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dossier CUBA : SUITE ET FIN témoignages recueillis par Marie-Lætitia Bouriez* Les yeux tournés vers le nord L E FRÈRE, LA MÈRE, LE COUSIN, LA PETITE-FILLE, L’ONCLE… À CUBA, il manque toujours quelqu’un au tableau de famille. Depuis la révolution, la société cubaine a été marquée par cette lente hémorragie : on estime que près de deux millions de personnes ont déjà quitté le pays. La plupart de ceux qui restent ont le regard tourné vers l’étranger, dans l’attente de nouvelles de leurs proches ou dans l’espoir de les rejoindre. Pablo: le ballet des cigarettes Depuis qu’il pêche dans la baie de Cienfuegos, Pablo est devenu le témoin d’un curieux ballet nocturne. Il ne pêche que quelques soirs par semaine dans sa coque de noix, mais cette année, il a déjà vu une dizaine de bateaux accoster sur les rives de Rancho Luna. « La dernière fois, c’était il y a deux semaines, raconte l’adolescent. Un bateau à moteur blanc est venu chercher une dizaine de personnes qui attendaient sur la plage. Sans doute une des “cigarettes” envoyées par les bateaux de croisière américains qui passent au large; celle-ci était tellement rapide qu’elle aurait laissé sur place le bateau de la Guardia civil ». Derrière eux, les clandestins abandonnent en général tout ce qu’ils possèdent et qu’ils ne peuvent pas revendre en raison de la loi cubaine : maisons, voitures… La police récupère un grand nombre de véhicules au point d’accostage. « À certains moments, moi aussi j’ai pensé à m’en aller comme ça, avoue Pablo. À force de les voir prendre le large… Et puis je me suis dit que je ne voulais pas finir en nourriture pour les requins. Il y a tellement de bateaux qui ne sont jamais arrivés de l’autre côté. ». Comme presque tous les jeunes de son âge, Pablo rêve de quitter le * Marie-Lætitia BOURIEZ est journaliste à Public Sénat. N° 35 71 HISTOIRE & LIBERTÉ pays, mais il craint de ne plus pouvoir revenir s’il part illégalement. « Cuba, c’est mon pays. Cette terre, je l’aime avec mes tripes, je ne veux pas y renoncer ». Pour ceux qui choisissent la voie des mers, la plus dangereuse, il faut selon Pablo une bonne raison. « Beaucoup sont recherchés par la police, explique-t-il. Nous, on ne risque pas de sanction si la police nous attrape, mais le passeur, lui, risque vingt ans de prison. Ceux qui ont déjà des problèmes avec la justice, n’ont pas intérêt non plus à se faire prendre… ». Lena et sa fille Dans un coin de sa petite maison de Cumanayagua, Lena avait toujours un sac prêt au départ. À l’intérieur deux pulls, deux manteaux, de l’eau et de la viande séchée: juste de quoi tenir quelques jours en mer pour elle et sa fille. En l’espace de trois ans, elle a tenté dix fois de quitter Cuba. Son obsession : rejoindre son mari aux États-Unis. « Quand on a décidé de partir illégalement, le bateau n’était pas assez sûr pour moi et ma fille, explique Lena. Alors Ernesto m’a dit qu’il allait partir seul, que je n’aurais que quelques semaines à attendre avant de le rejoindre ». La première fois, Lena a vraiment cru qu’elle parviendrait à gagner Miami. « Mon mari m’a appelée, il m’a prévenue que quelqu’un allait me donner un lieu de rendezvous. C’était pour cette nuit-là, il fallait que je me tienne prête ». Son sac dans une main, sa fille de dix ans dans l’autre, Lena traverse toute l’île jusqu’à la côte Nord. De là, il lui reste à gagner une petite île déserte au large de Cuba: c’est là que le bateau doit venir la chercher, elle et quelques autres. « Sur certaines îles, il faut marcher entre vingt et quarante kilomètres pour atteindre le point de