Maladies tropicales négligées

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Maladies tropicales négligées
Maladies tropicales négligées
Actualités 2015
Professeur Pierre Aubry, Docteur Bernard-Alex Gaüzère. 03/10/2015
1- Généralités
Les maladies tropicales négligées sont des maladies transmissibles qui sévissent dans les pays pauvres, qui
« gâchent » la vie d'environ un milliard de personnes dans le monde et mettent en péril la santé de plusieurs
millions d'autres (OMS). On compte dans le monde 2,7 milliards de personnes vivant avec moins de 2 US$
par jour, dont plus d'un milliard souffre d'une ou plusieurs maladies tropicales négligées.
La plupart de ces maladies ont progressivement disparu de nombreuses régions du monde au fur et à
mesure que les conditions de vie et d'hygiène se sont améliorées.
En 2010, l'OMS a publié un premier rapport sur les maladies tropicales négligées intitulé « Agir pour réduire
l'impact mondial des maladies négligées ». Le deuxième rapport intitulé « Continuer à agir pour réduire
l'impact mondial des maladies tropicales négligées » a paru en 2013. Il a fait suite à « Agir plus vite pour
réduire l'impact mondial des maladies tropicales négligées : feuille de route pour la mise en oeuvre » paru en
2012. Le troisième rapport intitulé « Investir pour réduire l’impact mondial des maladies tropicales
négligées » a paru en février 2015. Il défend la nécessité d’investir davantage et présente une série
d’interventions essentielles pour combattre les maladies tropicales négligées.
2- Les caractéristiques communes des maladies tropicales négligées
Sept caractéristiques principales sont communes aux maladies tropicales négligées :
- elles sont un signe de pauvreté et d'exclusion, la pauvreté favorisant la présence et la propagation des
maladies tropicales négligées,
- elles touchent des populations peu visibles et qui ont peu de poids politique,
- elles ne se propagent pas partout dans le monde,
- elles sont cause de stigmatisation et de discrimination, notamment pour les femmes et les jeunes filles,
- elles ont un impact important sur la morbidité et la mortalité,
- elles intéressent relativement peu la recherche,
- des solutions efficaces et réalistes existent pour combattre, prévenir et éventuellement éliminer les
maladies tropicales négligées.
3- Les maladies tropicales négligées
L'OMS met actuellement l'accent sur 17 maladies tropicales négligées ou groupes de maladies endémiques.
Voici la liste qui n'est pas exhaustive :
- Maladies virales : Dengue, Rage
- Maladies bactériennes : Trachome, Ulcère de Buruli, Tréponématoses endémiques (pian), Lèpre
- Maladies parasitaires : Maladie de Chagas (trypanosomiase américaine), Trypanosomiase humaine
africaine (maladie du sommeil), Leishmanioses, Cysticercose, Dracunculose (ver de Guinée),
Echinococcose (hydatidose), Trématodoses d'origine alimentaire, Filariose lymphatique (éléphantiasis),
Onchocercose (cécité des rivières), Schistosomiase (bilharziose), Géohelminthiases (helminthiases
transmises par le sol).
La plupart de ces 17 maladies tropicales négligées sont des maladies parasitaires dues à des protozoaires
ou des helminthes. Certaines sont transmises par les animaux hôtes, d'autres par des vecteurs tels que les
moustiques. D'autres, comme la dracunculose, sont transmises par la contamination de l'eau, alors que les
géohelminthiases sont transmises par les sols contaminés par les œufs ou les larves de parasites.
On classe les maladies tropicales négligées en deux grandes catégorises :
- les maladies endémiques chroniques, comme l'onchocercose, contre lesquelles il existe un traitement
efficace et peu coûteux,
- les maladies mortelles, comme la trypanosomiase humaine africaine, la maladie de Chagas, la
leishmaniose viscérale pour lesquelles la seule possibilité est un dépistage actif et un traitement à un stade
précoce.
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Compte tenu de la pénurie des ressources, trois maladies à forte mortalité : le paludisme, l'infection à
VIH/Sida et la tuberculose, sont devenues prioritaires au détriment des maladies tropicales négligées. Elles
ont fait l'objet du Fonds Mondial lancé à Abuja en avril 2001 par le Secrétaire Général de l'ONU.
