors que les directives ne fixent que des objectifs à atteindre, les gouvernements
demeurant libre de choisir quelles prestations seront soumises au principe d’égalité de
traitement. Le champ d’application matériel des directives est beaucoup moins large que la
notion de rémunération au sens du traité CE.
Malgré la qualification de l’égalité de traitement comme droit fondamental du droit
communautaire par la jurisprudence, l’impression est que l’interdiction des discrimination
fondées sur le sexe n’est toujours pas entré parmi les préoccupations premières de l’Union
européenne351. Ce constat peut paraître choquant car les évolutions que connaît la libre
circulation des travailleurs ou les règles de coordination des législations n’ont pas d’écho
en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Mais il démontre aussi que le
principe d’égalité entre les sexes est une réalisation spécifique de la politique sociale
communautaire, indépendante de toute considération économique.
S’appuyant sur les critères de qualification de la rémunération, la Cour de justice a
toujours refusé d’appliquer l’article 141 aux pensions instituées dans le cadre de régimes
légaux de sécurité sociale, car elles ne constituent pas un avantage payé indirectement par
l’employeur au travailleur en raison de son emploi352. Ces pensions sont toujours réglées
par la loi à l’exclusion de tout élément de concertation au sein de l’entreprise ou de la
branche professionnelle, et appliquées à des catégories générales de travailleurs. Elles sont
versées en considération d’une politique sociale à ceux qui réunissent les conditions légales
exigées353. Concernant les régimes légaux de sécurité sociale, il n’a donc pas été possible
de leur appliquer la notion de rémunération au sens de l’article 141 CE, ce qui tend à
compromettre sérieusement l’efficacité de l’interdiction des discriminations en la matière.
En revanche, l’analyse jurisprudentielle des régimes professionnels a débouché sur une
extension du champ d’application de l’article 141 du traité CE. Cela pose le problème de
l’application différenciée de l’égalité de traitement entre les régimes de base et les régimes
professionnels de sécurité sociale et par conséquent, de la coordination des différents textes
mettant en œuvre ce principe.
351
LAIGRE (P.), « Le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes professionnels,
sept ans après l’arrêt Barber », RJS, 1997, p. 242.
352
CJCE, 25 mai 1971, Defrenne I, aff. 80/70, Rec., p. 445
353
Ibid.
115
§2. La coordination des textes relatifs à l’égalité
de traitement
La Cour de justice tente d’harmoniser le principe d’égalité de traitement aux différentes
dispositions qui le mettent en œuvre. Pour ce faire, elle tend à éliminer les exceptions qui
subsistent à cause de la réticence des Etats membres à appliquer de manière égale les
régimes, notamment professionnels de sécurité sociale. Elle procède par l’extension à ces
derniers du champ d’application de l’article 141 du traité CE (A). Cela confirme la place
que le juge communautaire tend à donner au principe d’égalité de traitement dans l’ordre
juridique communautaire (B).
A. L’application de l’article 141 aux régimes professionnels de
sécurité sociale
Les régimes professionnels de retraite ont un champ d’application matériel calqué sur
celui des régimes légaux de sécurité sociale. D’après l’article 141 CE, le principe d’égalité
s’étend au-delà du salaire proprement dit, à « tous autres avantages, payés directement ou
indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de
l’emploi de ce dernier ».
Quelques mois avant l’adoption de la directive 378/86, la jurisprudence a entendu
donner une interprétation large de cet article, admettant que les prestations servies au titre
d’un régime professionnel étaient des rémunérations au sens de l’article 141 du traité
CE354. Une salariée travaillant à temps partiel se plaignait d’être exclue du bénéfice du
régime des pensions d’entreprise mis en place par la société. Selon la Cour, le régime de
pensions d’entreprise en cause ne constituait pas un régime de sécurité sociale directement
régi par la loi et que, dès lors, les prestations servies aux employés constituaient un
avantage payé par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier, au sens
de l’article 141 du traité CE355.
