Coopération militaire : Royaume-Uni et France - Franco
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Coopération militaire : Royaume-Uni et France - Franco
DEUXIEME TABLE RONDE SUR LA COOPERATION FRANCO‐BRITANNIQUE EN MATIERE DE DEFENSE Ambassade Britannique, Paris, 6 octobre 2010 Rapport Dr Claire Chick Defence Analyst, Franco‐British Council INTRODUCTION Le Franco‐British Council (FBC) et le Royal United Services Institute (RUSI), avec le soutien de l’ambassade britannique à Paris, ont organisé le 6 octobre 2010 une deuxième table ronde sur la coopération franco‐britannique en matière de défense. Dans la continuité de la manifestation de Londres (mars 2010), l’objet a été de savoir comment concrètement la relation bilatérale de défense, entrée dans un processus de relance, répond aux défis sécuritaires identifiés précédemment. La convergence des attentes sur les dispositions industrielles, les besoins militaires, la volonté politique et les pressions budgétaires a conduit à réunir les acteurs du rapprochement et leur demander de rendre compte. En amont d’un calendrier chargé –la sortie de la SDSR au Royaume‐Uni, le sommet franco‐britannique à Londres et le sommet de l’OTAN à Lisbonne‐ cette rencontre a cherché à confronter les points de vue pour faire avancer la réflexion. Une soixantaine de participants ‐ l’Ambassadeur du Royaume‐Uni en France, des hauts fonctionnaires, sénateurs, lords et baronesses, députés, MPs, militaires, industriels, chercheurs et medias‐ tous concernés de près par les questions de défense de part et d’autre de La Manche, ont répondu à notre invitation. « Les partenaires français et britanniques sont‐ils prêts à partager leurs capacités militaires ? La réforme de l’OTAN engage t‐elle un tournant dans la coopération? Une réflexion stratégique innovante entre les deux pays est‐elle envisageable ? » ont été les trois questions piliers du séminaire. La réponse des experts à ces interrogations se trouve dans les pages qui suivent. Elle apporte un éclairage inédit sur les enjeux du rapprochement bilatéral à la veille de la signature des traités de défense entre la France et le Royaume‐ Uni le 2 novembre 2010. L’INDUSTRIE DE DEFENSE MET EN AVANT SA FLEXIBILITE, LES MILITAIRES REPONDENT SUR LA COMPATIBILITE DES DOCTRINES Faire plus avec moins : focus sur les capacités « Qu’est ce que la France et le Royaume‐Uni peuvent entreprendre aujourd’hui indépendamment en matière de défense ? Peu de chose ». Ce constat sévère mais probablement réaliste, conduit droit au projet de partage des capacités militaires. L’idée d’une coopération poussée entre les deux pays procède ainsi d’un contexte particulier de restrictions budgétaires aigües déjà identifié, à partir duquel les responsables politiques, soucieux de garantir leur statut d’acteur global sur l’échiquier international, souhaitent engager un rapprochement concret. L’accent a été mis sur un alignement inédit entre la France et le Royaume‐Uni en matière de priorités sécuritaires qui dégage des besoins identiques. La coopération s’impose ainsi comme une alternative attendue, basée sur une mise en commun des moyens de défense et la production conjointe d’équipements. L’industrie de défense a clairement manifesté sa détermination à prendre part au défi de la coopération, tenaillée par un « Share it or lose it », formule récurrente de cette rencontre. Dans un propos liminaire, EADS a reconnu que si les industriels sont naturellement nostalgiques des programmes ambitieux hérités de la Guerre Froide ‐parce qu’aux enjeux financiers conséquents‐ ils sont cependant conscients du contexte mouvant qui exige d’endosser de nouvelles responsabilités axées sur la flexibilité et l’adaptabilité des acteurs. Aujourd’hui le fait que la dépendance mutuelle ne puisse pas compter sur des niveaux budgétaires comparables à ceux d’il y a vingt ans est sans doute une opportunité, et impose de viser une stratégie industrielle plus rationnelle et progressive, exempte d’ambitions démesurées, et à même de faire aboutir les projets. Des options qui exigent de ne pas commencer par le plus difficile. MBDA a affiché sa volonté d’appuyer l’idée de convergence des capacités militaires, et à ses clients français et britanniques, souhaite garantir des prix associés à des niveaux de performance. Le projet phare « One MBDA » est ainsi présenté comme une nouvelle voie vers la consolidation de la coopération industrielle bilatérale. D’une part, à