LE SILENCE DE LA MER - Théâtre Avant

Transcription

LE SILENCE DE LA MER - Théâtre Avant
QUELQUES INTENTIONS DE MISE EN SCENE
Nous reprenons l'adaptation pour la scène que Vercors avait lui-même préparée. Mais, en partant de l'idée que
le narrateur est l'auteur, nous ajouterons en voix off (comme l'avait fait Melville dans son célèbre film), quelques
phrases du roman.
A lire attentivement le texte, on sent bien que les séquences successives sont démonstratives. Si la psychologie est
présente, c'est pour mieux servir le propos engagé. Certes l'insistance de l'Allemand à vouloir marier nos deux
pays, est une façon naïve de déclarer son amour à la jeune fille. Mais tout cela est rapporté par le narrateur qui
lui, s'en tient aux techniques de Conrad.
Toujours dans l'esprit de Conrad, il semble que Vercors ne fasse apparaître dans son texte que les éléments, les
objets strictement nécessaires à sa démonstration, épurant au maximum l'écriture, la dépouillant de toute
narration superflue.
En tenant compte de ces éléments, la scénographie traduira cette épure. Devant un vaste ciel lourd, sombre et
changeant, des pans de mur, de bibliothèque, de cheminée, de piano, etc… viendront à tour de rôle ou ensemble,
par de lents glissements, occuper le plateau et servir la démonstration. Et alors que le récit ira vers sa fin
tragique, le piège se refermera sur la jeune fille et le narrateur ne laissant aucune autre issue que le silence ou
peut-être l'engagement.
De la même manière, la musique se gardera de tout effet. Elle ne devra servir qu'à « tendre » les situations.
Aucune anecdote sonore (radio, chansons d'époque…)
Rien ne doit distraire de la « présence » des protagonistes. Les acteurs devront s'acharner à faire du moindre de
leur geste un évènement. Comme dans le livre où un tremblement de la main, un battement de paupière,
prennent une importance inquiétante.
Quand Eluard avait lu le texte, il s'était évidemment attaché à la sombre passion naissante entre ces deux êtres.
Mais je crois qu'il faut s'en tenir à ce que dit Vercors. Le dernier regard de la jeune fille traduit plus qu'une
passion déçue, son désespoir de voir cet homme, ce « moins pire des Allemands », rejoindre le camp des
bourreaux.
A propos d'elle, qui est la véritable héroïne de l'œuvre, on a souvent parlé d'Antigone. Celle de Sophocle bien
sûr. C'est juste. Mais aussi bien on pourrait évoquer Electre. Nous sommes donc dans la tragédie, pas dans le
drame.
Le destin particulier et celui du pays se confondent. Elle n'est pas le symbole de ce pays. Elle est ce pays. Elle
n'est pas une héroïne, elle est l'âme déterminée, éperdue, naïve, sincère, intransigeante d'un certain peuple qui
refuse. Ace titre elle incarne le « non » auquel aspiraient Vercors et ses amis.
Jean-Paul Cathala
VERCORS
LE SILENCE DE LA MER
La maison de Vercors à Villiers-sur-Morin où il écrivit Le Silence de la Mer et où fut tourné
le film de Jean-Pierre Melville
L'AFFICHE
I l s'agit d'un tableau de Eve Hetzel. L'Œuvre de ce peintre est toute entière imprégnée de silence, d'attente tendue vers un idéal
qu'on ne perçoit qu'à travers une lumière dont la source nous échappe. Dans ce tableau, la jeune fille ne nous tourne pas le dos.
Elle est toute entière rassemblée dans son silence et sa méditation. Le moindre son détruirait l'impalpable et savant équilibre.
Vercors, j'en suis certain, aimerait ce peintre et trouverait le choix judicieux.
Théâtre avant-quart
LA CONSTRUCTION DES DÉCORS
L’équipe pédagogique et une partie des élèves du Lycée Professionnel Martin Nadaud de Bellac en Haute-Vienne nous ont
proposé de participer à la construction des divers éléments du décor. Nous sommes très fiers de cette collaboration qui s’est
concrétisée après une représentation de : “Un Homme dans la Gare”.
