15-096456-Mehdi Alioua.qxd - Social Science Information

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15-096456-Mehdi Alioua.qxd - Social Science Information
Special issue: Migrants and clandestinity
Numéro spécial: Migrants et clandestinité
Mehdi Alioua
La migration transnationale – logique
individuelle dans l’espace national: l’exemple
des transmigrants subsahariens à l’épreuve de
l’externalisation de la gestion des flux
migratoires au Maroc
Résumé. Nous décrivons ici la vie sociale des milliers de transmigrants subsahariens qui,
faisant face à la frontiérisation de l’UE, réussissent, malgré les répressions qu’ils subissent
mais à un coût humain exorbitant, à s’organiser afin de circuler sur les routes africaines à la
recherche d’une vie meilleure, en implantant dans les étapes où ils s’installent de véritables relais
migratoires. Puis nous présentons quelques incidences sociopolitiques que de telles politiques
transnationales anti-migrants redessinant les frontière Sud de l’Europe et de tels mouvements
migratoires tentant de les contourner, supposent dans cette phase de mondialisation.
Mots-clés. Autonomie sociale – Déterritorialisation – Etat-nation – Frontières – Maroc –
Migration transnationale – Mobilisation – Répression
Abstract. The article describes the social life of the thousands of sub-Saharan migrants
who, faced with the reinforcement of EU borders, manage – in spite of repression but at an
exorbitant human cost – to organize their circulation along the roads of Africa in search of
a better life. In the course of their travels they implant veritable migratory relays stations in
the places where they stop. The article goes on to present a few socio-political repercussions
that must – in this phase of globalization – flow from such transnational, anti-migrant
policies currently redrawing the southern boundary of Europe and from the migratory
movements trying to get around them.
Key words. Borders – Deterritorialization – Mobilization – Morocco – Nation-state –
Repression – Social autonomy – Transnational migration
Information sur les Sciences Sociales © SAGE Publications 2008 (Los Angeles, Londres, New Delhi,
Singapore et Washington DC), 0539–0184
DOI: 10.1177/0539018408096456 Vol 47(4), pp. 697–713; 096456
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Des collectifs de transmigrants en mouvement à travers
l’Afrique: l’étape marocaine
Depuis les années 1990, les sociétés maghrébines voient arriver des transmigrants subsahariens1 qui s’installent dans ces pays afin de mieux se greffer sur
les circulations euro-maghrébines en vue de rejoindre les rives de l’Union
Européenne (UE). Fuyant la misère, les guerres, les épidémies et le chômage,
ou se sentant tout simplement à l’étroit dans une société qui ne leur offre rien
à la hauteur de leurs ambitions, ils ont ainsi quitté individuellement, et quittent encore, leur pays, en traversant le continent, étapes par étapes (Bredeloup
& Pliez, 2005). Une fois partis de chez eux avec un projet migratoire individuel, ils circulent peu à peu collectivement, contournant et instrumentalisant
les cadres législatifs et les frontières des Etats-nations qu’ils traversent. Leur
très long et dangereux parcours est d’abord et avant tout transnational: ce sont
des transmigrants. Si j’insiste sur le terme, c’est pour accentuer le fait que non
seulement ces populations migrantes, qui sont amenées au cours de leur
périple à coopérer ensemble au-delà de leurs particularismes, sont de plusieurs
nationalités, mais surtout que cette nouvelle forme migratoire2 est le résultat
de l’établissement de réseaux sociaux transversaux aux Etats-nations qui permettent à ces acteurs de circuler dans et à travers ceux-ci malgré la volonté de
contrôle territorial de ces Etats. Ils tentent ainsi de réaliser leur projet migratoire: ils utilisent la dispersion dans l’espace comme une ressource (Ma Mung,
1999) ou, pour le dire avec leurs mots, ‘ils vont chercher leur vie’.3
Il s’agit ici de souligner le fait, de plus en plus observé par les chercheurs,
que si les nouvelles formes migratoires actuelles résultent de l’établissement
de réseaux sociaux favorisant une certaine émancipation vis-à-vis des Etatsnations, de leurs modes de régulations et de leurs hiérarchisations sociales
toujours territorialisées, et permettant à ces acteurs de s’auto-organiser et
d’auto-produire, du moins en partie, leur propre économie et leurs normes
sociales, cela peut engendrer parfois une plus grande précarité sociale et
politique, une plus grande exclusion et même dans certains cas, plus de
répression étatique. C’est-à-dire que, s’il y a bien une disposition relative à
l’autonomisation sociale de ces formes migratoires dans la mobilité et la circulation, elle est aussi le produit de l’interaction avec l’environnement dans
lequel évoluent ces formes: l’impact de cette autonomisation s’articule aussi
de plusieurs manières autour des problèmes de la vie sédentaire et de celui
de la gestion d’état toujours très territorialisée. Entravés, souvent violemment, par le contrôle des Etats, ces transmigrants subsahariens tentent alors
de se jouer des frontières qui constituent aussi une ressource avec, par exemple, des activités commerciales souterraines ou encore l’activation de
réseaux transnationaux à l’origine de migrations en chaîne.
Alioua
La migration transnationale des transmigrants subsahariens
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Ainsi, des populations migrantes aux origines hétéroclites, passent, circulent et s’installent dans les sociétés maghrébines, superposant leurs mobilités, leurs logiques et leurs stratégies migratoires. Il est alors aisé de
concevoir que si ces transmigrants subsahariens, quels que soient leurs
statuts et leurs origines, appréhendent ces lieux comme des relais migratoires, c’est qu’ils pensent y trouver des relais sociaux qui leur permettront
de s’y introduire et d’y trouver des moyens de subsistance. De façon
générale, si de nouveaux transmigrants subsahariens ne cessent d’arriver et
de circuler dans l’espace méditerranéen, et ce malgré les contrôles et les fermetures de frontières, c’est bien parce qu’ils trouvent dans ces étapes des
personnes-ressources qui leur indiquent comment s’insérer afin d’y survivre
jusqu’au prochain départ. La densité relationnelle implique bien une densité
démographique.
