Le crowdsourcing : modalités et raisons d`un recours à la

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Le crowdsourcing : modalités et raisons d`un recours à la
Le crowdsourcing :
modalités et raisons d’un recours à la foule
Eric SCHENK
Maître de conférences
LGECO – INSA de Strasbourg
Chercheur associé, BETA
<[email protected]>
Claude GUITTARD
Maître de conférences
BETA – Université de Strasbourg
<[email protected]>
Résumé :
Alors que le Web 2.0 est l’objet de beaucoup d’attentions, et que l’Internet communautaire est
une réalité éprouvée, comme le montre les valorisations boursières de ses grandes platesformes (Facebook, MySpace, etc…), le monde de l’entreprise n’utilise que marginalement les
possibilités du Web 2.0 à l’exception notable du marketing ou de la veille stratégique. Le
Crowdsourcing, qui consiste à confier à la foule des activités qui pourraient être réalisées en
interne, est justement une utilisation des possibilités du Web 2.0. Comme le remarque Howe
(2006) pourquoi délocaliser certaines activités dans des pays à la main d’œuvre peu coûteuse,
alors que grâce à Internet les firmes ont à portée de clics de souris une population éclectique,
souvent diplômée prête à s’investir dans des projets intellectuellement stimulants contre des
rémunérations faibles, voire nulles ? Le phénomène est relativement ancien à l’échelle du
Web : le projet Innocentive, plate-forme conçu initialement par la multinationale américaine
de l’industrie pharmaceutique Eli Lilly, a été imaginé dès l’année 1998. Le vocable de
Crowdsourcing n’est apparu que 8 ans plus tard dans un article du Wired (Howe, 2006). Si le
phénomène a précédé son baptême, la notion de Crowdsourcing connaît un succès fulgurant
dans la blogosphère et les communautés du Web 2.0.
L’objectif de ce papier est de caractériser le phénomène du Crowdsourcing. En outre, nous
proposons un positionnement du concept de Crowdsourcing par rapport aux thématiques de
« l’Open Innovation », de « l’Open Source » et du « User Innovation ».
Mots clés : crowdsourcing, Web 2.0, open source, user innovation, open innovation
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Le crowdsourcing :
modalités et raisons d’un recours à la foule
1. Introduction
Alors que le Web 2.0 est l’objet de beaucoup d’attentions (Le Deuff, 2007), et que l’Internet
communautaire est une réalité éprouvée, comme le montre les valorisations boursières de ses
grandes plates-formes (Facebook, MySpace, etc…), le monde de l’entreprise n’utilise que
marginalement les possibilités du Web 2.0 à l’exception notable du marketing (Bernard,
2004 ; Kozinets, 2002) ou de la veille stratégique. Les aspects productifs et organisationnels
ne semblent pas être affectés par ce phénomène. Le Crowdsourcing est justement une
l’utilisation par le management des entreprises des possibilités du Web 2.0, afin de produire
mieux et à moindre coût. En effet, comme le remarque Howe (2006) pourquoi délocaliser
certaines activités dans des pays à la main d’œuvre peu coûteuse, alors que grâce à Internet les
firmes ont à portée de clics de souris une population éclectique, souvent diplômée prête à
s’investir dans des projets intellectuellement stimulants contre des rémunérations faibles,
voire nulles.
Le phénomène est relativement ancien à l’échelle du Web : le projet Innocentive, plate-forme
de Crowdsourcing, conçu initialement par la multinationale américaine de l’industrie
pharmaceutique Eli Lilly, a été imaginé dès l’année 1998. Le vocable de Crowdsourcing n’est
apparu que 8 ans plus tard dans un article du Wired (Howe, 2006). Si le phénomène a précédé
son baptême, la notion de Crowdsourcing connaît un succès fulgurant dans la blogosphère et
les communautés du Web 2.0 ; des dizaines de blogs traitent du sujet (comme par exemple
celui de Jeff Howe : http://crowdsourcing.typepad.com ). De même des journalistes
spécialisés sur les questions d’Internet ont écrit des livres sur le sujet (Howe, 2008 ; Pisani et
Piotet, 2008). Ce succès tranche avec la relative absence de travaux académiques sur le sujet.
Le sujet du Crowdsourcing est abordé mais souvent de façon indirecte par des travaux qui
s’intéressent à l’Open Source (Dahlander et Magnusson, 2008 ; Ågerfalk et Fitzgerald, 2008)
ou encore simplement cité ou évoqué parmi les différentes formes que peut prendre le Web
2.0 (Tapscott et Williams, 2007 ; Albors et al., 2008). Les travaux de Brabham (2008)
s’intéressent plus précisément au Crowdsourcing en proposant des études de cas riches, en
particulier sur la plate-forme Istockphoto. Bien qu’ils ne traitent pas explicitement de la
question du Crowdsourcing, les travaux de Gensollen s’en rapprochent puisqu’ils analysent
les mécanismes de production de connaissance « par la foule » au sein de communautés
d’expérience (Gensollen 2007).