partir des expériences réussies du Meteor et du Scalp, l’objectif sera d’anticiper et de travailler en amont sur les besoins de convergence opérationnelle et d’informer le processus décisionnel. D’autre part, l’industriel précise la nécessité d’approfondir la connaissance du contexte de la coopération pour accompagner au plus près cette idée de dépendance mutuelle et de partage de capacités souveraines et faciliter la compatibilité des deux pays en matière de règlementations, de licences et d’exportations. THALES est également allé dans le sens d’une volonté ferme d’adaptation au nouveau contexte. Retenue par l’armée britannique pour des systèmes de drones tactiques actuellement en utilisation en Afghanistan, l’entreprise a expliqué qu’elle pourrait parfaitement proposer ces capacités techniques et industrielles à l’armée française pour des besoins similaires. Elle a également souligné la volonté d’optimiser l’intégration de ses activités dans le domaine des drones entre les deux rives de La Manche. En matière de sonars, sous réserve que les gouvernements le souhaitent, la rationalisation industrielle entre les deux partenaires peut elle aussi évoluer, et permettre des économies tout à fait appréciables. Enfin, BAE Systems a adhéré à ce choix de « partager » plutôt que de « perdre » en se rapprochant de la France. En dressant un bilan rapide de son partenariat, l’industriel a rappelé que s’il est resté modeste, il a été concluant. Dans le domaine terrestre, le canon 40 mm CTAI avec Nexter, n’est pas une coopération d’envergure, mais le travail effectué en commun a permis de construire la confiance et d’établir les aptitudes de chacun. Aujourd’hui, BAE tient pleinement compte des contraintes du nouveau contexte financier sur la production d’armements, et vise, comme ses concurrents, l’harmonisation des besoins militaro‐industriels et l’adéquation des capacités. Dans le domaine aérien, le dialogue amorcé avec Dassault en matière de drones est un secteur jugé prometteur par l’industriel avec un potentiel considérable qui d’exportations permettrait à la France et au Royaume‐ Uni de s’imposer sur le marché mondial. La réponse opérationnelle au défi du partage Comment les militaires accueillent cette volonté de ccopération ? D’une façon générale, leur appréciation est positive. Ils notent qu’au plan stratégique et de politique internationale, la vision des enjeux des deux pays est tout à fait comparable. C’est probablement lié à leur passé colonial, leur implication dans les affaires du monde, leur siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. En termes de capacités opérationnelles, tout est réuni techniquement pour que les deux pays travaillent côte à côte, la France et le Royaume‐Uni étant les plus proches en Europe. Les militaires peuvent en témoigner, la perception de l’environnement, la façon de répondre aux difficultés sont souvent pratiquement identiques. En revanche, la question de l’écart des doctrines entre les deux armées est un aspect fondamental qui heurte la coopération bilatérale. Au‐delà de la volonté politique, les chefs militaires admettent que sur le terrain la mise en œuvre du partenariat ne va pas de soi, notamment à cause du rapprochement délicat des doctrines qui exige un degré de compatibilité difficile à atteindre. Le constat est fait par exemple que la France et le Royaume‐Uni font souvent les mêmes opérations au même moment mais qu’en matière de projection, les deux pays en restent aux déclarations d’intention. En Afghanistan, une coopération rapprochée est difficilement envisageable non seulement parce que les 9500 soldats britanniques et les 4000 militaires français sont engagés dans des zones géographiques éloignées, mais aussi parce que le Helmand d’une part et Kapisa/Surobi d’autre part, supposent des options de culture opérationnelle qui ne donnent pas de sens à un mixage croisé des troupes entre les deux alliés. Dans le cadre de l’UE, la lutte contre la piraterie en Somalie rapproche la France et le Royaume‐Uni au sein de l’opération Atalanta (sous commandement britannique), mais le Royaume‐Uni n’est pas présent dans les autres opérations européennes où la France est engagée, principalement dans les Balkans et en Afrique. Reste que l’émergence de la Chine dotée d’un budget de défense en croissance constante, et l’affaiblissement des capacités militaires des puissances moyennes comme celles de la France et du Royaume‐Uni appellent une