Le paradoxe de la performance ISR

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Le paradoxe de la performance ISR
www.pictet.com
Le paradoxe de la performance ISR
Mai 2008
Le paradoxe de la
performance ISR
ou comment évaluer et mesurer la performance
extra-financière de l’investissement socialement responsable
MAI 2008
1
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
Table des matières
Préface
4
Sommaire
5
1. Introduction
6
2. La performance financière:
une vision réductrice de l’ISR…
8
3. Vers un concept multidimensionnel
10
4. La performance extra-financière
13
A. Rendement environnemental
16
B. Rendement social
20
5. Discussion et conclusion
23
3
Préface
Par Philippe
Voici tout juste deux ans, Pictet me demandait de rédiger une brève introduction à un
Spicher, CEO de
article majeur, intitulé «Qualité ne rime pas toujours avec quantité… - Une nouvelle
Centre Info et
approche de l’analyse durable». Ce papier passionnant critiquait le nombre sans cesse
directeur exécutif
croissant de critères ISR non quantifiables et plaidait en faveur de l’utilisation de fac-
de SiRi Company
teurs clés d’impact, certes peu nombreux, mais particulièrement pertinents pour l’évaluation de la durabilité des entreprises.
A la demande de notre client, et en étroite collaboration avec des cabinets de conseil
spécialisés et des universitaires, nous avons intensément travaillé ces deux dernières
années au développement d’un véritable outil d’évaluation (envIMPACT) qui permettrait à nos clients de chiffrer l’intensité carbone des entreprises pour l’ensemble de leur
chaîne de production. Et je suis fier de pouvoir affirmer que nos efforts de recherche se
sont déjà matérialisés dans la gestion durable d’environ CHF 2 milliards d’actifs.
Le présent article, «Le paradoxe de la performance ISR», témoigne de la constance de
l’esprit novateur de Pictet dans ce domaine, car il met l’accent sur un thème extrêmement important, négligé depuis beaucoup trop longtemps: le reporting de la performance extra-financière.
Les auteurs y démontrent en effet qu’en construisant leurs portefeuilles à l’aide de notre
nouveau système de notation envIMPACT, les investisseurs peuvent en réduire sensiblement l’empreinte carbone. Pictet complète cette mesure en y intégrant un facteur qui
lui est propre, celui de la création nette d’emplois, apportant une fois encore la preuve
que les portefeuilles ISR construits avec soin sont capables de créer davantage d’emplois que les portefeuilles traditionnels.
Et c’est une bonne nouvelle. En tant qu’agence de notation et consultant ISR depuis des
années, j’ai toujours pensé qu’il manquait une pierre à l’édifice en se limitant au seul
reporting de la performance financière des entreprises que nous évaluons. Je suis par
conséquent heureux que cette étude ouvre la voie à un reporting crédible de la performance extra-financière et j’espère sincèrement que de plus en plus d’investisseurs réclameront à l’avenir ce type d’information, afin de pouvoir déterminer la véritable valeur
de leur investissement ISR.
Le présent article apporte une contribution très précieuse à l’évolution de l’analyse ISR.
4
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
Sommaire
Nous entendons montrer à travers cette étude que l’obsession du rendement financier
d’un investissement socialement responsable (ISR) relève du paradoxe car la performance financière ne saurait être une condition suffisante au succès d’une stratégie d’investissement ISR. Les objectifs de l’investisseur social ne peuvent en effet être que multidimensionnels. Leur fonction d’utilité inclut donc également une dimension explicite
de performance sociale et environnementale. D’où la nécessité d’un reporting extrafinancier, crédible et transparent. Les notations ISR actuelles restent trop qualitatives et
subjectives et ne font pas une place suffisante à la quête de la performance extra-financière des portefeuilles. En utilisant des marqueurs simples de durabilité – émissions de
CO2 pour l’environnement et création d’emplois pour la responsabilité sociale des entreprises – nous décrivons ici pour la première fois ce que pourrait être un rapport extrafinancier. Nous montrerons en effet que les entreprises figurant dans un portefeuille
durable émettent moins de CO2 et créent davantage d’emplois que leurs pairs, fournissant donc à l’investisseur une valeur ajoutée environnementale et sociale mesurable. En
dernière analyse, la manière de concilier et de combiner les différents objectifs financiers et extra-financiers est certes une décision qui appartient au seul client. Mais la
mesure de la performance extra-financière peut s’avérer utile à des investisseurs institutionnels comme les responsables de fonds de pension, qui doivent démontrer qu’en
misant sur les investissements durables, ils agissent effectivement dans l’intérêt de la
société – et donc de leurs bénéficiaires.
5
1. Introduction
L’éternelle
L’une des premières questions qui se posent généralement lorsqu’on aborde le thème de
question de la
l’investissement socialement responsable (ISR) est celle de la performance financière.
«performance»
Déterminer si oui ou non l’ISR peut ajouter de la valeur financière ou réduire les risques –
ou les deux – est en effet considéré comme le test décisif permettant de juger du succès
d’une stratégie ISR. Au sein de la communauté de l’investissement durable, les «matérialistes» tentent d’expliquer pourquoi les investisseurs devraient se focaliser sur les indicateurs ESG1 , financièrement importants, banalisant ainsi le concept d’ISR et lui faisant perdre de vue son objectif premier, qui est de promouvoir le développement durable et de
s’interroger sur la manière dont les marchés financiers pourraient y contribuer.
La performance
Nous souhaitons pour notre part adopter une approche quelque peu différente, en par-
financière: une
tant de l’hypothèse que si la performance financière est certes une condition nécessaire,
condition
elle ne suffit pas à rendre une stratégie d’investissement ISR crédible. Dans ce contexte,
nécessaire, mais
nécessaire signifie que la performance financière doit correspondre, en moyenne et sur
pas suffisante
une période d’investissement raisonnablement longue, à celle du marché pris dans son
ensemble. En fait, rares sont les investisseurs prêts à tolérer une sous-performance
financière substantielle et systématique pour des raisons éthiques. Pour assurer le succès de l’ISR au-delà de sa clientèle actuelle et convaincre le grand public, il est donc
impératif que les produits d’investissement durable génèrent des rendements ajustés au
risque satisfaisants, compatibles avec ceux du marché.
Ni raisonnable ni
Ceci étant posé, nous pensons qu’il n’est ni raisonnable ni nécessaire d’exiger qu’une
nécessaire…
stratégie ISR surperforme en permanence le marché global pour être admise au panthéon des stratégies d’investissement reconnues. Cette approche serait déraisonnable,
car il apparaît irrationnel d’attendre d’une stratégie ISR qu’elle réussisse là où les autres
stratégies d'investissement (plus traditionnelles) échouent: en règle générale, les gérants
actifs sont connus pour ne pas atteindre, en moyenne, l’indice de référence – et cet état
de fait est davantage imputable à la logique qu’à une quelconque éventuelle incompétence.