L’objectif de ce papier est de caractériser précisément, d’un point de vue des sciences de
gestion, le phénomène du Crowdsourcing. Notre approche est donc principalement théorique,
même si nous illustrerons notre présentation par des exemples d’application. Il en découle
une problématique qui cherche à définir le mieux possible ce concept afin de le rendre
opérationnel, aussi bien d’un point de vue académique que managérial. Pour répondre à
l’agenda de recherches, nous allons d’abord nous atteler à définir précisément le terme de
Crowdsourcing, en particulier en le confrontant au terme anglais d’Outsourcing et en
présentant quelques cas exemplaires, puis nous présenterons les avantages et les faiblesses
de cette approche d’un point de vue managérial. Dans la deuxième partie, nous discuterons de
la réelle originalité de cette nouvelle approche pour les sciences de gestion, en confrontant ce
concept à différentes approches connues qui lui sont proches. Enfin, dans la troisième partie
nous discuterons des attentes pour le management d’un projet de Crowdsourcing.
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2. Le Crowdsourcing
Définition
Le mot Crowdsourcing est construit à partir du mot anglais Crowd qui signifie la foule et
d’une contraction du mot Outsourcing que l’on peut traduire par externalisation. Ainsi,
Crowdsourcing peut se traduire par Externalisation vers la foule, par commodité et parce qu’il
est entré dans le langage courant nous utiliserons le terme de Crowdsourcing dans ce texte.
Il s’agit d’une notion récente, sa genèse est elle-même caractéristique du phénomène du Web
2.0 : c’est en effet lors d’une discussion sur un Forum Internet que le terme apparaît pour la
première fois créé par un internaute anonyme. Mais c’est l’article, paru dans le célèbre journal
en ligne Wired, écrit par Jeff Howe et Mark Robinson qui popularise ce nouveau vocable. Jeff
Howe propose la definition suivante du Crowdsourcing :
“Simply defined, crowdsourcing represents the act of a company or
institution taking a function once performed by employees and outsourcing
it to an undefined (and generally large) network of people in the form of an
open call. This can take the form of peer-production (when the job is
performed collaboratively), but is also often undertaken by sole individuals.
The crucial prerequisite is the use of the open call format and the large
network of potential laborers”. (Howe, 2006)
Plus récemment dans son livre ou sur son blog (Howe, 2008 ; 2009) le journaliste à Wired
propose la double définition suivante:
“The White Paper Version: Crowdsourcing is the act of taking a job
traditionally performed by a designated agent (usually an employee) and
outsourcing it to an undefined, generally large group of people in the form
of an open call.
The Soundbyte Version: The application of Open Source principles to
fields outside of software.”
La première définition (« the White Paper Version »), qui repose sur « l’étymologie » du
terme, nous semble à la fois précise et discriminante alors que la seconde définition (« the
Soundbyte Version ») de Jeff Howe mérite d’être discutée car elle semble à bien des égards
contradictoire. Nous reviendrons ce point lorsque nous développerons le positionnement
respectif de l’Open Source et du Crowdsourcing.
Le Crowdsourcing est une forme d’externalisation (Outsourcing) qui ne s’adresse pas à
d’autres entreprises mais à la foule (Figure 1). Dans la forme la plus typique du
Crowdsourcing l’entreprise propose sa demande vers la foule sous la forme d’un appel d’offre
ouvert (Open call) grâce à une plate-forme Internet. Il est important de souligner que cet appel
doit être ouvert à tous et non pas limité à un certain public averti, en outre il s’adresse à des
personnes privées dans la foule et non pas à des firmes ou des organisations. Le service peut
être produit individuellement ou par des communautés informelles, il peut reposer sur un
talent individuel ou sur des capacités collectives, nous développerons ce point crucial dans
notre troisième partie. La particularité du fonctionnement du Crowdsourcing est que plusieurs
individus/communautés peuvent travailler simultanément sur un même projet, l’entreprise
choisissant à la fin le projet qui correspond le mieux à ses besoins. Pour l’entreprise cliente
l’avantage est conséquent puisqu’elle permet d’externaliser le risque d’échec, puisqu’elle ne
paye que les produits ou services qui répondent à ses attentes. Mentionnons une troisième
acceptation du Crowdsourcing, qui définit l’intégration (insourcing) d’idées (Gassmann et
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Enkel, 2004) : à ce titre le Crowdsourcing est fréquemment associé à la notion « d’Open
Innovation » (Chesbrough, 2007).
Autre
Entreprise
Autre
Entreprise
Autre
Entreprise
Autre
Entreprise
Autre
Entreprise
Autre
Entreprise
OUTSOURCING :
L’entreprise externalise un
service ou un produit auprès
d’autres firmes sur le
marché
Le Fournisseur, choisi ex ante par
le client, produit puis lui délivre un
bien ou un service contre
rétribution.
Client
Entreprise / organisation
CROWDSOURCING :
L’entreprise externalise un
service ou un produit vers
la foule
Le Client choisit, ex post, le
bien ou le service produit par
un
individu
ou
une
communauté informelle, contre
rétribution ou non.
Figure 1 : Crowdsourcing et Outsourcing
Des cas de Crowdsourcing
Nous pouvons observer ces dernières années une expansion considérable du champ
d’application du Crowdsourcing. Bien avant Internet, le « concours d’affiche » et le
« concours photo » sont des manifestations de l’intérêt que la foule peut manifester en tant
qu’apporteur de contenu. Cependant l’ampleur prise par le Crowdsourcing est relativement
récente.
