Recours pour excès de pouvoir (Moyens d`annulation)
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Recours pour excès de pouvoir (Moyens d`annulation)
Recours pour excès de pouvoir (Moyens d'annulation) Recours pour excès de pouvoir (Moyens d'annulation) Fabrice MELLERAY Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV janvier 2007 (dernière mise à jour : octobre 2014) Table des matières Généralités, 1 - 11 Section 1 - Constantes du contrôle de l'excès de pouvoir, 12 - 42 Art. 1 - Légalité externe, 13 - 27 § 1 - Incompétence, 14 - 19 § 2 - Vice de forme, 20 - 21 § 3 - Vice de procédure, 22 - 27 Art. 2 - Des éléments de légalité interne, 28 - 42 § 1 - Violation directe de la règle de droit, 29 - 30 § 2 - Erreur de droit, 31 - 34 § 3 - Exactitude matérielle des faits, 35 - 37 § 4 - Détournement de pouvoir ou de procédure, 38 - 42 Section 2 - Variable du contrôle de l'excès de pouvoir : les degrés du contrôle des motifs, 43 - 55 Art. 1 Art. 2 Art. 3 Art. 4 - Absence de contrôle, 46 - 47 - Contrôle restreint, 48 - 51 - Contrôle entier, 52 - 53 - Contrôle maximum, 54 - 55 Bibliographie R. ALIBERT, Le contrôle juridictionnel de l'administration au moyen du recours pour excès de pouvoir, 1926, Payot, p. 193 et s. - J.-M. AUBY et R. DRAGO, Traité de contentieux administratif, t. II, 1984, 3 e éd., LGDJ, p. 237 et s. - R. BONNARD, Précis de droit administratif, 4 e éd., 1943, LGDJ, p. 96 et s. - A. CALOGEROPOULOS, Le contrôle de la légalité externe des actes administratifs unilatéraux, 1983, LGDJ. - R. CHAPUS, Droit administratif général, t. I, 2001, 15 e éd., Montchrestien, n os 1209 et s. - R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 12 e éd., 2006, Montchrestien, n os 905 et s. - Ch. EISENMANN, Cours de droit administratif, t. II, 1983, LGDJ, p. 325 et s. - P.-L. FRIER et J. PETIT, Précis de droit administratif, 4 e éd., 2006, Montchrestien, n os 781 et s. - M. FROMONT, Droit administratif des États européens, 2006, PUF, p. 198 et s. - R. HOSTIOU, Procédure et formes de l'acte administratif unilatéral en droit français, 1975, LGDJ. - S. 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RITLENG, Le contrôle de la légalité des actes communautaires par la Cour de Justice et le Tribunal de première instance des communautés européennes, thèse, Strasbourg III, 1998. - M. SAUSSEREAU, Les classifications des cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir. Essai d'analyse critique, thèse, Paris I, 2002. Généralités 1. Le contentieux administratif en général, et le recours pour excès de pouvoir en particulier, ont connu en quelques années des évolutions considérables. Il n'est ainsi pas excessif de célébrer le « nouveau juge administratif » (R. DRAGO, Un nouveau juge administratif, in Mélanges Jean Foyer, 1997, PUF, p. 451) et de constater l'émergence et le développement d'un « nouveau recours pour excès de pouvoir » (V. sur ce thème, not., A. CLAEYS, L'évolution de la protection juridictionnelle de l'administré au moyen du recours pour excès de pouvoir, thèse, Poitiers, 2005, p. 1112 et s.). La classification de ce que l'on nomme indifféremment les moyens d'annulation, les cas d'ouverture ou encore les cas de nullité des actes administratifs, semble pourtant avoir été relativement épargnée par ces évolutions à l'inverse des autres chapitres de la matière. Elle peut encore, sans grand dommage apparent, être enseignée aujourd'hui comme elle l'était il y a quelques décennies. 2. Il est vrai que le statut juridique de cette question est assez particulier. En effet, comme a pu le souligner le commissaire du gouvernement THÉRY, « la classification des ouvertures du recours pour excès de pouvoir n'a pas en soi de valeur normative ; elle ne s'impose pas aux justiciables ; ce n'est qu'un instrument d'analyse que le juge utilise pour dire le droit » (concl. sur CE 14 nov. 1975, Synd. national de l'enseignement supérieur [FEN], Rec. CE, p. 578). Même si on la retrouve dans la structuration des tables du Recueil Lebon aussi naturellement que dans la rédaction des différents jugements et autres arrêts (le cas échéant, rendus par les juridictions judiciaires ; V. ainsi, A. VAN LANG, Juge judiciaire et droit administratif, 1996, LGDJ, p. 158 et s.), la question est donc une problématique essentiellement doctrinale. Cela n'exclut évidemment pas, loin s'en faut, qu'elle soit dénuée de toute portée pratique et qu'il s'agisse simplement d'une « distinction de professeurs, c'est-àdire une distinction que nous faisons pour la clarté de l'enseignement, mais qu'en réalité, ces distinctions sont un peu factices » (M. W ALINE, note sous CE 20 juin 1958, Guimezanes et CE 25 juin 1958, Bilger, RD publ. 1959. 