Car, mathématiquement, une moitié des gérants atteindra des résultats supérieurs à la
moyenne, tandis que l’autre générera des rendements inférieurs. Si l’on y ajoute les frais,
ce sont probablement la majorité des gérants de fortune actifs qui seront dans l’incapacité
de battre l’indice de référence qu’ils avaient eu l’ambition de surpasser2.
6
1
Certains acteurs se démènent pour faire disparaître le terme supposé démodé d’«ISR» en invoquant la nature différente
de l’investissement «ESG» (Environnement, Social et Gouvernance). Nous ne pensons pas que cela soit vraiment nécessaire, car l’investissement socialement responsable a intégré depuis longtemps l’importance des aspects liés aussi bien
à l’environnement qu’à la gouvernance. Pour des raisons pratiques, tous les acronymes existants (CSR, IR, ISR, ESG)
seront donc considérés ici comme des synonymes et c’est le terme d’ISR qui sera le plus fréquemment retenu dans ce
texte.
2
Ou, avec les mots de William F. Sharpe: “To repeat: Properly measured, the average actively managed dollar must
underperform the average passively managed dollar, net of costs. Empirical analyses that appear to refute this principle are guilty of improper measurement”. The Arithmetic of Active Management, The Financial Analysts' Journal
Vol. 47/1. 1991.
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
Dans ces conditions, exiger une surperformance financière permanente n’est probablement pas seulement excessif, mais aussi inutile. En effet, toutes choses égales par ailleurs, un investisseur rationnel passera toujours à une stratégie d’investissement durable lorsque les rendements se révéleront conformes à ceux du marché, car une telle
stratégie a davantage de chance de générer des effets externes positifs pour la société
et – en tant que membre de la société – l’investisseur sera deux fois gagnant. C’est ce
que nous nous proposons de démontrer ici, en examinant la manière d’évaluer et de
mesurer la performance extra-financière, en cherchant à déterminer dans quelle mesure
on peut effectivement affirmer que les portefeuilles durables tiennent leurs promesses.
7
2. La performance financière:
une vision réductrice de l’ISR…
Parlons valeur(s)
Suite aux besoins croissants d’information ISR de la part des investisseurs, la recherche
ISR est un secteur en pleine expansion. Récemment encore, il fallait se procurer cette
information auprès d’agences de recherche spécialisées ou en investissant dans l’un des
nombreux produits ISR proposés sur le marché. Les investisseurs qui souhaitent une
analyse ISR exhaustive et homogène sur un vaste univers d’investissements doivent
néanmoins toujours payer pour cette recherche, bien que de nombreuses maisons de
courtage traditionnelles aient récemment constitué de petites unités ISR spécialisées,
faisant ainsi de l’information relative aux investissements durables un quasi produit de
base. Dans le passé, les produits ISR étaient nettement plus onéreux que les produits
actifs comparables, et ce en raison du moindre volume d’actifs sous gestion et de la relative faiblesse des économies d’échelle. Aujourd’hui, compte tenu du progrès de la
recherche et de l’efficience de la gestion des portefeuilles, une majoration par rapport
à la gestion active traditionnelle ne paraît plus justifiée, bien que nombre de produits
ISR de détail semblent toujours parvenir à obtenir des frais de gestion élévés des investisseurs. Quoi qu’il en soit, la bonne question à poser n’est pas tant celle des frais de gestion que celle de savoir si les investisseurs en ont pour leur argent.
Les «matérialistes
L’une des bizarreries de l’ISR est que les investisseurs privilégiant la durabilité se don-
de l’ISR» se
nent beaucoup de mal pour identifier les candidats à l’investissement en fonction de leur
contentent de la
vision du développement durable, mais qu’au bout du compte, ils se contentent de mesu-
seule performance
rer uniquement la performance financière de leurs avoirs. On ne peut que noter cette
financière
criante contradiction entre, d’une part, le fait de consacrer du temps et de l’argent à
l’identification des entreprises «vertueuses» et, d’autre part, celui de considérer qu’in
fine la seule chose qui compte est leur performance financière. Une vision aussi réductrice ne saurait se justifier que pour des investisseurs ISR purement opportunistes, qu’on
pourrait qualifier de «matérialistes de l’ISR»3. Si la recherche ISR ne sert qu’à identifier
les facteurs ayant une importance pour la performance financière d’une société, alors
seule cette dernière doit effectivement être mesurée et rien d’autre.
Les investisseurs
Il paraît toutefois plus intéressant de se pencher sur les investisseurs que nous pour-
sociaux voient
rions qualifier de «sociaux» car, à nos yeux, l’immense majorité des investisseurs orien-
plus loin que la
tés ISR se compose en fait d’«investisseurs sociaux» et non d’opportunistes à court
maximisation des
terme4. Dans ce contexte, le terme «social» n’a pas de connotation politique mais se
profits
réfère au concept de «planificateur social» utilisé dans le domaine de l’économie des res-
8
3
Pour lire une critique de la «matérialité» actuellement en vogue, reportez-vous à notre article «De la nécessité du
retour aux notions essentielles du développement durable face au discours réducteur sur la matérialité des facteurs
ESG…».
4
Investir dans de bonnes sociétés pour de mauvaises raisons n’est pas forcément un mal en soit puisque les bonnes
sociétés profiteront ainsi d’une meilleure valorisation et d’un accès plus facile au capital, mais le problème se pose
dès lors qu’il y a conflit entre durabilité et rentabilité. On ne peut tout simplement pas nier l’existence de ce type
de conflit d’intérêts dans un monde d’externalités.
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
sources. Le planificateur social – qui se situe au-dessus de celui qui cherche à maximiser son profit – s’efforce d’allouer de façon efficiente les ressources selon le principe de
Pareto. Les investisseurs sociaux optent pour une stratégie ISR parce qu’ils recherchent
délibérément davantage qu’une simple performance financière pour leurs placements.
En particulier, les investisseurs institutionnels qui investissent dans l’intérêt exclusif de
leurs bénéficiaires sont, presque par définition, des investisseurs sociaux: en optimisant
les rendements pour le compte d’un groupe de personnes dont les préférences individuelles sont inconnues, on peut raisonnablement supposer qu’elles sont en convergence
avec les aspirations de la société dans son ensemble, dans la mesure où, en dernière analyse, celle-ci peut être considérée comme l’agrégat de tous ces bénéficiaires individuels.
Les investisseurs sociaux essaient par ailleurs de prévenir les conséquences potentiel-
Le court-terme
lement négatives d’une stratégie d’investissement à trop court-terme et brutale. Il
pourrait avoir un
apparaît en effet très probable qu’une stratégie d’investissement destinée à maximiser
effet boomerang
le profit à court terme en contraignant les sociétés à supprimer des emplois ou à les
délocaliser vers des pays à bas salaires, ou en les incitant à limiter leurs dépenses environnementales, se retourne contre ceux précisément supposés bénéficier de retours sur
investissement en hausse.
