(SCA) dans le groupe PINAULT, analyse de l`utilisation d

Transcription

(SCA) dans le groupe PINAULT, analyse de l`utilisation d
UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN
STRASBOURG III
D.E.A de Droit des Affaires 2003-2004
Mémoire en vue de l’obtention
du D.E.A de Droit des Affaires
LA SOCIETE EN COMMANDITE PAR ACTIONS (SCA) DANS
LE GROUPE PINAULT, ANALYSE DE L’UTILISATION
D’UNE FORME SOCIALE ORIGINALE DANS UNE
STRATEGIE DE GROUPE
Soutenu par
ARNAUD TOMASETTI
Sous la direction de
Monsieur QUENTIN URBAN
SEPTEMBRE 2004
1
PLAN SOMMAIRE
Partie 1 : La SCA dans le groupe Pinault, un instrument de réussite pour les groupes de
sociétés
Titre 1 : l’utilisation de la SCA dans le groupe Pinault, une structure idéale d’organisation
du pouvoir
Chapitre 1 : la Financière Pinault, une répartition familiale remarquable des fonctions
Titre 2 : les potentialités exceptionnelles de la SCA au service du groupe Pinault
Chapitre 1 : la dissociation entre le pouvoir et la détention du capital, un élément de stabilité
du groupe
Chapitre 2 :la souplesse d’organisation et la liberté, des éléments dynamisants pour le groupe
Chapitre 3 : la défense anti-OPA, un élément de pérennité du groupe
Chapitre 4 : la variabilité du capital, un élément de liquidité des titres
Chapitre 5 : un groupe à la fiscalité optimisée
Partie 2 : La SCA dans le groupe Pinault, un modèle pour la transmission des groupes
de sociétés
Titre 1 : une transmission réalisée de main de maître
Chapitre 1 : les risques d’une transmission non préparée
Chapitre 2 : l’utilisation à plein des possibilités de la SCA dans la transmission du groupe
Titre 2 : une ingénierie juridique et fiscale impressionnante au service d’une transmission
réussie
Chapitre 1 : l’intérêt de l’utilisation de la technique de la donation-partage
Chapitre 2 : les avantages de la réserve d’usufruit dans la transmission de la Financière
Pinault
Chapitre 3 : l’utilisation de la technique du rescrit fiscal pour l’évaluation de la valeur des
titres
2
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
AGE
Assemblée générale extraordinaire
AGO
Assemblée générale ordinaire
Al.
Alinéa
AN
Assemblée nationale (Journal officiel)
Art.
Article
Banque
Revue Banque
BOI
Bulletin officiel de la direction générale des impôts
Bull.
Bulletin
Bull. Joly
Bulletin mensuel Joly d’information des sociétés
C.
Code
CA
Cour d’appel
Cass.
Cour de cassation
C. civ.
Code civil
C. com.
Code de commerce
CGI
Code général des impôts
Ch.
Chambre
Com.
Arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation
D. adm.
Documentation administrative de la direction générale des impôts
Defrénois
Répertoire du notariat Defrénois
Ed°
Edition
Instr.
Instruction administrative de la direction générale des impôts
IS
Impôt sur les sociétés
ISF
Impôt de solidarité sur la fortune
JCP E
Semaine juridique édition entreprise
JCP N
Semaine juridique édition notariale
N°
Numéro
Obs.
Observation
OPA
Offre publique d’achat
OPE
Offre publique d’échange
P.
Page
PPR
Pinault-Printemps-Redoute
3
Rép.
Réponse
Rev.
Revue
RJ com.
Revue de la jurisprudence commerciale
SA
Société anonyme
SARL
Société à responsabilité limitée
SAS
Société par actions simplifiée
SCA
Société en commandite par actions
Sén.
Sénat (journal officiel)
Suiv.
Suivant
Trib. com.
Tribunal de commerce
4
INTRODUCTION :
1. « Je deviens aujourd’hui président d’Artémis » déclarait le 15 mai 2003 François-Henri
Pinault dans le journal Les Echos 1. Cette ascension traduisait la dernière étape d’un long
processus entamé il y a plusieurs années et qui devait aboutir à la transmission du pouvoir et à
la succession au sein du groupe Pinault, l’un des principaux groupes de sociétés français
évalué à environ 2,8 milliards de dollars 2 .
2. Cette transmission dynastique du pouvoir n’est pas isolée au sein du capitalisme familial
français. En effet, en ce début de XXI° siècle viennent ainsi de succéder à leur père Franck
Riboud, Martin Bouygues, Anne-Claire Taittinger et Arnaud Lagardère.
3. Le passage de relais de François Pinault à son fils François-Henri, est à replacer dans un
contexte plus large. Comme l’ensemble des Français, les dirigeants vieillissent. Le décès subit
de Jean-Luc Lagardère, le 14 mars 2003, alors qu’il dirigeait son groupe, a frappé les esprits.
Ce n’est sans doute pas un hasard si, quelques jours plus tard, Pierre Bellon (73 ans),
président de Sodexho, a pour la première fois évoqué sa succession. Comme lui, nombre de
fondateurs ou de dirigeants d’entreprises à capitaux familiaux attendent d’être septuagénaires
pour passer la main comme ce fut le cas de François Michelin qui s’est retiré à 76 ans au
profit de son fils Edouard en 2002.
4. L’histoire du développement du groupe Pinault est passionnante. En effet, de rien, François
Pinault a bâti un groupe. Un conglomérat à l’anglo-américaine, déroutant pour les esprits
cartésiens sans doute, mais dont il a revendiqué des années durant l’unité à défaut de
véritables synergies. Ce groupe, l’entrepreneur breton l’a construit par le bas, agglomérant
des entreprises du bois, puis à partir de 1990, en leur substituant des activités dans la
distribution. Ce sont ces dernières, la CFAO pour le négoce ; Conforama, Le Printemps, La
Redoute ou encore la FNAC pour les enseignes grand public que l’on retrouve aujourd’hui
dans le groupe Pinault-Printemps-Redoute. De plus, depuis le 19 mars 1999, date à laquelle
Serge Weinberg, président du directoire annonçait l’entrée de Pinault-Printemps-Redoute
1
2
François-Henri Pinault, Les Echos, 15 mai 2003, page 24
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
5
dans le capital de Gucci, la société phare du groupe a pris une seconde orientation vers le
luxe.
5. L’organigramme de l’empire est relativement simple. Au sommet, se situe la Financière
Pinault. Au-dessous on retrouve Artémis, une société anonyme, dont la Financière Pinault
détient 100%. C’est Artémis qui porte la quasi-totalité des participations du conglomérat.
Ainsi, Artémis détient 42,2% de Pinault-Printemps-Redoute et 57% des droits de vote de cette
même société, 100% de Christie’s (vente aux enchères), 100% du groupe Le Point (presse),
100% d’Artémis America (holding qui détient les actifs d’outre-Atlantique), 100% d’Aoba et
d’Aurora (assurance), 100% du Stade rennais (football), 94% de Château Latour (vignoble) et
8% de Bouygues (BTP et médias) 3.
6. Au sein du groupe Pinault, la Financière Pinault, holding faîtière du groupe, travaille
principalement au développement des participations qui, elles, sont détenues par Artémis.
Artémis, quant à elle, est une société d’investissements à caractère financier, jouant un rôle
d’actionnaire professionnel. Cette holding stratégique est présidée par le successeur désigné
de François Pinault, c'est-à-dire son fils François-Henri, qui exerce depuis cette société une
partie de son pouvoir 4. Pour tous les investissements, son implication est importante dans les
choix stratégiques, les opérations de haut de bilan et la composition des équipes dirigeantes.
Dans ces trois domaines, Artémis participe à toutes les étapes de la réflexion et de la décision
finale 5. Notons que la société holding se définit comme une structure sociale détenant des
participations financières d’autres sociétés afin de les contrôler.
7. En outre, depuis sa création et afin d’accompagner les participations stratégiques dans leur
développement, Artémis dégage des ressources financières complémentaires en investissant à
côté de ses actifs stratégiques dans des participations dont la cession lui permet de créer de la
valeur. De plus, la philosophie d’Artémis veut que les dividendes annuels des grandes filiales
couvrent l’intégralité de ses coûts financiers et de holding 6.
3
P-A G, Comment Financière Pinault et Artémis se préparent à l’hypothèque Gucci, Les Echos, 15 mai 2003,
page 24
4
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
5
François-Henri Pinault, Les Echos, 15 mai 2003, page 24
6
Pierre Angel Gay, Executive Life : Artémis acquitte son amende sans faire appel à PPR, Les Echos, 16 mars
2004
6
8. De ce fait, les deux holdings de tête se développent sur des bases financières saines et
solides favorisant l’expansion du groupe en permettant ainsi de nouvelles acquisitions. Le
mode de fonctionnement utilisé par Artémis n’est pas sans rappeler le mécanisme de l’effet
de levier financier dans les montages de Leverage Buy-Out ou Acquisition avec Effet de
Levier. Dans ce schéma, une société holding va recourir à l’emprunt afin de racheter les titres
d’une société rentable. Par la suite, les frais financiers seront remboursés par les distributions
de dividendes de la société cible vers la holding. De ce fait, la société cible aura indirectement
financé son propre rachat par la distribution de dividendes 7.
9. Il apparaît ainsi que les deux holdings de tête du groupe Pinault ont chacune des centres
d’activités propres. Elles ne se contentent pas de détenir uniquement des titres d’autres
sociétés, elles ont pour objectif l’accomplissement d’autres activités annexes. Cet état de fait
permet à la Financière Pinault et à Artémis de jouer un rôle actif dans le fonctionnement du
groupe.
10. La Financière Pinault, quant elle, est une SCA. Ce type de société regroupe deux sortes
d’associés : un ou des commandités personnellement responsables, un ou des commanditaires
qui sont des actionnaires 8. Pour les commanditaires, la société est une société de capitaux ;
les commandités, s’il y en a plusieurs, sont dans la situation d’associés en nom collectif. C’est
une forme bâtarde qui ne peut s’expliquer que par l’histoire. En effet, les SCA ont été très en
vogue entre 1807 et 1850, et on parla même à ce propos de « fièvre » des commandites 9.
Cela s’expliquait notamment par l’absence de réglementation contraignante : la commandite
par actions figurait déjà une oasis de liberté et d’équilibre. Mais la fièvre retomba et des
formes sociales concurrentes, SA et SARL, apparurent. Le déclin de la commandite par
actions s’accéléra au milieu du 20e siècle au point que le législateur de 1966 faillit supprimer
cette forme de société. Par bonheur, il n’alla pas au bout de ses intentions et la commandite
par actions a toujours droit de cité 10. En outre, cette forme juridique connaît depuis quelques
années un certain renouveau
11
. L’exemple du groupe Pinault est, sur ce point, une bonne
illustration.
7
Sur ce point voir notamment : T. Jacomet, P. Matignon, S. Montet, L.B.O. : Utilisation de l’effet juridique et
financier lors d’une acquisition, Bull. Joly, mai 1990, p.415 et suiv.
8
C. com., art. L.226-1
9
A. Viander et autres, La société en commandite entre son passé et son avenir, Creda, Litec, 1983
10
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1200
11
V. notamment J-P Bertel, Vers un renouveau des sociétés en commandite par actions ?, Banque, 1986, p.363
7
11. La Financière Pinault est contrôlée à 100% par la famille Pinault. François Pinault et son
fils, François-Henri, sont les deux commandités gérants à vie
12
de cette société, ils
concentrent entre leurs mains le pouvoir. De même, les trois enfants de François Pinault ;
Laurence, François-Henri et Dominique Pinault, sont les trois seuls commanditaires détenant
chacun 33,33% des titres en nue-propriété pour la majeure partie 13. En effet, le milliardaire a
depuis août 2001, réglé sa succession sous la forme d’une donation-partage avec réserve
d’usufruit entre ses trois enfants, moyennant le paiement au fisc de 450 millions d’euros de
droits de succession.
12. Ces éléments sont à replacer dans un contexte plus large. En effet, la dévolution du
pouvoir ainsi que la transmission du capital dans un groupe de sociétés familial ne vont pas
sans poser de problèmes. Ainsi, après le décès du fondateur, il n’est pas rare de voir ses
successeurs s’entredéchirer dans une guerre de succession afin de s’approprier l’avoir et le
pouvoir dans la société tête de groupe. En outre, l’incompétence de certains enfants du
dirigeant qui détiennent une partie importante du capital de la holding chapotant l’empire
familial peut s’avérer désastreuse en raison des droits politiques qui leur sont conférés.
13. L’utilisation d’une SCA comme holding faîtière d’un groupe de sociétés comporte deux
atouts majeurs. Tout d’abord, cette forme sociale permet de préparer de façon optimale la
transmission patrimoniale héréditaire d’un groupe de sociétés. En outre,
elle s’analyse
comme un parfait outil de cession du pouvoir au sein d’une même famille avant le décès du
chef d’entreprise. En effet, elle permet de placer le ou les successeurs désignés au poste de
commandité gérant. Ces deux éléments s’inscrivent aisément dans la stratégie de groupe
consistant à organiser et à transmettre un groupe de sociétés. Ainsi, la SCA rend possible la
réunion de ces deux principes en permettant d’opérer une distinction entre la détention du
capital et l’exercice du pouvoir. L’intérêt de cette forme sociale est ainsi de rendre réalisable
la cohabitation dans une même société de plusieurs associés détenant chacun une
participation identique tout en ne confiant le pouvoir qu’à un seul en vertu d’une disposition
statutaire en ce sens.
12
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
13
François-Henri Pinault, Les Echos, 15 mai 2003, page 24
8
14. Notons dès à présent que dans une société en commandite par actions, le pouvoir se
concentre de façon absolue entre les mains du gérant et à plus forte raison s’il est également
commandité. Les commanditaires, eux, ne jouent qu’un rôle très secondaire calqué sur celui
d’actionnaires d’une société anonyme mais avec des droits politiques infiniment moindres.
15. François Pinault a pu tirer parti des potentialités du statut de société en commandite par
actions de la Financière Pinault, de la liberté contractuelle ainsi que de la souplesse qui en
résultent afin d’organiser idéalement le pouvoir de façon familiale au sein de son groupe. En
effet, François Pinault est commandité gérant de la Financière Pinault. Il est irrévocable à ce
poste en raison d’une clause statutaire en ce sens 14. Il a déjà intronisé son fils François-Henri
comme successeur en le faisant nommer au poste de cogérant commandité irrévocable. De
même, il a décidé de placer ce dernier à la présidence d’Artémis, la holding opérationnelle du
groupe, en mai 2003. De ce fait, François Pinault garde la main mise sur son empire pour le
restant de sa vie, tout en laissant son fils s’aguerrir en tant que président d’Artémis.
16. De même, le statut de société en commandite par actions a permis à François Pinault de
transmettre le pouvoir à son successeur désigné sans léser financièrement ses deux autres
enfants. En effet, le principe du respect de l’égalité des successibles tiré du droit civil
s’accommode difficilement avec les impératifs du droit des sociétés. Ainsi, une transmission
égalitaire des titres dans une société anonyme revient le plus souvent à allouer les droits
pécuniaires mais également politiques qui y sont attachés au risque de rendre impossible la
constitution d’une majorité stable. Cependant, la société en commandite par actions permet de
distinguer le pouvoir de l’argent. Elle se révèle à ce titre un parfait outil de transmission
d’entreprise. Ainsi, l’utilisation ingénieuse de la SCA dans le groupe Pinault pour régler le
processus de transmission fait figure de modèle pour la mise en œuvre des successions dans
les groupes de sociétés.
17. De ce qui précède, plusieurs questions demeurent. En effet, on peut s’interroger sur la
pertinence de ce montage au regard de l’organisation du pouvoir dans le groupe Pinault. De
même, on peut se demander de quelle façon s’exerce le pouvoir au sein de la holding faîtière
du groupe. En outre, on peut s’interroger sur l’apport de la forme sociale de société en
commandite par actions dans la transmission de la holding faîtière de l’empire Pinault. Enfin,
14
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
9
on peut se questionner sur la façon dont François Pinault a organisé sa succession afin d’en
limiter au maximum les coûts fiscaux.
18. Pour répondre à ces interrogations, nous nous attacherons à démontrer que la SCA, telle
qu’elle a été conçue dans le groupe Pinault, est un instrument de réussite pour les groupes de
sociétés en ce qu’elle permet, en raison de son libéralisme, une parfaite dévolution familiale
du pouvoir. En outre, les potentialités exceptionnelles de cette forme sociale tendent à
confirmer l’intérêt de la SCA dans une stratégie de groupe (partie 1). De plus, l’analyse du
processus de transmission du groupe Pinault nous permettra d’illustrer la supériorité de cette
forme sociale dans le cadre de la transmission d’un groupe de sociétés. En outre, l’analyse de
l’exemple du groupe Pinault démontrera que cette forme juridique se combine à merveille
avec les techniques optimisant le coût fiscal d’une telle opération (partie 2).
10
Partie 1. La SCA dans le groupe Pinault, un instrument de réussite pour les
groupes de sociétés
19. L’utilisation de la SCA dans le groupe Pinault s’analyse comme un instrument de réussite
pouvant servir d’exemple pour les autres groupes de sociétés. En effet, en s’intéressant au
rôle de cette forme sociale dans le groupe Pinault, on s’aperçoit qu’elle y occupe une place
centrale et dynamisante.