Le juge communautaire semble avoir dégagé les critères de distinction entre les régimes
légaux et les régimes professionnels de sécurité sociale pour en déduire une application
différenciée du principe d’égalité de traitement. Le régime professionnel est le produit de
concertations au sein de l’entreprise ou de la branche professionnelle, contrairement au
354
LAURENT (A.), « Les CE éliminent des discriminations fondées sur le sexe dans les régimes professionnels
de sécurité sociale », RI trav., 1986, p. 753.
355
CJCE, 13 mai 1986, Bilka, aff. 170/84, Rec., p. 1607.
116
régime légal qui est directement réglé par la loi. De plus, il a pour objet de compléter les
prestations sociales dues en vertu de la législation nationale par des prestations dont le
financement est supporté uniquement par l’employeur. Enfin, à l’inverse des régimes
légaux, il ne s’applique pas à une généralité de travailleurs. Ainsi selon la Cour, « les
prestations du régime professionnel font partie des avantages que l’employeur propose aux
travailleurs356 » et peut faire l’objet d’une application directe de l’article 141357.
Grâce à l’assimilation des prestations des régimes professionnels à la notion de
rémunération, la Cour est parvenue à réduire considérablement les exceptions au principe
d’égalité de traitement. Mais l’adoption de la directive 378/86 a rétabli la possibilité pour
les Etats membres d’exclure certaines prestations du principe d’égalité de traitement. Le
travailleur se retrouve face à une alternative. Soit il se fonde sur les dispositions de la
directive, auquel cas il prend le risque de voir sa prestation exclue du champ d’application
de l’égalité de traitement. Soit il fait qualifier cette prestation de rémunération, ce qui
engendre l’obligation pour l’Etat concerné de le traiter de manière identique au travailleur
du sexe opposé. Cette alternative risque de faire naître une application à deux vitesses du
principe d’égalité de traitement, à moins que la seule référence à l’article 141 ne conduise à
rendre la directive 378/86 superflue358.
Reprenant une expression utilisée par certains auteurs, « l’article [141] constitue, entre
les mains de la Cour de justice, un moyen de faire avancer la construction communautaire
en matière d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes face aux réticences
exprimées par les Etats membres au travers des exceptions qui figurent dans les directives
qu’ils ont adoptées359 ». Ces réticences peuvent s’expliquer par les conséquences
financières que l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe fait peser sur les
systèmes nationaux de sécurité sociale. La Cour de justice fait fi de ces considérations
économiques, préférant conférer au principe d’égalité de traitement entre les hommes et les
femmes une fonction sociale.
356
CJCE, 17 mai 1990, Barber, aff. 222/91, Rec., p. I-1889.
357
CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec., p. 455.
358
LAURENT (A.), « Les CE éliminent des discriminations fondées sur le sexe dans les régimes professionnels
de sécurité sociale », RI trav., 1986, p. 753.
359
LAIGRE (P.), « L’application du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes aux
régimes de retraite professionnels », RJS, 1994, p. 803.
117
L’extension du champ d’application de l’article 141 du traité CE aux régimes
professionnels de sécurité sociale confirme le changement d’orientation opérée par la
jurisprudence en matière d’égalité avant l’adoption de la première directive relative à
l’égalité dans les régimes légaux de sécurité sociale : « le respect des droits fondamentaux
de la personne humaine fait partie des principes généraux du droit communautaire dont la
Cour a pour mission d’assurer le respect ; qu’on ne saurait mettre en doute le fait que
l’élimination des discriminations fondées sur le sexe fait partie de ces droits
fondamentaux360 ».
Voyons à présent quelles conséquences entraîne cette application différenciée du
principe d’égalité de traitement sur sa portée dans l’ordre juridique communautaire.