Toutefois, alors que les investisseurs en quête de performance disposent d’une foule d’ou-
Il n’existe pas
tils de sélection et de mesure des résultats, il n’existe pratiquement pas d’outils équivalents
encore d’outils
permettant de mesurer la performance extra-financière d’un investissement. L’investisseur
de mesure de la
orienté ISR est dès lors condamné à se contenter de vagues mesures standard de perfor-
performance ISR
mance, incapables de lui indiquer s’il est également en train d’atteindre ses objectifs extrafinanciers. Cherchons maintenant à comprendre pourquoi il en est ainsi et ce qui peut être
fait pour sortir de ce surprenant paradoxe.
9
3. Vers un concept multidimensionnel
Les raisons du
L’un des éléments les plus étonnants à propos du «paradoxe de la performance ISR»
«paradoxe de la
mentionné plus haut est que rien, ou presque, n’est fait pour essayer de remédier à cette
performance ISR»
situation, bien que l’ISR ne soit pas récent5. Nous pensons que la persistance de cette
anomalie est due à deux facteurs: d’une part, les lacunes de la recherche ISR actuelle,
d’autre part, une certaine réticence de la part des gérants d’actifs à faire état de la performance en y incluant sa dimension extra-financière. Examinons tout d’abord ce qu’il
en est de l’actuelle recherche ISR:
Trop de données
L’écrasante majorité des indicateurs ISR utilisés aujourd’hui est de nature purement qua-
qualitatives
litative. Même lorsque des données apparemment quantitatives sont prises en compte
(par exemple les données relatives aux émissions), elles ne servent souvent qu’à corroborer ou vérifier la conviction qualitative de l’analyste ISR. Par conséquent, les séries
chronologiques de données quantitatives cohérentes sont encore rares et il est donc très
difficile d’établir une mesure précise et vérifiable des progrès d’une entreprise sur la
durée.
Beaucoup de
Quant à la subjectivité inhérente au processus d’analyse, elle est étroitement liée à ce
place laissée à la
premier point. Si nous observons que le score d’une société s’est amélioré entre deux
subjectivité
dates données, rien ne nous permet a priori de confirmer qu’il s’agit effectivement d’une
amélioration de la performance ISR et non d’un phénomène artificiel induit par l’analyste (c’est-à-dire dû à la disponibilité de données supplémentaires ou à la réinterprétation d’informations existantes). Ce qui ne peut être mesuré doit donc être simplement
cru sur parole.
Trop d’indicateurs
Un troisième problème que nous avions identifié il y a quelque temps déjà6 concerne la
s’annulent
multiplication des critères et indicateurs entrant dans ce qu’il est convenu d’appeler les
évaluations ISR standard. Si des centaines de critères et d’indicateurs ISR sont collectés et combinés, on prend le risque de perdre l’information des critères les plus relevants sous une masse d’indicateurs peu significatifs, et qui peuvent être contradictoires,
de telle sorte qu’il est très difficile de tirer des conclusions claires et sans ambiguïté quant
aux progrès effectivement réalisés par l’entreprise.
Pas de consensus
Enfin, il y a pléthore de méthodes – souvent concurrentes – d’évaluation de la «durabi-
en vue
lité», et bien qu’une observation plus précise fasse apparaître des redondances consi-
10
5
Par souci d’équité, nous tenons à mentionner ici le modèle d’analyse d’empreinte carbone de Trucost qui va dans
ce sens, ainsi que d’autres initiatives, plus académiques, comme le logiciel de cycle de vie MIET développé à l’Université de Leyde aux Pays-Bas. Cependant, ces approches ont à notre avis le défaut de ne pas prendre en compte
la dimension sociale. Par ailleurs, en raison de leur fort biais sectoriel, elles sont moins aptes à évaluer la performance ISR de portefeuilles «best-in-class» largement diversifiés.
6
Qualité ne rime pas toujours avec quantité…Une nouvelle approche de l’analyse durable. Etude Pictet 2005.
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
dérables entre les indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance utilisés par
les différents fournisseurs d’informations, il n’y a pas à ce jour de consensus clair sur la
manière d’agréger tous ces indicateurs en une note de durabilité globale. Souvent, il n’y
a pas la volonté de trouver un consensus, car les analystes ISR et les fournisseurs
d’informations cherchent délibérément à se différencier les uns des autres sur le marché, faisant ainsi obstacle à l’élaboration de cadres communs de reporting de la performance7.
L’effet combiné des problèmes énumérés plus haut explique déjà en grande partie pour-
Crainte d’une
quoi il n’existe pas d’outil standardisé permettant de présenter aux clients la perfor-
sous-performance
mance extra-financière des investissements ISR. Mais ce n’est pas tout. Une autre rai-
en matière de
son de la quasi-absence de reporting en matière de performance extra-financière
durabilité?
provient du fait que les prestataires de services financiers y sont foncièrement réticents.
Car, à partir du moment où l’on décide de publier des informations sur la dimension
environnementale, sociale et financière, il faut aussi être capable d’accepter l’éventualité d’une sous-performance extra-financière. Mais il va de soi que cela ne saurait justifier que l’on reste inactif. Personne n’envisagerait sérieusement d’exclure le reporting
financier pour la simple raison qu’il pourrait révéler une sous-performance! Ce serait
la meilleure façon d’être très rapidement condamné à mettre la clé sous la porte...
Le rapport sur la performance extra-financière ne devrait donc pas être considéré
Une opportunité
comme une menace, mais bel et bien comme une opportunité. La mesure multidimen-
plutôt qu’une
sionnelle de la performance ISR peut en effet s’avérer un complément utile à un repor-
menace
ting financier standard ainsi qu’une justification bienvenue à la stratégie d’investissement durable retenue, notamment lorsque les marchés financiers ne récompensent pas
correctement le comportement respectueux de durabilité des entreprises. En outre, et
sous réserve que la méthode de sélection sous-jacente des titres ISR soit efficace, les
risques de sous-performance ISR apparaissent théoriquement beaucoup plus faibles
que ceux de sous-performance financière. En effet, les rendements des marchés actions
sont influencés par de nombreux facteurs sur lesquels l’entreprise n’a qu’un contrôle
limité, alors qu’un comportement durable est par définition la conséquence d’une décision consciente.
La base d’un système de reporting correct de la performance extra-financière dépend
Comment mesurer
de sa «mesurabilité». Ainsi le prix du titre d’une société cotée peut être suivi en temps
la durabilité?
réel. Il ne saurait dès lors y avoir de désaccord possible quant à sa valeur chiffrée à un
instant donné. Bien sûr, on pourrait ne pas être d’accord sur la juste valeur du titre, mais
là n’est pas la question. Malheureusement, on ne peut en dire autant de la durabilité.
7
La «Global Reporting Initiative» (GRI) représente un autre effort louable de lisser et de comparer la performance
ISR; toutefois, ce cadre est surtout utile aux sociétés et aux analystes et ne se prête pas facilement au reporting de
la performance au niveau d’un portefeuille.
