Le point sur… Au fil des jours Etude en avant
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Le point sur… Au fil des jours Etude en avant
MERCREDI 09 JUIN 2010 Le point sur… « Développement durable » : l'incontournable hérésie - par M.-J. del Rey P. 02 Au fil des jours Lettre de change : vers un assouplissement du formalisme cambiaire ? Cession de créance à titre de garantie = nantissement P. 04 P. 05 Un rapport préconise l'élection des conseillers prud'homaux au suffrage indirect Le harcèlement moral peut se dérouler sur une brève durée P. 05 P. 06 Donation de l'usufruit au conjoint et quotité disponible Mandat à effet posthume : les pouvoirs du mandataire précisés Résistance des coïndivisaires à l'action en partage exercée par le liquidateur judiciaire Dépollution d'une installation classée par le locataire commercial évincé P. P. P. P. Garde à vue : l'information immédiate du procureur de la République n'est soumise à aucune forme Terrorisme et procédure dérogatoire à l'épreuve de la QPC Interdiction de territoire en raison d'opinions controversées : violation de la liberté d'expression P. 10 P. 11 P. 11 L'indemnité de rupture anticipée d'un CDD est imposable en totalité Le fisc peut, sous condition, notifier l'avis de la commission de conciliation à un seul cohéritier P. 12 P. 13 Un terrain inclus dans une « zone verte » du PLU n'est pas nécessairement inconstructible QPC sur la procédure de consultation des électeurs sur les projets de fusion de communes P. 13 P. 14 07 07 09 10 Etude en avant-première Donation de fruits, d'usufruit ou d'usufruit d'usufruit : conséquences successorales - par M. Iwanesko OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I1 P. 15 Le point sur… « Développement durable » : l'incontournable hérésie Par Marie-José del Rey, Docteur en droit de l'Université Panthéon-Sorbonne, Directrice de formation à Luz&Eole environnement A force d'être utilisé sans discernement, telle une formule incantatoire, le concept de développement durable finit par perdre de sa substance et de sa force. Genèse... Dans les années 70, suite à la prise de conscience de la « finitude » des ressources terrestres, une réflexion fut menée quant à la nécessaire conciliation entre la croissance et la protection de l'environnement. Dans cette mouvance, les Nations unies confièrent la rédaction d'un rapport à la Commission mondiale sur l'environnement et le développement dirigée par Mme Brundtland. Ainsi fut créée en 1983 la commission homonyme, afin de former un processus ayant de l'autorité pour intégrer l'interdépendance de l'environnement et du développement dans une démarche universellement crédible. La commission Brundtland procéda à de nombreuses auditions sur ces questions et publia en 1987 un rapport de synthèse sous le nom de rapport Brundtland. Il donne la définition du concept. Cependant, ce fut le deuxième sommet de la Terre, à Rio de Janeiro en 1992, qui apporta la consécration aux termes de développement durable. Le concept commence dès lors à être médiatisé auprès du grand public. La définition « Brundtland », axée prioritairement sur la préservation de l'environnement et la consommation prudente des ressources naturelles, sera ultérieurement axée sur la définition des « trois piliers » qui doivent être conciliés dans une perspective de développement durable : le progrès économique, la justice sociale et la préservation de l'environnement. Définition originelle du concept... S'il est communément admis qu'il s'agit du « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs », la définition dans son intégralité est autrement plus prolixe et complexe : « Deux concepts sont inhérents à cette notion : • • « - le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et « - l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. « Ainsi, les objectifs du développement économique et social sont définis en fonction de la durée, et ce dans tous les pays (...). Les interprétations pourront varier d'un pays à l'autre, mais elles devront comporter certains éléments communs et s'accorder sur la notion fondamentale de développement durable et sur un cadre stratégique permettant d'y parvenir. « Le développement implique une transformation progressive de l'économie et de la société, il ne peut être assuré si on ne tient pas compte de considérations telles que l'accès aux ressources ou la distribution des coûts et avantages » (chap. 2, rapport Brundtland). Les limites du concept... Une définition étriquée Pour des raisons pratiques, la définition initiale a été considérablement tronquée. En effet, le choix d'une formulation plus courte et plus neutre semblait de nature à favoriser le ralliement du plus grand nombre. Or, malgré ce choix à visée hautement consensuelle, il ne faut pas réfuter le sens éminemment humaniste OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I2 et politique des considérations qui complètent, expliquent et conditionnent la définition du développement durable : « nous sommes capables d'améliorer nos techniques et notre organisation sociale de manière à ouvrir la voie à une nouvelle ère de croissance économique. (...) La misère est un mal en soi, et le développement durable signifie la satisfaction des besoins élémentaires de tous et, pour chacun, la possibilité d'aspirer à une vie meilleure (...) Pour satisfaire les besoins essentiels, il faut non seulement assurer la croissance économique dans les pays où la majorité des habitants vivent dans la misère mais encore faire en sorte que les plus démunis puissent bénéficier de leur juste part de ressources qui permettent cette croissance. L'existence de systèmes politiques garantissant la participation populaire à la prise de décision et une démocratie plus efficace dans la prise de décisions internationales permettraient à cette justice de naître » (Introduction, rapport Brundtland). Une traduction et une terminologie contestées En ce qui concerne la traduction du « sustainable development » contenu dans le rapport Brundtland de 1987, le choix terminologique effectué a fait l'objet de vives critiques. Pour traduire le terme anglais « sustainable », le mot « soutenable » avait pourtant été initialement proposé par les experts linguistiques chargés de la traduction française du rapport. Cependant, le mot « durable » a finalement été retenu. S'agit-il d'une simple erreur de traduction ou d'un dévoiement volontaire ? L'inconvénient majeur de ce choix est que la priorité ainsi accordée à la durabilité masque l'immédiateté des problèmes... Par ailleurs, les capacités de la planète (tant quant au renouvellement des ressources naturelles qu'au regard de l'absorption des polluants) ne sont nullement prises en compte, tel que cela était le cas avec l'idée de « supportabilité » contenue implicitement dans le terme « soutenable ». En outre, la terminologie elle-même est intrinsèquement critiquable. En effet, le terme « développement » est trop lié à une certaine vision du monde. Il fut originellement utilisé pour désigner le mode d'organisation d'une société en 1949, lors d'un discours du président Truman. Pour la première fois, un responsable politique divise le monde entre pays développés et sous-développés. Le mot « développement » est cependant un terme d'origine biologique : une plante se développe car sa forme est inscrite dans sa graine. Il s'agit donc d'une vision de l'évolution du monde qui induit que notre état de société développée soit l'aboutissement d'un parcours inéluctable. Cette terminologie sous-tend un véritable jugement de valeur, puisque les sociétés initialement qualifiées de sous-développées semblent dès lors avoir évolué en quelque sorte contre nature. Le terme « développement » s'affirme donc comme un mouvement naturel. A contrario, le sous-développement s'apparenterait à une anormalité, qui tendrait toutefois à s'estomper avec des pays désormais engagés dans la voie du développement... Eu égard aux considérations précédentes, ne vaudrait-il pas mieux parler d' « évolution soutenable », voire adopter l'appellation « développement soutenable » réclamée par bon nombre de spécialistes ? Une analyse consciencieuse de la définition de « développement soutenable » tend à démontrer que cette dernière prend en considération deux dimensions également importantes : • • une dimension temporelle (avec la référence aux générations futures) et une dimension spatiale (avec la référence aux pays dits pauvres). Or, avec le sens communément admis, la dimension spatiale (caractère équitable) semble aujourd'hui sacrifiée au profit de la dimension temporelle (caractère durable). Et la conjugaison des deux dimensions, respectivement représentées par un développement durable et un développement équitable, aboutirait au concept de « développement soutenable », seule évolution véritablement viable pour l'ensemble de l'humanité. Il s'agit dès lors de renouer avec l'idée de Patrimoine commun de l'humanité, qui correspond au principe de droit naturel de destination universelle des biens, en gérant en bonne intelligence des biens communs dans l'espace et le temps. Ainsi, la viabilité de l'évolution deviendrait le critère de régulation du phénomène de mondialisation. Un concept galvaudé Ce concept d'origine internationale a été transposé en droit de l'environnement par le législateur français en 1995. Notion juridique incertaine, elle remplit toutefois des fonctions politiques importantes. A tel point que depuis quelques années tout texte d'une quelconque envergure y sacrifie. À force d'être utilisé sans discernement, telle une formule incantatoire, il finit par perdre de sa substance et de sa force. Or, il est inutile de l'invoquer à tout propos. Ne vaudrait-il pas mieux dès lors réfléchir, comme nous y invite le philosophe allemand Hans Jonas, à la portée de chacun de nos actes quotidiens qui devrait systématiquement se placer dans une perspective d’ « évolution soutenable »… : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d'une