4- Les maladies tropicales négligées se superposent
- L'OMS estime que les maladies tropicales négligées sont endémiques dans 149 pays et territoires qui font
face à au moins une maladie tropicale négligée.
- Une centaine de pays (plus de 70% d'entre eux) font face à au moins deux maladies.
- Une trentaine de pays font face à plus de six maladies tropicales négligées simultanément, la plupart
d'entre eux ont des économies à faible revenu ou sont en situation de crise humanitaire..
5- Les victimes des maladies tropicales négligées
- Les maladies tropicales négligées se concentrent presque exclusivement dans les populations pauvres.
- Soixante dix des pays affectés sont des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire.
- Les femmes et les enfants sont les plus vulnérables, ainsi que les minorités ethniques et ceux qui vivent
dans des zones isolées avec un accès limité aux soins.
6- Les conséquences des maladies tropicales négligées.
Les maladies tropicales négligées sont cause de :
- handicap, en particulier chez les enfants : retard du développement physique et cognitif dans les
géohelminthiases et la schistosomiase,
- déformations dans la lèpre, la filariose lymphatique (éléphantiasis), la leishmaniose cutanéo-muqueuse,
l'ulcère de Buruli,
- cécité dans l'onchocercose et le trachome,
- décès dans la trypanosomiase humaine africaine, la maladie de Chagas, la leishmaniose viscérale (coinfection leishmaniose viscérale - infection à VIH/Sida).
7- La réduction de l'impact des maladies tropicales négligées
Grâce aux activités menées par les pays d'endémie pour prévenir et combattre les maladies tropicales
négligées, de bons résultats ont été obtenus dans plusieurs maladies tropicales négligées, dont la
dracunculose, l'onchocercose, la lèpre, la filariose lymphatique. Ainsi, la dracunculose est passée de 892
055 cas dans 12 pays d'endémie en 1989 à 542 cas dans 4 pays en 2012, ce qui représente une baisse de
plus de 99%.
Mais, d'autres maladies tropicales négligées progressent. Il en est ainsi de la dengue dans la région des
Amériques. De 2001 à 2009, l'OMS a signalé au total 6 626 950 cas de dengue dans plus de 30 pays des
Amériques où circulent les quatre sérotypes de la dengue. Pendant la même période, on a compté 180 218
cas de dengue hémorragique dont 2 498 mortels. La dengue a resurgi dans la Région des Amériques car,
après la campagne menée dans les années 1960 pour lutter contre le vecteur de la fièvre jaune, Aedes
aegypti, les mesures de surveillance et de lutte antivectorielle n'ont pas été maintenues. Or, Aedes aegypti
est le principal vecteur dans la région des Amériques à la fois de la fièvre jaune et de la dengue.
Pour lutter contre les maladies tropicales négligées, des mécanismes ont été inventés : les partenariats
public - privé (PPP), qui regroupent les organisations non gouvernementales (ONG), des laboratoires
publics, des laboratoires privés et des sources de financement publiques et privées. Leur objectif est de
mutualiser la recherche et développement (R&D), afin d'inciter les laboratoires pharmaceutiques à se lancer
dans le développement des médicaments. Les PPP ont connu un véritable essor après le début des années
2000. Parmi eux, le DNDi (Drugs for Neglected Disease initiative) créé en 2003 à l'initiative de Médecins
Sans Frontières (MSF) est à l'origine de nouveaux traitements, de combinaisons thérapeutiques, d'essais
thérapeutiques, d'abord dans le paludisme (artésunate - amodiaquine [ASAQ], artésunate - méfloquine
[ASMQ]), puis dans les maladies tropicales négligées, en particulier la leishmaniose viscérale (sodium
stibiogluconate - paramomycin combination therapy), la trypanosomiase humaine africaine (NECT :
nifurtimox - eflornithine combination therapy), la Maladie de Chagas (pediatric dosage form of benznidazole).