11
Emplois et CO2,
les «marqueurs»
de la durabilité
Nous devons donc commencer par nous pencher sur le problème de la «mesurabilité»
de la performance ISR évoqué plus haut. A ce propos, nous pensons avoir déjà avancé
une proposition viable en son temps. Dans un papier6 datant de 2005, nous avions déjà
défendu l’idée d’introduire des facteurs clés d’impact environnemental et social moins
nombreux, plus simples et surtout plus vérifiables en vue d’évaluer la performance des
sociétés en termes de durabilité. Nous avions alors présenté un ensemble limité de critères environnementaux particulièrement pertinents (principalement liés à l’énergie ou,
d’une façon équivalente, aux émissions de CO2), ainsi que la mesure pragmatique de la
création nette d’emplois par les entreprises8. Depuis lors, le concept clé d’impact environnemental n’a cessé d’être affiné, en étroite collaboration avec notre fidèle fournisseur d’informations ISR, Centre Info, afin d’en faire un nouvel outil complet d’évaluation
ISR (envIMPACT®) permettant de noter et d’identifier les candidats à l’investissement
en fonction de leurs émissions de gaz à effet de serre.
8
12
Cf. «La bourse récompense-t-elle la création d’emplois?» (Pictet 2006) où nous présentons et discutons en détail le
concept sous-jacent de création d’emplois comme mesure de la responsabilité sociale des entreprises.
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
4. La performance extra-financière
Notre première tâche sera de montrer que le processus ISR est effectivement apte à pro-
Le processus ISR
duire un portefeuille nettement plus durable que le marché pris dans son ensemble. Cela
identifie-t-il les
semble une évidence, mais nous devons nous rappeler que la seule possibilité d’y par-
bonnes sociétés?
venir est de soumettre toutes les sociétés de l’univers d’investissement à la même échelle
de notation. Les approches d’investissement qui se concentrent a priori sur quelques
«leaders» et n’analysent pas correctement les autres entreprises composant l’indice de
référence ne peuvent en effet établir de manière probante une différence «de durabilité»
avec l’ensemble du marché. C’est la raison pour laquelle nous considérons comme fondamental le fait que la couverture de la recherche ISR soit large, car si l’on a pas une
connaissance identique de toutes les entreprises, il est pratiquement impossible de justifier la mesure dans laquelle celles retenues en dernière analyse se distinguent réellement du reste du peloton.
Une manière simple de faire ressortir le niveau de durabilité d’un portefeuille est d’ex-
Exprimer la
primer les notes de durabilité de chaque société sous forme de score Z, c’est-à-dire de
durabilité sous
variable statistique dont la moyenne est égale à zéro et la déviation standard égale à un.
forme de score Z
Le score Z apparaît très pratique dans ce contexte, car il traduit idéalement la notion de
notation «best-in-class», exprimant la position de chaque entreprise par rapport à la
moyenne de son propre secteur en termes de déviation standard. De fait, si l’on considère une distribution normale, les deux tiers des entreprises affichent un score situé
entre -1 et + 1 et, pour 95% des entreprises, il varie entre -2 et +2. Le niveau de durabilité du portefeuille peut alors être calculé en multipliant le score de durabilité de chaque
entreprise par sa pondération au sein du portefeuille.
Si nous nous fondons sur nos propres produits, la gamme des «différences de durabi-
Portefeuille
lité» affiche généralement une déviation standard variant entre de 0,6 et 1,5, en fonction
efficient affichant
de l’univers d’investissement, du type de notation et pour un écart de suivi de 2%. Nous
une déviation
utilisons un processus quantitatif pour construire un portefeuille «durablement efficace9»
standard de 0,6 à
en ce sens qu’aucun autre portefeuille n’intègre plus de durabilité pour un même niveau
1,5 en termes de
de risque. Le graphique suivant illustre schématiquement la manière dont la distribu-
durabilité
tion des scores au sein du portefeuille durable se décale vers la droite, c’est-à-dire vers
davantage de durabilité, par rapport à l’indice de référence (MSCI Monde).
9
Le concept de frontière durable efficiente débouchant sur des portefeuilles durablement efficients a été introduit
par Pictet Asset Management en 1999, dans le cadre d’un portefeuille largement diversifié d’actions suisses.
13
ÉCART POSITIF DE DURABILITÉ PAR RAPPORT À L’INDICE DE RÉFÉRENCE
Benchm ark
P ortfolio
Weight of respective scoring class in Benchmark/Portfolio
35%
30%
25%
20%
15%
10%
5%
0%
-3
-2.5
-2
-1.5
-1
-0.5
0
0.5
1
1.5
2
2.5
3
S us tainability S cor e
Source: Pictet Asset Management.
Le portefeuille
Déterminer la distribution des scores de durabilité du portefeuille d’un client par rap-
favorise-t-il
port à son indice de référence constitue une première étape importante vers un repor-
vraiment les
ting intégrant les dimensions extra-financières. Car le client est ainsi en mesure de voir
meilleures
facilement si le processus de construction du portefeuille favorise réellement les entre-
entreprises?
prises qui ont été jugées plus durables. Nous pensons que cette approche systématique
est plus appropriée que celle consistant à justifier une assertion (s’agissant de la meilleure durabilité du portefeuille) exclusivement par des évidences d’ordre anecdotique.
Il n’en reste pas moins vrai que les scores Z et les déviations standard demeurent des
concepts statistiques relativement abstraits. Voici pourquoi nous voudrions essayer de
développer, ci-dessous, un concept radicalement novateur consistant à présenter la performance extra-financière de manière intuitive.
Le score
Et c’est à ce point précis du raisonnement que notre méthode inédite d’«impact» (émis-
d’«impact» permet
sions de CO2 et création nette d’emplois) entre en jeu. La nature quantitative des scores
de mesurer la
d’impact facilite en effet notre tâche: nous pouvons ainsi rendre compte de la perfor-
performance
mance extra-financière d’un portefeuille pratiquement de la même manière que pour la
performance financière. A cet effet, nous évaluons les réductions effectives d’émissions
et le nombre d’emplois créés par la stratégie d’investissement durable du client. Une
telle mesure de la performance extra-financière peut être considérée comme «équivalente» à la performance financière classique, à cette différence près qu’elle permet de
rendre compte du rendement environnemental et social d’un investissement au lieu de
son rendement financier conventionnel.
Un élément plus
A notre avis, rendre compte du rendement environnemental et social supposé d’un
que souhaitable
investissement ne doit pas seulement être considéré comme souhaitable, mais de plus
en plus comme faisant partie intégrante de la structure de rapport standard d’un mandat d’investissement ISR. Car, après tout, la principale différence entre une stratégie
14
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
d’investissement conventionnelle et une stratégie d’investissement durable réside dans
le fait que cette dernière vise délibérément à créer de la valeur également dans les dimensions extra-financières de la performance.
Nous souhaiterions maintenant nous pencher sur la façon dont on pourrait rendre
compte de la performance extra-financière. Nous tenons ici à attirer l’attention du lecteur sur le fait qu’une telle approche est nécessairement évolutive. La méthodologie
Nature
préliminaire
du reporting
«impact» utilisée pour noter les entreprises et construire des portefeuilles durables a
certes été développée relativement récemment mais, bien qu’elle soit susceptible d’être
encore améliorée, elle constitue un outil très prometteur. Il en va nécessairement de
même du reporting reposant sur ces données.