118). Il y a là une différence notable avec le droit communautaire, les rédacteurs du Traité de Rome de 1957 s'étant, au contraire, efforcés de codifier la présentation française dominante et d'ainsi lui conférer une valeur juridique solennelle dans l'ordre juridique communautaire. L'actuel article 230 TCE dispose à cet égard que « la Cour est compétente pour se prononcer sur les recours pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du présent traité ou de toute règle de droit relative à son application, ou détournement de pouvoir » (V., sur la mise en oeuvre de cette disposition et sur le manque de formalisme du juge communautaire en la matière, D. RITLENG, Le contrôle de la légalité des actes communautaires par la Cour de Justice et le Tribunal de première instance des communautés européennes, thèse, Strasbourg III, 1998, p. 264 et s.). Il n'existe aucune disposition équivalente dans le code de justice administrative ou dans tout autre texte législatif ou même réglementaire applicable en droit français. Une telle absence est d'autant plus notable que les législations d'autres États européens, s'étant inspirés sur ce point du droit français, opèrent une énumération de cas d'ouverture comparables, voire identiques (V. sur les cas de la Belgique, de la Grèce et de l'Italie, M. FROMONT, Droit administratif des États européens, 2006, PUF, p. 198). 3 . L'objet de cette rubrique est donc, sans rentrer dans le détail technique des différents moyens d'annulation étudiés de manière approfondie dans le présent Répertoire (V. Détournement de pouvoir et de procédure, Incompétence, Motifs [contrôle des], Vice de forme, Vice de procédure, Violation de la règle de droit), de tenter de cerner la logique d'ensemble de leur articulation, de leur agencement et de proposer un certain nombre de définitions afin de faciliter le repérage du lecteur entre ces différents cas d'ouverture (étant précisé que toute illégalité entraîne une faute quel que soit le cas d'ouverture en cause ; V. sur ce point, B. DELAUNAY, La faute de l'administration, thèse, Paris II, 2006, n os 189 et s.). 4. La date de naissance du recours pour excès de pouvoir faisant l'objet d'une controverse classique et encore vivace entre historiens du droit (V., en dernier lieu, la mise au point de J.-L. MESTRE, L'arrêt Landrin, acte de naissance du recours pour excès de pouvoir ?, RFDA 2003. 211 ), celle des différents moyens d'annulation est, par voie de conséquence, tout aussi incertaine. Suivant que l'on affirme qu'il est apparu sous l'Ancien Régime (V., par ex., P. LAMPUÉ, Le développement historique du recours pour excès de pouvoir depuis ses origines jusqu'au début du XXe siècle, RISA 1954. 359 ; J.-L. MESTRE, Un droit administratif à la fin de l'Ancien Régime : le contentieux des communautés de Provence, 1976, LGDJ, p. 61 et s.), en 1818 (P. LANDON, Le recours pour excès de pouvoir sous le régime de la justice retenue, thèse, Paris, 1942, p. 15 et s.) ou en 1826 (P. SANDEVOIR, Études sur le recours de pleine juridiction, 1964, LGDJ, p. 256 et s. ; F. BURDEAU, Histoire du droit administratif, 1995, PUF, p. 167 et s. ; G. BIGOT, Introduction historique au droit administratif depuis 1789, 2002, PUF, p. 113), il va de soi que l'on est logiquement amené à également dater différemment la naissance des moyens d'annulation. Seule la première de ces trois options donne ainsi tout son sens à la recherche de L'origine des cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir d'après les remontrances des Parlements au XVIIIe siècle (titre d'une étude de G. LEBRETON, RD publ. 1986. 1599) ou à des développements sur une période encore plus ancienne (K. W EIDENFELD, Les origines médiévales du contentieux administratif [XIVe-XVe siècles], 2002, de Boccard, p. 47 et s.). 5. Cette intéressante discussion ne doit, toutefois, pas faire oublier ce qui est peut-être l'essentiel. Le recours pour excès de pouvoir ne s'est véritablement émancipé de ce que l'on nomme désormais indifféremment le recours de plein contentieux ou de pleine juridiction que sous le Second Empire, le décret du 2 novembre 1864 (qui le dispense du ministère d'avocat) achevant et précipitant tout à la fois cette autonomisation. Dès lors, il devient moins nécessaire de déterminer avec exactitude la date d'apparition des différents moyens d'annulation si l'on admet que le recours pour excès de pouvoir ne naît véritablement dans sa version moderne qu'à cette époque-là. Le juge administratif décide alors pour des motifs politiques d'abandonner la « théorie du scandale » au profit de la « théorie de la régulation » suivant les formules de Pierre LANDON. Il transforme ce recours à la nature juridictionnelle incertaine, ne servant jusqu'à ce moment-là qu'à sanctionner les irrégularités les plus grossières et les plus choquantes, en une action en justice permettant de censurer les actes administratifs unilatéraux pour des illégalités d'une gravité très variable. 