There is something else : réflexions sur la catégorisation du « there
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There is something else : réflexions sur la catégorisation du « there
Michel DELARCHE PARIS 7 D. Diderot – UFR EILA 1/5 There is something else : réflexions sur la catégorisation du « there » existentiel Résumé : la première partie de ce papier traite des forces et faiblesses des deux principales hypothèses (adverbe et pronom) concernant la classification du « there » de thématisation existentielle, la seconde partie propose de considérer que le « there » existentiel a sa valeur de base dans la classe des adjectifs et discute les avantages et inconvénients de cette catégorisation. (Sauf mention contraire, les exemples proposés ont été relevés sur le Web à travers Google.) Introduction : fonctions et sens du « there » existentiel Dans la construction idiomatique (dite de « thématisation existentielle ») THERE + be + SN, la fonction syntaxique de « there » en tant que sujet apparent (le sujet réel postposé étant le syntagme nominal SN qui suit le verbe-copule) selon le modèle « IT +be + SN » fait l’objet d’un large consensus, de même que le rôle de THERE comme pro-forme de reprise du SN dans les « tagquestions » (selon le modèle général: THERE + be + SN, be (NOT) THERE ?) Ce schéma syntaxique est également interprété comme un effet de mise en relief thématique analogue aux constructions clivées et pseudo-clivées : aussi bien Huddleston dans son « Introduction to the Grammar of English » [2] que Greenbaum et Quirk dans « A Student’s Grammar of the English Language » [1] traitent d’ailleurs des constructions existentielles au même chapitre que les autres mécanismes de focalisation thématique (au chapitre 18 « theme, focus and information processing » dans [1] et au chapitre 14 « thematic systems of the clause » dans [2]). L’interprétation sémantique est également consensuelle : le rejet du SN après le verbe assure la focalisation initiale sur « there » et finale sur le référent du SN, d’où un effet de thématisation de l’existence ou de la présence de SN. Le « there » initial n’est qu’une sorte de « dummy subject», comme le « it » des constructions clivées, et n’a pas de valeur locative puisque la phrase peut contenir un autre adverbe de lieu (y compris « there » dans sa version locative) ou un groupe prépositionnel locatif. Par exemple : « Is there anybody out there ? » (Pink Floyd) « Is there any love in your heart ? » (Lenny Kravitz) Ces constructions thématiques en “there” peuvent s’interpréter avec deux valeurs distinctes de “be”, une valeur dynamique signifiant “se produire, apparaître » et une valeur statique pour « exister, être présent » (cf. [2] p. 448) La catégorisation adjectivale de “there” que je propose remet également en cause cette interprétation sémantique standard. La catégorisation de « there » comme adverbe Considérer le « there » existentiel comme adverbe relève d’une démarche de catégorisation « spontanée » (au sens ou L. Althusser parlait de « philosophie spontanée des savants ».) Cette catégorisation apparaît en quelque sorte par défaut et reste généralement implicite. Ainsi [1] n’aborde pas du tout le problème de la catégorisation de « there », et ne discute que de sa fonction syntaxique, contrairement à [2], qui le re-catégorise comme pronom (essentiellement par analogie avec le sujet apparent « it » des clivées.) Michel DELARCHE PARIS 7 D. Diderot – UFR EILA 2/5 Le principal (et à vrai dire le seul) argument en faveur de cette catégorisation est l’appartenance indiscutable du « there » locatif à la classe des adverbes. Les faiblesses de cette approche sont clairement pointées dans [2] (p. 68-69): malgré l’étymologie commune, la différence de prononciation entre les deux « there » (plus précisément l’absence de forme accentuée pour le « there » existentiel) autorise à les considérer comme des lexèmes distincts ; Le « there » existentiel n’entre pas en relation contrastive avec « here » (ni avec d’autres adverbes.) En ce qui concerne le rôle syntaxique de sujet que joue le « there » existentiel, on peut ajouter aux remarques de [2] que, dans la langue anglaise, la possibilité pour un adverbe d’assumer la fonction sujet est extrêmement limitée. Elle ne se manifeste que dans des expressions du genre : « frequently is not the right word » « Perhaps, ‘definitely’ is not the word » « Never is not the right word » “I don’t know if ‘happily’ is the right word” Dans tous ces cas, l’adverbe ne devient sujet que dans le cadre d’un méta-langage de commentaire