De plus, pour un maximum de transparence, nous voudrions souligner le point suivant:
les sociétés cotées publient généralement leurs résultats et leurs principaux chiffres
financiers chaque trimestre, alors que les données relatives à l’emploi servant à la notation sociale ne sont communiquées qu’une fois par an. Il en va de même de notre nota-
Les chiffres
définitifs ne seront
disponibles qu’en
cours d’année
tion environnementale. Le reporting extra-financier dépend donc de la publication d’un
rapport annuel complet et sa fréquence ne pourra être qu’annuelle. L’ensemble des chiffres pour 2007, l’année sur laquelle notre reporting extra-financier est basé, ne seront
disponibles qu’à partir de la période usuelle de publication des résultats, à la fin du premier semestre 2008. Par conséquent, les chiffres définitifs de la performance environnementale et sociale «réalisée» ne seront connus qu’à cette date. Le calcul que nous allons
présenter ci-dessous constitue donc un calcul pro forma de la performance extra-financière pour l’année 2007, basé sur les deux tiers des sociétés pour lesquelles le chiffre
d’affaires et les données sur les employés étaient déjà disponibles au moment de cette
publication. Dès lors, nous ne pouvons exclure que les résultats extra-financiers effectifs diffèrent de ceux de notre projection. Cela étant dit, nous pensons qu’il est intéressant de présenter nos résultats préliminaires afin d’étayer notre point de vue et d’encourager d’autres personnes à opter également pour un reporting extra-financier.
Ajoutons un dernier commentaire particulièrement important avant de passer à la section relative aux résultats. Afin de coller le plus possible à la réalité de l’investissement,
nous avons choisi de travailler avec nos scores d’«impact» effectifs, c’est-à-dire avec nos
scores de durabilité combinés, lesquels se basent sur la moyenne – pondérée en fonction
du secteur – du score de création d’emplois d’une entreprise et de son score CO2. C’est éga-
Les scores
combinés donnent
une image plus
réaliste de ce qui
peut être réalisé
lement ce score global, utilisé pour l’optimisation du portefeuille de notre client, qui sert
ensuite de base au reporting de la performance, et non un quelconque score partiel «purement» social ou environnemental. En optimisant notre portefeuille séparément, sur la base
d’un «pur» score partiel, nous aurions certainement obtenu des résultats encore meilleurs
dans chaque domaine.
15
Toutefois, nous pensons qu’il s’agirait là d’une approche trop théorique, puisque nos
clients préfèrent que les entreprises soient notées tant sur leurs mérites environnementaux que sur leurs mérites sociaux (exprimés sous forme de score combiné). Donc, faire
appel au score combiné pour une optimisation durable donne une image plus réaliste
de ce que l’on peut attendre de la mise en œuvre d’une véritable stratégie d’investissement durable (environnementale et sociale).
A. Rendement environnemental
Indicateurs:
Commençons par étudier les résultats de la dimension environnementale. Actuellement,
énergie et CO2
l’omniprésence des discussions sur le changement climatique est telle que nous pensons
qu’il y aurait peut-être lieu de vérifier si un certain style d’investissement ISR peut effectivement contribuer à limiter les émissions de gaz à effet de serre, ou si une telle prétention constitue un vœu pieux. Conformément à la méthode utilisée plus haut, nous avons
donc réduit le concept complexe de «responsabilité environnementale» aux émissions
de gaz à effet de serre (en équivalent de CO2).
Unité d’Intensité
A l'intérieur de notre portefeuille optimisé, nous allons donc systématiquement surpon-
Carbone (UIC)
dérer les entreprises qui émettent moins de CO2 par unité de chiffre d’affaires que leurs
pairs du secteur. L’indicateur clé de la note d’impact environnemental est appelé UIC
(Unité d’Intensité Carbone). Il exprime de manière simplifiée les émissions de CO2 par
tonne et par million de dollars de chiffre d’affaires. Nous pouvons ainsi estimer les émissions globales de gaz à effet de serre d’une entreprise pendant une période donnée en
multipliant son bilan UIC par son chiffre d’affaires pendant la même période10.
Le rendement actif
Une fois encore, la somme – pour l’ensemble des titres – de la différence entre la pon-
correspond aux
dération de chaque titre du portefeuille et sa pondération dans l’indice de référence,
émissions évitées
multipliée par la valeur de son IUC et de son chiffre d’affaires, indique le «rendement
environnemental» actif du portefeuille du client, lequel correspond aux réductions attendues en tonnes de CO2. Il convient de noter que le «rendement environnemental» portera, à juste titre, un signe négatif. Car plus le portefeuille est durable et moins les émissions de gaz à effet de serre seront importantes. Il est alors possible d’en déduire les
réductions d’émissions de gaz à effet de serre d’un investissement donné en divisant les
réductions possibles par la capitalisation boursière de l’entreprise concernée.
10
Comme déjà décrit ci-dessus, les chiffres d’affaires pour l’année 2007, et donc aussi la décomposition exacte des
activités sur laquelle le calcul UIC est finalement basé, ne seront disponibles que dans le courant de l’année 2008.
Comme la nature des activités d’une entreprise est généralement stable, nous pensons que nos estimations sont
relativement fiables, l’essentiel de la déviation provenant de la volatilité du chiffre d’affaires des sociétés en 2007.
16
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
S’agissant de notre univers d’investissement global (MSCI Monde), un investisseur dans
Le portefeuille
l’indice de référence conventionnel aurait «financé» 1552 tonnes d’émissions de CO2 par
optimisé émet
million de dollars investi, alors que le client qui aurait placé ce million dans un porte-
approximati-
feuille optimisé en termes de durabilité n’aurait été responsable que de l’émission de
vement 35% de
985 tonnes de CO2. Il s’agit là d’une réduction considérable des émissions de gaz à effet
moins de CO2
de serre de près de 35% par rapport à l’indice de référence du marché global, et ceci –
notons-le bien – sans miser lourdement sur des industries à faibles émissions de carbone, mais exclusivement en appliquant au sein de chaque secteur économique un processus judicieux de sélection de titres, basé sur la dépendance au carbone.
RENDEMENT ENVIRONNEMENTAL EN TONNES DE CO2 PAR MILLION D’USD INVESTI
C O2emi(Bench)
C O 2emi(Port)
C O2emi(Act)
500
400
300
200
100
0
100
200
MEDIA
FOOD
BEVERAGE
&TOBACCO
COMMERCIAL
SERVICES &
SUPPLIES
REAL ESTATE
TECHNOLOGY
HARDWARE
& EQUIPMENT
DIVERSIFIED
FINANCIALS
FOODS
& STAPLES
RETAILING
INSURANCE
RETAILING
CONSUMER
DURABLES
& APPAREL
TRANSPORTATION
AUTOMOBILES
& COMPONENTS
UTILITIES
CAPITAL GOODS
ENERGY
300
Source: Pictet Asset Management sur la base de données envIMPACT de Centre Info.