Une fois au Maroc, après avoir traversé le Sahara et avoir passé la frontière
algéro-marocaine au nord-est depuis Maghnia, ils se réorganisent en se répartissant tout le long du nord marocain, sur la côte méditerranéenne, avec une
concentration forte à Tanger et à proximité des villes de Nador et de Tétouan.
Ils tentent alors de passer directement par voies terrestres dans les enclaves
espagnoles de Sebta et Melilla car c’était la voie clandestine la moins dangereuse pour atteindre l’UE. Ceux qui se trouvent à Tanger tentent le passage
par la mer, en traversant sur de petites embarcations, les fameuses pateras, le
détroit de Gibraltar avec tous les risques que cela comporte. D’autres tentent
de passer par l’Atlantique, à partir des côtes maritimes du sud marocain, vers
les îles des Canaries. Ils espèrent comme leurs homologues marocains4 rejoindre les rives espagnoles et au-delà l’Europe. Mais en attendant de tenter le
passage ou après l’échec de ce dernier, ils doivent se réorganiser dans un
endroit sûr et stable où ils pourront vivre le temps de redéfinir leur projet
migratoire et de reconstituer un petit capital. C’est ainsi que des camps de fortune se sont établis au fil du temps dans les forêts du nord, suggérant à l’observateur une grande précarité, certes, mais également une structure
organisationnelle et une solidarité inter-migrants impressionnantes. D’autres,
les plus nombreux, préfèrent se diriger vers les grandes villes de Casablanca
et de Rabat pour y implanter des collectifs d’entraide.
En effet, ils s’organisent dès lors en collectif en se fondant sur leur complémentarité, sur leurs points communs: leur nouvelle identité d’aventurier’,5 de ‘clandestin’. Ces individus se reconnaissent, entre eux, à
l’intérieur d’un espace qu’ils traversent au cours de leur migration transnationale car ils créent peu à peu, au fil des circulations, une histoire commune, une ‘aventure’: leurs projets migratoires se ressemblent et les
rassemblent. Malgré la diversité des appartenances nationales et socioculturelles, la coopération devient le seul moyen de faire face à l’adversité. Les
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stratégies de passages individuels se redéfinissent alors collectivement. Le
fait que cette forme migratoire soit particulièrement longue renforce le caractère transnational et semi-nomade de ses acteurs, qui sont obligés de
mobiliser du lien afin de faire face aux situations de précarité et de répression qu’ils subissent.
En sillonnant les routes africaines, ils s’introduisent et se re-localisent collectivement, dans des espaces dont ils ne maîtrisent ni les tenants ni les
aboutissants et y implantent des étapes qui depuis leur établissement dans les
années 1990 (Goldschmidt, 2002), servent toujours de relais migratoires aux
nouveaux venus (Alioua, 2003): ces étapes ont une histoire sociale qui se
sédimente dans les trajectoires migratoires. En entrant en relation avec
d’autres transmigrants, en échangeant des services, des informations et en se
racontant leurs projets et leur périple, ils définissent une certaine identité qui
va leur permettre de développer une conscience collective et également des
compétences sociales. Savoir passer les frontières, par exemple, est un savoir
qui s’élabore progressivement et qui s’expérimente collectivement durant les
étapes. Ces étapes sont aussi un intermède entre un ensemble dans lequel ces
transmigrants veulent passer et celui où ils sont. Et c’est le réseau qui permet
de faire la jonction entre les étapes en obtenant des informations sur les
espaces qu’ils comptent traverser et la manière de rentrer en contact avec les
collectifs qui s’y trouvent et qui sont susceptibles de les aider. C’est grâce au
réseau que cette migration transnationale est possible: c’est la structure relationnelle qui permet d’orienter le projet migratoire et les trajectoires qui en
découlent en nouant des relations déterritorialisées. C’est une boussole, car les
transmigrants qui passent d’un espace de régulation à un autre, indiquent à
ceux qui suivent comment réussir ce passage en se basant sur leurs propres
expériences, nouant ainsi des relations déterritorialisées. Mais cela suppose
que les signes, balisant les routes, soient reconnaissables par tous, c’est-à-dire
qu’une identité collective rapproche socialement tous ces individus et permette aux acteurs d’interpréter les codes qu’ils élaborent. Tous ces signes sont
en effet le résultat d’une multitude de relations sociales qui, liées les unes aux
autres, non seulement forment des réseaux sociaux s’établissant transversalement aux nations, le long des routes migratoires, étapes par étapes, mais
également leur confèrent une identité spécifique se formant autour d’une
économie de contournement (débrouillardise) accentuant le sentiment d’autonomie sociale qui émerge de cette transmigration.
Pour tous ces jeunes migrants transnationaux, le Maroc constitue l’ultime
étape avant le saut vers l’UE. Or, les dispositifs de surveillance frontalière
accrue et la coopération des autorités locales avec l’UE dans sa volonté, relativement uniforme et unilatérale, de contrôle des flux migratoires, rendent
ce passage de plus en plus délicat. Cela induit une prolongation du séjour
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et donc une obligation de s’insérer dans le tissu social local. Ils ont alors
établi, à partir des étapes marocaines, un espace de circulation qui est
devenu par la force des choses un mode opératoire de leur projet migratoire:
en attendant de concrétiser leurs ambitions, il faut bien qu’ils vivent dans les
sociétés où ils sont et dans lesquelles ils circulent sans cesse à la recherche
de solutions. Ainsi au Maroc, certains Marocains issus de milieux exposés à
la présence des transmigrants subsahariens dans les quartiers populaires,
traitent et intègrent les phénomènes de leur présence, de leur passage et de
leur installation plus ou moins temporaire, à partir de valeurs sociales
inédites. Le désir de mobilité, l’envie de l’ailleurs, la ‘débrouille’, le rêve de
l’Europe idéalisée et de ‘l’aventure’ autant que le sentiment d’être les ‘laissés-pour-compte’ de leurs pays et de l’économie mondialisée, deviennent
les bases à partir desquelles se négocie la complémentarité. Ces valeurs sont
également celles d’une jeunesse qui tente d’être l’actrice de sa destinée.
