Le point sur… Au fil des jours Etude en avant

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Le point sur… Au fil des jours Etude en avant
MERCREDI 09 JUIN 2010
Le point sur…
« Développement durable » : l'incontournable hérésie - par M.-J. del Rey
P. 02
Au fil des jours
Lettre de change : vers un assouplissement du formalisme cambiaire ?
Cession de créance à titre de garantie = nantissement
P. 04
P. 05
Un rapport préconise l'élection des conseillers prud'homaux au suffrage indirect
Le harcèlement moral peut se dérouler sur une brève durée
P. 05
P. 06
Donation de l'usufruit au conjoint et quotité disponible
Mandat à effet posthume : les pouvoirs du mandataire précisés
Résistance des coïndivisaires à l'action en partage exercée par le liquidateur judiciaire
Dépollution d'une installation classée par le locataire commercial évincé
P.
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P.
P.
Garde à vue : l'information immédiate du procureur de la République n'est soumise à aucune forme
Terrorisme et procédure dérogatoire à l'épreuve de la QPC
Interdiction de territoire en raison d'opinions controversées : violation de la liberté d'expression
P. 10
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L'indemnité de rupture anticipée d'un CDD est imposable en totalité
Le fisc peut, sous condition, notifier l'avis de la commission de conciliation à un seul cohéritier
P. 12
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Un terrain inclus dans une « zone verte » du PLU n'est pas nécessairement inconstructible
QPC sur la procédure de consultation des électeurs sur les projets de fusion de communes
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Etude en avant-première
Donation de fruits, d'usufruit ou d'usufruit d'usufruit : conséquences successorales - par M. Iwanesko
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Le point sur…
« Développement durable » : l'incontournable hérésie
Par Marie-José del Rey, Docteur en droit de l'Université Panthéon-Sorbonne, Directrice
de formation à Luz&Eole environnement
A force d'être utilisé sans discernement, telle une formule incantatoire, le concept de
développement durable finit par perdre de sa substance et de sa force.
Genèse...
Dans les années 70, suite à la prise de conscience de la « finitude » des ressources terrestres, une réflexion
fut menée quant à la nécessaire conciliation entre la croissance et la protection de l'environnement. Dans
cette mouvance, les Nations unies confièrent la rédaction d'un rapport à la Commission mondiale sur
l'environnement et le développement dirigée par Mme Brundtland. Ainsi fut créée en 1983 la commission
homonyme, afin de former un processus ayant de l'autorité pour intégrer l'interdépendance de
l'environnement et du développement dans une démarche universellement crédible. La commission
Brundtland procéda à de nombreuses auditions sur ces questions et publia en 1987 un rapport de synthèse
sous le nom de rapport Brundtland. Il donne la définition du concept.
Cependant, ce fut le deuxième sommet de la Terre, à Rio de Janeiro en 1992, qui apporta la consécration
aux termes de développement durable. Le concept commence dès lors à être médiatisé auprès du grand
public. La définition « Brundtland », axée prioritairement sur la préservation de l'environnement et la
consommation prudente des ressources naturelles, sera ultérieurement axée sur la définition des « trois
piliers » qui doivent être conciliés dans une perspective de développement durable : le progrès économique,
la justice sociale et la préservation de l'environnement.
Définition originelle du concept...
S'il est communément admis qu'il s'agit du « développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs », la définition dans son intégralité
est autrement plus prolixe et complexe :
« Deux concepts sont inhérents à cette notion :
•
•
« - le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à
qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et
« - l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la
capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir.
« Ainsi, les objectifs du développement économique et social sont définis en fonction de la durée, et ce dans
tous les pays (...). Les interprétations pourront varier d'un pays à l'autre, mais elles devront comporter
certains éléments communs et s'accorder sur la notion fondamentale de développement durable et sur un
cadre stratégique permettant d'y parvenir.
« Le développement implique une transformation progressive de l'économie et de la société, il ne peut être
assuré si on ne tient pas compte de considérations telles que l'accès aux ressources ou la distribution des
coûts et avantages » (chap. 2, rapport Brundtland).
Les limites du concept...
Une définition étriquée
Pour des raisons pratiques, la définition initiale a été considérablement tronquée. En effet, le choix d'une
formulation plus courte et plus neutre semblait de nature à favoriser le ralliement du plus grand nombre.
Or, malgré ce choix à visée hautement consensuelle, il ne faut pas réfuter le sens éminemment humaniste
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et politique des considérations qui complètent, expliquent et conditionnent la définition du développement
durable : « nous sommes capables d'améliorer nos techniques et notre organisation sociale de manière à
ouvrir la voie à une nouvelle ère de croissance économique. (...) La misère est un mal en soi, et le
développement durable signifie la satisfaction des besoins élémentaires de tous et, pour chacun, la
possibilité d'aspirer à une vie meilleure (...) Pour satisfaire les besoins essentiels, il faut non seulement
assurer la croissance économique dans les pays où la majorité des habitants vivent dans la misère mais
encore faire en sorte que les plus démunis puissent bénéficier de leur juste part de ressources qui
permettent cette croissance. L'existence de systèmes politiques garantissant la participation populaire à la
prise de décision et une démocratie plus efficace dans la prise de décisions internationales permettraient à
cette justice de naître » (Introduction, rapport Brundtland).
Une traduction et une terminologie contestées
En ce qui concerne la traduction du « sustainable development » contenu dans le rapport Brundtland de
1987, le choix terminologique effectué a fait l'objet de vives critiques.
Pour traduire le terme anglais « sustainable », le mot « soutenable » avait pourtant été initialement proposé
par les experts linguistiques chargés de la traduction française du rapport. Cependant, le mot « durable » a
finalement été retenu. S'agit-il d'une simple erreur de traduction ou d'un dévoiement volontaire ?
L'inconvénient majeur de ce choix est que la priorité ainsi accordée à la durabilité masque l'immédiateté des
problèmes... Par ailleurs, les capacités de la planète (tant quant au renouvellement des ressources
naturelles qu'au regard de l'absorption des polluants) ne sont nullement prises en compte, tel que cela était
le cas avec l'idée de « supportabilité » contenue implicitement dans le terme « soutenable ».
En outre, la terminologie elle-même est intrinsèquement critiquable. En effet, le terme « développement »
est trop lié à une certaine vision du monde. Il fut originellement utilisé pour désigner le mode d'organisation
d'une société en 1949, lors d'un discours du président Truman. Pour la première fois, un responsable
politique divise le monde entre pays développés et sous-développés. Le mot « développement » est
cependant un terme d'origine biologique : une plante se développe car sa forme est inscrite dans sa graine.
Il s'agit donc d'une vision de l'évolution du monde qui induit que notre état de société développée soit
l'aboutissement d'un parcours inéluctable. Cette terminologie sous-tend un véritable jugement de valeur,
puisque les sociétés initialement qualifiées de sous-développées semblent dès lors avoir évolué en quelque
sorte contre nature. Le terme « développement » s'affirme donc comme un mouvement naturel. A
contrario, le sous-développement s'apparenterait à une anormalité, qui tendrait toutefois à s'estomper avec
des pays désormais engagés dans la voie du développement...
Eu égard aux considérations précédentes, ne vaudrait-il pas mieux parler d' « évolution soutenable », voire
adopter l'appellation « développement soutenable » réclamée par bon nombre de spécialistes ?
Une analyse consciencieuse de la définition de « développement soutenable » tend à démontrer que cette
dernière prend en considération deux dimensions également importantes :
•
•
une dimension temporelle (avec la référence aux générations futures) et
une dimension spatiale (avec la référence aux pays dits pauvres).
Or, avec le sens communément admis, la dimension spatiale (caractère équitable) semble aujourd'hui
sacrifiée au profit de la dimension temporelle (caractère durable). Et la conjugaison des deux dimensions,
respectivement représentées par un développement durable et un développement équitable, aboutirait au
concept de « développement soutenable », seule évolution véritablement viable pour l'ensemble de
l'humanité.
Il s'agit dès lors de renouer avec l'idée de Patrimoine commun de l'humanité, qui correspond au principe de
droit naturel de destination universelle des biens, en gérant en bonne intelligence des biens communs dans
l'espace et le temps. Ainsi, la viabilité de l'évolution deviendrait le critère de régulation du phénomène de
mondialisation.
Un concept galvaudé
Ce concept d'origine internationale a été transposé en droit de l'environnement par le législateur français en
1995. Notion juridique incertaine, elle remplit toutefois des fonctions politiques importantes. A tel point que
depuis quelques années tout texte d'une quelconque envergure y sacrifie.
À force d'être utilisé sans discernement, telle une formule incantatoire, il finit par perdre de sa substance et
de sa force. Or, il est inutile de l'invoquer à tout propos. Ne vaudrait-il pas mieux dès lors réfléchir, comme
nous y invite le philosophe allemand Hans Jonas, à la portée de chacun de nos actes quotidiens qui devrait
systématiquement se placer dans une perspective d’ « évolution soutenable »… : « Agis de façon que les
effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre »
(H. Jonas, Le principe responsabilité, 1979).
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Au fil des jours
Lettre de change : vers un
assouplissement du
formalisme cambiaire ?
Com. 26 mai 2010, n° 09-14.561
Lorsque le lieu de création n'est pas indiqué
sur la lettre de change, celle-ci doit être
considérée comme souscrite dans le lieu
désigné à côté du nom du tireur. C'est
exactement qu'une cour d'appel a retenu que
ce texte n'exige pas que l'indication de ce lieu
figure au recto de la lettre de change.
Cet arrêt de rejet mérite d'être connu en ce qu'il
semble marquer un recul de l'exigence du respect
du formalisme en matière cambiaire. Il est ici
question du recours, fondé sur le droit du change
(art. L. 511-38, I, c. com.), du porteur impayé d'une
lettre de change contre le tireur. Ce dernier, pour
échapper à ce recours, tente de se prévaloir de la
nullité de l'effet de commerce. Il est vrai que l'article
L. 511-1, I, 7°, du code de commerce exige, entre
autres, parmi les mentions obligatoires, la présence
sur le titre du lieu de création de celui-ci. Toutefois,
en cas d'omission de cette mention, comme pour
d'autres (échéance, domicile du tiré, etc.), le code
de commerce prévoit, pour « sauver » la lettre de
change de la nullité, qu'il puisse y être suppléé
grâce à la présence sur le titre d'une autre mention
jugée équivalente à celle qui fait défaut. On parle
alors de « formalisme de substitution », lequel a
pour effet de réduire le nombre de mentions légales
réellement obligatoires (R. Roblot, Les effets de
commerce, Sirey, 1975, n° 134). S'agissant de
l'absence de lieu de création, l'article L. 511-1, V,
dispose : « La lettre de change n'indiquant pas le
lieu de sa création est considérée comme souscrite
dans le lieu désigné à côté du nom du tireur ».