20. La SCA est la holding faîtière du groupe Pinault et elle permet de ce fait d’y organiser le
pouvoir de façon idéale et en toute souplesse. En effet, la grande liberté statutaire qui est le
corollaire de la SCA a permis de mettre en place une répartition remarquable des fonctions en
organisant le pouvoir de façon familiale (titre 1). En outre, l’utilisation de cette forme sociale
originale a été poussée à sa quintessence en tirant parti à plein des potentialités
exceptionnelles de la SCA pour les mettre au service du groupe Pinault (titre 2).
Titre 1 : l’utilisation de la SCA dans le groupe Pinault, une structure idéale
d’organisation du pouvoir
21. La grande souplesse accordée aux fondateurs dans la définition des règles de
fonctionnement et d’articulation des organes sociaux a permis d’inscrire la SCA dans une
stratégie d’organisation familiale du pouvoir au sein du groupe. Ainsi, l’apport de la SCA sur
ce point a été de rendre possible une dévolution familiale des fonctions en distinguant selon
les objectifs, les capacités professionnelles et l’investissement de chacun des membres de la
famille Pinault. De ce fait, il fallait pouvoir traiter différemment des associés ayant vocation à
occuper un rôle distinct dans le groupe. La SCA, du fait de la dualité de statuts des associés
qu’elle engendre, a pu permettre de répondre à cet objectif (chapitre 1).
11
Chapitre 1 : la Financière Pinault, une répartition familiale remarquable des fonctions
22. Aux termes de l’article L.226-1 du code de commerce : « La société en commandite par
actions, dont le capital est divisé en actions, est constituée entre un ou plusieurs
commandités, qui ont la qualité de commerçant et répondent indéfiniment et solidairement
des dettes sociales, et des commanditaires, qui ont la qualité d’actionnaires et ne supportent
les pertes qu’à concurrence de leurs apports. Le nombre des associés commanditaires ne
peut être inférieur à trois ». La SCA est réglementée par référence à la société en commandite
simple et à la société anonyme ; en effet selon l’alinéa 2 de ce même article, les règles
concernant ces deux types de sociétés sont applicables aux SCA, « dans la mesure où elles
sont compatibles avec les dispositions particulières » des articles L.226-1 et suivants.
23. Ainsi, la SCA se définit comme étant une société dont le capital est divisé en actions et
qui comprend deux catégories d’associés aux pouvoirs et à la responsabilité bien distincts: un
ou plusieurs commandités et des associés commanditaires.
24. Au sein de la SCA Financière Pinault, holding de tête du groupe, les trois enfants de
François
Pinault ;
Laurence,
François-Henri
et
Dominique
sont
les
trois
seuls
commanditaires15 (section 1). De même, François Pinault et son fils François-Henri sont les
deux commandités gérants à vie de la SCA 16 (section 2).
Section 1 : les commanditaires
25. Les commanditaires de la Financière Pinault sont les trois enfants de François Pinault.
Cependant, François-Henri Pinault cumule les qualités de commanditaire et commandité
gérant de la société. Il nous appartiendra de démontrer que le statut de commanditaires (§1) et
les organes collectifs par l’intermédiaire desquels ceux-ci sont représentés (§2) permettent
aux deux commanditaires exclusifs d’être représentés et d’exister au sein de la société tout en
n’entravant pas l’action des commandités gérants.
15
François-Henri Pinault, Les Echos, 15 mai 2003, page 24
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
16
12
§1. Le statut des commanditaires
26. Financièrement, le statut des commanditaires est simple : ils ont le même statut juridique
que les actionnaires d’une société anonyme en ce qu’ils ne sont pas commerçants. De ce fait,
ils n’assument les pertes que dans la limite de leur apport ; ils ne sont pas exposés à une
responsabilité solidaire et indéfinie, ni au redressement ou à la liquidation judiciaire en cas de
redressement ou de liquidation judiciaire de la commandite. Ils ont vocation à recevoir des
dividendes, vocation qui s’étend aux bénéfices accumulés (les réserves), et au boni de
liquidation. Cependant, les commanditaires doivent compter avec les droits financiers
particuliers des commandités qui se voient le plus souvent reconnaître un intérêt préciputaire,
leur permettant d’être rémunérés avant les commanditaires.
27. Politiquement, les commanditaires sont exclus de la gestion externe de la société. En
effet, ils sont assujettis à la même défense d’immixtion que les actionnaires commanditaires
de la société en commandite simple ; cela n’interdit pas le contrôle interne et la participation
aux décisions sociales, mais cela prohibe la gérance de la société par un commanditaire17.
28. Individuellement, les commanditaires ont la qualité d’actionnaires, et jouissent des droits
attachés à cette qualité. Ainsi, les droits d’intervention dans la vie sociale et les droits de
critique sont les mêmes que pour les actionnaires de sociétés anonymes ; le droit de vote
aussi, sous cette réserve très importante que les pouvoirs des assemblées d’actionnaires sont
amputés de tout ce qui revient aux commandités18.
29. Ainsi, on peut constater que le rôle de commanditaire exclusif occupé par Laurence et
Dominique Pinault au sein de la SCA leur permet de participer à l’aventure sociale et d’en
tirer profit dès lors que le groupe dégage des bénéfices distribuables sans supporter les risques
que confère la qualité de commerçant ; ils peuvent également agir activement dans l’ordre
interne afin de proposer et de conseiller les commandités gérants mais leurs prérogatives ne
s’étendent pas au-delà. Cependant, l’impact des commanditaires au sein de la SCA se
manifeste davantage par l’intermédiaire des organes collectifs dont ils sont membres.
17
18
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1203 et suiv.
Le Cannu, Droit des sociétés, Montchrestien, 1er édition, 2002, n°1002
13
§2. Les organes collectifs
30. Les commanditaires bénéficient d’une capacité d’action intéressante mais non gênante
pour les commandités gérants au sein de la SCA. Cet élément s’accommode parfaitement
avec les impératifs d’un groupe de sociétés . En effet, par l’intermédiaire des organes
collectifs dont ils sont membres, c'est-à-dire l’assemblée générale des commanditaires (1) et
le conseil de surveillance (2), ils prennent part de façon réelle à la vie sociale tout en ne
portant pas atteinte au bon fonctionnement du groupe.
1. L’assemblée générale des commanditaires.
31. Les commanditaires prennent leurs décisions en assemblées, pour lesquelles ils
bénéficient de la même information que les actionnaires de société anonyme ; de même, ces
assemblées obéissent aux même règles que celles applicables dans les SA. Les commandités
n’assistent pas à ces assemblées à moins que, ayant souscrit ou acheté des actions, ils
cumulent les deux qualités de commandité et de commanditaire, ce qui est le cas de FrançoisHenri Pinault et de son père qui détient l’usufruit de la majorité des actions de la société.
32. Cependant, les pouvoirs des assemblées sont ici limités par les prérogatives très
importantes reconnues aux commandités, et qui seront examinées ultérieurement.
Notamment, ils ne nomment ni ne révoquent seuls les gérants. Il reste cependant aux
commanditaires s’ils ont la majorité contre les commandités, la possibilité de bloquer une
partie de la vie sociale en refusant d’approuver les comptes19. Cette tactique peut se révéler
payante , puisqu’une cour d’appel a décidé la dissolution pour juste motif d’une société en
commandite par actions dont la majorité des commanditaires ne s’entendait plus avec le
président de la société gérante, également commandité20.
33. En outre, ils participent aux décisions de distribution de dividendes, d’augmentation de
capital, de fusion. Toutefois, s’agissant des modifications statutaires, ainsi qu’on le verra, les
commandités jouissent d’un droit de veto21 ; ainsi l’accord de l’assemblée des
19
Trib. com. Paris, 18 février 1993, JCP E, 1993. I. 250, obs. A. Viander n°2
CA Paris, 3e ch. B, 8 juillet 1994 : Bull. Joly, octobre 1994, p. 1093, §300, note Le Cannu
21
C. com., art. L.226-11
20
14
commanditaires et des commandités est-il nécessaire pour de telles décisions de même que
pour l’approbation des comptes et l’affectation de résultat.
34. Cependant, la Financière Pinault étant une société à structure familiale, il parait peu
vraisemblable qu’un rapport de force s’installe entre les membres de la famille et aboutisse à
la dissolution de la société ; notamment en ce que les commanditaires exclusifs n’ont ni les
capacités professionnelles, ni la volonté de s’impliquer au-delà dans la vie de la société. De ce
fait, le statut de commanditaire permet à Dominique et Laurence Pinault d’avoir une
information de qualité, d’être parfaitement au courant de la situation financière de la holding
et de se concentrer sur les droits financiers qu’ils tirent de leur qualité d’actionnaire sans avoir
à s’immiscer d’avantage dans le management du groupe. De plus, à coté de l’assemblée
générale et afin de renforcer l’efficacité du contrôle de la gestion de la société, la loi
22
dispose que les commanditaires désignent un conseil de surveillance qu’il nous faut à présent
analyser.
2. Le conseil de surveillance
35. Le conseil de surveillance est désigné par l’assemblée générale ordinaire. Il est
uniquement composé de commanditaires et il assume le contrôle permanent de la gestion de
la société23. Les commandités ne peuvent être membres de ce conseil et même, s’ils sont
actionnaires, ne peuvent participer à la désignation des membres du conseil24. De même,
aucun gérant, même actionnaire, ne peut faire partie de cet organe, car il serait ainsi juge de sa
propre gestion25. Le fait que ce conseil doit être composé de trois commanditaires impose
ainsi un nombre minimum de commanditaires dans les SCA26.
36. Cependant, l’organigramme simplifié du groupe27 Pinault
présente comme seuls
commanditaires, détenant chacun 33,3% des actions de la SCA, dont une partie en nuepropriété, les trois enfants de François Pinault. De même, les déclarations de François-Henri
22
C. com., art. L 226-9
C. com., art. L 226-9
24
C. com., art. L226-4
25
J. Derruppé, Rép. Sociétés Dalloz, 2e éd, Commandite par actions, §74
26
C.com., art. L226-1
27
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, 21 juin 2002, page 24
23
15
Pinault dans la presse28 affirmant que la SCA comporte deux gérants commandités (son père
et lui-même) et trois commanditaires (Dominique, Laurence et François-Henri) semblent en
inadéquation avec les règles régissant la nomination et la composition des membres du
conseil de surveillance précédemment décrites. Ainsi, si Laurence et Dominique Pinault font
naturellement partie du conseil de surveillance, il semble que François-Henri, commandité et
gérant de la SCA, ne puisse en faire autant. Il nous appartient donc d’émettre quelques
hypothèses qui, si elles étaient exactes, permettraient à cet organe de fonctionner en
respectant les prescriptions légales.
37. En premier lieu, on peut imaginer qu’il existe au sein de la SCA un ou plusieurs autres
commanditaires détenant une participation symbolique ; d’autant que sauf exigence
particulière, la possession d’une seule action suffit pour être élu membre du conseil de
surveillance29. On peut également imaginer qu’une société détenue à parts égales entre les
trois enfants de François Pinault joue le rôle de commanditaire.
38. Le conseil de surveillance dispose d’un rôle de contrôle au sein de la SCA. En effet, il
doit exercer un contrôle permanent de la gestion de la société ; il jouit « des mêmes pouvoirs
que les commissaires aux comptes »30. Concrètement, le conseil de surveillance assume le
contrôle permanent de la gestion sociale et il peut donc procéder à des contrôles à tout
moment, avec de grands pouvoirs d’investigation, même dans les autres sociétés du groupe.
Le conseil doit présenter un rapport annuel à l’assemblée générale. Il a d’ailleurs le pouvoir
de convoquer lui-même les assemblées générales ordinaires. Toutefois, le conseil est dans
l’impossibilité de révoquer les gérants. Ne représentant pas la société en justice, il ne peut
demander la révocation judiciaire du gérant.
39. Ainsi, les deux commanditaires exclusifs de la Financière Pinault, du fait de leur
appartenance au conseil de surveillance, disposent d’une capacité étendue de contrôle de la
gestion sociale qui leur permet d’agir afin de faire respecter leurs droits financiers.
Cependant, pour toutes les questions ayant trait au pouvoir au sein de la holding faîtière du
groupe, ils sont suppléés par les hommes clés de la SCA, les commandité gérants.
28
François-Henri Pinault, Les Echos, 15 mai 2003, page 24
J. Derruppé, Rép. Sociétés Dalloz, 2e éd, Commandite par actions, §78
30
C. com., art. L226-9
29
16
Section 2 : les commandités gérants
40. Les commandités sont les personnages centraux de la SCA. S’ils cumulent cette qualité
avec celle de gérant, comme c’est le cas au sein de la Financière Pinault, ils concentrent alors
entre leurs mains la forme suprême du pouvoir dans une société. Nous nous attacherons par
conséquent à étudier le statut auquel ils sont soumis (§1) ainsi que l’étendue de leurs
prérogatives (§2). L’analyse de ces deux éléments nous permettra de démontrer que la SCA,
seule forme sociale à reconnaître la qualité de commandité gérant avec la société en
commandite simple, est tout à fait adaptée à la configuration d’un contrôle familial.
§1. Le statut de commandité gérant
41. Bien que les fonctions de commandité et de gérant soient intimement liées, le statut
propre à ces deux qualités comporte des spécificités qu’il conviendra d’analyser
successivement en commençant par le statut de commandité (1) avant d’étudier celui de
gérant de SCA (2).
1. Le statut de commandité
42. Le commandité est désigné dans les statuts ; en cours de vie sociale, l’entrée d’un
nouveau commandité exige une modification statutaire, d’où le nécessaire accord de
l’assemblée des commanditaires et des commandités. Concernant la Financière Pinault, bien
que François Pinault soit commandité depuis l’origine, il a fallu une modification statutaire
afin que François-Henri puisse devenir commandité en son nom propre. L’accord des
commandités et de l’assemblée des commanditaires a pu être obtenu sans difficulté du fait du
caractère familial de la SCA.
43. Financièrement, le commandité est traité comme un associé en nom collectif. Le
commandité assume donc, avec solidarité s’il y a plusieurs commandités, la totalité des pertes
sociales : il est responsable indéfiniment. Comme tout associé, le commandité est astreint à
l’exigence d’un apport qui n’est pas porté au capital social mais dans un compte spécial.
17
44. La pratique des affaires ainsi que la doctrine31 ont développé un montage gommant le
principal inconvénient de la SCA, à savoir la responsabilité indéfinie attachée à la qualité de
commandité, en interposant entre la personne physique qui contrôle le montage une société à
risque limitée qui sera gérante commanditée (SARL, EURL, SAS, SA). Cette personne
morale créera un écran protecteur pour le dirigeant personne physique. Cependant, dans le
groupe Pinault, François Pinault et son fils se sont détournés de cette possibilité en ayant
personnellement la qualité de commandité.
45. Il existe trois principales explications à cet état de fait. Tout d’abord, certaines sociétés
comme la Financière Pinault ne sont que des holdings de contrôle porteuses de parts. En cas
de faillite de l’activité, la valeur des actions que détient la SCA serait simplement annulée, le
passif de la société industrielle ne remonterait pas au sein de la holding de tête et les associés
commandités, comme François Pinault et son fils, n’auraient rien à rembourser32. En second
lieu, la création d’une société écran emporte des conséquences au regard de la fiscalité et,
comme nous le verrons ultérieurement, la question de l’ISF occupe une place centrale dans le
montage. Ainsi, la combinaison d’une société écran et d’une SCA a pour principal handicap
d’empêcher la personne physique gérante associée de la société à risque limitée, de bénéficier
de l’exonération de l’ISF au titre des biens professionnels pour ses parts et actions dans la
SCA. En effet, l’article 885-0 bis 1° du code général des impôts ne vise que la gérance de la
SCA parmi les fonctions permettant de bénéficier de l’exonération au titre de l’outil
professionnel. Enfin, le fait d’être nommé personnellement commandité gérant permet aux
deux hommes de profiter directement de la rémunération inhérente à leur fonction. En effet,
traditionnellement, les gérants commandités perçoivent un pourcentage du résultat
distribuable de la commandite, cette rémunération atteint en moyenne 3 à 5 % du résultat
mais il n’existe toutefois pas de plafond33. De ce fait, force est de constater que l’interposition
d’une société écran n’aurait eu qu’un intérêt limité au sein de la Financière Pinault.