B. Les conséquences sur la portée du principe de l’égalité de
traitement dans l’ordre juridique communautaire
Les plus grands progrès de l’égalité de traitement ont été accomplis en matière de
régimes professionnels de sécurité sociale. Ces régimes qui relèvent du secteur privé se
voient appliquer des normes sociales contraignantes, par l’interprétation du principe
d’égalité dans les rémunérations. Il en résulte un conflit d’intérêts entre d’une part, les
Etats membres soucieux de préserver l’équilibre financier de leurs régimes de protection
sociale et d’autre part, la Cour de justice soucieuse d’assurer la pleine efficacité de ce
qu’elle considère aujourd’hui comme un droit social fondamental.
D’importantes exceptions à l’égalité de traitement sont demeurées en matière de
protection sociale361, qu’elles concernent les régimes légaux ou spéciaux. L’application
différenciée du principe de non-discrimination entre les régimes de base et les régimes
professionnels fait naître une différence de niveau de protection préjudiciable aux assurés.
Elle entretient les discriminations sexuelles, notamment en matière de retraite où subsistent
des différences d’âge entre les hommes et les femmes. C’est en cela que l’on peut dire que
l’élaboration de normes en matière d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes,
bien que très avancée, nécessite encore quelques progrès en terme d’efficacité362.
360
CJCE, 15 juin 1978, Defrenne III, aff. 149/77, Rec., p. 1365.
361
LAIGRE (P.), « Le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les régimes professionnels,
sept ans après l’arrêt Barber », RJS, 1997, p. 242.
362
MOREAU-BOURLES (M.-A.), « La jurisprudence européenne en matière d’égalité de traitement entre les
travailleurs masculins et féminins », Dr. soc., n° 7/8, Juillet-Août 1989, p. 541.
118
Les directives présentent au moins l’avantage de pouvoir être invoquées directement par
les particuliers lorsque leurs dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises
pour recevoir une application directe dans les Etats membres.
L’analyse téléologique opérée par la Cour de justice met en évidence la double finalité
économique et sociale du traité CE. Sur le plan économique, « elle permet d’éviter un
déséquilibre dans la compétition intracommunautaire entre les entreprises établies dans les
Etats qui réalisent le principe d’égalité de traitement et celles qui n’ont pas encore éliminé
les discrimination au détriment de la main d’œuvre féminine. Elle conduit sur le plan social
à favoriser l’égalisation des conditions de travail, tout en assurant la dignité des
travailleurs363 ». Pour ce faire, l’égalité de traitement doit devenir un résultat à atteindre et
non plus seulement un moyen de réaliser des objectifs, dont la finalité économique tend
aujourd’hui à laisser la place à une conception humaine et sociale.
L’article 2 du traité CE consacre le principe évolutif d’égalité entre les hommes et les
femmes comme un objectif à part entière de la Communauté, au même titre que la libre
circulation des personnes. La consécration textuelle de ce droit fondamental364 conforte le
point de vue constant de la jurisprudence communautaire365 selon lequel l’égalité de
traitement « relève des objectifs sociaux de la Communauté, celle-ci ne se limitant pas à
une union économique, mais devant assurer en même temps, par une action commune, le
progrès social et poursuivre l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi des
peuples européens, ainsi qu’il est souligné par le préambule du traité ».
363
Ibid.
364
LECLERC (S.), « L’égalité de traitement entre les hommes et les femmes : l’ascension d’un droit social
fondamental », in LECLERC (S.), AKANDJI-KOMBE (J.-F.), REDOR (M.-J.), L’Union européenne et les droits
fondamentaux, Bruxelles : Bruylant, 1999, pp. 197 à 222.
365
CJCE, 8 avril 1976, Defrenne II, aff. 43/75, Rec., p. 455.
119
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Rapports et documents officiels
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des ressortissants des Etats membres de la Communauté, JO, 13 mars 1994.
Directive 75/117/CEE du Conseil du 10 Février 1975 relative à l’égalité des
rémunérations, JOCE, n° L 45, du 19 février 1975, p. 19.
Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à l’égalité dans l’accès à
l’emploi et les conditions de travail, JOCE, n° L 39 du 14 février 1976, p. 40.
Directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre
progressive du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière
de sécurité sociale , JOCE, n° L 6 du 10 janvier 1979, p. 24.