6 . C'est donc fort logiquement à cette époque que sont apparues les premières classifications détaillées des moyens d'annulation. Et, comme en matière de distinction des contentieux (F. MELLERAY, Essai sur la structure du contentieux administratif français, 2001, LGDJ, p. 36 et s.), c'est Édouard LAFERRIÈRE qui va développer les analyses d'un autre membre du Conseil d'État, Léon AUCOC (V. not., les concl. de ce dernier sur CE 23 mars 1867, Bizet, Rec. CE, p. 275 : « L'excès de pouvoirs résulte donc à vos yeux de l'incompétence, de la violation des formes substantielles, et de l'usage d'un pouvoir dans un but différent de celui que le législateur se proposait d'atteindre »), et passer à la postérité comme « l'inventeur » de la première grande typologie (V., pour une étude détaillée, P. GONOD, É. LAFERRIÈRE, Un juriste au service de la République, 1997, LGDJ, p. 209 et s.). Après avoir montré comment les différents cas d'ouverture sont, selon lui, successivement apparus (l'incompétence, puis le vice de forme, puis la violation de la loi et enfin le détournement de pouvoir, la discussion étant toutefois ouverte sur l'ordre d'apparition des deux derniers) dans un « historique du recours pour excès de pouvoir en matière administrative » (Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. II, 1 re éd., 1888, Berger-Levrault, p. 372 et s.), LAFERRIÈRE les étudie longuement. Par incompétence, il entend « l'inaptitude légale d'une autorité administrative à prendre une décision, à faire un acte compris dans ses attributions » (p. 468). Quant au vice de forme, « il consiste dans l'omission ou dans l'accomplissement incomplet ou irrégulier des formalités auxquelles un acte administratif est assujetti par les lois et règlements » (p. 492). La violation de la loi est ensuite présentée, LAFERRIÈRE précisant qu'elle « n'est un moyen d'annulation que si elle constitue en même temps une atteinte à un droit » (p. 506). Quant au détournement de pouvoir, il « consiste à détourner un pouvoir légal du but pour lequel il a été institué, à le faire servir à des fins auxquelles il n'est pas destiné » (p. 521). 7. Cette classification quadripartite sera rapidement reprise par les auteurs. Les écrits de Maurice HAURIOU sont à cet égard très révélateurs (même si une analyse détaillée amènerait à distinguer entre son Précis de droit administratif et ses notes de jurisprudence), qu'on compare la première édition de son Précis à la dernière publiée de son vivant trente-cinq ans plus tard (M. HAURIOU, Précis de droit administratif contenant le droit public et le droit administratif, 1892, Larose et Forcel, p. 175 et Précis de droit administratif et de droit public, 11 e éd., 1927, Sirey, p. 414). Autant la pensée d'HAURIOU s'est avérée particulièrement mouvante sur nombre de questions, autant elle est ici très largement constante. Et la plupart des auteurs n'approfondissent pas davantage les problèmes logiques et théoriques inhérents à toute entreprise classificatrice et donc à celle des moyens d'annulation, se contentant d'offrir un tableau souvent raffiné de la jurisprudence (une version particulièrement aboutie est proposée par R. ALIBERT, Le contrôle juridictionnel de l'administration au moyen du recours pour excès de pouvoir, 1926, Payot, p. 191 et s.). Les principales faiblesses de cette construction quadripartite sont toutefois rapidement apparues. Toute illégalité ne constitue-t-elle pas in fine une forme d'incompétence (cela a notamment été soutenu avec force à propos du détournement de pouvoir. V. ainsi, l'ouvrage préc. d'ALIBERT, p. 236) ? Ne peut-on mener un raisonnement comparable au sujet de la violation de la loi (V. en ce sens Maurice HAURIOU, note sous CE 4 avr. 1914, Gomel, S. 1917. III. 25, « bientôt, si cela continue, le recours pour excès de pouvoir devra changer de nom et s'appeler le recours pour violation de la loi ou pour contrôle de la légalité, car toutes les variétés de l'excès de pouvoir, l'incompétence, la violation des formes, le détournement de pouvoir lui-même, auront été ramenées à des variétés de violation de la loi » ; J. APPLETON, Traité élémentaire du contentieux administratif, 1927, Dalloz, p. 592) ? Cette dernière (la condition d'une atteinte à des droits acquis sera rapidement abandonnée) présente-elle une véritable unité ou constitue-t-elle simplement une catégorie « fourretout » permettant de réunir toutes les questions ne rentrant pas dans les trois autres catégories (V. G. VEDEL et P. DELVOLVÉ, Droit administratif, t. 2, 12 e éd., 1992, PUF, p. 312) ? Plus fondamentalement, existe-t-il un critère permettant de distinguer les différents cas d'ouverture ou sont-ils bien davantage juxtaposés qu'ordonnés logiquement (ce qui aboutirait à ce qu'il ne s'agisse pas d'une classification au sens le plus strict) ? Bref, et comme le soutiendra François GAZIER en 1951, « chacun sent, le praticien comme le juge et comme le professeur, combien cette énumération est aujourd'hui imparfaite » (Essai de présentation nouvelle des ouvertures du recours pour excès de pouvoir en 1950, EDCE, n o 5, 1951, p. 77). 