Or, en l'occurrence, aucun lieu n'étant désigné à
côté du nom du tireur, le lieu retenu par les juges
du fond, dont la solution est reprise à son compte
par la Cour de cassation, pour racheter la lettre de
change et valider le recours cambiaire du porteur,
est celui figurant au verso du titre (le nom du tireur
figurait quant à lui, évidemment, au recto). La
justification donnée est la suivante : « aucun texte
n'exige que le lieu désigné à côté du nom du tireur
doit figurer au recto de la lettre de change ». La
formule utilisée fleure bon le libéralisme et tranche
avec la philosophie qui anime le droit cambiaire, qui
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postule, notamment, le caractère littéral du titre
cambiaire. Cela suppose d'abord que la mention
dont le porteur se prévaut soit incontestable, qu'elle
ne soit sujette à aucune discussion, ni interprétation
(V., à propos de la date illisible, considérée comme
équivalente à l'absence de date, Com. 29 mars
1994, D. 1994. Somm. 183, obs. M. Cabrillac). Cela
constitue ensuite une règle d'interprétation : les
textes cambiaires doivent faire l'objet d'une
interprétation littérale. Or, la locution « à côté de »
utilisée par le code de commerce paraît, en effet,
postuler que les deux termes qu'elles relient sont
situés sur le même côté du titre. Pourtant, selon la
Cour de cassation, il n'en est rien ; il suffit que la
mention litigieuse figure sur le titre, peu importe
que ce soit sur un autre côté (le droit cambiaire
refuse, en revanche, de valider une traite, sur la foi
d'une mention extrinsèque, qui ne figurerait pas sur
le titre lui-même). Il faut sans doute prendre en
compte un élément de fait qui n'apparaît
malheureusement pas dans l'arrêt : sur le cachet
figure, à la fois, la dénomination de l'entreprise et
son adresse. Dès lors, ces deux éléments étaient
nécessairement liés et il était donc peu douteux que
cette adresse soit celle de création de la lettre de
change litigieuse.
Deux observations, pour conclure, destinées à
relativiser le caractère novateur de la solution.
D'abord, ce n'est pas la première fois que la Cour de
cassation, en matière cambiaire, fait jouer un rôle
important au cachet du tireur, lequel permet de
pallier l'absence d'une mention obligatoire (Com. 3
avr. 2002, Bull. civ. IV, n° 65 ; Banque et Droit,
juill.-août 2002. 44, obs. Bonneau ; LPA 11 sept.
2002, obs. E. C., qui juge que la nullité des effets
de commerce en raison du défaut de mention du
nom du bénéficiaire doit être écartée lorsqu'ils
portent le cachet de la société tireur tant au recto
qu'au verso accompagné de la signature de son
gérant). Ensuite, mérite d'être signalée une
jurisprudence selon laquelle, lorsque le nom du
bénéficiaire est laissé en blanc lors de sa création,
son apposition par le tireur sous forme d'endos vaut
désignation du premier endossataire comme
bénéficiaire (Com. 12 oct. 1993, JCP 1993. II.
22378, note Bazin). Le nom du bénéficiaire peut
donc valablement figurer côté face alors qu'on
l'attend plutôt côté pile, ce qui tend à démontrer
que le respect de l'emplacement des mentions sur le
titre ne participe pas du formalisme cambiaire.
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Cession de créance à titre de
garantie = nantissement
texte, L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés, La publicité
foncière, Defrénois, 4e éd., 2009, n° 536). Bref,
cette sûreté, que le créancier nanti avait déclarée
comme un accessoire de sa créance et qui avait été
admise à la procédure, justifiait la prétention de son
titulaire de se voir reverser les loyers versés à tort
entre les mains des organes de la procédure après
ouverture de celle-ci.
Com. 26 mai 2010, n° 09-13.388
Dès lors qu'une cession de loyers en garantie
du remboursement d'un prêt a été signifiée au
locataire conformément aux dispositions de
l'article 1690 du code civil, le cessionnaire a la
qualité de créancier nanti.
La Cour de cassation a refusé, à la fin de l'année
2006, la consécration générale de la cession de
créance à titre de garantie. La chambre commerciale
a en effet posé le principe suivant lequel, « en
dehors des cas prévus par la loi, l'acte par lequel un
débiteur cède et transporte à son créancier, à titre
de garantie, tous ses droits sur des créances,
constitue un nantissement de créances » (Com. 19
déc. 2006, Bull. civ. IV, n° 250, D. 2007. Jur. 344,
note Larroumet ; ibid. AJ 76, obs. Delpech ; ibid.
Point de vue 319, obs. Damman et Podeur ; ibid.
Chron. 961, par Aynès ; RTD civ. 2007. 160, obs.
Crocq ; RTD com. 2007. 217, obs. Legeais). Dans le
présent arrêt du 26 mai 2010, elle tire les
conséquences logiques de cette solution, cassant
(au visa des art. 1690, 2071, 2073 et 2075 c. civ.,
dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance
n° 2006-346 du 23 mars 2006) la décision de la
cour d'appel de Paris qui, elle, n'avait pas su le faire.
Les juges du fond avaient, en effet, constaté que la
cession de loyers avait été conclue « en garantie de
remboursement du prêt consenti » et avait « été
signifiée aux locataires », conformément aux
dispositions de l'article 1690 du code civil. Pourtant,
elle n'avait vu dans cette cession de loyers qu'une
simple modalité de remboursement du prêt, non
constitutive d'une sûreté, pour en déduire que les
loyers échus postérieurement au redressement
judiciaire de la société succédant aux obligations de
l'emprunteur devaient être soumis aux règles de la
procédure collective. À tort, puisque, en application
de la règle prétorienne, le cessionnaire avait acquis
la qualité de créancier nanti. Il en résulte alors pour
lui une situation très favorable, déjà avant la
réforme de 2006, puisqu'il peut « se faire payer sur
la chose qui en est l'objet, par privilège et
préférence aux autres créanciers », comme le disait
l'ancien article 2073 visé par la Cour, l'expression de
ce droit de paiement préférentiel se retrouvant
aujourd'hui dans le nouvel article 2333 du code civil
régissant le droit commun du gage, alors que, plus
précisément, s'agissant du nantissement, l'article
2263 dispose : « Après notification, seul le créancier
nanti reçoit valablement paiement de la créance
donnée en nantissement tant en capital qu'en
intérêts » (V., pour les difficultés soulevées par ce
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Un rapport préconise
l'élection des conseillers
prud'homaux au suffrage
indirect
Rapport Richard Avril 2010
Selon le rapport Richard, l'élection des
conseillers prud'hommes salariés pourrait être
effectuée par les délégués du personnel dans
les entreprises de plus de 10 salariés et par
des délégués de salariés désignés par les
syndicats dans les autres.
1. Un rapport, remis au ministre du travail le 25 mai
2010, constatant la faible participation aux
dernières
élections
prud’homales
de
2008,
s’interroge sur les différents modes de désignation
des conseillers prud’hommes susceptibles de
renforcer la légitimité de l’institution.
2. L’auteur du
possibles :
•
•
•
rapport
envisage
3
scénarios
le maintien du suffrage universel direct
selon
des
modalités
simplifiées :
généralisation du vote par Internet et par
correspondance, suppression du vote à
l’urne et du vote par section ;
la désignation des conseillers prud’hommes
par les organisations syndicales en fonction
de leur représentativité ;
l’élection des conseillers prud’hommes au
suffrage universel indirect.
3. L’élection au suffrage indirect est présentée
par le rapport comme la mesure la plus réaliste et la
plus opportune.
Le collège électoral salarié serait constitué, dans
les entreprises de plus de 10 salariés, des délégués
du personnel ou des élus à la délégation unique du
personnel ; dans les autres entreprises, des
délégués de salariés seraient désignés par les
syndicats sur la base des résultats du vote organisé
pour mesurer l’audience syndicale tel que prévu
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dans le projet de loi sur le dialogue social dans les
TPE. Le collège employeur serait composé de
30 000 à 35 000 délégués élus par l’ensemble des
employeurs dans le cadre d'un scrutin par liste, à la
proportionnelle, organisé par chaque département.
La liste des électeurs serait constituée au niveau
départemental sans distinction des sections.
Le mode de scrutin serait inchangé (par liste, à la
proportionnelle à un tour). L’élection aurait lieu le
même jour sur l’ensemble du territoire pendant le
temps de travail. Un seul vote serait organisé pour
chacun des deux collèges, au niveau du
département, quel que soit le nombre de conseillers
du département.
Si cette mesure était retenue, le rapport propose de
repousser les élections prud’homales au mois de
février 2015 (au lieu de décembre 2013).
Le harcèlement moral peut
se dérouler sur une brève
durée
Soc. 26 mai 2010, n° 08-43.152
Le harcèlement moral suppose que le salarié
qui s'en plaint ait été victime d'actes répétés.
Mais cela ne signifie pas pour autant que ces
faits doivent se dérouler sur une longue
période.
La Cour de cassation l'affirme très clairement
aujourd'hui : le harcèlement moral, même s'il
suppose des actes répétés, n'implique pas que ces
actes se soient déroulés sur une longue période. Ce
serait ajouter un élément que la définition légale ne
contient pas, estime-t-elle.
Un salarié, engagé en qualité d'acheteur-vendeur de
véhicules
accidentés,
demande
la
résiliation
judiciaire de son contrat de travail aux torts de son
employeur. Il estime avoir été rétrogradé à son
retour de congé maladie et reproche à son
employeur de ne pas l'avoir réintégré dans son
poste malgré l'avis d'aptitude du médecin du travail
lors de la visite de reprise.