réactivité. Mettre en commun, partager, optimiser, se faire remplacer pour certaines missions sont donc des options privilégiées auxquelles de plus en plus les militaires estiment qu’il faudra avoir recours. Clairement, tout n’est pas faisable. Dans l’Armée de terre, il est estimé qu’en dessous de la Compagnie on ne peut pas multinationaliser. Pour la Marine, il est très difficile de dissocier l’équipage de son bateau et toute idée de partage bute sur celle de l’identification. L’intégration d’officiers ou de personnes en nombre limité est possible, mais globalement, le panachage d’équipage n’a pas de sens et marque les limites des initiatives bilatérales. En revanche, côté partage de capacités, rendre les équipements interchangeables dans leur emploi est envisageable. A commencer par les outils exempts de toute dimension de souveraineté et à propos desquels les deux pays ont les mêmes besoins : les pétroliers, les chasseurs de mines, les frégates. Certes l’échec du programme de frégates Horizon de défense aérienne est encore dans toutes les mémoires, mais il doit servir à recommencer autrement dans des circonstances aujourd’hui pronfondément différentes. La coopération aérienne en Europe dégage d’ailleurs des résultats convaincants, qui devraient inspirer la relation franco‐ britannique: notamment le commandement du transport aérien avec les Allemands, les Belges, les Néerlandais et les Luxembourgeois où l’engagement a été pris de mutualiser les moyens. Il a également été suggéré de creuser une option de partage de capacités entre la France et le Royaume‐ Uni dans le domaine du transport tactique notamment à partir des Chinooks dont les Britanniques disposent et que les Français, non seulement ne possèdent pas mais dans lesquels ils n’auront pas les moyens d’investir. LA REFORME DE L’OTAN, NOUVEAU MOTEUR DU DECOLLAGE FRANCO‐ BRITANNIQUE ? Le retour de la France dans l’OTAN, un « plus » pour le projet de capacité d’intervention avec les Britanniques Les participants français ont saisi l’occasion de cette rencontre pour expliquer le sens du geste de la France en 2009. La décision politique du retour au sein des structures du commandement militaire intégré de l’OTAN représente avant tout l’aboutissement d’un processus plus qu’un revirement et procède d’une volonté de clarification de la position française. « Nous jouions une pièce que nous n’écrivions pas » a expliqué un officier. Il s’est donc agi de dissiper les ambigüités, et rendre cohérente la politique de défense vis‐à ‐vis des Alliés. L’affichage des objectifs est clair, la doctrine française reconnaissant pleinement le rôle de l’OTAN dans la défense collective comme dans la gestion des crises. Concrètement, la France a donc pris une place en accord avec la réalité de son investissement dans l’Alliance et son statut a permis une vraie mise en cohérence de son positionnement. En tant que 4e contributeur financier et en opérations, elle prend sa place dans les structures décisionnelles avec l’intégration de 11 officiers généraux et compte aujourd’hui 600 personnes. Un relais d’influence qui la satisfait, notamment pour apporter son éclairage sur une forme d’expérience interventionniste qui lui est propre. Mais au‐delà de cette clarification –et de l’impact positif sur les forces armées‐ la France souligne qu’elle est rentrée dans l’OTAN pour faire bouger l’OTAN. La tendance à l’isolationnisme des pays européens de l’Alliance peu soucieux de l’indigence galopante de leurs moyens capacitaires, et favorables à la politique du porte‐monnaie selon laquelle, moyennant finance, les Américains interviennent à leur place, représente un risque majeur. Selon les responsables français, les nations européennes se dédouanent de plus en plus de tout engagement en ne s’impliquant pas politiquement dans leur propre sécurité. Contrer cette tendance à fuir devant des responsabilités majeures est devenu essentiel, et en ce sens, l’évolution de l’ACT (Allied Command Transformation) soutenue par les Etats‐Unis répond à un besoin de participation accrue des Européens à leur défense. L’Alliance est qualifiee de franche réussite et d’atout décisif dans l’agencement de la sécurité globale, ce qui d’ailleurs a fondé la décision d’opérer le retour français au sein de la structure militaire. Certes, le principe même de la coalition est difficile, mais ce n’est pas parce qu’il existe des sensibilités différentes qu’il n’est pas possible d’agir ensemble pour