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! Economie suisse ! PME
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Dejan Nikolic
Publié dimanche 3 avril 2016 à
18:29.
EMPLOI
Les contrôles de la police du travail ont été resserrés depuis janvier dernier.
Les demandes de mise en conformité commencent à pleuvoir. Les employés
en Suisse sont forcés de réapprendre à noter leurs heures de présence.
© KEYSTONE / CHRISTIAN BEUTLER / CHRISTIAN BEUTLER, KEYSTONE
CHRISTIAN BEUTLER
Timbrer au travail divise les esprits
De nombreux employeurs n’enregistrent pas le temps de
travail de leurs salariés, comme l’exige la loi depuis 52 ans.
Berne vient d’introduire un nouveau régime pour les cadres et
les inspectorats multiplient les descentes dans le secteur
privé
En Suisse, l’obligation de noter ses heures de bureau, pour tous
les employés, est inscrite dans la loi depuis 52 ans. La loi sur le
travail (LTr) de 1964 impose en e!et de documenter, sur les
cinq dernières années d’activité de l’entreprise, les horaires
professionnels de tous les collaborateurs, sauf ceux occupant
une fonction dirigeante élevée.
Lire l'éditorial. Droit du travail: intolérable a"einte à la liberté
Les exigences de ce séquençage vont jusqu’à détailler les
durées des pauses égales ou supérieures à 30 minutes. D’après
le Secrétariat d’Etat à l’économie, 16 à 17% des travailleurs du
pays ne respectaient pas l’obligation de noter leurs heures en
2010. «Hors secteur industriel, ce taux est beaucoup plus
élevé», indique Marianne Favre Moreillon, spécialiste en droit
du travail et directrice du cabinet lausannois DroitActif. Même
son de cloche du côté d’Olivia Guyot Unger, directrice juridique
à la Fédération des entreprises romandes (FER) Genève: «Au
sein des entreprises de services, l’enregistrement horaire est
très peu, voire pas appliqué du tout. C’est dans l’air du temps.»
Dans un contexte de concurrence et de #exibilité accrues,
chacun [employeur et employé] y trouve son compte», estimet-elle.
Travail dématérialisé
Garde-fou contre le surmenage pour les uns, le recensement
du temps de travail est considéré comme anachronique pour
les autres. «C’est coûteux, administrativement et en termes de
suppléments de salaires, mais surtout inadapté à notre
époque», relève Bernard Briguet, directeur romand de
l’Association suisse des cadres. Selon lui, la tendance est
aujourd’hui au management participatif et au partage de
responsabilités. «Dans notre économie moderne, les
travailleurs sont mobiles et font du télétravail. Les entreprises
d’aujourd’hui fonctionnent davantage en mode projets, se
basant sur des objectifs, ce qui implique de la souplesse
horaire basée sur une con$ance mutuelle et une discipline
individuelle», signale-t-il.
Pour Bernard Briguet, le contrôle des présences physiques
pénalise ceux qui travaillent plus vite que leurs collègues
e!ectuant la même tâche mais en davantage de temps. «Noter
ses heures incite au présentéisme, ce qui ne manquera pas de
faire chuter la productivité», prévient-il. Par ailleurs, une
application stricte des règles actuelles relèverait selon lui du
casse-tête. «Comment comptabiliser ses déplacements pour
voir un client, si son train a par exemple une heure de retard?
Et lors d’un déjeuner d’a!aires, doit-on enclencher le compteur
à 100%, sachant que l’on est de toute manière censé
s’alimenter? Faut-il aussi enregistrer six heures de trajet allerretour depuis Genève, si l’on est obligé d’aller au siège de
Zurich pour sa soirée du personnel?» s’interroge-t-il.
D’après Olivia Guyot Unger, le régime actuel a pour défaut
corollaire de saper l’a"ractivité de la place économique
helvétique. «La Suisse est appréciée pour la #exibilité de son
droit du travail. Ce"e évolution va à contre-courant», déploret-elle.
Contrer l’épuisement
Les 26 inspectorats cantonaux ont tout juste commencé à
resserrer leurs contrôles. L’objectif de ce"e modi$cation dans la
pratique de surveillance du marché du travail consiste moins à
contrer la #exibilisation des horaires professionnels du salarié
lambda qu’à lu"er contre l’épuisement des managers.