Le graphique ci-dessus, illustre les résultats des quinze groupes sectoriels où la contri-
Principal potentiel
bution active du portefeuille optimisé en termes de durabilité a été la plus importante.
de réduction
Les colonnes sombres indiquent le nombre de tonnes de CO2 «provoquées» par inves-
absolue…
tissement d’un million de dollars dans un groupe sectoriel donné. Les colonnes claires
indiquent la même information pour le portefeuille optimisé en termes de durabilité et
les colonnes vertes le «rendement environnemental actif» du portefeuille en tonnes
d’émissions de CO2 économisées par million de dollars investi. Comme le montre le graphique, le principal effet de réduction a pu être obtenu au sein des secteurs Energy,
Capital Goods et Utilities. Ce résultat n’est guère surprenant, dans la mesure où ces secteurs sont d’importants consommateurs d’énergie. Une sélection de titres orientée vers
la durabilité peut donc véritablement y faire une grande différence.
Toutefois, comme nous plaidons en faveur d’une stricte approche «best-in-class», nous
nous refusons à affecter la totalité de nos investissements à quelques secteurs seulement, mais cherchons en outre, expressément, à réduire les émissions dans tous les
autres secteurs de l’indice de référence. Le graphique précédent, montre dans quelle
mesure nous y avons réussi.
17
…et perspective
Si nous reformulons nos résultats sous forme de pourcentage, le tableau se présente de
relative
manière légèrement différente. L’approche relative, qu’illustre le graphique suivant, met
en évidence plusieurs secteurs comme les secteurs Consumer Durables & Apparel, Transportation et Commercial Services & Supplies,qui, bien que parmi les plus polluants en
termes absolus11, nous permettent néanmoins d’obtenir d’importants gains d’efficience
relative – variant entre 70 et 80%.
RENDEMENT ENVIRONNEMENTAL EN POURCENTAGE
CO2 emission reduction (Diff. in % vs. Benchmark)
-10%
-20%
-30%
-40%
-50%
-60%
-70%
REAL ESTATE
PHARMACEUTICALS
& BIOTECH & LIFE
SCIENCE
SOFTWARE
& SERVICES
FOOD &
STAPLES
RETAILING
MEDIA
INSURANCE
AUTOMOBILES
& COMPONENTS
SERVICES
CONSUMER
RETAILING
UTILITIES
ENERGY
CAPITAL GOODS
COMMERCIAL
SERVICES &
SUPPLIES
-90%
TRANSPORTATION
-80%
CONSUMER
DURABLES
& APPAREL
«Carbon Return» [in % of benchmark emissions]
0%
Source: Pictet Asset Management sur la base de données envIMPACT de Centre Info.
Emissions directes
Nous voudrions maintenant attirer l’attention du lecteur sur un point important: la
et indirectes de
valeur UIC d’une entreprise se fonde sur une analyse «entrées-sorties» détaillée et fait
CO2
appel à une méthode dite d’évaluation du cycle de vie (ECV). L’UIC se rapporte donc
aussi bien aux émissions directes qu’indirectes produites sur l’intégralité de la chaîne
de production d’une entreprise. Les émissions indirectes comprennent, par exemple, les
émissions provenant des installations des fournisseurs, mais aussi celles générées au
cours de l’utilisation finale des produits d’une entreprise, par exemple les émissions
d’une voiture pendant sa durée d’utilisation. Cette approche exhaustive se justifie pleinement lorsqu’il s’agit de sélectionner des titres spécifiques. Les émissions indirectes
de nombreuses entreprises sont en effet bien plus importantes que leurs émissions
directes (bien au-delà de 90% des émissions de certaines entreprises sont «collatérales»)
et, si nous nous contentions de fonder notre jugement sur leurs seules émissions
directes, nous pourrions courir le risque d’investir à tort nos fonds dans des sociétés ne
répondant pas aux critères.
11
18
Il convient de noter que le secteur industriel «Transports», ci-dessus, englobe toutes les entreprises de logistique
et ne saurait être réduit aux activités de «transport» au sens courant du terme.
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
Toutefois, lorsqu’il s’agit de calculer la somme des émissions de CO2 de tous les secteurs
Double comptage
ou de l’ensemble d’un univers ou d’un portefeuille, nous sommes confrontés à un pro-
lors de l’agrégation
blème de double comptage. Un constructeur automobile, par exemple, sera également
tenu pour responsable de toutes les émissions que ses voitures émettront tout au long
de leur cycle de vie12. Certaines de ces voitures ne seront pas utilisées par des personnes
privées, mais par d’autres entreprises – disons des entreprises de logistique – ellesmêmes soumises à une analyse UIC. Les «mêmes» émissions, déjà imputées au constructeur automobile, le seront de nouveau à l’entreprise de logistique – cette fois-ci au titre
d’«entrée» dans le processus de production. Selon notre fournisseur de données UIC,
Centre Info à Fribourg, les réductions d’émissions effectivement réalisables sont passablement surévaluées, selon les secteurs concernés et la complexité de leurs produits et
services.
En principe, nous devons établir pour chaque entreprise, prise individuellement, la pro-
Eliminer les
portion de ses produits «actifs» destinée effectivement à des utilisateurs finaux (sans
doubles comptages
redondance) et celle destinée à une autre entreprise, elle-même soumise à une analyse
UIC (redondance). Ceci représente une tache énorme et nous n’avons pas toute l’information nécessaire pour cela. Néanmoins nous avons demandé à Centre Info d’estimer
les montants de double comptage au niveau d’un portefeuille agrégé et les résultats suivants ont étés obtenus. L’élimination de tous les doubles comptages, incluant tous les
effets indirects de l’industrie financière qui sont importants, aurait réduit l’émission
agrégée de CO2 par rapport à l’indice de référence de 892 tonnes de CO2 (tCO2) par million de dollars investis (au lieu de 1552 tCO2 en incluant le double comptage). La même
correction appliquée à notre portefeuille nous donne une émission de 528 tCO2 par million de dollars investis (au lieu de 985 tCO2 en incluant le double comptage). L’élimination de tous les doubles comptage enlève environs 200 tCO2 de la réduction totale possible. En prenant en compte toutes ces corrections, un investisseur diversifié
globalement aurait économisé plus de 360 tCO2 d’émission par million de dollars investi.
Nous pensons que cela représente un accomplissement respectable. De plus, l’élimination des doubles comptages accroît encore le gain relatif de réduction de CO2 qui peut
être obtenu avec le portefeuille à 40%.
12
Cette logique ne vient en rien infirmer la validité de notre approche. Il suffit de prendre l’exemple de normes d’émissions plus strictes pour les automobiles, dont la mise en œuvre incombe au constructeur – et non à l’utilisateur final
de la voiture.