8. C'est donc dans un contexte doctrinal critique que Roger BONNARD, s'inscrivant dans le cadre de la rénovation de la théorie de l'acte juridique opérée par son maître Léon DUGUIT et plus largement par l'École de Bordeaux, va proposer une classification de nature plus théorique (V., pour une étude exhaustive de la pensée de BONNARD, B. NOYER, Essai sur la contribution du doyen Bonnard au droit public français. Étude d'une étape de la participation de l'École de Bordeaux à la construction de l'État de Droit, thèse, Bordeaux I, 1984). Elle repose en effet sur une décomposition de l'acte administratif unilatéral. À chaque élément de l'acte administratif correspond une condition de légalité. BONNARD expose tout d'abord sa conception dans un article publié en 1923 et consacré au pouvoir discrétionnaire et aux conditions de son contrôle (Le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives et le recours pour excès de pouvoir, RD publ. 1923. 363). Tout le problème est alors, suite à une période de développement du contrôle juridictionnel, de déterminer où se niche le pouvoir discrétionnaire et de montrer « qu'il n'y a pas dans les récents développements du recours pour excès de pouvoir vis-à-vis du pouvoir discrétionnaire une déformation de ce recours » (p. 366). Autrement dit, il s'agit de mettre en évidence que l'on reste dans les limites du contrôle de légalité sans déborder sur le contrôle de l'opportunité. BONNARD va pour ce faire opérer une décomposition de l'acte juridique en différents éléments (motifs, objet, but) et démontrer, jurisprudence à l'appui, qu'il n'y a, le cas échéant, de pouvoir discrétionnaire qu'à propos des motifs de l'acte et plus précisément de l'adéquation entre ces derniers et l'objet de l'acte. Il va ensuite, mais seulement après la mort de son maître DUGUIT dont on sait qu'il était un détracteur acharné de la notion de droit subjectif, systématiser sa présentation et l'intégrer dans sa théorie des droits publics subjectifs qui constitue une forme d'adaptation en droit français de problématiques allemandes (V. sur la réception des thèses subjectivistes en France, N. FOULQUIER, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d'un concept en droit administratif français du XIXe au XXe siècle, 2003, Dalloz). Son Précis de droit administratif est à cet égard très révélateur (4 e éd., 1943, LGDJ). Les cas d'ouverture y sont étudiés dans un chapitre consacré aux droits publics subjectifs, plus précisément dans un article intitulé « les droits subjectifs des administrés à la légalité des actes administratifs ». BONNARD y distingue cinq droits qui correspondent aux composantes de l'instrumentum (le contenant) et du negotium (le contenu) de l'acte administratif. Existent ainsi, selon lui : « 1 o Le droit à la compétence qui est le droit à ce que l'acte soit accompli par l'agent auquel la compétence a été attribuée par la loi ou le règlement ; 2 o Le droit aux formes qui est le droit à ce que les formes et procédures prescrites soient suivies ; 3 o Le droit au motif qui est le droit à ce qu'un acte ait un motif ayant une existence à la fois matérielle et légale ; 4 o Le droit à l'objet qui est le droit à ce que l'acte ait un certain contenu pour autant, tout au moins, qu'il y a compétence liée, car ce droit n'existe pas lorsque la compétence est discrétionnaire ; 5 o Le droit au but qui est le droit à ce que l'acte poursuive le but qui lui est imposé » (Précis de droit administratif, 4 e éd., op. cit.,p. 97). BONNARD en déduit alors logiquement qu'« à chaque ordre de condition de légalité correspond une catégorie d'illégalités. C'est ainsi qu'on trouve comme illégalités : 1 o Les illégalités organiques pour incompétence ; 2 o Les illégalités formelles pour vice de forme ; 3 o Les illégalités matérielles pour inexistence des motifs ; 4 o Les illégalités matérielles pour méconnaissance de l'objet prescrit ; 5 o Les illégalités matérielles pour détournement de pouvoir » (Idem, p. 98). 9 . La classification de BONNARD, et plus largement l'idée essentielle qui la sous-tend suivant laquelle la clé de classification des moyens d'annulation doit être trouvée dans une décomposition de l'acte administratif unilatéral, a marqué les esprits et se retrouve aujourd'hui dans la structuration des tables du Recueil Lebon. C'est ainsi que les différents cas d'ouverture y sont présentés sous la rubrique Actes législatifs et administratifs sous les titres Validité des actes administratifs - compétence ; Validité des actes administratifs - forme et procédure ; Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit ; Validité des actes administratifs - motifs ; Validité des actes administratifs - détournement de pouvoir et de procédure. La rubrique Procédure traite certes des Moyens dans un titre intitulé Pouvoirs et devoirs du juge et comprend un chapitre consacré aux degrés du contrôle, mais l'essentiel est bien dans les développements relatifs aux composantes de l'acte administratif. Pour autant, il a rapidement été reproché à la démarche de BONNARD « de faire oeuvre purement normative, ne reflétant plus la réalité jurisprudentielle de base qu'il s'agissait de mettre en ordre » (F. GAZIER, Essai de présentation nouvelle des ouvertures du recours pour excès de pouvoir en 1950, op. cit., p. 77). C'est pourquoi François GAZIER, convaincu des faiblesses de la classification attribuée à LAFERRIERE et du caractère trop dogmatique de celle de BONNARD, va proposer une nouvelle construction. Alors que LAFERRIERE distinguait quatre cas d'ouverture et BONNARD cinq, GAZIER estime qu'il en existe six. Il les réunit trois par trois, séparant les moyens de légalité interne et de légalité externe (une telle séparation étant déjà en germe auparavant. V. J.