vie authentiquement humaine sur terre » (H. Jonas, Le principe responsabilité, 1979). OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I3 Au fil des jours Lettre de change : vers un assouplissement du formalisme cambiaire ? Com. 26 mai 2010, n° 09-14.561 Lorsque le lieu de création n'est pas indiqué sur la lettre de change, celle-ci doit être considérée comme souscrite dans le lieu désigné à côté du nom du tireur. C'est exactement qu'une cour d'appel a retenu que ce texte n'exige pas que l'indication de ce lieu figure au recto de la lettre de change. Cet arrêt de rejet mérite d'être connu en ce qu'il semble marquer un recul de l'exigence du respect du formalisme en matière cambiaire. Il est ici question du recours, fondé sur le droit du change (art. L. 511-38, I, c. com.), du porteur impayé d'une lettre de change contre le tireur. Ce dernier, pour échapper à ce recours, tente de se prévaloir de la nullité de l'effet de commerce. Il est vrai que l'article L. 511-1, I, 7°, du code de commerce exige, entre autres, parmi les mentions obligatoires, la présence sur le titre du lieu de création de celui-ci. Toutefois, en cas d'omission de cette mention, comme pour d'autres (échéance, domicile du tiré, etc.), le code de commerce prévoit, pour « sauver » la lettre de change de la nullité, qu'il puisse y être suppléé grâce à la présence sur le titre d'une autre mention jugée équivalente à celle qui fait défaut. On parle alors de « formalisme de substitution », lequel a pour effet de réduire le nombre de mentions légales réellement obligatoires (R. Roblot, Les effets de commerce, Sirey, 1975, n° 134). S'agissant de l'absence de lieu de création, l'article L. 511-1, V, dispose : « La lettre de change n'indiquant pas le lieu de sa création est considérée comme souscrite dans le lieu désigné à côté du nom du tireur ». Or, en l'occurrence, aucun lieu n'étant désigné à côté du nom du tireur, le lieu retenu par les juges du fond, dont la solution est reprise à son compte par la Cour de cassation, pour racheter la lettre de change et valider le recours cambiaire du porteur, est celui figurant au verso du titre (le nom du tireur figurait quant à lui, évidemment, au recto). La justification donnée est la suivante : « aucun texte n'exige que le lieu désigné à côté du nom du tireur doit figurer au recto de la lettre de change ». La formule utilisée fleure bon le libéralisme et tranche avec la philosophie qui anime le droit cambiaire, qui OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 postule, notamment, le caractère littéral du titre cambiaire. Cela suppose d'abord que la mention dont le porteur se prévaut soit incontestable, qu'elle ne soit sujette à aucune discussion, ni interprétation (V., à propos de la date illisible, considérée comme équivalente à l'absence de date, Com. 29 mars 1994, D. 1994. Somm. 183, obs. M. Cabrillac). Cela constitue ensuite une règle d'interprétation : les textes cambiaires doivent faire l'objet d'une interprétation littérale. Or, la locution « à côté de » utilisée par le code de commerce paraît, en effet, postuler que les deux termes qu'elles relient sont situés sur le même côté du titre. Pourtant, selon la Cour de cassation, il n'en est rien ; il suffit que la mention litigieuse figure sur le titre, peu importe que ce soit sur un autre côté (le droit cambiaire refuse, en revanche, de valider une traite, sur la foi d'une mention extrinsèque, qui ne figurerait pas sur le titre lui-même). Il faut sans doute prendre en compte un élément de fait qui n'apparaît malheureusement pas dans l'arrêt : sur le cachet figure, à la fois, la dénomination de l'entreprise et son adresse. Dès lors, ces deux éléments étaient nécessairement liés et il était donc peu douteux que cette adresse soit celle de création de la lettre de change litigieuse. Deux observations, pour conclure, destinées à relativiser le caractère novateur de la solution. D'abord, ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation, en matière cambiaire, fait jouer un rôle important au cachet du tireur, lequel permet de pallier l'absence d'une mention obligatoire (Com. 3 avr. 2002, Bull. civ. IV, n° 65 ; Banque et Droit, juill.-août 2002. 44, obs. Bonneau ; LPA 11 sept. 2002, obs. E. C., qui juge que la nullité des effets de commerce en raison du défaut de mention du nom du bénéficiaire doit être écartée lorsqu'ils portent le cachet de la société tireur tant au recto qu'au verso accompagné de la signature de son gérant). Ensuite, mérite d'être signalée une jurisprudence selon laquelle, lorsque le nom du bénéficiaire est laissé en blanc lors de sa création, son apposition par le tireur sous forme d'endos vaut désignation du premier endossataire comme bénéficiaire (Com. 12 oct. 1993, JCP 1993. II. 22378, note Bazin). Le nom du bénéficiaire peut donc valablement figurer côté face alors qu'on l'attend plutôt côté pile, ce qui tend à démontrer que le respect de l'emplacement des mentions sur le titre ne participe pas du formalisme cambiaire. Page I4 Cession de créance à titre de garantie = nantissement texte, L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés, La publicité foncière, Defrénois, 4e éd., 2009, n° 536). Bref, cette sûreté, que le créancier nanti avait déclarée comme un accessoire de sa créance et qui avait été admise à la procédure, justifiait la prétention de son titulaire de se voir reverser les loyers versés à tort entre les mains des organes de la procédure après ouverture de celle-ci. Com. 26 mai 2010, n° 09-13.388 Dès lors qu'une cession de loyers en garantie du remboursement d'un prêt a été signifiée au locataire conformément aux dispositions de l'article 1690 du code civil, le cessionnaire a la qualité de créancier nanti. La Cour de cassation a refusé, à la fin de l'année 2006, la consécration générale de la cession de créance à titre de garantie. La chambre commerciale a en effet posé le principe suivant lequel, « en dehors des cas prévus par la loi, l'acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créances » (Com. 19 déc. 2006, Bull. civ. IV, n° 250, D. 2007. Jur. 344, note Larroumet ; ibid. AJ 76, obs. Delpech ; ibid. Point de vue 319, obs. Damman et Podeur ; ibid. Chron. 961, par Aynès ; RTD civ. 2007. 160, obs. Crocq ; RTD com. 2007. 217, obs. Legeais). Dans le présent arrêt du 26 mai 2010, elle tire les conséquences logiques de cette solution, cassant (au visa des art. 1690, 2071, 2073 et 2075 c. civ., dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006) la décision de la cour d'appel de Paris qui, elle, n'avait pas su le faire. Les juges du fond avaient, en effet, constaté que la cession de loyers avait été conclue « en garantie de remboursement du prêt consenti » et avait « été signifiée aux locataires », conformément aux dispositions de l'article 1690 du code civil. Pourtant, elle n'avait vu dans cette cession de loyers qu'une simple modalité de remboursement du prêt, non constitutive d'une sûreté, pour en déduire que les loyers échus postérieurement au redressement judiciaire de la société succédant aux obligations de l'emprunteur devaient être soumis aux règles de la procédure collective. À tort, puisque, en application de la règle prétorienne, le cessionnaire avait acquis la qualité de créancier nanti. Il en résulte alors pour lui une situation très favorable, déjà avant la réforme de 2006, puisqu'il peut « se faire payer sur la chose qui en est l'objet, par privilège et préférence aux autres créanciers », comme le disait l'ancien article 2073 visé par la Cour, l'expression de ce droit de paiement préférentiel se retrouvant aujourd'hui dans le nouvel article 2333 du code civil régissant le droit commun du gage, alors que, plus précisément, s'agissant du nantissement, l'article 2263 dispose : « Après notification, seul le créancier nanti reçoit valablement paiement de la créance donnée en nantissement tant en capital qu'en intérêts » (V., pour les difficultés soulevées par ce OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Un rapport préconise l'élection des conseillers prud'homaux au suffrage indirect Rapport Richard Avril 2010 Selon le rapport Richard, l'élection des conseillers prud'hommes salariés pourrait être effectuée par les délégués du personnel dans les entreprises de plus de 10 salariés et par des délégués de salariés désignés par les syndicats dans les autres. 1. Un rapport, remis au ministre du travail le 25 mai 2010, constatant la faible participation aux dernières élections prud’homales de 2008, s’interroge sur les différents modes de désignation des conseillers prud’hommes susceptibles de renforcer la légitimité de l’institution. 2. L’auteur du possibles : • • • rapport envisage 3 scénarios le maintien du suffrage universel direct selon des modalités simplifiées : généralisation du vote par Internet et par correspondance, suppression du vote à l’urne et du vote par section ; la désignation des conseillers prud’hommes par les organisations syndicales en fonction de leur représentativité ; l’élection des conseillers prud’hommes au suffrage universel indirect. 