Communauté
de
Communes
de la
Région
Lézignanaise
Pour l’ensemble des production
de la compagnie
Pour l’ensemble des productions
de la compagnie
Texte
VERCORS
Mise en scène
et rôle de l’oncle
Jean-Paul
CATHALA
Von Ebrennac
Bruno de
SAINT RIQUIER
La nièce
Amandine
SAGNES
LES EDITIONS DE MINUIT
Jusqu'en 1940, Vercors, qui s'appelait Jean Bruller, était un dessinateur et un illustrateur caustique très
apprécié. Il avait édité (parfois à compte d'auteur), plusieurs albums de gravures de fort belle tenue. Devant la
défaite et l'invasion de la France, il décide de ne plus rien publier. De se réfugier dans le silence. Il devient
menuisier dans son village de Villiers sur Morin.
Un de ses amis de longue date, Pierre de Lescure, lui-même romancier, lui fait admettre que le silence n'est pas la
bonne attitude. Que c'est aller dans le sens de la volonté nazie qui est de prouver que la France n'a que des voix
soumises et une pensée esclave. Qu'on se souvienne de la sinistre liste Otto Abetz qui établissait les auteurs à
proscrire et règlementait les éditeurs.
En quelques semaines sa décision est prise. Il écrit Le Silence de la Mer alors qu'il n'avait presque jamais écrit.
Un chef d'œuvre. Nous sommes en 1941 soit un an à peine après la défaite.
Reste à le publier. Les éditeurs français se sont soumis, à quelques nuances près au dictat de l'envahisseur. Les
éditeurs juifs, eux, sont carrément interdits.
Alors Jean Bruller se souvient qu'il fut capable d'éditer certains de ses
propres albums. Il soumet l'idée à Lescure. On cherche un imprimeur
assez fou pour tenter l'aventure. Ce sera Georges Oudeville. Une amie,
Yvonne Paraf coudra les cahiers. Lui-même collera les couvertures.
Voici Le Silence de le Mer tiré à 300 exemplaires. 100 seront aussitôt
vendus sous le manteau. 200 seront saisis par les Allemands alors qu'ils
transitaient vers la zone sud. Mais entre temps Bruller est devenu
Vercors et l'idée des Editions de Minuit est née.
25 titres suivront, et pas des moindres. Sous des noms pour la plupart Yvonne Paraf
Georges Oudeville
empruntés à des Pays français, paraîtront des inédits de Mauriac,
Aragon, Eluard, Triolet, Maritain, Paulhan et tant d'autres. Ces petits
livres chargés de colère et d'émotion proclament la présence dressée de la pensée française. La plus célèbre des
maisons d'édition clandestines était née par la volonté de deux hommes, l'un péremptoire et entier (Pierre de
Lescure), l'autre calme, obstiné, pragmatique, à l'esprit universel et généreux (Vercors). Quelques amis fidèles
iront avec eux jusqu'au bout de cette magnifique aventure, d'autant que Lescure, rejoignant les maquis, sera
remplacé par le rayonnant Paul Eluard.
Avec un courage innocent, Vercors, dont personne ne soupçonnera jusqu'en 1945 qu'il est l'auteur de son livre
(même pas sa propre épouse), inlassablement livrera, avec sa vieille bicyclette, les petits textes plus dangereux
que des bombes.
LE SILENCE DE LA MER (LE LIVRE)
En 1967, Vercors éprouve un besoin urgent de revenir sur ces périodes troubles et mensongères des années 40.
Pour éliminer tous les ragots, il écrit La Bataille du Silence où il livre tous les détails de son odyssée. Dans ce livre il
insiste particulièrement sur les sources intimes du Silence de la Mer ainsi que sur ses intentions d'écriture.
La France avait été cassée en deux par les Allemands. Zone occupée et zone libre. En zone dite libre, les
habitants (supposait-on), pensaient que les occupants n'avaient pas des idées si mauvaises qu'on le prétendait au
nord. C'est pour les convaincre de cette erreur, que Vercors a écrit son récit. Les nazis veulent s'en prendre à
l'âme même de la France, c'est-à-dire à ses poètes, à ses créateurs.
Premier soldat
Philippe
AUDIBERT
Second soldat
Nicolas
MARTY
Costumes
Laure
VEZIA
Bande son
Pierre
MARGOT
Affiche
Eve
HETZEL
Pour ce faire, son héros sera un sous officier Allemand cultivé, musicien, qui aime la France d'un amour
passionné et pourtant cet homme choisira pour finir le camp des bourreaux.