31
F. Lucet et L. Giraud, Le mariage d’une société pilote avec une société en commandite par actions, Droit et
patrimoine, mai 2001, page 20
32
A. Leparmentier, Commandites par actions : le pouvoir sans l’argent, Option Finance, n°228, 5 octobre 1992
33
François Vidal, La commandite, une formule idéale pour les dirigeants, Option Finance, n°510, 27 juillet
1998, page 20
18
2. Le statut de gérant de SCA
46. Le gérant peut être un commandité ou un tiers, mais non un commanditaire. Cependant,
dans le groupe Pinault, ce sont bien les deux commandités qui exercent cette fonction. Cela
semble naturel car la gérance dans une SCA est maîtrisée par les commandités seuls. Les
conditions d’aptitude du gérant sont fixées de façon libérale, comme pour le gérant de société
en nom collectif ; toutefois, une limite d’âge de 65 ans est fixée, supplétivement, par la loi34
mais les rédacteurs des statuts de la SCA dans le groupe Pinault ont pris soin de préciser que
les deux gérants étaient nommés à vie permettant ainsi un véritable verrouillage du pouvoir
du fait de l’irrévocabilité des gérants 35. En effet, la loi 36 prévoit que la révocation obéit aux
conditions fixées par les statuts. Ainsi, dans une SCA, le pouvoir n’a pas comme dans une SA
une cause financière ( la détention d’une partie des actions), mais une cause purement
juridique ( une stipulation statutaire). En outre, le pouvoir des gérants est d’autant plus garanti
que l’entrée et la sortie des commandités sont contrôlées par ces derniers. Cependant, plus
que le statut de commandité gérant, ce sont les prérogatives attachées à cette fonction qui
permettent une organisation du pouvoir remarquable au sein du groupe Pinault.
§2. Les prérogatives des commandités gérants
47. Comme précédemment, nous approfondirons successivement les prérogatives propres à la
fonction de commandité (1) puis à celle des gérants (2).
1. Les prérogatives des commandités
48. Pièce maîtresse du dispositif, les commandités tirent de leur responsabilité solidaire et
indéfinie des pouvoirs politiques essentiels. Ainsi, sauf clause contraire des statuts, leur
accord est indispensable pour la désignation des gérants37 ; et ce qui vaut pour la désignation
vaut pour la révocation. Ils approuvent les comptes et l’affectation des résultats, ils disposent
34
C. com., art. L226-3
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219. Cet ouvrage ne fait
référence qu’à la situation de François Pinault. Cependant, on peut penser que le sort statutaire réservé à son fils
cogérant est soit strictement identique à celui de son père ou que sa révocation nécessite l’unanimité des
commandités ; ce qui aboutit au même résultat quant à la pérennité de sa fonction.
36
C. com., art. L226-2
37
C. com., art. L226-2
35
19
d’un droit de veto à l’encontre de toute décision de modification des statuts38. La même
prérogative est prévue en cas de transformation ; cependant, la transformation en SA ou en
SARL exige non pas l’accord de tous les commandités mais de la majorité d’entre eux39, ce
qui revient à l’unanimité si, comme pour la Financière Pinault, ils ne sont que deux. De ce
fait, on peut noter que dans l’ordre interne, dans la façon d’organiser et de dynamiser la
structure de tête du groupe Pinault, les deux commandités disposent de pouvoirs extrêmement
importants qui leur laissent une marge de manœuvre totale. Ainsi, ce poste les rend seuls
juges de l’opportunité de certaines décisions. En outre, c’est l’étude des prérogatives
attachées à la fonction de gérant de SCA qui permet de prendre conscience de l’importance
des pouvoirs politiques attachés à cette qualité.
2. Les prérogatives des gérants
49. La règle générale concernant les pouvoirs du gérant de SCA est qu’il « est investi des
pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société »40.
L’ampleur de ces prérogatives a pour partie imposé le choix de désigner deux gérants au sein
de la Financière Pinault, François et François-Henri Pinault. Les pouvoirs des gérants de SCA
sont ainsi plus étendus que ceux du président du conseil d’administration ou des membres du
directoire des SA. Non seulement la société est engagée à l’égard des tiers même si les actes
accomplis par les gérants n’entrent pas dans l’objet social mais, en outre, à la différence des
règles applicables aux dirigeants dans la SA, il n’existe aucune disposition légale limitant ces
pouvoirs ; notamment, les gérants peuvent librement consentir des cautions, avals et garanties
sur les biens de la société.
50. Comme dans les SA, les pouvoirs des gérants de SCA peuvent être limités dans les statuts
et, pour certaines opérations déterminées, être subordonnés à l’autorisation préalable du
conseil de surveillance ou de l’assemblée des commanditaires. Mais ces limitations sont
inopposables aux tiers ; leur inobservation peut seulement justifier une action en dommages et
intérêts à l’encontre des gérants pour obtenir une réparation du préjudice de la société et, le
cas échéant une action en révocation pour cause légitime ; la société, quant à elle, devra
exécuter les engagements pris en son nom auprès des tiers de bonne foi.
38
C. com., art. L226-11
C. com., art. L226-14
40
C. com., art. L226-7
39
20
51. La question de la pluralité de gérants est réglée par la loi 41. Ainsi, dans cette hypothèse,
ces derniers détiennent séparément les pouvoirs prévus à l’article L. 226-7 du code de
commerce. Aussi, l’opposition formée par un gérant aux actes d’un autre gérant est sans effet
à l’égard des tiers, à moins qu’il ne soit démontré qu’ils en aient eu connaissance42.
52. On peut ainsi mesurer l’étendue des pouvoirs dont sont co-titulaires les deux
commandités gérants de la SCA dans le groupe Pinault. Ce sont de véritables rois qui ne
peuvent être renversés. La seule limite à leur pouvoir tient en ce qu’ils sont deux à détenir
cette forme suprême du pouvoir au sein de la holding faîtière. En pratique, on peut supposer
que les rapports entre les deux hommes clés du groupe sont basés sur le dialogue et la
concertation. En outre, on peut présumer que l’étendue de leur pouvoir est mise au service du
dynamisme et de l’expansion d’un des plus grands groupes de sociétés français.
53. On peut par ailleurs noter que l’organisation du pouvoir dans le groupe Pinault semble en
adéquation avec les exigences du droit commercial général que sont la rapidité, la sécurité et
le crédit. En effet, la rapidité et la sécurité sont réelles car le commandité gérant dispose de
tous les pouvoirs à l’égard des tiers ce qui permet une prise de décision rapide et très
difficilement contestable. De même, le crédit est assuré par la confiance légitime
qu’éprouvent les partenaires financiers envers un commandité gérant qui est responsable
indéfiniment et solidairement du passif social et qui y répond sur l’ensemble de ses biens
propres.
54. Au terme de ces développements, on peut noter que la SCA dans le groupe Pinault répond
à son premier objectif qui est de mettre en place une répartition familiale des fonctions tout à
fait originale et remarquable. En effet, les deux commandités gérants sont des personnes
disposant d’une expérience impressionnante dans le monde des affaires et au sein du groupe.
Ainsi, François Pinault est le fondateur du groupe Pinault et son fils a des années
d’ancienneté à des postes de direction au sein des filiales du conglomérat. Il apparaît par
conséquent tout à fait pertinent de les placer aux plus hautes responsabilités dans le groupe.
L’atout de la SCA sur ce point est qu’elle permet d’associer dans une même structure ces
hommes centraux aux deux autres enfants de François Pinault, qui, bien que participant à
41
42
C. com., art. L226-7, al. 4
C. com., art. L226-7, al. 1er à 4
21
l’aventure sociale,
disposent de pouvoirs infiniment moindres. En outre, au-delà de la
remarquable répartition des fonctions que la SCA permet, il nous faut à présent examiner les
potentialités exceptionnelles de cette forme sociale qui ont été mises au service du groupe
Pinault.
Titre 2 : les potentialités exceptionnelles de la SCA au service du groupe
Pinault
55. Derrière l’apparente complexité de la société en commandite par actions, se cache une
forme sociale originale dotée d’atouts considérables. Ces derniers, s’ils sont mis au service
d’un groupe de sociétés peuvent se révéler déterminants dans le cadre d’une stratégie
d’organisation et de conservation du pouvoir. L’exemple du groupe Pinault permet
d’entrevoir les principales potentialités de ce type de société à savoir la dissociation entre le
pouvoir et la détention du capital (chapitre 1), la souplesse d’organisation et la liberté
contractuelle (chapitre 2), un moyen de défense contre les offres publiques d’achats (chapitre
3), la variabilité du capital (chapitre 4) et l’optimisation fiscale du groupe (chapitre 5).
Chapitre 1 : la dissociation entre le pouvoir et la détention du capital, un élément de
stabilité du groupe
56. La dissociation entre le pouvoir et la détention du capital n’est pas un aspect exclusif à la
SCA. En effet, la société par actions simplifiées permet d’opérer cette même distinction.
D’autre part, les valeurs mobilières sans droit de vote comme les certificats d’investissement,
les actions à dividende prioritaire sans droit de vote permettent d’organiser une telle
dissociation43.
57. Cette séparation de l’avoir et du pouvoir dans la SCA constitue un élément de stabilité
pour le management du groupe qui est à l’abri d’un renversement de la gérance en vertu
d’une clause statutaire en ce sens (section 1). En outre, cette dissociation entre le pouvoir et la
détention du capital a joué un rôle important pour le groupe il y a quelques années. En effet,
43
voir notamment : J-P Bertrel, Ingénierie juridique : comment dissocier le pouvoir et la détention du capital
dans une société, Droit et patrimoine, n°96, septembre 2001, page 34
22
lorsque les besoins de financement du conglomérat étaient réels, il s’est avéré nécessaire de
compter sur l’appui d’investisseurs extérieurs à la famille qui ont acquis la qualité d’associé
commanditaire dans la Financière Pinault. Cependant, le statut de SCA de la Financière
Pinault a permis de maintenir le pouvoir entre des mains familiales (section 2).
Section 1 : la gérance irrévocable
58. La stabilité des fonctions de gérant est remarquable dans les sociétés en commandite par
actions. La loi ne fixe aucun délai maximal de mandat, ce qui épargne aux intéressés les
affres de la réélection. Ainsi, peut-on être gérant à vie d’une société en commandite par
actions. Dans les SCA, l’irrévocabilité de principe peut être atteinte. Certes la loi du 24 juillet
1966 n’affirme pas une telle irrévocabilité ; l’article 252, alinéa 3 dispose seulement : « Le
gérant, associé ou non, est révoqué dans les conditions prévues par les statuts »44. Il y a là un
trait tout à fait original de la SCA, qui prédestine ce type de société à une utilisation dans des
groupes industriels ou financiers à dominante familiale, la dynastie fondatrice conservant la
maîtrise du groupe même si elle venait un jour à faire appel à des capitaux extérieurs. De ce
fait, il n’est pas étonnant de trouver, parmi de telles sociétés, des groupes aussi prestigieux
que Michelin, Lagardère ou Pinault.
59. Ainsi, au sein du groupe Pinault, les deux cogérants de la Financière Pinault, du fait d’une
disposition statutaire en ce sens, sont irrévocables à ce poste qu’ils occuperont à vie. Les
effets positifs qui en résultent pour le groupe sont exemplaires. En effet, alors que les deux
gérants de la SCA sont irrévocables, le président du conseil d’administration d’une société
anonyme peut, lui, changer du jour au lendemain. Une telle sécurité renforce
indiscutablement les pouvoirs des gérants, tant au niveau des relations avec les tiers (banques,
partenaires financiers, fournisseurs) que pour les rapports avec les associés, voire les salariés.
A ce dernier égard, la stabilité de la gérance présente un avantage dans les sociétés de famille.
En effet, si conflits et déchirements il y a, ils ne perturbent pas la gestion de la société et la
gérance reste hors d’atteinte, grâce à la stabilité qui lui est reconnue, mais aussi en vertu de sa
continuité. De plus, cette gérance irrévocable comporte un autre avantage de taille au niveau
financier. En effet, elle permet de faire appel à des investisseurs extérieurs qui deviendront
associés sans déstabiliser l’organisation du pouvoir dans le groupe. Ainsi, il y a quelques
44
C. com., art. L226-2
23
années François Pinault a pu tirer parti de cet atout. En effet, en remontant dans le temps on
s’aperçoit que l’organigramme de la Financière Pinault était bien différent de ce qu’il est
aujourd’hui. Ainsi, une majeure partie des actions de la société n’était pas entre les mains du
commandité gérant de l’époque, François Pinault, mais était détenue par des tiers.
Section 2 : la possibilité d’ouvrir le capital de la société à des tiers sans perte du pouvoir
60. L’organigramme du groupe Pinault, tel qu’il apparaît aujourd’hui, est très simple. En
effet, à la tête de l’empire on trouve la Financière Pinault qui est détenue exclusivement par
François Pinault et ses enfants. Cette société possède la totalité d’Artémis, la holding
stratégique du groupe. De ce point de vue, la distinction entre le capital et le management que
permet la SCA semble certes intéressante mais pas déterminante au niveau de l’organisation
du pouvoir car le capital est malgré tout détenu dans sa totalité par les membres d’une même
famille. Cependant, on peut quand
même noter que la direction reviendra à terme
exclusivement à François-Henri Pinault qui ne détient pourtant que 33,33% des actions de la
Financière Pinault.
61. Néanmoins, en se plaçant dix ans en arrière on comprend mieux le rôle de tout premier
ordre de la SCA dans la stratégie d’organisation, de conservation et de stabilisation du
pouvoir entre les mains de François Pinault. En effet, selon l’organigramme du groupe datant
de 1994 45 on constate que François Pinault, seul commandité gérant de l’époque, ne détenait
directement que 19,77% des actions de la Financière Pinault. Le reste des actions était réparti
entre ses enfants, Clinvest (une filiale du Crédit Lyonnais) et FPI, une société détenue
indirectement et secrètement par l’entrepreneur breton.
62. De ce fait, même si officieusement François Pinault détenait une part substantielle des
actions de la holding faîtière ; officiellement, il n’en possédait qu’une minorité. Ainsi, si la
Financière Pinault avait été une société anonyme, la décision de nomination et de révocation
des dirigeants de la société aurait été prise en tenant compte de la détention d’actions de
chacun. Avec un tel système, il n’était absolument pas garanti que François Pinault pût
occuper les plus hautes fonctions durablement dans la Financière Pinault. Cependant, grâce à
45
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
24
sa qualité de commandité gérant nommé à vie, François Pinault a pu tirer son pouvoir des
dispositions statutaires de la SCA et non de la détention d’actions.
63. Les vertus de la SCA sur ce point sont éclatantes. En effet, cette forme sociale est l’une
des seules qui permette à des entrepreneurs de faire entrer dans le capital des investisseurs
extérieurs, qui auront la qualité de commanditaires, tout en étant certains de conserver le
pouvoir si les clauses statutaires relatives à la gérance sont rédigées en ce sens. Cette
utilisation des attraits de la SCA dans le groupe Pinault a indéniablement permis de stabiliser
le management et de mettre en place une gérance héréditaire. En effet, après avoir été
l’homme central de l’empire pendant de nombreuses années François Pinault a décidé de
passer la main à son fils qui symbolise l’idée de continuité et de stabilité dans la direction du
groupe.
64. Après avoir démontré l’intérêt que comporte la SCA dans la dissociation entre le pouvoir
et la détention du capital et son application dans le groupe Pinault, il convient à présent
d’étudier la souplesse et la liberté qui caractérisent cette forme sociale.
Chapitre 2 :la souplesse d’organisation et la liberté, des éléments dynamisants pour le
groupe
65. A l’instar de la société par actions simplifiées, la SCA comporte de nombreux avantages
sur la société anonyme. En premier lieu, la souplesse d’organisation offerte aux fondateurs
pour organiser l’administration de leur entreprise est remarquable (section 1). En outre, la
liberté qui est conférée par la forme juridique de SCA est source de dynamisme pour
l’ensemble du groupe (section 2).
Section 1 : la souplesse d’organisation de la société
66. Alors que la formule du type conseil d’administration dans la SA de type classique est
relativement lourde à manier ( difficulté inhérente à la collégialité, nécessité de convoquer les
représentants du comité d’entreprise à toutes les séances du conseil et le ou les commissaires
aux comptes lorsqu’il s’agit d’arrêter les comptes de l’exercice écoulé, etc.), ce problème
n’existe pas dans les SCA où l’administration est le fait, comme c’est le cas dans le groupe
Pinault, d’un ou plusieurs gérants.
25
67. De ce fait, il n’est pas nécessaire dans une SCA de réunir un organe collégial pour prendre
les décisions importantes, établir chaque année l’inventaire et les comptes annuels, convoquer
les assemblées générales ordinaires et extraordinaires, préparer les rapports qui doivent y être
présentés, etc.46
68. L’intérêt de cette souplesse, facteur de gain de temps et d’efficacité, est évident. De ce
fait, on peut affirmer que le choix du statut de SCA de la Financière Pinault a été décidé
après l’examen de la souplesse d’organisation de cette forme sociale qui a permis de réunir
les membres d’une seule famille dans la même holding faîtière tout en laissant une marge de
manœuvre optimale aux deux commandités gérants. Mais davantage encore que la souplesse,
la liberté laissée aux fondateurs semble être l’un des intérêts essentiels de la SCA.
Section 2 : la liberté
69. La liberté gouverne indiscutablement l’organisation des SCA47. Nomination de la
gérance, modalités des prises de décision, ce sont là autant de questions pour lesquelles
commandités et commanditaires ont la faculté d’élire l’agencement le mieux adapté à la taille
de la société, à son objet, comme à leur tempérament, leur expérience et leurs habitudes. De
ce fait, on comprend facilement l’intérêt du choix de la SCA comme tête d’un groupe de
sociétés. Ainsi, la SCA est tout à fait adaptée à la configuration de contrôle familial telle
qu’elle apparaît dans le groupe Pinault. En outre, la SCA est, avec la SAS, la seule société qui
puisse répondre aux besoins d’un groupe d’actionnaires pour organiser la vie sociale en
fonction de leurs exigences. De ce fait, c’est la SCA qui s’adapte aux exigences des associés,
à travers une rédaction des statuts adéquate, et non l’inverse comme c’est le cas dans une SA.