En effet, les jeunes transmigrants subsahariens s’ancrent dans les sociétés
maghrébines en greffant leurs propres mobilités sur celles des populations
maghrébines. Le projet migratoire, le besoin d’émancipation et le désir de
mobilité des deux populations se ressemblant, le ‘savoir-circuler’ des
autochtones et leur soutien, même minimal ou intéressé, deviennent
des conditions fondamentales pour la migration transnationale (Aliova
2005). En raison des contrôles et des répressions d’Etat, elle ne peut se
réaliser pour ces acteurs qu’en trouvant des entrées parmi les populations
locales. Les transmigrants savent se glisser dans les interstices laissés en
friche par les Etats et les marges que les populations autochtones ont su
négocier localement. Par exemple, les quartiers populaires où vivent les
transmigrants subsahariens à Tanger, Rabat ou Casablanca, sont aussi placés
sous le signe de la mobilité et de l’émigration internationale (Alioua, 2007).
Ce n’est donc pas un hasard s’ils abritent aujourd’hui des migrants extranationaux après avoir accueilli tant de nationaux en situation de migration
interne et après avoir vu partir vers l’étranger une partie de leur population.
Mais comme nous allons le voir, ces transmigrants réussissent également à
tisser des liens avec des militants locaux des droits de l’homme.
Les transmigrants subsahariens à l’épreuve de l’externalisation
de la gestion des flux migratoires
Pour la migration transnationale des Africains subsahariens, il faut garder à
l’esprit que nous sommes véritablement devant une opposition de logiques,
devant un face-à-face: les logiques très territorialisées des Etats s’opposent
aux logiques plus fluides et plus mobiles d’émancipations individuelles.
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Face aux logiques sécuritaires et souverainistes menées ‘par le haut’, celles
des Etats, il y a des volontés individuelles de mobilité et d’action en dehors
des règles édictées, règles que les acteurs ressentent comme leur étant
imposées. Il faut insister là-dessus, car la plupart des transmigrants que j’ai
rencontrés ne comprennent pas la véritable guerre qui leur est faite au
Maghreb et en Europe: ils l’estiment injuste. A la limite certains conçoivent
que les Etats-nations sont souverains et qu’il serait légitime de contrôler les
mouvements migratoires, mais ils ne comprennent pas que les contrôles
soient si durs à leur encontre et qu’ils soient traités comme des criminels.
Au contraire, ils ont le sentiment qu’ils sont ‘dans leur droit’ dans le sens
où voulant être acteurs de leur vie – ‘je vais chercher ma vie’ comme ils
aiment à présenter leur transmigration – ils font la même chose que n’importe quel Européen qui change de ville ou de pays pour poursuivre ses
études, faire de nouvelles expériences ou améliorer sa condition salariale,
bref, pour réaliser ses projets. Certains ont même le sentiment que la
débrouillardise dont ils font preuve devrait être une sorte de sésame, comme
si les Européens attendaient cela d’eux: ‘Avec tout ce que j’ai traversé, le
jour où j’arrive en Europe là, ils me donneront un diplôme!’ m’a dit un jour
un Congolais. Pour beaucoup d’entre eux, même si au fil des années certains
finissent par déchanter, tout un vocable lié à la débrouillardise et à ‘l’aventure’ est utilisé afin de valoriser leur migration et participe à l’élaboration
d’un sentiment identitaire.
A contre courant de la logique d’Etat de droit, les collectifs de transmigrants
s’arrogent le droit justement, d’utiliser les espaces laissés vacants par le contrôle étatique, le temps de se réorganiser et de rebondir. Ce ne sont pas pour
autant des criminels au sens moral du terme. Ces transmigrants tentent
d’échapper à ce qu’ils ressentent comme une aliénation à l’Etat en apprenant à
passer les frontières, toutes les frontières: autant celles d’un Etat souverain que
les frontières sociales qui le composent. Afin de migrer comme bon leur semble, ces transmigrants se sont ainsi mis, volontairement ou non, hors de portée
de l’Etat. Ils se sont donc mis aussi hors de sa protection. En quittant leur territoire plus ou moins irrégulièrement, ils se sont d’abord placés hors de portée
de leur propre Etat et de sa protection, mais en traversant les pays africains, et
en s’installant dans ces pays sans l’autorisation officielle de ces derniers,
notamment au Maroc, ils se sont mis en porte-à-faux avec tous ces pays.
Inassignables dans cette logique à la localité et à la normativité, les transmigrants dits clandestins apparaissent menaçants aux yeux du pouvoir des
Etats-nations fondés sur la territorialité, le centralisme et la sédentarité. Ce
faisant, ils sont alors exclus, marginalisés, précarisés. Dans le cas du Maroc
ils sont déclarés hors-la-loi et donc pourchassés puis expulsés. Il faut se
souvenir des terribles répressions des mois de septembre–octobre 2005 suite
Alioua
La migration transnationale des transmigrants subsahariens
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aux tentatives désespérées de transmigrants de passer en force et massivement dans les enclaves espagnoles de Sebta et Melilla. Elles ont entraîné la
mort d’au moins 14 Noirs Africains tués par balles, l’enfermement et les
déportations massives d’au moins 3000 personnes dans des zones désertiques à la frontière algérienne (Migreurop, 2007), et ce en dehors de toutes
formes de procédures judiciaires, en violation des conventions internationales signées par le Maroc et en contradiction même avec le droit marocain; et tout ceci sans protestations officielles des pays européens! Un autre
drame qui passa encore plus inaperçu fut la mort de deux migrants sénégalais, blessés par des balles tirées par des policiers marocains le 29 juillet
2007, alors qu’ils tentaient avec un groupe d’une trentaine d’autres migrants
de s’enfuir par la mer suite à un contrôle sur les côtes atlantiques sud.6 Cela
rappelle la période dramatique du mur de Berlin où les autorités est-allemandes tiraient sur les personnes qui essayaient de passer le mur.