rendez-vous, explique Lena. C’était très difficile, mais personne ne nous a aidées ma fille et moi. Ce sont des situations où chacun ne peut compter que sur lui-même ». Cette fois comme les dix suivantes, Lena et sa fille attendent une nuit entière un bateau qui n’arrive pas. Regagner son village, ranger le sac sous l’escalier: le premier échec est difficile à digérer. Lena fait des cauchemars pendant plusieurs jours, mais elle continue d’y croire. Une deuxième chance se présente quelques semaines plus tard, mais c’est une nouvelle déception. « À chaque fois, il suffit d’un détail pour que tout tombe à l’eau, raconte Lena. Un changement d’horaire, de météo… ». Au bout de trois ans d’efforts, la jeune femme apprend que son mari s’est remarié. Il lui explique qu’il continue de l’attendre et de l’aimer, mais qu’il a besoin de quelqu’un près de lui à Miami. Pour ne pas le perdre complètement, il devient urgent de le rejoindre. Lena multiplie les tentatives, jusqu’au jour où sa fille tombe malade lors 72 ÉTÉ- AUTOMNE 2008 d’une expédition. Alors qu’elles sont bloquées sur une île, la petite est prise d’une forte fièvre. Lena n’a rien pour la soigner, aucun moyen de faire machine arrière: cette fois, elle décide de tout arrêter. « Du jour au lendemain, je me suis rendu compte des risques que je prenais depuis des mois », se souvient la jeune femme. Aujourd’hui, il n’y a plus de sac sous l’escalier de Lena. Pendant plusieurs années, elle a cherché un autre moyen pour sortir du pays. Grâce à un contrat de travail au Chili, elle aurait pu tenter de passer aux États-Unis, mais elle n’a pas eu confiance dans ce plan de la dernière chance. Aujourd’hui elle a donc renoncé à échafauder de nouveaux plans. « Ma fille a dix-sept ans, je ne veux plus lui faire subir tout ça. Je veux la laisser vivre ». Alfonso et ses frères Alfonso n’a plus aucune nouvelle de ses deux frères. Il a rompu avec eux il y a plus de trente ans: le jour même où ils ont quitté l’île pour Miami. À cette époque, Alfonso porte en étendard les idées de la révolution, il considère comme une trahison le départ des membres de sa famille et il ne veut rien en savoir. Alors quand ils lui envoient une centaine de dollars au bout de quelques mois, Alfonso prend cela pour un affront supplémentaire. « Pour mon père, c’était de l’argent contre-révolutionnaire », se souvient le fils d’Alfonso. « On ne mangeait de la viande qu’une fois par semaine, ma mère, mon frère et moi, mais mon père n’a jamais accepté un centime de mes deux oncles ». À l’époque, les départs sont plutôt mal vus dans leur village. Ceux qui partent peuvent dormir sur leurs deux oreilles une fois qu’ils ont passé les frontières, mais ceux qui restent doivent affronter les regards accusateurs du voisinage. Aujourd’hui, c’est cela qu’Alfonso n’a toujours pas pardonné à ses frères : tous ces regards qu’il porte dans sa mémoire. Adelaïde, son fils et son mari Pour rejoindre son mari, parti s’installer il y a quatre ans aux îles Canaries, Adelaïde s’apprête à faire ce dont elle ne se serait jamais crue capable. Elle va laisser derrière elle son fils de six ans, Juan, et n’a aucune idée du temps durant lequel ils resteront séparés. « C’est la pire décision que j’ai jamais eue à prendre de toute ma vie, se lamente la jeune femme. Moi là-bas et lui ici… Depuis que j’ai reçu mon visa, je n’arrive plus à dormir ». N° 35 73 dossier LES YEUX TOURNÉS VERS LE NORD HISTOIRE & LIBERTÉ Après des années de séparation, Adélaïde a enfin réussi à obtenir un permis de sortie pour aller vivre avec son mari, mais pour son fils, les démarches ont échoué. La jeune femme a obtenu la