8- Les défis à relever
Pour pérenniser et étendre les succès remportés en matière de lutte et de prévention, il faut :
- un soutien international : les pays, institutions et ONG doivent maintenir leur soutien bilatéral et
international et encourager d'autres bailleurs de fonds à apporter leur appui;
- une lutte contre les maladies tropicales négligées : elle doit tenir compte des facteurs environnementaux
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comme la perméabilité des frontières, la croissance démographique, les migrations, l'urbanisation, les
déplacements des animaux d'élevage et des vecteurs, le changement climatique;
- une réaction rapide aux informations concernant l'épidémiologie, la transmission et la charge des maladies
tropicales négligées;
- une amélioration des compétences : la baisse des compétences en matière de lutte antivectorielle, de prise
en charge des cas, des aspects vétérinaires de la santé publique, se fait sentir dans certains pays;
- une mise à disposition des médicaments curatifs et préventifs dans les pays où sévissent les maladies
tropicales négligées;
- un développement de la recherche pour mettre au point et utiliser de nouveaux médicaments (contre la
trypanosomiase humaine africaine, la maladie de Chagas, les leishmanioses, ...), médicaments qui doivent
être fournis gratuitement, mais aussi de nouveaux vaccins en particulier contre la dengue et de nouveaux
outils de diagnostic, comme les techniques de biologie moléculaire (RT-PCR).
9- Les nouvelles approches stratégiques
9.1. Parmi les nouvelles approches stratégiques, l'OMS prône la chimioprévention intégrée comme
stratégie principale pour combattre et éliminer un groupe de maladies parasitaires débilitantes faisant partie
des maladies tropicales négligées (MTN) et touchant dans le monde plus d'un milliard de personnes, dont
beaucoup souffrent de plusieurs MTN concomitantes. La chimioprévention permet l'administration régulière,
coordonnée et à grande échelle de médicaments sûrs et de qualité garantie pour le traitement de la filariose
lymphatique, des géohelminthiases, de la schistosomiase et de l'onchocercose, en les délivrant au moyen
de stratégies à base communautaire ou scolaire.
Le suivi et l'évaluation constituent un élément crucial de l'action mondiale pour combattre et éliminer les
MTN. En 2011, 1 milliard 902 millions de personnes de 125 pays auraient du bénéficier d'une
chimioprévention pour au moins une maladie. Parmi elles, 33% en auraient eu besoin pour ≥ 3 maladies et
22% pour 2 maladies, du fait de la co-endémicité des maladies situées au sein d'une même zone
géographique. En 2014, 70 pays ont soumis à l’OMS une demande de don de médicaments pour la
chimioprévention de la filariose lymphatique, de l’onchocercose, des géohelminthiases, de la
schistosomiase. La demande concernait l’albendazole, la diéthylcarbamazine, le mébendazole, le
praziquantel, l’ivermectine. Un milliard 775 millions de personnes avaient besoin d’une chimioprévention,
717 millions en ont bénéficié (39,6%). La couverture thérapeutique la plus basse a concerné la
schistosomiase (13,1%).
La chimioprévention est aussi un élément des stratégies recommandées par l'OMS contre les trématodoses
d'origine alimentaire et deux maladies bactériennes : le trachome cécitant et le pian.
9.2. A la chimioprévention, s'ajoutent :
9.2.1. La prise en charge intensifiée des cas : pour les maladies dues à des protozoaires ou à des
bactéries, on privilégie désormais un meilleur accès à des soins spécialisés grâce à une meilleure détection
des cas et à une prise en charge clinique décentralisée afin de réduire la mortalité et la morbidité et
d'interrompre la transmission. Trois MTN d'origine parasitaires, spontanément mortelles, ne font pas l'objet
d'une chimioprévention, mais d'une lutte active : ce sont la leishmaniose viscérale (LV), la maladie de
Chagas ou trypanosomiase humaine américaine (THAm) et la trypanosomiase humaine africaine (THA).
Ces trois MTN font l'objet de recherches concernant leur diagnostic et leur traitement. Des tests de
diagnostic rapide (TDR) permettent le diagnostic de la LV (TDR utilisant l'antigène rK39) et de la THAm (test
« Chagas Stat Pak »). Un TDR est en évaluation pour le diagnostic de la THA à Trypanosoma brucei
gambiense. Le traitement de la LV repose sur l'amphotéricine B liposomiale injectable ou sur la miltefosine
orale, qui sont associées en cas de coinfection LV/infection à VIH/Sida. Le traitement de la THAm repose sur
le benzinidazole en première intention, actif dans les cas aigus. Le traitement de la THA à Tr. br. gambiense
repose sur la pentamidine au stade 1 et sur le NECT (nifurtimox et éflornithine) au stade 2. De nouveaux
médicaments sont à l'étude, en particulier le flexnidazole en traitement oral de la THA.