Dans sa lu"e pour contrer l’épuisement professionnel, la
Confédération a ajouté, voilà quatre mois, deux nouveaux
articles (73a et b) dans l’ordonnance 1 relative à la LTr,
introduisant pour les cadres la possibilité de renoncer à saisir
leurs heures de présence au bureau ou de le faire de manière
simpli$ée. «L’objectif de comba"re le burn-out des cadres est
louable, reconnaît Olivia Guyot Unger. Toutefois, le moyen mis
en œuvre pour y parvenir n’est pas adéquat.»
L’effet d’un coup de tonnerre
Jusqu’alors, les salariés ayant un pouvoir décisionnel ne
comptaient pas leurs heures. «Ces nouvelles dispositions et
leurs implications dans la pratique des sociétés en matière
d’enregistrement du temps de travail ont eu l’e!et d’un coup de
tonnerre. Leur introduction a pointé des lacunes historiques
sur l’ensemble des e!ectifs de nombreuses entreprises»,
témoigne-t-elle.
L’aspect le plus sensible d’un pointage renforcé est le paiement
des dépassements horaires. «Vu les coûts que cela peut
représenter [l’économie suisse totalisait 198 millions d’heures
supplémentaires o%cielles en 2013, soit l’équivalent de 105 000
emplois à plein-temps], certains employeurs risquent de voir
leurs liquidités fondre. La mise à mal de leurs activités pourrait
avoir des conséquences sur l’emploi», s’inquiète l’avocate
genevoise. Ce"e dernière dit traiter actuellement plusieurs
demandes de mise en conformité par les autorités de son
canton, pouvant in#iger jusqu’à 40 000 francs d’amende aux
contrevenants.
Fin de la politique de l’autruche
De son côté, Marianne Favre Moreillon a déjà été sollicitée par
plus d’une centaine d’entreprises de Suisse romande, toutes
tailles confondues, cherchant à normaliser leurs pratiques. «La
principale vertu de ce"e réforme fédérale est qu’elle oblige les
sociétés à me"re de l’ordre dans leurs contrats et leur
réglementation interne, a$n de clari$er la manière de gérer la
comptabilité horaire du personnel», indique-t-elle.
Bel avenir pour le marché de la timbreuse
Faut-il aussi penser à acheter une timbreuse? Les prestataires
dans ce domaine sont plus actifs que jamais. Pour preuve, leur
présence remarquée lors des séances de formation à
l’enregistrement du temps de travail, toutes organisées à
guichets fermés par la FER le mois dernier. «La pointeuse est la
dernière chose dont il faut se préoccuper. La priorité est de
mener une ré#exion de groupe, qui s’inscrit dans une véritable
politique d’entreprise. Ce qui peut prendre de six à huit mois»,
commente Marianne Favre Moreillon.
Outre les machines traditionnelles, la loi autorise les
entreprises à présenter les informations requises – sous une
forme compréhensible et structurée – en exploitant des
documents existants, comme le contenu du registre du
personnel ou les rapports de travail des collaborateurs. Des
applications mobiles de gestion horaire, la tenue manuscrite
d’un tableau Excel, le fait de badger pour accéder à son bureau
et débadger pour en sortir, la prise en compte du moment de la
connexion à un ordinateur comme horaire d’entrée en
fonction, par exemple, sont aussi admis.
La timbreuse fâche les patrons
La généralisation du pointage se heurte aux réalités de
l’économie tertiarisée, mais rassure les employés. Témoignages
dans quatre entreprises
■ Alain Borle, directeur de la société vaudoise Pac Team
Group (450 collaborateurs, dont 39 en Suisse)
Alain Borle ne décolère pas. Pour le patron de Pac Team, une
entreprise spécialisée dans le design de stands et de vitrines, la
Suisse est en train d’ouvrir une boîte de Pandore avec la
généralisation de la timbreuse dans les entreprises. «Nous
étions un pays libéral. Est-ce que c’est un système à la
française avec sa paperasse et son taux de chômage que l’on
veut? Je suis un entrepreneur, je n’ai pas envie de passer mon
temps à me justi$er devant des fonctionnaires.»