possibilité de revenir à Cuba, mais si Juan s’en va, il ne pourra plus faire d’allers et retours et il perd tous ses droits dans le pays. Ce qu’elle a prévu, c’est de partir tant qu’elle le peut et de tout faire depuis l’Espagne pour faire venir son fils. « Je ne peux pas priver mon fils de ce pays, explique Adelaïde, je ne peux pas prendre cette décision pour lui. Mon mari, mon fils et moi nous devrions pouvoir partir et revenir, comme dans un pays normal ». Depuis quatre ans, Adelaïde n’a plus besoin de travailler. Elle vit en puisant sur le compte de son mari, approvisionné depuis les Canaries: « Je pourrais retirer un peu plus, mais ici je ne dépense qu’une centaine de dollars par mois. Mon mari a réussi aux Canaries, c’est pour ça qu’il veut rester encore un moment ». À Cuba, le mari d’Aldélaïde était ingénieur en mécanique. Il ne parvenait pas à faire vivre sa famille. En Espagne, il gagne près de dix fois son salaire cubain, avec un poste d’ouvrier dans le bâtiment. Dans le coin de jardin qui borde la maison, le petit Juan joue tranquillement avec le fils du voisin. Il va devoir grandir avec sa grand-mère, tant que ses parents ne lui auront pas obtenu un visa. Sa mère lui a expliqué la situation avec précaution, mais il n’a pas réagi. Ce qui l’intéresse c’est surtout ce que son père lui a promis pour son anniversaire : pour lui, le rêve des Canaries c’est un magnifique costume de spiderman. Eddy et sa fiancée « J’ai fait deux erreurs, raconte Eddy. La première a été de partir…, la deuxième, la pire des deux, a été de revenir. » À vingt-quatre ans, ce jeune Cubain vit dans l’idée qu’il a gâché sa chance. Et tout ça pour une fille qui ne le regarde même plus. Il y a deux ans, il a enfin obtenu tous les papiers nécessaires pour rejoindre sa famille à Miami. À Cuba, il ne reste alors plus que sa grand-mère et un vieil oncle; il décide donc de quitter l’île en y laissant sa fiancée. « Je pensais sincèrement que nous ne serions séparés que quelques mois, explique Eddy, les yeux dans le vague. Elle était prête à partir, je devais organiser son départ depuis Miami… Je n’ai pas imaginé une seconde que je risquais de tout foutre en l’air ». À l’époque, Eddy et Sandra sont ensemble depuis sept ans et presque fiancés: le départ est difficile. Une fois aux États-Unis, Eddy est d’abord un peu grisé par sa nouvelle vie, mais il s’occupe activement du départ de Sandra. Il lui envoie de l’argent, il continue à l’ap- 74 ÉTÉ- AUTOMNE 2008 peler aussi souvent qu’il le peut malgré le prix des communications, mais les mois passent et la jeune fille ne peut toujours pas rejoindre son petit ami. « Au bout d’un an, se souvient Eddy, je commençais à avoir plus de mal à la joindre au téléphone. Elle n’était jamais chez elle, sa mère paraissait un peu gênée à chaque fois que j’appelais… finalement, c’est un ami qui m’a tout raconté ». Lassée d’attendre, Sandra a trouvé un autre fiancé à La Havane. Eddy ne veut pas le croire, il n’en dort pas de la nuit: le lendemain, il retourne chercher sa fiancée sur un coup de tête. De retour à Cuba, Eddy ne dispose que d’un visa d’une trentaine de jours. « Je me disais que c’était le temps dont je disposais pour reconquérir ma belle », raconte le jeune Cubain. Mais les retrouvailles sont glaciales: Sandra vit bien avec un autre homme depuis plusieurs mois, elle n’a plus aucune envie de quitter Cuba. « Je ne voulais pas comprendre qu’il était trop tard, explique Eddy. Je me fichais de mon visa, de ma situation, du moment que je pouvais la récupérer ». Pendant plusieurs semaines, Eddy multiplie les tentatives. Il en oublie même la date d’expiration