Directive 86/378/CEE du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en œuvre du principe
d’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de
sécurité sociale, JOCE, n° L 225 du 12 août 1986, p. 40.
Directive 89/48 du 21 décembre 1988, instituant un système général de reconnaissance des
diplômes d’enseignement supérieur, JOCE, n° L 19 du 24 janvier 1989.
125
Directive 90/364 CEE du conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour. Directive
90/365 du conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des travailleurs salariés et
non salariés ayant cessé leur activité professionnelle.
Directive 92/51 du 18 juin 1992, JOCE, n° L 209 du 24 juillet 1992.
Directive n° 98/49 CE du Conseil du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à
pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à
l’intérieur de la Communauté, JOCE, n° L 209, 25 juillet 1998, p. 46.
Règlement n° 3/58 du 25 septembre 1958, relatif à la sécurité sociale des travailleurs
migrants, JOCE, n° 30, du 16 décembre 1958.
Règlement (CEE) n° 162/68 du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des
travailleurs à l’intérieur de la Communauté, JOCE, 1968, n° L 257.
Règlement 1251/70 CEE du 29 juin 1970 relatif au droit des travailleurs de demeurer sur le
territoire d’un Etat membre après y avoir occupé un emploi.
Règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de
sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la
Communauté, JOCE, 1971, n° L 149.
Règlement 1390/81 du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres
de leur famille le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de
sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la
Communauté, JOCE, 1981, n° L 143 du 29 mai 1981.
Règlement CEE n° 1247/92 du conseil, du 30 avril 1992, modifiant le règlement 1408/71
relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux
travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la
Communauté, JOCE, n° L 136 du 19 mai 1992.
Traité sur l’Union européenne, 7 février 1992, JOCE, n° C 191 du 29 juillet 1992.
126
TABLE DES ARRETS DE LA COUR DE JUSTICE
DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Aldewereld, 29 juin 1994, aff. C-60/93, Rec., p. I-2991.
Baldi, 14 mars 1989, aff. 1/88, Rec., p. 667.
Barber, 17 mai 1990, aff. 222/91, Rec., p. I-1889.
Beeck, 19 février 1981, aff. 104/80, Rec., p. 503.
Belbouab, 12 octobre 1978, aff. 10/78, Rec., p. 1915.
Benzinger, 1er mars 1973, aff. 73/72, Rec., p. 283.
Bergemann, 22 septembre 1988, aff. 236/87, Rec., p. 5125.
Bernini, 26 février 1992, aff. C-3/90, Rec., p. I-1071.
Bettray, 31 mai 1989, aff. 344/87, Rec., p. 1641.
Biason, 9 octobre 1974, Rec., 1974, p. 999.
Bilka,13 mai 1986, aff. 170/84, Rec., p. 1607.
Borawitz, 21 septembre 2000, aff. C-124/99, Rec., p. I-7293.
Bosman, 15 décembre 1995, aff. C-415/93, Rec., p. I-4921.
Bozzone, 31 mars 1977, aff. 87/76, Rec., p. 687.
Bronzino, 22 février 1990, aff. C-12/89, Rec., p. I-549.
Brunori, 12 juillet 1979, aff. 266/78, Rec., p. 2705.
Brusse, 17 mai 1984, aff. 101/83, Rec., p. 2223.
Cabanis-Issarte, 30 avril 1996, aff. C-308/93, Rec., p. I-2097.
Callemeyn c. Etat belge, 28 mai 1974, aff. 187/73, Rec., p. 553.
Camera, CJCE, 10 juin 1982, aff. 92/81, Rec., p. 2213.
Casagrande, CJCE 3 juillet 1974, , aff. 9/74, Rec., p. 773.
Ciechelski, 5 juillet 1967, aff. 1-67, Rec., p. 239.
Commission c. Belgique, 26 mai 1982, aff. 149/79, Rec., p. 1845.
