Les Hauteville : des princes méditerranéens

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Les Hauteville : des princes méditerranéens
Les Hauteville : des princes méditerranéens
(07-08-2006) - Soumis par Alix Ducret - Dernière mise à jour : (15-08-2006)
Venus des brumes du Nord, les Vikings vont, en quelques années, étendre leurs conquêtes au Groenland, à la Russie,
allant même jusqu'aux portes de Constantinople, puis aux îles anglo-saxonnes jusqu'à atteindre les rives françaises et
a y fonder une dinastie. Mais loin de se satisfaire de la « conquête » française, les Normands, sans doute aiguillonnés
par un incontrôlable sens de l'aventure, vont se plonger, au XIe siècle, dans l'aventure italienne et sicilienne. Parmi ces
aventuriers, cependant, une famille va rapidement se détacher de toutes les autres, au point d'engendrer une dynastie
qui sera appelée aux plus hautes fonctions : les Hauteville. De l'arrivée en Pouille au royaume de Sicile, des premières
armes aux fastes de la cour la plus prestigieuse d'Europe puis à leur extermination, l'histoire des Hauteville est digne
d'un roman...
Février 1194 : Tancrède, seigneur de Lecce et roi de Sicile depuis 1190, meurt subitement. Le trône, convoité par Henri
VI, l'empereur germanique, est désormais aux mains d'un enfant, Guillaume III. À la fin de l'année, Henri VI s'est emparé
de Palerme et, le jour même de Noël 1194, se fait couronné roi de Sicile. La régente Sybille, ses enfants ont été
sommés d'assister à la cérémonie. Ils voient le petit Guillaume III porter lui-même -suprême humiliation- la couronne des
rois de Sicile, le fameux kamelaukion, à celui qui vient de le déposséder... Peu après, Guillaume sera châtré et aveuglÃ
avant d'être enfermé à tout jamais dans les geôles impériales. La Sicile n'entendra plus jamais parlé de celui qui fut le
dernier représentant d'une dynastie à nulle autre pareille : les Hauteville. Tombée sous la coupe du Hohenstaufen, l'île
s'apprête à vivre ses années de martyre...
Le « miracle normand »
Tout a commencé en Pouille, au sud de l'Italie, une région séparée de l'empire byzantin par la mer Adratique et
qui supportait difficilement sa mainmise -sous forme d'une taxation, fort lourde au demeurant. Mélès, un seigneur du
cru, après une première tentative de soulèvement contre le pouvoir impérial et un premier échec, décida donc de faire
appel à des mercenaires normands.
Les chroniques rapportent que la prise de contact se fit lors d'un passage de chevaliers normands en route vers
Jérusalem ; à moins qu'elle n'ait eu lieu lors de leur retour comme le certifie la chronique d'Aimé du Mont-Cassin (XIe
siècle) :
Avant la millième année écoulée depuis que le Christ, Nostre-Seigneur, prit chair de la Vierge Marie, apparurent
dans le monde quarante vaillants pèlerins. Ils venaient du Saint-Sépulcre de Jérusalem où ils avaient adoré JésusChrist. Et ils se rendirent à Salerne qui était assiégée par les Sarrasins et se trouvait en si mauvaise situation qu'elle
pouvait se rendre [...]. Ils allèrent trouver le sérénissime seigneur Guaimar, qui gouvernait Salerne en bonne justice. Ils
le prièrent de leur donner des armes et des chevaux [...]. Ils attaquèrent les Sarrasins et en tuèrent beaucoup...
Les Normands, malgré les supplications de la population ne voulurent pas rester mais il ne fait pas de doute qu'à leur
retour en Normandie ils durent parler de la richesse et de l'instabilité de ce pays qu'ils avaient traversé, ce qui en faisait
une proie toute désignée. En effet, originellement soumise aux princes lombards, l'Italie du sud -soit la Pouille, la
Campanie, la Calabre et les principautés de Salerne, Capoue, Benevent- était sous obédience byzantine, ce qui ne
convenait guère à la papauté ni, on l'a vu, aux Lombards. La région devait également supporter les attaques récurrente
des Sarrasins, bien installés en Sicile. Aussi, lorsque Mélès et un envoyé de Guaimar de Salerne se rendirent en
Normandie, où ils ne cessèrent de vanter « la fertilité de la Pouille », ils recrutèrent sans trop de mal une troupe de
mercenaires conduite par un certain Osmond. D'autant plus facilement d'ailleurs que, selon Orderic Vital, cet Osmond
était alors sous le coup d'une condamnation pour meurtre... ce qui ne l'empêcha nullement de recueillir la bénédiction
papale pour lui et ses hommes.
Certes, l'arrivée du « miracle normand » allait entraîner cette année-là (1017) une série de victoires... mais les
mercenaires devaient finir par plier devant l'énorme contingent byzantin qui mâta la révolte dès l'année suivante. Peu
importe pour les Normands : ils avaient désormais un pied en Italie.
Cet épisode initia un regain de désordre dans toute la péninsule et il semble qu'on fit alors appel aux Normands de
tous côtés, des Byzantins au pape. N'étaient-ils pas, selon Aimé du Mont-Cassin, « une grande multitude de peuples,
gens très vigoureux et forts » ? Ils déferlèrent donc sur le pays...
Combien étaient-ils ? Sans doute quelques milliers en fait. Mais ces guerriers, rebelles au droit féodal et à l'autorité du
duc de Normandie, cadets de famille pour la plupart, avaient acquis des techniques de combat alors inconnues ou mal
connues des Italiens comme des Byzantins, ce qui explique, selon Villars, leur force militaire.
Les premiers établissements normands
Parallèlement à cette véritable déferlante mercenaire, un premier établissement normand avait lieu. En effet, lors de
son arrivée en Pouille, le frère du fameux Osmond, Rainolf, s'était mis au service du prince de Naples, alors à couteaux
tirés avec celui de Capoue. Il acquit terres et titres et épousa même la soeur du Napolitain, ce qui ne l'empêchera pas,
quelques années plus tard, de passer à l'ennemi puis, du service du prince de Capoue, à celui de Salerne. Un manque
évident de conscience qui allait cependant lui permettre d'acquérir toujours plus de terres, de titres et d'honneurs et de
mettre sur pied son propre contingent normand.
Alors que Rainolf et ses hommes étaient au prince de Salerne, les Byzantins montèrent une grande expédition contre
les Sarrasins installés en Sicile, expédition qu'ils confièrent à des mercenaires ou aux Apuliens et aux Calabrais qui leur
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étaient soumis. Le seigneur de Salerne, pour sa part, se défit de quelques trois cents Normands, parmi lesquels trois
frères, Guillaume, Dreux et Onfroi de Hauteville, arrivés depuis peu de Normandie.
