France : le resserrement du crédit reste pour l`instant limité
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France : le resserrement du crédit reste pour l`instant limité
N° 93 – 14 mai 2008 France : le resserrement du crédit reste pour l’instant limité Si pour la plupart des observateurs le gros des turbulences financières semble aujourd’hui derrière nous, la situation des marchés est loin d’être complètement stabilisée. Les tensions restent vives sur certains segments, notamment les marchés du crédit (spread corporate tendus) ou monétaires (spread entre le taux Euribor à trois mois et le taux directeur avoisinant les 80 pdb). Face à une ressource financière devenue plus onéreuse et à la remontée cyclique et globale du coût du risque, les banques sont contraintes d’ajuster leur politique de distribution du crédit. Aux Etats-Unis cette situation s’est bien traduite par une restriction de l’offre de crédit. En revanche en France, et plus généralement en Europe, les conséquences sur le crédit bancaire sont peu visibles. Les enquêtes réalisées auprès des banques commerciales françaises et européennes en général, sorties début mai, montrent néanmoins une poursuite du durcissement des conditions de crédit. Ce resserrement reste assez modéré en France comme dans le reste de l’Europe. Les entreprises, y compris les PME, sont davantage touchées que les ménages. Pour l’instant, ce resserrement n’est guère perceptible au niveau de l’évolution des crédits. Ces derniers restent sur des rythmes de progression dynamiques. Les crédits aux entreprises continuent d’accélérer tandis que les prêts aux ménages marquent le pas. Les banques indiquent un resserrement « relatif » des conditions de crédit Des critères de prêts aux entreprises plus restrictifs. Les enquêtes récentes de la Banque de France et de la Banque Centrale Européenne (BCE) auprès des banques commerciales montrent une poursuite du resserrement des conditions d’accès au crédit au premier trimestre 2008. Comme au trimestre précédent, le durcissement des critères de prêts concerne davantage les entreprises que les ménages. Il convient de préciser que pratiquement toutes les banques font état d’un « resserrement relatif » et non pas d’un « resserrement marqué ». Plus de la moitié des banques commerciales françaises (59 %, contre 54 % fin 2007) indiquent ainsi avoir durci les conditions de crédit aux entreprises en général, et aux plus grandes en particulier (63 %, contre 57 % fin 2007). Dans l’ensemble de la zone euro, la part des banques déclarant un durcissement des conditions de prêts aux entreprises est plus faible qu’en France, mais en plus forte augmentation (49 %, après 41 % à la fin 2007). 80 Conditions de crédit entreprises solde d'opinion 80 >0 resserrement 60 60 40 40 20 20 0 0 -20 -20 <0 relachement -40 -40 03 04 05 06 07 08 France Source : BDF, BCE, CA UEM Mais ce qui est nouveau, et surtout vrai en France plus que dans le reste de la zone euro, c’est que les conditions de crédit aux PME se sont nettement resserrées au premier trimestre. 80 Conditions de crédit aux PME solde d'opinion 80 >0 resserrement 60 60 40 40 20 20 0 0 -20 -20 <0 relachement -40 -40 03 04 05 06 France Source : BDF, BCE, CA 07 08 UEM (Suite page 2) Olivier Bizimana [email protected] Olivier Eluère [email protected] Internet : http://www.credit-agricole.com - Etudes Economiques Olivier Bizimana [email protected] Olivier Eluère [email protected] Les banques françaises expliquent l’extension du resserrement des conditions de prêts aux entreprises, par la dégradation des perspectives économiques générales et sectorielles (PME), les difficultés de refinancement et les contraintes d’équilibre de bilans (grandes entreprises). Ce resserrement s’est, en outre, opéré selon plusieurs modalités : une augmentation des marges des crédits, en général, et des crédits risqués, plus particulièrement, une réduction des maturités et des montants des prêts, et des clauses de révision des contrats plus restrictives. Par ailleurs, les banques françaises et européennes font état d’une baisse de la demande de crédit de l’ensemble des entreprises. Des conditions de crédit aux ménages neutres en France et plus resserrées dans le reste de la zone euro Les critères d’octroi des crédits immobiliers aux ménages restent neutres en France, mais deviennent plus restrictifs dans le reste de la zone euro, au premier trimestre. Ce décalage s’explique par la dégradation des perspectives du marché immobilier et d’activité économique dans certains pays de la zone euro (notamment Espagne et Irlande). 