Ainsi, on assiste un peu partout dans la région de la Méditerranée
Occidentale et au Maroc en particulier, au triomphe de la raison d’Etat sur
des principes pourtant jugés essentiels au bon fonctionnement de la démocratie et de l’Etat de droit. Etat de droit dont les mécanismes supposés
garantir le respect des règles qui l’organisent, s’avèrent être inefficaces face
aux agissements des autorités marocaines qui tirent sur des migrants désarmés, les emprisonnent et les expulsent collectivement sans aucune forme de
procès ni d’assistance juridique, et tout ceci avec la bénédiction de l’UE. Le
violent face à face transmigrants/Etat-nation, désir d’émancipation individuelle/Etat de droit, prend bien tout son sens, malheureusement, au
Maroc. Pourtant, les politiques systématiques de répression des migrations
dites irrégulières,7 non seulement ne répondent en rien aux besoins
économiques, politiques et sociaux exprimés par ces acteurs en mouvement,
niant même parfois leurs droits fondamentaux ce qui pose de lourdes questions sur la valeur démocratique de ces politiques,8 mais de plus sont inefficaces puisque les transmigrants savent instrumentaliser l’existence des
frontières pour organiser des filières de passage, ou pour instituer des activités commerciales souterraines (Tarrius, 2002): les transmigrants exercent
leur savoir-faire face aux politiques répressives et montrent leur capacité à
s’adapter aux dispositifs de contrôle en réorganisant leurs circulations, leur
‘savoir passer la frontière’ (Alioua, 2004).
Par exemple, les politiques européennes de contrôles et de répressions des
flux migratoires contribuent bien souvent seulement à enfoncer encore plus
profondément les passages de frontières en les reculant toujours plus loin
par l’externalisation des contrôles. Ce qui a pour effet direct, non pas de
diminuer le nombre des candidats à l’émigration ni celui des migrants en
mouvement, puisque ces politiques ne prennent en compte ni leurs projets
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ni leurs besoins, mais de rendre la migration plus périlleuse, de fixer des
populations dans des pays dans lesquelles elles ne veulent pas rester et de
plonger leur vie dans une sorte de clandestinité juridique les fragilisant et les
rendant trop facilement exploitables. Passer la frontière devient un exercice
de plus en plus périlleux qui se déroule de plus en plus loin des frontières
européennes, ce qui augmente le nombre de victimes: les morts et les blessés
se comptent par milliers! Cette forme de déplacement de la frontière sud de
l’Europe jusqu’au Sahara et cette délégation de la répression des migrations
africaines, avec parfois la demande explicite d’exercer une répression
accrue9 questionne cette frontiérisation de l’UE (Balzacq, 2007) qui est en
train d’imposer un véritable cordon sanitaire à l’Afrique (alors qu’elle est
paradoxalement déjà ouverte à un nombre considérable de non-Européens
résidant et circulant légalement ou non):
La politique communautaire relative aux frontières extérieures de l’Union européenne vise
à mettre en place une gestion intégrée garantissant un niveau élevé et uniforme de contrôle
des personnes et de surveillance, qui sont une condition préalable à la création d’un espace
de liberté, de sécurité et de justice.10
Ainsi débute le préambule du rapport annuel de l’Agence Frontex. Les
choses sont claires, pour que l’UE existe, il faut que les Etats membres s’organisent communautairement en définissant formellement leurs frontières et
en les protégeant, notamment, des migrants dits clandestins. Dans le même
temps est lancée la Politique Européenne de Voisinage (PEV) qui est devenue depuis l’axe majeur des relations extérieures de l’UE. Jamais, en effet,
une initiative de politique étrangère n’avait suscité un tel engouement au
niveau communautaire. La délimitation du dehors et la construction du
voisin qui semble ainsi s’opérer par cette politique européenne ressemble
pourtant à une forme de tutorat raffermissant le rapport de subordination
hérité de la période coloniale. L’exemple de la coopération imposée en
matière de contrôle et de répression des flux migratoires est de ce point de
vue le plus parlant.
Ce qui est explicitement demandé par l’UE aux pays dits de la rive sud
méditerranéenne est de contrôler leurs frontières afin de maîtriser les flux
migratoires: ceux issus de leurs propres ressortissants et ceux issus de populations migrantes étrangères. L’externalisation des contrôles migratoires
devient alors un des axes de la politique européenne en matière de migrations, si toutefois nous pouvons parler objectivement de politique, et même
un des pans de la PEV. La démarche de l’UE, est ainsi passée progressivement des mesures destinées à empêcher les migrants d’entrer sur son territoire (comme la diminution de la délivrance des visas, la multiplication des
contrôles tels que le système SIVE [Système Intégré de Surveillance
Alioua
La migration transnationale des transmigrants subsahariens
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Extérieure]) à des mesures tout simplement destinées à empêcher les
migrants de quitter le sol africain, en reportant hors de son territoire certaines
procédures relatives aux contrôles de ses frontières.