3. L’élection au suffrage indirect est présentée par le rapport comme la mesure la plus réaliste et la plus opportune. Le collège électoral salarié serait constitué, dans les entreprises de plus de 10 salariés, des délégués du personnel ou des élus à la délégation unique du personnel ; dans les autres entreprises, des délégués de salariés seraient désignés par les syndicats sur la base des résultats du vote organisé pour mesurer l’audience syndicale tel que prévu Page I5 dans le projet de loi sur le dialogue social dans les TPE. Le collège employeur serait composé de 30 000 à 35 000 délégués élus par l’ensemble des employeurs dans le cadre d'un scrutin par liste, à la proportionnelle, organisé par chaque département. La liste des électeurs serait constituée au niveau départemental sans distinction des sections. Le mode de scrutin serait inchangé (par liste, à la proportionnelle à un tour). L’élection aurait lieu le même jour sur l’ensemble du territoire pendant le temps de travail. Un seul vote serait organisé pour chacun des deux collèges, au niveau du département, quel que soit le nombre de conseillers du département. Si cette mesure était retenue, le rapport propose de repousser les élections prud’homales au mois de février 2015 (au lieu de décembre 2013). Le harcèlement moral peut se dérouler sur une brève durée Soc. 26 mai 2010, n° 08-43.152 Le harcèlement moral suppose que le salarié qui s'en plaint ait été victime d'actes répétés. Mais cela ne signifie pas pour autant que ces faits doivent se dérouler sur une longue période. La Cour de cassation l'affirme très clairement aujourd'hui : le harcèlement moral, même s'il suppose des actes répétés, n'implique pas que ces actes se soient déroulés sur une longue période. Ce serait ajouter un élément que la définition légale ne contient pas, estime-t-elle. Un salarié, engagé en qualité d'acheteur-vendeur de véhicules accidentés, demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur. Il estime avoir été rétrogradé à son retour de congé maladie et reproche à son employeur de ne pas l'avoir réintégré dans son poste malgré l'avis d'aptitude du médecin du travail lors de la visite de reprise. Mais les juges devaient répondre à une autre question : le salarié avait-il été victime de harcèlement moral de la part de son employeur ? Le salarié avait repris son travail le 11 septembre 2006. Il invoquait, au soutien de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, sa rétrogradation dès le 6 novembre 2006, mais également des menaces et des propos dégradants au cours de la seconde semaine suivant la reprise du travail, notamment au cours d'un entretien le 21 septembre 2006. La cour d'appel avait toutefois écarté la qualification de harcèlement moral, estimant que ces faits s'étaient déroulés au cours d'une très brève période de temps, compte tenu des arrêts maladie postérieurs à la reprise du travail. Le salarié avait en effet été à nouveau en arrêt maladie du 22 septembre au 22 octobre pour traumatisme psychologique. La Cour de cassation n'est pas de cet avis. Elle refuse de prendre en compte la durée des agissements reprochés à l'employeur. Elle estime que la cour d'appel en se fondant sur la brièveté des actes « a ajouté au texte légal une condition qu'il ne prévoit pas ». Elle reproche en outre à la cour d'appel d'avoir écarté d'autres éléments comme les documents médicaux attestant de l'altération de l'état de santé du salarié. Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation accepte de retenir la qualification de harcèlement moral pour des faits qui se sont déroulés sur une brève durée. Dans un arrêt du 27 janvier 2010, elle avait déjà retenu la qualification de harcèlement moral s'agissant des agressions verbales répétées de la part d'un employeur et de son épouse à l'égard d'une salariée même si ces faits s'étaient déroulés sur une période de 2 mois seulement. Dans ce nouvel arrêt, elle affermit sa position puisqu'elle souligne bien le fait que la définition légale n'exige pas que les faits se déroulent sur une longue période. La répétition n'exclut donc pas la brièveté de la durée pendant laquelle le salarié est victime de harcèlement. Les juges accueillent la demande du salarié, estimant que constitue bien un manquement suffisamment grave de la part de l'employeur justifiant la résiliation judiciaire le fait d'affecter le salarié à son retour de congé maladie à des fonctions subalternes qu'il n'avait jamais exercées auparavant, alors même que le médecin du travail avait émis un avis d'aptitude. OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I6 Donation de l'usufruit au conjoint et quotité disponible Civ. 1re, 12 mai 2010, n° 09-11.133 Un époux peut disposer en faveur de son conjoint de l'usufruit de la totalité de ses biens, tout en disposant au profit d'un tiers de la nue-propriété de la quotité disponible. Seul le légataire a alors qualité et intérêt à invoquer une éventuelle volonté de révocation du testateur. Le présent arrêt intéressera à coup sûr la pratique notariale. Il concerne l'option de l'article 1094-1 du code civil (V. Peterka, Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action, 2008/2009, dir. M. Grimaldi, nos 351.10 s.) et plus précisément la combinaison entre la quotité disponible spéciale en usufruit entre époux et la quotité disponible ordinaire. L'arrêt est d'autant plus intéressant que la première chambre civile procède ici à une substitution de motifs dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile. L'article 1094-1 du code civil permet à un époux, en présence d'enfants ou de descendants, de disposer en faveur de l'autre époux soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d'un étranger, soit d'un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement. Dans la présente affaire, une épouse avait ainsi gratifié son mari de l'une des trois quotités disponibles prévues à l'article 1094-1 du code civil, au choix de celui-ci. Plusieurs années plus tard, l'épouse confirme par testament cette donation et lègue la « quotité disponible » à sa petite-fille. C'est de l'interprétation de cet acte que va naître le litige. En effet, après le décès de son épouse, le mari gratifié optera pour la totalité des biens en usufruit. La petite-fille légataire reconnaîtra quant à elle, dans un acte interprétatif, que le testament lui léguait uniquement une quote-part en nuepropriété. C'est sa mère, fille de la défunte, qui contestait la validité de cet acte interprétatif. La première chambre civile va cependant rejeter le pourvoi en décidant qu'un « époux peut disposer en faveur de son conjoint de l'usufruit de la totalité des biens composant sa succession, par application de l'article 1094-1 du code civil, et que cette libéralité, en ce qu'elle n'affecte pas la nue-propriété des biens, lui laisse la faculté de disposer au profit d'un tiers de la nue-propriété ». Cette formule, qui soutient les libéralités entre époux pratiquées par le notariat, n'est pas inédite (V. déjà Civ. 1re, 20 févr. 1996, RTD civ. 1996. 452, obs. Patarin ; 26 avr. 1984, D. 1985. Jur. 133, note Morin ; RTD civ. 1985. 194 et 758, obs. Patarin ; adde M. Grimaldi, OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 La combinaison de la quotité disponible ordinaire et de la quotité disponible entre époux, Defrénois 1985. 811). La formule retenue par la présente décision est cependant plus large en parlant de « tiers » gratifié et pas seulement d'enfant. Au demeurant, le terme « descendant » correspondait sans doute aux faits de l'espèce. Toutefois, ce choix terminologique en dit long sur la faveur manifestée pour la libéralité entre époux. Ainsi l'acte interprétatif contesté avait pour seul effet de réduire une libéralité excessive et la cour d'appel n'était pas tenue de rechercher si la volonté de la testatrice n'était pas de léguer à sa petite-fille la propriété de la quotité disponible ordinaire. Ce moyen était formulé par la mère de la petite-fille gratifiée, par ailleurs fille de la testatrice. La première chambre civile va préciser sa situation procédurale. Cet enfant du défunt étant tenu du legs, seule la légataire avait qualité et intérêt à invoquer la prétendue volonté de la testatrice de révoquer la donation consentie à son époux en excluant l'usufruit de celui-ci sur la quotité disponible ordinaire. Ceci renforce également l'efficacité de la donation faite à l'époux (sur l'ensemble de la question : V. Jubault, Les successions, les libéralités, Montchrestien-Lextenso, 2e éd., nos 497 s.). Mandat à effet posthume : les pouvoirs du mandataire précisés Civ. 1re, 12 mai 2010, n° 09-10.556 Les pouvoirs d'administration ou de gestion qui peuvent être conférés au mandataire posthume ne lui permettent pas de s'opposer à l'aliénation par les héritiers des biens mentionnés dans le mandat, laquelle constitue l'une des causes d'extinction de celui-ci. Par cet arrêt du 12 mai 2010 destiné à connaître une diffusion élargie (classement en P+B+I), le mandat à effet posthume fait son apparition sur la scène jurisprudentielle (sur le mandat à effet posthume, V. not. Casey, Le mandat posthume, Dr. fam. 2006. Éudes n° 53 ; M. Grimaldi, Le mandat à effet posthume, Defrénois 2007, art. 38509 ; A. Aynés, L'administration de la succession pour autrui, JCP N 2008, n° 29, 1246). Lors de sa création par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions, le mandat à effet posthume a pu paraître novateur. Organisé par les Page I7 articles 812 et suivants du code civil, il permet, en présence d'un intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de l'héritier ou du patrimoine successoral, de faire administrer la succession par une personne autre que l'héritier (V. Goré, in Dalloz Action 2008/2009, Droit patrimonial de la famille, dir. M. Grimaldi, n° 247.01). En ce sens, il déroge à la saisine héréditaire et donc au principe de gestion de la succession par les héritiers eux-mêmes. Le mandataire doit être désigné dans un acte authentique par le de cujus, de son vivant. Il doit accepter le mandat du vivant du mandant. Des questions sont pourtant restées en suspend. Ainsi cet arrêt détermine précisément l'étendue des pouvoirs du mandataire posthume. Ce dernier ne dispose pas du pouvoir de s'opposer à l'aliénation par les héritiers des biens mentionnés dans le mandat. La solution est d'autant plus intéressante qu'elle intervient dans un contexte de croisement entre le mandat à effet posthume et la représentation juridique des mineurs. La présente espèce se caractérisait par une confrontation entre les pouvoirs d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire, en l'occurrence le père de deux enfants mineurs, et les pouvoirs du mandataire posthume. Avant son décès, la mère des deux enfants avait en effet institué son propre père mandataire posthume à