Les fils de Tancrède
L'aventure sicilienne, bien qu'elle se solda par la prise de Syracuse, exacerba rapidement la volonté d'indépendance
de ces contingents ; une volonté d'indépendance qui n'était sans doute pas sans rapport avec le manque
d'empressement des Byzantins à payer leurs troupes... Guillaume et ses frères, comme d'ailleurs la plupart des
Normands, quittèrent donc le service des Byzantins pour entrer à celui des Apuliens, en pleine révolte. C'était pour eux
l'occasion de se tailler un fief. Ils s'emparèrent ainsi de Melfi, Venosa, Ascoli et Navello, « chassèrent les Byzantins de
presque toute la Pouille » puis se retournèrent contre les seigneurs apuliens qui avaient fait appel à eux et qui se
retrouvèrent vite dépouillés.
En 1043, les Normands étaient bien établis en Pouille et leur chef, Guillaume Bras-de-Fer -surnom acquis lors de
l'expédition sicilienne-, qui avait fait de Melfi sa capitale, distribua les fiefs et fit de ses compagnons ses vassaux. Et si
Guillaume reconnaissait l'autorité du prince de Salerne, cette suzeraineté restait toute théorique...
Les Hauteville étaient les fils de Tancrède, un petit baron -Orderic Vital évoque même un « homme de rang
médiocre »- du Cotentin, que l'on retrouve, n'en déplaise à Vital, dans l'entourage du duc Robert de Normandie. S'il
n'était ni grand ni puissant seigneur, Tancrède de Hauteville avait cependant pris la peine d'assurer son lignage en
engendrant, à l'occasion de ses deux mariages, un nombre conséquent de fils. On en compte pas moins de douze ! On
peut donc comprendre que certains d'entre eux aient désiré se tailler un domaine loin du modeste fief familial...
Duc et maître des comtés normands d'Italie
En 1046, la mort de Guillaume Bras-de-Fer, qui contrairement à son père n'avait pas pris le temps de perpétuer son
nom, amena Dreux à lui succéder sous le titre de « duc et maître des comtés normands d'Italie, des Pouilles et de
Calabre ». Tout un programme... Et en effet, sous son autorité, la puissance normande ne cessera de grandir.
Un autre frère vint à propos les rejoindre : Robert, surnommé Guiscard, le Rusé. Trop tard, selon Dreux, qui ne lui
accorda que la forteresse de la Roche Saint-Marc, en Calabre, avec le droit de se tailler un fief à la force de l'épée. En
fait de fief, Robert en fut bientôt réduit à piller et à voler. Et sans doute serait-il resté un pauvre brigand si, en 1051-1052
environ, il n'avait épousé une dame Aubrée de Buonalberto, héritière d'une modeste seigneurie d'où Robert va lancer la
conquête de la Calabre.
La réaction anti-normande
C'en était trop pour ceux qui, jadis, se disputaient l'Italie et qui voyaient soudain émerger le pouvoir des Normands.
Un pouvoir qu'ils avaient eux-mêmes contribué à créer d'ailleurs. Les Grecs et les Lombards donc s'unirent pour lancer
une première contre-attaque, en 1051, qui, si elle se solda par la mort de Dreux, ne servit qu'à unir plus profondément
les Normands, bien décidés à faire cause commune dans cette affaire. L'année suivante, c'était l'alliance du pape -alors
Léon IX- et de l'empereur germanique qui s'attaquait aux Normands... sans plus de succès. La situation se révéla
même pire, puisque Léon IX se retrouva prisonnier d'Onfroi -qui avait succédé à Dreux- jusqu'en 1054. On peut aussi
comprendre, à la lecture de ces événements, que Guillaume le Conquérant ait eu toutes les peines du monde à se
concilier la papauté...
Les autres tentatives pour bouter les Normands hors d'Italie échouèrent lamentablement, si bien que le Saint-Siège
décida bientôt de faire de cet ennemi un allié.
Le schisme d'Orient, qui en 1054, sépara définitivement les Églises d'Occident et d'Orient, allait faire des élections
pontificales une lutte d'influence et de pouvoir sans précédent et l'occasion pour l'empereur germanique de s'immiscer
toujours plus dans la politique papale. Certains refusant cette mainmise impériale, les antipapes fleurirent durant les
premiers temps du schisme et notamment en 1058, année où le pape Nicolas II eut l'idée de contrebalancer l'influence
impériale par le soutien des Normands, installés au sud de la péninsule. Rentrés en grâce, ces derniers allaient être
rapidement récompensés : en 1059, Nicolas II investissait Robert Guiscard du duché de Pouille -Onfroi était mort l'anné
précédente- et Richard d'Aversa, un neveu de Rainolf, de la principauté de Capoue. Pour les Normands, le changement
était de taille : confirmés par la papauté, ils devenaient seigneurs légitimes et donc indéboutables sous peine
d'excommunication... Restait à asseoir leur autorité, dans le duché même.
Le « règne » de Robert le Rusé
Bien qu'officiellement investit d'un duché, dont il avait d'ailleurs honteusement spolié ses neveux -les fils d'OnfroiRobert Guiscard dû dès lors travailler à faire respecter son autorité de duc. Et comme les fils de Rollon en Normandie, il
s'appuya sur un strict système féodal... qu'il eut souvent à faire respecter les armes à la main. En effet, venus en Italie
pour échapper à la trop grande autorité des ducs de Normandie, les anciens mercenaires, loin de conserver leur
indépendance, se voyaient à nouveau soumis au genre de système qu'ils avaient voulu fuir... C'est donc d'abord contre
eux et contre sa propre famille que Robert eut à combattre : contre les fils d'Onfroi, Abélard et Herman, qui réclamaient
leur héritage ; puis contre ses quatre frères, Mauger et Geoffroy, qui ne se révoltèrent que pour la forme, et surtout
Guillaume et Roger, le premier n'étant qu'un sombre brigand et le second un ambitieux au même titre que Robert.