reconstruire, stabiliser, assurer la paix, partout dans le monde et notamment en Afghanistan. L’OTAN n’attend pas que les 28 alliés parlent d’une seule voix pour intervenir. Il ne s’agit pas d’avoir une pensée commune, mais on est toujours plus fort à plusieurs. Dans ce nouveau contexte clarifié, la France soutient que son geste en direction de l’OTAN donne du sens à la relance de la coopération franco‐ britannique. Au sein d’un climat favorable où nombre de soupçons et d’incompréhensions ont été levés, les deux pays peuvent mettre à profit leur statut d’acteur majeur au sein de l’organisation atlantique pour entreprendre des analyses et des initiatives communes. La France exprime ainsi de vraies attentes sur son partenariat avec les Britanniques pour corriger le défaut de responsabilité des Européens, et défend au sein de l’OTAN des objectifs de développements capacitaires raisonnables, réalistes et accessibles. L’idée d’une force d’intervention est évoquée, basée sur un principe de mutualisation des capacités militaires et civilo‐militaires, avec les deux partenaires comme fer de lance d’une initiative progressivement élargie à d’autres. Il n’y aurait pas deux pays en Europe militairement aussi proches pour pouvoir tenter cette démarche. Le lien bilatéral au cœur du chantier structurel de l’Alliance L’idée est ambitieuse et suppose au plan opérationnel une concordance de vues inédite. En tout état de cause, les différentes interventions témoignent d’une entente franco‐britannique au sein de l’Alliance qui fait son chemin. Notamment, à la veille du sommet atlantique de Lisbonne, le travail rapproché de la France et du Royaume‐ Uni dans le processus de réforme de l’OTAN a été largement reconnu. En partant du constat que les stigmates de la Guerre froide ont vécu et que l’Alliance héritée de la deuxième guerre mondiale reste utile mais tient mal sa place dans le paysage stratégique actuel, les deux Etats font la même analyse en faveur d’un changement en profondeur. Les travaux préparatoires les ont donc souvent réunis et c’est côte à côte, et parfois en opposition avec d’autres voisins européens, qu’ils ont défendu des intérêts communs. Là encore, guidés par des considérations budgétaires, ils ont privilégié l’allègement des structures bureaucratiques au profit de déploiements capacitaires supplémentaires. En particulier, ordonner la gouvernance financière pour corriger les dérives constatées sur les programmes d’investissement, rationaliser les commandements, restructurer les 14 agences pour passer à 3, réformer le quartier général et son fonctionnement. La prise en compte des nouvelles menaces a également fait l’objet d’une approche commune prolifération, cyber (terrorisme, criminalité, sécurité énergétique) et le dossier de révision du concept stratégique, sensible et donc plus délicat, est parti du principe que la défense anti‐missile doit être complémentaire de la dissuasion nucléaire qui reste l’élément fondamental de la défense de l’Alliance. La question de l’Europe de la défense suspendue au‐dessus de La Manche Pour autant, et par‐delà le clivage France/Royaume‐Uni, des voix discordantes ont émis de sérieuses réserves sur l’institution atlantique elle‐ même et le processus de réforme en cours. Soit que, l’OTAN en tant qu’organisation militaire est un échec (l’ISAF serait en dysfonctionnement notamment dans l’incapacité de constituer un quartier général fonctionnel à Kaboul), soit que, le sommet de Lisbonne menace de ressembler à un nouveau coup d’épée dans l’eau, incapable de défier la dérive bureaucratique qui ronge l’institution et à l’origine d’un document sans grande utilité, alors même que le retour de la France dans l’OTAN aurait pu être un incitateur à une réflexion approfondie. Derrière ces considérations critiques se cache, entre autres, la sempiternelle question de la responsabilisation des Européens en matière de défense sur laquelle la dimension bilatérale n’a pas été à son aise. Français et Britanniques ont été d’accord pour reconnaître la nécessité d’une capacité militaire en matière de gestion de crises, mais aucune structure, aucun vecteur n’a été en particulier mentionné pour encadrer une telle initiative. Plus concrètement, côté français, il a clairement été précisé que la vraie différence sur laquelle les deux partenaires bloquent est le rapport à l’Europe. Voire, les Français et les Britanniques s’entendent parfaitement dés lors qu’il n’y a pas de connotation « Union Européenne ». La France s’est assez longuement exprimée sur le sujet. Sans surprise, elle a notamment rappelé que ce qui donnait du sens à sa réintégration dans l’OTAN, c‘était bien le développement de la complémentarité européenne, à propos de laquelle la présidence française de l’UE en 2008 avait déployé beaucoup d’efforts en convainquant les partenaires les plus réticents du bien fondé d’un projet qui ne cachait aucune arrière pensée séparatiste vis‐à‐vis de l’OTAN. La crise financière ayant largement fragilisé l’UE, il est aujourd’hui difficile de remettre sur le métier le dossier de l’Europe de la défense, en panne en réalité. Mais la France reste profondément attachée à la responsabilisation des Européens en matière de sécurité, et à leur autonomie de réflexion. Des intervenants se sont inquiétés de ce que l’Europe n’ait plus d’ambition et paye de plus en plus cher sa sécurité à un moment où les Américains de moins en moins atlantistes, ont besoin de s’appuyer sur des partenaires forts et fiables. Il ne s agit pas de reproduire St Malo, « le pied sur l’accélérateur et le frein en même temps », a précisé un officier français avec un échec assuré, mais bien d’avoir à disposition des capacités européennes pour conduire des opérations ensemble. Les Français et les Britanniques auraient ainsi un rôle à jouer pour rendre les Européens plus responsables, plus autonomes, plus capables. Les circonstances d’intervention seraient variables : soit que l’Alliance décide de ne pas s’engager, soit que l’Europe déclenche en toute autonomie une intervention. Une idée qui est loin d’être nouvelle mais qui reste le leitmotiv de l’approche française selon laquelle les Européens ont leurs intérêts propres dans certaines régions du monde, par exemple en Afrique où les outils européens sont plus adaptés. L’exemple de la Somalie est cité comme édifiant : une vraie synergie a été trouvée où la mission européenne de formation des troupes pour le gouvernement fédéral de transition (EUTM Somalia) est soutenue par les Américains qui assurent le cofinancement et le transport. La réponse britannique a été plurielle et symbolique de la nécessité de reprendre le sujet de l’Europe de la défense ultérieurement. Certes le retour de la France dans l’OTAN est qualifié d’étape essentielle, voire « c’est la décision majeure des dix dernières années ». Certains Britanniques se sont félicités de ce que le Président français actuel s’exprime sans à priori sur la relation anglo‐américaine. Mais mis à part les libéraux démocrates qui ont rappelé leur soutien à la France dans son opposition à la guerre en Irak et qui ont réitéré leur adhésion au projet de développement d’une Europe de la défense, mise à part la proposition de lancement d’une coopération sur un eurodrone par un député travailliste, les participants du Royaume‐Uni n’ont pas donné leur interprétation précise du retour de la France dans l’OTAN et par là même n’ont pas répondu au discours des intervenants français sur la dimension européenne de la sécurité. Ou quand ils ont pris la parole ils ont été clairs : il faut se garder de tout mélanger et croire que le cadre atlantique peut servir de tremplin au rapprochement franco‐britannique. La démarche de Nicolas Sarkozy et de David Cameron est bien d’isoler les voies de coopération. En ce qui concerne le rapprochement en matière de défense, il ne faut pas lier la relation bilatérale aux désaccords possibles sur ce que l’OTAN doit devenir, si la guerre en Irak était légale ou pas, sur la création d’un quartier général de l’UE….l’achoppement sur certains dossiers ne doit pas nourrir le blocage sur d’autres…… LA RESPONSABILITE DES DECIDEURS POLITIQUES : A JUMP OVER THE FENCE La volonté des deux leaders fera la différence Cette rencontre a nettement mis en évidence la disposition politique en faveur de la relance du partenariat bilatéral et confirmé que côté leadership, Nicolas Sarkozy et David Cameron affichent une détermination franche et nouvelle à vouloir faire plus ensemble dans le domaine de la défense. Une volonté consignée lors du sommet franco‐britannique qui a suivi de près le séminaire FBC‐RUSI. Concrètement, leur rôle est attendu dans l’industrie. L’impulsion qui doit être donnée aujourd’hui au HLWG a été jugée décisive pour promouvoir et soutenir les efforts engagés en matière de partage de capacités de part et d’autre de La Manche. Afin que la coopération soit en prise avec les réalités