l'effet de faire tous actes d'administration et de gestion de toute sa succession dans l'intérêt et pour le compte de ses héritiers. D'emblée, il faut souligner que l'efficacité du mandat à effet posthume ne sort guère renforcée de l'arrêt. Ce dernier rappelle que l'aliénation par les héritiers des biens mentionnés dans le mandat constitue une cause d'extinction de celui-ci, conformément à l'article 812-4 du code civil. Partant, le mandataire ne pouvait s'opposer à l'aliénation des biens par les héritiers. Pleinement justifiée au regard des textes, la solution semble amenuiser l'utilité même du mandat à effet posthume. Au regard des textes, la cassation est prononcée au visa des articles 812, 812-2, 812-4 et 389-3 du code civil, pour refus d'application des trois premiers textes et fausse application du quatrième. De toute évidence, la Cour de cassation a entendu déterminer avec précision le régime juridique du mandat à effet posthume. Plus exactement, elle cantonne les pouvoirs du mandataire posthume aux simples pouvoirs d'administration et de gestion, au sens strict. Ce faisant, elle livre une lecture restreinte de l'article 812 du code civil qui mentionne ces deux pouvoirs en son alinéa premier. Le tribunal d'instance s'était quant à lui référé à la finalité même du mandat à effet posthume, à savoir la gestion des biens dans l'intérêt de la succession, pour décider que la vente pouvait être considérée comme un acte utile dans l'intérêt de la succession et des héritiers. Cet acte et l'opposition à cet acte pouvaient ainsi, selon le jugement, être décidés par le mandataire posthume. Il s'agissait d'assurer la gestion - largement entendue - de la succession. OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 La première chambre civile casse le jugement. L'aliénation des biens mentionnés dans le mandat constituant l'une des causes d'extinction de ce dernier, le mandataire posthume, qui ne bénéficie que des pouvoirs d'administration ou de gestion, ne peut pas s'y opposer. Une telle solution s'explique sans doute par le caractère dérogatoire du mandat à effet posthume (V. supra). Il s'agit de limiter ainsi l'atteinte portée à la règle de gestion de la succession par les héritiers personnellement. Cela étant, cette dérogation poursuit une finalité d'efficacité économique. La situation est particulièrement délicate lorsque l'héritier est mineur, comme en l'espèce, ou quand il s'agit d'un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection. L'article 812-1 du code civil dispose que « le mandataire exerce ses pouvoirs alors même qu'il existe un mineur ou un majeur protégé parmi les héritiers ». Cela étant, le juge des tutelles dispose, à l'article 812-4 du code civil, du pouvoir de mettre fin au mandat, en cas de mesure de protection. Le présent arrêt démontre que l'aliénation du bien par l'administrateur légal, effectuée avec l'autorisation du juge des tutelles, neutralise les pouvoirs du mandataire posthume en mettant fin au mandat. Ceci n'avait pas échappé à une partie de la doctrine qui, au-delà de l'hypothèse de l'héritier protégé, a pu souligner que l'aliénation des biens constitue « pour les héritiers un moyen de faire échec au mandat à effet posthume, sauf à ce que le de cujus ait stipulé une clause d'inaliénabilité dans les conditions de l'article 900-1 du Code civil » (V. Goré, in Dalloz Action, préc., n° 247-24). De même, « il n'est ensuite pas impossible que les héritiers cherchent à mettre fin au mandat en vendant les biens de la succession. On voit là les limites d'un procédé qui tend à dessaisir les héritiers sans leur accord » (Leroyer, commentaire de la loi du 23 juin 2006, RTD civ. 2006. 612). Le propos se vérifie parfaitement dans le présent arrêt, dans l'hypothèse d'une représentation de l'héritier mineur. Page I8 Résistance des coïndivisaires à l'action en partage exercée par le liquidateur judiciaire Civ. 1re, 27 mai 2010, n° 09-11.460 Pour arrêter l'action en partage en acquittant le montant de la dette du débiteur, les coïndivisaires doivent être en mesure de connaître le montant actualisé de la dette qu'ils devraient payer. L'article 815-17, alinéa 3, du code civil interdit aux créanciers personnels d'un indivisaire de saisir la part indivise de leur débiteur. Mais, en contrepartie, il les autorise à provoquer le partage au nom de ce dernier. Les coïndivisaires ne sont toutefois pas désarmés contre ce risque, puisque la suite de cet alinéa leur donne la possibilité « d'arrêter le cours de l'action en partage en acquittant l'obligation au nom et en l'acquit du débiteur ». Ils peuvent donc arrêter l'action en partage en payant la dette du débiteur ; ce qui n'est qu'une application des principes du droit des obligations (V. C. Brenner, Rép. civ., Dalloz, v° Partage [2° droit commun], nos 145 s.). Quelles sont les conditions de cette opposition au partage ? Cette protection offerte aux indivisaires est-elle opposable à la demande formée par un mandataire liquidateur d'un indivisaire ? C'est à ces questions, auxquelles la jurisprudence a apporté quelques réponses, que le présent arrêt apporte une précision supplémentaire. Il a d'abord été décidé qu'il ne peut être mis obstacle au partage que si le paiement porte sur l'ensemble de la dette du débiteur et seulement sur le montant correspondant à sa part dans l'indivision (Versailles, 21 mars 1983, Defrénois 1983. 1358, obs. Champenois). De cette première solution, une seconde en a été logiquement déduite : si le coïndivisaire ne peut arrêter le cours de l'action qu'en payant la totalité de la dette du débiteur, il est indispensable qu'il puisse connaître précisément l'étendue de cette dette. C'est dans ce sens que la Cour de cassation a décidé que le partage demandé par le mandataire liquidateur d'un indivisaire devait être rejeté lorsque, la décision définitive d'admission des créances au passif de la liquidation judiciaire n'étant pas encore intervenue, les coïndivisaires du débiteur n'étaient pas en mesure de connaître le montant de la dette qu'ils devraient acquitter pour arrêter le cours de l'action (Civ. 1re, 20 déc. 1993, Bull. civ. I, no 378 ; D. 1994. Jur. 358, note Derrida et OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Honorat ; ibid. 1995. Somm. 339, obs. Lucet ; JCP 1994. I. 3791, no 4, obs. Le Guidec ; RTD civ. 1994. 393, obs. Patarin ; ibid, 895, obs. F. Zénati). La présente espèce apporte une précision supplémentaire à cette jurisprudence. Les faits de l'arrêt du 27 mai 2010 sont similaires à l'espèce du 20 décembre 1993. Près de dix ans après leur divorce, deux ex-époux ont acquis en indivision deux terrains sur lesquels ils ont fait bâtir un immeuble. Quelques mois plus tard, l'ex-mari fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire. En 1998, le liquidateur, provoque le partage afin de recouvrer l'actif que représente la part indivise de l'immeuble. En réponse, l'ex-épouse coïndivisaire use de la possibilité que lui offre l'article 815-17, alinéa 3, et propose, pour arrêter le cours de l'action, d'acquitter l'obligation du débiteur. C'est sur ce point que porte le litige. La procédure devant la cour d'appel ayant lieu en 2008, l'épouse demandait une expertise, afin de déterminer le montant actualisé de l'obligation de son ex-époux, compte tenu des actifs et créances recouvrés depuis le jugement d'ouverture. La cour d'appel refuse cette expertise, jugeant que le passif du débiteur a été vérifié, admis et publié au BODACC en 2002 et qu'il n'a fait l'objet d'aucun recours. Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation, qui décide qu'en refusant cette expertise, en l'absence de justification par le liquidateur du montant du passif restant dû, la coïndivisaire n'était pas en mesure d'exercer la faculté lui étant reconnue d'arrêter le cours de l'action en partage en offrant d'acquitter cette somme. La solution confirme donc l'arrêt du 20 décembre 1993, dont la solution est d'ailleurs reprise dans le chapeau de la décision : « attendu […] que l'exercice de [l'action en partage] suppose que les coïndivisaires connaissent le montant de la dette qu'ils devraient payer pour arrêter le cours de l'action ». Mais l'arrêt du 27 mai 2010 apporte une précision importante, puisqu'il exige que le montant de la dette soit actualisé, si nécessaire par expertise, pour que l'indivisaire connaisse précisément le montant de la dette. Cette solution est dans la logique de la précédente. Plusieurs années se sont écoulées depuis le jugement d'ouverture et le coïndivisaire ne peut pas s'engager à régler une dette dont il ne connaît pas précisément le montant. Dès lors, comment lui refuser cette expertise ? Il ne faudrait pas toutefois que cette solution encourage des demandes dilatoires, qui n'auraient d'autre finalité que de retarder la liquidation, sans que le coïndivisaire n'ait réellement l'intention de s'acquitter de la dette. Page I9 Dépollution d'une installation classée par le locataire commercial évincé Partant, il est déclaré redevable d'une indemnité d'occupation jusqu'à la date à laquelle il a justifié avoir pris les mesures lui incombant (sur la nature mixte, compensatoire et indemnitaire, de l'indemnité d'occupation, V., par ex. Com. 26 mai 1961, Bull. civ. III, n° 233 ; Civ. 3e, 17 déc. 2002, AJDI 2003. 272, obs. Ascensi). Civ. 3e, 19 mai 2010, n° 09-15.255 En sa qualité de dernier exploitant d'une installation classée, il incombe au preneur évincé d'assurer la dépollution du site loué. À défaut, il est redevable d'une indemnité d'occupation. Le simple fait, pour un locataire, de quitter matériellement les locaux donnés à bail ne constitue pas nécessairement une restitution juridique des lieux. Valable en droit commun du bail (exigeant une libération totale des lieux et la restitution de toutes les clés, V. not. Civ 3e, 13 oct. 1999, Bull. civ. III, n ° 202 ; D. 1999. AJ 87, obs. Y. R. ; Gaz. Pal. 1999. 