sur le choix d’un mot, ce mot étant l’adverbe en question (les marques de citation des deuxième et quatrième exemples qui isolent les adverbes correspondant en tant qu’objets de commentaire sont révélatrices à cet égard). En réalité, on peut considérer qu’on a un phénomène d’ellipse et on peut gloser le méta-langage à l’aide d’un sujet plus développé, par exemple en faisant précéder l’adverbe d’un gérondif qui devient la véritable tête du SN sujet, tête dont l’adverbe devient un simple complément, ceci explicitant qu’il s’agit d’un jugement portant sur l’objet d’une citation, par exemple : « saying <Adv> is (not) adequate». Hormis ce genre de construction qui mêle langage et méta-langage, un adverbe n’accède jamais à la fonction sujet, et ceci me semble l’argument le plus fort contre la catégorisation adverbiale de « there ». La catégorisation de « there » comme pronom [2] donne plusieurs arguments intéressants en faveur de cette re-catégorisation : - le fonctionnement de « there » comme sujet vide (« dummy subject ») similaire à celui de « it » dans les clivées, - son apparition comme pro-forme en position sujet dans les « tag questions », - son apparition en position sujet dans les interrogatives, - le fonctionnement du SN post-verbal comme complément (révélé par les formes accusatives prises par les pronoms personnels : « there is me ») ce qui impose de considérer « there » non plus comme un sujet apparent mais comme le véritable sujet de la proposition, Les principaux points faibles de cette argumentation sont : - le maintien quasi-systématique d’un accord verbal en nombre avec le SN postposé ; sauf dans le cas des pronoms personnels à l’accusatif, où le singulier l’emporte : « there is us » et de certaines occurences où le SN est constitué de plusieurs (pro)noms coordonnés ; [2] donne deux exemples « there is you and me », et « there was a bottle of wine and a silver goblet on the table » ; on peut expliquer ces différentes anomalies tantôt par un phénomène d’attraction (accord avec le sujet le plus proche, respectivement « you » et « bottle »dans les exemples ci-dessus) et tantôt, complémentairement, par un phénomène de collectivisation dans lequel « us » et « bottle+goblet » Michel DELARCHE PARIS 7 D. Diderot – UFR EILA 3/5 seraient perçus comme des unités singulières d’ordre supérieur pour l’affirmation thématique de présence et non plus comme des pluralités d’entités plus élémentaires) - la présence systématique, dans la classe des pronoms, d’inflexions liées au nombre ou au genre ; si « there » était réellement un pronom de troisième personne, en plus de ses autres particularités, il serait le seul de sa classe à ne pas marquer morphologiquement soit la différence singulier/pluriel (comme it/they) soit la différence de genre entre masculin, féminin et neutre (comme his/her/it.) On peut aussi noter que la description de « there » comme « dummy subject » mis à la place du « vrai » sujet post-posé ne s’articule pas très clairement avec la remarque selon laquelle le SN post-posé est en fait à l’accusatif, cas d’un complément venant après la copule: dans cette interprétation, « there » n’est plus simplement un « double » thématique du sujet réel mais devient de fait le véritable sujet à la place du SN post-posé. La notion de « dummy subject » reste donc mal définie. Il me semble qu’on puisse admettre sous bénéfice d’inventaire la possibilité d’un double schéma en termes de fonction syntaxique pour « there » : - un rôle de sujet réellement vide (« dummy subject » au sens propre) représentant thématiquement le SN sujet réel qu’on retrouve déplacé après le verbe, c’est en gros la position défendue dans [1] et mentionnée aussi dans [2]; - un rôle de véritable sujet dont le SN qui suit le verbe-copule devient complément attributif (« prédicative subject complement » à l’accusatif) c’est la position exposée dans [2]. Une dernière difficulté qui subsiste est la nécessité d’introduire dans l’explication de la construction une variabilité sémantique du verbe-copule (avec une valeur dynamique « apparaître » s’opposant à une valeur statique « exister ») L’inconvénient est que cette variabilité ne se manifesterait que dans cette construction particulière du « there » existentiel, alors que partout ailleurs, le verbe-copule sous sa forme pleine fonctionne sémantiquement comme identification d’une propriété du sujet, ladite propriété étant définie par le SN (ou le SAdj) qui suit le verbe en position attribut (ou par une autre complémentation adverbiale ou prépositionnelle.) Mon hypothèse: la