de son visa et se retrouve brusquement en prison. « C’est là que j’ai vraiment réalisé que je n’avais plus aucune chance, raconte Eddy. Pendant 27 jours, j’ai ruminé mon aller-retour, et depuis ma sortie, je n’ai plus qu’une idée: quitter cette terre de malheur et tout oublier ». Sur sa tête, des lunettes de soleil ramenées de Miami rappellent qu’il a goûté un temps au « paradis » de la Floride, mais il se retrouve à nouveau à la case départ : sur une longue liste d’attente de l’office de l’immigration. Melissa Depuis quelques mois, Melissa se sent un peu comme une princesse en haut de sa tour. Ses papiers sont enfin en règle et d’ici quelques semaines, son mari canadien va venir la chercher à Santa Clara. « Le jour où il m’a proposé de l’épouser, il y a deux ans, c’est comme si l’horizon s’était ouvert devant mes yeux, explique Melissa. C’est comme s’il m’avait tendu une branche au milieu du fleuve ». À vingt et un ans, Melissa meurt d’impatience de quitter l’île. Comme des milliers de jeunes filles de son pays, elle s’est mariée sans l’ombre d’un sentiment pour son futur époux, mais elle pense qu’elle sera heureuse à ses côtés. Quand elle pense à lui, elle voit simplement tout ce qu’elle va pouvoir s’offrir au Canada. N° 35 75 dossier LES YEUX TOURNÉS VERS LE NORD HISTOIRE & LIBERTÉ Roberto,Teresa et leur fils Roberto et Teresa ont changé de vie le jour où leur fils est parti. « Avant, c’était la “lucha” [la lutte], se souvient Roberto. Il fallait se battre tous les jours pour vivre à peu près décemment. Aujourd’hui, on profite quand même d’un certain confort ». À l’époque, Juan est un espoir du water-polo cubain. À vingt ans à peine, il obtient miraculeusement un billet pour aller jouer en Italie. Il y vit aujourd’hui avec sa femme et ses deux enfants. « Pour nous, c’était une star, explique Roberto avec fierté. Dès ses premiers matchs, il a commencé à nous envoyer de l’argent… Il avait réussi ! » Dans la chambre des parents trône désormais une magnifique télé Samsung sous un drap protecteur. Juan envoie en moyenne trois cents dollars tous les trois mois, et chaque fois qu’il revient, il ramène toujours une montagne de cadeaux pour sa famille et ses amis. À eux deux, Roberto et Teresa touchent l’équivalent de vingt dollars de retraite du gouvernement cubain. « Un fils à l’étranger, ici, c’est une aide essentielle, souligne la mère de Juan. Mais c’est aussi une douleur d’avoir un enfant aussi loin. Par exemple, on ne connaît même pas notre dernier petit-fils né il y a six mois. J’aimerais tellement le voir, l’embrasser… ». Sur la table basse, une pile de photos du dernier-né: pour ses grands-parents, c’est une forme de courbe de croissance qu’ils observent avec attention. Teresa ne laisse pas passer une semaine sans appeler son fils au téléphone. « Il y a des gens qui me disent, “Tu es bête! Si tu passais moins de temps au téléphone avec lui, il pourrait vous envoyer plus d’argent”, mais moi je m’en moque. Ce qui compte c’est le lien. C’est maintenir le lien ». Iban et Regla Iban et Regla sont sur le point de se séparer. Ils s’aiment, ils ne se disputent presque jamais, mais chacun des deux ne rêve que de quitter l’île: la misère est en train de ronger leur couple. Partir à deux est encore plus difficile que de partir seul, chacun cherche donc de son côté un ticket pour un autre pays. Au milieu de ce foyer, il y a un fils de deux ans qui atterrira on ne sait où: « C’est aussi pour lui que je veux partir, explique Iban. Depuis un autre pays, je suis sûr que je pourrais enfin le nourrir décemment, lui offrir des jouets… ». Iban a toute sa famille en Italie