Le Conseil européen de Tampere qui, avec le Traité d’Amsterdam, peut
être considéré comme la base de cette politique d’immigration commune,
fut le premier à reconnaître l’importance de la dimension extérieure d’une
telle politique. En 1999, dans ses conclusions, l’UE reconnaissait que pour
gérer l’immigration, il fallait impliquer coûte que coûte les pays d’origine et
de transit, notamment en menant avec eux des projets de coopération et des
activités conjointes rentrant dans le cadre des politiques de voisinage. Mais
ce qui est nommé coopération et projet commun ressemble plus à un très
classique rapport de domination permettant de mieux affirmer l’extériorité
des pays voisins et d’imposer une frontière là où il y en avait autant que
d’Etats-nations. En effet, loin d’être une politique construite avec les
voisins, ce pan particulier de la PEV semble externaliser aux voisins les
cadres cognitifs et normatifs de l’UE afin de mieux imposer ses intérêts. Le
Maroc, à l’image d’autres pays dits de transit se situant autour de l’UE11 est
ainsi amené depuis plusieurs années à satisfaire ses ‘partenaires’ européens
dans la protection des frontières de l’Europe. C’est ainsi que la politique
migratoire européenne est devenue un objectif de politique étrangère de
l’UE et contribue, dans une certaine mesure, à son action extérieure. On peut
détecter, en creux, dans cette imposition de la frontière européenne se substituant aux frontières nationales, un certain projet identitaire: ‘la frontiérisation et la quête de la différence sont les points géométriques privilégiés de
la politique européenne de voisinage’ (Balzacq, 2007: 41).
Mais face à ces logiques sécuritaires menées ‘par le haut’, celles des
Etats, et face aux recompositions territoriales de l’Europe, qui tente de se
définir politiquement, identitairement, territorialement, notamment en
délimitant de manière exclusive le ‘dedans’ et le ‘dehors’, par exemple dans
sa volonté d’harmoniser les politiques migratoires et de fermer efficacement
ses frontières, il existe des pratiques et des stratégies menées ‘par le bas’,
par des populations en mouvement aux origines et aux logiques diverses qui
organisent leur coopération autour de leur complémentarité pour faire face
à l’adversité et avoir la capacité de jouer sur plusieurs espaces, et qui posent
alors la question de la pertinence de telles politiques. En substance, il s’agit
ici de suggérer qu’il est faux de croire que les Etats sont capables de gérer
entièrement, de contrôler, voir de stopper les mouvements migratoires, et
plus particulièrement de nos jours dans cette phase historique de mondialisation où, notamment, le développement de la démocratie et de la notion des
droits de la personne sont au plus haut et sont inscrits dans des conventions
internationales auxquelles la plupart des régimes juridiques nationaux se
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soumettent (Sassen, 2007), y compris des pays comme le Maroc. Que les
politiques publiques aient un impact direct ou indirect sur les flux migratoires et leur volume, cela est indéniable, mais qu’elles puissent à elles
seules définir et délimiter les migrations, cela est impossible (sauf dans le
cas d’une mobilisation excessive de la violence).
Les politiques répressives anti-migrants à l’épreuve des réseaux
de résistance transnationaux: quelles conséquences
sociopolitiques?
Comme nous venons de le voir, des populations migrantes aux origines
hétéroclites, passent, circulent et s’installent au Maroc, superposant leurs
mobilités, leurs logiques et leurs stratégies migratoires. Des collectifs de
migrants transnationaux subsahariens apprennent tout le long de leur migration transnationale à jouer sur plusieurs territoires et à connecter des espaces
différenciés par du lien social. Ces individus, en partageant leur expérience
migratoire, mettent en forme des pratiques de solidarité et parviennent ainsi
à tisser du lien social en redéfinissant leur projet migratoire individuel
comme projet collectif. L’organisation migratoire et les dispositifs opérationnels mis en place par ces collectifs de migrants subsahariens nous
indiquent une forme de circulation transversale en réseau et nous permettent
de concevoir de nouvelles formes de transnationalité dans ces flux.
Mais, depuis septembre/octobre 2005 et les évènements tragiques de
Sebta et Melilla (Migreurop, 2007) les collectifs de transmigrants subsahariens prennent une dimension particulière en passant de la seule fonction
d’entraide au militantisme politique. Ces nouveaux militants sont pour la
plupart des transmigrants qui espéraient passer un jour en Europe, mais se
retrouvent aujourd’hui bloqués du fait des politiques migratoires
européennes restrictives visant à stopper ce mouvement en amont et de la
coopération, plus ou moins zélée, des pays africains à ces politiques. Au
Maroc au moins sept associations politiques (mais qui ne sont pas toutes
reconnues officiellement) se sont ainsi montées et leurs membres, de plus en
plus nombreux, non seulement militent en faveur du respect de leurs droits
au Maroc, même s’ils ne veulent pas s’y installer durablement, mais militent
également au niveau international en faveur du droit d’asile et revendiquent
leur droit à la libre circulation. Ces étrangers, qualifiés de nos jours de clandestins, contre lesquels un véritable arsenal juridique et des moyens quasimilitaires sont mobilisés, sortent peu à peu de l’anonymat, malgré un
évident déficit de citoyenneté. Les transmigrants subsahariens sont ainsi
passés du projet migratoire individuel à la réorganisation collective en cours
Alioua
La migration transnationale des transmigrants subsahariens
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de route par la constitution de groupes structurés en des formes sociales
originales, puis à la revendication politique, malgré la diversité des origines
et la concurrence, malgré la déterritorialisation et l’errance, malgré la précarité des situations et les répressions.