La supériorité des SCA est ici manifeste ; qu’il suffise pour s’en persuader, d’examiner la
situation des organes sociaux.
70. On sait avec quel luxe de détails le législateur régit la nomination des dirigeants de SA.
Que ce soit à propos de la qualité d’actionnaire, du cumul avec d’autres positions (salariées
ou dirigeantes), de l’âge des dirigeants, le droit intervient, et souvent de manière impérative,
ce qui limite d’autant la liberté des actionnaires et des administrateurs. Et on doit relier à cela
46
47
J-P Bertrel, Juris-Classeurs Sociétés Traité, Fascicule M-10, §21
notamment CREDA, La société en commandite entre son passé et son avenir, 1983, Litec, page 210
26
l’interventionnisme étatique croissant qui vient entraver la marche des sociétés, et réduire la
liberté des fondateurs de sociétés de capitaux. Rien de tel n’existe dans les SCA. Ainsi, par
exemple, le gérant peut ne pas être associé, se présenter sous les traits d’une personne
morale…Ce qui est vrai pour les organes de gestion l’est encore pour les organes de contrôle.
Ainsi, concernant le conseil de surveillance ; quant à sa composition, c’est l’idée de rigueur
qui s’impose à la lecture des articles 134 et suivants de la loi du 24 juillet 1966, relatif aux
SA ; à l’inverse, les rédacteurs des statuts des SCA se voient conférer un pouvoir quasi infini
pour dessiner le profil des membres du conseil de surveillance, liberté seulement bornée par
l’impossibilité pour les commandités d’appartenir à cet organe. Ensuite, la même antinomie
peut être révélée par l’observation de l’organisation du conseil de surveillance : dans les SCA
il appartient aux statuts d’arrêter les règles de fonctionnement interne de l’institution de
contrôle ; dans les sociétés anonymes, la loi définit la fréquence des réunions et la répartition
des rôles.
71. On le voit, la supériorité de la SCA sur la SA est manifeste. Dans ce type de société, le
postulat de la liberté contractuelle a conservé toute son importance. Ainsi, force est de
constater que dans un univers saturé de réglementations en tout genre, la SCA représente un
îlot de liberté et de souplesse. De ce fait, on comprend mieux pourquoi une SCA a été choisie
comme holding de tête dans le groupe Pinault. En effet, en plus de réunir les membres de la
famille dans la même structure, la SCA a pu permettre d’organiser librement le
fonctionnement des organes sociaux et la dévolution du pouvoir dans le groupe en trouvant
une fonction adéquate à chacun des membres de la famille.
72. Ces différents éléments nous amènent à penser que la souplesse d’organisation et la
liberté propre à la SCA ont permis de dynamiser le groupe en utilisant une forme sociale
tenant compte des spécificités de la famille Pinault. Ce type de société a pu répondre
exactement à leurs attentes et a permis de libérer les énergies au sein de la Financière Pinault.
En outre, le statut de SCA comporte un autre avantage de taille qui pourrait jouer un rôle
important à moyen terme: elle constitue un excellent moyen de défense contre les OPA.
Chapitre 3 : la défense anti-OPA, un élément de pérennité du groupe
73. Préalablement, il convient de préciser que la Financière Pinault n’est pas une société dont
les titres sont cotés sur un marché réglementé et qu’elle ne fait pas appel public à l’épargne.
27
Cependant, rien n’interdit de penser, dans l’hypothèse où la société serait confrontée à un
important besoin de financement, qu’elle fasse un jour appel public à l’épargne et qu’elle voie
ses titres admis à la cote. Dans ce cas de figure, le statut de SCA se révélerait une véritable
garantie pour l’avenir (section 1), qui, conjugué avec la présence d’un noyau dur
d’actionnaires, constituerait une muraille infranchissable pour les raiders (section 2).
Section 1 : le statut de SCA, une garantie pour l’avenir
74. Le statut de SCA figure en bonne place dans la vitrine des armes anti-OPA. En effet, la
SCA, comme la SA, peut émettre des valeurs mobilières et faire appel public à l’épargne (§1).
Mais c’est bien la spécificité du statut de SCA qui permet de lutter préventivement contre les
prises de participation hostiles (§2).
§1. La possibilité d’émettre des valeurs mobilières et de faire appel public à l’épargne
75. Les valeurs mobilières émises par les sociétés par actions sont définies par l’article L 2112 du code monétaire et financier. Il s’agit de titres émis par les sociétés par actions,
transmissibles par inscription en compte ou tradition, qui procurent des droits identiques par
catégorie et donnent accès, directement ou indirectement, à une quotité du capital de la
société émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine.
76. La SCA peut voir ses actions cotées en bourse et elle peut également émettre des valeurs
mobilières comme des obligations ainsi que tous les dérivés qui en résultent. Ainsi, la SCA
peut faire appel public à l’épargne, mais dans ce cas, son capital minimal sera fixé à 225.000
euros, alors qu’il ne sera fixé qu’à 37.000 euros si la société ne fait pas appel public à
l’épargne. De façon générale, on peut noter que ces possibilités permettent aux SCA
d’atténuer les difficultés économiques ou d’accélérer leur croissance. Cependant, cette forme
sociale connaît surtout une vague de succès dans les stratégies de groupe parce qu’elle
constitue un excellent moyen de se protéger contre les tentatives hostiles d’OPA.
§2. Le statut de SCA, une arme anti-OPA
28
77. La commandite par actions est une bonne défense anti-OPA
48
.Cette qualité tient
principalement à la répartition des pouvoirs entre commandités et commanditaires et la
possibilité d’avoir des gérants soustraits à l’influence des commanditaires, obéissant
seulement aux injonctions des commandités ; lorsque les mêmes personnes sont à la fois
commandités et gérants, comme c’est le cas pour François Pinault et son fils, on aboutit à une
forme suprême de concentration du pouvoir dans un groupe de sociétés du fait de l’absence
de tout contrepouvoir social.
78. Ainsi, le raider qui réussit à acheter la majorité du capital de la SCA sera maître de
l’assemblée générale des commanditaires, sans pouvoir gérer à sa guise la société faute de
prise sur le gérant, et sans pouvoir restructurer la société du fait du veto possible des
commandités sur toute modification statutaire. Ainsi, on peut affirmer que si demain la SCA
dans le groupe Pinault voyait ses actions cotées, la pérennité du pouvoir ne serait pas à
première vue menacée du fait de la présence des deux commandités gérants irrévocables.
79. Cependant, une mésentente entre l’assemblée générale des commanditaires, le gérant et le
commandité ne saurait être appelée à durer. D’un côté, la maître de l’assemblée des
commanditaires, en refusant d’approuver les comptes, priverait le commandité de toute
rémunération. D’un autre côté, le gérant ne pourrait obtenir de l‘assemblée les autorisations
d’augmentations de capital nécessaires pour la croissance de la société. Ces éléments
pourraient constituer une faille dans la perspective à moyen ou long terme d’une cotation sans
perte de pouvoir de la Financière Pinault.
80. Aussi, faut-il craindre que cette paralysie ne conduise à terme à la nomination d’un
administrateur provisoire, voire à la révocation du gérant pour cause légitime, cause légitime
trouvée dans le refus, non motivé par l’intérêt social, de s’opposer abusivement à l’assemblée
des commanditaires. Mais on ne saurait, même judiciairement, évincer le commandité et la
perte de la gérance ne signifierait pas la fin du conflit. Cependant, la présence et le maintien
d’un noyau dur d’actionnaires au sein de la Financière Pinault permettrait à la holding de tête
du groupe de faire face aux affres des marchés financiers en toute sérénité.
48
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1217
29
Section 2 : la mise en place d’un noyau dur d’actionnaires
81. L’intérêt de premier ordre qui résulte de la présence d’un noyau dur d’actionnaires dans la
perspective d’une cotation à moyen ou long terme de la Financière Pinault (§2) sera
développé après avoir étudié et défini cette notion (§1).
§1. La notion de noyau dur d’actionnaires
82. La notion de noyau dur d’actionnaires désigne un ensemble d’actionnaires qui prennent
l’engagement de conserver leur participation sans céder à l’éventuel charme d’une offre
alléchante. Ces noyaux durs étaient réservés aux sociétés privatisées pour éviter les tentatives
de prise de contrôle hostile. Par extension, on parle maintenant de noyaux durs pour toutes les
sociétés.
83. Le principe du noyau dur d’actionnaires est relativement simple. En effet, une société
cotée, afin de ne pas être soumise aux dangers constitués par une prise de participation
hostile, transmet une partie du capital de l’entreprise à des sociétés ou à des investisseurs
« amis » afin de pouvoir se protéger et contrer une attaque hostile de type OPA ou OPE.
84. Dans le groupe Pinault, en étudiant l’organigramme de la SCA, il apparaît très clairement
que la totalité du capital de la SCA est détenu (pour partie en nue propriété) par les trois
enfants de François Pinault49. Ainsi, il semble indiscutable qu’à ce jour, la holding faîtière du
groupe est détenue entièrement par un noyau dur d’actionnaires motivés par le souci de
pérennité du groupe et du maintien de la direction actuelle en raison de leur appartenance à la
même famille. De ce fait, il convient d’analyser l’intérêt de ce dispositif dans l’hypothèse
d’une cotation de la SCA.
§2. Les intérêts d’un tel dispositif
85. En cas de cotation de la SCA et de l’ouverture au public d’une partie du capital, le risque
subsiste qu’un raider patient tente de contrôler l’assemblée générale des commanditaires et
refuse d’approuver les comptes sociaux afin de paralyser la société. Ceci aurait pour
49
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, 21 juin 2002, page 24
30
conséquence à court terme de bloquer le fonctionnement de la société et à moyen ou long
terme d’entraîner la révocation judiciaire du gérant. Cependant, la spécificité du groupe
Pinault tient en ce que la SCA voit son capital détenu par les trois enfants. Ceux-ci forment
un noyau dur d’actionnaires et ils ont vocation à détenir en permanence la majorité du capital
et donc l’assemblée générale. Ainsi, pour envisager une cotation sans aucun risque pour la
pérennité du groupe, il suffirait de prévoir, dans un pacte d’actionnaires par exemple, que les
trois enfants de François Pinault s’engagent à conserver en toute circonstance et
conjointement la majorité du capital pour que la SCA soit verrouillée et la gérance
intouchable.
86. Ainsi, il résulte de ce qui précède que la SCA est par principe une excellente défense antiOPA et un parfait outil de pérennité pour les groupes de sociétés. Ces éléments pourraient
conduire à envisager sereinement une cotation des titres de la Financière Pinault. En outre,
cette cotation serait d’autant plus sûre qu’il suffirait de maintenir la majorité du capital entre
les mains des trois enfants pour rendre la société imprenable.
87. Cependant, si la cotation de la SCA n’est pas à l’ordre du jour, le caractère familial de la
holding de tête pose le problème de la liquidité des titres dans cette société marquée par un
très fort intuitu personnae. Cet élément rend très difficile la cession d’actions à un tiers. Ainsi,
la SCA pourrait constituer un véritable piège à capitaux pour les associés. Cependant, cette
forme sociale permet de rendre les titres liquides sans pour autant avoir besoin de faire entrer
un investisseur extérieur à la famille dans la société. En effet, la SCA peut disposer d’un
capital variable.
Chapitre 4 : la variabilité du capital, un élément de liquidité des titres
88. La société en commandite par actions peut être constituée avec un capital variable. En
effet, la variabilité du capital n’est exclue que pour les sociétés ayant la forme de société
anonyme50. Il nous appartiendra d’expliciter cette notion (section 1) avant d’en présenter les
avantages pour un groupe de sociétés comprenant à sa tête une holding familiale (section 2).
50
C. com., art. L231-1
31
Section 1 : notion de capital variable
89. La société à capital variable est une société dont le capital peut, en vertu d’une disposition
statutaire, augmenter ou diminuer à tout moment, en raison soit de l’accroissement de la
participation de certains associés, soit de l’augmentation de leur nombre, soit encore du retrait
ou de l’exclusion d’un ou plusieurs associés ou de la réduction de la participation qu’ils
détiennent51, et cela sans qu’il y ait lieu de procéder aux formalités sociétaires habituelles
d’augmentation ou de réduction de capital. La société à capital variable se distingue des
sociétés à capital fixe par la possibilité de variation de capital qui est prévue par les statuts et
qui, à la différence d’une augmentation ou réduction habituelle de capital, ne constitue pas
une modification statutaire et ne nécessite donc pas la réunion d’une assemblée générale
extraordinaire. Loin d’être une modification des statuts, la variation du capital apparaît, en
effet, comme la simple mise en œuvre d’une faculté statutaire préalable. L’article 48, alinéa 1
de la loi du 24 juillet 1867 dispose, en effet, « qu’il peut être stipulé dans les statuts des
sociétés qui n’ont pas la forme de société anonyme ainsi que dans toute société coopérative
que le capital social est susceptible d’augmenter par des versements successifs des associés
ou l’admission d’associés nouveaux et de diminution par reprise totale ou partielle des
apports effectués ».
90. C’est l’insertion d’une clause de variabilité du capital dans les statuts qui fait de la société
considérée une société à capital variable. Cette clause va préciser le capital maximal théorique
et le capital minimal, lequel ne peut être inférieur au minimum légal applicable. Entre ces
deux seuils de capital, va pouvoir varier le capital effectivement souscrit, étant précisé que de
telles variations se feront sans intervention de l’assemblée générale extraordinaire et sans
publicité52. Enfin, observons qu’il n’existe pas de sociétés par actions à capital variable cotées
en bourse. Ces éléments peuvent constituer des atouts intéressants en terme de liquidité des
titres détenus par les actionnaires d’une holding familiale dans un groupe de sociétés comme
c’est le cas au sein du groupe Pinault.
51
52
Bertrel, La variabilité du capital social, Droit et patrimoine, décembre 1998, page 78
C. com., art. L231-3
32
Section 2 : les avantages de cette formule dans une holding familiale
91. Dans une holding familiale, société fermée par excellence, ayant opté pour le statut de
SCA, il est difficilement concevable que les actions de la société tête du groupe soient
transmises à des tiers extérieurs à la famille d’autant que la cession des actions dans une SCA
peut faire l’objet d’une clause d’agrément dans les termes prévus par la loi53. De ce fait,
l’inconvénient de l’absence de liquidité des titres se pose. En effet, dans une SCA, si les
commanditaires peuvent librement céder leurs titres, comme les actionnaires d’une société
anonyme, il n’est en revanche pas toujours facile de leur trouver un acquéreur. Les
investisseurs sont en effet souvent réticents à acheter des titres dénués de tout pouvoir de
gestion54 et les actionnaires de référence peu à même de voir entrer dans la société un nouvel
associé étranger aux valeurs du groupe.
92. Mais la souplesse de la SCA peut résoudre ce problème de liquidité. En effet,
contrairement à la société anonyme, cette forme juridique autorise le rachat des parts d’un
actionnaire sans obligation de faire sortir les autres associés. Ainsi, dans une SCA à capital
variable, les commanditaires auront la possibilité de se retirer à tout moment, la variabilité du
capital constituant pour eux une « porte de sortie de secours »55 conférant à leur
investissement une plus grande liquidité que celle dont ils auraient pu bénéficier dans une SA.
En effet, dans ce cas, c’est la société elle-même qui remboursera à l’associé la valeur des
titres qu’il détient en vertu d’une obligation de remboursement prévue par les statuts euxmêmes. Ces éléments permettent de conjuguer la nécessité du maintien du caractère fermé et
familial de la société tout en garantissant une bonne liquidité des actions des commanditaires.
93. Ainsi, si une clause de variabilité du capital était prévue dans les statuts de la Financière
Pinault56, un des trois enfants commanditaires ayant des besoins pécuniaires pourrait tout à
fait se faire rembourser par la société une partie de la valeur de ses actions sans avoir à
rechercher un tiers acquéreur. Cette façon de procéder comprendrait de nombreux avantages
comme le maintien du caractère fermé de la SCA, la rapidité de l’opération, la conservation
d’un actionnariat de référence et la parfaite liquidité des titres. Ainsi, la forme juridique de
53
C. com., art. L228-23 et suivants
N.A, Transmission :quel statut pour une holding familiale ?, Option Finance, n°528, 21 décembre 1998
55
J-P Bertrel, Ingénierie juridique : comment dissocier le pouvoir et la détention du capital dans une société,
Droit et patrimoine, n°96, septembre 2001, page 34
56
Compte tenu du caractère stratégique de la SCA dans le groupe Pinault, il nous a été impossible d’obtenir les
statuts de cette société et de savoir si une telle clause y était insérée.
54
33
SCA permet, par l’insertion d’une clause statutaire en ce sens, d’éviter l’écueil de la société
« piège à capitaux ». De plus, elle joue également un rôle important dans l’optimisation de la
fiscalité du groupe Pinault.