-M. AUBY et R. DRAGO, Traité de contentieux administratif, t. 2, 3 e éd., 1984, LGDJ, p. 238). Les moyens de légalité externe sont l'incompétence, le vice de forme et l'irrégularité de procédure. Il distingue ainsi la forme de la procédure, la première ayant trait aux « caractères externes de l'acte lui-même » alors que la seconde vise les formalités imposées lors de « l'élaboration de la mesure attaquée » (p. 79). Les moyens de légalité interne sont le défaut de base légale, la violation d'une disposition légale et le détournement de pouvoir ou de procédure. Le premier de ces moyens de légalité interne est probablement, avec l'usage de la distinction légalité externe/légalité interne, la principale originalité de cette construction. Par base légale François GAZIER entend « la conjonction régulière des règles générales qui définissent les pouvoirs de l'Administration et de la situation de fait particulière à laquelle ces pouvoirs en l'espèce s'appliquèrent. Ce qui amène le juge à rechercher, d'une part, le fondement juridique de l'acte attaqué, et à dégager, d'autre part, en leur matérialité et en leur portée, les faits de l'espèce » (p. 80). Même si l'auteur conclut son propos par un plaidoyer plus empiriste ou existentialiste (pour le dire avec les mots de l'époque) que conceptualiste qui vient affaiblir sa démonstration (« une théorie générale des ouvertures du recours pour excès de pouvoir énumérant avec rigueur un certain nombre de moyens d'annulation […] serait […] oeuvre vaine, et même néfaste […] il faut avant tout laisser à la jurisprudence la liberté d'adapter sans cesse au mieux […] ce très remarquable instrument de technique juridictionnelle », p. 83), sa contribution inspirera rapidement le droit positif. Il faudra, en effet, attendre quelques années seulement pour que la dichotomie légalité externe/légalité interne acquiert (dans le contexte de la réforme de l'organisation de l'ordre juridictionnel administratif) une importance pratique significative au travers de la théorie de la cause de la demande en justice. Et si la jurisprudence dite Intercopie (CE, sect., 20 févr. 1953, Sté Intercopie, Rec. CE, p. 88, S. 1953. III. 77, note M. L. ; CE, ass., 15 juill. 1954, Sté des aciéries et forges de Saint-François, Rec. CE, p. 482 ; CE, sect., 26 juin 1959, Synd. algérien de l'éducation surveillée CFTC, Rec. CE, p. 399, concl. J. Fournier) est désormais contestée, que ce soit par certains auteurs (M. SAUSSEREAU, La cause de la demande a-t-elle encore une place en contentieux administratif ? L'apport de la procédure civile à la réflexion, RD publ. 2003. 631) ou par quelques juges du fond (TA Lyon, 9 déc. 1998, Masson, AJDA 1999. 448, concl. É. Kolbert ), elle demeure pour l'instant en vigueur. 10. Force de l'habitude et prestige de son auteur aidant, c'est une version amendée (intégrant en particulier la dichotomie légalité interne/légalité externe) de la classification de LAFERRIÈRE qui est demeurée la plus usuelle (et qui peut même servir pour décrire le contrôle de constitutionnalité des lois opéré par le Conseil constitutionnel ; V. not., G. VEDEL, Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif (II), Cahiers Cons. const., n o 2, 1997, p. 83 et s. ; G. DRAGO, Contentieux constitutionnel français, 2 e éd., 2005, PUF, p. 388 et s.). Le président ODENT résumait ainsi une opinion sans doute encore dominante en écrivant dans son célèbre Cours : « Cette distinction des quatre cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir est classique. Il serait excessif de dire qu'elle rend raison de toutes les illégalités commises ; mais il est vrai de dire qu'aucune classification n'est entièrement satisfaisante ; les illégalités et les procédés pour les censurer sont trop complexes pour être rangés dans une catégorie déterminée » (Contentieux administratif, 3 e éd., 1979-1980, Les Cours de droit, p. 1659). Dans une veine comparable, M.-J. GUÉDON souligne sans trop le regretter qu'« en admettant même une acception restrictive de la notion de compétence, les cas d'ouverture se présentent comme les anneaux olympiques ; les interférences sont nombreuses et inévitables car tout élément de la réglementation peut être interprété de diverses façons » (La classification des moyens d'annulation des actes administratifs : Réflexion sur un état des travaux, AJDA 1978. 