Quelques années suffirent à Robert Guiscard pour mettre ses vassaux au pas et, malgré deux ou trois révoltes
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endémiques, il assit assez sûrement son autorité sur les Pouilles et la Calabre. Restait à conquérir Salerne, toujours
sous l'autorité d'un prince lombard, Gisolf, fils de Guaimar IV. Une ambition qu'il partageait avec Richard de Capoue
d'ailleurs... Et les deux hommes vont user, à peu de choses près, de la même politique : le lien familial. Richard de
Capoue épousa donc une nièce de Gisolf et Robert, après avoir répudié Aubrée sous prétexte d'un lointain cousinage
épousant, en 1058, la soeur du Lombard, Sykelgaite. Une union qui était pour Robert nettement plus prestigieuse que la
précédente puisqu'elle ferait de ses fils les descendants des rois lombards...
Gisolf, qui avait consenti à ces unions pour se protéger des ambitions normandes, en fut pour ses frais. Ce n'est
cependant qu'en 1076, soit près de vingt ans plus tard, que Robert, enfin pleinement assuré de son autorité de suzerain
et après avoir expulsé totalement les Byzantins de leurs possessions de Bari et de Brindisi, se lança dans la conquête
de Salerne. Un siège de six mois à peine eut raison de la résistance de Gisolf...
La Sicile, perle de la Méditerranée
Pendant que Robert Guiscard assurait la dépendance de l'Italie du sud, Roger, son frère, se lançait dans la
conquête de la Sicile. Tout avait commencé exactement de la même façon...
Depuis deux siècles environ, l'ancienne perle de la Grande Grèce était aux mains des Sarrasins. Trois émirs se
partageaient l'île ou plutôt se la disputaient, jusqu'à ce que l'un d'eux, inconscient du danger, fasse appel à ces
mercenaires normands qui avaient si « bonne » réputation.
Roger de Hauteville se présenta donc avec une centaine de chevaliers et l'émir, peut-être un peu prophète, lui promit
« l'île tout entière pour prix de [son] assistance ». Il n'en fallait pas plus pour que Roger et ses hommes débarquent,
en 1060. Ils attaquèrent et ravagèrent Messine à deux reprises. Un prélude qui leur permit surtout de constater
l'étonnante richesse de l'île.
La même année, Roger revenait pour une troisième expédition, accompagné cette fois de son frère Robert Guiscard
: Messine devint possession normande, ainsi que tout le Val Demone, au nord-est de l'île. Jusqu'en 1071 cependant, la
conquête de Roger stagna, se limitant à quelques coups de main sans grande conséquence.
En 1071, Robert Guiscard étant enfin, après la prise de Bari, débarrassé des Byzantins, avait tout loisir d'aider un
peu plus son frère, toujours accompagné d'un contingent ne dépassant guère la centaine de chevaliers. Des bateaux
furent armés, des hommes équipés et, pour la seconde fois, Guiscard débarqua en Sicile. L'assaut de Palerme, la
principale cité sarrasine, dura pas moins d'un an mais, en 1072, les garnisons musulmanes cédaient enfin, livrant la
majorité de l'île aux Normands. Robert, aîné et suzerain de Roger pour ses pauvres possessions calabraises, garda
Palerme, Messine et tout le Val Demone ; Roger, devenu comte de Sicile, gardait le Val di Mazara et... ce qui était
encore à conquérir !
Le rêve byzantin de Robert Guiscard
Pendant que Roger taillait tant bien que mal son fief en Sicile, Robert Guiscard, de retour en Pouille, tournait ses
regards vers l'Orient, vers Constantinople. Folie, ambition démesurée pourrait-on dire. Mais l'empire byzantin était alors
au plus mal. D'ailleurs, Guiscard n'avait-il pas récemment bouté les Byzantins hors d'Italie ? Attaqué par les Turcs, les
Sarrasins, les Normands, l'empire d'Orient voyait son influence diminuer comme peau de chagrin. Les Russes n'étaientils d'ailleurs pas venus jusque sous les murs même de Constantinople ? Une telle déliquescence était à mettre avant tout
sur le compte des luttes de pouvoir et de l'instabilité de ce pouvoir -on vit défiler pas moins de quinze empereurs en
cinquante-cinq ans !
Depuis 1067, la couronne impériale d'Orient était sur la fragile tête de Michel VII Doukas. Et, comme pour Salerne,
Robert Guiscard avait opportunément avancé ses pions : il avait en effet marié une de ses filles, Hélène, à l'héritier de
couronne byzantine, union que Doukas avait acceptée... dans l'espoir de se protéger des Normands qu'il sentait
potentiellement dangereux.
Le renversement de Michel VII ne sera qu'un prétexte comme un autre pour justifier l'entrée en guerre de Guiscard et
le débarquement de ses troupes en 1081 -avec la bénédiction papale. Une chose, cependant, n'avait pas été prévue
le duc de Pouille : après seulement quelques semaines, le rebelle byzantin avait été remplacé par un général,
descendant d'une grande famille de l'empire. Alexis Comnène avait reconstitué une armée digne de ce nom et, surtout,
avait noué des alliances fort utiles, notamment avec l'empereur germanique et Venise. À peine débarqué, Robert
Guiscard et son fils Bohémond écrasèrent littéralement les troupes byzantines. Constantinople, sans défense, était Ã
portée de main... quand le duc de Pouille apprit l'invasion de ses États par l'empereur germanique. Le rêve byzantin
s'envolait, pour un temps seulement mais plus jamais les Normands n'auraient de meilleure occasion...
Tant que tu combattras pour Dieu...
Le Basileus, Alexis Comnène (1058-1118).
L'aide de l'empereur du Saint Empire romain germanique, on s'en doute, n'avait pas été gracieux : non seulement il
avait été grassement payé par le nouveau basileus mais il servait également son intérêt propre. En effet, à travers
Guiscard, il touchait le pape, Grégoire VII, à qui il rêvait de faire payer l'humiliation subie à Canossa, quelques années
plus tôt. L'épisode byzantin faisait donc partie de sa vengeance, de même que la prise, en 1084, de Rome et la
désignation d'un anti pape. Ainsi et plus par la volonté de l'empereur germanique que par la leur, les Normands de
Pouille, de Calabre et de Sicile allaient devenir les plus sûrs soutiens du pape.
L'empereur l'ayant ouvertement attaqué, Guiscard décida de réagir avec vigueur : une fois ses États stabilisés et les
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seigneurs félons, ralliés à l'empereur châtiés, il rassembla une armée de 30 000 hommes qui marcha sur Rome. L'arm
impériale fut balayée, le pape, réfugié au château Saint-Ange, libéré et Rome ravagée par la colère des Normand
victoire qui inspira à Grégoire VII une lettre au duc de Pouille, où il était entre autre écrit :
Tant que tu combattras pour Dieu et pour le vicaire de saint Pierre, aucune main mortelle ne pourra résister à ta
force...