9.2.2. Une meilleure utilisation des outils existants : il faut favoriser la mise au point de méthodes de
diagnostic et de médicaments de meilleure qualité, plus sûrs et plus faciles à utiliser. Tant que les nouvelles
méthodes diagnostiques ne sont pas disponibles (PCR, RT-PCR), il faut optimiser les méthodes existantes,
permettre l'accès aux traitements au plus grand nombre.
9.2.3. Une lutte antivectorielle intégrée : c'est une importante activité destinée à renforcer l'impact et
l'efficacité de la chimioprévention et à améliorer la lutte contre les maladies tropicales négligées à
transmission vectorielle.
9.2.4. Une coordination de la lutte contre les zoonoses : plusieurs maladies tropicales négligées sont
transmises par des animaux hôtes, comme la cysticercose, l'échinococcose, la trypanosomiase humaine
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africaine, les trématodoses d'origine alimentaire, la rage. Une meilleure surveillance et un meilleur diagnostic
dans le cadre d'une approche envisageant à la fois l'homme et les animaux, permettraient de prévenir et de
combattre plus efficacement les zoonoses.
Bien qu'une seule de ces cinq approches puisse être privilégiée pour lutter contre une maladie tropicale
négligée ou un groupe de maladies (géohelminthiases), la lutte est souvent plus efficace lorsque les cinq
stratégies sont associées.
10. Progrès récents dans la lutte contre les maladies tropicales négligées
Le rapport 2015 présente les progrès accomplis ces dernières années attribués principalement à
l’élargissement des interventions de lutte en faveur des plus pauvres. En 2014, 126 cas de dracunculose
seulement ont été notifiés contre près de 1 800 en 2010 et 3,5 millions au milieu des années 1980. La
Colombie et l’Équateur ont été les deux premiers pays, respectivement en 2013 et 2014, où l’OMS a vérifié
l’élimination de l’onchocercose. Le Bangladesh et le Népal vont éliminer la leishmaniose viscérale en tant
que problème de santé publique d’ici fin 2015. Pour la première fois en 30 ans, le nombre de nouveaux cas
de trypanosomiase humaine africaine est tombé à moins de 10 000 par an, avec 6314 cas notifiés en 2013.
Mais, face au changement climatique, les pays doivent être encore mieux armés pour anticiper et relever les
nouveaux défis en terme d’écologie et de gestion des vecteurs. Les maladies transmises par les insectes se
propagent en raison d’une urbanisation et des modifications de l’environnement. Ainsi, la dengue sévit
désormais dans plus de 150 pays.
Pour en savoir plus
- OMS. Zoonoses négligées : rapport de la 3éme conférence internationale, novembre 2010. REH, 2011, 86,
367-370.
- Fournols H. Le déficit de la Recherche et Développement (R&D) dans le domaine des maladies négligées.
In Santé Internationale. Les enjeux de santé au Sud. Dominique Keroedan (dir.). Paris. Presses de Sciences
Po, 2011, pp 503-513.
- OMS. Suivi et évaluation de la chimioprévention. REH, 2013, 88, 17-24.
- OMS. Nombre estimé de personnes couvertes par la chimioprévention : mise à jour pour 2010 et 2011.
REH, 2013, 88, 24-28.
- Médecins sans frontières. Sortir de l'oubli. Lutte contre la leishmaniose viscérale, la trypanosomiase
humaine africaine, la maladie de Chagas et les autres maladies négligées. www.msf.org
- OMS. Planification, demande de médicaments et établissement de rapports pour la chimioprévention.
REH, 2015, 90, 133-146.
- OMS. Investir pour réduire l’impact mondial des maladies tropicales négligées. Troisième rapport de l’OMS
sur les maladies tropicales négligées, février 2015.
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