Plusieurs associations de transmigrants et de réfugiés ont vu le jour au
Maroc mais aussi dans d’autres pays africains, au Mali, Sénégal, Cameroun,
et sont en contact entre elles. Leurs points communs principaux sont le fait
de placer la libre circulation et le droit d’asile au centre de leur combat, et
le fait d’être soutenues activement au niveau international par des militants
européens, généralement proches de ceux que l’on nomme les altermondialistes, et au niveau local par les militants des Droits de l’Homme dont la
légitimité s’inscrit dans l’histoire politique de ces pays. Au Maroc, avec
l’aide et le relais d’une partie importante de la société civile, d’associations
de migrants marocains installés en Europe et d’étrangers issu d’ONG internationales qui ont tous été choqués par la violence qu’on leur oppose, ces
nouveaux acteurs transnationaux, dits pourtant clandestins, apparaissent sur
la scène publique et médiatique où ils viennent régulièrement défendre leurs
droits et présenter leurs revendications.
On peut même dire qu’une certaine forme de négociation politique, certes
très précaire, se développe peu à peu au Maroc, un peu à l’image des mouvements des ‘sans papiers’ en France. Tout cela complexifie extraordinairement le phénomène, car ce ne sont plus qu’à leurs seuls citoyens que les Etats
doivent rendre des comptes, mais à une pléthore d’acteurs transnationaux,
dont les logiques, les intérêts ou les stratégies se superposent l’espace d’un
moment. De plus, comme le droit international a évolué, les Etats sont
soumis à des autorités supranationales, ce qui laisse le champ ouvert aux
organisations qui tentent d’imposer par le droit leurs revendications.
Ces populations participent ou anticipent ainsi, ‘par le bas’ et ‘par la
marge’, la libre circulation des personnes, malgré ou contre les Etats.
Pourtant, le défi lancé à la souveraineté des Etats par la mondialisation des
échanges est habituellement abordé dans une perspective qui privilégie un
certain type d’acteurs, et lorsque l’on évoque ceux qui sont susceptibles de se
superposer aux institutions nationales ou de concurrencer directement leurs
prérogatives, on pense généralement aux entreprises multinationales, aux
ONG ou aux organisations du type FMI, Tribunal International, ONU, etc.
Mais il existe d’autres types d’acteurs du transnationalisme qui investissent
les domaines réservés des Etats et réinventent des formes de gouvernance: en
plus des militants des ONG, il y a les migrants, et tout particulièrement ceux
du Sud, ceux qui, en dépit de la pauvreté qu’on leur prête, des statuts qu’on
leur impose et malgré les politiques migratoires étatiques, continuent à traverser les continents et à participer ainsi corps et âme à la mondialisation, et
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depuis peu, comme nous l’avons vu aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde,
s’organisent politiquement et manifestent publiquement.
Ce qui met en lumière cette autre transformation majeure des relations
internationales contrebalançant le pouvoir des Etats en matière de contrôle de
leurs frontières: la montée en puissance des régimes juridiques liés aux droits
humains, dans le cadre des Etats ou de conventions internationales (Sassen,
2007) et les réseaux transnationaux de militants qui font du lobbying afin que
ces droits humains soient supérieurs aux seuls intérêts nationaux.
Mais ce qui est frappant ici c’est que tous ces acteurs, privés, politiques,
publics, institutionnels, s’organisent selon les même logiques et les mêmes
formes, alors qu’ils n’agissent ni dans les mêmes sphères ni avec les mêmes
buts ou finalités. De leur côté, des individus s’organisent entre eux au-delà
de leurs particularismes, afin de pouvoir migrer comme bon leur semble, et
établissent des réseaux transversaux aux Etats-nations pour pouvoir transgresser leurs frontières, jouer sur plusieurs espaces et ainsi s’extraire de la
contrainte territoriale en espérant réaliser leurs projets personnels. Pour les
empêcher de réussir et selon une conception très sécuritaire et restrictive de
la souveraineté, les Etats-nations eux aussi s’organisent à une échelle plus
large que celle de la nation et du territoire en dépassant leurs différences, et
en débordant de leur cadre traditionnel. L’idée même d’externalisation des
contrôles migratoires souligne bien combien ces types de politiques s’inspirent de la mondialisation pour produire à moindre coût et avec le moins
d’entraves possibles l’effet désiré. C’est du off-shoring, on délègue, on
déterritorialise sa politique et le terme même renvoie au vocable de la mondialisation. Et afin de défendre le principe du droit de la personne, droit
qu’ils jugent essentiel au bon fonctionnement de la Démocratie et supérieur
aux intérêts nationaux, des réseaux de militants s’organisent transnationalement et font pression sur les Etats pour qu’ils cessent leurs politiques répressives. Ces pressions ce font notamment au niveau juridique en utilisant le
droit et les conventions internationales de protection des personnes et en
n’hésitant pas à attaquer les autorités en justice.12
*
*
*
Pour conclure, il s’agit maintenant d’insister sur le fait que les mouvements
migratoires auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui partout dans le
monde, doivent aussi être compris à la lumière de la formidable érosion
actuelle du champ politique de la nation comme limite de la démocratie, que
la mondialisation et la figure du migrant étranger interpellent. Au niveau
planétaire, les désirs d’émancipation individuelle, les logiques qui les soustendent ainsi que les stratégies mises en œuvre pour y parvenir, soulignent
Alioua
La migration transnationale des transmigrants subsahariens
709
combien les dynamiques définies par de nouveaux seuils d’individuation de
la vie sociale et par la construction de nouvelles formes d’agrégation de la
vie collective, dans lesquels les logiques collectives et individuelles se
croisent en des lieux toujours plus complexes et souvent en dehors des institutions et des cadres nationaux de socialisation et de production identitaire,
travaillent et modifient en profondeur les ordres sociaux institués par les
Etats-nations.