2. Pan. 275), cette affirmation prend une dimension particulière lorsque la location s'inscrit dans le cadre d'une installation classée pour la protection de l'environnement. En effet, dans ce contexte, le preneur ne sera réputé avoir restitué les lieux qu'une fois que, de surcroît, il se sera acquitté, en sa qualité de « dernier exploitant », de son obligation de dépollution (dans ce sens, V. not. Civ 3e, 10 avr. 2002, Bull. civ. III, n ° 84 ; AJDI 2002. 843, obs. Wertenschlag ; Rev. loyers 2002. 407, obs. Quément ; 2 avr. 2008, Bull. civ. III, n° 63 ; D. 2008. 1146, obs. Forest ; ibid. 2008. Pan. 2458, obs. Mallet-Bricout et ReboulMaupin ; ibid. 2008. Jur. 2472, note Trébulle ; AJDI 2009. 210, note Wertenschlag ; sur le responsable de la dépollution d'un site en cas de succession d'occupants, V. Civ 3e, 17 déc. 2002, AJDI 2003. 105, obs. Wertenschlag ; 9 avr. 2008, D. 2008. AJ 1275, obs. Forest). Le principal intérêt de l'arrêt de rejet rapporté est de préciser que cette obligation de mise en sécurité du site (s'agissant d'une mise à l'arrêt définitif, en vertu de l'art. R. 512-74 c. envir.) s'impose au preneur qui ne quitte les lieux ni ne cesse son activité de son plein gré, mais en application d'un congé délivré par le bailleur, emportant refus de renouvellement. En l'occurrence, si le locataire commercial évincé (avec offre d'indemnité d'éviction) exploitant un garage automobile avec station-service avait, lors de son départ, produit un certificat de dégazage (moyen, p. 5), il n'avait satisfait aux dispositions d'un arrêté du 22 juin 1998 (imposant la neutralisation définitive de l'installation) qu'un an plus tard. OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Garde à vue : l'information immédiate du procureur de la République n'est soumise à aucune forme Crim. 14 avr. 2010, n° 10-80.562 L'information du procureur de la République relative au placement d'une personne en garde à vue peut résulter d'un « billet de garde à vue » télécopié dès la privation de liberté. Dès lors, il importe peu que les mentions du procès-verbal fassent apparaître un retard de trois heures. Alors que la procédure relative à la garde à vue fait l'objet de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité (V. not. P. Cassia, La garde à vue inconstitutionnelle ? D. 2010. Point de vue 590), la Cour de cassation rejette ici un moyen tiré de l'information tardive du procureur de la République. Ainsi que le mentionnait le procès-verbal de garde à vue, le magistrat avait pourtant été prévenu du placement de X en garde à vue plus de trois heures après le début de la mesure, aucune circonstance insurmontable n'étant avancée pour expliquer ce retard. Selon une jurisprudence bien établie, une telle irrégularité est normalement sanctionnée par la nullité en ce qu'elle « fait nécessairement grief à l'intéressé » (Crim. 10 mai 2001, Bull. crim. n ° 119 ; Procédures 2001. Comm. 184, obs. Buisson). La chambre de l'instruction, approuvée par la Cour de cassation, a cependant refusé d'annuler la procédure après avoir exhumé du dossier un « billet de garde à vue », manifestement télécopié au procureur de la République trois minutes après le début de la mesure privative de liberté. Le contenu de ce document n'apparaît pas explicitement, la chambre de l'instruction soulignant même qu'il ne pouvait en être tiré « aucune conviction quant à une information régulière et immédiate du procureur », ce qui ne l'empêcha pas d'affirmer que « le procureur avait été régulièrement informé de la mesure prise à l'encontre de M. X... dès le début de celle-ci ». La Page I 10 Cour de cassation ne relève pas la contradiction et précise que l'information faite au parquet en vertu de l'article 63 du code de procédure pénale n'est soumise à aucune forme. Sans répondre au pourvoi qui, s'inspirant de la jurisprudence européenne (CEDH 10 juill. 2008, n° 3394/03, D. 2008. Jur. 3055, note Hennion-Jacquet ; ibid. 2009. Jur. 600, note Renucci ; RSC 2009. 176, obs. Marguénaud ; AJ pénal 2008. 469, obs. Saas ; CEDH, gr. ch., 29 mars 2010, n° 3394/03, D. 2010. Point de vue 970, obs. Rebut), tendait à remettre en cause l'indépendance du parquet à l'égard de l'exécutif, elle ajoute que l'information résultant du « billet de garde à vue » a permis au procureur de la République d'exercer son contrôle. La solution ne revient donc pas sur la présomption de grief précédemment formulée. Pragmatique et peu respectueuse du formalisme, elle contribue cependant à relativiser, voire à fragiliser, l'obligation d'information au parquet ainsi que la force probante du procès-verbal de garde à vue. La Cour de cassation écarte également le deuxième moyen de cassation, lequel faisait état des conséquences d'une éventuelle déclaration d'inconstitutionnalité sur la procédure en cours. au Conseil constitutionnel. C'est une réponse négative qui va prévaloir aux motifs, d'une part, que la question ne porte pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le conseil n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application et donc n'est pas nouvelle et, d'autre part, que la décision 86-713 du Conseil constitutionnel du 3 septembre 1986 a déclaré conforme à la constitution l'article 706-25 qui renvoie aux dispositions de l'article contesté. En effet, dans la décision citée le Conseil constitutionnel considère que la différence de traitement ne procède pas d'une discrimination injustifiée, « que la cour d'assises instituée par l'article 698-6 du code de procédure pénale présente les garanties requises d'indépendance et d'impartialité ; que devant cette juridiction les droits de la défense sont sauvegardés ; que, donc le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice doit être écarté ». Il se prononce ainsi explicitement sur le caractère constitutionnel de l'article et le refus de transmission des juges de la Haute cour est donc, tout à fait justifié. Cependant, n'est pas abordée la question de la violation de la présomption d'innocence. On peut déplorer cet élément dans la mesure où la substitution de la majorité simple à la majorité qualifiée est de nature à porter atteinte à ce principe en en atténuant la portée puisque d'une certaine façon, le doute va moins profiter à l'accusé. Mais cette question, pour l'heure, ne sera pas tranchée. Terrorisme et procédure dérogatoire à l'épreuve de la QPC Crim. 19 mai 2010, n° 09-82.582 La Cour de cassation transmet au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité. La législation d'exception destinée à lutter contre le terrorisme est source de multiples interrogations dès qu'elle se confronte au respect des droits de l'Homme. Rien d'étonnant alors qu'une disposition fasse l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En l'espèce, c'est l'article 698-6 du code de procédure pénale qui est critiqué. Ce dernier prévoit que l'accusé d'un acte de terrorisme à la différence de tout accusé de droit commun se voit refuser le droit que les réponses défavorables données aux questions soient acquises à une majorité qualifiée. Cette disposition est-elle conforme aux articles 6 et 9 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 qui garantissent respectivement l'égalité devant la loi et la présomption d'innocence ? Telle était la question que la Cour de cassation devait ou non transmettre OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Interdiction de territoire en raison d'opinions controversées : violation de la liberté d'expression CEDH 20 mai 2010, n° 2933/03 L'interdiction de territoire fondée sur l'expression d'opinions controversées méconnaît l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Par un arrêt du 20 mai 2010, la Cour européenne des droits de l'homme juge contraire à l'article 10 l'interdiction de territoire opposée par la Turquie à une universitaire américaine ayant exprimé des opinions sur les questions kurde et arménienne. La requérante, ressortissante américaine qui avait enseigné en Turquie dans les années 1980, avait Page I 11 fait l'objet d'une interdiction de territoire en 1986 en raison de déclarations qu'elle avait faites devant des étudiants et des collègues relativement aux questions kurde et arménienne. Décision qu'elle avait vainement tenté de contester devant les juridictions administratives turques en 1996, à la suite d'une nouvelle expulsion. Devant la Cour de Strasbourg, elle se plaignait d'avoir subi un traitement injustifié en raison de sa religion et soutenait que le fait d'avoir exprimé son opinion sur ces questions, à l'université, ne pouvait justifier aucune sanction. La Cour européenne examine ces griefs sous l'angle de l'article 10 seulement, la requérante n'ayant fourni aucun élément à l'appui de son allégation de violation de l'article 9 (liberté de religion). Elle rappelle d'abord que si le droit des non-nationaux d'entrer sur le territoire d'un État n'est pas, en tant que tel, garanti par la Convention, les restrictions à l'immigration doivent cependant être appliquées de manière conforme aux obligations qu'elle pose (§ 27 ; V. déjà, CEDH, 28 mai 1985, Abdulaziz, Cabales and Balkandali c. Royaume-Uni, Série A n° 94, §§ 59-60 ; 27 avr. 1995, Piermont c. France, Série A n° 314, §§ 51-53, D. 1996. Somm. 193, obs. Rideau). Elle convient ensuite que l'ingérence subie par la requérante dans son droit à la liberté d'expression reposait sur une base légale et visait un but légitime : la protection de la sûreté ou de l'intégrité nationales (§ 34). Sur le caractère nécessaire de celle-ci dans une société démocratique, elle relève cependant que la requérante n'avait commis aucune infraction en exprimant les opinions en cause, lesquelles avaient trait à des sujets qui font encore l'objet d'un débat enflammé non seulement en Turquie mais encore au niveau international. Ne décelant, dans l'argumentation des juridictions nationales, aucun élément permettant de comprendre la dangerosité des opinions exprimées pour la sûreté du pays, la Cour que celles-ci n'ont pas avancé de motif pertinent et suffisant pour justifier l'interdiction et que la mesure était simplement destinée à empêcher la propagation de certaines idées. La violation de l'article 10 est constatée à l'unanimité. Cette affaire permet à la Cour de rappeler, dans le contexte particulier du droit des étrangers, le fait que, dans une société démocratique régie par le pluralisme, la tolérance et l'ouverture d'esprit, la liberté d'expression, telle que garantie par l'article 10, vaut non seulement pour les idées accueillies avec faveur mais aussi pour celles qui heurtent, choquent et inquiètent (V. déjà, cité par la Cour au § 38, CEDH, 18 mai 2004, Éditions Plon c. France, Rec. CEDH, p. 2004-IV, D. 2004. Jur. 1838, note Guedj ; ibid. 2004. Chron. 