Mais les juges devaient répondre à une autre
question : le salarié avait-il été victime de
harcèlement moral de la part de son employeur ?
Le salarié avait repris son travail le 11 septembre
2006. Il invoquait, au soutien de sa demande de
dommages-intérêts pour harcèlement moral, sa
rétrogradation dès le 6 novembre 2006, mais
également des menaces et des propos dégradants
au cours de la seconde semaine suivant la reprise
du travail, notamment au cours d'un entretien le
21 septembre 2006.
La cour d'appel avait toutefois écarté la qualification
de harcèlement moral, estimant que ces faits
s'étaient déroulés au cours d'une très brève période
de temps, compte tenu des arrêts maladie
postérieurs à la reprise du travail. Le salarié avait
en effet été à nouveau en arrêt maladie du
22 septembre au 22 octobre pour traumatisme
psychologique.
La Cour de cassation n'est pas de cet avis. Elle
refuse de prendre en compte la durée des
agissements reprochés à l'employeur. Elle estime
que la cour d'appel en se fondant sur la brièveté des
actes « a ajouté au texte légal une condition qu'il ne
prévoit pas ».
Elle reproche en outre à la cour d'appel d'avoir
écarté d'autres éléments comme les documents
médicaux attestant de l'altération de l'état de santé
du salarié.
Ce n'est pas la première fois que la Cour de
cassation accepte de retenir la qualification de
harcèlement moral pour des faits qui se sont
déroulés sur une brève durée.
Dans un arrêt du 27 janvier 2010, elle avait déjà
retenu la qualification de harcèlement moral
s'agissant des agressions verbales répétées de la
part d'un employeur et de son épouse à l'égard
d'une salariée même si ces faits s'étaient déroulés
sur une période de 2 mois seulement.
Dans ce nouvel arrêt, elle affermit sa position
puisqu'elle souligne bien le fait que la définition
légale n'exige pas que les faits se déroulent sur une
longue période. La répétition n'exclut donc pas la
brièveté de la durée pendant laquelle le salarié est
victime de harcèlement.
Les juges accueillent la demande du salarié,
estimant que constitue bien un manquement
suffisamment grave de la part de l'employeur
justifiant la résiliation judiciaire le fait d'affecter le
salarié à son retour de congé maladie à des
fonctions subalternes qu'il n'avait jamais exercées
auparavant, alors même que le médecin du travail
avait émis un avis d'aptitude.
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Donation de l'usufruit au
conjoint et quotité disponible
Civ. 1re, 12 mai 2010, n° 09-11.133
Un époux peut disposer en faveur de son
conjoint de l'usufruit de la totalité de ses
biens, tout en disposant au profit d'un tiers de
la nue-propriété de la quotité disponible. Seul
le légataire a alors qualité et intérêt à invoquer
une éventuelle volonté de révocation du
testateur.
Le présent arrêt intéressera à coup sûr la pratique
notariale. Il concerne l'option de l'article 1094-1 du
code civil (V. Peterka, Droit patrimonial de la famille,
Dalloz Action, 2008/2009, dir. M. Grimaldi, nos
351.10 s.) et plus précisément la combinaison entre
la quotité disponible spéciale en usufruit entre époux
et la quotité disponible ordinaire. L'arrêt est d'autant
plus intéressant que la première chambre civile
procède ici à une substitution de motifs dans les
conditions de l'article 1015 du code de procédure
civile. L'article 1094-1 du code civil permet à un
époux, en présence d'enfants ou de descendants, de
disposer en faveur de l'autre époux soit de la
propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur
d'un étranger, soit d'un quart de ses biens en
propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit
encore de la totalité de ses biens en usufruit
seulement. Dans la présente affaire, une épouse
avait ainsi gratifié son mari de l'une des trois
quotités disponibles prévues à l'article 1094-1 du
code civil, au choix de celui-ci. Plusieurs années plus
tard, l'épouse confirme par testament cette donation
et lègue la « quotité disponible » à sa petite-fille.
C'est de l'interprétation de cet acte que va naître le
litige. En effet, après le décès de son épouse, le
mari gratifié optera pour la totalité des biens en
usufruit. La petite-fille légataire reconnaîtra quant à
elle, dans un acte interprétatif, que le testament lui
léguait uniquement une quote-part en nuepropriété. C'est sa mère, fille de la défunte, qui
contestait la validité de cet acte interprétatif.
La première chambre civile va cependant rejeter le
pourvoi en décidant qu'un « époux peut disposer en
faveur de son conjoint de l'usufruit de la totalité des
biens composant sa succession, par application de
l'article 1094-1 du code civil, et que cette libéralité,
en ce qu'elle n'affecte pas la nue-propriété des
biens, lui laisse la faculté de disposer au profit d'un
tiers de la nue-propriété ». Cette formule, qui
soutient les libéralités entre époux pratiquées par le
notariat, n'est pas inédite (V. déjà Civ. 1re, 20 févr.
1996, RTD civ. 1996. 452, obs. Patarin ; 26 avr.
1984, D. 1985. Jur. 133, note Morin ; RTD civ.
1985. 194 et 758, obs. Patarin ; adde M. Grimaldi,
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La combinaison de la quotité disponible ordinaire et
de la quotité disponible entre époux, Defrénois
1985. 811). La formule retenue par la présente
décision est cependant plus large en parlant de
« tiers » gratifié et pas seulement d'enfant. Au
demeurant, le terme « descendant » correspondait
sans doute aux faits de l'espèce. Toutefois, ce choix
terminologique en dit long sur la faveur manifestée
pour la libéralité entre époux. Ainsi l'acte
interprétatif contesté avait pour seul effet de réduire
une libéralité excessive et la cour d'appel n'était pas
tenue de rechercher si la volonté de la testatrice
n'était pas de léguer à sa petite-fille la propriété de
la quotité disponible ordinaire.
Ce moyen était formulé par la mère de la petite-fille
gratifiée, par ailleurs fille de la testatrice. La
première chambre civile va préciser sa situation
procédurale. Cet enfant du défunt étant tenu du
legs, seule la légataire avait qualité et intérêt à
invoquer la prétendue volonté de la testatrice de
révoquer la donation consentie à son époux en
excluant l'usufruit de celui-ci sur la quotité
disponible ordinaire. Ceci renforce également
l'efficacité de la donation faite à l'époux (sur
l'ensemble de la question : V. Jubault, Les
successions, les libéralités, Montchrestien-Lextenso,
2e éd., nos 497 s.).
Mandat à effet posthume :
les pouvoirs du mandataire
précisés
Civ. 1re, 12 mai 2010, n° 09-10.556
Les pouvoirs d'administration ou de gestion
qui peuvent être conférés au mandataire
posthume ne lui permettent pas de s'opposer à
l'aliénation par les héritiers des biens
mentionnés dans le mandat, laquelle constitue
l'une des causes d'extinction de celui-ci.
Par cet arrêt du 12 mai 2010 destiné à connaître
une diffusion élargie (classement en P+B+I), le
mandat à effet posthume fait son apparition sur la
scène jurisprudentielle (sur le mandat à effet
posthume, V. not. Casey, Le mandat posthume, Dr.
fam. 2006. Éudes n° 53 ; M. Grimaldi, Le mandat à
effet posthume, Defrénois 2007, art. 38509 ; A.
Aynés, L'administration de la succession pour
autrui, JCP N 2008, n° 29, 1246). Lors de sa
création par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006
portant réforme des successions, le mandat à effet
posthume a pu paraître novateur. Organisé par les
Page
I7
articles 812 et suivants du code civil, il permet, en
présence d'un intérêt sérieux et légitime au regard
de la personne de l'héritier ou du patrimoine
successoral, de faire administrer la succession par
une personne autre que l'héritier (V. Goré, in Dalloz
Action 2008/2009, Droit patrimonial de la famille,
dir. M. Grimaldi, n° 247.01). En ce sens, il déroge à
la saisine héréditaire et donc au principe de gestion
de la succession par les héritiers eux-mêmes. Le
mandataire doit être désigné dans un acte
authentique par le de cujus, de son vivant. Il doit
accepter le mandat du vivant du mandant.
Des questions sont pourtant restées en suspend.
Ainsi cet arrêt détermine précisément l'étendue des
pouvoirs du mandataire posthume. Ce dernier ne
dispose pas du pouvoir de s'opposer à l'aliénation
par les héritiers des biens mentionnés dans le
mandat. La solution est d'autant plus intéressante
qu'elle intervient dans un contexte de croisement
entre le mandat à effet posthume et la
représentation juridique des mineurs. La présente
espèce se caractérisait par une confrontation entre
les pouvoirs d'un administrateur légal sous contrôle
judiciaire, en l'occurrence le père de deux enfants
mineurs, et les pouvoirs du mandataire posthume.
Avant son décès, la mère des deux enfants avait en
effet institué son propre père mandataire posthume
à l'effet de faire tous actes d'administration et de
gestion de toute sa succession dans l'intérêt et pour
le compte de ses héritiers.
D'emblée, il faut souligner que l'efficacité du mandat
à effet posthume ne sort guère renforcée de l'arrêt.
Ce dernier rappelle que l'aliénation par les héritiers
des biens mentionnés dans le mandat constitue une
cause d'extinction de celui-ci, conformément à
l'article 812-4 du code civil. Partant, le mandataire
ne pouvait s'opposer à l'aliénation des biens par les
héritiers.
Pleinement justifiée au regard des textes, la solution
semble amenuiser l'utilité même du mandat à effet
posthume. Au regard des textes, la cassation est
prononcée au visa des articles 812, 812-2, 812-4 et
389-3 du code civil, pour refus d'application des
trois premiers textes et fausse application du
quatrième. De toute évidence, la Cour de cassation
a entendu déterminer avec précision le régime
juridique du mandat à effet posthume. Plus
exactement, elle cantonne les pouvoirs du
mandataire
posthume
aux
simples
pouvoirs
d'administration et de gestion, au sens strict. Ce
faisant, elle livre une lecture restreinte de l'article
812 du code civil qui mentionne ces deux pouvoirs
en son alinéa premier. Le tribunal d'instance s'était
quant à lui référé à la finalité même du mandat à
effet posthume, à savoir la gestion des biens dans
l'intérêt de la succession, pour décider que la vente
pouvait être considérée comme un acte utile dans
l'intérêt de la succession et des héritiers. Cet acte et
l'opposition à cet acte pouvaient ainsi, selon le
jugement, être décidés par le mandataire posthume.