catégorisation de « there » comme adjectif L’idée de traiter la valeur fondamentale du « there » existentielle comme adjectivale peut sembler de prime abord un peu baroque mais elle se révèle nettement plus efficiente syntaxiquement et sémantiquement que la catégorisation adverbiale, et vis-à-vis de la catégorisation pronominale, elle compense aisément en cohérence sémantique ce qu’elle perd en mimétisme syntaxique avec « it ». Mon hypothèse de départ consiste ici à considérer « there » comme un adjectif attribut du sujet, thématisé en position initiale, sur le modèle : « the sky is blue » -> « blue is the sky ». Par exemple, la thématisation de l’adjectif en position initiale apparaît bien dans ces comptines canadiennes trouvées sur le Web, et la deuxième colonne en donne une « there-transform » qui met en relief la plausibilité de l’interprétation adjectivale de « there »: Blue is the ocean Blue is the sky Blue are the blueberries I put into the pie There is the ocean There is the sky There are the blueberries I put into the pie Yellow is a star Yellow is the sun Yellow is the moon When the day is done There is a star There is the sun There is the moon When the day is done Michel DELARCHE PARIS 7 D. Diderot – UFR EILA 4/5 Ce paradigme d’un there existentiel adjectival présente deux gros avantages: 1°) son invariabilité à la fois en genre et en nombre est conforme au paradigme catégoriel des adjectifs alors qu’elle constituait une hypothèse ad hoc dans la catégorisation pronominale ; 2° l’adoption de: Adj + V + S comme schéma interprétatif de base pour la construction en « there » permet de rendre compte sans difficulté de l’accord en nombre du verbe avec le sujet post-posé, point qui nécessitait une hypothèse ad hoc dans le cadre de la catégorisation pronominal de « there ». Ce schéma permet aussi d’uniformiser l’interprétation du verbe-copule comme simple marque d’identification d’une propriété du sujet, au lieu d’avoir à introduire une autre distinction ad hoc entre « be » statique et « be » dynamique » ; dans le paradigme adjectival, les fluctuations sémantiques de « there is » peuvent toutes s’interpréter comme relevant du sens de l’adjectif « there » en contexte plutôt que de variations de sens de « is ». Les restrictions d’emploi portant sur l’adjectif (« there » serait évidemment un adjectif non-central à fonction uniquement attribut et non gradable) sont assez répandues pour ne pas constituer une hypothèse ad hoc. En ce qui concerne l’ordre des mots, la position uniquement initiale de « there » découle logiquement de la thématisation et ne doit pas forcément être considérée comme une propriété ad hoc imposée à l’adjectif lui-même mais plutôt comme une caractéristique générale du « fronting » thématique. Le mécanisme additionnel de nominalisation de l’adjectif est un schéma général de transformation qui permet de glisser du rôle qualificatif au rôle substantif, à morphologie inchangée, sans nécessiter d’autres hypothèses particulières : dans « blue is a colour » on voit s’opérer un tel passage de l’adjectif au substantif (le SN attribut « colour » devenant simultanément complément du sujet « blue »). Du point de vue sémantique, « there » conçu comme adjectif devient synonyme de « manifestement présent en un lieu identifié/désigné» ; il permet donc de récupérer une proximité sémantique avec le « there » locatif et accessoirement ramène le lexème « there » existentiel dans le domaine des « th-words » à valeur déictique-anaphorique1. Cette sémantique du there adjectival explique également la restriction notée dans [2] de l’extension de la construction existentielle en « there » à des verbes dénotant l’arrivée ou l’apparition par opposition avec des verbes dénotant le départ ou la disparition, qui sont irrecevables dans cette construction ([2] p. 469 : * « there disappeared a giant oil tanker on the horizon » : on voit bien que la sémantique proposée ci-dessus pour le there adjectival est incompatible avec « disappear »). Les points délicats à traiter (comme pour les autres catégorisations d’ailleurs) sont le fonctionnement de « there is » avec les pronoms personnels sans accord en nombre, d’une part, et la reprise, apparemment en position sujet, de « there » dans les interrogatives et tags, d’autre part. 1 pour moi, il n’y a pas opposition entre fonction déictique et fonction anaphorique ; beaucoup de spécialistes opposent deixis et anaphore, cette dernière étant entendue au sens étroit de l’endophore par opposition à l’exophore qui serait seule déictique, mais l’essence de la deixis