Chapitre 5 : un groupe à la fiscalité optimisée
94. La forme juridique de société en commandite par actions comme holding faîtière du
groupe Pinault comprend un avantage majeur au niveau fiscal. En effet, le statut de SCA
comme tête de groupe permet de profiter des dispositions fiscales avantageuses relatives aux
groupes de sociétés. Ainsi, la forme de commandite par actions de la Financière Pinault lui
accorde la possibilité de bénéficier du régime des sociétés mères et filiales (section 1) et sa
participation dans Artémis rend le mécanisme de l’intégration fiscale applicable sur option
(section 2). Ces deux dispositions, dérogatoires au droit commun, permettent d’optimiser la
fiscalité de l’ensemble de groupe Pinault.
Section 1 : le régime des sociétés mères et filiales
95. Le régime des sociétés mères et filiales est la plus ancienne des mesures fiscales adoptées
en faveur des groupes de sociétés. Son principal objet est d’éviter la superposition
d’imposition qui résulte de la situation suivante : une filiale réalise des bénéfices imposables
à l’impôt sur les sociétés (1re imposition), puis distribue après impôt des dividendes à sa
société mère, qui intègre ces distributions dans son résultat imposable (2e imposition). La
société mère distribue à son tour ces dividendes à ses propres actionnaires qui sont euxmêmes imposables (3e imposition). En outre, il permet à la société mère, lors de la
distribution des produits de la filiale, de transmettre à ses propres actionnaires l’avoir fiscal
attaché à ces produits sans avoir à supporter le précompte.
96. Afin d’éviter une double imposition des résultats, le législateur57 a prévu que les produits
déjà imposés chez la filiale puissent58, lorsqu’ils sont appréhendés par la société mère ne pas
être imposés une seconde fois. Ce régime fiscal de faveur est applicable dès lors que les deux
sociétés sont passibles de plein droit ou sur option de l’impôt sur les sociétés au taux de droit
commun ce qui est le cas des sociétés en commandite par actions. La participation de la
57
CGI, art. 216
L’option est annuelle et résulte de la seule déduction extra-comptable des dividendes perçus sur l’imprimé
2058-A
58
34
société mère doit représenter 5% au moins du capital de l’autre société à la date de mise en
paiement des dividendes. Les conséquences de l’application du régime de faveur tiennent en
ce que les dividendes distribués dans le cadre du régime mère-fille sont exonérés d’impôt sur
les sociétés. En effet, sur option de la société mère, les produits nets des actions ou parts
d’intérêts de la filiale perçus par la société mère au cours de l’exercice sont retranchés de son
bénéfice net total, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges.
97. Ainsi, sous cet aspect, l’utilisation de la SCA comme holding familiale dans le groupe
Pinault peut aussi avoir pour conséquence de mettre en place un effet de levier financier59. En
effet, la holding va bénéficier du système d’imposition mère-fille du fait de sa participation
directe à 100% dans la société anonyme Artémis, 30% dans Holdivar, 100% dans CX
Reinsurance Co., 12,5% dans BFM60: les dividendes remontent donc en quasi-franchise
d’impôt, sous la seule réserve de la quote-part de frais et charges, vers la holding qui pourra
utiliser les sommes pour ses besoins propres, par exemple, pour rembourser les emprunts
qu’elle aura souscrits. Ce levier financier fait donc apparaître que la holding est aussi une
technique d’acquisition d’une société préexistante. En outre, la participation à 100% de la
Financière Pinault dans la holding phare du groupe, Artémis, permet l’application du régime
très favorable de l’intégration fiscale en cas d’option.
Section 2 : l’intégration fiscale
98. Ce système est applicable, sur simple option, aux sociétés soumises à l’impôt sur les
sociétés. L’intérêt principal de ce régime réside dans la possibilité qu’il offre à une société
française, dite « tête de groupe », de former, avec sa ou ses filiales françaises détenues de
façon continue à 95% au moins pendant toute la durée de l’exercice, un ensemble dont la base
d’imposition à l’impôt sur les sociétés, au nom de la société tête de groupe61, est représentée
par la somme algébrique des bénéfices réalisés et des pertes subies par chacune des sociétés
composant le groupe.
99. Ce régime fiscal se recommande spécialement aux ensembles constitués de sociétés aux
résultats contrastés, du fait de l’économie d’impôt sur les sociétés provenant de la
59
Y. Reinhard, La holding familiale, Defrénois, n°5, 2001, page 291
Bruno Basini, Gilles Fontaine et Géraldine Meignan, Pinault l’histoire secrète d’une année noire,
L’Expansion, décembre 2003, n°681, page 46
61
CGI, art. 223 A
60
35
compensation immédiate des résultats positifs et négatifs. Les avantages du régime ne se
limitent pas aux groupes dans lesquels ce sont les filiales qui sont déficitaires. En effet,
l’intégration apporte aussi une solution aux sociétés mères structurellement déficitaires,
situation fréquente chez les holdings qui financent par l’emprunt l’achat de leurs
participations et les apports en capital faits à leurs filiales. L’intégration a également des
effets favorables lorsque le résultat d’ensemble est déficitaire car dans cette situation les
bénéfices constatés individuellement par les sociétés du groupe non déficitaires servent
prioritairement à l’apurement des déficits ordinaires subis par les autres, ce qui accroît
d’autant la fraction du déficit d’ensemble réputé correspondre à des amortissements différés
dont le report s’effectue sans limitation de durée.
100. Dans le cadre du groupe Pinault, l’application de ce régime apparaît comme étant très
favorable bien que nous ne puissions affirmer que l’option ait été exercée62. En effet, la
société anonyme Artémis qui se concentre sur le développement des participations dans le
groupe recourt à l’emprunt pour mener à bien sa mission. Cette société étant détenue à 100%
par la Financière Pinault, le système de l’intégration fiscale peut trouver à s’appliquer. Le
régime permettrait d’imputer les charges financières supportées par la holding Artémis avec
les bénéfices dégagés par la Financière Pinault ce qui génèrerait une importante économie
d’impôt profitable à l’ensemble du groupe.
101. Ainsi, après avoir analysé les potentialités de la SCA dans le groupe Pinault, il apparaît
très clairement que cette forme sociale est remarquable comme holding faîtière d’un groupe
de sociétés. En effet, la stabilité, la souplesse et l’optimisation fiscale qu’elle procure lui
permettent de concurrencer la SAS comme forme de holding voir même de la dépasser du
fait de la possibilité d’émettre des valeurs mobilières. En outre, l’utilisation de cette forme
sociale originale dans le groupe Pinault est à même de servir de modèle pour l’ensemble des
groupes de sociétés familiales en raison de la parfaite organisation du pouvoir qu’elle permet
et de son immense liberté statutaire. De plus, la SCA comporte d’autres attraits relatifs à la
transmission des groupes de sociétés. En effet, cette forme juridique a permis une
transmission parfaite du pouvoir et de l’avoir dans le groupe Pinault.
62
En effet, le caractère stratégique des deux holdings de tête du groupe rend la diffusion et la recherche
d’informations sur ces aspects techniques très difficiles.
36
Partie 2 : La SCA dans le groupe Pinault, un modèle pour la transmission des
groupes de sociétés
102. Tout en restant aux commandes, François Pinault a transmis son groupe à ses enfants. Le
processus a été engagé en 2000, pour se dénouer en août 200163 par une donation-partage des
actions de la SCA. Ainsi, en transmettant la Financière Pinault, société tête de groupe,
François Pinault a transmis l’intégralité de son outil professionnel de son vivant. L’utilisation
de la SCA a permis de céder le pouvoir à un seul des héritiers tout en répartissant le capital de
façon égalitaire. On en déduit qu’au sein du groupe Pinault, la question de la dévolution du
pouvoir et de la répartition de l’avoir d’une des 100 plus grandes fortunes mondiales est
réglée. Dans ce processus, la forme juridique de SCA s’est avérée déterminante pour mener à
bien cette transmission. En effet, la forme juridique de la holding faîtière du groupe a permis
de réunir l’intégralité des éléments indispensables à la réussite d’une transmission. Ainsi,
l’utilisation exceptionnelle qui a été faite de cette forme sociale dans le processus de
succession de François Pinault permet d’affirmer que cette transmission a été menée de main
de maître (titre 1). En outre, cette transmission a été marquée par la mise en œuvre d’une
ingénierie juridique et fiscale impressionnante, conséquence d’un montage juridique quasiparfait (titre 2).
Titre 1 : une transmission réalisée de main de maître
103. L’analyse de la transmission du groupe Pinault met en relief le rôle déterminant de la
forme juridique de SCA et de ses possibilités pour la transmission d’une entreprise familiale
dans de bonnes conditions. L’apport exceptionnel du statut de SCA de la Financière Pinault
dans le mécanisme de transmission du groupe Pinault (chapitre 2) sera abordé après une
analyse synthétique des principaux risques liés à une transmission non préparée (chapitre 1).
63
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
37
Chapitre 1 : les risques d’une transmission non préparée
104. Le décès du chef d’entreprise constitue, on le sait, une des causes principales de
disparition de nos entreprises. Or il en va ainsi non seulement lorsque l’entreprise concernée
est de type individuel mais encore, même si c’est à un moindre degré, lorsqu’elle est de
nature sociétaire. En effet, les héritiers ont, de façon générale, à subir toute une série de
difficultés à l’occasion du décès de leur auteur (section 1). Cependant, au sein du groupe
Pinault, François Pinault, soucieux du maintien du groupe entre des mains familiales, avait
déjà envisagé bien à l’avance l’hypothèse d’un décès prématuré en mettant en place une
structure originale au poste de commandité (section 2).
Section 1 : les principaux inconvénients de l’ouverture prématurée d’une succession
105. Le décès prématuré du chef d’entreprise peut provoquer de nombreux bouleversements
économiques, juridiques et fiscaux64. En effet, les héritiers vont se retrouver en indivision
(§1), ils vont devoir de lourds impôts (§2) et les comptes bancaires de leur auteur seront
bloqués (§3).
§1. L’indivision
106. Insuffisamment préparé, le décès du chef d’entreprise laisse les héritiers en indivision
successorale. L’indivision, en ce qu’elle nécessite pour toute décision l’unanimité des coindivisaires, peut entraîner la paralysie de la gestion de l’entreprise à un moment où, au
contraire, elle doit s’adapter de façon particulièrement réactive aux bouleversements subis.
Les droits de vote attachés aux actions indivises doivent être exercés par un mandataire
unique, devant être désigné par le juge en cas de désaccord entre les héritiers. En outre,
l’indivision inorganisée est source d’insécurité juridique, chaque indivisaire ayant le pouvoir
d’y mettre fin à tout moment sur le fondement de l’article 815 du Code civil, en vertu duquel
« nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Ainsi, un héritier pressé de
liquider ses droits dans la succession pourrait contraindre les autres à céder l’entreprise ou à
remettre en cause son caractère familial en l’exposant, le cas échéant, aux appétits de ses
64
David de Pariente, Marie Chevallier, David Sitri, Les dangers d’une transmission d’entreprise non préparée,
Option Finance, n°726, 3 mars 2003, page 24
38
concurrents. En outre, l’ouverture prématurée d’une succession comprend un second obstacle
majeur : le coût fiscal des droits de mutations.
§2. Le coût fiscal des droits de mutation
107. Fiscalement, le coût des droits de succession est prohibitif et peut, à lui seul, contraindre
les héritiers à céder tout ou partie de l’entreprise afin de leur permettre de s’acquitter de leur
dette fiscale à laquelle ils sont solidairement tenus. En effet, au-delà de 1 700 000 euros de
base taxable, les droits applicables en ligne direct atteignent 40% 65 alors que les héritiers ne
disposent d’aucune rentrée d’argent supplémentaire au moment du décès de leur auteur. Ceci
les obligent bien souvent à vendre leur actions si l’entreprise est exploitée sous forme
sociétaire. Cette constatation est aggravée par le fait que la pratique administrative a tendance
à privilégier, lors des contrôles de l’évaluation des entreprises, leur valeur mathématique par
rapport à ce qui pourrait être leur valeur de rentabilité66. De plus, la dernière contrainte d’une
succession non préparée réside dans le blocage des comptes bancaires.
§3. Le blocage des comptes bancaires
108. A la suite du décès de leur auteur, les héritiers devront assurer la poursuite de l’activité
alors que les comptes bancaires du défunt sont bloqués et ses procurations, caduques. La mise
en relief des principales difficultés d’une transmission non préparée nous amène à nous
interroger sur la façon dont cette question fut traitée au sein du groupe Pinault il y a quelques
années.
Section 2: le groupe Pinault, une succession programmée de longue date
109. Avant la transmission de la nue-propriété des actions de la Financière Pinault à ses
enfants, et par la même du règlement complet de sa succession, François Pinault avait mis en
place une structure tout à fait originale chargée d’éviter une vacance du pouvoir en cas de
décès prématuré. Ce système permettait de remédier aux problèmes de dévolution du pouvoir
au sein du groupe sans toutefois régler le coût fiscal de la succession. En effet, François
Pinault avait fait désigner à ses côtés, comme commandité de la SCA, Pinault Trustee (§1).
65
66
CGI, art. 777
P. Berger, La transmission de l’entreprise à titre gratuit, RJ Com., 1988, page 45
39
§1. Le cas de Pinault Trustee
110. La succession de François Pinault a été préparé de longue date. Le partage entre les
enfants devait être fait selon une logique égalitaire. Mais le contrôle managérial de
l’ensemble devait, le moment venu, revenir à François-Henri. Cette anticipation avait aussi
trouvé un prolongement original, avec la création le 1er avril 1992 de Pinault Trustee67. Cette
structure inhabituelle a pu être mise en place en raison de la forme juridique de la SCA
Financière Pinault, dont François Pinault est le gérant commandité à vie, ce qui lui donne tous
les pouvoirs. Ce dernier, bien qu’ayant décidé que François-Henri lui succéderait, avait
néanmoins tenu à lui imposer une période probatoire.
111. A sa création, le Trustee, composé de sept personnalités, amis ou proches du fondateur
du groupe, était donc devenu, lui aussi, associé commandité de la Financière Pinault. Son
représentant n’était autre que François-Henri. En cas de disparition prématurée du fondateur
du groupe, son fils serait devenu le seul commandité. Selon, ses statuts, Pinault Trustee ne
pouvait alors lui retirer son mandat qu’en cas de raison majeure. Ce filet de sécurité a
discrètement disparu en 1999, année au cours de laquelle le Trustee a été dissout, FrançoisHenri devenant commandité en son nom, puis cogérant. Tous les pouvoirs lui reviendront
donc un jour. Ainsi, on constate que la dynamique de transmission du pouvoir a été préparée
depuis plusieurs années. Cependant, le problème du coût des droits de mutation pour la
transmission du groupe n’a été réglé que par la suite et sera analysé ultérieurement. Pour
l’heure il convient d’étudier l’utilisation à plein des possibilités de la SCA qui a été faite dans
la transmission du groupe.
67
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
40
Chapitre 2 : l’utilisation à plein des possibilités de la SCA dans la transmission du
groupe
112. Un bon plan de transmission familiale d’une entreprise doit permettre d’atteindre deux
objectifs. Le premier objectif est la pérennité de l’entreprise qui passe par l’attribution à
l’héritier, choisi pour succéder au fondateur en tant que dirigeant, du contrôle de celle-ci. Le
second objectif est la cohésion de la famille qui passe par un traitement strictement égalitaire
en valeur du successeur et de ses frères et sœur
68
. Si le fondateur, en tant que chef
d’entreprise, doit veiller à la pérennité de celle-ci, il doit, en tant que chef de famille, protéger
la cohésion de cette dernière69.
113. Or, ces deux objectifs sont souvent antinomiques dans une société anonyme. Le contrôle
de l’entreprise sociétaire repose, en première analyse, sur la détention de la majorité des
actions composant son capital et permettant d’exprimer la majorité des droits de vote dans les
assemblés générales d’actionnaires. Le successeur devrait donc recevoir la majorité des
actions de l’entreprise sociétaire pour en détenir le contrôle. Le traitement égalitaire des
enfants impliquerait alors que le fondateur donne aux sœurs et frères du successeur, pour
rétablir l’équilibre, des biens faisant partie de son patrimoine non professionnel. Mais le souci
du fondateur d’assurer le financement de la croissance de l’entreprise l’aura souvent détourné
de la constitution d’une fortune privée de sorte que la transmission ne pourra porter que sur
les actions de l’entreprise.
114. Ceci pose évidemment problème. Il faut ainsi dissocier le pouvoir, devant revenir au
successeur, de la majorité du capital qu’il ne peut recueillir. Certaines formes sociétaires, qui
se prêtent particulièrement bien à la dissociation du pouvoir et du capital, rendent possible, en
effet, la mise en place d’une holding permettant de conférer à un successeur le contrôle
absolu de la société opérationnelle quel que soit le nombre de ses frères et sœurs. C’est le cas
de la société en commandite par actions.
68
On rappelle que le Code Civil contient des règles impératives relatives à la réserve héréditaire des descendant
qui limiteraient, en tout état de cause, les possibilités de traitement inégalitaire. Seule, la quotité disponible
pourrait être attribuée à l’un des héritiers pour le favoriser. Or, elle ne représente qu’un quart des biens du
fondateur.