Il s'agissait d'assurer la gestion - largement
entendue - de la succession.
OMNIDROIT
I Newsletter N°102 I 09.06.2010
La première chambre civile casse le jugement.
L'aliénation des biens mentionnés dans le mandat
constituant l'une des causes d'extinction de ce
dernier, le mandataire posthume, qui ne bénéficie
que des pouvoirs d'administration ou de gestion, ne
peut pas s'y opposer.
Une telle solution s'explique sans doute par le
caractère dérogatoire du mandat à effet posthume
(V. supra). Il s'agit de limiter ainsi l'atteinte portée
à la règle de gestion de la succession par les
héritiers personnellement.
Cela étant, cette dérogation poursuit une finalité
d'efficacité
économique.
La
situation
est
particulièrement délicate lorsque l'héritier est
mineur, comme en l'espèce, ou quand il s'agit d'un
majeur faisant l'objet d'une mesure de protection.
L'article 812-1 du code civil dispose que « le
mandataire exerce ses pouvoirs alors même qu'il
existe un mineur ou un majeur protégé parmi les
héritiers ». Cela étant, le juge des tutelles dispose,
à l'article 812-4 du code civil, du pouvoir de mettre
fin au mandat, en cas de mesure de protection.
Le présent arrêt démontre que l'aliénation du bien
par
l'administrateur
légal,
effectuée
avec
l'autorisation du juge des tutelles, neutralise les
pouvoirs du mandataire posthume en mettant fin au
mandat.
Ceci n'avait pas échappé à une partie de la doctrine
qui, au-delà de l'hypothèse de l'héritier protégé, a
pu souligner que l'aliénation des biens constitue
« pour les héritiers un moyen de faire échec au
mandat à effet posthume, sauf à ce que le de cujus
ait stipulé une clause d'inaliénabilité dans les
conditions de l'article 900-1 du Code civil » (V.
Goré, in Dalloz Action, préc., n° 247-24). De même,
« il n'est ensuite pas impossible que les héritiers
cherchent à mettre fin au mandat en vendant les
biens de la succession. On voit là les limites d'un
procédé qui tend à dessaisir les héritiers sans leur
accord » (Leroyer, commentaire de la loi du 23 juin
2006, RTD civ. 2006. 612). Le propos se vérifie
parfaitement dans le présent arrêt, dans l'hypothèse
d'une représentation de l'héritier mineur.
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I8
Résistance des coïndivisaires
à l'action en partage exercée
par le liquidateur judiciaire
Civ. 1re, 27 mai 2010, n° 09-11.460
Pour arrêter l'action en partage en acquittant
le montant de la dette du débiteur, les
coïndivisaires doivent être en mesure de
connaître le montant actualisé de la dette
qu'ils devraient payer.
L'article 815-17, alinéa 3, du code civil interdit aux
créanciers personnels d'un indivisaire de saisir la
part indivise de leur débiteur. Mais, en contrepartie,
il les autorise à provoquer le partage au nom de ce
dernier.
Les coïndivisaires ne sont toutefois pas désarmés
contre ce risque, puisque la suite de cet alinéa leur
donne la possibilité « d'arrêter le cours de l'action en
partage en acquittant l'obligation au nom et en
l'acquit du débiteur ». Ils peuvent donc arrêter
l'action en partage en payant la dette du débiteur ;
ce qui n'est qu'une application des principes du droit
des obligations (V. C. Brenner, Rép. civ., Dalloz, v°
Partage [2° droit commun], nos 145 s.).
Quelles sont les conditions de cette opposition au
partage ? Cette protection offerte aux indivisaires
est-elle opposable à la demande formée par un
mandataire liquidateur d'un indivisaire ? C'est à ces
questions, auxquelles la jurisprudence a apporté
quelques réponses, que le présent arrêt apporte une
précision supplémentaire.
Il a d'abord été décidé qu'il ne peut être mis
obstacle au partage que si le paiement porte sur
l'ensemble de la dette du débiteur et seulement sur
le montant correspondant à sa part dans l'indivision
(Versailles, 21 mars 1983, Defrénois 1983. 1358,
obs. Champenois).
De cette première solution, une seconde en a été
logiquement déduite : si le coïndivisaire ne peut
arrêter le cours de l'action qu'en payant la totalité
de la dette du débiteur, il est indispensable qu'il
puisse connaître précisément l'étendue de cette
dette. C'est dans ce sens que la Cour de cassation a
décidé que le partage demandé par le mandataire
liquidateur d'un indivisaire devait être rejeté
lorsque, la décision définitive d'admission des
créances au passif de la liquidation judiciaire n'étant
pas encore intervenue, les coïndivisaires du débiteur
n'étaient pas en mesure de connaître le montant de
la dette qu'ils devraient acquitter pour arrêter le
cours de l'action (Civ. 1re, 20 déc. 1993, Bull. civ. I,
no 378 ; D. 1994. Jur. 358, note Derrida et
OMNIDROIT
I Newsletter N°102 I 09.06.2010
Honorat ; ibid. 1995. Somm. 339, obs. Lucet ; JCP
1994. I. 3791, no 4, obs. Le Guidec ; RTD civ. 1994.
393, obs. Patarin ; ibid, 895, obs. F. Zénati). La
présente
espèce
apporte
une
précision
supplémentaire à cette jurisprudence.
Les faits de l'arrêt du 27 mai 2010 sont similaires à
l'espèce du 20 décembre 1993. Près de dix ans
après leur divorce, deux ex-époux ont acquis en
indivision deux terrains sur lesquels ils ont fait bâtir
un immeuble. Quelques mois plus tard, l'ex-mari
fait l'objet d'une procédure de redressement
judiciaire, convertie en liquidation judiciaire. En
1998, le liquidateur, provoque le partage afin de
recouvrer l'actif que représente la part indivise de
l'immeuble. En réponse, l'ex-épouse coïndivisaire
use de la possibilité que lui offre l'article 815-17,
alinéa 3, et propose, pour arrêter le cours de
l'action, d'acquitter l'obligation du débiteur. C'est
sur ce point que porte le litige.
La procédure devant la cour d'appel ayant lieu en
2008, l'épouse demandait une expertise, afin de
déterminer le montant actualisé de l'obligation de
son ex-époux, compte tenu des actifs et créances
recouvrés depuis le jugement d'ouverture. La cour
d'appel refuse cette expertise, jugeant que le passif
du débiteur a été vérifié, admis et publié au
BODACC en 2002 et qu'il n'a fait l'objet d'aucun
recours. Cet arrêt est censuré par la Cour de
cassation, qui décide qu'en refusant cette expertise,
en l'absence de justification par le liquidateur du
montant du passif restant dû, la coïndivisaire n'était
pas en mesure d'exercer la faculté lui étant
reconnue d'arrêter le cours de l'action en partage en
offrant d'acquitter cette somme.
La solution confirme donc l'arrêt du 20 décembre
1993, dont la solution est d'ailleurs reprise dans le
chapeau de la décision : « attendu […] que
l'exercice de [l'action en partage] suppose que les
coïndivisaires connaissent le montant de la dette
qu'ils devraient payer pour arrêter le cours de
l'action ». Mais l'arrêt du 27 mai 2010 apporte une
précision importante, puisqu'il exige que le montant
de la dette soit actualisé, si nécessaire par
expertise,
pour
que
l'indivisaire
connaisse
précisément le montant de la dette. Cette solution
est dans la logique de la précédente. Plusieurs
années se sont écoulées depuis le jugement
d'ouverture et le coïndivisaire ne peut pas s'engager
à régler une dette dont il ne connaît pas
précisément le montant. Dès lors, comment lui
refuser cette expertise ? Il ne faudrait pas toutefois
que cette solution encourage des demandes
dilatoires, qui n'auraient d'autre finalité que de
retarder la liquidation, sans que le coïndivisaire n'ait
réellement l'intention de s'acquitter de la dette.
Page
I9
Dépollution d'une installation
classée par le locataire
commercial évincé
Partant, il est déclaré redevable d'une indemnité
d'occupation jusqu'à la date à laquelle il a justifié
avoir pris les mesures lui incombant (sur la nature
mixte,
compensatoire
et
indemnitaire,
de
l'indemnité d'occupation, V., par ex. Com. 26 mai
1961, Bull. civ. III, n° 233 ; Civ. 3e, 17 déc. 2002,
AJDI 2003. 272, obs. Ascensi).
Civ. 3e, 19 mai 2010, n° 09-15.255
En sa qualité de dernier exploitant d'une
installation classée, il incombe au preneur
évincé d'assurer la dépollution du site loué. À
défaut, il est redevable d'une indemnité
d'occupation.
Le simple fait, pour un locataire, de quitter
matériellement les locaux donnés à bail ne constitue
pas nécessairement une restitution juridique des
lieux.
Valable en droit commun du bail (exigeant une
libération totale des lieux et la restitution de toutes
les clés, V. not. Civ 3e, 13 oct. 1999, Bull. civ. III, n
° 202 ; D. 1999. AJ 87, obs. Y. R. ; Gaz. Pal. 1999.
2. Pan. 275), cette affirmation prend une dimension
particulière lorsque la location s'inscrit dans le cadre
d'une installation classée pour la protection de
l'environnement.
En effet, dans ce contexte, le preneur ne sera réputé
avoir restitué les lieux qu'une fois que, de surcroît, il
se sera acquitté, en sa qualité de « dernier
exploitant », de son obligation de dépollution (dans
ce sens, V. not. Civ 3e, 10 avr. 2002, Bull. civ. III, n
° 84 ; AJDI 2002. 843, obs. Wertenschlag ; Rev.
loyers 2002. 407, obs. Quément ; 2 avr. 2008, Bull.
civ. III, n° 63 ; D. 2008. 1146, obs. Forest ; ibid.
2008. Pan. 2458, obs. Mallet-Bricout et ReboulMaupin ; ibid. 2008. Jur. 2472, note Trébulle ; AJDI
2009. 210, note Wertenschlag ; sur le responsable
de la dépollution d'un site en cas de succession
d'occupants, V. Civ 3e, 17 déc. 2002, AJDI 2003.