depuis qu’un cousin y a trouvé du travail. Lui-même y a travaillé quelques mois sans pouvoir prolonger son visa. C’est vers ce pays que ses yeux sont résolument tournés. Regla, elle, est prête à 76 ÉTÉ- AUTOMNE 2008 partir dans n’importe quel pays. Il y a six mois, elle avait obtenu un contrat de travail grâce à une amie installée au Pérou, mais au dernier moment, sa demande de sortie du territoire a été refusée par les autorités. Aujourd’hui, elle multiplie les démarches, et chaque jour, elle s’éloigne de plus en plus de son compagnon. Pablo et sa mère Pour Pablo, l’espoir diminue de jour en jour. Depuis plusieurs semaines, un inconnu doit venir le chercher pour l’emmener en Espagne, mais personne n’appelle, et personne n’est venu frapper à sa porte. Depuis plusieurs années, sa mère est à Madrid; lui, est resté à Cuba avec son oncle, et cela fait déjà longtemps qu’il doit la rejoindre. Sur l’expédition que sa mère a organisée pour lui, Pablo ne sait que ce que son oncle lui a dit: « C’est un ami envoyé par ta mère qui va t’aider à gagner l’Espagne, quelqu’un qui s’y connaît… » Jusqu’à présent tous les plans échafaudés par sa mère sont tombés à l’eau les uns après les autres. Cette fois, sa mère a payé une forte somme d’argent, mais apparemment, elle non plus n’a pas de nouvelle de son « ami ». Lisa et Emilio Leur histoire fait aujourd’hui partie des légendes de l’immigration cubaine. Il y a une vingtaine d’années, Lisa et Emilio ont imaginé un projet insensé: gagner les ÉtatsUnis dans une barque construite de leurs mains. Les deux jeunes mariés n’arrivaient pas à s’en sortir avec leurs maigres salaires et avaient décidé de rejoindre la famille de Lisa installée à Miami. Poussé par sa femme, Emilio s’attelle à la construction d’une barque dans le secret d’un vieux hangar. Il n’a pas vraiment d’expérience en la matière, mais il doit faire vite: plus il tarde et plus ils risquent d’être découverts. Un jour du mois de septembre, l’embarcation est enfin prête, les rames fixées sur les dames de nage. Le jour choisi pour la traversée est un mercredi, la météo est bonne, les vents, favorables: il faut y aller. Pendant plus d’un an à partir de cette date, toute leur famille les croira morts. « Nous avions presque fait notre deuil, se souvient Misy, la nièce de Lisa. On imaginait qu’ils s’étaient renversés, qu’ils avaient fini sur un rocher… C’est par un simple mot laissé sur leur table qu’ils avaient prévenu la famille ». Quand Emilio et Lisa débarquent finalement à Miami, des mois et des mois plus tard, la famille de Lisa n’en croit N° 35 77 dossier LES YEUX TOURNÉS VERS LE NORD HISTOIRE & LIBERTÉ pas ses yeux. En pleine traversée, déjà à bout de forces, Lisa et Emilio ont été interceptés par des garde-côtes américains qui les ont conduits jusqu’à la base de Guantanamo. Là, ils sont restés bloqués des mois entiers sans savoir ce qu’ils allaient devenir, avant d’obtenir, un beau jour, le droit de rejoindre la famille de Lisa à Miami. Leur épopée s’est donc finalement terminée sur les rives de la Floride… avec près d’un an de retard. Marie-Lætitia Bouriez L’IMMIGRATION CUBAINE AUJOURD’HUI Depuis quelques mois, une nouvelle file d’attente se forme chaque matin devant l’ambassade d’Espagne. Les dizaines de Cubains qui attendent sur le trottoir ont tous un grand-père ou une grand-mère né en Espagne : une réforme qui sera appliquée d’ici quelques mois devrait leur permettre d’obtenir la nationalité espagnole. En tout, un million de personnes vivant en majorité en Amérique latine pourraient être concernées. À en croire Elizardo Sanchez, président de la ligue des droits de