69
M. Deslandes, Pouvoir et contrôle dans les petites et moyennes organisations, PUR, 2002, p. 47 et suiv.
41
115. Au sein du groupe Pinault, le choix de la forme juridique de SCA ne fut pas un hasard.
En effet, c’est en raison de ses possibilités en terme de transmission d’entreprise que cette
forme sociale a été choisie comme support privilégié du processus de succession de François
Pinault.
116. Ainsi, face à la problématique de la difficile conciliation entre le respect de l’égalité
pécuniaire entre les héritiers (section 1) et la transmission du pouvoir à un seul successeur
(section 2), l’apport de la SCA a été déterminant dans le processus de transmission du groupe
Pinault. En outre, cette forme sociale a permis de maintenir les prérogatives politiques de
François Pinault, le fondateur du groupe, malgré le règlement complet de sa succession
(section 3).
Section 1 : le respect de l’égalité pécuniaire entre les héritiers
117. La forme juridique de société en commandite par actions de la Financière Pinault a en
premier lieu permis de respecter l’égalité pécuniaire entre les enfants de François Pinault dans
le processus de transmission de l’entreprise familiale tout en ne rendant pas le groupe
ingouvernable. Ce processus s’est achevé en août 2001 par l’utilisation de la technique de la
donation-partage avec réserve d’usufruit 70.
118. L’intérêt de la commandite par actions sur ce point est indéniable. En effet, François
Pinault poursuivait une logique de partage égalitaire du capital de la société entre ses trois
enfants
71
tout en destinant le management à un seul de ses fils. En outre, même si François
Pinault avait voulu transmettre l’intégralité des actions de la Financière Pinault au seul
successeur intéressé dans la direction du groupe, il n’aurait pu le faire que dans la limite de la
quotité disponible c'est-à-dire le quart de ses biens. Cependant, le statut de la SCA en ce qu’il
permet une distinction fondamentale entre le pouvoir tiré des statuts et la détention du capital
a permis à François Pinault de transmettre à chacun de ses trois enfants un tiers du capital de
la Financière Pinault 72 sans aucune incidence sur la pérennité de l’unité de direction dans le
groupe. Ainsi, François Pinault a pu tirer parti des atouts structurels de la SCA pour
transmettre de son vivant et en toute égalité pécuniaire ses actions de commanditaire de la
70
Pour les besoins de cohérence de ce mémoire, ces notions seront analysées ultérieurement.
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
72
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
71
42
SCA. Cependant, la forme juridique de la SCA a permis de régler à part la question de la
passation du pouvoir dans le groupe.
Section 2 : la transmission du pouvoir à un seul héritier
119. Lors de la première phase de succession de la propriété du capital familial d’une société,
c'est-à-dire en succession immédiate du créateur de l’entreprise, les problèmes de
transmission du contrôle familial concernent essentiellement les modalités juridiques et
capitalistiques d’attribution du contrôle à celui ou ceux des enfants travaillant dans
l’entreprise, et en particulier à celui qui reprend la direction de l’affaire.
120. Mais dans le cas d’un nombre très important d’enfants dès ce premier stade de
succession, ou inévitablement par la suite lors des stades ultérieurs de succession (3e ou 4e
génération), les parts de capital détenues par celui ou ceux des successeurs familiaux
travaillant dans l’entreprise, et en particulier par celui la dirigeant, deviennent trop faibles en
pourcentage pour permettre des mécanismes de répartition patrimoniale.
121. Compte tenu de cette dilution capitalistique, le problème devient celui d’une attribution
du pouvoir à un actionnaire minoritaire, parallèlement ou face au reste de l’actionnariat
familial majoritaire mais dispersé et n’exerçant pas de fonctions dans l’entreprise. Dans ce
cas de figure, l’objectif est ainsi de fournir à un bloc familial minoritaire les moyens stables
d’exercer le pouvoir de direction, et ceci sans dispositif financier de renforcement de la part
finale de capital détenue. Il existe pour cela des solutions d’organisation juridique de la
société principale.
122. Ainsi, dans le groupe Pinault, le moyen radical qui a été utilisé fut d’adopter le statut
juridique de SCA afin de nommer au poste de commandité gérant le successeur désigné du
groupe Pinault, François-Henri Pinault 73. En effet, du fait de la distinction statutaire existante
entre la détention du capital et le pouvoir, la forme de SCA a permis de remplir tous les
objectifs nécessaires à la réalisation d’une transmission réussie.
73
François-Henri Pinault, Les Echos, 15 mai 2003, page 24
43
123. En outre, le choix de François-Henri Pinault comme futur manager du groupe s’est
imposé naturellement. En effet, il a effectué de longs apprentissages dans le groupe de son
père, occupant successivement différents postes dans différentes sociétés. Puis, il s’est vu
confier de lourdes responsabilités, celle de président directeur général de la FNAC
notamment
74
. Il apparaissait dès lors comme le seul successeur familial possible du groupe
Pinault. Cependant, il fallait qu’il dispose de l’intégralité du pouvoir de direction au sein du
groupe sans pour autant sacrifier financièrement les autres enfants de François Pinault. Ainsi,
l’attrait majeur de la SCA est qu’elle permet de concilier à merveille ces deux impératifs. De
ce fait, cette forme sociale apparaît comme étant tout à fait adaptée à une transmission
familiale d’un groupe de sociétés d’autant qu’elle s’accommode parfaitement avec le
maintien des prérogatives politiques du donateur pour le restant de sa vie s’il occupe la place
de commandité gérant.
Section 3 : le maintien des prérogatives politiques de François Pinault
124. Depuis le 15 mai 2003, François-Henri Pinault assure seul les fonctions de président de
conseil d’administration d’Artémis, la holding opérante du groupe qui est détenu à 100% par
la Financière Pinault . De ce point de vue, on peut affirmer que le successeur exerce son
pouvoir à partir de la holding stratégique (Artémis). Ainsi, les décisions opérationnelles
relevant de cette société sont assumées depuis cette date par François-Henri Pinault même si
ce dernier concède qu’il continuera à user et même à abuser des conseils de son père 75. De
sorte que le processus de transmission du pouvoir produit déjà une grande partie de ses effets.
Cependant, d’une façon générale, la forme juridique de commandite par actions de la
Financière Pinault
permet de maintenir des prérogatives politiques importantes pour le
fondateur du groupe. Et ce, bien qu’il ait déjà organisé sa succession.
125. En effet, François Pinault est et restera sa vie durant commandité gérant de la Financière
Pinault en vertu d’une disposition statutaire en ce sens. De ce fait, il conserve des pouvoirs
très importants en occupant un poste éminemment stratégique au sein du groupe. En effet, en
tant que gérant à vie de la SCA, il « est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en
toutes circonstances au nom de la société »76. Ainsi, même s’il a transmis le pouvoir de
direction opérationnel à son fils, François Pinault occupe une place centrale au sein du
74
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
François-Henri Pinault, Les Echos, 15 mai 2003, page 24
76
C. com., art. L226-7
75
44
groupe. Il joue un véritable rôle de garant des valeurs et du bon fonctionnement du groupe en
se plaçant au-dessus des opérations de management quotidiennes. De plus, il conserve une
énorme influence sur les choix centraux et sur les grandes orientations stratégiques de son
groupe.
126. En fait, François Pinault a transmis le pouvoir à son successeur sans pour autant
renoncer totalement à ses prérogatives, il a simplement et volontairement restreint sa marge
d’action : François Pinault demeurera sa vie durant et quoi qu’il arrive l’un des deux hommes
clés du groupe en raison de sa fonction au sein de la Financière Pinault. Ainsi, la commandite
par actions permet, tout en confiant le pouvoir à l’un des enfants, de rester commandité et
gérant à vie de la holding de tête qui regroupe parents et enfants 77.
127. En ce sens, on mesure l’étendue des potentialités de la société en commandite par
actions dans un processus de transmission du pouvoir dans un groupe de sociétés comportant
une direction familiale. En effet, cette forme juridique permet à un dirigeant de désigner de
son vivant un successeur, de le laisser s’aguerrir et de lui conférer un pouvoir immense en le
nommant commandité gérant. En outre, le pouvoir qui est ainsi conféré n’est pas perdu. En
effet, la stipulation d’une clause statutaire en ce sens permettra au fondateur de placer son
successeur à une fonction identique à la sienne sans rien perdre de son pouvoir. Ainsi, la
SCA apparaît comme un formidable instrument de préparation d’une transmission du pouvoir
dans un groupe de sociétés. Elle tend en effet à éviter les difficultés inhérentes à une
transition subite et non préparée dans un groupe de sociétés suite au décès prématuré du
dirigeant en proposant des solutions d’une qualité remarquable.
128. Au terme de ces développements, il apparaît que l’utilisation de la SCA dans la
dynamique de transmission du groupe Pinault fait figure de modèle. En effet, François Pinault
a pris soin d’organiser sa succession de longue date et d’éviter ainsi les risques d’une
transmission non préparée. En outre, ce sont bien les potentialités de la forme juridique de la
SCA qui ont permis de concilier une transmission patrimoniale égalitaire entre les enfants et
une passation
de pouvoir à un seul enfant détenant une minorité du capital. De plus, le
dernier apport décisif de cette forme sociale a été de permettre une transmission du pouvoir
au successeur désigné sans pour autant faire disparaître les prérogatives politiques de
77
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
45
François Pinault. Au regard de tous ces éléments, il nous semble que la transmission du
groupe a été réalisée de main de maître et est exemplaire. A présent il convient d’examiner
l’ingénierie juridique et fiscale impressionnante qui a été mise en place pour régler les
derniers aspects de cette transmission.
Titre 2 : une ingénierie juridique et fiscale impressionnante au service d’une
transmission réussie
129. L’ingénierie juridique et fiscale qui a été mise en œuvre dans la transmission du groupe
Pinault est remarquable et fait figure d’exemple tant l’ingéniosité déployée fut importante. En
effet, pour régler sa succession et lui assurer une fiscalité optimale, François Pinault a tiré
parti des avantages de l’utilisation de la technique de la donation-partage (chapitre 1). En
outre, l’entrepreneur a combiné cet élément avec la stipulation à son profit d’une réserve
d’usufruit des titres transmis à ses enfants, élément fiscalement et juridiquement déterminant
(chapitre 2). Enfin, dans l’objectif de sécuriser l’opération et d’éviter tout redressement fiscal
ultérieur fondé sur une mauvaise évaluation de la valeur des titres transmis, François Pinault a
bénéficié des attraits de la technique du rescrit valeur (chapitre 3).
Chapitre 1 : l’intérêt de l’utilisation de la technique de la donation-partage
130. Le processus de transmission de l’entreprise familiale, tête du groupe Pinault, a été
engagé en 2000, pour se dénouer en août 2001
78
par une donation-partage des actions de la
SCA. Les avantages fiscaux procurés par l’utilisation de ce procédé (section 2) seront
analysés après en avoir expliqué le régime juridique (section 1).
Section 1 : le régime juridique de la donation-partage
131. La donation-partage est une donation actuelle consentie par un ascendant à ses enfants,
et contenant répartition entre tous les attributaires des biens donnés. Ainsi, de son vivant, et
78
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
46
sous son autorité, l’ascendant répartit-il son patrimoine, ce qui a généralement l’avantage
d’éviter tout litige ultérieur.
132. Les principaux traits de la donation-partage sont les suivants : la transmission des biens
est actuelle et définitive, et non reportée au décès de l’ascendant. Elle ne peut donc porter
corrélativement sur des biens futurs. Elle doit concerner des biens actuels, dont le donateur
est d’ores et déjà propriétaire, ou encore des biens déjà donnés par celui-ci . Mais elle ne
porte pas nécessairement sur tous ses biens (et peut donc, comme ce fut le cas de François
Pinault, se limiter à des titres sociaux) ; en outre, le donateur, comme l’a fait François
Pinault79, peut se réserver l’usufruit des biens donnés.
133. Dans une donation-partage, les biens sont, sauf convention contraire, évalués au jour de
la donation pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les enfants
vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et
l’aient accepté, et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme
d’argent
80
. Ainsi, il est fait abstraction des fluctuations de valeurs entre la date de l’acte et
celle du décès du donateur, ce qui présente un intérêt majeur pour la transmission des titres
sociaux d’une entreprise en raison du caractère définitif de ce type de donation. Cet élément
constitue assurément une des principales explications de l’utilisation de la technique de la
donation-partage dans la transmission du groupe Pinault.
134. Dans l’acte, l’ascendant peut vouloir assurer l’égalité entre allotis en prévoyant des parts
égales, mais peut aussi souhaiter une répartition inégalitaire de ses biens, sous réserve de ne
pas porter atteinte à la réserve. Sa liberté va même jusqu’à pouvoir donner le bien qui
représente la totalité de son patrimoine à un enfant, à charge pour lui d’indemniser ses frères
et sœurs 81. La donation-partage ne peut être attaquée pour cause de lésion 82. Ainsi, François
Pinault aurait tout à fait pu transmettre de façon inégalitaire ses actions de commanditaire de
la Financière Pinault si tel avait été son souhait. Cependant, le partage a été fait de façon
égalitaire entre les trois enfants, conformément à la volonté du donateur 83.
79
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
C. civ., art. 1078
81
Terré et Lequette, Successions, libéralités, Dalloz, 2003, n°1063
82
C. civ., art. 1075-1
83
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
80
47
135. Les biens que l’ascendant laisse à son décès et qui n’ont pas été compris dans la
donation-partage, seront attribués conformément à la loi
84
. C'est-à-dire que si la donation-
partage était inégalitaire, l’égalité ne sera pas rétablie à cette occasion par des mesures
compensatoires.
136. La donation-partage est soumise aux règles de forme prescrites pour toutes les donations
entre vifs. Ainsi, la donation-partage et son acceptation doivent être faites par acte notarié
rédigé en minute
85
. La minute est l’acte original dressé par le notaire. Il reste en dépôt à
l’étude.
137. Par ailleurs, la donation-partage est plus sûre qu’une donation ordinaire. En effet, dans
ce cas, les actions en contestations que pourraient intenter les héritiers sont prescrites dans un
délai de cinq ans à compter du décès du donateur, au lieu de trente ans en matière de
donations ordinaires. L’attrait principal de l'emploi de cette technique tient en ce que le
régime fiscal qui lui est applicable est très favorable.
Section 2 : l’intérêt fiscal
138. Fiscalement, la technique de donation-partage comprend trois attraits majeurs. Tout
d’abord, elle permet de diminuer les droits de mutation à titre gratuit exigibles. En effet,
ceux-ci varient en fonction de l’âge du donateur (§1). En second lieu, si le donateur prend en
charge les droits, cela ne constitue pas une libéralité supplémentaire taxable (§2). Enfin, les
titres ainsi transmis sont définitivement exonérés de l’impôt sur la plus-value grevant les titres
(§3).
§1. La diminution des droits de mutation à titre gratuit
139. Au plan fiscal, et en vertu de l’article 790 du code général des impôts, les donationspartages bénéficient d’une réduction des droits de mutation à titre gratuit. L’objectif de cette
disposition était d’encourager le développement des transmissions anticipées du patrimoine.
Le tarif de ces réductions, modifiées par la loi de finance pour 1999, qui était en vigueur lors
de la transmission du groupe Pinault, était fixé à 50% lorsque le donateur était âgé de moins
84
85
C. civ., art. 1075-3
C. civ., art. 931
48
de 65 ans et de 30% lorsque le donateur avait 65 ans révolu et moins de 75 ans. De plus, il
convient de rappeler que les donations aux enfants sont taxables selon le barème progressif
applicable aux droits de succession en ligne directe au taux de 40% pour la fraction de part
nette transmise dépassant 1 700 000 euros86, ce qui permet de mesurer l’économie d’impôt
ainsi générée.
140. Ainsi, dans le groupe Pinault, le processus de transmission s’est dénoué peu avant le jour
du 65e anniversaire de l’entrepreneur
87
. De ce fait, François Pinault a pu bénéficier de la
disposition fiscale de faveur réduisant de 50% le montant des droits de mutation exigibles 88.
Ainsi, ces droits n’ont plus représenté que 20% du montant du patrimoine de François
Pinault contre 40% normalement
89
. Notons que le coût fiscal de la succession de François
Pinault s’est monté à 450 millions d’euros et qu’aucun droit de succession ne sera dû
ultérieurement. Du fait de l’importance considérable de cette somme, on comprend mieux
l’intérêt que pouvait avoir l’entrepreneur breton à régler sa succession avant 65 ans. Il a ainsi
pu bénéficier de dispositions fiscales très avantageuses. Ainsi, on peut affirmer que
l’optimisation fiscale réalisée par ce seul biais est considérable et fait déjà figure de modèle.
En outre, en matière de donation-partage, lorsque le donateur décide de prendre en charge les
frais et droits de l’opération il peut le faire sans que cela ne constitue une libéralité
supplémentaire.
§2. La prise en charge par le donateur des droits n’est pas imposable
141. Les droits de donation sont en principe supportés par le donataire. Cela étant, le donateur
a la faculté de se substituer à celui-ci pour le paiement des droits. A cet égard, il a été précisé
que la prise en charge par le donateur des frais et droits de donation ne constitue pas une
libéralité supplémentaire et, de ce fait, n’entraîne aucune perception complémentaire et
distincte. Le montant de ces frais et droits n’est pas ajouté à la valeur des biens donnés pour
calculer l’impôt exigible 90.