2539, obs. Fricéro ; V. aussi, CEDH, 23 sept. 1998, Lehideux c. France, Rec. CEDH, p. 1998-VII ; D. 2009. Jur. 223, note Rolland). OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 L'indemnité de rupture anticipée d'un CDD est imposable en totalité CE 5 mai 2010, n° 309803 L'indemnité allouée au salarié à la suite de la rupture anticipée d'un contrat de travail à durée déterminée (CDD) est imposable dans sa totalité. 1. Le principe posé par la loi est clair : à l’exception de celles limitativement énumérées, toute indemnité perçue à l’occasion de la rupture d’un contrat de travail revêt un caractère imposable. Or, l’indemnité que l’employeur est tenu de verser au salarié en cas de rupture anticipée injustifiée d’un contrat de travail à durée déterminée, qui correspond aux rémunérations que le salarié concerné aurait perçues jusqu'au terme du contrat, ne figure pas au nombre de ces indemnités partiellement ou totalement exonérées d’impôt sur le revenu. Elle est donc toujours intégralement imposable (en tant que compensation d'une perte de salaire). 2. Un contribuable ne peut donc pas obtenir gain de cause en soutenant qu’une partie de l’indemnité, perçue lors de la rupture anticipée de son CDD, réparait un préjudice distinct de la seule perte de revenus et qu’elle devait, à ce titre, être exonérée, au moins partiellement, d’impôt sur le revenu. Il est vrai que, jusqu’à l’intervention du législateur, le juge fiscal acceptait d'exonérer une partie de cette indemnité si le salarié établissait avoir subi du chef de la rupture anticipée un préjudice autre que la perte du salaire (préjudice moral, atteinte à la réputation professionnelle, etc.). Mais les dispositions claires de la loi, en vigueur depuis le 1er janvier 1999, ne permettent plus une telle interprétation libérale. 3. L’administration est heureusement plus souple : elle admet que la seule fraction de l’indemnité correspondant aux rémunérations que le salarié aurait perçues jusqu’au terme du contrat est imposable. Page I 12 Le fisc peut, sous condition, notifier l'avis de la commission de conciliation à un seul cohéritier Com. 7 avril 2010, n° 09-14.516 serait pas tenue de notifier un acte de procédure à l'ensemble des personnes qui peuvent être poursuivies si le débiteur solidaire destinataire de l'acte se présente comme représentant ses codébiteurs. Reste toutefois à déterminer quels sont les éléments ou indices de cette représentation. Si la preuve d'un mandat exprès donné à l'un des codébiteurs ne semble pas exigée, suffit-il que le débiteur en cause se déclare le représentant des autres ? Dans l'affirmative, cette déclaration devrait-elle être réitérée à chaque acte de la procédure ou serait-elle valable pour l'ensemble de la procédure ? La Cour de cassation applique le principe selon lequel l'administration doit notifier les actes de procédure à l'ensemble des débiteurs solidaires. Elle réserve toutefois l'hypothèse d'une représentation des codébiteurs par l'un d'entre eux. 1. Il est acquis que l'administration peut notifier un redressement en matière de droits d'enregistrement à l'un quelconque des débiteurs solidaires (notamment Com. 15 mars 1988, Sté Ingebat ; 15 mars 1994, n° 709 D). En 2008, la Cour de cassation a posé une règle novatrice : le principe d'une procédure contradictoire et la loyauté des débats obligent l'administration, postérieurement à la notification des redressements, à notifier à l'ensemble des personnes qui peuvent être poursuivies les actes de la procédure les concernant. A défaut, l'ensemble de la procédure est irrégulier (Com. 18 nov. 2008, n° 07-19.762, DGI c/ Marie). Des doutes sur la portée de cet arrêt sont toutefois nés d'une décision, rendue peu de temps après, par laquelle la Cour a admis que la mise en demeure de souscrire une déclaration de succession peut être notifiée à un seul des codébiteurs solidaires (Com. 2 déc. 2008 n° 07-19.845). 2. La Cour de cassation lève une partie de ces doutes : elle applique le principe posé par l'arrêt Marie, tout en prévoyant une possible représentation des codébiteurs par l'un d'entre eux. Elle juge ainsi que l'administration ne peut pas se contenter de notifier l'avis de la commission départementale de conciliation à un seul des débiteurs solidaires lorsque celui-ci ne s'est pas présenté devant la commission comme représentant ses cohéritiers. Cette solution retenue pour l'avis de la commission nous paraît applicable aux autres actes de procédure (hormis la proposition de rectification), notamment la réponse aux observations formulées par le destinataire de la proposition. 3. En réservant l'hypothèse d'une représentation des codébiteurs par l'un d'entre eux, le présent arrêt tempère les conséquences de la jurisprudence Marie, très lourdes pour l'administration. Elle ne OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Un terrain inclus dans une « zone verte » du PLU n'est pas nécessairement inconstructible CE 26 mai 2010, n° 320780 La délimitation, dans les orientations d'aménagement du PLU présentées sous forme graphique, d'une zone dite « verte » au sein d'une zone AU ne suffit pas à lui conférer un caractère inconstructible. Pour protéger de l'urbanisation un espace vert à travers le PLU, une commune dispose de plusieurs possibilités. Elle peut : - délimiter une zone naturelle à protéger ; - fixer un emplacement réservé aux espaces verts, en application de l'article L. 123-1, 8°, du code de l'urbanisme ; - ou encore classer le secteur concerné en espace boisé, au sens de l'article L. 130-1 du code de l'urbanisme. En revanche, la délimitation, dans les documents graphiques présentant les orientations d'aménagement du PLU, d'une « zone verte » au sein d'une zone à urbaniser AU ne suffit pas à lui conférer un caractère inconstructible. En l'espèce, la zone verte identifiée sous forme graphique n'avait fait l'objet d'aucune de ces trois mesures de protection. Le requérant, propriétaire de parcelles dans ce secteur, s'était vu refuser deux permis de construire pour l'édification de deux maisons d'habitation. Or, le règlement de la zone AU (définie comme un secteur naturel destiné à être ouvert à l'urbanisation Page I 13 sans modification préalable du plan) ne précisait pas que les zones dites « vertes » seraient affectées exclusivement à la réalisation d'espaces verts. En outre, il ne mentionnait pas la construction de maisons d'habitation au titre des occupations et utilisations interdites ou soumises à des conditions particulières. Dès lors, les juges d'appel et de première instance ont commis une erreur de droit en jugeant que le règlement de la zone AU du PLU qui complétait l'orientation d'aménagement de la zone verte affectée à la réalisation d'espaces verts, ne permettait pas d'y réaliser des maisons d'habitation. Le Conseil d'état fait ici prévaloir les dispositions du règlement de la zone sur les orientations d'aménagement présentées sous forme graphique. Si la commune souhaite empêcher l'urbanisation d’un secteur, elle doit donc le prévoir expressément. La Haute juridiction applique ainsi aux orientations d'aménagement la jurisprudence précédemment établie sous le régime des POS, en vertu de laquelle le règlement prime sur les documents graphiques. Les représentations graphiques du POS ne peuvent, par elles-mêmes, créer des règles ou servitudes relatives à l'utilisation du sol. Celles-ci ne peuvent résulter que des dispositions réglementaires (CE, 17 nov. 1999, n° 186258, Fosto). La solution n'était pourtant pas évidente. On relèvera, tout d'abord, qu'en application de l'article L. 123-5 du code de l'urbanisme, les constructions doivent être compatibles avec les orientations d'aménagement du PLU et avec leurs documents graphiques. Par ailleurs, le règlement du PLU prévoyait, en l'espèce, que l'ouverture à l'urbanisation se ferait en compatibilité avec les orientations d'aménagement. QPC sur la procédure de consultation des électeurs sur les projets de fusion de communes CE 18 mai 2010, n° 306643 Le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur la constitutionnalité des articles L. 2113-3 et L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) qui organisent la procédure de consultation des électeurs sur les projets de fusion de communes Le Conseil d'État a renvoyé au Conseil constitutionnel, le 18 mai 2010, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur les articles L. 2113-3 et L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Ces articles organisent la procédure de consultation des électeurs sur les projets de fusion de communes. En l'espèce, les communes de Dunkerque, FortMardyck et Saint-Pol-sur-Mer avaient souhaité fusionner. Une consultation de la population avait été organisée et, si la majorité des votants avaient approuvé cette fusion, leur nombre était toutefois inférieur au quart des électeurs inscrits requis par l'article L. 2113-3 CGCT. Le préfet avait refusé de donner suite au projet. Les trois conseils municipaux ont opté à nouveau pour la fusion et ont saisi le préfet pour qu'il la prononce sur le fondement des articles L. 2113-1 et L. 2113-5 CGCT. Mais ces dispositions devaient cesser d'être en vigueur quatre jours plus tard et le préfet a une seconde fois refusé. La commune de Dunkerque a déféré les deux refus du préfet, sans succès, aux juges du fond (V. CAA Douai 12 avr. 2007, Commune de Dunkerque, AJDA 2007. 