Une première mission est la génération de contenu, qui peut se décliner de différentes
manières : alimentation de bases de données, construction de répertoires de savoir et
production d’œuvres individuelles (par exemples des logos, maquettes graphiques…). Dans
ces trois cas, le Crowdsourcing permet d’accéder à des connaissances ou des idées détenues
par des individus constituant la foule.
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Les missions nouvelles du Crowdsourcing sont apparues dans la résolution de problèmes
complexes (Brabham, 2008) dans le cadre de projets de R&D ou le commerce électronique
pour la génération de filtres et de systèmes de recommandation. Dans ces applications, le
Crowdsourcing est une manière d’aborder la question de la complexité (Le Moigne et Morin,
1999), comme le sont par exemple les « agents électroniques d’intermédiation » dans le cas
du commerce électronique (Brousseau, 2002). Des exemples de Crowdsourcing sont présentés
dans le Tableau 1.
Cas
Mission
Création
Nature des
contributions
Bénévolat
OpenStreetMap
Génération de contenu
cartographique
University College
London, 2004
ReCaptcha
Digitalisation d’ouvrages,
intelligence artificielle
Carnegie Mellon
University, 2008
Non-volontaire
(inconsciente)
Mechanical Turk
(MTurk)
Génération de contenu,
intelligence articificelle
Amazon, 2005
Micropaiement (< 1$)
Humangrid
Traitement de données
Start-up, 2005
Rémunérées (env.
10€/h)
iStockPhoto
Photograhies et vidéos
Start up, 2001, rachat
par Getty image
Rémunérées (< 75$)
Designenlassen.de
Design graphique
Start-up, 2007
Rémunérées (150-300€)
Wilogo
Création de logos
Start-up, 2006
Rémunérées (300€)
Atizo
Développement de
concepts innovants
Start-up, 2007
Rémunérées (> 2000
CHF)
Innocentive
Résolution de problèmes
et projets d’innovation
Eli Lilly, 2001
Rémunérées (parfois
>10 000€)
Marketocracy
Elaboration de stratégies
d’investissement
Start-up, 2004
Rémunérées (part des
bénéfices)
TL-investements
Financement de projets
(crowdfinancing)
Start-up, 2008
Rémunérées (part des
bénéfices)
MyMajorCompany
Production musicale
Start up, 2007,
partenariat Warner
Rémunérées (part de
royalties)
Tableau 1 : cas de Crowdsourcing
Cette liste non exhaustive montre que les paramètres qui caractérisent les modalités et des
contextes de Crowdsourcing sont extrêmement variables :
- Si le bénévolat existe (OpenStreetMap, ReCaptcha), les rémunérations peuvent
s’élever à plus de 20 000$ (Innocentive).
- Le Crowdsourcing donne accès à des idées (Designenlassen, Wilogo) ou des
informations individuelles (OpenStreetMap)), mais il permet aussi d’externaliser des
tâches « simples » (Humangrid, ReCaptcha), voire des projets complexes
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-
-
-
(Innocentive, Atizio, Marketocracy). Enfin, le Crowdsourcing constitue également un
modèle de financement d’entreprises.
Les plates-formes de Crowdsourcing sont l’émanation d’institutions universitaires
(OpenStreetMap, ReCaptcha), de start-ups (Humangrid, Designenlassen, Wilogo) ou
de grandes multinationales (Innocentive).
Les contributions sont dans certains cas adressées à une « foule ouverte » (Open Call),
mais dans d’autres cas le Crowdsourcing prend la forme d’une place de marché (ou
plate-forme d’intermédiation) créant un lien entre des entreprises clientes et des
particuliers référencés au sein de la plate-forme. Cette plate-forme peut être considérée
comme le support pour des « communautés autonomes » (Wenger, 1998).
Dans le cas d’OpenStreetMap, il n’existe pas de demande explicite émanant d’une
entreprise cliente. Néanmoins, nous pouvons parler de Crowdsourcing dans la mesure
où les contenus générés par la foule sont fortement intégrés à l’offre des firmes
utilisatrices : les données OpenStreetMap sont intégrées dans les solutions GPS de
Garmin.
Avec Marketocracy ou TL-investments, on est en présence de plates-formes
d’intermédiation financières : Marketocracy invite les participants à gérér des portesfeuilles virtuels et les stratégies les plus « efficaces » sont répliquées dans la finance
réelle. La plate-forme TL-investments sollicite quant à elle la foule (financial crowd)
pour le financement de projets de création d’entreprise (Figure 2). Ce modèle appelé
Crowdfunding est également celui de MyMajorCompany pour la production musicale
(Grégoire avec son tube « Et toi et moi » fût la première production de ce Label).
Figure 2 : Le modèle de TL-investments (www.tl-investments.com)
Face à cette diversité de situations, deux postures semblent légitimes. La première, exigeante,
consiste à exclure du champ du Crowdsourcing les cas qui ne répondent pas exactement aux
critères (appel d’offre ouvert notamment). La seconde, plus pragmatique à notre sens, consiste
à aborder les critères avec une certaine souplesse.
