Anna Freud et son école : créativité et controverses. Florian
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Anna Freud et son école : créativité et controverses. Florian
Anna Freud et son école : créativité et controverses. Florian Houssier, Editions CampagnePremière, Paris (2010) Note de lecture de Zoé Andreyev1 L’ouvrage de Florian Houssier décrypte un épisode peu connu de l’histoire de la psychanalyse : la création en 1927 par Anna Freud et ses amies Dorothy Burlingham et Eva Rosenfeld d’une école privée fondée sur un idéal, celui de la psychanalyse appliquée à la pédagogie. Cette école d’Hietzing à Vienne fut un moment essentiel dans l’évolution de la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent, sans oublier celle de l’adulte en tant que parent/éducateur, et ses enjeux préfigurent les débats contemporains sur les places respectives de l’école et de la famille dans le développement de l’enfant. L’auteur articule cette étape avec un autre fait marquant, l’analyse par Freud de sa fille Anna, qui elle‐même analysa plusieurs des élèves de l’école qu’elle a co‐fondée. L’histoire de cette école peut donc être lue d’une part dans le contexte de la recherche de modèles éducatifs plus adaptés aux besoins et à l’évolution de l’enfant ; et d’autre part comme emblématique de la question de la transmission en psychanalyse. Malgré la brièveté de son existence (1927‐1932), l’impact de l’école fut considérable, tout particulièrement sur la psychanalyse de l’adolescent : deux de ses enseignants, Peter Blos et Erik H. Erikson devinrent par la suite d’importants théoriciens de l’adolescence. De plus, la question de l’importance de l’environnement, inhérente au positionnement théorique d’Anna Freud sur la psychanalyse de l’enfant, est centrale dans les motivations qui ont sous‐tendu la création de l’école de Hietzing. Ce point de vue, qui privilégie l’alliance entre toutes les sphères influençant la vie de l’enfant, a fait école en France dans la prise en charge des jeunes en Centres Médico‐Psycho‐Pédagogiques, à travers la pratique des consultations familiales. En quelque sorte, l’école a fait école. L’école de Hietzing, qui fut créée au départ pour les enfants de Dorothy Burlingham par crainte que ceux‐ci ne puissent s’adapter aux écoles publiques viennoises, se voulait novatrice et expérimentale, dans une vision de l’apprentissage fondée sur la liberté, la créativité et l’imagination. Au moment où on constate par exemple la recrudescence de l’école à domicile, assurée par les parents, l’ouvrage de F. Houssier tombe à pic pour rappeler et illustrer les difficultés d’une pédagogie entremêlant vie privée et scolarité. L’auteur nous entraîne dans le vif d’une gestation complexe, foisonnante, excessive, à l’image des tâtonnements des débuts de la psychanalyse, où l’amour, la haine, les rivalités à la fois fraternelles (sororales) et intergénérationnelles prennent parfois des tonalités shakespeariennes. Selon F. Houssier, le brouillage Adresse e-mail : [email protected] 1 Psychologue, psychanalyste des limites entre école, famille et analyse fait écho au brouillage des limites à l’œuvre dans l’analyse d’Anna par son père. “L’école de Hietzing, écrit‐il, est paradigmatique de la façon dont s’est forgée la théorie psychanalytique : la vie personnelle et la pratique clinique sont indissociables”. Cependant, c’est peut‐être aussi dans ces débuts “incestuels” que l’on peut repérer l’infantile de la psychanalyse. Bien loin de la caricature d’institutrice revêche dont on l’affuble souvent en France, Anna Freud telle qu’elle décrite par F. Houssier frappe par la force de sa présence, de sa détermination, et surtout celle de son désir. Même si l’auteur fait montre d’une grande rigueur dans sa recherche historique et documentaire, il reste néanmoins difficile de distinguer la réalité du fantasme dans l’histoire de l’école de Hietzing, comme d’ailleurs dans toute “histoire” (qui se traduit par deux mots en anglais, story et history — et nous sommes ici dans les deux), qu’elle soit individuelle ou collective. Mais finalement peu importe : en elle se rejoignent l’histoire intime et l’histoire des idées, toutes deux tissées de fictions aussi bien que d’événements réels. Les archives récoltées à la Bibliothèque de Congrès de Washington contribuent au climat impressionniste du livre, ouvrant sur un paysage polyphonique retraçant les multiples facettes de cette expérience clinique unique. Cependant, l’hypothèse centrale du livre concerne avant tout le rôle qu’a pu jouer l’école de Hietzing, et en deçà les apories de l’analyse d’Anna Freud, dans l’émergence de la psychanalyse de l’adolescent. A la suite de son père, elle fut en effet l’une des premières à consacrer un long article sur l’adolescence dans son ouvrage de 1936, “Le Moi et les mécanismes de défense”, dont les cas cliniques sont ses patients anciens élèves de l’école. D’hier à aujourd’hui, le livre de F. Houssier est donc absolument actuel car il remet en débat ce qui, dans de nombreuses institutions éducatives ou psycho‐ pédagogiques, ne l’est plus ou si peu : les liens entre apprentissage, éducation, environnement, créativité. Il souligne l’existence chez l’enfant et l’adolescent d’une vie psychique spécifique, différente de celle de l’adulte et trop peu prise en compte, ce qui conduit bien souvent à une stigmatisation des comportements plutôt qu’à une compréhension de ses besoins. En écho au travail d’August Aichhorn avec les adolescents délinquants, l’approche pédagogique des enseignants de l’école de Hietzing a permis de donner une place de sujet à l’enfant et à l’adolescent. Une place qui aujourd’hui encore reste loin d’être acquise.
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