Ci-gît Guiscard
Il n'en fallait pas plus pour galvaniser Robert Guiscard qui, à peine revenu dans ses États, décida de reprendre la
conquête byzantine. Il fit donc voile, en cette même année 1084, sur Corfou, tenue par les Grecs et leurs alliés vénitiens
: l'île fut décimée. Ralenti dans sa campagne, il ne put cependant dépasser la Céphalonie où, atteint par la malaria, il
décida d'établir son camp. C'est là que, le 17 juillet 1085, mourait Robert Guiscard.
Grand conquérant, il le fut sans le moindre doute. Il fut même à deux doigts de conquérir, à la force de l'épée, un
empire immense, au point que l'on gravera sur son tombeau cette épitaphe :
Hic terror mundi Guiscardus
Ci-gît Guiscard, la terreur du monde.
Roger Borsa « le faible »
À sa mort, Guiscard laissait quatre fils -Bohémond, né de sa première union, Roger Borsa, Guy et Robert II Guiscardet de nombreuses filles. Étonnamment, ce n'est pas Bohémond, son aîné, que Robert avait désigné comme héritie
mais Roger Borsa, un prince aimable, droit mais surtout très faible.
Le duc Roger, confirme le chroniqueur Romuald de Salerne, était beau, de moeurs irréprochables, d'une gloire
discrète, courtois, affable, protecteur des églises, humble envers les prêtres du Christ et très respectueux envers les
clercs, accueillant à tous, attaché à la paix, [...] charmant et accommodant. Au point qu'il préférait [...] s'imposer
davantage par la douceur que par la crainte.
Des qualités dignes d'un saint mais qui, en l'occurrence, allaient plutôt desservir le nouveau duc de Pouille, incapable
de résister à ses barons turbulents, à ses frères et à son oncle. En fait, Roger Borsa se fera proprement dépouillé de so
autorité comme d'une bonne partie de ses fiefs et ce en un temps record : Bohémond en obtiendra certains, s'emparant
par la force de ceux qu'on ne voulait point lui céder (Bari et Otrante) ; et Roger de Sicile, sous prétexte de soutenir son
neveu, de l'aider à faire respecter son autorité, se fera rétrocéder toutes les possessions siciliennes du nouveau duc,
ainsi que quelques places calabraises. Pas moins du quart des possessions du duc de Pouille passèrent ainsi en
d'autres mains.
Le « Grand Comte » de Sicile
Roger Ier de Sicile, dit le Grand Comte (1031-1101).
En 1072, les Normands étaient loin d'avoir conquis toute la Sicile : ils n'occupaient guère que le nord de l'île,
quelques places au centre et à l'ouest, dans le Val di Mazara. Le sud et les cités d'Agrigente, Syracuse et Catane étaient
encore solidement tenus par les Sarrasins.
N'ayant à son service, on l'a dit, qu'un petit nombre de chevaliers, Roger comprit vite que la force seule serait
parfaitement inutile. Il utilisa donc son intelligence... Exacerbant les ambitions ou les rancunes des petits émirs de l'île, il
les dressa l'un contre l'autre, les amenant à se combattre les uns les autres... pour son seul profit.
Parallèlement à cela, il inaugura une politique de grande tolérance religieuse dans les cités qu'il pouvait conquérir, ce
qui devait amenuiser de beaucoup le désir de rébellion. Enfin, la mort de Robert Guiscard conduisit un grand nombre
d'aventuriers normands, qui voyaient le rêve byzantin s'évanouir, à s'enrôler au service du cadet. Dès lors, la conquête
de l'île alla très vite et, en 1091, Roger était maître de l'île la plus riche de Méditerranée, à laquelle il ajouta la
possession de Malte.
Il ne lui restait plus qu'à faire de sa conquête un État fort, capable de subsister... si possible plus longtemps que celui
de son frère. Pour se faire, Roger non seulement poursuivit sa politique de tolérance religieuse mais, surtout, conserva
l'administration sarrasine, ainsi qu'une bonne partie de la distribution des fiefs -qui se trouvèrent donc toujours aux
mains de riches sarrasins. Une politique qui devait, logiquement, lui assurer le soutien inconditionnel des musulmans
comme des Grecs orthodoxes de l'île. D'ailleurs, pour faciliter les questions religieuses, Roger avait obtenu que le pape
le désigne comme légat officiel du clergé de l'île. Avec la paix, vint également la richesse qui, dans cette île située
carrefour des routes maritimes, était inévitable.
Durant dix ans, donc, Roger assit son pouvoir et son autorité, ce qui lui fit mériter le nom de Grand Comte. Lorsqu'il
mourut, le 22 juin 1101, le fief de Sicile était l'un des plus puissants d'Europe. Mais pour juger de la force et de
l'éventuelle pérennité d'un royaume, rien ne vaut une minorité : le Sicile va connaître celle de Simon, âgé de 8 ans
mort de son père et qui meurt en 1105, puis celle de Roger, qui n'avait que 5 ans à la mort du Grand Comte. La régence
échoira à Adélaïde, troisième épouse de Roger et mère des deux petits garçons.
L'alliance de Rome
La Sicile est alors -pour peu de temps il est vrai- placée sous la protection de Roger Borsa, cousin de Simon et son
suzerain, dont on a vu combien il était faible. La jeunesse de Simon et le départ, en 1096, du turbulent Bohémond, parti
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se tailler un fief à sa mesure en Terre sainte, sont les grandes chances du duc de Pouille. Sa chance et son malheur
aussi car, laisser à lui-même, il se révélera vite incapable de contrôler ses vassaux apuliens. L'influence byzantine ne
demande alors qu'à ressurgir et, chose plus grave encore, personne ne semble désormais en mesure de s'opposer Ã
l'empereur germanique, Henri V. C'est à ce moment, alors que le Saint Empire romain germanique touche à son faîte
que disparaissent tour à tour deux fils de Guiscard : Roger Borsa, qui meurt le 22 février 1110, suivi de Bohémond de
Tarente.
Le sud de l'Italie, toutes les possessions normandes des Hauteville deviennent des proies idéales, détenues par des
femmes et des enfants : Adélaïde et Roger en Sicile, Alaine et Guillaume en Pouille, Constance et Bohémond Ã
Antioche. C'est l'occasion pour l'empereur de faire main basse sur le sud de l'Italie et pour les seigneurs lombards, trop
longtemps soumis au joug normand, de recouvrer leur indépendance. En Pouille, note Jean-Marie Martin, « les comtes
et les autres seigneurs redeviennent pratiquement indépendants. Aussi assiste-t-on à un émiettement du pouvoir, partagé
entre des dominations rarement liées entre elles ».
