Les conséquences du vieillissement de la population

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Les conséquences du vieillissement de la population
GESTION DE L’EMPLOI DANS LA BANQUE
Les conséquences du vieillissement
de la population
François
Laffond
Responsable de
l’Observatoire
des métiers de la
banque
Comment les banques
se positionnent-elles par
rapport à la tendance
générale du vieillissement
de la population active, qui
se conjugue aujourd’hui
avec les effets de la crise
économique et l’accélération
des impacts technologiques,
organisationnels et
réglementaires sur les métiers ?
La formation et l’« employabilité
tout au long de la vie »
constituent-elles des réponses
au défi démographique ?
L
es conséquences du vieillissement de la population
sur l’emploi nous interpellent sur les interactions
entre gestion des pyramides des âges et évolution
des métiers. Parallèlement, le dossier de la réforme
des retraites remet systématiquement sur le devant de la
scène le vieillissement de la population et le débat sur la
prolongation de la vie au travail. L’augmentation de l’espérance de vie et la nécessité du maintien de l’équilibre du
régime des retraites conduisent tous les pays européens à
retarder l’âge de cessation d’activité. Quelques données
générales permettent de fixer les idées.
UN TAUX D’EMPLOI DES SENIORS QUI S’ÉLÈVE
Dans ce contexte, la hausse du taux d’emploi des seniors
est inévitable en regard des orientations préconisées
par les Conseils européens de Lisbonne et de Barcelone.
En 2010, ce taux devait atteindre le chiffre de 50 %. En
2011, selon les chiffres de l’Insee, ce sont 44,4 % des
personnes âgées de 55 à 64 ans qui sont actives en
France, 41,5 % sont en emploi et 2,9 % au chômage. La
moyenne dans l’Union européenne est de 47,4 %. Cette
proportion de seniors représente 12,5 % de la population active en France en 2011, contre 7,1 % en 2000.
UN FRANÇAIS SUR SIX A PLUS DE 65 ANS
Sous l’effet conjugué de l’augmentation de l’espérance
de vie et de l’avancée en âge des générations nombreuses du baby-boom, la population française continue de vieillir. Au 1er janvier 2011, tous sexes confondus, l’âge moyen en France dépasse 40 ans, alors
qu’il était tout juste inférieur à 37 ans il y a 20 ans.
Les personnes de 65 ans ou plus représentent 16,8 %
de la population, ce qui est comparable à la moyenne
européenne. Les premières générations du baby-boom
Revue Banque | supplément au n°765 | novembre 2013
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Supplément
RH : les conséquences du vieillissement de la population
Il en est ainsi, pour le cœur de l’activité, du métier de
chargé d’accueil et du métier de gestionnaire de backoffice, comme du responsable d’unité de traitement
bancaire ; dans le champ des activités supports est
concerné le métier de technicien logistique/immobilier. Ces trois catégories de populations présentent
des caractéristiques fortement typées et similaires :
– une forte tendance des effectifs à la baisse entre 2007
et 2011 : -12,2 % pour les chargés d’accueil, -42,9 %
pour les gestionnaires de back-office et -45,4 % pour
les techniciens logistiques ;
– un âge moyen élevé : 44,2 ans pour les chargés d’accueil, 48,4 ans pour les gestionnaires de back-office, et
51,5 ans pour les techniciens logistiques ;
– une structure d’âge fortement positionnée sur la
tranche des 50 ans et plus : 47,1 % pour les chargés
d’accueil, 60,1 % pour les gestionnaires de back-office,
et 70,1 % pour les techniciens logistiques ;
– enfin, une population fortement féminisée et non
cadre (respectivement 75,4 % et 93,2 % pour les chargés d’accueil ; respectivement 69,9 % et 88,6 % pour
les gestionnaires de back-office, et respectivement 35 %
et 69 % pour les techniciens logistiques).
Les banques se trouvent confrontées à deux situations
sociodémographiques différentes :
– la structure d’âge des plus de 55 ans est impactée par
les évolutions des métiers ;
– en revanche, dans de nombreux cas, les évolutions
des métiers ont un effet neutre sur la composition
démographique.
« En 2012, la banque recensait
une part de salariés âgés de plus
de 50 ans, de près d’un tiers, alors
qu’elle était d’un peu plus du quart
dans l’ensemble du secteur privé. »
(1946-1973) commencent à atteindre l’âge de 65 ans,
ce qui contribuera à augmenter fortement la part des
seniors dans la population française.
Ces quelques données générales de la population française se retrouvent-elles au sein de la population bancaire ? Existe-il des particularités propres à la profession ? Qu’en est-il de l’impact du vieillissement sur la
gestion de l’emploi dans la banque ?
L’Observatoire des métiers de la banque a conduit, au
premier semestre 2013, des études sur l’évolution des
métiers de la banque, en application de l’accord GPEC
de la branche[1]. Alors même que tous les métiers
sont traversés par différents impacts et à des niveaux
variables, certaines filières de métiers sont davantage
caractérisées par une pyramide des âges vieillissante.