Commission c. Belgique, 10 novembre 1992, aff. C-326/90, Rec., 1992, p. 5517.
Commission c. France, 15 février 2000, aff. C-169/98, Rec., p. I-1049.
Commission c. Luxembourg, 10 mars 1993, aff. C-111/91, Rec., p. I-817.
Commission c. République française, 12 juillet 1990, aff. C 236/88, Rec., p. I-3163.
Coonan c. Insurance Officer, 24 avril 1980, aff. 110/79, Rec., p. 1445.
Coppola, 12 janvier 1983, aff. 150/82, Rec., p. 43.
Cowan, 2 février 1989, aff. 186/87, Rec., p. 195.
127
Cristini, 30 septembre 1975, aff. 32/75, Rec., p. 1085.
D’Amico, 9 juillet 1975, aff. 20/75, Rec., p. I-891.
Deak, 20 juin 1985, aff. 94/84, Rec., p. I-1873.
De Cicco, 19 décembre 1968, aff. 19/68, Rec., 1968, p. 700.
Decker, 28 avril 1998, aff. C-120/95, Rec., p. 1831.
Defrenne I, CJCE, 25 mai 1971, aff. 80/70, Rec., p. 445.
Defrenne II, 8 avril 1976, aff. 43/75, Rec., p. 455.
Defrenne III, 15 juin 1978, aff. 149/77, Rec., p. 1365.
De Jaeck, 30 janvier 1997, aff. C-340/94, Rec., p. I-461.
Dekker, 1er décembre 1965, aff. 33/65, Rec., p. 1111.
De Moor, 5 juillet 1967, aff. 2-67, Rec., p. 255.
De Paep, 4 octobre 1991, aff. C-196/90, Rec., p. I-4815.
Di Paolo, 17 février 1977, aff. 76/76, Rec., p. 315.
Directeur régional de la sécurité sociale de Nancy c. Gillard, 6 juillet 1978, aff. 9/78, Rec.,
p. 1661.
Even, 31 mai 1979, aff. 207/78, Rec., p. 2019.
Frascogna, 6 juin 1985, aff. 157/84, Rec., p. 1739.
Frilli, 22 juin 1972, aff. 1/72, Rec., p. 457.
Galati, 30 octobre 1975, aff. 33/75, Rec., p. 1357.
Giletti, CJCE, 24 février 1987, aff. 379, 380, 381/85 et 93/86, Rec., p. 955.
Gravier, 13 février 1985, aff. 293/83, Rec., 1985, p.593.
Grzelczyc, 20 septembre 2001, aff. C-184/99, Dr. soc., n° 12, Décembre 2001, p. 1108
(extraits).
Hagenbeck, 13 juillet 1966, aff. 4/66, Rec., p. 625.
Hakenberg, 12 juillet 1973, aff.13/73, Rec., p. 935.
Hervein, 20 janvier 1997, aff. C-221/95, Rec., p. I-609.
Hoeckx, 27 mars 1985, aff. 249/83, Rec., p. 973.
Hugues, 16 juillet 1992, aff. C-78/91, Rec., p. I-4839.
Hurt, 15 janvier 1986, aff. 44/84, Rec., p. 84.
Inzirillo, 16 décembre 1976, aff. 63/76, Rec., p. 2057.
Jauch, 8 mars 2001, aff. C-215/99, Rec., p. 1901.
Jenkins, 31 mars 1981, aff. 96/80, Rec., p. 911.
Kaufmann, 15 mai 1974, aff. 184/73, Rec., p. 517.
Kempf, 3 juin 1986, aff. 139/85, Rec., p. 1741.
Kenny c. Insurance Officer, 28 juin 1978, aff. 1/78, Rec., p. 1489.
Kermaschek, 23 novembre 1976, aff. 40/76, Rec., p. 1669.
128
Kholl, 28 avril 1998, aff. C-158/96, Rec., p. 1931.
Kitz Van Heijnigen, 3 mai 1990, aff. C-2-89, Rec., p. I-1755.