l’Homme, près de quatre millions de Cubains partiraient demain s’ils le pouvaient. Près de deux millions de Cubains auraient déjà quitté l’île, soit plus de 15 % de la population. La plupart d’entre eux sont installés aux États-Unis: en 2006, la communauté cubaine de Miami comptait environ 650000 personnes. Cette année, plus de 15000 Cubains auraient déjà émigré. En tout, 200000 Cubains effectueraient chaque année des démarches d’émigration. Les chiffres progressent ces dernières années: au Canada, ils étaient par exemple 1046 Cubains à émigrer en 2006 contre 560 en 1997. L’année 1994 Dans l’histoire de l’immigration cubaine, l’été 1994 constitue un tournant. Des milliers de Cubains tentent de gagner les États-Unis à bord de radeaux de fortune (balsas), des bateaux sont également détournés: le 13 juillet, on dénombre 32 78 ÉTÉ- AUTOMNE 2008 dossier LES YEUX TOURNÉS VERS LE NORD morts suite à l’interception d’un remorqueur. Pour la première fois, un accord sur le contrôle des migrations illégales est signé entre Cuba et les États-Unis. Washington s’engage notamment à mettre fin au traitement d’exception accordé aux Cubains immigrants, à rapatrier à Cuba tous les émigrés illégaux interceptés en mer et à délivrer 20000 visas par an aux Cubains désireux de partir. De son côté, La Havane s’engage à prendre des mesures pour « empêcher les départs risqués, et ce en appliquant essentiellement des méthodes de persuasion ». Les procédures d’émigration: une manne pour le gouvernement Quel que soit le type de voyage, visite ou départ définitif, rien n’est possible sans l’accord du gouvernement cubain. Pour obtenir le droit de quitter l’île, il faut entreprendre des démarches interminables et extrêmement coûteuses pour les citoyens cubains. Pour un permis de sortie, il faut compter 150 CUC ou pesos convertibles, auxquels s’ajoute, dans la plupart des cas, le prix du passeport et de la visite médicale. Addition minimum: 600 CUC. Dans un pays où le salaire moyen n’excède pas les 15 CUC, le départ légal est systématiquement financé par la famille résidant à l’étranger. Grâce au système du « Bombo », qui toucherait selon les autorités 20000 Cubains par an, un demandeur de visa peut être tiré au sort et obtenir un permis de sortie. Il est possible de demander un permis de sortie dans le cadre d’une réunification familiale, pour une simple visite, ou dans le cas d’un mariage avec un étranger. Dans ce dernier cas, il faut compter 550 dollars pour légaliser l’union. Le mariage avec un étranger permet de revenir à Cuba sans payer de visa d’entrée et de continuer d’y être « propriétaire » d’une maison et d’une voiture, ce que ne permet pas le mariage avec un Cubain résident à l’étranger. En plus des 600 dollars qu’il faut payer en moyenne pour ces démarches, il faut compter le prix du billet d’avion. Pour ceux qui embarquent pour les États-Unis (80 à 90 % des passagers), le prix du billet est d’environ 250 dollars; 1000 dollars en moyenne pour les destinations européennes. Difficile à estimer, la part que perçoit le gouvernement cubain sur ces billets d’avion pourrait avoisiner les 50 %. N° 35 79 Les actes de notre colloque * de juin 2007 consacré à : « Dictatures, montée du totalitarisme islamiste, échecs de la démocratie au Moyen-Orient ? » sont disponibles (13 € franco de port) Vous pouvez les commander par courriel à [email protected] ou par téléphone au 01 46 14 09 29 * Les actes de notre colloque du 24 juin 2008, « Le totalitarisme et ses antidotes », seront publiés dans le n° 36 d’Histoire & Liberté, à paraître à l’automne 2008.
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