Cette transmigration des Africains subsahariens, cette ‘remontée des Sud’
(Tarrius, 2007), produit alors, dans les marges européennes, des rencontres
d’un genre nouveau entre des univers différenciés. L’autre, l’étranger, le
migrant appréhendé trop souvent de nos jours par le prisme de la clandestinité, vient nous rejoindre jusque dans nos centralités, nous interrogeant sur
nos propres certitudes en matière de citoyenneté, d’identité et d’appartenance. Les transmigrants qui circulent dans les marges de l’Europe (à l’intérieur et dans sa périphérie), acteurs déterminés de leur circulation en
réseaux relationnels, appréhendent leur position en pensant en même temps
le lieu et le monde. En jouant avec plusieurs appartenances, ils négocient
leur présence et leur passage d’un lieu à un autre en organisant leur complémentarité avec d’autres transmigrants, également avec certains
autochtones des sociétés qu’ils traversent afin de mieux s’y insérer, mais
aussi avec des militants transnationaux qui défendent au niveau international
le principe des droits humains et du droit à la protection supérieurs aux
intérêts nationaux.
Tandis que les réseaux migratoires et les collectifs d’entraide font preuve
d’un cosmopolitisme novateur en organisant des coopérations au-delà des
origines, et parfois même des finalités, les Etats de la région, quant à eux,
tentent de s’organiser nationalement et régionalement pour combattre et
réprimer ces mouvements migratoires, sans trop se soucier des conséquences humanitaires qui en découlent. Il se redessine ainsi de nouveaux
jeux d’évitement, de négociation, de pouvoir et de domination dans cette
région du monde.
L’UE continue notamment d’entretenir des relations avec les pays frontaliers concernant la politique d’asile et d’immigration irrecevables du point
de vue des conventions internationales de protection des personnes, paradoxales du point de vue des besoins européens en main-d’œuvre,13 et inefficaces sur le plan sécuritaire. Car, en dépit d’un coût humain exorbitant, les
migrants réussissent tant bien que mal à passer les frontières, ridiculisant les
velléités souverainistes des Etats-nations. Ces logiques de répressions de
plus en plus féroces créent de l’insécurité, devenant un aspect de crispation
dans les relations euro-méditerranéennes et maintenant euro-africaines. Ces
confrontations peuvent faire le lit de conflits qui, à terme, pourraient devenir
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ravageurs car, face à la peur irrationnelle de l’Europe qui se sent assiégée et
envahie, les acteurs des mouvements migratoires sont déterminés à réussir
leur projet. Ces populations migrantes, en des formes sociales toujours plus
complexes, tentent de s’associer afin de contourner les contraintes territoriales, les injonctions et les assignations à résidence édictées par des pouvoirs
dans lesquels elles n’ont plus confiance. Même si les conséquences
sociopolitiques de ces contournements encourageant ces acteurs à évoluer
dans les marges et dans l’économie informelle ne sont pas toutes encore visibles pour l’instant, et si nous avons tenté ici de n’en livrer que quelquesunes, plutôt positives, nous pouvons cependant suggérer que de très
nombreux effets pervers sont à craindre dans cette phase historique de mondialisation et de recomposition territoriale. Et le spectacle macabre,14 qui se
déroule en Méditerranée, est là pour nous le rappeler.
Adresse de l’auteur: Mehdi Alioua, LISST-CERS (UMR CNRS 5193), Université de
Toulouse le Mirail, 5 allées Antonio Machado, 31058 Toulouse Cedex 9, France. [email:
[email protected]; [email protected]]
Notes
1. Dans cette région, si les migrants non maghrébins (sans parler des Européens, touristes
ou coopérants, qui sont eux aussi des migrants) sont très majoritairement issus d’Afrique de
l’Ouest, on retrouve aussi en nombre important des Congolais (RDC et Congo Brazzaville),
Camerounais et Bangladais, et en plus petit nombre des Angolais, Irakiens, Kurdes,
Pakistanais, Indiens, Chinois; et même depuis peu, des Latino-américains, Honduriens et
Boliviens, dont la venue en vue de rejoindre l’Espagne n’était peut être pas que conjoncturelle
comme le laissent entendre les médias.
2. A la suite d’Alain Tarrius, j’utilise ici la notion forme migratoire en référence aux grands
modèles migratoires: par exemple diaspora, errance, nomadisme, ici transmigration, afin de
mieux la distinguer de celle de situation migratoire qui, elle, désigne les singularités que prennent ces formes auprès de telle population spécifique. A travers le concept de forme sociale,
Simmel montra formidablement bien comment les groupes sociaux les plus divers adoptent
dans leurs actions des formes identiques, indépendamment de leur origine et même parfois de
leur finalité. Il ouvrit ainsi un domaine d’investigation sociologique où même les plus petites
relations sociales auraient une signification, car grâce à leurs formes qui s’opposent ou se
ressemblent, elles font sens sociologiquement (Simmel, 1999).
3. Les Africains francophones autant que les anglophones utilisent la formule ‘je vais
chercher ma vie’ pour expliquer, et par là même légitimer, leur migration.
4. Il s’agit de garder à l’esprit que ce sont les marocains les premiers qui ont ouvert la voie
à ce type de contournement des contrôles frontaliers afin de passer en Europe. Ils restent encore
aujourd’hui les plus nombreux à migrer sans autorisation vers l’Europe afin de rejoindre les 2.2
millions de marocains qui y résident légalement et les dizaines de milliers qui espèrent être un
jour régularisés. Une partie importante de mon travail de recherche a été de décrire les articulations entre les différentes migrations et circulations depuis le Maghreb et dans la région de la
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Méditerranée Occidentale. J’ai montré comment les transmigrants subsahariens tentent de se
greffer sur les circulations euro-maghrébines afin de réussir leur projet migratoire.
5. ‘L’aventure!’ C’est ainsi qu’ils nomment eux-mêmes leur migration.