du terrain, l’industrie précise qu’elle est prête à contribuer à l’objectif fixé par les politiques en optimisant la capacité opérationnelle à partir d’un budget donné. L’étendue des possibilités est vaste, depuis les stades très en amont (recherche et technologie) jusqu’à le plus aval (coopération et soutien). Mais les responsables au pouvoir doivent maintenir leur action de façon continue et soutenue car le High Level Working Group dont les progrès sont lents mais sûrs, est essentiel à la structuration du rapprochement dans le domaine des équipements de défense. L’engagement des décideurs politiques doit se situer à deux niveaux : d’une part dans la relation intergouvernementale entre la France et le Royaume‐Uni, les partenaires doivent s’entendre pour soutenir ensemble un certain nombre de filières fragilisées qui risquent de se retrouver en danger à moyen ou long terme, notamment vis à vis de l’industrie américaine. D’autre part, il est clair que le rapport gouvernement / industrie sera lui aussi dans le viseur des bâtisseurs de la coopération bilatérale : l’industrie va devoir montrer qu’elle est prête à jouer sa part dans les schémas de rapprochement, malgré les refus qu’elle a pu essuyer par le passé sur certains projets ; les gouvernements sont attendus comme des clients réactifs et clairs sur les axes politiques de la dépendance mutuelle et les méthodologies de mise en application. Entre autres, l’évolution de la relation BAE Systems avec le gouvernement français sera à cet égard intéressante. Vis‐à‐vis du monde militaire, la détermination des responsables gouvernementaux sera toute aussi importante. Les officiers français et britanniques ont souligné que le temps des politiques est revenu. La relance de la coopération franco‐britannique via le partage des capacités militaires est certainement une idée innovante et qui répond à une vraie nécessité, mais pour ne pas en rester là, et concrètement aboutir, seule la volonté politique peut être garante des avancées souhaitées. Aujourd’hui, la France et le Royaume Uni peuvent dépasser le stade de l’aspiration en accomplissant pas mal de choses ensemble à partir de leur perception commune de la menace, et au moyen de leurs armées d’intervention. L’enjeu est bien d’aller au‐delà de ce qu’ils ont appelé « des matchs amicaux », car il y a des intérêts partagés. C’est le moment de franchir ce premier consensus, par exemple en structurant institutionnellement la relation bilatérale en termes d’élaboration de programme au niveau des deux ministères de la défense. Le Parlement britannique, caisse de résonance de l’Entente Enfin dernier maillon de cette réflexion, la dimension parlementaire de la défense qui est apparue comme un élément inégalement important en France et au Royaume‐Uni. Autant à Paris, le débat démocratique pèse peu sur les orientations des responsables politiques en matière de sécurité, (la bureaucratie est davantage l’interlocuteur dont il faut tenir compte), autant à Londres l’intérêt de la société civile pour les questions de défense et la perméabilité de l’institution parlementaire vis a vis des électeurs impose aux élus de justifier leurs choix. Le thème de la coopération franco‐ britannique en matière de défense débattu à Westminster a ainsi fait l’objet de développements importants lors de cette table ronde. Assez paradoxalement, il en est ressorti que les parlementaires les plus francophiles ne sont pas forcément ceux les plus enclins au projet de relance du partenariat bilatéral de sécurité. Et globalement, le débat public au Royaume‐Uni dégage encore une solide résistance à une coopération plus avancée avec la France. La situation du parti conservateur a été plus spécifiquement décrite. Les députés favorables à une augmentation des dépenses en matière de défense seraient souvent les moins propices à accepter une coopération avec la France, au motif essentiel qu’il est préférable au vu du rapport qualité/prix de traiter avec les Américains plutôt que de rapprocher nos industries de défense. Tout projet d’envergure avec l’Hexagone est ainsi souvent appréhendé avec scepticisme. En réalité, chaque parti britannique semble divisé en son sein sur le bien fondé d’une relation franco‐britannique approfondie: les participants sont donc convenus de la nécessité de remédier au blocage inhérent à cette idée de rapprochement en expliquant les enjeux et en communiquant sur les bénéfices du partenariat en matière de