19
B. Rendement social
La création
Qu’en est-il au plan de la responsabilité sociale? Comme nous l’avons exposé dans notre
d’emplois comme
dernière publication, nous sommes fermement convaincus que la création d’emplois
indicateur de la
constitue le critère le plus important de responsabilité sociale d’une société. Nous cal-
responsabilité
culons la «création d’emplois» sur la base d’une moyenne pondérée des variations pas-
sociale
sées de l’effectif au sein d’une entreprise, que nous tentons ensuite d’ajuster quantitativement pour tenir compte des fusions, des désinvestissements et des autres
changements pouvant affecter le nombre d’employés. L’objectif de notre indicateur est
de cerner à la fois la tendance et la dynamique des créations d’emplois par les entreprises. Pour ce faire, nous adoptons une approche dite «best-in-class» qui consiste à
ne comparer que des entreprises de groupes comparables. Lorsque nous construisons
nos portefeuilles, nous surpondérons systématiquement les bonnes entreprises et
sous-pondérons les mauvaises sur la base de cette note de responsabilité sociale.
«Rendement
Les effectifs faisant partie des informations publiées, nous sommes en mesure de cal-
social»
culer, ex post, le nombre d’emplois supplémentaires créés par les sociétés sélectionnées pour le portefeuille du client et à le rapporter au nombre d’emplois créés par l’ensemble des sociétés entrant dans la composition d’un indice de référence défini.
Comme nous nous inscrivons dans une approche de gestion active, nous pensons réaliste de calculer le surcroît d’emplois créés par rapport à l’indice de référence pour
chaque million de dollars investi dans lesdites sociétés. Pour un portefeuille d’actions
mondiales largement diversifié, dont l’écart de suivi est de 2% rapporté à l’indice de
référence du marché (MSCI Monde), cette création d’emplois supplémentaires s’est élevée à 0,10 par million de dollars en 2007. Ce chiffre équivaut à la création d’un emploi
supplémentaire par tranche de 20 millions de dollars investie. Cela peut ne pas paraître très impressionnant, mais il convient de se rappeler qu’il s’agit là d’un bien social
supplémentaire – potentiellement gratuit – fourni par un portefeuille largement diversifié qui, a priori, a les mêmes caractéristiques de risque et de rendement qu’un portefeuille conventionnel.
Cinq emplois
Un investisseur institutionnel disposant d’un mandat de 100 millions de dollars aurait
supplémentaires
donc contribué – ceteris paribus – à la création de cinq emplois supplémentaires par
pour un mandat de
an, en sus de ses objectifs d’investissement monétaire ordinaires. Nous laissons au lec-
100 millions de
teur le soin de décider s’il s’agit ou non d’une amélioration digne d’intérêt. Mais il
dollars
convient de noter que ces cinq emplois constituent l’impact social positif pouvant être
attribué à un investisseur individuel dont les avoirs ne représentent qu’une très petite
part du marché. Purement à titre d’illustration, le même résultat rapporté au capital de
tout le marché produirait plus de 1.5 millions d’emplois supplémentaires dans le monde
en 2007.
20
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
Le graphique ci-dessous illustre la performance en termes d’emplois, ventilée en fonc-
Le rendement en
tion des quinze groupes sectoriels du MSCI ayant apporté la plus forte contribution
emplois du
active au sein du portefeuille durablement optimisé. Les colonnes en gris foncé indi-
portefeuille varie
quent le nombre d’emplois créés par toutes les sociétés de l’indice de référence d’un sec-
en fonction des
teur donné pour chaque million de dollars investi. Les colonnes en gris clair indiquent
secteurs
la même information pour les sociétés détenues dans le portefeuille optimisé. Quant aux
colonnes bleues, elles indiquent la différence entre le portefeuille et l’indice de référence,
et donc le «rendement social actif» ou la «surperformance sociale» par rapport à l’indice
de référence.
RENDEMENT SOCIAL [EMPLOIS CRÉÉS PAR MILLION D’USD INVESTI]
Benchmark
Portfolio
Active return
0.020
0.015
0.010
0.005
TRANSPORTATION
COMMERCIAL
SERVICES &
SUPPLIES
SOFTWARE
& SERVICES
SEMICONDUCTORS
& SEMICONDUCTOR
EQUIPMENT
HOUSEHOLD &
PERSONAL PRODUCT
CONSUMER
SERVICES
FOOD BEVERAGE &
TOBACCO
TELECOMMUNICATION
SERVICES
UTILITIES
MATERIALS
MEDIA
AUTOMOBILES &
COMPONENTS
FOODS
& STAPLES
RETAILING
ENERGY
-0.005
CAPITAL GOODS
0.000
Source: Pictet Asset Management.
Il est frappant de constater qu’en 2007, bien que l’économie réelle se fût plutôt bien com-
Le portefeuille
portée, la création d’emplois a été négative dans de nombreux secteurs économiques.
optimisé à créés
Qui plus est, la contribution active de notre portefeuille optimisé n’a pas été liée aux sec-
plus d’emplois
teurs de l’indice de référence où la création absolue d’emplois a été la plus importante.
que l’indice de
Si nous nous penchons, par exemple, sur le secteur de l’énergie, nous pouvons obser-
référence
ver que les entreprises de l’indice de référence n’ont créé que peu d’emplois en 2007,
alors que les entreprises de l’énergie du portefeuille durable ont été en mesure de créer
un peu plus de 0,007 nouvel emploi par million de dollars investi. Si nous effectuons la
somme du rendement social actif de l’ensemble des secteurs, nous retrouvons le 0,05
emploi supplémentaire par million de dollars investi mentionné plus haut.
Exprimer les résultats en termes d’effectifs présente l’avantage d’être relativement intui-
Rendement social
tif, mais nous pourrions également exprimer la valeur ajoutée en pourcentage. Ce fai-
actif en %
sant, nous continuerions d’ailleurs de rapprocher le rendement social d’un portefeuille
de celui de son équivalent financier conventionnel. Par conséquent, en multipliant le
21
pourcentage de création d’emplois par la pondération active de la société en question
au sein de notre portefeuille durable (pondération de la société dans le portefeuille moins
sa pondération dans l’indice de référence) et en additionnant tous les titres au sein de
l’univers d’investissement, nous pouvons en déduire également le «rendement social
actif» ou, en d’autres termes, la surperformance du portefeuille durable du client.
RENDEMENT SOCIAL EN POURCENTAGE
Portfolio
Benchmark
Active return
0.90%
0.80%
Social Return [job growth in %]
0.70%
0.60%
0.50%
0.40%
0.30%
0.20%
0.10%
0.00%
TECHNOLOGY
HARDWARE
& EQUIPMENT
SOFTWARE
& SERVICES
BANKS
UTILITIES
TRANSPORTATION
HOUSEHOLD &
PERSONAL PRODUCT
MATERIALS
MEDIA
INSURANCE
TELECOMMUNICATION
SERVICES
COMMERCIAL
SERVICES
& SUPPLIES
PHARMACEUTICALS
& BIOTECH & LIFE
SCIENCE
FOODS
& STAPLES
RETAILING
FOOD
BEVERAGE &
TOBACCO
ENERGY
-0.10%
Source: Pictet Asset Management.