85). Guillaume TUSSEAU nous semble toutefois assez éloigné de la réalité lorsqu'il écrit que « la perméabilité des vices des actes administratifs constitue […] une ressource argumentative afin de justifier le recours pour excès de pouvoir » (Les normes d'habilitation, 2006, Dalloz, n o 1017). Pour autant, conscients des limites de cette classification, à la fois faute de mieux et peut-être avec la conviction que chercher à faire mieux serait une entreprise vouée à l'échec, les auteurs contemporains opèrent (sans forcément toujours le préciser) une sorte de synthèse entre les vues de LAFERRIERE, BONNARD et GAZIER. Et si l'on nous permet de filer une métaphore architecturale, le gros oeuvre est du premier et l'intérieur des seconds. Les tentatives de rénovation théorique plus récentes n'ont par contre pas abouti, qu'on songe à la classification esquissée par C. EISENMANN (Cours de droit administratif, t. II, 1983, LGDJ, p. 325 et s.) et à celle développée par M. SAUSSEREAU dans sa belle thèse (Les classifications des cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir ; Essai d'analyse critique, thèse, Paris I, 2002, p. 409 et s.) où elle oppose la « légalité objective » à la « légalité subjective ». 11. De nombreuses présentations combinant les approches traditionnelles sont probablement envisageables, qu'on songe à l'utilisation de la distinction entre les moyens d'ordre public et ceux qui ne le sont pas. Mais la notion de moyen d'ordre public étant bien davantage une notion fonctionnelle que conceptuelle (V., en ce sens, la démonstration de Ch. DEBOUY, Les moyens d'ordre public dans la procédure administrative contentieuse, 1980, PUF), cela reviendrait à offrir un descriptif sans grande unité. On peut aussi, à l'instar de R. CHAPUS (Droit administratif général, t. 1, 15 e éd., 2001, Montchrestien, n o 1211) et de nombre d'auteurs contemporains, se servir de la dichotomie légalité externe/légalité interne pour présenter sous une forme à peu près ordonnée les différents moyens identifiés par les auteurs d'AUCOC jusqu'aux années 1960. Cette présentation, outre que la frontière entre ces deux sous-ensembles est discutée (M. SAUSSEREAU, thèse précitée, p. 174 et s.), a pour principal défaut de ne rien apprendre ou presque en elle-même. Si elle est didactique, elle ne présente par contre aucune valeur heuristique particulière. C'est pourquoi nous lui préférons (à l'instar de P.-L. FRIER et J. PETIT, Précis de droit administratif, 4 e éd., 2006, Montchrestien, n os 781 et s.) à titre principal une présentation opposant les constantes du contrôle de l'excès de pouvoir (V. infra, n os 12 et s.) à l'élément variable du contrôle, autrement dit aux différents degrés du contrôle des motifs de l'acte querellé (V. infra, n os 43 et s.). S'opposent ainsi, dès lors, naturellement, qu'un moyen n'est pas irrecevable (R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, 12 e éd., 2006, Montchrestien, n os 917 et s.) ou inopérant (Idem, n os 921 et s.), des moyens qui sont toujours examinés par le juge de la légalité (ce qui ne signifie pas nécessairement qu'il les examine de la même manière, V. A. CALOGEROPOULOS, Le contrôle de la légalité externe des actes administratifs unilatéraux, 1983, LGDJ, p. 177 et s.) et d'autres qui font l'objet d'un contrôle d'intensité très variable révélant la marge d'appréciation que le juge laisse ou ne laisse pas à l'administration (l'intensité du contrôle sert également, à propos du juge communautaire, de fil directeur à D. RITLENG, thèse précitée, p. 376 et s.). Section 1 - Constantes du contrôle de l'excès de pouvoir 1 2 . Afin d'ordonner cette présentation, on distinguera ici entre les éléments relatifs à la légalité externe de l'acte discuté (V. infra, n os 13 et s.) et ceux portant sur sa légalité interne (V. infra, n os 28 et s.). Art. 1 - Légalité externe 13. Si AUCOC et LAFERRIÈRE n'en distinguaient que deux, cela fait maintenant près d'un siècle que l'on distingue la forme de la procédure et que l'on admet que ce que l'on nomme désormais la légalité externe comprend trois types de moyens logiquement distincts. Il s'agit de l'incompétence (V. infra, n os 14 et s.), du vice de forme (V. infra, n os 20 et s.) et du vice de procédure (V. infra, n os 22 et s.). Et, dans toutes les espèces, les moyens de légalité externe sont systématiquement contrôlables par le juge, mais ne seront naturellement contrôlés que si le requérant en fait la demande sauf pour l'incompétence qui présente un caractère d'ordre public. § 1 - Incompétence 14. Nul ne conteste sans doute que ce moyen est le plus ancien et que c'est sur sa base que s'est progressivement construit le recours pour excès de pouvoir dont on sait qu'il était classiquement dénommé recours pour excès de pouvoirs et incompétence. Il est également difficile de nier que toute illégalité peut être logiquement ramenée à une forme d'incompétence lato sensu. La définition de cette dernière n'a guère évolué depuis l'époque de LAFERRIÈRE. Cette notion, qui ne se confond pas avec la notion de capacité utilisée en droit civil (V. F. LINDITCH, Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, 1997, LGDJ, p. 185 et s.), consiste en l'aptitude (nécessairement prévue par une norme de niveau supérieure, que cette habilitation soit expresse ou repose sur la théorie des « pouvoirs implicites ») d'une autorité administrative (notion entendue au sens fonctionnel et non organique et pouvant ainsi englober certaines personnes privées chargées d'une mission de service public) à édicter des normes sur une matière, un territoire et une période données. On distingue dès lors logiquement, et tout aussi classiquement, trois formes d'incompétence : l'incompétence matérielle (que l'on oppose parfois à l'incompétence personnelle) ou ratione materiae ; l'incompétence territoriale ou ratione loci ; l'incompétence temporelle ou ratione temporis. 