défense. Démystifier les débats sur l’idée de perte de souveraineté est probablement une tâche majeure. La notion est à fleur de sensibilité chez certains parlementaires qui estiment que la souveraineté serait menacée dans le cadre d’un partenariat transmanche. Elle génère en tout cas une confusion évidente et l’industrie est intervenue pour souligner que dans le cadre de la relance de la coopération franco‐ britannique, le défi est dans le partage des capacités militaires pour justement rester souverain. La notion de « souveraineté partagée » qui a été utilisée a induit à tort l’idée de souveraineté perdue et n’est pas correcte. Il s’agit très clairement de partager des équipements de défense afin de préserver l’autonomie de décision des deux nations. Combattre les réticences en évacuant l’assimilation assez systématique et stéréotypée de la France à la constitution d’une armée européenne forme un autre enjeu de la relance. L’idée pourrait être aussi de mettre en avant la réalité commerciale du rapprochement en faisant part de la coopération en cours dans le domaine industriel. Mais également de donner l’état de la participation française en Afghanistan (4000 militaires), et informer sur l’effectif global d’environ 9000 militaires français engagés dans des opérations extérieures de par le monde. Autant de sujet qu’il est urgent d’ouvrir aux parlementaires pour les rassurer et les convaincre sur ce qu’il est possible d’entreprendre. CONCLUSION La deuxième table ronde organisée par le FBC et le RUSI à Paris en octobre 2010 a eu pour objet de nourrir la réflexion sur la relance de la coopération franco‐britannique en matière de défense à la veille d’un agenda politico‐diplomatique particulièrement chargé. Le risque de se positionner au plus près d’échéances décisives était de ne pas provoquer de débats suffisamment contradictoires et novateurs pour l’analyse. Tel n’a pas été le cas. Certes la dernière question sur “le défi d’une réflexion stratégique innovante” n’a pas généré de réponses décisives, mais finalement cette esquive est symbolique de ce que la France et le Royaume‐Uni sont prêts à mettre sur la table pour travailler ensemble. A l’évidence, la dimension purement stratégique est pour l’heure mise en sommeil et c’est davantage dans l’esprit d’un processus du “bottom up”, du bas vers le haut, que les deux Etats envisagent de coopérer à partir de données concrètes. Cette démarche à l’esprit plus britannique que français, accorde au démarrage une franche impulsion au partage des équipements de défense qui passe par une collaboration industrielle, une réactivité militaire et une volonté politique. Autre point d’ombre déterminant sur le contour de la coopération en marche: le rapport à l’Europe. Le désaccord manifeste évoqué par les participants sur la place de la dimension européenne au sein du rapprochement franco‐ britannique a focalisé les priorités sur une relation bilatérale, qui pourrait bénéficier du retour de la France dans l’OTAN pour prendre son envol. Là encore, parce que le débat sur l’Europe de la défense ne trouve pas de terrain d’entente, les acteurs se mettent d’accord sur une relation à deux qui privilégie une coopération raisonnable et progressive, exempte de projets démesurément ambitieux et à la portée d’une compatibilité des doctrines. Toutes ces lignes de réflexion se retrouvent consignées dans le traité paraphé quelques semaines plus tard par la France et le Royaume‐Uni à Londres. Le débat aura ainsi permis de prendre le pouls d’une coopération aux défis multiples et dont les perspectives de réussites sont réelles. Car pour reprendre les termes d’un participant: “ce qui nous rapproche est plus important que ce qui nous différencie”. SOMMAIRE INTRODUCTION L’INDUSTRIE DE DEFENSE MET EN AVANT SA FLEXIBILITE, LES MILITAIRES REPONDENT SUR LA COMPATIBILITE DES DOCTRINES *Faire plus avec moins : focus sur les capacités *La réponse opérationnelle au défi du partage LA REFORME DE L’OTAN, NOUVEAU MOTEUR DU DECOLLAGE FRANCO‐ BRITANNIQUE? *Le retour de la France dans l’OTAN, un « plus » pour le projet de capacité d’intervention avec les Britanniques *Le lien bilatéral au cœur du chantier structurel de l’Alliance *La question de l’Europe de la défense suspendue au‐dessus de La Manche LA RESPONSABILITE DES DECIDEURS POLITIQUES : A JUMP OVER THE FENCE * La volonté des deux leaders fera la différence *Le Parlement britannique, caisse de résonance de l’Entente CONCLUSION