Au travers les exemples cités, nous constatons que le Crowdsourcing implique généralement
trois catégories d’acteurs :
- Les individus constituant la foule et qui sont sollicités.
- Le ou les bénéficiaires des contributions de la foule. Il s’agit en général de l’entreprise
qui émet un appel d’offres.
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-
Enfin, une plate-forme d’intermédiation entre « prestataires » et « bénéficiaires ». Ce
point nous semble particulièrement intéressant. Si la foule possède des compétences
(Le Boterf, 1995) utilisables par les entreprises, l’accès à ces compétences peut se
faire par l’intermédiaire d’un tiers.
Nous retrouvons une typologie similaire à celle développée par Cohendet et Simon (2008)
dans l’analyse des interactions entre firmes et groupes autonomes au sein de villes créatives.
Pour Cohendet et Simon, la créativité qui est générée au sein de goupes autonomes
(Underground) est mobilisée par les firmes (Upperground), l’interfaçage entre ces strates
étant réalisée à un niveau intermédialite (Middleground). Concernant le Crowdsourcing, nous
avons affaire à une intermédiation essentiellement « virtuelle » pour une raison relativement
simple : Internet permet une communication bilatérale et publique. La communication
bilatérale permet aux firmes d’exprimer des besoins et aux individus constituant la foule
d’apporter des réponses à ces besoins. Du fait du caractère public de la communication, les
demandes des firmes s’adressent à des foules de « grande taille » et sont susceptibles d’être
satisfaites. Le fonctionnement en trois strates constitue un cas relativement simple mais
d’autres modalités existent.
A ce stade, il est utile de mentionner le cas de Wikipedia. Les contenus de Wikipedia résultent
d’une intervention de la foule d’où une certaine proximité avec le Crowdsourcing. Néanmoins
ce cas ne correspond pas à notre définition du Crowdsourcing dans la mesure où il les firmes
utilisatrices n’ont pas rôle particulier par rapport aux processus de génération de contenu.
ReCaptcha : un modèle atypique
Les cas de Crowdsourcing énumérés dans le Tableau 1 impliquent des mécanises relativement
simples, à l’exception de ReCaptcha. Une présentation plus en détail de ce cas nous semble
nécessaire pour comprendre dans quelle mesure il s’agit d’une forme de Crowdsourcing.
En réponse au développement des « robots virtuels », ces programmes informatiques qui à des
fins commerciales ou malveillantes (spam, extraction de données, intrusion) répliquent le
comportement d’êtres humains, l’Université Carnegie Mellon et IBM ont inventé en 2000 un
système dénommé CAPTCHA (Completely Automated Public Turing test to Tell Computers
and Humans Apart) fonctionnant sur le principe des machines de Turing : le visiteur d’une
page web est invité à reconnaitre une chaine graphique de caractères (ou un son pour les
CAPTCHA sonores) difficilement reconnaissable par un ordinateur, et l’accès à la page est
autorisée si et seulement si la réponse fournie est correcte.
Une évolution récente désignée sous le terme ReCaptcha et conduite par l’université Carnegie
Mellon, permet de combiner des missions a priori indépendantes dans un contexte de
Crowdsourcing. La première mission est, tout comme CAPTCHA, le filtrage de « clics »
provenant de robots virtuels : l’utilisateur d’un site est amené à décrypter une séquence de
caractères afin de pouvoir poursuivre sa visite du site. La seconde mission est d’offrir un
support pour des processus de numérisations d’ouvrages. Les algorithmes de reconnaissance
de caractère de type OCR utilisés dans les processus de numérisation sont imparfaits : des
caractères malformés résistent à la reconnaissance numérique et une intervention humaine est
nécessaire (ces caractères malformés sont souvent très faciles à décrypter pour un être
humain). ReCaptcha consiste en un CAPTCHA étendu comprenant deux séries de caractères :
l’une d’elles est une série non-reconnue par l’ordinateur et dont il s’agit de trouver le sens ;
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l’autre est un CAPTCHA classique, qui permet de valider la qualité de la réponse au
ReCaptcha. La Figure 3 présente une fenêtre de saisie ReCaptcha.
Figure 3 : Fenêtre de saisie ReCaptcha (recaptcha.net)
ReCaptcha est bien une solution de Crowdsourcing, les compétences d’utilisateurs d’Internet
sont exploitées par un bénéficiaire, mais elle présente quelques singularités. ReCaptcha offre
en effet un croisement entre deux mondes :
- ReCaptcha est un outil pour les gestionnaires de sites web.
- ReCaptcha est un dispositif qui sollicite de manière presque insidieuse (mais pour une
cause a priori légitime !) la compétence d’êtres humains pour la numérisation de la
bibliothèque de l’Université Carnegie Mellon.
Notons que l’interface entre l’utilisateur des compétences de la foule (l’Université Carnegie
Mellon) et les individus constituant la foule ne se fait pas par le moyen d’une plate-forme
« centralisée » comme dans les autres cas de Crowdsourcing, mais de manière totalement
décentralisée.