40 solde d'opinion Conditions de crédit habitat 40 Au vu de l’enquête, les banques françaises ont un peu élargi leurs marges, notamment sur les prêts les plus risqués, mais n’ont pas clairement resserré les autres critères d’octroi. Par ailleurs, les conditions d’accès aux crédits à la consommation et aux autres formes de prêts aux ménages sont également inchangées par rapport au trimestre précédent en France, mais un peu plus restrictives dans le reste de la zone euro. Pour les banques, les conditions de marché resteront tendues. Les enquêtes françaises et européennes comportent également des questions complémentaires portant sur les implications directes de la crise financière sur la situation des banques. Les banques françaises et européennes continuent ainsi de signaler des problèmes de refinancement sur le marché interbancaire à court terme et sur le marché des titres de créance à moyen et long terme. Elles font également état de difficultés dans le montage des opérations de titrisation de crédit aux entreprises et aux ménages (surtout en zone euro hors France). Par ailleurs, plus de la moitié des banques déclarent avoir surtout observé des effets restrictifs pour le financement des opérations de fusion-acquisition. L’investissement productif (FBCF) semble avoir été peu affecté. 30 30 >0 resserrement 20 20 10 10 0 0 -10 France: Prévisions conditions de crédit solde 80% d'opinion 80% 60% >0 resserrement 60% 40% 40% -10 20% 20% -20 0% 0% <0 relachement -20 03 04 Source : BDF, BCE, CA 05 06 France 07 08 UEM En France, le resserrement de l’octroi de crédit habitat reste très modéré pour une série de raisons : - le recours des banques françaises aux marchés financiers pour refinancer les prêts habitat est plus limité que dans les pays anglo-saxons. D’ailleurs, sur les derniers mois, la forte croissance des placements liquides des ménages, notamment des dépôts à terme, a compensé en partie les difficultés de refinancement ; - la concurrence interbancaire reste très forte et le prêt habitat est un produit d’appel et de fidélisation ; - les banques sont déjà sélectives et attentives à la qualité de l’emprunteur, notamment en matière de crédit habitat, et la demande de logements reste à la fois solide et raisonnable. N° 93 – 14 mai 2008 -20% <0 relachement -40% 03 04 Source : BDF, CA -20% -40% 05 06 07 08 Conditions crédit entreprises dans 3 mois Conditions crédit ménages dans 3 mois Au total, les banques françaises et européennes anticipent une persistance des tensions sur le marché interbancaire et donc une poursuite des difficultés de refinancement au cours des trois prochains mois. Au deuxième trimestre, elles prévoient une poursuite du resserrement des conditions de crédit aux entreprises et aux ménages, même si, pour ces derniers, le mouvement devrait rester assez modéré. 2 Olivier Bizimana [email protected] Olivier Eluère [email protected] Pas d’effet marqué pour l’instant sur le crédit en France - Pour le moment, en France, tout comme d’ailleurs dans le reste de la zone euro, le durcissement annoncé des critères de prêts est peu visible sur l’offre effective. Le ralentissement de la production de crédit habitat a été compensé par le dynamisme toujours soutenu des crédits aux entreprises. Une décélération des crédits investissement est probable au cours des prochains mois, compte tenu de la volonté de durcissement exprimée par les banques et du freinage à venir des dépenses d’investissement. Les crédits à l’investissement seraient en hausse de 6 % sur un an fin 2008. Entreprises : des rythmes très soutenus début 2008 Les crédits de trésorerie restent pour l’instant très bien orientés. L’encours progresse de 18 % sur un an en février 2008 contre 9 % fin 2006. Avec la détérioration des profits et un moindre recours aux titres de marché pour financer les stocks et les besoins en fonds de roulement, les entreprises ont été contraintes de se tourner vers les banques. Sur les prochains trimestres, ce rythme de progression pourrait un peu s’infléchir, avec une croissance de l’activité moins forte (1,7 % en 2008 après 1,9 % en 2007), mais restera dynamique, de l’ordre de 10 % sur un an fin 2008. Crédits habitat : la correction reste limitée La décélération des crédits habitat se poursuit. Les encours décélèrent (12,7 % l’an en février 2008, contre 14,5 % un an plus tôt). Et la production de crédits habitat est en recul. En février 2008, le cumul sur douze mois atteint 144 milliards, en baisse de 7,1 % sur un an. Ceci reflète la stabilisation du marché immobilier. Les ventes plafonnent en volume et reculent légèrement en Ile-de-France. Les prix sont en hausse quasi-nulle dans l’ancien (+0,9 % sur un an en T1 2008). France: encours de crédits aux entreprises en % 25 20 15 10 5 0 -5 un délai de réaction entre le durcissement opéré et l’évolution constatée du crédit. Comme on l’a vu, le resserrement des conditions de crédit reste limité. Le freinage du crédit s’explique en fait surtout par la décélération de la demande de logements. Le marché immobilier a connu un boom marqué de 1997 à 2005, mais un freinage graduel des ventes et des prix s’est mis en place, à partir de 2006, et s’est accentué en 2007. Les prix d’achat sont devenus très élevés et les taux de crédit habitat remontent depuis début 2006. Le taux effectif global moyen d’un crédit habitat à taux fixe s’est accrû de 4,29 % fin 2005 à 5,44 % en T1 2008. -10 France: crédits et prix immobiliers -15 -20 20 99 00 Source : BdF, CA 01 02 03 04 05 crédits investissement 06 07 08 crédits trésorerie En matière de crédits à l’investissement, la situation est paradoxale. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’enquête sur la distribution de crédit témoigne d’un infléchissement, tant de la demande que de l’offre de crédit. Mais les encours de crédits investissement restent en hausse marquée, au moins jusqu’en février dernier, à + 11,9 % l’an, contre 9 % début 2007. Cette bonne tenue des crédits investissement étonne d’autant plus que, face à la dégradation des perspectives de débouchés extérieurs, les dépenses d’investissement des entreprises tendent à freiner. Ceci peut s’expliquer par plusieurs éléments : - la difficulté des entreprises à se financer sur les marchés (les flux nets d’émissions d’obligations et de titres de créances négociables par les entreprises ont été négatifs en 2007) ; - le recours probable à des lignes de crédit consenties avant le resserrement mis en place ces derniers mois. N° 93 – 14 mai 2008 a/a,% 15 10 5 0 -5 94 96 98 00 02 Encours de crédits habitat 04 06 08 Prix des logements anciens Source : BdF, FNAIM Les acheteurs butent donc de plus en plus sur la contrainte de solvabilité. Compte tenu des exigences des banques en matière de taux d’effort (un tiers maximum du revenu), ils ont été conduits à allonger la durée des crédits et à faire des concessions (sur la taille, la qualité, l’emplacement). Celles-ci atteignent leurs limites. Les acquéreurs sont moins nombreux, plus attentistes et plus sélectifs, d’où un léger recul des ventes, une remontée des stocks, un allonge3 Olivier Bizimana [email protected] Olivier Eluère [email protected] ment des délais de vente et une stabilisation des prix. Ceci va se poursuivre et même s’amplifier en 2008. Les acheteurs, conscients que les prix ne montent plus, seront encore moins pressés d’acheter. Et les taux de crédit habitat pourraient encore un peu remonter. Les prix devraient donc se replier un peu. Mais il s’agit d’un mouvement d’autorégulation et non de la correction d’un emballement excessif (à