Le rendement
Le graphique ci-dessus illustre le rendement social en pourcentage qu’un investisseur
social actif du
durable pouvait obtenir en 2007 dans différents groupes sectoriels. Comme précédem-
portefeuille
ment, les colonnes sombres indiquent la performance de l’indice de référence, les
optimisé a été
colonnes claires la performance du portefeuille et les colonnes bleues le rendement
de +4,2%
social actif (ou encore la surperformance sociale) par rapport à l’indice de référence. La
surperformance sociale (+0,6%) la plus importante a été enregistrée dans le secteur de
l’énergie. La somme de tous les secteurs indique respectivement le résultat pour l’ensemble de l’indice de référence et pour le portefeuille: en 2007, le MSCI Monde a affiché un rendement social positif de +2,7% alors que le portefeuille optimisé en termes de
durabilité enregistrait un rendement social positif de +4,2%. La surperformance sociale
active du portefeuille durable a donc été de +1,5%.
22
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
5. Discussion et conclusion
Comment concilier tout ce qui a été dit précédemment? L’investisseur durable est un
Comment concilier
«maximiseur» d’utilité, au même titre que n’importe quel autre investisseur. Toutefois,
tous les aspects
contrairement à l’investisseur conventionnel, l’investisseur durable poursuit toute une
série d’objectifs, dont certains sont financiers (rendement, risque, liquidité) et d’autres
extra-financiers (avantages d’ordre social, environnemental et de gouvernance d’entreprise). Comme nous l’avons vu plus haut, la tentative de mesurer également les composantes extra-financières et d’en rendre compte est au moins possible, mais la décision
sur la manière de sérier et de pondérer les différentes dimensions de la performance
appartient au seul investisseur. On peut donc considérer que les fonctions d’utilité
sociale des placements effectués, d’un côté, par des investisseurs ISR privés et, de l’autre, par des investisseurs ISR institutionnels peuvent varier considérablement, reflétant
les différences entre les préférences d’investissement d’un particulier et celles, disons,
du gérant d’un fonds de pension qui doit agir au mieux des intérêts d’un grand nombre
de bénéficiaires.
Le thème du «gagnant-gagnant» a toujours été particulièrement mis en avant dans le
Situation
milieu ISR. La plupart des partisans de l’ISR se montrent en effet relativement confiants
«gagnant-gagnant»
quant aux avantages que présentent les investissements durables, tant pour le monde
ou compromis…?
qui nous entoure que pour notre bourse – autrement dit, il peut être payant de faire le
bien. Nous ne souhaitons pas, à ce stade, entrer plus avant dans ce débat. Disons seulement que si l’hypothèse «gagnant-gagnant» s’avérait fondée, elle serait la bienvenue.
En dehors des irréductibles cyniques, même les investisseurs les plus endurcis opteraient alors en toute logique pour un style d’investissement ISR et seraient heureux
d’empocher les retombées de la valeur ajoutée sociale.
Une position plus prudente consisterait à supposer qu’un certain compromis entre les
différentes dimensions du rendement est possible. Cette idée est illustrée sur le graphique ci-dessous. Il est en effet probable qu’un investisseur conventionnel tende à ne
rechercher que des objectifs de rendement financier et se satisfasse (nous portons cela
à son crédit) d’entreprises restant simplement dans la norme en ce qui concerne les deux
dimensions extra-financières. L’investisseur durable rechercherait en outre une performance supérieure en termes environnemental et social et serait probablement prêt à
renoncer à un rendement financier maximal au profit de sa fonction spécifique d’utilité
durable.
23
FINANCIER
INVESTISSEUR TRADITIONNEL
INVESTISSEUR ISR
MINIMUM LEGAL
NIVEAU SOUHAITE
SOCIAL
MININUM LEGAL
NIVEAU SOUHAITE
ENVIRONNEMENTAL
Source: Pictet Asset Management.
Maximiser l’utilité
Si nous acceptons les implications conceptuelles de la figure ci-dessus, à savoir qu’il
durable
pourrait – au moins dans le court et moyen terme – y avoir un arbitrage entre les trois
dimensions de performance, alors l'investisseur ISR doit définir sa fonction d’utilité de
durabilité individuelle qui spécifiera, par exemple, à combien de rendement financier il
est disposé à renoncer, par exemple lors une mauvaise année, afin d'atteindre ses objectifs extra-financiers. Ce n’est sûrement pas une tâche facile, puisqu'il y a vraisemblablement beaucoup d'interdépendances non seulement entre les dimensions financières et
extra-financières, mais également entre les deux dimensions extra-financières ellesmêmes. Pour donner un exemple, il est bien connu que la mécanisation du travail manuel
laborieux a amélioré les conditions de travail dans les usines (dimension sociale) tandis
qu'en même temps cela a augmenté l'intensité énergétique de la production industrielle
(dimension environnementale).
Chaque investisseur pourra élaborer son propre modèle conceptuel de visualisation de
ses choix d’investissement. Car, comme nous l’avons dit plus haut, l’équilibre exact entre
le rendement extra-financier et le rendement financier conventionnel relève en dernière
analyse de la situation personnelle du client et de la structure de ses préférences.
Rassurer ceux
Le point le plus important à nos yeux est que les investisseurs ISR commencent à consi-
qui assument des
dérer le dilemme de la performance ISR sous cet angle, car ils contribueront ainsi à cla-
responsabilités…
rifier et à préciser les finalités d’un mandat privilégiant la durabilité, tout en fournissant
un outil qui permettra de comparer les performances du gérant de l’investissement aux
objectifs qu’ils auront définis. Nous sommes persuadés qu’une telle approche multidimensionnelle pourrait contribuer à rassurer les investisseurs institutionnels, tels que les
nombreux fonds de pension publics, qui sont prêts à assumer leurs responsabilités
sociétales au sens large et à adopter une approche favorable au développement dura-
24
LE PARADOXE DE LA PERFORMANCE ISR
ble, mais qui manquent souvent de données factuelles suffisantes pour convaincre les
autorités de tutelle et les bénéficiaires des régimes de retraite qu’en investissant de
manière durable, ils emploient les liquidités qui leur sont confiées au mieux des intérêts
à long terme de leurs ayants droit.
Afin de fournir des arguments convaincants à ces investisseurs orientés vers le long
…afin de résister
terme et de leur permettre de résister à la pression croissante du court-termisme finan-
au court-termisme
cier, nous pensons qu’il est absolument nécessaire de continuer à explorer et à mesurer
ambiant
les dimensions extra-financières de la performance. Car, en dernière analyse, seuls des
facteurs mesurables seront pris en compte lors d’un processus décisionnel d’investissement et d’une évaluation exhaustive de la performance. Nous espérons que cet article aura apporté une contribution utile en ce sens.
25
Auteurs: Christoph Butz
Contact: Pictet & Cie
Tél. direct +41 (0) 58 323 1853
Route des Acacias 60
[email protected]
CH-1211 Geneva
Téléphone +41 (0) 58 323 23 23
Olivier Pictet
Fax +41 (0) 58 323 23 24
Tél. direct +41 (0) 58 323 1790
www.pictet.com
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