Au travers de cet exemple, mais aussi de ceux mentionnés dans le tableau 1, nous sommes
amenés à faire un parallèle entre le Crowdsourcing et d’autres démarches collaboratives sur
Internet.
3. Crowdsourcing, Open Source, User Innovation, Open Innovation
Le concept de Crowdsourcing s’inscrit dans la filiation de diverses notions émergées ces
dernières années dans le domaine de la science de gestion.
Open Innovation
Le terme anglais d’Open Innovation, que l’on peut traduire par innovation ouverte ou
innovation distribuée, a été développé par Chesbrough (2003, 2007) en fondant ses recherches
sur l’étude de grandes firmes multinationales (IBM, Procter and Gamble).
L'idée centrale est que dans un monde de la connaissance distribuée, les firmes ne peuvent se
permettre de compter uniquement sur leur propre recherche et développement. Il est plus
intéressant pour les firmes d’accepter de sous-traiter en partie ces fonctions par le biais
d’achats de droits sur les procédés ou les inventions (c'est-à-dire les brevets) des autres
entreprises. A l’inverse, les inventions internes non utilisées à l'intérieur d'une entreprise
devraient être sorties de la société par l'intermédiaire de brevets, ou d’entreprise commune, ou
encore de spin-offs. Cette approche est particulièrement iconoclaste pour les firmes qui
préfèrent naturellement des modèles d’innovation fermée, fondés sur des procédés qui
limitent l'utilisation de connaissance interne au sein d'une entreprise et utilisent peu ou pas du
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tout de connaissance externe. L’Open Innovation permet d’acquérir de nouvelles innovations
ou d’en valoriser d’autres qu’elle ne saurait exploiter en interne, chose rendue possible grâce à
l’utilisation de protections légales comme les brevets (Pénin, 2008).
Nous voyons s’esquisser les points communs et les divergences entre l’Open Innovation et le
Crowdsourcing. Dans les deux cas le paradigme de départ est le même : la répartition de la
connaissance et le rôle important d’ouverture de la firme aux innovations afin qu’elle soit la
plus concurrentielle possible. Mais comme l’Open Innovation s’intéresse exclusivement au
processus d’innovation alors que le Crowdsourcing, souvent utilisé dans des processus
d’innovation (l’exemple le plus célèbre étant évidemment Innocentive), ne l’est pas
exclusivement (Istockphoto bien que modèle innovant n’a pas de vocation à favoriser
l’innovation). Le Crowdsourcing diffère principalement de l’Open Innovation dans la mesure
où dans ce dernier cas l’ouverture et l’externalisation de l’innovation se font vis-à-vis d’autres
firmes, alors que toute l’originalité du Crowdsourcing réside dans une externalisation vers la
foule, les individus ou les communautés informelles qui la constituent. Encore une fois, dans
une approche de la connaissance distribuée ce changement d’échelle permet d’explorer des
possibilités plus grandes en augmentant la taille du champ des possibles.
Dans son aspect d’externalisation de l’innovation, l’Open Innovation est bien une forme
particulière d’Outsourcing, mais on ne peut le réduire à cet aspect des choses puisque les
entreprises peuvent aussi se trouver en situation inverse c'est-à-dire chercher à valoriser des
innovations produites en interne auprès d’autres firmes. Enfin, le Crowdsourcing, quand il est
utilisé pour un processus d’innovation, peut être considéré comme une forme d’Open
Innovation particulière où l’externalisation se ferait vers la foule.
User Innovation
Le Crowdsourcing se caractérise par le rôle central donné à la foule, c'est-à-dire à des
individus ou des communautés sans statuts juridiques particuliers, vers qui les entreprises
peuvent se retourner pour externaliser certaines de leurs fonctions. Ce rôle joué par des
individus hors de toute firme ou même organisation formalisée fait immanquablement penser
aux travaux dans lignés de ceux de von Hippel (1998) sur le User Innovation.
Nous assistons à un changement de paradigme en ce qui concerne l’innovation, en particulier
l’innovation produit. Le paradigme traditionnel est celui de l’innovation centrée sur la firme
(manufacturer centered innovation), il s’oppose au paradigme de l’innovation centrée sur
l’utilisateur (user centered innovation). Le Tableau 2 résume les caractéristiques de ces
paradigmes.
L’innovation centrée sur la firme
Les firmes identifient les besoins des
utilisateurs
Développent des produits sur leur propres
fonds
L’innovation centrée sur l’utilisateur
Les utilisateurs avancés (lead users) innovent
pour résoudre leurs propres problèmes
Ils révèlent librement leurs innovations
Obtiennent un profit en protégeant leurs
innovations et en les vendant
Tableau 2 : Principes du User Innovation
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Dans le modèle centré sur l’utilisateur, l’innovation est impulsée par les utilisateurs pionniers
qui répondent à un besoin propre (éventuellement anticipent les besoins du marché) et qui
sont disposés à prendre en charge les coûts liés à l’innovation. A titre d’exemple, des
innovations concernant les équipements sportifs (Sky-surf) ou les logiciels informatiques
(Logiciel Libre) sont parfois dues à des utilisateurs avancés. Une caractéristique importante
des ces utilisateurs innovants est l’importance du phénomène communautaire renforcé par
Internet.