me semble être la décision de choisir des formes déictiques (this/that, here/there, now/then…), là où l’on pourrait se contenter d’une détermination générique par l’article indéfini ou d’une identification par l’article défini qu’il soit employé endophoriquement ou exophoriquement (dans le cas de this/that) ou par des localisations spatio-temporelles plus ou moins précises (dans le cas des autres déictiques) ; quant à l’action gestuelle extra-linguistique de désignation ou à la notion d’embrayeur, elles me semblent contingentes par rapport au concept de désignation proprement dit qui fonde la notion de déictique en un sens plus étroit et plus rigoureux que celui qui est communément admis ; j’essaierai d’expliquer plus en détail mon point du vue là-dessus dans un autre papier. Michel DELARCHE PARIS 7 D. Diderot – UFR EILA 5/5 Pour les pronoms personnels, le paradigme de l’adjectif nominalisé fonctionne bien et l’on peut donc postuler une nominalisation de « there » (assorti d’un passage à la fonction sujet) en présence d’un SN post-verbal pronominal (qui devient alors complément du sujet, puisque les pronoms prennent la forme accusative.) Blue is me (dernier vers d’un poème) Blue is us (dans un document technique de Hewlett-Packard) There is me There is us Cette dernière forme est particulièrement intéressante car ce qui est bleu est une courbe (le contexte est un exposé technique comparant les performances de différentes mémoire-cache). On peut ici gloser « Blue is us » par la pseudo-clivée « What is blue is us ». Sur cet exemple, on voit que la sémantique du « there » nominalisé devient : « ce qui est manifestement présent en un lieu identifié/désigné », avec un fonctionnement analogue au « what » des formes pseudo-clivées, qui commande toujours le singulier (« what is… »). La forme interrogative en there “is there X ?” exige également une interprétation nominalisée du « there » (construction que l’on peut elle aussi gloser par : « is – what is present- X ? ») Le dernier point dur résiduel dans cette approche est la justification des tags du type : « is there ? », « aren’t there ? » etc. Ici, les deux hypothèses compatibles avec le paradigme adjectival sont : 1°) une nominalisation locale au tag du « there » ; on obtiendrait finalement dans cette hypothèse trois cas mutuellement exclusifs de nominalisation du « there » : la position initiale comme sujet complété par un pronom personnel à l’accusatif, la position post-verbale comme sujet d’interrogative, et la position finale dans les tags. 2°) une ellipse du sujet, qui serait non repris dans les tags en « there »: « there is no vodka, is there ? » devant s’entendre comme: « there is no vodka, is (some vodka) there ? ». Un facteur qui plaide puissamment en faveur de cette idée d’ellipse du sujet, est justement que les tags en « there » ne fonctionnent pas avec le couple : « there » nominalisé + pronom personnel complément : « * there is us, isn’t there ? ». On n’a donc pas à justifier la structure des tags dans les situations ou « there » a été nominalisé, mais seulement pour l’interprétation adjectivale pure ; la cohérence de cette hypothèse d’ellipse du sujet est donc assurée, puisque dans les cas où « there » est indéniablement nominalisé et en position sujet, le tag qui répéterait ce sujet n’est pas une forme recevable. Pour cette raison, et par souci d'économiser les cas de recatégorisation nominale, cette hypothèse d'ellipse du sujet dans les tags en « there » a ma préférence. Conclusion La catégorisation adjectivale du « there » existentiel ne nécessite qu’une seule hypothèse assez franchement ad hoc dans le cas des tags (ellipse du sujet ou nominalisation locale). En compensation, tous les autres points qui créaient des difficultés dans les autres catégorisations et qui requéraient différentes hypothèses morpho-syntaxiques ou sémantiques ad hoc sont traités de manière satisfaisante par le paradigme adjectival, complété par une recatégorisation très courante et non spécifique à « there », la nominalisation de l’adjectif, dans quelques situations particulières. On récupère également dans mon approche une cohérence sémantique d’ensemble qui fait manifestement défaut à la catégorisation pronominale proposée par Huddleston. Tout compte fait, cette conception adjectivale du « there » existentiel me semble donc une catégorisation plus efficiente (au sens de la minimisation des écarts aux principes morpho-syntaxiques régissant chaque catégorie grammaticale) que les deux catégorisations usuelles de « there » comme adverbe ou comme pronom.