S'il veut éviter l'encerclement des États pontificaux par le pouvoir germanique, qui ne demande, on l'a dit, qu'Ã
s'étendre sur le sud de la péninsule, le pape Pascal II n'a d'autre choix que de s'allier avec les Normands. Il est pourtant
loin d'apprécier leur turbulence et leur trop rapide conquête, mais peu importe en l'occurrence. En 1114, au concile de
Céprano, le Souverain pontife assure donc Guillaume, fils de Roger Borsa, de son apanage de Pouille, de Calabre et de
Sicile. Quant à la Trêve de Dieu, qu'il impose l'année suivante, elle ne bouleversera que très modérément les actions
des vassaux apuliens...
Une situation qui, tout en demeurant dangereuse, va laisser la Sicile dans une paix relative... le temps pour l'héritier
du Grand Comte de parvenir à l'âge d'homme.
La régence d'Adélaïde
En septembre 1105, le petit Simon est mort, laissant l'héritage paternel à son frère, Roger, âgé alors de 10 ans. Sa
mère, Adélaïde, garde donc, pour quelques années encore, la haute main sur la régence. Il semble que, dans
l'ensemble, elle ait d'ailleurs été fort habile : c'est elle qui « délocalise » la capitale du comté, jusqu'alors située en
Calabre, à Palerme, recentrant, de fait, toute l'action et l'attention vers la Sicile ; c'est elle également qui, selon le
chroniqueur Albert d'Aix, prend conscience de la faiblesse d'un gouvernement trop féminin dans un pays en majorité
musulman. Pour éviter cet écueil, Adélaïde allait faire appel à Robert de Bourgogne, un Capétien, qu'elle s'attacha en
donnant en mariage une des soeurs de Roger. Selon le chroniqueur, Robert de Bourgogne aurait servi la régente de
Sicile « pendant près de dix ans »... jusqu'à ce qu'Adélaïde, craignant désormais son pouvoir, le fasse empoisonner une affirmation à ne considérer qu'avec circonspection.
Au regard des actes signés, il semble cependant que, dès 1110, Roger ait été associé au gouvernement. Il avait
alors 15 ans, ce qui, à l'époque, est âge d'homme.
La couronne de Jérusalem
D'ailleurs, trois ans plus tard, consciente que désormais son rôle en Sicile est achevé, Adélaïde décida de quitter la
Sicile pour la Terre sainte, où elle devait épouser Baudouin Ier de Jérusalem.
Le frère de Godefroi de Bouillon possédait certes une couronne -et des plus prestigieuses- mais il était sans le sou...
Or, lui avait-on rapporté, la comtesse de Sicile était fort riche ; l'île elle-même regorgeait de trésors, dont une parcelle
seulement suffirait à la Terre sainte. Il répudia donc -sans autorisation- son épouse, une Arménienne du nom d'Ada, et
demanda la main d'Adélaïde, qui l'accepta. La comtesse de Sicile s'embarqua donc en grand arroi, épousa son roi... et
réalisa soudain qu'il était légalement toujours marié. Le temps que la lourde machine pontificale remette les choses en
ordre, Baudouin, prit de remords tardifs et, surtout, ayant déjà épuisé la dot de son « épouse », répudia Adélaïd
(1117)... qui revint en Sicile, où elle devait mourir un an plus tard.
Roger II, nous dit Guillaume de Tyr, « conçut une haine féroce contre le royaume [de Jérusalem] et ses habitants ».
On l'imagine aisément mais peut-être n'était-ce pas seulement à cause de l'humiliation subie par sa mère...
En effet, Adélaïde avait joué une carte d'importance en s'engageant dans ce mariage : Baudouin, bien que marié
déjà deux fois, n'avait pas d'héritier ; aussi fut-il convenu que, si son union avec Adélaïde restait stérile, c'est à Roger
de Sicile que reviendrait la couronne de Jérusalem... On comprend dès lors la rage du Sicilien, d'autant que Baudouin
Ier mourra exactement douze jours avant Adélaïde ! Roger II n'aura cependant même pas l'occasion de revendiquer un
quelconque droit sur Jérusalem qui échut, par droit de vote des barons, au cousin de Baudouin Ier, Baudouin II du Bourg.
L'échec africain
Les dix premières années du règne de Roger II paraissent, au regard de son règne complet, comme augurant d'un
règne peu glorieux, notamment au vu de l'échec africain.
Durant toute la seconde moitié du XIe siècle, l'Afrique du Nord avait été le théâtre d'invasions successives : les
Zîrides, les Hilaliens, les Sulaymiens avaient fondu sur la Tripolitaine, la Cyrénaïque et l'Ifriqiyya. Déjà , à l'époque du
Grand Comte, la Sicile, détentrice également de Malte, avait multiplié les liens commerciaux avec l'Ifriqiyya et plus
particulièrement avec l'actuelle Tunisie, d'où étaient originaires de nombreux musulmans de Sicile. Des liens qui se
révélaient vitaux pour cette région, affamée par cette série d'invasions. Des liens privilégiés qui se révélèrent b
insuffisants à satisfaire la soif de conquête du comte de Sicile : son rêve était rien moins que le contrôle des deux rives
de la Méditerranée.
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Pour ce faire, Roger II va totalement réorganiser la marine sicilienne, qu'il confiera à Georges d'Antioche -qui,
contrairement à ce qu'indique son nom, était Grec d'origine. L'occasion d'interférer dans les affaires africaines se
présentera en 1117, quand l'émir de Gabès fera appel à lui pour se protéger de son suzerain, puis en 1123, lorsque la
principauté de Mahdiyya tombera aux mains d'un enfant de 10 ans. En fait, de 1117 à 1127, Roger II et Georges
d'Antioche vont multiplier les coups de main, les débarquements... en vain. L'échec sera total et s'accompagnera d'un
regain de vigueur des musulmans dans les années suivantes...
L'héritage disputé du duc de Pouille
Un échec qui sera bien vite oublié. Roger II est en effet bientôt préoccupé par des affaires le touchant de nettement
plus près : le 25 juillet 1127, le fils de Roger Borsa, Guillaume de Pouille meurt.