On le voit le concept de User Innovation se distingue du celui de Crowdsourcing, quant à la
différence de relation entre l’entreprise et la foule. Dans le premier cas, l’entreprise n’est pas
du tout initiatrice du projet qui est impulsé par les utilisateurs, alors que dans le second cas, la
firme est leader du projet. Pour reprendre la distinction présentée ci-dessus nous sommes bien
dans le cas d’une innovation centrée sur la firme, même si rapidement la firme va s’adresser à
la foule. Enfin dans le cas du Crowdsourcing nous ne sommes pas forcément face à une
problématique d’innovation, et surtout la foule à qui s’adresse l’entreprise n’est pas
obligatoirement composée d’utilisateurs ni même d’utilisateurs potentiels. (Par exemple le
projet Innocentive ne s’adresse pas à des utilisateurs potentiels mais plutôt à des experts).
Pour cette raison nous ne pouvons pas dire que le Crowdsourcing est une forme particulière
de « User Innovation » ou vice versa (Figure 4). Cependant, ces deux concepts partagent cette
originalité de baser leur fonctionnement non pas sur des organisations mais sur des individus
hors cadre professionnel. Ainsi, les mêmes questions se posent quant aux motivations des
participants à de tels projets. En outre, ces deux phénomènes prennent toute leur ampleur
grâce à l’Internet et aux outils TIC en général ; ces derniers permettent de s’affranchir des
distances et mettre en réseaux des personnes, qui autrement auraient eu besoin de structures
formelles comme les organisations pour se coordonner.
Open Source
Comme nous l’avons vu précédemment, Howe (2008) définit le Crowdsourcing comme une
application des principes de l’Open Source à d’autres industries. D’un point de vue
sémantique nous ne rentrerons pas ici dans la discussion, qui concerne surtout les auteurs
anglophones quant aux distinctions entre Open Source et Free Software ; nous traduirons
« Open Source » par « Logiciel Libre » puisqu’en français le vocable libre ne prête aucune
confusion possible avec celui de gratuité contrairement à l’anglais « Free ».
Le principe du Logiciel Libre repose sur un détournement du droit d’auteur (d’où le terme
Copyleft) et, de ce fait, si rien n’interdit à un logiciel libre d’être commercialisé, rien non plus
ne le protège de la copie et d’une diffusion gratuite à grande échelle. En outre, d’un point de
vue économique, le logiciel est un bien économique particulier, et du fait de ses
caractéristiques propres (Foray et Zimmermann, 2001) il permet un mode de production autoorganisée et décentralisée. L’article de Senyar et Michalmar (2004) met bien en évidence les
mécanismes qui rendent le mode d’organisation du Bazar (Raymond, 1999) si efficient dans
le cas du Logiciel Libre. En particulier, les développeurs ne sont généralement pas rétribués
pour leurs contributions et le marketing du Libre est un marketing viral de type « community
led marketing » qui se propage au travers d’Internet de manière peu coûteuse, rapide et très
ciblée (Krishnamurthy, 2005).
Cependant, contrairement à la définition de Jeff Howe, il semble difficile de considérer le
Crowdsourcing comme une extension des principes de l’Open Sources à d’autres industries.
La première raison a été évoquée lors de notre présentation de l’Open Innovation : tout
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comme cette dernière, le Crowdsourcing n’est pas ouvert dans le sens où peut l’être le
Logiciel Libre. L’ouverture est entendue dans un sens plus restrictif, dans la plupart des cas il
n’est pas question pour la firme de renoncer à ses droits de propriété sur les contributions de
la foule. Argefald et Fidgerald (2008) préfèrent ainsi parler d’Opensourcing pour caractériser
la façon dont fonctionne le Logiciel Libre. D’ailleurs, Brabham (2008) précise qu’une des
raisons pour laquelle on ne peut directement comparer le mouvement du Logiciel Libre et
celui du Crowdsourcing, est que le premier se base sur un bien particulier, le logiciel, alors
que le Crowdsourcing est utilisé pour divers types de biens et services. Pour le dire autrement
le principe de Copyleft, qui est l’élément fondateur de tout le processus du Logiciel Libre,
peut s’appliquer uniquement parce qu’un logiciel possède un code source. Le phénomène du
Logiciel Libre est en fait d’une autre nature que les concepts d’Open Innovation,
Crowdsourcing et User Innovation, c’est pourquoi nous l’avons représenté en pointillé sur la
Figure 4. Il s’agit d’un mouvement hétérogène, où certains exemples célèbres sont clairement
identifiables comme relevant du « User Innovation ». Les exemples les plus connus sont le
noyau de Linux (Torwalds et Diamond, 2001) ou Apache. Par contre certains projets sont
basés sur des pratiques de Crowdsourcing ou d’Open Innovation, c’est le cas des entreprises
comme Mandriva (distribution Linux).