Quand, en 1983 j'avais rencontré Vercors à l'occasion d'une première mise en scène de son texte, je lui avais
demandé comment il voyait son héros. Il m'avait répondu tout de suite : « C'est le moins pire des Allemands ».
Comme j'insistais : « Pensiez-vous à quelqu' un comme Ernst Jünger ? » il s'insurgea et me dit : « Jünger savait
ce qu'il faisait, de bout en bout. »
Dans sa Bataille du Silence, Vercors raconte que durant l'été 1941, il rencontre inopinément un auteur passé à
l'ennemi qui lui conseille de lire Jardins et Routes de Jünger. Or Jardins et Routes n'est sorti qu'en 1942 (En
Allemagne comme en France) et Le Silence de la Mer fut écrit en 41. Mais avec le temps les choses ont tendance à
se brouiller.
Non, les sources de l'officier sont ailleurs. Dans l'expérience particulière de Vercors. Comme dans son récit, sa
maison sera occupée par un officier aimable, souriant, qui parlera de « l'âme de cette maison ». Comme dans son
récit, un autre Allemand dira, au cours d'un dîner : « Laissez donc les Français s'endormir sur leurs illusions.
Pour les anéantir il faut d'abord limer leurs griffes. Vous ne comprenez pas que nous les roulons ? » Et puis la liste
Otto Abetz et les comportements de certains intellectuels Français, de plus en plus dociles voire délateurs ou
ignobles, provoqueront en lui un dégoût absolu.
Pour la jeune fille, là encore Vercors parle de sources personnelles. Il avait rencontré, dans ses dix-huit ans une
jeune fille de quinze, juive, excellente musicienne qui sera déportée et dévorée par le monstre nazi…
« Tout d'abord, je ne vis d'elle que les yeux : noirs, brillants, humides, leur beauté retenait les miens et je ne
distinguai du visage qu'un ovale harmonieux, aux pommettes un peu hautes …»
Et encore : « Un soir, je ne sais plus de quelle sottise j'avais pu la blesser… elle tourna vers moi, dans son visage
pâli, deux yeux remplis de douleur, deux puits nocturnes d'une telle profondeur, où j'étais aspiré vers une telle
détresse, un don de soi si total et si exposé, d'une telle nudité, qu'après quarante ans j'en garde encore le souvenir
impérissable et frissonnant. »
Oui, la jeune fille du Silence et la situation sont là, en entier. Et Vercors, peut-être malgré lui, se projettera un
peu dans l'officier qui choisit la guerre, la fuite, au lieu de l'amour.
Quant au narrateur, aucune hésitation : c'est Vercors Lui-même :
« Je sentais peser sur ma plume une forte influence : celle de Joseph Conrad. Depuis de longues années, j'admirais,
outre sa puissante imagination, sa savante et rigoureuse technique. Elle me semblait celle qui s'adaptait le mieux à
la réalité vivante comme au mystère des âmes et des individus. Un personnage n'était jamais décrit de l'intérieur…
Souvent même on ne le voyait agir qu'à travers les paroles d'autres personnages. Ces jeux de prismes provoquaient
une curiosité, un désir, une impatience croissante de voir le héros enfin paraître « en chair et en os » - et quand alors
il surgissait il crevait le papier, palpitant d'existence…
Vercors écrit encore : « Je tenais mon sujet. L'Allemand serait donc sympathique. Le meilleur des Allemands
possible. Les Français, d'abord glacés, se laisseraient émouvoir, peu à peu persuader. Cela se sentirait à travers les
sentiments d'une jeune fille, qui de la haine froide évoluerait vers une sorte d'attirance retenue »… « Et soudain je
pensai : elle ne dira pas un mot »…
La rédaction est terminée à la fin de l'été 41. Vercors va faire lire son tout premier livre à son
ami (sévère) Pierre de Lescure…
« … pendant plus d'une heure il resta impassible… Enfin il releva la tête, posa sur moi un regard
brouillé, humide, et prononça : « De longtemps je n'avais plus ressenti une pareille émotion. »
Plus tard, on attribuera le livre à Malraux, ou Roger Martin du Gard ou qui encore ? Le mythe
était né.
Soulignons en passant que la même année 1942 paraîtront : L'Etranger, Pilote de Guerre, Les
Mouches, Choix de Poèmes (Eluard), Le Cheval Blanc et tant d'autres chef d'œuvres s'écriront
Pierre de Lescure
cette année-là qui seront autant d'armes dressées contre la folie barbare.