[1] Signature d’un accord de branche le 3 novembre 2011 sur la gestion
prévisionnelle de l’emploi et des compétences, signé par l’AFB, la CFDT,
la CFTC et FO.
1. REPÈRES
Structures des effectifs par tranche d’âge en 2012 (Banques AFB) en %
Techniciens
Hommes
Femmes
Cadres*
Total
Hommes
Ensemble
Femmes
Total
Hommes
Femmes
Ensemble
< 25 ans
5,1
4,5
4,7
0,7
0,9
0,8
2
2,9
2,5
25 à 29 ans
17
15,1
15,6
8,2
10,4
9,2
10,8
13,1
12,1
30 à 34 ans
16,5
18,5
17,9
14,3
17,8
15,9
15
18,2
16,8
35 à 39 ans
9
10,3
10
16
17,8
16,8
14
13,5
13,7
40 à 44 ans
5,1
7,6
6,9
14,3
14,5
14,4
11,6
10,6
11
45 à 49 ans
7
9,3
8,7
13,7
14
13,8
11,7
11,3
11,5
50 à 54 ans
13,2
12
12,3
13,3
11
12,3
13,3
11,5
12,3
55 à 59 ans
21
18,9
19,5
13,9
10,8
12,5
16
15,4
15,7
60 ans et plus
6,1
3,8
4,4
5,5
2,7
4,3
5,6
3,3
4,4
TOTAL
100
100
100
100
100
100
100
100
100
Âge moyen
42,4
41,8
41,9
43,6
41,6
42,7
43,3
41,7
42,4
* Hors classe compris.
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2. PYRAMIDE DES ÂGES
Part des seniors dans les métiers repères (part des 50 ans et plus – 2012) en %
Hommes
Femmes
Total
13
34,1
47,1
Chargé de clientèle particuliers
6,6
11
17,6
Chargé de clientèle professionnels
10,5
5
15,5
Chargé de clientèle entreprises
15,6
7,6
23,2
Conseiller en patrimoine
15,5
12,7
28,2
Responsable/animateur d’unité commerciale (banque de détail)
19,2
7,4
26,6
Concepteur et conseiller en opérations et produits financiers
14,5
3,8
18,3
Opérateur de marché
9,7
3,3
13
Total
12
13,4
25,4
Gestionnaire de back-office
19,6
40,5
60,1
Spécialiste des opérations bancaires
15,8
24,4
40,2
Responsable/animateur d’unité ou d’activité de traitements bancaires
27,8
22,9
50,7
Responsable informatique/organisation/qualité
15,9
8,1
24
Informaticien/chargé de qualité
17,1
6,2
23,2
Total
Chargé d’accueil et de services à la clientèle
Force de vente
Traitement
des opérations
18,4
23
41,4
Contrôleur périodique/permanent
20
12,1
32,1
Analyste risques
21,3
11,8
33,1
Juriste, fiscaliste
8,6
11,3
19,6
8
43
51
19,8
19,7
39,5
Technicien ressources humaines
Spécialiste/responsable ressources humaines
Gestionnaire administratif/secrétaire
Supports
9
45,5
54,5
Gestionnaire marketing/communication
14,6
13,6
28,2
Spécialiste/responsable marketing/communication
12,5
9,5
22
Contrôle de gestion
11,8
8,7
20,5
Technicien comptabilité/finances
13,8
24,4
38,2
Spécialiste/responsable comptabilité/finances
11,9
11,4
23,3
Technicien logistique/immobilier
48,8
21,3
70,1
Responsable/animateur d’unité ou expert logistique
37,5
14,9
52,4
Total
17,9
19,7
37,6
UN DOUBLE IMPACT, DÉMOGRAPHIQUE
ET LIÉ À L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
Globalement, en 2012, la banque recensait une part
de salariés âgés de plus de 50 ans de près d’un tiers
(32,4 % ; 32,5 % en 2002), alors qu’elle était d’un peu
plus du quart dans l’ensemble du secteur privé (26,7 %).
L’impact de la sortie démographique à gérer est donc
plus lourd pour les banques.
À cela s’ajoute une montée en qualification des métiers
liée à une profonde et rapide modification du contenu
des activités et des nouvelles compétences, notamment
pour les métiers caractérisés par une pyramide des
âges vieillissante (voir Tableaux 1 et 2). De surcroît,
doit être intégré le niveau de formation général de ces
populations recrutées à un niveau inférieur à bac +2.
Cette situation s’explique par les vagues de recrutements des années 1970, correspondant au mouvement
de bancarisation de la population française.
Entre 2002 et 2012, du fait de mesures favorables de
préretraite, de nombreuses personnes sont parties à
la retraite, mais se pose aujourd’hui la question fondamentale de l’accompagnement des tranches d’âge
intermédiaires (45-55 ans). La perspective d’un report
progressif de l’âge légal de mise à la retraite à 65 ans
apparaît comme un objectif « plausible » qu’il faut
prendre en compte.