15. L'incompétence matérielle, qui est probablement l'hypothèse la plus fréquemment observée car il est souvent plus malaisé pour une autorité administrative de déterminer les limites exactes de son champ matériel d'attribution que celles de ses compétences territoriale et temporelle, recouvre de multiples hypothèses. L'administration peut ainsi illégalement empiéter sur les attributions d'une autre entité administrative, qu'existe ou non un lien de subordination entre elles (un préfet ne peut en principe agir à la place d'un ministre, CE, sect., 24 oct. 1952, Dlle Thèse, Rec. CE, p. 469 ; un sous-préfet à la place d'un préfet, CE 10 févr. 1954, Cne de Guénin, Rec. CE, p. 86 ; un ministre à la place du Premier ministre, CE, sect., 4 nov. 1977, Dame Si Moussa, Rec. CE, p. 417, concl. J. MASSOT ; un ministre à la place d'un de ses collègues, CE 5 déc. 2005, Mann Singh, req. n o 278133 , Rec. CE, p. 544). La question peut rapidement devenir ardue dans les hypothèses de suppléance, d'intérim ou encore de délégation. L'administration peut également violer les règles de la séparation des pouvoirs et empiéter sur la compétence du pouvoir législatif, de l'autorité judiciaire ou des juridictions administratives (dont l'existence, le champ de compétence minimal et l'indépendance sont certes garanties par la Constitution mais qui n'appartiennent pas à l'autorité judiciaire au sens du titre VIII de la Constitution), voire exceptionnellement d'une autorité étrangère. On parle alors volontiers à la suite de LAFERRIÈRE d'« usurpation de pouvoir ». 16. L'incompétence territoriale est souvent aisée à identifier (G. LIET-VEAUX, L'incompétence ratione loci, Rev. adm. 1964. 29). Sa forme de très loin la plus courante recouvre les cas où l'administration édicte une norme applicable à une situation n'entrant pas dans le (ou plutôt n'étant pas rattachable au) champ de sa compétence spatiale (par ex., lorsqu'un inspecteur des impôts mène une opération de redressement à l'encontre d'un contribuable qui n'est pas domicilié dans sa circonscription, CE, sect., 6 juill. 1990, Min. du budget c/ Baptiste, req. n o 92330 , Rec. CE, p. 210). Plus rarement, l'incompétence ratione loci peut être constituée lorsque l'auteur de l'acte a exercé ses attributions en dehors du lieu dans lequel il devait l'exercer. C'est ainsi que le conseil municipal doit, en principe, délibérer à la Mairie de la commune (CE 1 er juill. 1998, Préfet de l'Isère, req. n o 187491 , Rec. CE, table, p. 768), mais que rien n'interdit au Président de la République de signer un décret en dehors du palais de l'Élysée. 1 7 . L'incompétence temporelle (J.-M. AUBY, L'incompétence ratione temporis. Recherches sur l'application des actes administratifs dans le temps, RD publ. 1953. 5) désigne les hypothèses où l'autorité n'était pas encore compétente et symétriquement celles où elle ne l'était plus. Ses effets sont toutefois grandement atténués par la théorie dite du « fonctionnaire de fait » suivant laquelle, pour des raisons tenant à la protection de la sécurité juridique et de la continuité des services publics, un agent public est réputé occuper valablement son poste tant que l'illégalité de sa situation n'a pas été constatée par le juge (CE, sect., 16 mai 2001, Préfet de police c/ Ihsen Mtimet, req. n o 231717 , Rec. CE, p. 234, AJDA 2001. 643, chron. M. Guyomar et P. Collin , p. 672, note A. Legrand , RD publ. 2001. 645, étude X. Prétot). 18. Il arrive que la frontière entre l'incompétence et le vice de procédure soit brouillée pour des considérations de politique jurisprudentielle. L'incompétence étant un moyen d'ordre public (CE 15 févr. 1961, Sieur Alfred-Joseph, Rec. CE, p. 114 ; CE 13 sept. 2000, Assoc. des diplômés ICH du Languedoc-Roussillon, req. n o 189178 , Rec. CE, p. 377) à l'inverse du vice de procédure, le Conseil d'État a choisi d'assimiler certains vices de procédure à l'incompétence afin de pouvoir le cas échéant les relever d'office. Tel est le cas lorsqu'une autorité administrative ne peut agir que sur avis conforme d'un organe consultatif (CE 29 janv. 1969, Dame veuve Chanebout, Rec. CE, p. 43) ou sur proposition (CE 30 juill. 