Le patron de Pac Team dénonce la $n d’un système basé sur la
con$ance. La moitié de ses 39 collaborateurs en Suisse e!ectue
régulièrement des voyages professionnels, notamment à Bâle
lors du dernier salon de l’horlogerie. Impossible, pour lui, de
les faire timbrer. Une question qui ne se pose pas dans les
usines du groupe en Chine et en Italie: «La timbreuse à toute
sa place sur des sites de production, surtout si les ouvriers sont
payés à l’heure. Mais comment je fais avec mes designers: je
leur demande de dessiner uniquement pendant les heures de
bureau?»
■ Marc Friederich, cofondateur de l’agence web lausannoise
Antistatique (14 collaborateurs)
Chez Antistatique on n’a pas l’intention de revenir à la
timbreuse, malgré une visite de la police du travail en janvier.
Pour Marc Friederich, cofondateur de l’agence web basée à
Lausanne et Genève, ce système est inadapté aux réalités de la
start-up: «Nous encourageons le travail à distance et nous
tentons d’éviter les heures supplémentaires. Niveau
productivité, passer 10h dans son bureau est ine%cient.»
L’entreprise est pourtant habituée à des charges de travail
variables de semaine en semaine en fonction des mandats
assignés. Toute l’équipe a même bâché un week-end pour
terminer l’application d’un client pressé.
Pour enregistrer leurs heures de travail, les employés
d’Antistatique ont trouvé une alternative à la timbreuse.
L’application Yalty – qui permet aux PME qui n’ont pas de RH
de gérer les horaires de leurs employés – permet à chacun de
noter chaque semaine ses horaires irréguliers. «Cela nous
permet d’entrer dans le cadre légal, explique Marc Friederich.
Nous voulons rester #exible. Si un employé a besoin de
s’absenter une heure pour chercher de l’inspiration ailleurs, pas
de problème. A partir du moment où on les engage, c’est qu’on
leur fait con$ance.»
■ Edouard Comment, directeur des RH à la banque UBP
(1450 employés)
La banque UBP pratiquait déjà le timbrage sur son siège
genevois. Elle a désormais étendu la pratique à ses succursales
de Lugano, Zurich et Bâle. Dans la pratique, les employés sont
munis de badges et un tourniquet permet de comptabiliser les
entrées et sorties. Mais les visites des clients, les repas
d’a!aires ou les voyages compliquent l’enregistrement du
temps de travail. «C’est un gros travail administratif de gestion
et de correction du temps de travail établi par la pointeuse,
explique Edouard Comment, directeur des ressources
humaines chez UBP. Nous y passons au moins une journée par
semaine. Ça va devenir vraiment compliqué pour les PME.»
Pour le directeur des ressources humaines, même si les cadres
râlent, la pointeuse revêt un aspect sécuritaire pour les autres
employés: «Cela leur permet de garder une tracer de leurs
heures supplémentaires et de s’assurer qu’elles seront prises en
compte par l’entreprise, notamment lors de la $n du rapport de
travail.»
■ Frédéric Gisiger, patron de la brasserie Lipp (96 employés)
Frédéric Gisiger, patron de la brasserie Lipp, a introduit le
pointage pour ses 96 employés il y a 15 ans. Il est récemment
passé à un système d’identi$cation par empreintes pour éviter
que les badges ne circulent entre les serveurs. Malgré tout, il
soumet tous les mois un récapitulatif des présences à ses
employés.
Juge prud’homme depuis 20 ans, Frédéric Gisiger a également
traité de nombreux litiges liés aux heures supplémentaires.
Pour lui, une généralisation de la timbreuse serait une bonne
chose dans la restauration; le fardeau de la preuve reposant
toujours sur l’employé qui réclame ses heures. Le patron de
PME craint toutefois une augmentation du nombre de faillites.
«La prescription légale de cinq ans est trop longue. Une
entreprise avec 4-5 collaborateurs qui n’aurait pas payé les
heures supplémentaires ne pourra jamais éponger la de"e
accumulée. Il faut trouver des arrangements pour éviter de
me"re en péril les entreprises.»
À propos de l'auteur
Dejan Nikolic
@DejNikolic
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