86
CGI, art. 777
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
88
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
89
En effet, les droits de mutation en ligne directe atteignent 40% en vertu de l’article 777 du CGI
90
Rép. Geoffroy : Sén. 8-10-1975 p. 2835, n°17406
87
49
142. Ainsi, il est apparu qu’au sein du groupe Pinault, c’est François Pinault lui-même et non
ses trois enfants
91
qui a payé la somme de 450 millions d’euros au Trésor pour pouvoir
transférer la propriété de l’intégralité du capital de la holding chapotant son empire. De ce
fait, force est de constater que l’économie fiscale dont a pu bénéficier François Pinault par
l’utilisation de la donation-partage est remarquable vu les sommes en cause.
143. Enfin, la transmission des actions à titre gratuit de la holding faîtière du groupe par
l’utilisation de la technique de la donation-partage a permis d’exonérer définitivement ces
titres de l’impôt sur la plus-value.
§3. L’exonération de la plus-value grevant les titres transmis
144. La transmission de l’entreprise doit être préparée avec soin, afin de tenir compte des
enjeux fiscaux et de prendre les bonnes décisions à temps. L’exemple du groupe Pinault est
marquant sur ce point. L’enjeu des plus-values a du être pris en compte dans cette
transmission. En effet, face à l’augmentation de la taxation des plus-values, leur montant est
devenu le principal enjeu d’une cession d’entreprise. En effet, au taux de base d’imposition
sur le revenu fixé à 16%, il convient d’ajouter la contribution sociale généralisée (7,5%), la
contribution au remboursement de la dette sociale (0,5%) et le prélèvement social de 2%, soit
une taxation effective de 26% 92.
145. Afin de ne pas supporter cette imposition, l’entrepreneur souhaitant passer la main peut
envisager la donation des titres afin d’éteindre les plus-values y afférentes. En effet, si la
société est soumise à l’impôt sur les sociétés, comme c’est la cas de la Financière Pinault, la
donation des titres n’entraîne aucune taxation des plus-values acquises depuis la constitution
de la société.
146. En outre, le fait générateur de l’impôt sur les plus-values en matière de valeurs
mobilières, droits sociaux et titres assimilés est la cession à titre onéreux 93. Pour échapper à
cet impôt, il suffit de transmettre ses biens à titre gratuit par une donation-partage afin d’être
91
S.B., Pinault organise sa succession, Le Nouvel Observateur, 21 juin 2002 ; Pierre Angel Gay, Tout en restant
aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin
2002, page 24
92
J-P Gaspard, P. Monier, HA Couderc, Cession ou succession? Le choix de l’entrepreneur et les enjeux
fiscaux, Option Finance, n°617, 13 novembre 2000, p. 31
93
CGI, art. 150-O A
50
soumis aux droits de mutation à titre gratuit. Le donataire ne supporte dans ce cas que les
droits de donation et aucun droit de succession ne sera dû ultérieurement. François Pinault, en
procédant de la sorte a pu transmettre ses actions de commanditaire de la Financière Pinault à
ses enfants en totale exonération d’impôt sur la plus-value, même s’il a du acquitter les droits
de mutations à titre gratuit. Ceci s’est avéré une opération intéressante dans la mesure où
François Pinault a pu bénéficier de la réduction de 50% des droits et d’une diminution de la
valeur des titres transmis par un démembrement de propriété. Cet élément constitue l’un des
nombreux avantages de la réserve d’usufruit en matière de transmission d’entreprise.
Chapitre 2 : les avantages de la réserve d’usufruit dans la transmission de la Financière
Pinault
147. Le droit de propriété est défini à l’article 544 du Code civil par l’addition des
prérogatives du propriétaire. La propriété se caractérise ainsi par l’addition, d’une part, du
droit de jouir du bien qui se compose du droit d’en user (usus) et d’en percevoir les revenus
(fructus), d’autre part du droit d’en disposer (abusus). Le droit de propriété peut faire l’objet
d’un démembrement, notamment par constitution d’un usufruit. L’usufruitier dispose du droit
d’usage et des fruits. Le nu-propriétaire conserve le droit de disposer du bien, en respectant
les droits de l’usufruitier : il ne détient donc plus qu’un droit de disposer de la nue-propriété
du bien. L’usufruit est un droit par nature temporaire, à l’échéance duquel le nu-propriétaire
retrouve la propriété pleine et entière 94.
148. François Pinault s’est réservé l’usufruit des titres de la Financière Pinault. Il n’a de ce
fait transmis que la nue-propriété des titres de la SCA à ses enfants
95
. Le recours aux
donations avec réserve d’usufruit présente de nombreux avantages pour le donateur. Il a pour
but de permettre au donateur de conserver à la fois la jouissance et le contrôle des biens qu’il
entend transmettre de son vivant à titre gratuit. Par conséquent, le donateur n’a pas le
sentiment de se dépouiller de ses biens. En effet, non seulement il conserve la détention de la
chose donnée, mais il continue à percevoir les revenus de celle-ci. Il se sent donc
psychologiquement maintenu dans les prérogatives quotidiennes du plein propriétaire 96.
94
Lefebvre F., Mémento Pratique, Patrimoine, 2003-2004, n°3010
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
96
David de Pariente et Anne-Sophie Hebras, Transmission des entreprises familiales : les avantages de la
réseve d’usufruit, Option Finance, n°699, 22 juillet 2002, p.21
95
51
149. L’utilisation de la réserve d’usufruit au profit de François Pinault a permis à ce dernier
de réduire le montant des droits de mutation à titre gratuit par une diminution de la valeur des
titres transmis (section 1). En outre, l'emploi de cette technique permettra à François Pinault
de conserver sa vie durant son niveau de vie (section 2). Enfin, en matière d’ISF, c’est
l’usufruitier qui est redevable de l’impôt, ce qui est avantageux pour la famille Pinault. En
effet, François Pinault, du fait de sa fonction dans la SCA est exonéré de l’ISF sur la valeur
de ses titres (section 3).
Section 1 : la diminution de la valeur des titres par le démembrement opéré
150. La valeur des titres transmis a été diminuée en raison de la réserve d’usufruit que s’est
octroyé François Pinault lors de sa succession. En effet, la transmission de la nue-propriété
portant sur des actions donne lieu au paiement de droits de mutation à titre gratuit. Ainsi,
l’utilisation de la réserve d’usufruit présente un intérêt majeur dans la mesure où ces droits
sont assis sur la valeur des biens transmis. En principe, les biens transmis sont évalués à leur
valeur vénale réelle. Cependant, cette valeur diffère selon que les biens sont transmis en
pleine propriété, en usufruit ou en nue-propriété.
151. Ainsi, dans le groupe Pinault, François Pinault a transmis la nue-propriété de ses actions
de commanditaire de la Financière Pinault à ses trois enfants 97. Cette opération présente un
intérêt fiscal évident. En effet, la valeur de la nue-propriété des biens transmis est constituée
par une quote-part de la valeur en pleine propriété du bien. Cette quote-part est fixée par
l’article 762 du CGI. En 2001, cet article précisait que la valeur de la nue-propriété d’un bien
transmis entre 60 et 70 ans n’était que de 80% de sa valeur vénale. Cet élément a permis de
diminuer d’autant les droits de mutation à titre gratuit en raison d’une diminution de la base
d’imposition. En effet, la donation-partage effectuée par François Pinault au profit de ses
enfants a été réalisée peu avant les 65 ans du donateur 98 ce qui a permis une évaluation de la
valeur des titres transmis à seulement 80% de leur valeur réelle. Ainsi, on constate que la
combinaison de la technique de la donation-partage et du démembrement de propriété permet
au donateur suffisamment prévoyant de conserver ses prérogatives sur les biens donnés et de
limiter l’assiette des droits de succession.
97
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
98
52
152. De plus, la transmission de la nue-propriété est fréquemment utilisée en raison du régime
fiscal de faveur attaché à ce mode de transmission. Ainsi, au décès de François Pinault,
l’usufruit et la nue-propriété se réuniront entre les mains des nus-propriétaires sans taxation
supplémentaire et en franchise de droits 99.
153. En outre,
l’utilisation de la réserve d’usufruit dans la cadre d’une transmission
d’entreprise permet au donateur des droits sociaux de conserver pour le restant de ses jours
son niveau de vie.
Section 2 : le bénéficiaire des dividendes demeure l’usufruitier qui conserve son niveau de vie
154. Pour une large mesure, les dispositions applicables aux SCA sont empruntées à la SA
100
. Ainsi, comme en matière de SA, l’assemblée générale ordinaire prend toutes les décisions
sociales autres que celles relevant de l’AGE
101
. Par conséquent, la décision de distribution
des dividendes dans les SA relève de l’AGO et par analogie, cette décision de distribution
relève de l’AG des commanditaires dans une SCA 102.
155. De ce fait, en cas de démembrement de propriété, se pose la question de savoir qui du
nu-propriétaire ou de l’usufruitier des titres vote en assemblé générale pour décider la
distribution des dividendes. Il convient de rappeler dès à présent que la décision de distribuer
les dividendes ne profitera exclusivement qu’à l’usufruitier qui exercera ainsi son droit à la
perception des fruits de la société. Cependant, si le droit de vote revenait au nu-propriétaire, il
va sans dire que l’intérêt de ce dernier serait toujours de refuser une telle distribution de sorte
que les réserves de la société seront plus importantes lorsque la pleine propriété se réunira
entre ses mains.
156. Concernant les règles légales relatives à la répartition et l’exercice du droit de vote entre
le nu-propriétaire et l’usufruitier, on peut noter que l’article 1844, al. 3, du Code civil fixe un
principe de répartition. En effet, cet article dispose : « Si une part est grevée d’un usufruit, le
droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation
des bénéfices ». Toutefois, la règle posée pour les sociétés par actions est quelque peu
99
CGI, art. 1133
C. com., art. L226-1
101
C. com., art. L225-98
102
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n° 1205
100
53
différente. En effet, le droit de vote attaché à l’action appartient à l’usufruitier dans les AGO
et au nu-propriétaire dans les AGE
103
relève de la compétence de l’AGO
. Cependant, la décision de répartition des dividendes
104
et par là même de l’usufruitier. La distribution
exceptionnelle de réserves, de primes d’émissions ou la distribution destinée à amortir
l’action reviennent classiquement au nu-propriétaire 105. Ainsi, en ne transmettant que la nuepropriété de la SCA Financière Pinault à ses enfants, François Pinault restera sa vie durant le
seul à même de décider de la répartition des dividendes attachés aux actions dont il a
conservé l’usufruit. En effet, c’est bien l’usufruitier qui exerce le droit de vote attaché aux
actions qu’il a transmis dans une AGO et qui décide ainsi de la distribution des bénéfices.
157. Cependant, une disposition statutaire pourrait troubler cette répartition légale du droit de
vote qui est très favorable à l’usufruitier et ainsi créer une faille dans le montage de
transmission du groupe Pinault. En effet, il est possible de déroger conventionnellement aux
dispositions des articles 1844 du Code civil et L 225-110 du Code de commerce. De cet
article, il semble que l’on puisse ainsi prévoir qu’en cas de démembrement d’une action, seul
le nu-propriétaire exercera le droit de vote qui y est attaché. Cependant, la sécurité financière
conférée par la stipulation d’une clause de réserve d’usufruit en cas de transmission
d’entreprise n’est pas bousculée par cette liberté contractuelle. En effet, l’assise financière de
l’usufruitier sera d’autant plus importante qu’un arrêt récent de la Chambre commerciale de la
Cour de cassation
106
a précisé que si un aménagement conventionnel aux dispositions des
articles 1844 du Code civil et L 225-110 du Code de commerce a été fait en réservant au nupropriétaire d’actions le droit de vote aux AGO et AGE, la disposition doit être annulée. En
effet, en ne permettant pas à l’usufruitier de voter les décisions concernant les bénéfices,
cette clause subordonne à la seule volonté des nus-propriétaires le droit d’user de la chose
grevée d’usufruit et d’en percevoir les fruits, alors que ces prérogatives sont attachées à
l’usufruit conformément à l’article 578 du Code civil.
158. Ainsi, on peut affirmer que le montage organisant la transmission de François Pinault est
remarquable dans la mesure où l’entrepreneur conservera pour le restant de ses jours les
revenus tirés de la distribution des dividendes de la holding faîtière d’un groupe composé de
plus de 400 sociétés.
103
C. com., art. L225-110 qui est applicable aux SCA en vertu de l’article L226-1 C. com.
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n° 845
105
David de Pariente et Anne-Sophie Hebras, Transmission des entreprises familiales : les avantages de la
réserve d’usufruit, Option Finance, n°699, 22 juillet 2002, p.21
106
Cass. com., 31 mars 2004, Consorts H. : Bull. Joly Sociétés, 2004, p.836
104
54
159. De plus, le montage juridique mis en place pour régler la succession de François Pinault
comporte un autre atout majeur. En effet, l’utilisation combinée de la technique de la réserve
d’usufruit et de la forme juridique de SCA pour la Financière Pinault a permis de faire
disparaître presque entièrement l’impact négatif de l’impôt de solidarité sur la fortune.
Section 3 : l’ISF
160. L’impact négatif que peut jouer l’ISF dans le processus de transmission à titre gratuit
d’une entreprise familiale s’avère quelque fois désastreux pour les héritiers. En effet,
l’augmentation subite de leur patrimoine peut les assujettir brutalement à cet impôt.
Cependant, l’absence de liquidité les oblige quelque fois à vendre leurs parts sociales contre
leur volonté afin de faire face au paiement de l’impôt. Le montage juridique mis en place au
sein du groupe Pinault fait figure d’exemple sur ce point. En effet, la transmission de la seule
nue-propriété des actions de la SCA à ses trois enfants a permis à François Pinault d’être le
seul redevable de cet impôt (§1). De plus, les fonctions qu’occupe l’entrepreneur breton lui
permettent de bénéficier des dispositions relatives à l’exonération des biens professionnels
(§2). Enfin, la possible application de ces dispositions favorables était subordonnée à la
qualification de holding active de la Financière Pinault (§3).
§1. L’incidence du démembrement au regard de l’ISF
161. L’ISF est un impôt annuel dû par les personnes physiques dont le patrimoine excède un
certain seuil. Le patrimoine imposable englobe l’ensemble des biens, situés en France ou à
l’étranger, sous déduction des dettes et sous réserve de certaines exonérations dont la plus
importante est celle des biens professionnels. L’ISF est payable tous les ans, d’après une
déclaration détaillée et estimative que doit souscrire le contribuable.
162. Les droits et biens grevés d’un usufruit, d’un droit d’habitation ou d’un droit d’usage
accordé à titre personnel sont compris pour leur valeur en pleine propriété dans le patrimoine
de l’usufruitier ou du bénéficiaire du droit personnel 107. Parallèlement, le nu-propriétaire est
exonéré 108. En conséquence, sauf si l’administration parvient à démontrer que la structure de
107
108
CGI, art. 885 G
Rép. Julia : AN 15-3-1991 p.510
55
l’opération est réalisée dans un but exclusivement fiscal, le démembrement permet une
exonération ou une diminution effective d’ISF, si l’usufruit est détenu par une personne
physique dont la valeur totale du patrimoine n’atteint pas le seuil d’imposition.
163. Concernant François Pinault et ses enfants, il résulte de ce qui précède que
l’entrepreneur breton est le seul redevable de l’ISF car la valeur en pleine propriété des titres
rentre dans son patrimoine. Cependant, comme nous allons le voir, ses actions peuvent être
qualifiées de biens professionnels ce qui permet leur exonération. Cet élément est
remarquable dans la mesure où les deux enfants de François Pinault, commanditaires de la
SCA, n’auraient pu bénéficier de cette disposition fiscale favorable.
§2. L’exonération des biens professionnels
164. Tous les biens, quelle qu’en soit la nature (biens meubles ou immeubles, droits ou
valeurs), appartenant au contribuable sont en principe imposables. Cependant, les biens
professionnels sont expressément exclus de l’assiette de l’ISF. Les articles 885 N à 885 R du
CGI donnent une définition précise de ces biens qui peuvent être regroupés en trois
catégories : les biens dépendant d’une exploitation individuelle, les parts ou actions de
sociétés et certains biens ruraux.
165. L’exonération des biens professionnels dans la famille Pinault relève des règles relatives
à la détention de titres de sociétés soumises à l’IS. Dans cette hypothèse, deux sortes de
conditions sont prévues pour que les actions puissent être considérées comme des biens
professionnels exonérés d’ISF.
166. Tout d’abord, les propriétaires des titres doivent, pour pouvoir bénéficier de
l’exonération, exercer à titre principal dans la société une des fonctions de direction
limitativement énumérées par le texte légal. Dans les SCA, seuls peuvent bénéficier de
l’exonération les gérants de droit nommés conformément aux statuts. En outre,
l’administration exige que le gérant soit également commandité pour bénéficier de ces
dispositions
109
. Ces fonctions doivent être effectivement exercées et donner lieu à une
rémunération normale, c'est-à-dire en rapport avec les services rendus. La rémunération doit
109
doctrine administrative 7 S 3322-7
56
en outre représenter plus de la moitié des revenus professionnels du redevable. Ainsi, au sein
de la Financière Pinault, François Pinault, du fait de sa qualité de commandité gérant et du
respect des règles ci-dessus bénéficie à plein de l’exonération des biens professionnels.