l’inverse, par exemple, des marchés britannique ou espagnol). Les prix, très élevés, ne sont pas clairement surévalués. La demande reste solide et guidée par des facteurs structurels, les taux de défaut demeurent très bas, l’offre reste limitée et les niveaux de stocks soutenables. Tout ceci devrait conduire à une légère baisse des transactions (en volume) et des prix immobiliers en 2008 (-2 % en moyenne annuelle dans l’ancien. Dans ces conditions, la production de nouveaux crédits habitat serait en recul de 8 % environ en 2008. L’encours de crédit habitat freinerait, vers +10 % fin 2008. Crédits à la consommation : légère accélération L’encours de crédits de trésorerie a légèrement accéléré sur les derniers mois (+5,6 % l’an en février 2008, contre 3,6 % en février 2007). L’appétence des ménages pour la consommation et notamment les produits « high tech » reste forte ; la croissance des revenus réels est affectée par la remontée de l’inflation. Ces tendances devraient se poursuivre au cours des prochains trimestres, d’autant que les taux courts vont un peu refluer (3,7 % prévu fin 2008 pour l’Euribor trois mois, contre 4,7 % en début d’année). L’encours des crédits de trésorerie pourrait ainsi progresser de 5 % environ sur un an fin 2008. Jusqu’à quand l’économie réelle peut-elle résister ? Selon nous, une transmission de la crise financière à l’économie réelle est inévitable pour plusieurs raisons. 1) le renchérissement du coût de la ressource des banques pèse sur leur capacité à accorder des crédits. En particulier, les pertes en lien direct avec la crise du subprime, subies par les banques françaises et européennes en général, ont affecté leurs fonds propres, et par conséquent, leur capacité de prêt. De plus, la forte contraction de l’émission de produits structurés a réduit leur possibilité de refinancement. 2) les entreprises font face à des conditions de marchés toujours très tendus (spreads corporate élevés et déprime des marchés actions). 3) le retournement des marchés immobiliers dans certains pays européens et la récente faiblesse des marchés d’action devraient avoir des conséquences macroéconomiques. La baisse des prix d’actifs affecte, en effet, la consommation des ménages, au travers des effets richesses. En outre, les évolutions des prix de l’immobilier ont un impact important sur le secteur de la construction en général. De plus, la baisse des marchés d’actions et des prix de l’immobilier, ainsi que l’augmentation des taux de crédit ont des effets négatifs sur les bilans des entreprises et les patrimoines des ménages. Ceci fragilise leur situation financière et leur capacité d’emprunts. 4) outre les effets directs transitant par le secteur financier, nos économies font face aussi à d’autres chocs (flambée des prix des matières premières et euro fort) qui les fragilisent davantage. Au final, nous pensons que la crise financière va finir par avoir un impact sur l’offre de crédit (principalement en direction des entreprises), ce qui devrait freiner la consommation et surtout l’investissement. Comme en témoignent les évolutions des crédits en France, l’économie réelle semble pour l’instant peu affectée par la crise financière, mais jusqu’à quand ? Crédit Agricole S.A. — Direction des Études Économiques 75710 PARIS Cedex 15 — Fax : +33 (0)1 43 23 58 60 Directeur de la Publication : Jean-Paul Betbèze Secrétariat de rédaction : Fabienne Pesty Contact : [email protected] Internet : http://www.credit-agricole.com - Etudes Economiques Abonnez-vous gratuitement à nos publications électroniques Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A. à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification. Elle est réalisée à titre purement informatif. Ni l’information contenue, ni les analyses qui y sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de vente ou une sollicitation commerciale et ne sauraient engager la responsabilité de Crédit Agricole S.A. ou de l’une de ses filiales ou d’une Caisse Régionale. 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