105, obs. Wertenschlag ; 9 avr. 2008, D. 2008. AJ
1275, obs. Forest).
Le principal intérêt de l'arrêt de rejet rapporté est de
préciser que cette obligation de mise en sécurité du
site (s'agissant d'une mise à l'arrêt définitif, en vertu
de l'art. R. 512-74 c. envir.) s'impose au preneur qui
ne quitte les lieux ni ne cesse son activité de son
plein gré, mais en application d'un congé délivré par
le bailleur, emportant refus de renouvellement.
En l'occurrence, si le locataire commercial évincé
(avec offre d'indemnité d'éviction) exploitant un
garage automobile avec station-service avait, lors
de son départ, produit un certificat de dégazage
(moyen, p. 5), il n'avait satisfait aux dispositions
d'un arrêté du 22 juin 1998 (imposant la
neutralisation définitive de l'installation) qu'un an
plus tard.
OMNIDROIT
I Newsletter N°102 I 09.06.2010
Garde à vue : l'information
immédiate du procureur de
la République n'est soumise
à aucune forme
Crim. 14 avr. 2010, n° 10-80.562
L'information du procureur de la République
relative au placement d'une personne en garde
à vue peut résulter d'un « billet de garde à
vue » télécopié dès la privation de liberté. Dès
lors, il importe peu que les mentions du
procès-verbal fassent apparaître un retard de
trois heures.
Alors que la procédure relative à la garde à vue fait
l'objet de plusieurs questions prioritaires de
constitutionnalité (V. not. P. Cassia, La garde à vue
inconstitutionnelle ? D. 2010. Point de vue 590), la
Cour de cassation rejette ici un moyen tiré de
l'information tardive du procureur de la République.
Ainsi que le mentionnait le procès-verbal de garde à
vue, le magistrat avait pourtant été prévenu du
placement de X en garde à vue plus de trois heures
après le début de la mesure, aucune circonstance
insurmontable n'étant avancée pour expliquer ce
retard. Selon une jurisprudence bien établie, une
telle irrégularité est normalement sanctionnée par la
nullité en ce qu'elle « fait nécessairement grief à
l'intéressé » (Crim. 10 mai 2001, Bull. crim. n
° 119 ; Procédures 2001. Comm. 184, obs.
Buisson). La chambre de l'instruction, approuvée
par la Cour de cassation, a cependant refusé
d'annuler la procédure après avoir exhumé du
dossier un « billet de garde à vue », manifestement
télécopié au procureur de la République trois
minutes après le début de la mesure privative de
liberté. Le contenu de ce document n'apparaît pas
explicitement, la chambre de l'instruction soulignant
même qu'il ne pouvait en être tiré « aucune
conviction quant à une information régulière et
immédiate du procureur », ce qui ne l'empêcha pas
d'affirmer
que
« le
procureur
avait
été
régulièrement informé de la mesure prise à
l'encontre de M. X... dès le début de celle-ci ». La
Page
I 10
Cour de cassation ne relève pas la contradiction et
précise que l'information faite au parquet en vertu
de l'article 63 du code de procédure pénale n'est
soumise à aucune forme. Sans répondre au pourvoi
qui, s'inspirant de la jurisprudence européenne
(CEDH 10 juill. 2008, n° 3394/03, D. 2008. Jur.
3055, note Hennion-Jacquet ; ibid. 2009. Jur. 600,
note Renucci ; RSC 2009. 176, obs. Marguénaud ;
AJ pénal 2008. 469, obs. Saas ; CEDH, gr. ch., 29
mars 2010, n° 3394/03, D. 2010. Point de vue 970,
obs. Rebut), tendait à remettre en cause
l'indépendance du parquet à l'égard de l'exécutif,
elle ajoute que l'information résultant du « billet de
garde à vue » a permis au procureur de la
République d'exercer son contrôle. La solution ne
revient donc pas sur la présomption de grief
précédemment formulée. Pragmatique et peu
respectueuse
du
formalisme,
elle
contribue
cependant à relativiser, voire à fragiliser, l'obligation
d'information au parquet ainsi que la force probante
du procès-verbal de garde à vue.
La Cour de cassation écarte également le deuxième
moyen de cassation, lequel faisait état des
conséquences
d'une
éventuelle
déclaration
d'inconstitutionnalité sur la procédure en cours.
au Conseil constitutionnel. C'est une réponse
négative qui va prévaloir aux motifs, d'une part,
que la question ne porte pas sur l'interprétation
d'une disposition constitutionnelle dont le conseil
n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application
et donc n'est pas nouvelle et, d'autre part, que la
décision 86-713 du Conseil constitutionnel du 3
septembre 1986 a déclaré conforme à la
constitution l'article 706-25 qui renvoie aux
dispositions de l'article contesté.
En effet, dans la décision citée le Conseil
constitutionnel considère que la différence de
traitement ne procède pas d'une discrimination
injustifiée, « que la cour d'assises instituée par
l'article 698-6 du code de procédure pénale
présente les garanties requises d'indépendance et
d'impartialité ; que devant cette juridiction les droits
de la défense sont sauvegardés ; que, donc le
moyen tiré de la méconnaissance du principe
d'égalité devant la justice doit être écarté ». Il se
prononce ainsi explicitement sur le caractère
constitutionnel de l'article et le refus de
transmission des juges de la Haute cour est donc,
tout à fait justifié. Cependant, n'est pas abordée la
question de la violation de la présomption
d'innocence. On peut déplorer cet élément dans la
mesure où la substitution de la majorité simple à la
majorité qualifiée est de nature à porter atteinte à
ce principe en en atténuant la portée puisque d'une
certaine façon, le doute va moins profiter à l'accusé.
Mais cette question, pour l'heure, ne sera pas
tranchée.
Terrorisme et procédure
dérogatoire à l'épreuve de la
QPC
Crim. 19 mai 2010, n° 09-82.582
La Cour de cassation transmet au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de
constitutionnalité.
La législation d'exception destinée à lutter contre le
terrorisme est source de multiples interrogations dès
qu'elle se confronte au respect des droits de
l'Homme. Rien d'étonnant alors qu'une disposition
fasse
l'objet
d'une
question
prioritaire
de
constitutionnalité (QPC). En l'espèce, c'est l'article
698-6 du code de procédure pénale qui est critiqué.
Ce dernier prévoit que l'accusé d'un acte de
terrorisme à la différence de tout accusé de droit
commun se voit refuser le droit que les réponses
défavorables données aux questions soient acquises
à une majorité qualifiée. Cette disposition est-elle
conforme aux articles 6 et 9 de la déclaration des
droits de l'Homme et du citoyen de 1789 qui
garantissent respectivement l'égalité devant la loi et
la présomption d'innocence ? Telle était la question
que la Cour de cassation devait ou non transmettre
OMNIDROIT
I Newsletter N°102 I 09.06.2010
Interdiction de territoire en
raison d'opinions
controversées : violation de
la liberté d'expression
CEDH 20 mai 2010, n° 2933/03
L'interdiction
de
territoire
fondée
sur
l'expression
d'opinions
controversées
méconnaît l'article 10 de la Convention
européenne des droits de l'homme.
Par un arrêt du 20 mai 2010, la Cour européenne
des droits de l'homme juge contraire à l'article 10
l'interdiction de territoire opposée par la Turquie à
une universitaire américaine ayant exprimé des
opinions sur les questions kurde et arménienne. La
requérante, ressortissante américaine qui avait
enseigné en Turquie dans les années 1980, avait
Page
I 11
fait l'objet d'une interdiction de territoire en 1986 en
raison de déclarations qu'elle avait faites devant des
étudiants et des collègues relativement aux
questions kurde et arménienne. Décision qu'elle
avait vainement tenté de contester devant les
juridictions administratives turques en 1996, à la
suite d'une nouvelle expulsion. Devant la Cour de
Strasbourg, elle se plaignait d'avoir subi un
traitement injustifié en raison de sa religion et
soutenait que le fait d'avoir exprimé son opinion sur
ces questions, à l'université, ne pouvait justifier
aucune sanction.
La Cour européenne examine ces griefs sous l'angle
de l'article 10 seulement, la requérante n'ayant
fourni aucun élément à l'appui de son allégation de
violation de l'article 9 (liberté de religion). Elle
rappelle d'abord que si le droit des non-nationaux
d'entrer sur le territoire d'un État n'est pas, en tant
que tel, garanti par la Convention, les restrictions à
l'immigration doivent cependant être appliquées de
manière conforme aux obligations qu'elle pose (§ 27
; V. déjà, CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales
and Balkandali c. Royaume-Uni, Série A n° 94,
§§ 59-60 ; 27 avr. 1995, Piermont c. France, Série
A n° 314, §§ 51-53, D. 1996. Somm. 193, obs.
Rideau). Elle convient ensuite que l'ingérence subie
par la requérante dans son droit à la liberté
d'expression reposait sur une base légale et visait
un but légitime : la protection de la sûreté ou de
l'intégrité nationales (§ 34). Sur le caractère
nécessaire
de
celle-ci
dans
une
société
démocratique, elle relève cependant que la
requérante n'avait commis aucune infraction en
exprimant les opinions en cause, lesquelles avaient
trait à des sujets qui font encore l'objet d'un débat
enflammé non seulement en Turquie mais encore au
niveau
international.
Ne
décelant,
dans
l'argumentation des juridictions nationales, aucun
élément permettant de comprendre la dangerosité
des opinions exprimées pour la sûreté du pays, la
Cour que celles-ci n'ont pas avancé de motif
pertinent et suffisant pour justifier l'interdiction et
que la mesure était simplement destinée à
empêcher la propagation de certaines idées. La
violation de l'article 10 est constatée à l'unanimité.
Cette affaire permet à la Cour de rappeler, dans le
contexte particulier du droit des étrangers, le fait
que, dans une société démocratique régie par le
pluralisme, la tolérance et l'ouverture d'esprit, la
liberté d'expression, telle que garantie par l'article
10, vaut non seulement pour les idées accueillies
avec faveur mais aussi pour celles qui heurtent,
choquent et inquiètent (V. déjà, cité par la Cour au
§ 38, CEDH, 18 mai 2004, Éditions Plon c. France,
Rec. CEDH, p. 2004-IV, D. 2004. Jur. 1838, note
Guedj ; ibid. 2004. Chron. 2539, obs. Fricéro ; V.
aussi, CEDH, 23 sept. 1998, Lehideux c. France,
Rec. CEDH, p. 1998-VII ; D. 2009. Jur. 223, note
Rolland).