Il était « d'un avis à peu près unanime, rapporte Pierre Aubé, un baron courageux, généreux et d'une grande pié
mais un politique médiocre, hésitant ». Le fils de son père en fait... Incapable de soumettre ses vassaux apuliens, il va,
comme son père avant lui, avoir fréquemment recours au soutien de son cousin de Sicile. Un recours que Roger II fera
payer au prix fort puisque Guillaume lui abandonna successivement toute autorité sur Palerme et Messine, sur toutes les
terres siciliennes du duc de Pouille -héritées de Robert Guiscard- et sur le nord de la Calabre. À la mort, sans
descendance, de Guillaume, Roger II va ajouter la Pouille...
Sans doute dans l'espoir d'obtenir un semblant de paix, le petit-fils de Robert Guiscard avait promis son héritage Ã
pas moins de trois personnes : le pape, dont il était un soutien inconditionnel et qui détenait déjà Benevent ; Bohémond
de Tarente et Roger II. Bohémond, bien trop occupé à Antioche, n'eut guère l'occasion de réclamer quoique ce soit. Pas
plus que le pape d'ailleurs : à peine averti du décès de son cousin, Roger II débarquait sur la péninsule et soumettait
Salerne. Le reste du duché suivit, acceptant plus ou moins rapidement la suzeraineté de Roger II qui s'était fait couronné
duc de Pouille.
Le manque d'enthousiasme des nouveaux vassaux du Sicilien apparaîtra dès l'année suivante avec la constitution
d'une véritable « Sainte Alliance », selon le mot de Pierre Aubé, initiée par le pape Honorius II et Robert de Capoue.
Une alliance bien fragile pourtant, en raison notamment des dissensions existant entre les alliés, et qui se soldera par la
soumission de tous, y compris du pape. En septembre 1129, Ã Melfi, les barons calabrais, apuliens et campaniens
rendaient hommage au duc et lui prêtaient un serment solennel de fidélité ainsi qu'à ses fils...
Le champion d'Anaclet II
Parce qu'il était désormais maître de tout le sud de la péninsule italienne ainsi que de la Sicile -ce qui en faisait un
personnage d'importance-, ou simplement parce qu'il savait avoir besoin du soutien de la papauté -dont il avait manqué
durant ses premières années de gouvernement-, Roger II décida de s'immiscer dans la politique pontificale. Il en eut
l'occasion dès 1130, après la mort d'Honorius II. Une fois de plus, les grandes puissances allaient pouvoir s'adonner au
jeu des alliances...
Deux candidats semblaient attirer tous les suffrages : le cardinal Aimeri et Pierre Pierleoni. Les deux seront élus,
chacun par une partie du conclave. Aimeri deviendra Innocent II et Pierleoni prendra le nom d'Anaclet II. Au début, les
partis sont loin d'être clairement formés. L'empereur Lothaire hésite et les deux candidats se disputent, à coup de
suppliques et de dons, ses faveurs. C'est Innocent II qui emportera le morceau, en grande partie grâce au soutien de
saint Bernard de Clairvaux. Dès lors, Anaclet II ne voit plus son salut qu'en Roger II qui devient son champion... Un
champion à qui il ne manque qu'une chose pour être heureux : une couronne royale. Anaclet II, qui lui doit bien ça, lui
cédera, le 25 décembre 1130, « la couronne du royaume de Sicile, de la Calabre et de la Pouille, du principat de
Capoue, avec l'hommage de Naples et le secours des hommes de Benevent ».
La Pouille était noyée dans des flots de sang
Le couronnement de Roger II, dont les troupes tiennent également Rome pour Anaclet II, va servir de catalyseur :
tous ceux qui craignent la montée en puissance du roi de Sicile -Lothaire, le basileus, les Républiques commerciales
d'Italie-, se rallient derrière la cause d'Innocent II.
C'est de Pouille cependant que les attaques vont partir : de 1131 à 1137, pas une année ne passera sans qu'un baron
apulien ne tente de secouer le joug sicilien... en vain. Vaine sera également la tentative de Lothaire pour libérer Rome
(1134) ; vaine encore son incursion dans les États du sud de l'Italie. La mort de Lothaire allait écarter le danger impérial
pour un temps et, surtout, permettre à Roger de régler définitivement le problème apulien. Il le fera avec un regain
d'énergie et, selon les chroniqueurs, de cruauté :
La Pouille, rapporte Orderic Vital, était noyée dans des flots de sang...
Et en 1139, la Pouille entière était soumise.
Un an plus tôt, Anaclet II était mort et la tentative de lui donner un successeur ayant échoué, Innocent II demeura le
seul pape. Sans doute est-ce d'ailleurs cette résistance providentielle qui, pour l'histoire, allait désormais faire d'Innocent
II le vrai pape et d'Anaclet un vulgaire antipape. Les historiens modernes sont, pour leur part, plus circonspects et
avouent que les deux élections étaient sans doute invalides...
Innocent II ne désarmait cependant pas. Désireux de faire définitivement plier le roi de Sicile, il mit sur pied une
armée, qui fut tout bonnement laminée à Garigliano, en juillet 1139. Fait prisonnier par le Sicilien, le pape n'eut dès lors
d'autre choix que de reconnaître les titres de Roger II et de signer la paix.
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Les Assises d'Ariano
Après ce coup de maître, le sud de l'Italie étant enfin pacifié et soumis à la circulation d'une nouvelle monnaie -ce
qui était un acte politique autant qu'économique-, Roger II convoqua ses féodaux à Ariano pour des Assises (1140). Il
s'agissait, à l'aide d'une série d'ordonnances, d'organiser la refonte complète de l'administration des différents États du
roi de Sicile, d'en organiser l'unité. Une oeuvre qui sera parachevée en 1150 avec la mise en place du Catalogue des
barons, équivalent au Domesday Book de Guillaume le Conquérant.
Restait que la paix était des plus aléatoires, notamment avec le pape, l'empereur germanique ou le basileus.
Il n'y avait guère d'espoir d'obtenir une alliance et une paix durable avec Innocent II, à qui Roger II avait -et c'est peu
de le dire- forcé la main. Malgré tout, le Souverain pontife avait besoin du Normand pour contre-balancer l'influence
germanique, autant que le Sicilien appelait de ses voeux l'appui de Rome, nécessaire dans des États à forte population
musulmane. Des intérêts convergents ne suffisant pas toujours à faire naître des alliances, comme le précise justement
Pierre Aubé, il faudra attendre 1145 et le pontificat d'Eugène III pour qu'enfin l'alliance entre la papauté et le roi de Sicile
voie le jour.