Le mouvement du Logiciel Libre est plutôt une application du Crowdsourcing qu’un concept
semblable, mais surtout il n’y est pas prédominant : le « User Innovation » y est plus
représentatif (von Hippel et von Krogh, 2003). Une des caractéristiques les plus étudiées par
les sciences économiques et de gestion a été celle des motivations des développeurs de
Logiciels Libres (Bonnacorsi et Rossi, 2003). Concernant le Crowdsourcing, l’intérêt
financier (Lerner et Tirole, 2002) et l’intérêt technologique (Weber, 2004) sont par exemple
des motivations que l’on retrouve dans le Logiciel Libre. Il faut cependant distinguer deux cas
de figures. Soit le Crowdsourcing fonctionne sur la base d’une rémunération et les
motivations financières vont jouer un rôle important sans pour autant en exclure d’autres
selon la personne, nous nous retrouvons dans un cas finalement banal d’une personne
réalisant une activité contre une rémunération espérée. Soit nous sommes dans le cas du
bénévolat et les mécanismes étudiés dans l’Open Source se retrouvent.
Figure 4 : Positionnement du Crowdsourcing
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4. Les raisons du Crowdsourcing
Le Crowdsoucing est une modalité de mobilisation de compétences, tout comme le sont
l’intégration (insourcing) ou l’externalisation (outsourcing). Deux points sont abordés afin de
comprendre ce qui pousse les entreprises à recourir au Crowdsourcing.
Ce qui est recherché lors du Crowdsourcing
De manière très générale, le Crowdsourcing consiste en une mobilisation de compétences
distribuées au sein de la foule. La compétence fait généralement référence à la capacité d’un
individu à réaliser un ensemble de missions qui lui sont confiées. La notion de compétence
recouvre donc un champ relativement large de situations : un individu qui effectue la
traversée d’un océan à la voile a la compétence pour fournir des indications météorologiques
précises relatives à l’endroit où il se situe, de même qu’un expert a la compétence pour
résoudre un problème (Bootz et Schenk, 2009).
Nous identifions différents types « d’inputs » attendus par la firme qui recourt au
Crowdsourcing :
- Informations : recourir à la foule permet à l’entreprise d’obtenir un grand nombre de
d’informations1 issues d’observations ou d’actes « simples » (reconnaissance de mots
par exemple), afin d’alimenter des basesdans des domaines divers. En effet nous
retrouvons ce schéma dans le cas d’OpenStreetMap, mais aussi ReCaptcha et
Humangrid.
- Créativité individuelle. Il s’agit ici pour la firme de valoriser les idées d’individus dans
des domaines relatifs au design ou la photographie par exemple. Ce type de
Crowdsourcing se rencontre dans les cas de Designenlassen et Wilogo notamment.
- Compétences pour la résolution de problèmes. L’activité de résolution de problèmes
comprend un mélange de connaissances, de savoirs faires et de créativité individuels,
mais repose également sur la capacité des agents à interagir et à mobiliser des
ressources externes (Le Boterf, 1995). Il s’agit ici d’activités complexes d’un point de
vue cognitif, que l’on retrouve notamment dans les cas de Innocentive et Atizo.
L’on peut ainsi dresser une gradation des situations de Crowdsourcing selon l’intensité
cognitive des activités réalisées au sein de la foule2. A l’une des extrêmes, le Crowdsourcing
permet d’accéder à des informations multiples et complémentaires (données géographiques
par exemple) et à l’autre extrême, il permet de mobiliser des processus cognitifs complexes de
résolution de problèmes.
Cette discussion met en avant deux formes typiques de Crowdsourcing :
- Le Crowdsourcing intégratif, où l’enjeu est la mise en commun d’éléments
complémentaires apportés par des individus au sein de la foule. Dans ce schéma, les
éléments pris individuellement n’ont que très peu de valeur : c’est leur multitude et
leur mise en commun qui apporte une valeur à l’entreprise.
1
Les informations sont définies comme étant des données (résultats de mesures ou d’observations par exemple)
structurées dans un but particulier.
2
Parallèlement à ce qu’on pourrait appeler « Crowdsourcing cognitif », le Crowdsourcing peut aussi concerner
la collecte de ressources financières (« Crowdfinancing »), voire de ressources matérielles, par exemple
lorsqu’une firme sollicite des utilisateurs pour des tests de compatibilité matérielle (Burger-Helmchen et
Guittard, 2008).
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-
Le Crowdsourcing sélectif, où le bénéficiaire va chercher à « sélectionner » une
production émanant de la foule parmi un portefeuille de choix que celle-ci aura fourni.
Les intérêts du Crowdsourcing
L’entreprise qui procède à du Crowdsourcing ne s’adresse pas à une personne et encore moins
à une entreprise en particulier, mais à un « ensemble ouvert » d’individus anonymes. Ces
individus sont des « amateurs » au sens où ils n’ont pas le statut de « professionnel ». Partant
de là, nous identifions les avantages du Crowdsourcing par rapport aux autres modes de
mobilisation de compétences.