1260). À l'occasion de son pourvoi en cassation, la commune de Dunkerque a soulevé une QPC sur ces deux dispositions. Le Conseil d'État a estimé « que […]l'article L. 2113-2 du CGCT, dans sa rédaction issue de l'article 123 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, et l'article L. 2113-3 du même code sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ; que ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux dispositions du dernier alinéa de l'article 72-1 de la Constitution dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n ° 2003-276 du 28 mars 2003 ainsi qu'au principe de libre administration des collectivités territoriales, soulève une question présentant un caractère sérieux ». OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I 14 Etude en avant-première Donation de fruits, d'usufruit ou d'usufruit d'usufruit : conséquences successorales Par Marc Iwanesko, notaire à Toulouse Alors qu'elles aboutissent à un résultat économique comparable, ces trois catégories de donations font l'objet d'un traitement radicalement différent au décès du donateur. Selon le cas, en effet, le donataire sera ou non tenu au rapport. 1. Pour diverses raisons, les parents peuvent souhaiter conférer temporairement des revenus à leurs enfants tout en se réservant la faculté de retrouver ces revenus au terme convenu. Qu'il s'agisse de financer les études des enfants ou de les aider à financer une acquisition, divers modes opératoires sont envisageables selon que les parents sont propriétaires ou simples usufruitiers d'actifs frugifères. Mais leurs conséquences doivent être appréciées au regard du règlement de la succession future. En effet, pour une même valeur transmise, selon que la donation portera sur les fruits ou sur les usufruits, le résultat sera radicalement différent. On envisagera donc successivement la situation juridique créée selon que les parents auront effectué une donation de revenus, une donation d'usufruit à durée limitée ou une donation d'usufruit d'usufruit. I. La donation de fruits et revenus 2. En pratique, ces donations demeurent le plus souvent occultes et sont opérées sans l'assistance d'aucun conseil. Leurs modalités pratiques sont diverses : virements bancaires, appréhension des revenus d'un bien dont le donateur a la propriété ou s'est réservé l'usufruit (sur les désagréables conséquences fiscales qui en découlent pour le nu-propriétaire : TA Strasbourg 2-7-2009 n° 06-1713, 3e ch. : BPAT 2/2010 inf. 115, RJF 4/10 n° 360) ou fourniture gratuite de logement par les parents à leurs enfants. 3. Les conséquences successorales qui résultent de ces donations sont généralement ignorées tant des donateurs que des donataires. Or, la loi 2006-728 du 23 juin 2006 a consacré le rapport de la donation de fruits et revenus dans le but de préserver l'égalité entre héritiers. L'alinéa 2 de l'article 851 du Code civil dispose à cet effet que le rapport « est également dû en cas de donation de fruits ou de revenus, à moins que la libéralité n'ait été faite expressément hors part successorale », confirmant en cela la jurisprudence antérieure (Cass. 1e civ. 14-1-1997 n° 94-16.813 : Bull. civ. I n° 22, Defrénois 1997 art. 36650 p. 1136 note Ph. Malaurie, RTD civ. 1997 p. 480 obs. J. Patarin ; Cass. 1e civ. 8-11-2005 n° 03-13.890 « …même en l'absence d'intention libérale établie, le bénéficiaire d'un avantage indirect en doit compte à ses cohéritiers » : Bull. civ. I n° 409, D. 2006 pan. p. 2072 obs. M. Nicod ; V. Barabé-Bouchard, Occupation gratuite d'un logement par un héritier, de la dispense systématique de rapport au rapport systématique ? JCP N 2006 n° 24 p. 1220). En pratique, « Ce rapport ne devrait cependant pas intervenir s'agissant de donations modiques, qui échappent au statut complexe des libéralités. Cependant, une libéralité peut, quoique prélevée sur les OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I 15 revenus, ne pas être modique et donner lieu à rapport, tout comme une libéralité peut, quoique prélevée sur le capital, rester modique et ne pas être rapportable » (Rapport H. de Richemont : Doc. Sénat n° 343 tome I, session ord. 2005-2006 p. 182). 4. Les donations de fruits ou de revenus sont donc en principe rapportables, qu'elles soient ostensibles ou non. La règle vaut en effet également pour les donations manuelles, déguisées ou indirectes qui procurent des revenus ou économies de revenus (B. Vareille, Nouveau rapport, nouvelle réduction : D 2006 p. 2565 s., spéc. N° 19). Il n'en irait autrement qu'en raison de la modicité de la libéralité consentie (N. Peterka, Donation de fruits et revenus : J.-Cl. Not. Form. fasc. 20 Successions – Rapport des libéralités – Généralités et domaine d'application, spéc. n° 51) ou si le défunt avait dispensé le donataire du rapport (C. civ.art 851, al. 2). Etant toutefois précisé que le rapport suppose une libéralité, qui ne saurait exister lorsque les parents ne font qu'exécuter leur obligation alimentaire envers leurs enfants. A toutes fins utiles, on rappellera les termes de l'article 778 alinéa 2 du Code civil aux héritiers qui auraient une inclination naturelle à présenter des troubles de mémoire : « Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part ». 5. Exemple Claude Jacobin a mis à disposition de sa fille Belle Fonbelssier sa maison de Saint-Emilion pendant 20 ans. La valeur locative est estimée à 1 000 € / mois. A son décès, il laisse cette maison évaluée 240 000 € et ses deux filles Belle Fonbelssier et Fleur Cardinale. 1e hypothèse Claude Jacobin n'a prévu aucune disposition particulière. La masse à partager se compose de la maison pour 240 000 € et de l'indemnité de rapport due par Belle égale à 240 000 € (1000 € x 12 mois x 20 ans). Belle est allotie de son rapport en moins prenant, soit 240 000 €. Fleur est allotie de la maison, soit 240 000 €. 2e hypothèse Claude Jacobin a stipulé dans un testament une dispense de rapport au profit de Belle. La donation s'impute sur la quotité disponible de 160 000 €, qu'elle épuise (en présence de deux enfants, la quotité disponible est du tiers : C. civ. art. 913). Belle doit donc une indemnité de réduction de 80 000 € qu'elle conserve par confusion sur elle-même. Fleur est allotie de la maison et verse une soulte à sa sœur de 80 000 €. II. La donation d'usufruit à durée limitée 6. A la différence de la donation de fruits qui est consentie en propriété, la donation porte ici sur l'usufruit d'un bien. Les avantages économiques et fiscaux 7. La faible valorisation fiscale de l'usufruit permet de conférer des revenus aux enfants avec une fiscalité attrayante. L'objectif recherché consiste souvent à assurer une autonomie financière aux enfants au meilleur coût fiscal. La cession d'usufruit à durée déterminée est un moyen pertinent d'y parvenir. En effet, les parents financent les études des enfants après paiement de l'IR, de l'ISF et des cotisations sociales. Or, il est fiscalement préférable de transférer aux enfants le droit aux revenus du bien. Le non-rattachement de l'enfant au foyer fiscal fera certes perdre une part ou une demi-part, mais le plafonnement des effets du quotient familial sera très largement compensé par les économies réalisées par ailleurs. En outre, ce montage étant fondé sur des considérations économiques (financer les études des enfants) est à l'abri de toute remise en cause au titre de l'abus de droit sur le fondement de l'article L 64 du LPF. 8. Exemple Arnaud et Florence ont un fils, César, qui entame des études de médecine dont le coût est estimé à 1 500 € par mois, soit 18 000 € par an. OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I 16 Le couple est propriétaire de parts de SCPI, d'une valeur de 1 000 000 €, dont le taux de rendement est de 6 %. Les parents payent l'IR au taux marginal de 40 %, auquel il faut ajouter les prélèvements sociaux au taux de 12,1 % sur les revenus fonciers. Compte tenu de la déductibilité partielle de la CSG (à hauteur de 5,8 %), le taux d'imposition des revenus des parts de SCPI est de 49,78 %. Le couple est en outre assujetti à l'ISF au taux marginal de 1 %. Pour obtenir 18 000 € après impôts, Arnaud et Florence doivent sacrifier la quasi-totalité des 60 000 € qu'ils retirent de leurs parts de SCPI. Ces 60 000 € de revenus fonciers leur coûtent en effet 29 868 € d'IR et de cotisations sociales et 10 000 € d'ISF. Après financement des études de César, il ne leur reste donc plus que 2 132 € par an (20 132 – 18 000). Etant précisé que les parents peuvent rattacher leur fils à leur foyer fiscal pour bénéficier d'une demi-part supplémentaire ou déduire la pension qu'ils lui versent, l'avantage fiscal en résultant étant dans les deux cas plafonné à 2 301 € (revenus 2009). Arnaud et Florence donnent pour 10 ans à César l'usufruit de 400 000 € de parts de SCPI. Valeur fiscale : 92 000 €, soit 400 000 € x 23 % (CGI art 669-II). Compte tenu des abattements entre parents et enfants (156 974 € en 2010), la donation se fait en franchise de droits de mutation. Seuls seront dus la taxe de publicité foncière (0,715 %) et le salaire du conservateur des hypothèques (0,1 %) sur la valeur de l'usufruit donné. César encaisse 24 000 € de revenus fonciers sur lesquelles il paye (environ) 2 041 € d'IR (barème de l'IR 2010 sur les revenus 2009) et 2 347 € de cotisations sociales, ayant cessé d'être rattaché au foyer fiscal de ses parents. Ses revenus nets seront donc de 19 612 € par an. Arnaud et Florence conserveront le solde des revenus, soit 36 000 € par an. Ils payent 14 400 € d'IR et 3 521 € de cotisations sociales. L'ISF n'est plus que de 6 000 €. Après impôt, il leur restera 12 079 €. Abstraction faite de la perte de la majoration du quotient familial ou de la déduction de la pension, le gain fiscal annuel sera donc de 9 947 €. Sur la durée des études de César, le gain en résultant sera donc de 99 472 €. Les conséquences successorales 9. Deux questions doivent être résolues. Les fruits perçus par l'usufruitier sont-ils rapportables ? L'usufruit est-il lui-même rapportable ? 