L'alliance germano-byzantine
Pour ce qui est du danger germanique, Roger II l'écarta en soutenant essentiellement, et de manière quasi
systématique, les ennemis de Conrad III de Hohenstaufen, successeur de Lothaire. Seule une alliance germanobyzantine aurait signé, sans le moindre doute, la mort des États du Normand. S'il ne put éviter cette alliance, Roger II
sera cependant servi par la chance : alors qu'en 1152, Conrad III est sur le point de marcher sur le sud de l'Italie, il meurt
à Bamberg. Son héritier, Frédéric de Souabe, qui gagnera le surnom de Barberousse, semble se désintéresser
totalement du Normand de Sicile... du moins pour l'instant. Seul lui importe alors Byzance, dont l'alliance se voit
désavouée par le traité de Constance (23 mars 1153) :
Il ne concédera au roi des Grecs aucun territoire de ce côté-ci de la mer. Et si celui-ci envahit ce pays [l'Italie], il
veillera, avec les forces du royaume, autant qu'il le pourra, Ã l'en chasser.
L'alliance germano-byzantine aura vêcu, le temps d'un rêve...
Il faut dire que l'empereur et le basileus avaient mis des années pour arriver à un compromis. Apparentés mais se
détestant cordialement, unis seulement dans leur haine commune du Sicilien, Conrad III et Manuel Comnène mettront
pas moins de dix ans pour se mettre d'accord. Dix années pendant lesquelles Roger II n'hésitera pas à lancer ses
navires, sous le commandement de Georges d'Antioche, sur Corfou et sous les murs mêmes de Constantinople (11471148). Des expéditions d'autant plus tentantes que l'empire d'Orient est alors en pleine déliquescence : c'est un «
homme malade ». Pourtant, contrairement à Robert Guiscard, Roger II ne semble jamais avoir eu le désir de s'en
emparer. Les regards du roi de Sicile étaient alors tournés vers l'Afrique du Nord, située à seulement quelques
encablures des côtes siciliennes et qui, on l'a vu, avait déjà fait l'objet de ses « attentions ».
La suprématie de la Méditerranée
Reprenant la même politique que jadis -diviser pour mieux régner-, Roger II va ainsi s'emparer d'El Mehdia, de
Gabès, Sousse, Sfax, Kairouan. En fait, toute la côte nord-africaine tombe entre ses mains. Elle y restera durant près
de vingt ans, donnant à la Sicile « la suprématie de la Méditerranée », selon l'historien du XIVe siècle Ibn Kaldun.
La grande force de « l'empire » de Roger II -en Sicile, en Italie ou en Afrique-, un empire dispersé territorialement et
composé d'une multitude de peuples et de religions, résidait dans la totale centralisation du pouvoir. Les administrations
locales étaient laissées aux bons soins des anciens dirigeants, ce qui devait étouffer, notamment en Afrique, toute
velléité de rébellion. Mais en Sicile et en Italie du sud, si les seigneurs normands s'étaient vu accorder quelques fiefs et
privilèges, Roger II favorisait avant tout « ses » hommes -baillis, justiciers-, véritables relais du pouvoir.
La cour « orientale » de Roger II
Le Kamelaukion, couronne des rois de Sicile. Un pouvoir nécessairement fort, hégémonique même, du fait de la
diversité des cultures et, surtout, des religions.
Il respectait les musulmans, entretenait avec eux d'excellentes relations et les protégeait contre les Francs. Aussi, les
musulmans aimaient-il leur souverain, note l'historien Ibn al-Athîr.
C'est le genre de citation qui va donner à Roger II cette fameuse réputation de prince occidental « idéal ». Idéal
parce qu'ouvert aux autres, tolérant, au point même qu'on a dit qu'il s'était converti à l'islam. Nous ne pouvons que nous
inscrire en faux devant de telles allégations. Il est certain que jamais Roger II ne s'est converti à l'islam. Par contre, il est
évident que le roi de Sicile a été fort tolérant avec les musulmans de son pays... mais avec ceux de ses fiefs seulement !
Musulmans, catholiques, orthodoxes se côtoyaient, en bonne intelligence, en Sicile depuis des années : Roger II avait
donc tout intérêt à ce que cela continue. Et avait-il seulement le choix ?
Après cela, qu'il ait accueilli à sa cour des intellectuels de toutes confessions, qu'il ait même acquis un style de vie
orientalisé ne fait guère de doute mais n'en fait pas une exception pour autant. On trouve le même « phénomène »
dans toutes les principautés occidentales de Terre sainte.
Par sa variété, cependant, la cour de Palerme est des plus admirables : on s'intéresse à la géographie, avec alhttp://www.historia-nostra.com - Historia Nostra
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Idrîsî, on y cultive le fin'amor, on y déclame la Chanson de Roland, tout en conservant l'héritage grec de l'île. Tous
les savoirs s'y côtoient, de l'architecture, à la littérature, aux mathématiques ou à la médecine.
Une variété et une profusion qui font de cette cour un des fleurons de la culture européenne de l'époque...
Roger II profitera deux ans encore de la paix de son royaume : le 26 février 1154, il mourait à Palerme. Il était âgé de
58 ans.
Guillaume le Mauvais et l'héritage sicilien
Frédéric Ier Barberousse (1122-1190).
De son premier mariage, Roger II avait eu six enfants, dont cinq fils. En 1154, trois d'entre eux, les trois aînés, étaient
morts, laissant l'héritage sicilien à Guillaume Ier. Selon Villars, « c'était un homme taciturne, orgueilleux et froid ».
D'ailleurs, on l'avait surnommé Guillaume le Mauvais.
Comme souvent après un règne absolutiste -pour ne pas dire tyrannique-, la réaction féodale fut immédiate. Et si les
nobles de Sicile se contentèrent de s'agiter, ceux de Pouille se révoltèrent complètement, appelant à leur secours
Frédéric Barberousse puis le basileus Manuel Comnène. En deux ans, la Pouille, théâtre des combats entre insurgés e
forces royales, fut littéralement dévastée. Favorable aux barons révoltés, le dieu de la guerre sembla changer de camp
dès 1156 et, après une terrible défaite infligée aux Byzantins à Brindisi, les rebelles durent se soumettre. La répression
de Guillaume Ier le Mauvais fut, on s'en doute, absolument terrifiante. Bari fut dévastée...
La rapidité de la réaction royale, qui n'est pas sans rappeler celle dont Roger II avait pu faire preuve, devait
cependant laisser des traces indélébiles : la rancoeur demeurait, en Pouille comme en Sicile, et les établissements
d'Afrique commencèrent de se libérer de l'emprise sicilienne. À peine six ans plus tard, en 1160, la libération arrivait Ã
son terme et les Siciliens ne possédaient plus un seul comptoir africain...