Les contributeurs étant membres d’une foule d’amateurs (au sens donné ci-dessus), l’impact
financier de la mobilisation des compétences n’est pas le même que dans le cas de
l’intégration ou de l’externalisation. Bien que ça soit parfois le cas, les contributions ne sont
pas toujours gratuites et des rétributions « importantes » existent (Innocentive). Néanmoins, la
firme qui recourt au Crowdsourcing ne supporte pas les coûts fixes et indirects liés à l’activité
des individus dans la foule. A l’instar du modèle Open Source (section 3), des motivations
non financières (Lerner et Tirole, 2002) conduisent les individus à intégrer des dispositifs de
Crowdsourcing. Par extension, la firme qui recourt au Crowdsourcing externalise le risque lié
à l’activité en question. Ceci est très clair dans les cas particuliers d’Innocentive et
Marketocracy puisque les personnes impliquées dans le processus d’innovation ne savent pas
si leur apport sera retenu. Mais si ces aspects sont importants, ils ne sont pas propres au
Crowdsourcing et on les rencontre notamment dans les situations d’Open Innovation, voire
d’Outsourcing classique. Le trait caractéristique du Crowdsourcing est à rechercher dans la
définition de la foule.
La foule est constituée d’une multitude d’individus hétérogènes. L’hétérogénéité concerne
une multitude de paramètres : connaissances détenues, disposition à s’impliquer dans le
processus, mais aussi et tout simplement la situation géographique ou autre. Le cas de
ReCaptcha nous fournit un exemple patent : à chaque fois que le système est utilisé (c’est-àdire à chaque fois que la nature « humaine » du clic informatique doit être vérifiée), l’individu
est amené à décrypter une suite de caractères aléatoire dans une base de « caractères illisibles
par l’ordinateur ». C’est la diversité des situations qui importe ici, c'est-à-dire que l’on ne
pose pas une question à des individus mais une question différente à chaque individu.
Cette diversité des individus est l’argument de choix en faveur du Crowdsourcing :
- L’entreprise qui recherche un logo (Wilogo), une image (iStockphoto) ou une
maquette graphique (Designenlassen) pourra avoir le choix entre plusieurs
propositions. Par exemple chez Wilogo, un nombre minimum de 30 propositions de
logos est garanti. Cet aspect présente un intérêt notamment dans le cas d’activités
créatives où diverses « idées » peuvent être mises en concurrence.
- Dans un processus complexe et a fortiori un projet d’innovation (Innocentive, Atizo,
Marketocracy), la diversité des contributeurs augmente la probabilité d’obtenir une
contribution satisfaisante. Nous rejoignons l’argument apporté par Raymond en faveur
du Logiciel Libre : « Given enough eyeballs, all bugs are shallow » (Raymond, 1999).
- La diversité des contributeurs permet d’alimenter des bases de données avec des
informations diversifiées et complémentaires (ReCaptcha, OpenStreetMap,..).
- Enfin, la diversité des contributeurs réduit considérablement le risque de dépendance
de la firme «cliente » par rapport à un fournisseur ou prestataire particulier et elle
permet de collecter des fonds importants sous la forme de « petits paiements ».
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5. Conclusion
L’objectif de cet article était de mieux cerner le concept de Crowdsourcing. Ce phénomène
bien que relativement récent prend une ampleur remarquable. Nous nous sommes attachés
dans un premier temps à proposer une définition aussi précise qu’opérationnelle. Nous avons
en particulier cherché à cerner comment cette nouvelle notion de Crowdsourcing se
positionnait par rapport à sa notion mère d’Outsourcing, en synthétisant cette réflexion par un
schéma (Figure 1). Afin de cerner au mieux ce nouveau concept nous avons choisi de
l’illustrer par des exemples d’applications, que nous avons présentés dans un tableau
récapitulatif (Tableau 1). Nous nous sommes ensuite focalisés plus particulièrement sur le cas
du cas ReCaptcha, car il nous a semblé à la fois symptomatique du processus de
Crowdsourcing, tout en étant doté d’une certaine originalité. Dans une deuxième partie, nous
nous sommes attachés à positionner cette nouvelle notion de Crowdsourcing par rapport à des
théories établies en sciences de gestion (innovation distribuée, innovation par les utilisateurs)
ou un phénomène qui a inspiré de nombreux travaux en économie et gestion (le Logiciel
Libre). Dans chaque cas, nous avons cherché à exhiber les points communs et les divergences
avec cette nouvelle notion. Nous avons ainsi pu schématiser (Figure 4) le positionnement de
ces diverses approches, et mettre en exergue l’originalité de cette nouvelle notion. Enfin, dans
une troisième partie plus opérationnelle, nous nous sommes attachés à montrer ce qu’une
organisation peut attendre et espérer d’un projet de Crowdsourcing. Il apparaît que l’enjeu
pour la firme est bien de chercher à mobiliser des compétences externes. Si le recours à la
foule peut être une méthode adéquate, c’est parce que cette foule a des caractéristiques qui lui
sont propres et qu’un média comme Internet favorise cette approche.
L’objectif de ce papier était de présenter un panorama de ce phénomène original, à bien des
égards, qu’est le Crowdsourcing. Mais il s’agit plutôt d’un point de départ, vers de nouvelles
voies à explorer pour bâtir une réflexion sur ce phénomène en plein essor, que d’un point
final. L’agenda de recherche que nous propose le Crowdsourcing est aussi vaste que varié. En
particulier, afin un travail semble nécessaire afin de mieux apprécier la motivation des
contributeurs au sein de la foule ainsi que la pérennité du phénomène de Crowdsourcing.
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