6. Le 29 juillet 2007 deux Sénégalais ont été tués ‘par les forces de l’ordre marocaines qui
tentaient de déjouer une tentative d’émigration clandestine, entreprise à partir de la côte de
Laâyoune (capitale du Sahara occidental marocain), par 37 Subsahariens de différentes nationalités vers les îles Canaries (Espagne)’, a annoncé une source officielle mardi à Rabat. Lors
de cette opération, deux autres émigrés ont été grièvement blessés, alors que 27 sont interceptés et 6 en fuite, indique un communiqué de la Wilaya (super-gouvernorat) de Laâyoune, sans
fournir d’indication sur l’identité des victimes [http://www.afriquenligne.fr/actualites/faits_
divers/deux_clandestins_subsahariens_tues_au_sahara_occidental_200707314403/].
7. Les termes de ‘migration irrégulière’, voire parfois même ‘d’émigration illégale’, qui
sont utilisées par les politiques ou les journalistes pour qualifier ce type de mouvements migratoires sont en contradiction directe avec les Articles 13 et 14 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme, 10 décembre 1948, qui stipulent que ‘toute personne a le droit de quitter
tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays’, et que ‘devant la persécution, toute
personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays’.
8. Voir les études très intéressantes de chercheurs français à ce sujet, dont les ouvrages et
articles suivants donnent un rapide aperçu: Fassin, Morice & Quiminal (1997); Valluy (2005);
Le Cour Grandmaison, Lhuilier & Valluy (2007).
9. Cela peut aller, du moins dans les discours, jusqu’à la volonté de créer dans ces pays de
véritables camps de rétention. Voir les travaux de recherches menés par les militants et les
chercheurs de Migreurop [http://www.migreurop.org/].
10. Rapport annuel 2006 de Frontex, p. 2 [http://www.frontex.europa.eu/annual_report].
Opérationnelle depuis le 3 octobre 2003, Frontex (du français Frontières extérieures) est
l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures
des États membres de l’Union européenne, dédiée à la sécurité et à la surveillance. Créée par
le règlement (CE) no. 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004, sa mission consiste entre
autres à aider les Etats membres à mettre en œuvre les règles communautaires relatives aux
frontières dites extérieures et à coordonner leurs opérations dans leur gestion.
11. Le terme de transit est curieusement dédié aujourd’hui aux pays limitrophes de l’UE,
accentuant encore plus le présupposé de l’extériorité de ces pays. Mais il faut se rappeler que
des pays comme l’Espagne ou l’Italie étaient considérés comme des pays de transit dans les
années 1990 avant de devenir d’importants pays d’immigration. De plus, d’anciens pays dits de
transit tel que Chypre ou Malte ont changé de statut du fait de leur entrée dans l’Union devenant
‘premier pays d’entrée dans l’UE’!
12. Un collectif d’ONG espagnoles qui fait aussi partie d’un réseau militant euro-africain créé
à Rabat, a déposé une plainte contre le gouvernement de Madrid, l’accusant d’avoir créé en
Mauritanie un ‘petit Guantanamo’ où sont internés des immigrants dits clandestins asiatiques et
africains. Dans leur plainte, déposée devant le ministère public, le collectif d’ONG assure que les
autorités espagnoles ont violé la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (Convention SAR de Search And Rescue), adoptée en 1979 sous l’égide de l’Office des
Migrations Internationales (OMI), à la suite de l’arrimage début février dernier du Marine I, un
cargo transportant près de 400 migrants asiatiques et africains, intercepté au large des Iles
Canaries et qui était resté bloqué en haute mer dans les eaux territoriales mauritaniennes pendant
plusieurs jours, arrimage qui a pris fin avec le débarquement des dits clandestins sur le territoire
mauritanien, au port de Nouadhibou. Les 400 migrants déclarés émigrés clandestins sans aucune
forme de procès ou d’assistance juridique, ont été retenus pendant 40 jours dans un dépôt de
poisson à Nouadhibou. La justice espagnole est maintenant sommée par ces collectifs citoyens
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organisés en réseaux transnationaux, de déterminer la responsabilité des autorités de Madrid dans
la violation des conventions internationales de protection des droits des immigrés et des personnes en danger en mer. Ces militants ont déjà fait savoir qu’ils poursuivraient leurs actions au-delà
du niveau national, notamment en passant par la Cour Européenne des Droits de l’Homme
(source: communiqué APA-Madrid Espagne du 06/04/2007).
13. ‘En 2020, les Européens ne constitueront que 5% de l’ensemble de la population mondiale et à cette date-là, le Vieux continent devra perdre 20 millions de personnes en âge de travailler. Ces personnes ne pourront être remplacées que par des immigrés.’ Telle est la
déclaration de fin de mandat de Josep Borrell à la tête de la présidence du Parlement européen,
lors d’un entretien accordé au journal El periodico de Catalunya. Les prévisions produites par
l’ONU vont, elles aussi, dans le même sens, mais paradoxalement la militarisation des frontières de l’UE et les politiques anti-migrants sont bien une réalité. Et, si, comme nous le suggérons ici, les frontières mouvantes de l’Europe glissent aussi à l’intérieur du Maghreb,
excluant nombre de migrants du droit d’avoir des droits (sur ce point voir le rapport d’une ONG
marocaine GADEM, La chasse aux migrants aux frontières Sud de l’UE: conséquence des politiques migratoires européennes. L’exemple des refoulements de décembre 2006 au Maroc),
dans le même mouvement cela ouvre une possibilité de résistance aux militants qui profitent de
cette fluctuation des frontières et utilisent les arguments démocratiques de cette même Europe,
incluant alors paradoxalement de nouveaux droits en gestation [http://www.iddreseau.org/
publication/down/RAPPORT_GADEM_20_06_2007.pdf].
14. Selon une revue de presse faite par Fortress Europe, 8157 personnes sont mortes depuis
1988 aux frontières de l’Europe en tentant de migrer [http://fortresseurope.blogspot.com].
C’est un chiffre très sérieux, repris régulièrement par les ONG s’intéressant à la question et corroboré par certains chercheurs.
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La migration transnationale des transmigrants subsahariens
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