Klaus, aff. C-482/ 93, Rec., p. I-3560.
Knoch, 8 juillet 1992, aff. C-102/91, Rec., p. I-4341.
Krid, 5 avril 1995, aff. C-103/94, RJS, 1995, p. 469.
Kuijpers, 23 septembre 1982, aff. 276/81, Rec., p. 3027.
Kuyken, 1er décembre 1977, aff. 66/77, Rec., p. 2711.
Kziber, 30 janvier 1991, aff. C-19/90, Rec., p. I-198.
Laterza, 12 juin 1980, aff. 733/79, Rec., p. 1915.
Lawrie Blum, 3 juillet 1986, aff. 65/85, Rec., p. 2121.
Lebon, 18 juin 1987, aff. 316/85, Rec., 1987, p. 2832.
Leclere, 31 mai 2001, aff. C-43/99, Rec., p. 4265.
Lenoir, 27 septembre 1988, aff. 313/86, Rec., p. 539.
Lepore et a., 9 décembre 1993, aff. C-45 et C-46/92, Rec., p. I-6497.
Levin, 23 mars 1982, aff. 53/81, Rec., p. 1035.
Luijten, 10 juillet 1986, aff. 60/85, Rec., p. 236.
Manpower, 17 décembre 1970, aff. 35/70, Rec., p. 1251.
Martinez Sala, 12 mai 1998, aff. 85/96, Rec., p. I-2691.
Masgio, 7 mars 1991, aff. C-10/90, Rec., p. I-1119.
Meints, 27 novembre 1997, aff. C-57/96, Rec., p. I-6689.
Meeusen, 8 juin 1999, aff. C-337/97.
Michel, 11 avril 1973, aff. 76/72, Rec., p. 462.
Morson et Jhanjan, 27 octobre 1982, aff. 35 et 36/82, Rec., p. 3723.
Moscato, 26 octobre 1995, aff. C-481/93, Rec., p. I-3537.
Mouthaan, 15 décembre 1976, 39/76, Rec., p. 1901.
Mura, 13 octobre 1977, aff. 22/77, Rec., p. 1-1699.
Noij, 21 février 1991, aff. C-140/88, Rec., p. I-387.
Nonnenmacher, 9 juin 1964, aff. 92/63, Rec., p. 557.
Paraschi, 4 octobre 1991, aff. C-349/91, Rec., p. I-4501.
Partridge, aff. 11 juin 1998, C-297/96, Rec., p. I-3467.
Perenboom, 5 mai 1997, aff. 102/76, Rec., p. 815.
Petroni, 21 octobre 1975, aff. 24/75, Rec., p. 1149.
Pinna, 15 janvier 1986, aff. 41/84, Rec., p. 1.
Rebmann, 29 juin 1988, aff. 58/87, Rec., p. 3467.
Reina, 19 janvier 1982, aff ; 65/81, Rec., p. 33.
129
Reed, 17 avril 1986, aff. 59/85, Rec., p. 1283.
Roviello, 7 juin 1988, aff. 20/85, Dr. soc., 1989, p. 419, chron. PRETOT (X.).
Safet Eyüp, 22 juin 2000, aff. C-65/98, RDUE, 3/2000, p. 682.
Saunders, 7 février 1979, aff. 175/78, Rec., p. 1129.
Schmid, 27 mai 1993, aff. C-310/91, Rec., p. I-3011.
Scrivener, 27 mars 1985, aff. 122/84, Rec., p. 1027.
Singer, 9 décembre 1965, aff. 44/65, Rec., p. 1192.
Smieja, 7 novembre 1973, aff. 51/73, Rec., p. 1213.
Snares, 4 novembre 1997, aff. C-20/96, Rec., p. I-6057.
Sotgiu, 12 février 1974, aff. 152/73, Rec., p. 153.
Stallone, 16 octobre 2001, aff. 212/00, non publié.
Strehl, 3 février 1977, aff. 62/76, Rec., p. 211.
Swaddling, 25 février 1999, aff. 90/97, Rec., p. I-1075.