Revue Banque | supplément au n°765 | novembre 2013
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Supplément
RH : les conséquences du vieillissement de la population
« Les évolutions rapides
du contenu des emplois
incitent à recruter plutôt
sur les besoins des “nouveaux
métiers exigeant de nouvelles
compétences” et non sur
les postes laissés vacants
par les seniors. »
UN IMPACT DÉMOGRAPHIQUE DÉCONNECTÉ
DES FACTEURS D’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
En fonction de leur histoire, de leurs options stratégiques et de leur organisation, les banques montrent
certaines disparités. Il en va de même pour les différents métiers et/ou secteurs de la banque. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », pourrait-on
dire comme La Fontaine, en forçant le trait. Si tous
les métiers sont impactés par la montée en qualification, dans certains cas, les structures d’âge propres à
ces métiers accompagnent aisément cette évolution.
Le Tableau 2 indique les différences, par métiers repères,
du poids à accorder à leurs pyramides des âges respectives. La plage d’impact de la structure d’âge des plus
de 50 ans est très étendue parmi les métiers repères.
Ce poids se répartit entre 13 % (opérateur de marché),
22 % (spécialiste marketing/communication), 32 %
pour le contrôleur périodique/permanent, etc. Chaque
métier, sous l’effet de la pression des différents facteurs
d’évolution oppose sa propre résilience grâce au profil des populations qui les composent (âge moyen peu
élevé, bon niveau de formation initiale, forte capacité
d’adaptation aux évolutions en termes d’activité et de
compétences exigées, développement d’une employabilité permanente…). Il en ressort un recensement de
métiers dits « sensibles » ou « en tension », affectés
d’un degré de sensibilité variable pour lesquels le poids
des plus de 50 ans est lui aussi variable.
Le Tableau 2 montre que la tranche d’âge des plus de
50 ans se concentre sur les métiers liés au traitement
des opérations. Cette tranche représente 41,4 % de cette
famille, dont notamment les métiers de gestionnaire de
back-office. Il en est de même pour la famille Supports, dont
cette tranche représente 37,6 %. Pour la famille Force
de vente, cette tranche d’âge ne représente que 25,4 %.
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Revue Banque | supplément au n°765 | novembre 2013
LES CONTRATS DE GÉNÉRATION : UNE SOLUTION
POUR LA GESTION DES EFFECTIFS SENIORS ?
La loi du 1er mars 2013 portant création du contrat de
génération définit trois objectifs majeurs, qui consistent
à favoriser :
– l’emploi des jeunes en CDI ;
– le maintien dans l’emploi ou le recrutement des
seniors ;
– la transmission des compétences et des savoir-faire.
Sachant que le chômage des jeunes s’établit à plus de
22 % et que les tranches d’âge des plus de 55 ans se
positionnent dans les pyramides des âges des banques
sur des métiers en voie de transformation, ce dispositif
peut-il avoir un réel impact, au-delà des effets d’aubaine
financiers (exonération de charges) ? Le pari fait par le
dispositif légal s’appuie sur la conviction que l’embauche
des jeunes se justifiera par la transmission des savoirs
des anciens. Or les évolutions rapides du contenu des
emplois incitent à recruter plutôt sur les besoins des
« nouveaux métiers exigeant de nouvelles compétences » et non
sur les postes laissés vacants par les seniors.
FORMATION TOUT AU LONG DE LA VIE
ET EMPLOYABILITÉ
Si le maintien dans l’emploi des seniors devient une
obligation sociale et économique, il est alors nécessaire
pour les banques de surmonter les préjugés négatifs
dont les seniors sont souvent victimes : l’obsolescence
des compétences, l’incapacité à évoluer, une productivité amoindrie…
Ce soi-disant handicap est souvent compensé par l’expérience. Il peut être aussi complété par le développement de l’apprentissage tout au long de la vie, la capacité d’apprendre en permanence et donc d’entretenir
ses compétences. Comme le disait justement Guy Le
Boterf[2], « la compétence ne s’use que si l’on ne s’en sert pas ».
Cet enjeu d’employabilité devrait permettre, pour tous
les âges et notamment pour les seniors, d’investir des
espaces de mobilités professionnelles désirées. Les
emplois bancaires sont nombreux et variés, mais ils
s’orientent pour beaucoup vers le conseil et la qualité
de service. Ils font appel, certes aux connaissances
techniques, mais aussi à l’expérience. « Être, c’est être en
route[3]… » pour la mobilité professionnelle. O
[2] Professeur associé à l’Université de Sherbrooke (Canada), Guy Le Boterf est
un expert reconnu en matière de dispositifs de développement des compétences
et de la professionnalisation. Créateur de la méthodologie « Agir et interagir
avec compétence en situation », docteur d’État en sciences humaines et docteur
en sociologie, ses travaux sur la compétence collective et le travail en réseau font
autorité tant en France qu’à l’étranger.
[3] Paul Ricœur, philosophe français (1913-2005).