10. Les fruits perçus par l'usufruitier sont-ils rapportables ? L'article 856 alinéa 1 du Code civil dispose que « Les fruits des choses sujettes à rapport sont dus à compter du jour de l'ouverture de la succession ». Aucun rapport n'est donc dû au titre des fruits que le bien donné a pu produire entre la donation et le décès (Cass. 1e civ. 14-1-1997 n° 94-16.813 cité par M. Grimaldi, Droit Civil Successions, Litec 5e édition, n° 671 note 29 : « Attendu qu'aux termes de l'article 856 du Code civil, les fruits des choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour de l'ouverture de la succession ; que cette disposition, dérogatoire à la règle générale formulée par l'article 843, est fondée sur la volonté présumée du donateur, dont la libéralité tournerait évidemment au détriment du donataire si ce dernier était obligé de rapporter, non seulement, la chose donnée elle-même, mais encore tous les fruits qu'elle a produits » ; F. Julienne : L'usufruit à l'épreuve des règlements pécuniaires familiaux, Thèse Aix-Marseille III, PUAM 2009). Ce que confirme le commentateur d'un vieil arrêt de la Cour de cassation : « L'article 856 dispense du rapport les fruits et revenus des choses sujettes à rapport. Il résulte de là que le donataire qui effectue le rapport se trouve dans la situation d'un usufruitier dont le droit vient à cesser. Il restitue le bien donné, en gardant les fruits perçus par lui. Le donataire d'un usufruit sera dans la situation de l'usufruitier d'un usufruit. Il gardera les fruits par lui perçus en restituant le droit d'usufruit s'il subsiste encore. Il n'aura à faire aucune restitution si le droit d'usufruit s'est éteint par le prédécès de la personne sur la tête de laquelle il était constitué » (Flurer, sous Civ. 27-10-1886 : S 1887.1.193). 11. L'usufruit donné est-il rapportable ? On sait que tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt par donations entre vifs, directement ou indirectement, sauf si la libéralité lui a été consentie hors part successorale (C. civ. art. 843). Le rapport est alors dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation (C. civ. Art. 860). Tout dépend alors de savoir si le décès survient avant ou après l'extinction de l'usufruit donné. 12. Lorsque la succession s'ouvre après l'extinction de l'usufruit donné (par l'expiration du temps pour lequel il avait été accordé : C. civ. art 617), aucun rapport n'est dû. En effet, la valeur de l'usufruit est nulle puisque, par définition, ce dernier a disparu. « S'il n'existe plus (l'usufruit), la donation d'un bien en OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I 17 usufruit, dont la valeur est nulle, ne peut être indiscutablement soumise au rapport » (F. Julienne précité, n ° 240). Il en résultera donc un véritable avantage pour le gratifié qui n'aura pas à en tenir compte à ses cohéritiers. Il n'est pas certain que la paix des familles en sorte renforcée. On veillera donc à réaliser ces libéralités de manière équitable entre les enfants. Exemple Jean Tillome donne l'usufruit pour dix ans à sa fille Maud d'un immeuble de rapport d'une valeur de 1 000 000 € en pleine propriété et dont le taux de rendement est de 10 %. Sur la période de dix ans, le loyer se revalorise de 2 % par an. Maud aura donc perçu en dix ans la somme de 1 094 972 €. Jean Tillome décède le lendemain de l'extinction de l'usufruit. Son patrimoine est uniquement composé de l'immeuble qui s'est valorisé de 2 % par an depuis la donation et vaut donc 1 220 000 €. Il laisse deux enfants, Maud et Rémy. Chacun a droit à 610 000 €. Au bout du compte, Rémy aura eu 610 000 € et Maud 1 704 972 €. 13. ;Si le décès du donateur survient en cours d'usufruit, l'usufruit qui a été constitué sur la tête du donataire existe toujours. L'héritier usufruitier qui vient à la succession est tenu au rapport selon la valeur de son usufruit à l'époque du partage. (M. Grimaldi, Droit Civil Successions : Litec 6e édition n° 694). En principe, le rapport se fait en moins-prenant et il ne peut être exigé en nature, sauf stipulation contraire de l'acte de donation (C. civ. art. 858). La valeur de l'usufruit ne pourra alors pas résulter du barème fiscal, mais devra être évaluée selon la méthode du cash flow actualisé. L'usufruitier pourra s'il le souhaite effectuer le rapport en nature. En pareille hypothèse, si l'état des biens donnés a été amélioré par lui, il devra lui en être tenu compte, eu égard à ce dont leur valeur se trouve augmentée. Il doit en outre lui être tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites pour la conservation du bien (C. civ. art. 861). Dans cette hypothèse, et afin de prévenir toute difficulté, on prendra donc le soin d'effectuer une expertise de l'immeuble au moment de la donation si l'acte prévoit un rapport en nature ou si le donataire en envisage l'éventualité. III. Donation d'usufruit d'usufruit 14. ;Si les parents ont déjà aliéné la nue-propriété, ils ne peuvent consentir une donation à durée déterminée de l'usufruit. En effet, si l'usufruit est toujours temporaire, la cession ne l'est jamais (R. Libchaber, Cession temporaire d'usufruit : Defrénois 2008 art. 38816). En revanche, les parents pourront parvenir au résultat souhaité en consentant un usufruit à durée déterminée sur l'usufruit qu'ils se seront préalablement réservé. La doctrine est en effet unanime à en admettre la possibilité (A. Rieg, Encyclopédie Dalloz V° Usufruit n°s 102, 181 et 278 ; M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil par Ripert et Boulanger, Tome I n° 3513 ; Ch. Aubry et Ch. Rau, Tome II n° 416). Au terme de l'usufruit d'usufruit ainsi consenti, l'usufruitier constituant retrouvera les revenus ou l'usage du bien. La donation d'un usufruit d'usufruit aura donc permis à un simple usufruitier de conférer les revenus d'un bien à un enfant pendant une durée déterminée, sans se déposséder définitivement (M. Iwanesko, Usufruit d'usufruit : Droit et Patrimoine 4/2006). La donation elle-même 15. L'usufruit consenti sur l'usufruit préexistant n'est rien d'autre que le droit d'usufruit du premier titulaire (F. Barbier, La nature juridique de l'usufruit : Thèse Lyon 1987 p. 198). Toutefois, l'usufruitier d'usufruit n'est pas titulaire du droit incorporel objet de son droit. Il n'en a que l'exercice. L'usufruitier de la chose et l'usufruitier de l'usufruit se partagent l'usufruit, non pas par une répartition des attributs, mais par une ventilation des dimensions du droit : l'un a le titre, l'autre l'émolument (F. Zénati, Droits de l'usufruitier : RTD civ. 1998 p. 414). Par ailleurs, nul ne pouvant transmettre plus de droits qu'il n'en possède, l'usufruitier en titre ne peut transmettre à l'usufruitier de son usufruit que l'usage du bien et des fruits dont il bénéficie (F. Barbier, thèse précitée p. 199). OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I 18 Economiquement, l'usufruitier d'usufruit jouit de toutes les prérogatives conférées par l'usufruit, aussi la valeur de l'usufruit d'usufruit est-elle nécessairement égale à la valeur de l'usufruit lui-même. 16. L'usufruit d'usufruit cessera au terme prévu, sauf si l'usufruitier initial décède avant ce terme : l'usufruit ayant été constitué sur la tête de l'usufruitier initial, il cessera automatiquement à son décès (Cass. ch. réunies 16-6-1933 : DH 1933, 393). Si l'usufruitier d'usufruit décède avant le terme stipulé, son usufruit cessera et l'usufruit initial retrouvera le plein exercice de son usufruit (S. Grimaldi, Le caractère viager de l'usufruit : Thèse Paris II 2000 p. 103). Les conséquences successorales 17. Le rapport des fruits Pas plus que ceux perçus par l'usufruitier, les fruits perçus par l'usufruitier d'usufruit ne sont rapportables. 18. Le rapport de l'usufruit d'usufruit Trois cas de figure peuvent se rencontrer. Mais le rapport ne sera dû dans aucun cas : • • • l'usufruit d'usufruit est éteint au jour du décès de l'usufruitier constituant par l'expiration du temps pour lequel il a été accordé. La solution est identique à celle de l'usufruit : aucun rapport n'est dû par l'usufruitier d'usufruit ; l'usufruitier constituant prédécède. Ainsi que nous l'avons indiqué ci-dessus, l'usufruit d'usufruit s'éteint en même temps que l'usufruit lui même. Aucun rapport n'est donc dû par l'usufruitier d'usufruit ; l'usufruitier d'usufruit décède avant l'usufruitier constituant. L'usufruit d'usufruit est recueilli par ses héritiers. Mais par définition aucun rapport n'est dû puisque la succession de l'usufruitier constituant n'est pas ouverte, sinon l'usufruit d'usufruit serait éteint. IV. Conclusion 19. Le traitement successoral des donations de fruits et des donations d'usufruit et d'usufruit d'usufruit peut aboutir à des résultats radicalement différents. Cela peut paraître choquant sur le plan économique. Pour une même valeur transférée, les conséquences seront radicalement différentes. Mais cela résulte de l'application de la règle de droit : le rapport est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation (C. civ. art 860). Les fruits, donnés en propriété, doivent être rapportés pour cette valeur. L'usufruit est également rapportable et selon la même règle pour sa valeur au jour du partage. S'il est éteint ce jour-là, le rapport est égal à zéro. Les conséquences sont différentes, tout simplement parce que donner les revenus d'un bien ou l'usufruit d'un bien, ce n'est pas la même chose. Pour éviter tous problèmes familiaux on conseillera donc de procéder de la même manière pour tous les enfants (soit les fruits, soit l'usufruit). A titre palliatif, on conseillera de stipuler que la donation de fruits est faite hors part successorale, ainsi que le permet l'article 851 du Code civil. OMNIDROIT I Newsletter N°102 I 09.06.2010 Page I 19