Ten Holder, 12 juin 1986, aff. 302/84, Rec., p. 1827.
Toia, 12 juillet 1979, aff. 237/78, Rec., p. 2645.
Uecker et Jacquet, 5 juin 1997, aff. 64 et 65/96, Rec., p. I-3171.
Ugliola, 15 octobre 1969, aff. 15/69, Rec., p. 36.
Unger, 19 mars 1964, aff. 75/63, Rec., p. 347.
Van Braeckel, 12 juillet 2001, aff. C-368/98, non publié.
Van der Veen, 15 juillet 1964, aff. 100/63, Rec., p. 1105.
Van der Vecht, 5 décembre 1967, aff. 19/67, Rec., p. 445.
Van Gestel, 29 juin 1995, aff. C-454/93, Rec., p. I-1707.
Vanhaeren, 28 avril 1988, aff. 192/87, Rec., p. 2419.
Van Norden, 16 mai 1991, aff. C-272/90, Rec., p. I-2543.
Van Poucke, 24 mars 1994, aff. 71/93, Rec., p. I-1101.
Van Roosmalen, CJCE, 23 octobre 1986, aff. 300/84, Rec., p. 3097.
Van Wesmael, 18 janvier 1979, aff. 110 et 111/78, Rec., p. 35.
Vigier, 27 janvier 1981, aff. 70/80, Rec., p. 229.
130
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE..............................................................................................................................3
TABLE DES ABRÉVIATIONS .....................................................................................................4
INTRODUCTION.......................................................................................................................6
PREMIÈRE PARTIE : L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT
COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UNE ÉTENDUE
UNIVERSELLE
20
CHAPITRE I. LA NOTION EXTENSIVE DE TRAVAILLEUR .....................................................23
SECTION I. LA DÉFINITION LARGE DU TRAVAILLEUR EN DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA
SÉCURITÉ SOCIALE
§1er. L’interprétation téléologique de la notion de travailleur
24
24
A. Une définition professionnelle
24
B. L’emploi de critères tirés du droit de la sécurité sociale
26
§2. Les élargissements textuels du cercle des bénéficiaires
29
A. Les catégories de travailleurs entrant dans le champ d’application de la
coordination
29
1) L’extension de la coordination au profit des travailleurs non salariés
2) La généralisation de la coordination à l’ensemble des fonctionnaires
29
30
B. Les autres catégories de bénéficiaires
32
1) Les membres de la famille et survivants du travailleur
2) Les apatrides et les réfugiés
32
35
SECTION II. LA SOUPLESSE DES CONDITIONS D’OCTROI DES PRESTATIONS
§1er. L’absence d’exigence de l’exercice d’une activité économique
36
36
131
A. De la libre circulation des travailleurs à la citoyenneté de l’Union
37
1) L’indifférence des motifs de déplacement en droit communautaire de la sécurité
sociale
37
2) Le développement de la citoyenneté européenne
38
B. La généralisation des droits en matière de protection sociale
39
1) L’influence de la jurisprudence communautaire sur les droits du citoyen de
l’Union
2) Le droit à l’ensemble des prestations sociales
39
41
§2. La condition d’exercice du droit de circulation
42
A. L’inapplication du droit communautaire aux situations purement internes
42
1) La définition de la situation purement interne
2) Les dérogations
43
44
B. La justification des discriminations à rebours
45
CHAPITRE II. LA CONCEPTION LARGE DES PRESTATIONS SOCIALES .................................48
SECTION I. LA DÉLIMITATION FLOUE DU CHAMP D’APPLICATION MATÉRIEL
§1er. La définition des risques pris en compte par le règlement 1408/71
48
49
A. Les régimes légaux de sécurité sociale
49
B. Les régimes complémentaires et les régimes de substitution
51
§2. La difficulté d’établir une frontière entre la sécurité sociale et l’assistance sociale 53
A. Les critères jurisprudentiels de distinction entre assistance sociale et sécurité
sociale
55
B. La création des prestations spéciales à caractère non contributif
57
SECTION II. LA LIBÉRALISATION JURISPRUDENTIELLE DE LA PROTECTION SOCIALE
59
§1er. Le retour à l’interprétation téléologique de la notion de prestation spéciale à
caractère non contributif
59