167. Ensuite, une participation minimale de 25% du capital est en principe exigée des gérants
minoritaires de SARL et des associés dirigeants de SA. Mais les gérants et associés visés à
l’article 62 du CGI
110
ne sont pas concernés par cette règle 111. Ainsi, François Pinault a pu
bénéficier de l’exonération des biens professionnels du fait de sa qualité directe de
commandité gérant de la Financière Pinault. Cet élément démontre l’intérêt qu’a pu présenter
le fait de ne pas interposer une personne morale entre François Pinault et la SCA afin
d’optimiser la fiscalité du montage juridique.
168. Cependant, une dernière difficulté devait être franchie pour bénéficier de l’exonération
des biens professionnels au regard de l’ISF dans le processus de transmission du groupe
Pinault. En effet, les sociétés holdings doivent remplir des conditions spécifiques pour
pouvoir bénéficier de ce régime.
§3. La Financière Pinault : la nécessaire qualification de holding animatrice du groupe.
169. Le CGI affranchit d’ISF les biens professionnels tout en précisant que ne sont pas
considérés comme tels les titres de « sociétés ayant pour activité principale la gestion de leur
propre patrimoine mobilier ou immobilier »
112
. En conséquence, la société dont le
contribuable est l’associé dirigeant doit exercer elle-même une activité professionnelle.
170. Les titres d’une holding qui se borne à détenir « passivement » des sociétés
d’exploitation ne peuvent bénéficier de la qualification de bien professionnel. Inversement, la
doctrine administrative admet au rang des biens professionnels les titres des holdings qui
« sont les animatrices effectives de leur groupe, participent activement à la conduite de sa
politique et au contrôle des filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne au
groupe, des services spécifiques administratifs, juridiques, comptables, financiers ou
immobiliers. Ces sociétés utilisent ainsi leur participation dans le cadre d’une activité
110
Cet article vise les gérants de SARL majoritaires, les gérants de SCA, les associés en nom de sociétés de
personnes qui ont opté pour l’IS
111
Sous réserve que la société ne soit pas une société holding.
112
CGI, art. 885 O quater
57
industrielle ou commerciale qui mobilise du personnel et des moyens spécifiques »
113
. Les
sociétés holdings animatrices d’un groupe se distinguent ainsi de celles qui ne font qu’exercer
les prérogatives usuelles d’un actionnaire ( exercice du droit de vote et des droits financiers)
114
.
171. Les parts dans la holding peuvent être exonérées si le redevable avec sa famille
détiennent au moins 25% du capital de la société ou si la valeur des titres qu’il détient avec
les membres du foyer fiscal excède 75% de son patrimoine taxable. En outre, ces parts ne
peuvent être exonérées que si l’un des membres du foyer fiscal exerce des fonctions de
direction dans la holding donnant lieu à une rémunération normale qui représente plus de la
moitié des revenus professionnels du dirigeant. Le respect de ces conditions ne pose pas de
véritable problème dans le groupe Pinault, la holding de tête étant détenue exclusivement par
la famille Pinault et le redevable de l’impôt exerce une activité de commandité gérant de
SCA.
172. Dans l’exemple Pinault, pour que les titres de la Financière Pinault puissent être
qualifiés de biens professionnels, et ainsi sortir de l’assiette de l’ISF, il a fallu prouver la
qualification de holding animatrice de la société. Pour parvenir à ce résultat il convient de
noter que la réalisation de prestation de service au profit des filiales du groupe est secondaire
dans la définition retenue par l’administration. En effet, pour revendiquer le bénéfice de la
doctrine administrative, la holding doit jouer deux rôles essentiels. D’une part, elle doit
conduire la politique du groupe et d’autre part, elle doit contrôler ses filiales. Au sein de la
Financière Pinault, il apparaît que la holding assume ces deux rôles. En effet, il s’agit de la
seule structure qui regroupe en son sein François Pinault ainsi que son fils François-Henri.
C’est à ce dernier que François Pinault a transmis une partie de ses prérogatives. Cependant,
il semble bien que les décisions stratégiques relatives à la conduite de la politique du groupe
et au contrôle des filiales se prennent au niveau de la SCA. En effet, la Financière Pinault
détient 100% d’Artémis, la filiale opérationnelle du groupe Pinault. De ce fait, elle exerce une
influence réelle sur la politique, l’activité et le fonctionnement de sa filiale d’autant que
François Pinault trouve dans sa qualité de commandité gérant de la holding chapotant
l’empire sa seule fonction majeure dans le groupe Pinault. En outre, en raison de la
113
D. adm. 7 S-3323, n° 16 et 17
Luc Jalais, Holding animatrice, bien professionnel et ISF…une qualification délicate, Option Finance, n°769,
26 janvier 2004, p.20
114
58
personnalité de François Pinault il semble inenvisageable qu’il n’exerce aucune de ses
prérogatives pour participer au bon développement du groupe qu’il a fondé.
173. Il résulte de ce qui suit que les actions de la Financière Pinault ont bien été qualifiées de
biens professionnels et que François Pinault bénéficiera sa vie entière de l’exonération d’ISF
pour la valeur de ses participations dans le groupe
115
. Ainsi, force est de constater que le
montage mis en place pour régler la succession de François Pinault est extraordinairement
habile. Cependant, quelque soit sa qualité, le risque demeurait de voir l’administration fiscale
remettre en cause la partie du montage relative à l’évaluation de la valeur des titres. Pour
prévenir tout désaccord ultérieur avec l’administration fiscale et sécuriser définitivement
l’opération, François Pinault a utilisé la technique du rescrit valeur.
Chapitre 3 : l’utilisation de la technique du rescrit fiscal pour l’évaluation de la valeur
des titres
174. Le rescrit est un avis émané d’une autorité consultée par une personne privée ou un
organisme public sur l’interprétation ou l’application d’une norme
116
. François Pinault a
bénéficié de la procédure de rescrit pour évaluer la valeur des titres transmis à ses trois
enfants
117
et sécuriser ainsi le montage mis en place. Le principe de cette procédure est
relativement simple : le candidat à une donation demande au préalable au fisc son accord sur
la valeur estimée de ses biens et sur les droits qui lui seront demandés. Quand
l’administration a donné son accord, elle ne peut plus remettre en question sa position par la
suite pour réclamer des pénalités ou des droits, et donne donc quitus pour le passé, sauf si les
éléments fournis sont inexacts. Il convient donc d’analyser le régime juridique du rescrit
valeur (section 1) avant d’étudier la sécurité juridique qu’il procure (section 2).
115
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
B. Oppetit, La résurgence du rescrit, Dalloz, 1991, Chronique p. 105
117
AFP, FISC Un empire en donation-partage, L’Alsace, 22 juin 2002
116
59
Section 1 : le régime juridique du rescrit valeur
175. Afin de faciliter la transmission par les chefs d’entreprise de leur outil de travail,
l’administration a mis en place une procédure de rescrit en matière d’évaluation des
entreprises en vue de leur donation. Ce dispositif est en vigueur jusqu’au 30 juin 2006 118.
176. Seuls sont concernés par ce dispositif les dirigeants d’entreprise qui projettent de donner
des biens professionnels au sens de l’ISF. Toutes les entreprises sont éligibles, quelles que
soient leur taille et leur forme, individuelle ou sociétaire. Pour les sociétés, seules les
entreprises non cotées sont visées. Le projet de donation peut porter sur tout ou partie de
l’entreprise individuelle ou des titres possédés par le dirigeant, sous réserve que le
contribuable exerce, dans une société de personnes, son activité professionnelle principale,
ou, au sein d’une société soumise à l’IS, des fonctions effectives de direction. Ces conditions
ont été aisément remplies dans le processus de transmission du groupe Pinault car la
Financière Pinault est une société non cotée et François Pinault exerce au sein de cette société
la fonction de commandité gérant 119.
177. Le demandeur a une obligation de loyauté à l’égard de l’administration, c'est-à-dire qu’il
s’engage à l’informer par écrit de tout évènement survenant au cours de la procédure et de
nature à influer sur la valeur qu’il propose. La demande est formulée par envoi avec accusé de
réception auprès du directeur territorial dans le ressort duquel se trouve le siège social de
l’entreprise. L’instruction de la demande ne doit pas excéder 9 mois à compter de la réception
d’un dossier complet.
178. Les effets de la consultation varient selon la position de l’administration. En effet, le
silence de l’administration ne vaut pas accord tacite. En cas de décision négative, il n’y pas
lieu, pour l’administration, de la motiver. Les discussions antérieures ont dû permettre au chef
d’entreprise d’apprécier les points de désaccord. Cependant, en cas de décision favorable de
l’administration, la sécurité juridique conférée à l’opération est importante.
118
Instr. 5 décembre 2001, BOI 13 L-6-01
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à ses enfants, Les
Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, page 24
119
60
Section 2 : la sécurité juridique conférée à l’opération
179. François Pinault, après négociation, a bénéficié d’une décision favorable concernant
l’évaluation des titres transmis à ses trois enfants. Cette décision est opposable à
l’administration par les parties à l’acte de donation si celui-ci est signé devant notaire ou, à
défaut, enregistré conformément au projet validé par le service dans le délai de trois mois de
la réception de la décision.
180. Ainsi, cette procédure permet au chef d’entreprise donateur de consulter l’administration
sur la valeur à laquelle il estime son entreprise et, en cas d’accord exprès du service, passer
dans les trois mois l’acte de donation projeté sur la base acceptée par l’administration sans
aucun risque de redressement ultérieur.
181. En outre, on peut signaler que la principale critique formulée à l’encontre de ce
mécanisme est le délai de 9 mois accordé à l’administration. En effet, des auteurs 120 estiment
que ce délai est beaucoup trop long et inadapté aux réalités de la vie des entreprises.
Signalons à ce titre que cet élément n’a pas été un frein dans la transmission du groupe
Pinault dans la mesure où François Pinault s’est rendu en personne à Bercy pour traiter avec
les équipes de Laurent Fabius, alors ministre des Finances
121
ce qui a permis d’accélérer
considérablement la procédure.
182. Ainsi, force est de constater que le montage mis en place pour régler la transmission de
la Financière Pinault est d’une habileté fiscale extraordinaire et que la partie relative à
l’évaluation de la valeur des titres transmis est irrémédiablement opposable à l’administration
fiscale. De ce fait, le fisc ne pourra jamais remettre en question sa position par la suite pour
réclamer des pénalités ou des droits. Il en résulte que l’opération est définitivement sécurisée.
120
notamment M. Giray, Une nouveauté dans la transmission familiale d’entreprise, JCP N, n°25, 19 juin 1998,
p.983
121
Bruno Basini, Gilles Fontaine et Géraldine Meignan, Pinault l’histoire secrète d’une année noire,
L’Expansion, décembre 2003, n°681, p. 44
61
Conclusion :
183. L’organisation de la succession dans le groupe Pinault est un bel exemple de
transmission réussie de main de maître. La pérennité du groupe familial est assurée : le
nouveau dirigeant est en place, l’égalité entre les enfants est respectée, le spectre des droits de
succession écarté
122
. En outre, le processus de succession mis en place est d’autant plus
remarquable que François Pinault a passé la main tout en conservant l’essentiel de ses
prérogatives du fait de sa fonction de commandité gérant à vie de la Financière Pinault. Ainsi,
l’utilisation ingénieuse de la SCA a permis de régler définitivement et à moindre frais la
question de la transmission du groupe.
184. De plus, la forme juridique de la Financière Pinault a permis d’organiser idéalement le
pouvoir dans la holding de tête du conglomérat en opérant une répartition familiale
remarquable des fonctions. En outre, l’utilisation de cette forme sociale originale sera un
atout en de nombreuses circonstances du fait des énormes potentialités intrinsèques de la
société en commandite par actions.
185. A la lumière de tous ces éléments, on peut affirmer que le groupe Pinault, du fait de
l’utilisation judicieuse de la SCA est en ordre de marche. La mort de François Pinault
n’ébranlera pas, juridiquement et fiscalement, la continuité du groupe. La forme juridique de
la Financière Pinault a servi d’instrument privilégié facilitant la résolution des problèmes de
succession et de pouvoir en l’espèce.
186. Saluons l’ingénierie juridique et fiscale stupéfiante mise en oeuvre ainsi que « le bon
usage de la commandite par actions »123 qui a été fait dans le groupe Pinault.
122
123
M. Cozian, A. Viander, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 16e édition, 2003, n°1219
F. Bucher, Du bon usage de la commandite par actions, Rev. des Sociétés, juillet septembre 1994, p. 415
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Echos, 16 mars 2004.
Pierre Angel Gay, Tout en restant aux commandes François Pinault a transmis son groupe à
ses enfants, Les Echos, vendredi 21 et samedi 22 juin 2002, p. 24.
François-Henri Pinault (interview), Les Echos, 15 mai 2003, p. 24.
66
TABLE DES MATIERES
Plan sommaire
Liste des principales abréviations
Introduction
Partie 1 : La SCA dans le groupe Pinault, un instrument de réussite pour les groupes de
sociétés
Titre 1 : l’utilisation de la SCA dans le groupe Pinault, une structure idéale d’organisation
du pouvoir
Chapitre 1 : la Financière Pinault, une répartition familiale remarquable des fonctions
Section 1 : les commanditaires
§1. Le statut des commanditaires
§2. Les organes collectifs
1. L’assemblée générale des commanditaires
2. Le conseil de surveillance
Section 2 : les commandités gérants
§1. Le statut de commandité gérant
1. Le statut de commandité
2. Le statut de gérant de SCA
§2. Les prérogatives des commandités gérants
1. Les prérogatives des commandités
2. Les prérogatives des gérants
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Titre 2 : les potentialités exceptionnelles de la SCA au service du groupe Pinault
Chapitre 1 : la dissociation entre le pouvoir et la détention du capital, un élément de stabilité
du groupe
Section 1 : la gérance irrévocable
Section 2 : la possibilité d’ouvrir le capital de la société à des tiers sans perte du pouvoir
Chapitre 2 :la souplesse d’organisation et la liberté, des éléments dynamisants pour le groupe
Section 1 : la souplesse d’organisation de la société
Section 2 : la liberté
Chapitre 3 : la défense anti-OPA, un élément de pérennité du groupe
Section 1 : le statut de SCA, une garantie pour l’avenir
§1. La possibilité d’émettre des valeurs mobilières et de faire appel public à l’épargne
§2. Le statut de SCA, une arme anti-OPA
Section 2 : la mise en place d’un noyau dur d’actionnaires
§1. La notion de noyau dur d’actionnaires
§2. Les intérêts d’un tel dispositif
Chapitre 4 : la variabilité du capital, un élément de liquidité des titres
Section 1 : notion de capital variable
Section 2 : les avantages de cette formule dans une holding familiale
Chapitre 5 : un groupe à la fiscalité optimisée
Section 1 : le régime des sociétés mères et filiales
Section 2 : l’intégration fiscale
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Partie 2 : La SCA dans le groupe Pinault, un modèle pour la transmission des groupes
de sociétés
Titre 1 : une transmission réalisée de main de maître
Chapitre 1 : les risques d’une transmission non préparée
Section 1 : les principaux inconvénients de l’ouverture prématurée d’une succession
§1. L’indivision
§2. Le coût fiscal des droits de mutation
§3. Le blocage des comptes bancaires
Section 2 : le groupe Pinault, une succession programmée de longue date
§1. Le cas de Pinault Trustee
Chapitre 2 : l’utilisation à plein des possibilités de la SCA dans la transmission du groupe
Section 1 : le respect de l’égalité pécuniaire entre les héritiers
Section 2 : la transmission du pouvoir à un seul héritier
Section 3 : le maintien des prérogatives politiques de François Pinault
Titre 2 : une ingénierie juridique et fiscale impressionnante au service d’une transmission
réussie
Chapitre 1 : l’intérêt de l’utilisation de la technique de la donation-partage
Section 1 : le régime juridique de la donation-partage
Section 2 : l’intérêt fiscal
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§1. La diminution des droits de mutation à titre gratuit
§2. La prise en charge par le donateur des droits n’est pas imposable
§3. L’exonération de la plus-value grevant les titres transmis
Chapitre 2 : les avantages de la réserve d’usufruit dans la transmission de la Financière
Pinault
Section 1 : la diminution de la valeur des titres par le démembrement opéré
Section 2 : le bénéficiaire des dividendes demeure l’usufruitier qui conserve son niveau de vie
Section 3 : l’ISF
§1. L’incidence du démembrement au regard de l’ISF
§2. L’exonération des biens professionnels
§3. La Financière Pinault : la nécessaire qualification de holding animatrice du groupe
Chapitre 3 : l’utilisation de la technique du rescrit fiscal pour l’évaluation de la valeur des
titres
Section 1 : le régime juridique du rescrit valeur
Section 2 : la sécurité juridique conférée à l’opération
Conclusion
Bibliographie
Table des matières
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