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I Newsletter N°102 I 09.06.2010
L'indemnité de rupture
anticipée d'un CDD est
imposable en totalité
CE 5 mai 2010, n° 309803
L'indemnité allouée au salarié à la suite de la
rupture anticipée d'un contrat de travail à
durée déterminée (CDD) est imposable dans
sa totalité.
1. Le principe posé par la loi est clair : à
l’exception de celles limitativement énumérées,
toute indemnité perçue à l’occasion de la rupture
d’un contrat de travail revêt un caractère
imposable.
Or, l’indemnité que l’employeur est tenu de verser
au salarié en cas de rupture anticipée injustifiée
d’un contrat de travail à durée déterminée, qui
correspond aux rémunérations que le salarié
concerné aurait perçues jusqu'au terme du
contrat, ne figure pas au nombre de ces
indemnités partiellement ou totalement exonérées
d’impôt sur le revenu. Elle est donc toujours
intégralement imposable (en tant que compensation
d'une perte de salaire).
2. Un contribuable ne peut donc pas obtenir gain de
cause en soutenant qu’une partie de l’indemnité,
perçue lors de la rupture anticipée de son CDD,
réparait un préjudice distinct de la seule perte de
revenus et qu’elle devait, à ce titre, être exonérée,
au moins partiellement, d’impôt sur le revenu.
Il est vrai que, jusqu’à l’intervention du législateur,
le juge fiscal acceptait d'exonérer une partie de
cette indemnité si le salarié établissait avoir subi du
chef de la rupture anticipée un préjudice autre que
la perte du salaire (préjudice moral, atteinte à la
réputation professionnelle, etc.).
Mais les dispositions claires de la loi, en vigueur
depuis le 1er janvier 1999, ne permettent plus une
telle interprétation libérale.
3. L’administration
est
heureusement
plus
souple : elle admet que la seule fraction de
l’indemnité correspondant aux rémunérations que le
salarié aurait perçues jusqu’au terme du contrat est
imposable.
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I 12
Le fisc peut, sous condition,
notifier l'avis de la
commission de conciliation à
un seul cohéritier
Com. 7 avril 2010, n° 09-14.516
serait pas tenue de notifier un acte de procédure à
l'ensemble des personnes qui peuvent être
poursuivies si le débiteur solidaire destinataire de
l'acte se présente comme représentant ses
codébiteurs.
Reste toutefois à déterminer quels sont les éléments
ou indices de cette représentation. Si la preuve d'un
mandat exprès donné à l'un des codébiteurs ne
semble pas exigée, suffit-il que le débiteur en cause
se déclare le représentant des autres ? Dans
l'affirmative, cette déclaration devrait-elle être
réitérée à chaque acte de la procédure ou serait-elle
valable pour l'ensemble de la procédure ?
La Cour de cassation applique le principe selon
lequel l'administration doit notifier les actes de
procédure
à
l'ensemble
des
débiteurs
solidaires. Elle réserve toutefois l'hypothèse
d'une représentation des codébiteurs par l'un
d'entre eux.
1. Il est acquis que l'administration peut notifier un
redressement en matière de droits d'enregistrement
à
l'un quelconque des
débiteurs
solidaires
(notamment Com. 15 mars 1988, Sté Ingebat ; 15
mars 1994, n° 709 D).
En 2008, la Cour de cassation a posé une règle
novatrice
:
le
principe
d'une
procédure
contradictoire et la loyauté des débats obligent
l'administration, postérieurement à la notification
des redressements, à notifier à l'ensemble des
personnes qui peuvent être poursuivies les actes de
la procédure les concernant. A défaut, l'ensemble de
la procédure est irrégulier (Com. 18 nov. 2008, n°
07-19.762, DGI c/ Marie).
Des doutes sur la portée de cet arrêt sont toutefois
nés d'une décision, rendue peu de temps après, par
laquelle la Cour a admis que la mise en demeure de
souscrire une déclaration de succession peut être
notifiée à un seul des codébiteurs solidaires (Com. 2
déc. 2008 n° 07-19.845).
2. La Cour de cassation lève une partie de ces
doutes : elle applique le principe posé par l'arrêt
Marie,
tout
en
prévoyant
une
possible
représentation des codébiteurs par l'un d'entre eux.
Elle juge ainsi que l'administration ne peut pas se
contenter de notifier l'avis de la commission
départementale de conciliation à un seul des
débiteurs solidaires lorsque celui-ci ne s'est pas
présenté devant la commission comme représentant
ses cohéritiers.
Cette solution retenue pour l'avis de la commission
nous paraît applicable aux autres actes de procédure
(hormis la proposition de rectification), notamment
la réponse aux observations formulées par le
destinataire de la proposition.
3. En réservant l'hypothèse d'une représentation
des codébiteurs par l'un d'entre eux, le présent arrêt
tempère les conséquences de la jurisprudence
Marie, très lourdes pour l'administration. Elle ne
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I Newsletter N°102 I 09.06.2010
Un terrain inclus dans une
« zone verte » du PLU n'est
pas nécessairement
inconstructible
CE 26 mai 2010, n° 320780
La
délimitation,
dans
les
orientations
d'aménagement du PLU présentées sous forme
graphique, d'une zone dite « verte » au sein
d'une zone AU ne suffit pas à lui conférer un
caractère inconstructible.
Pour protéger de l'urbanisation un espace vert à
travers le PLU, une commune dispose de plusieurs
possibilités. Elle peut :
- délimiter une zone naturelle à protéger ;
- fixer un emplacement réservé aux espaces verts,
en application de l'article L. 123-1, 8°, du code de
l'urbanisme ;
- ou encore classer le secteur concerné en espace
boisé, au sens de l'article L. 130-1 du code de
l'urbanisme.
En revanche, la délimitation, dans les documents
graphiques
présentant
les
orientations
d'aménagement du PLU, d'une « zone verte » au
sein d'une zone à urbaniser AU ne suffit pas à lui
conférer un caractère inconstructible.
En l'espèce, la zone verte identifiée sous forme
graphique n'avait fait l'objet d'aucune de ces trois
mesures de protection.
Le requérant, propriétaire de parcelles dans ce
secteur, s'était vu refuser deux permis de construire
pour l'édification de deux maisons d'habitation. Or,
le règlement de la zone AU (définie comme un
secteur naturel destiné à être ouvert à l'urbanisation
Page
I 13
sans modification préalable du plan) ne précisait pas
que les zones dites « vertes » seraient affectées
exclusivement à la réalisation d'espaces verts. En
outre, il ne mentionnait pas la construction de
maisons d'habitation au titre des occupations et
utilisations interdites ou soumises à des conditions
particulières. Dès lors, les juges d'appel et de
première instance ont commis une erreur de droit en
jugeant que le règlement de la zone AU du PLU qui
complétait l'orientation d'aménagement de la zone
verte affectée à la réalisation d'espaces verts, ne
permettait pas d'y réaliser des maisons d'habitation.
Le Conseil d'état fait ici prévaloir les dispositions du
règlement de la zone sur les orientations
d'aménagement présentées sous forme graphique.
Si la commune souhaite empêcher l'urbanisation
d’un secteur, elle doit donc le prévoir expressément.
La Haute juridiction applique ainsi aux orientations
d'aménagement la jurisprudence précédemment
établie sous le régime des POS, en vertu de laquelle
le règlement prime sur les documents graphiques.
Les représentations graphiques du POS ne peuvent,
par elles-mêmes, créer des règles ou servitudes
relatives à l'utilisation du sol. Celles-ci ne peuvent
résulter que des dispositions réglementaires (CE,
17 nov. 1999, n° 186258, Fosto).
La solution n'était pourtant pas évidente. On
relèvera, tout d'abord, qu'en application de l'article
L. 123-5 du code de l'urbanisme, les constructions
doivent être compatibles avec les orientations
d'aménagement du PLU et avec leurs documents
graphiques. Par ailleurs, le règlement du PLU
prévoyait,
en
l'espèce,
que
l'ouverture
à
l'urbanisation se ferait en compatibilité avec les
orientations d'aménagement.
QPC sur la procédure de
consultation des électeurs
sur les projets de fusion de
communes
CE 18 mai 2010, n° 306643
Le Conseil constitutionnel devra se prononcer
sur la constitutionnalité des articles L. 2113-3
et L. 2113-2 du code général des collectivités
territoriales
(CGCT)
qui
organisent
la
procédure de consultation des électeurs sur
les projets de fusion de communes
Le
Conseil
d'État
a
renvoyé
au
Conseil
constitutionnel, le 18 mai 2010, une question
prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur les articles
L. 2113-3 et L. 2113-2 du code général des
collectivités territoriales (CGCT). Ces articles
organisent la procédure de consultation des
électeurs sur les projets de fusion de communes.
En l'espèce, les communes de Dunkerque, FortMardyck et Saint-Pol-sur-Mer avaient souhaité
fusionner. Une consultation de la population avait
été organisée et, si la majorité des votants avaient
approuvé cette fusion, leur nombre était toutefois
inférieur au quart des électeurs inscrits requis par
l'article L. 2113-3 CGCT. Le préfet avait refusé de
donner suite au projet. Les trois conseils
municipaux ont opté à nouveau pour la fusion et ont
saisi le préfet pour qu'il la prononce sur le
fondement des articles L. 2113-1 et L. 2113-5
CGCT. Mais ces dispositions devaient cesser d'être
en vigueur quatre jours plus tard et le préfet a une
seconde fois refusé. La commune de Dunkerque a
déféré les deux refus du préfet, sans succès, aux
juges du fond (V. CAA Douai 12 avr. 2007,
Commune de Dunkerque, AJDA 2007. 1260).