A. L’incompatibilité de la nouvelle dérogation avec l’objectif de libre circulation des
travailleurs
60
B. Les critères jurisprudentiels de qualification des prestations spéciales à caractère
non contributif
62
132
§2. Le contournement des exclusions par le recours aux avantages sociaux
65
A. La conception large de la notion d’avantage social
65
B. L’articulation entre le règlement 1408/71 et les avantages sociaux
67
SECONDE PARTIE : L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT EN DROIT
COMMUNAUTAIRE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE, UN PRINCIPE ÉVOLUTIF 71
CHAPITRE I. L’ÉGALITÉ ENVISAGÉE COMME INSTRUMENT DE RÉALISATION DE LA LIBRE
CIRCULATION DES TRAVAILLEURS ......................................................................................73
SECTION I. L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT, PRINCIPE DIRECTEUR DU DROIT DE LA SÉCURITÉ
SOCIALE
§1er. Le principe majeur de la coordination des systèmes de sécurité sociale
73
74
A. La limite au maintien des compétences des Etats membres
74
B. L’assimilation des travailleurs migrants aux nationaux
76
§2. Le caractère absolu de l’interdiction des discriminations
77
A. La prohibition de toutes les formes de discrimination
78
B. L’absence de justification des différences de traitement
80
SECTION II. L’ÉGALITÉ DE TRAITEMENT, INSTRUMENT D’EFFICACITÉ DES RÈGLES DE
COORDINATION
§1er. La coordination dans l’espace par la détermination de la législation applicable
82
82
A. Le principe d’unicité de la législation applicable
83
1) l’instauration de règles de conflit dérogatoires à la logique nationale de
territorialité
2) L’application de la législation d’un seul Etat membre
83
84
B. L’application de la lex loci laboris
86
1) Le principe de l’application de la loi de l’Etat d’emploi
2) Les exceptions à l’application de la loi de l’Etat d’emploi
86
88
§2. La coordination dans le temps par les mécanismes de conservation des droits acquis
ou en cours d’acquisition
90
133
A. La conservation des droits acquis
91
1) L’exportation des prestations « à long terme »
2) La conservation des droits acquis pour les autres prestations
91
93
B. La conservation des droits en cours d’acquisition et la totalisation des périodes 95
CHAPITRE II. L’ÉGALITÉ ENVISAGÉE COMME DROIT FONDAMENTAL DE LA PERSONNE
HUMAINE.............................................................................................................................100
SECTION I. LES TRANSFORMATIONS DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ À TRAVERS LES AVANTAGES
SOCIAUX
§1er. L’égalité, facteur de libéralisation des avantages sociaux
100
101
A. L’égalité et l’intégration dans les Etats membres de la Communauté
102
B. L’égalité en tant que protection des citoyens de l’Union
104
§2. L’émancipation du principe d’égalité
106
A. L’application du principe à des domaines périphériques à la relation de travail107
B. La référence directe au principe général d’égalité
109
SECTION II. L’ÉGALITÉ ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES DANS LES RÉGIMES DE SÉCURITÉ
SOCIALE
110
§1er. L’émergence d’un droit fondamental autonome
111
A. La naissance des directives relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes
dans les régimes de sécurité sociale
111
B. Le recours à la notion de rémunération
§2. La coordination des textes relatifs à l’égalité de traitement
A. L’application de l’article 141 aux régimes professionnels de sécurité sociale
113
115
115
B. Les conséquences sur la portée du principe de l’égalité de traitement dans l’ordre
juridique communautaire
117
BIBLIOGRAPHIE..................................................................................................................119
134
TABLE DES ARRÊTS DE LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES .........126
TABLE DES MATIÈRES ........................................................................................................130
135