Il faut dire que ni Guillaume ni son ministre, l'omnipotent Maion de Bari, n'en furent bouleversés. Non qu'ils se
désintéressaient de la question africaine mais, avec raison, ils travaillaient à assurer les possessions les plus proches.
Ainsi Guillaume réussit-il à unir les cités du nord de l'Italie contre l'empereur germanique et inspira-t-il au basileus une
inquiétude suffisante pour que celui-ci songe à se rapprocher du souverain sicilien.
Sans compter qu'une révolte féodale pouvait toujours reprendre... Elle devait d'ailleurs couver car, en 1160, ce sont
tous les ordres qui se rebellèrent contre l'autoritarisme de Maion de Bari -qui fut assassiné en novembre- et contre la
personne même du roi. Attaqué dans son palais de Palerme, Guillaume dut abdiquer en faveur d'un de ses fils, Roger,
et n'en réchappa que par miracle. La rébellion, qui n'avait duré que quelques heures, était cependant symptomatique
d'un gouvernement faible. Des torrents de sang saluèrent la libération du roi mais les cinq années qui suivirent
connurent une paix relative, due en grande partie à la politique des successeurs de Maion, Richard Palmer et Mathieu
d'Ajello.
Le temps des pirates
Guillaume Ier le Mauvais, qui mourut le 7 mai 1166, avait trois fils, dont l'aîné n'avait alors que treize ans. La
nouvelle régente, Marguerite de Navarre, se retrouva vite totalement paralysée par le lourd appareil administratif eunuques, ministres, caïds- qui avait vu le jour sous le règne de son époux. A contrario, c'est sans doute cette inertie
qui permettra la survie du royaume durant cette minorité. Lorsque Guillaume II assura effectivement le gouvernement du
royaume, les choses étaient donc pratiquement restées en l'état.
On ne sait pas grand-chose du règne de Guillaume II, si ce n'est qu'il fut marqué par un certain nombre d'échecs :
que ce soit en Terre sainte ou contre Constantinople, qu'il essaiera de conquérir en 1185. Par contre -et c'est sa seule
gloire-, la marine sicilienne devint, sous son règne, la terreur des Barbaresques, ravageant les côtes tunisiennes et
assurant la mainmise du royaume sur toute la Méditerranée.
Une réussite incontestable et qui allait assurer la prospérité de l'île durant les vingt années du règne de Guillaume
II. Une richesse qui lui vaudra le surnom de Guillaume le Bon. Sa mort, le 18 novembre 1189, allait sonner le glas de
cette paix et de cette prospérité, plongeant le royaume de Sicile dans un terrible conflit dynastique.
Le « suicide dynastique » de Guillaume le Bon
Alors qu'il préparait son expédition contre Constantinople, Guillaume le Bon voulut être assuré sur ses frontières du
nord. On s'en souvient, c'est suite à une attaque de l'empereur germanique que Robert Guiscard avait dû abandonner
son rêve byzantin : Guillaume comptait bien ne pas renouveler cette erreur. Pour cela, il n'avait guère d'autre choix que
d'établir une solide alliance avec Frédéric Barberousse. En 1184, après des années de discussions, l'empereur
germanique signait la paix avec le Sicilien.
Et pour sceller plus sûrement leur entente, les deux familles décidèrent d'une union entre Constance, la tante de
Guillaume et la fille posthume de Roger II, et le propre fils de Barberousse, Henri de Hohenstaufen. Une clause
particulière avait cependant été ajoutée, à la demande de l'empereur : si Guillaume mourait sans enfant -et en 1184,
date de l'accord, son union avec Jeanne d'Angleterre était toujours stérile-, le royaume de Sicile reviendrait Ã
Constance... et par elle aux Hohenstaufen.
Le prix, pour une conquête byzantine qui serait finalement un échec, était lourd ; Villars parle même d'un véritable «
suicide dynastique »... Car, bien sûr, Guillaume II n'eut pas d'héritier. Pire même, en 1186, lorsque fut célébré le
mariage de Constance et d'Henri -et alors que la conquête de Byzance avait déjà tourné au cauchemar-, les seigneurs
de Sicile durent, sur ordre, prêter serment d'allégeance à Constance...
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Generated: 16 February, 2017, 00:15
L'ultime résistance
Manuscrit de la cour de Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250).
Cela n'empêchera pas les barons siciliens de se révolter contre cet état de fait :
Plaise à Dieu que le peuple et la noblesse, que les meilleurs des chrétiens comme des musulmans se mettent
d'accord et élisent un roi, afin que d'une seule âme, de toutes ses aspirations, de toutes ses forces, le pays refoule les
barbares du nord, disait-on alors.
Tout, plutôt que de tomber dans l'escarcelle germanique... L'alternative cependant ne pouvait venir que d'un
Hauteville : ce sera Tancrède de Lecce.
Fils bâtard du premier fils de Roger II, Tancrède avait environ 45 ans lorsqu'il fut désigné par les barons siciliens
comme souverain. C'était le seul descendant mâle de Roger II. L'île tout entière ainsi que la Calabre,
traditionnellement fidèle aux Hauteville, se rallièrent sous la bannière de Tancrède ; seule la Pouille, comme à son
habitude, profita de la confusion pour se rebeller.
Henri de Hohenstaufen, fort de son bon droit -ou plutôt de celui de sa femme-, entama les hostilités dès l'année
suivante. L'énorme potentiel du Hohenstaufen -qui sera couronné empereur en 1191- devait cependant faire long feu
face à la rage qui animait les Siciliens. Tancrède multipliait les alliances, avec les cités lombardes, les Abruzziens, les
Napolitains ou encore avec le basileus ; il se faisait reconnaître roi de Sicile par le pape -qui redoutait plus que tout de
se faire encercler par les possessions impériales- ; il reprenait la Pouille et rallumait le conflit entre Guelfes et Gibelins
afin de mieux disperser les centres d'attention de l'empereur. Il semblait même que l'Italie tout entière se mobilisait pour
dire « non » à Henri VI...
Tancrède fit tant et si bien qu'il réussit finalement à repousser deux attaques successives de l'empereur et Ã
conserver sa couronne quatre années durant. Malheureusement, sa mort en 1194, qui suivait celle de son fils aîné,
Roger, devait laisser la couronne des Hauteville à un enfant, Guillaume III. L'empereur, on l'a vu, aura beau jeu de le
déposséder.
La dynastie des Hauteville s'achevait dans le sang, à l'unisson de l'île qu'elle avait tant chéri et qui se réveillait, en ce
jour de Noël 1194, sous la botte des Hohenstaufen...
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