À l'occasion de son pourvoi en cassation, la
commune de Dunkerque a soulevé une QPC sur ces
deux dispositions. Le Conseil d'État a estimé « que
[…]l'article L. 2113-2 du CGCT, dans sa rédaction
issue de l'article 123 de la loi n° 2004-809 du 13
août 2004, et l'article L. 2113-3 du même code sont
applicables au litige au sens et pour l'application de
l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;
que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées
conformes à la Constitution par le Conseil
constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles
portent atteinte aux droits et libertés garantis par la
Constitution, et notamment aux dispositions du
dernier alinéa de l'article 72-1 de la Constitution
dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n
° 2003-276 du 28 mars 2003 ainsi qu'au principe de
libre administration des collectivités territoriales,
soulève une question présentant un caractère
sérieux ».
OMNIDROIT
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Etude en avant-première
Donation de fruits, d'usufruit ou d'usufruit d'usufruit :
conséquences successorales
Par Marc Iwanesko, notaire à Toulouse
Alors qu'elles aboutissent à un résultat économique comparable, ces trois catégories de
donations font l'objet d'un traitement radicalement différent au décès du donateur. Selon le cas,
en effet, le donataire sera ou non tenu au rapport.
1. Pour diverses raisons, les parents peuvent souhaiter conférer temporairement des revenus à
leurs enfants tout en se réservant la faculté de retrouver ces revenus au terme convenu.
Qu'il s'agisse de financer les études des enfants ou de les aider à financer une acquisition, divers modes
opératoires sont envisageables selon que les parents sont propriétaires ou simples usufruitiers d'actifs
frugifères. Mais leurs conséquences doivent être appréciées au regard du règlement de la succession
future. En effet, pour une même valeur transmise, selon que la donation portera sur les fruits ou sur les
usufruits, le résultat sera radicalement différent.
On envisagera donc successivement la situation juridique créée selon que les parents auront effectué une
donation de revenus, une donation d'usufruit à durée limitée ou une donation d'usufruit d'usufruit.
I. La donation de fruits et revenus
2. En pratique, ces donations demeurent le plus souvent occultes et sont opérées sans l'assistance
d'aucun conseil.
Leurs modalités pratiques sont diverses : virements bancaires, appréhension des revenus d'un bien dont le
donateur a la propriété ou s'est réservé l'usufruit (sur les désagréables conséquences fiscales qui en
découlent pour le nu-propriétaire : TA Strasbourg 2-7-2009 n° 06-1713, 3e ch. : BPAT 2/2010 inf. 115, RJF
4/10 n° 360) ou fourniture gratuite de logement par les parents à leurs enfants.
3. Les conséquences successorales qui résultent de ces donations sont généralement ignorées tant
des donateurs que des donataires.
Or, la loi 2006-728 du 23 juin 2006 a consacré le rapport de la donation de fruits et revenus dans le but
de préserver l'égalité entre héritiers. L'alinéa 2 de l'article 851 du Code civil dispose à cet effet que le
rapport « est également dû en cas de donation de fruits ou de revenus, à moins que la libéralité n'ait été
faite expressément hors part successorale », confirmant en cela la jurisprudence antérieure (Cass. 1e
civ. 14-1-1997 n° 94-16.813 : Bull. civ. I n° 22, Defrénois 1997 art. 36650 p. 1136 note Ph. Malaurie, RTD
civ. 1997 p. 480 obs. J. Patarin ; Cass. 1e civ. 8-11-2005 n° 03-13.890 « …même en l'absence d'intention
libérale établie, le bénéficiaire d'un avantage indirect en doit compte à ses cohéritiers » : Bull. civ. I n° 409,
D. 2006 pan. p. 2072 obs. M. Nicod ; V. Barabé-Bouchard, Occupation gratuite d'un logement par un
héritier, de la dispense systématique de rapport au rapport systématique ? JCP N 2006 n° 24 p. 1220).
En pratique, « Ce rapport ne devrait cependant pas intervenir s'agissant de donations modiques, qui
échappent au statut complexe des libéralités. Cependant, une libéralité peut, quoique prélevée sur les
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revenus, ne pas être modique et donner lieu à rapport, tout comme une libéralité peut, quoique prélevée
sur le capital, rester modique et ne pas être rapportable » (Rapport H. de Richemont : Doc. Sénat n° 343
tome I, session ord. 2005-2006 p. 182).
4. Les donations de fruits ou de revenus sont donc en principe rapportables, qu'elles soient ostensibles
ou non. La règle vaut en effet également pour les donations manuelles, déguisées ou indirectes qui
procurent des revenus ou économies de revenus (B. Vareille, Nouveau rapport, nouvelle réduction : D 2006
p. 2565 s., spéc. N° 19).
Il n'en irait autrement qu'en raison de la modicité de la libéralité consentie (N. Peterka, Donation de fruits
et revenus : J.-Cl. Not. Form. fasc. 20 Successions – Rapport des libéralités – Généralités et domaine
d'application, spéc. n° 51) ou si le défunt avait dispensé le donataire du rapport (C. civ.art 851, al. 2).
Etant toutefois précisé que le rapport suppose une libéralité, qui ne saurait exister lorsque les parents ne
font qu'exécuter leur obligation alimentaire envers leurs enfants.
A toutes fins utiles, on rappellera les termes de l'article 778 alinéa 2 du Code civil aux héritiers qui auraient
une inclination naturelle à présenter des troubles de mémoire : « Lorsque le recel a porté sur une
donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans
pouvoir y prétendre à aucune part ».
5. Exemple Claude Jacobin a mis à disposition de sa fille Belle Fonbelssier sa maison de Saint-Emilion
pendant 20 ans. La valeur locative est estimée à 1 000 € / mois. A son décès, il laisse cette maison évaluée
240 000 € et ses deux filles Belle Fonbelssier et Fleur Cardinale.
1e hypothèse
Claude Jacobin n'a prévu aucune disposition particulière.
La masse à partager se compose de la maison pour 240 000 € et de l'indemnité de rapport due par Belle
égale à 240 000 € (1000 € x 12 mois x 20 ans).
Belle est allotie de son rapport en moins prenant, soit 240 000 €.
Fleur est allotie de la maison, soit 240 000 €.
2e hypothèse
Claude Jacobin a stipulé dans un testament une dispense de rapport au profit de Belle.
La donation s'impute sur la quotité disponible de 160 000 €, qu'elle épuise (en présence de deux enfants, la
quotité disponible est du tiers : C. civ. art. 913). Belle doit donc une indemnité de réduction de 80 000 €
qu'elle conserve par confusion sur elle-même. Fleur est allotie de la maison et verse une soulte à sa sœur
de 80 000 €.
II. La donation d'usufruit à durée limitée
6. A la différence de la donation de fruits qui est consentie en propriété, la donation porte ici sur l'usufruit
d'un bien.
Les avantages économiques et fiscaux
7. La faible valorisation fiscale de l'usufruit permet de conférer des revenus aux enfants avec une fiscalité
attrayante.
L'objectif recherché consiste souvent à assurer une autonomie financière aux enfants au meilleur coût
fiscal. La cession d'usufruit à durée déterminée est un moyen pertinent d'y parvenir. En effet, les parents
financent les études des enfants après paiement de l'IR, de l'ISF et des cotisations sociales. Or, il est
fiscalement préférable de transférer aux enfants le droit aux revenus du bien. Le non-rattachement de
l'enfant au foyer fiscal fera certes perdre une part ou une demi-part, mais le plafonnement des effets du
quotient familial sera très largement compensé par les économies réalisées par ailleurs.
En outre, ce montage étant fondé sur des considérations économiques (financer les études des enfants) est
à l'abri de toute remise en cause au titre de l'abus de droit sur le fondement de l'article L 64 du LPF.
8. Exemple Arnaud et Florence ont un fils, César, qui entame des études de médecine dont le coût est
estimé à 1 500 € par mois, soit 18 000 € par an.
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Le couple est propriétaire de parts de SCPI, d'une valeur de 1 000 000 €, dont le taux de rendement est de
6 %.
Les parents payent l'IR au taux marginal de 40 %, auquel il faut ajouter les prélèvements sociaux au taux
de 12,1 % sur les revenus fonciers. Compte tenu de la déductibilité partielle de la CSG (à hauteur de
5,8 %), le taux d'imposition des revenus des parts de SCPI est de 49,78 %. Le couple est en outre assujetti
à l'ISF au taux marginal de 1 %.
Pour obtenir 18 000 € après impôts, Arnaud et Florence doivent sacrifier la quasi-totalité des 60 000 € qu'ils
retirent de leurs parts de SCPI. Ces 60 000 € de revenus fonciers leur coûtent en effet 29 868 € d'IR et de
cotisations sociales et 10 000 € d'ISF. Après financement des études de César, il ne leur reste donc plus que
2 132 € par an (20 132 – 18 000). Etant précisé que les parents peuvent rattacher leur fils à leur foyer
fiscal pour bénéficier d'une demi-part supplémentaire ou déduire la pension qu'ils lui versent, l'avantage
fiscal en résultant étant dans les deux cas plafonné à 2 301 € (revenus 2009).
Arnaud et Florence donnent pour 10 ans à César l'usufruit de 400 000 € de parts de SCPI. Valeur fiscale :
92 000 €, soit 400 000 € x 23 % (CGI art 669-II). Compte tenu des abattements entre parents et enfants
(156 974 € en 2010), la donation se fait en franchise de droits de mutation. Seuls seront dus la taxe de
publicité foncière (0,715 %) et le salaire du conservateur des hypothèques (0,1 %) sur la valeur de
l'usufruit donné.
César encaisse 24 000 € de revenus fonciers sur lesquelles il paye (environ) 2 041 € d'IR (barème de l'IR
2010 sur les revenus 2009) et 2 347 € de cotisations sociales, ayant cessé d'être rattaché au foyer fiscal de
ses parents. Ses revenus nets seront donc de 19 612 € par an.
Arnaud et Florence conserveront le solde des revenus, soit 36 000 € par an. Ils payent 14 400 € d'IR et
3 521 € de cotisations sociales. L'ISF n'est plus que de 6 000 €. Après impôt, il leur restera 12 079 €.
Abstraction faite de la perte de la majoration du quotient familial ou de la déduction de la pension, le gain
fiscal annuel sera donc de 9 947 €. Sur la durée des études de César, le gain en résultant sera donc de
99 472 €.
Les conséquences successorales
9. Deux questions doivent être résolues. Les fruits perçus par l'usufruitier sont-ils rapportables ? L'usufruit
est-il lui-même rapportable ?
10. Les fruits perçus par l'usufruitier sont-ils rapportables ? L'article 856 alinéa 1 du Code civil
dispose que « Les fruits des choses sujettes à rapport sont dus à compter du jour de l'ouverture de la
succession ». Aucun rapport n'est donc dû au titre des fruits que le bien donné a pu produire entre la
donation et le décès (Cass. 1e civ. 14-1-1997 n° 94-16.813 cité par M. Grimaldi, Droit Civil Successions,
Litec 5e édition, n° 671 note 29 : « Attendu qu'aux termes de l'article 856 du Code civil, les fruits des
choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour de l'ouverture de la succession ; que cette
disposition, dérogatoire à la règle générale formulée par l'article 843, est fondée sur la volonté présumée du
donateur, dont la libéralité tournerait évidemment au détriment du donataire si ce dernier était obligé de
rapporter, non seulement, la chose donnée elle-même, mais encore tous les fruits qu'elle a produits » ; F.
Julienne : L'usufruit à l'épreuve des règlements pécuniaires familiaux, Thèse Aix-Marseille III, PUAM 2009).
Ce que confirme le commentateur d'un vieil arrêt de la Cour de cassation : « L'article 856 dispense du
rapport les fruits et revenus des choses sujettes à rapport. Il résulte de là que le donataire qui effectue le
rapport se trouve dans la situation d'un usufruitier dont le droit vient à cesser. Il restitue le bien donné, en
gardant les fruits perçus par lui. Le donataire d'un usufruit sera dans la situation de l'usufruitier d'un
usufruit. Il gardera les fruits par lui perçus en restituant le droit d'usufruit s'il subsiste encore. Il n'aura à
faire aucune restitution si le droit d'usufruit s'est éteint par le prédécès de la personne sur la tête de
laquelle il était constitué » (Flurer, sous Civ. 27-10-1886 : S 1887.1.193).
11. L'usufruit donné est-il rapportable ? On sait que tout héritier venant à une succession doit
rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt par donations entre vifs, directement ou
indirectement, sauf si la libéralité lui a été consentie hors part successorale (C. civ. art. 843). Le rapport est
alors dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation (C.
civ. Art. 860).
Tout dépend alors de savoir si le décès survient avant ou après l'extinction de l'usufruit donné.
12. Lorsque la succession s'ouvre après l'extinction de l'usufruit donné (par l'expiration du temps
pour lequel il avait été accordé : C. civ. art 617), aucun rapport n'est dû. En effet, la valeur de l'usufruit est
nulle puisque, par définition, ce dernier a disparu. « S'il n'existe plus (l'usufruit), la donation d'un bien en
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usufruit, dont la valeur est nulle, ne peut être indiscutablement soumise au rapport » (F. Julienne précité, n
° 240). Il en résultera donc un véritable avantage pour le gratifié qui n'aura pas à en tenir compte à ses
cohéritiers. Il n'est pas certain que la paix des familles en sorte renforcée. On veillera donc à réaliser ces
libéralités de manière équitable entre les enfants.
Exemple Jean Tillome donne l'usufruit pour dix ans à sa fille Maud d'un immeuble de rapport d'une valeur
de 1 000 000 € en pleine propriété et dont le taux de rendement est de 10 %. Sur la période de dix ans, le
loyer se revalorise de 2 % par an.
Maud aura donc perçu en dix ans la somme de 1 094 972 €.
Jean Tillome décède le lendemain de l'extinction de l'usufruit. Son patrimoine est uniquement composé de
l'immeuble qui s'est valorisé de 2 % par an depuis la donation et vaut donc 1 220 000 €. Il laisse deux
enfants, Maud et Rémy. Chacun a droit à 610 000 €. Au bout du compte, Rémy aura eu 610 000 € et Maud
1 704 972 €.
13. ;Si le décès du donateur survient en cours d'usufruit, l'usufruit qui a été constitué sur la tête du
donataire existe toujours. L'héritier usufruitier qui vient à la succession est tenu au rapport selon la valeur
de son usufruit à l'époque du partage. (M. Grimaldi, Droit Civil Successions : Litec 6e édition n° 694).
En principe, le rapport se fait en moins-prenant et il ne peut être exigé en nature, sauf stipulation contraire
de l'acte de donation (C. civ. art. 858).
La valeur de l'usufruit ne pourra alors pas résulter du barème fiscal, mais devra être évaluée selon la
méthode du cash flow actualisé.
L'usufruitier pourra s'il le souhaite effectuer le rapport en nature. En pareille hypothèse, si l'état des biens
donnés a été amélioré par lui, il devra lui en être tenu compte, eu égard à ce dont leur valeur se trouve
augmentée. Il doit en outre lui être tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites pour la
conservation du bien (C. civ. art. 861).
Dans cette hypothèse, et afin de prévenir toute difficulté, on prendra donc le soin d'effectuer une expertise
de l'immeuble au moment de la donation si l'acte prévoit un rapport en nature ou si le donataire en
envisage l'éventualité.
III. Donation d'usufruit d'usufruit
14. ;Si les parents ont déjà aliéné la nue-propriété, ils ne peuvent consentir une donation à durée
déterminée de l'usufruit. En effet, si l'usufruit est toujours temporaire, la cession ne l'est jamais (R.
Libchaber, Cession temporaire d'usufruit : Defrénois 2008 art. 38816).
En revanche, les parents pourront parvenir au résultat souhaité en consentant un usufruit à durée
déterminée sur l'usufruit qu'ils se seront préalablement réservé. La doctrine est en effet unanime à
en admettre la possibilité (A. Rieg, Encyclopédie Dalloz V° Usufruit n°s 102, 181 et 278 ; M. Planiol, Traité
élémentaire de droit civil par Ripert et Boulanger, Tome I n° 3513 ; Ch. Aubry et Ch. Rau, Tome II n° 416).
Au terme de l'usufruit d'usufruit ainsi consenti, l'usufruitier constituant retrouvera les revenus ou
l'usage du bien. La donation d'un usufruit d'usufruit aura donc permis à un simple usufruitier de conférer les
revenus d'un bien à un enfant pendant une durée déterminée, sans se déposséder définitivement (M.
Iwanesko, Usufruit d'usufruit : Droit et Patrimoine 4/2006).
La donation elle-même
15. L'usufruit consenti sur l'usufruit préexistant n'est rien d'autre que le droit d'usufruit du premier
titulaire (F. Barbier, La nature juridique de l'usufruit : Thèse Lyon 1987 p. 198).
Toutefois, l'usufruitier d'usufruit n'est pas titulaire du droit incorporel objet de son droit. Il n'en a que
l'exercice. L'usufruitier de la chose et l'usufruitier de l'usufruit se partagent l'usufruit, non pas par une
répartition des attributs, mais par une ventilation des dimensions du droit : l'un a le titre, l'autre
l'émolument (F. Zénati, Droits de l'usufruitier : RTD civ. 1998 p. 414).
Par ailleurs, nul ne pouvant transmettre plus de droits qu'il n'en possède, l'usufruitier en titre ne peut
transmettre à l'usufruitier de son usufruit que l'usage du bien et des fruits dont il bénéficie (F. Barbier,
thèse précitée p. 199).
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Economiquement, l'usufruitier d'usufruit jouit de toutes les prérogatives conférées par l'usufruit, aussi la
valeur de l'usufruit d'usufruit est-elle nécessairement égale à la valeur de l'usufruit lui-même.
16. L'usufruit d'usufruit cessera au terme prévu, sauf si l'usufruitier initial décède avant ce terme :
l'usufruit ayant été constitué sur la tête de l'usufruitier initial, il cessera automatiquement à son décès
(Cass. ch. réunies 16-6-1933 : DH 1933, 393). Si l'usufruitier d'usufruit décède avant le terme stipulé, son
usufruit cessera et l'usufruit initial retrouvera le plein exercice de son usufruit (S. Grimaldi, Le caractère
viager de l'usufruit : Thèse Paris II 2000 p. 103).
Les conséquences successorales
17. Le rapport des fruits Pas plus que ceux perçus par l'usufruitier, les fruits perçus par l'usufruitier
d'usufruit ne sont rapportables.
18. Le rapport de l'usufruit d'usufruit Trois cas de figure peuvent se rencontrer.
Mais le rapport ne sera dû dans aucun cas :
•
•
•
l'usufruit d'usufruit est éteint au jour du décès de l'usufruitier constituant par l'expiration du temps
pour lequel il a été accordé. La solution est identique à celle de l'usufruit : aucun rapport n'est dû
par l'usufruitier d'usufruit ;
l'usufruitier constituant prédécède. Ainsi que nous l'avons indiqué ci-dessus, l'usufruit d'usufruit
s'éteint en même temps que l'usufruit lui même. Aucun rapport n'est donc dû par l'usufruitier
d'usufruit ;
l'usufruitier d'usufruit décède avant l'usufruitier constituant. L'usufruit d'usufruit est recueilli par ses
héritiers. Mais par définition aucun rapport n'est dû puisque la succession de l'usufruitier constituant
n'est pas ouverte, sinon l'usufruit d'usufruit serait éteint.
IV. Conclusion
19. Le traitement successoral des donations de fruits et des donations d'usufruit et d'usufruit d'usufruit
peut aboutir à des résultats radicalement différents.
Cela peut paraître choquant sur le plan économique. Pour une même valeur transférée, les conséquences
seront radicalement différentes. Mais cela résulte de l'application de la règle de droit : le rapport est dû de
la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation (C. civ. art 860).
Les fruits, donnés en propriété, doivent être rapportés pour cette valeur. L'usufruit est également
rapportable et selon la même règle pour sa valeur au jour du partage. S'il est éteint ce jour-là, le rapport
est égal à zéro.
Les conséquences sont différentes, tout simplement parce que donner les revenus d'un bien ou l'usufruit
d'un bien, ce n'est pas la même chose.
Pour éviter tous problèmes familiaux on conseillera donc de procéder de la même manière pour tous les
enfants (soit les fruits, soit l'usufruit). A titre palliatif, on conseillera de stipuler que la donation de fruits est
faite hors part successorale, ainsi que le permet l'article 851 du Code civil.
OMNIDROIT
I Newsletter N°102 I 09.06.2010
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