1997, Confédération nationale de la production française des vins doux naturels d'appellation d'origine contrôlée, req. n o 147826 , Rec. CE, p. 304). Une telle assimilation peut se justifier par l'idée suivant laquelle l'auteur de l'avis conforme ou de la proposition sont de véritables « coauteurs » de l'acte administratif (V. P. FERRARI, Essai sur la notion de co-auteurs d'un acte unilatéral en droit administratif français, in Mélanges Charles Eisenmann, 1975, Cujas, p. 215 ; H. BELRAHLI, Les coauteurs en droit administratif, 2003, LGDJ). Il est par contre autrement plus discutable, d'un point de vue logique, d'affirmer que les décrets en Conseil d'État (où ce dernier doit être obligatoirement consulté, mais rend un avis simple) souffrent d'un vice d'incompétence en cas de violation de cette obligation procédurale. Cette solution (CE ass., 3 juill. 1998, Synd. national de l'environnement CFDT, req. n o 177248 , Rec. CE, p. 272, AJDA 1998. 780, chron. F. Raynaud et P. Fombeur ) assure un statut protecteur à l'intervention du Conseil d'État en formation administrative et uniquement à celui-ci, la violation de l'obligation de consultation pour avis simple d'un autre organe administratif étant considérée comme un vice de procédure (V. pour la protection de l'intervention du Conseil d'État en matière de projets de loi Conseil constitutionnel, 3 avr. 2003, déc. 2003-468 DC, Rec. CE, p. 325, AJDA 2003. 948, note G. Drago et p. 1625, note M.-T. Viel ). Cette jurisprudence pourrait s'avérer problématique du point de vue de l'article 6 § 1 de la CEDH. En effet, la « théorie des apparences » peut-elle aisément admettre une hypothèse où une juridiction contrôle la légalité d'un acte dont elle estime qu'elle est (certes dans une formation différente) une sorte de « coauteur » ? En tout état de cause, la question est d'un intérêt pratique réel dans la mesure où comme le souligne le président Bernard STIRN « chaque année, une cinquantaine de décrets réglementaires sont adoptés en conseil des ministres, dont la plupart sont des décrets en Conseil d'État, et le Premier ministre signe de son côté environ 500 décrets en Conseil d'État et 700 décrets simples » (B. STIRN, Les sources constitutionnelles du droit administratif. Introduction au droit public, 5 e éd., 2006, LGDJ, p. 79). 1 9 . On doit également mentionner le cas assez discuté de « l'incompétence négative ». LAFERRIÈRE définissait cette hypothèse de la manière suivante : il s'agit du « cas où une autorité, au lieu de franchir les limites de sa compétence, reste en deçà, et refuse de faire un acte de son ressort en déclarant qu'elle n'a pas qualité pour l'accomplir » (Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, préc., t. II, p. 491). Un tel cas de figure, qui est particulièrement développé en contentieux constitutionnel où il est fréquemment reproché au législateur de ne pas avoir épuisé sa compétence et d'ainsi avoir violé ce que l'on nomme en droit comparé la « réserve de loi » (J. TRÉMEAU, La réserve de loi. Compétence législative et Constitution, 1997, Economica), constitue toutefois bien davantage une illégalité interne qu'une illégalité externe. Comme l'admettent certains arrêts, il s'agit en fait d'une forme d'erreur de droit (CE, sect., 16 sept. 1983, Min. du travail c/ Mme Saurin, Rec. CE, p. 390, Dr. soc. 1984. 120, concl. J.-M. Pauti ; CE, sect., 20 juin 2003, Stilinovic, cité infra, n o 34). § 2 - Vice de forme 20. La notion de forme n'est désormais plus confondue avec celle de formalité, ce qui permet de bien distinguer la forme d'un acte de sa procédure d'élaboration. La forme désigne la présentation matérielle de l'acte. Comme le souligne René CHAPUS, la fonction des exigences formelles « est une fonction de compte rendu. En conséquence de ces règles, l'acte rendra compte par lui-même du respect de certaines prescriptions et comportera les signes extérieurs de ce respect » (Droit administratif général, t. 1, préc., n o 1228). Si le droit administratif est, à certains égards, exagérément formaliste (J.-F. LACHAUME, Le formalisme, AJDA, n o spécial 1995, p. 133), le vice de forme n'est pas un moyen d'ordre public (CE 18 déc. 1991, Min. de la Coopération et du développement c/ Jelmoni, req. n o 104761 , Rec. CE, p. 452, à propos de la motivation) et seule la violation des formes obligatoires est en principe censurée par le juge de l'excès de pouvoir (V. sur ce thème, R. HOSTIOU, Procédure et formes de l'acte administratif unilatéral en droit français, 1975, LGDJ, p. 237 et s. ; A. CLAEYS, L'évolution de la protection juridictionnelle de l'administré au moyen du recours pour excès de pouvoir, préc., p. 791 et s. ; pour une illustration où une omission est restée sans incidence sur la régularité d'une enquête publique, CE 3 juill. 1998, Assoc. de défense et de protection de l'environnement de Saint-Côme-d'Olt, Rec. CE, p. 225). 21. Ces règles de forme sont diversifiées même si leurs champs d'application respectifs sont très variables. On se contentera ici de mentionner les principales : l'obligation de motivation (le principe demeurant, toutefois, l'absence de motivation, cette notion étant évidemment à ne pas confondre avec celle de motifs car si tout acte a des motifs de fait et de droit, le cas échéant illégaux, il n'a pas nécessairement à être motivé, autrement dit l'administration ne doit pas forcément les exposer) ; la nécessité de comporter certaines mentions (nom et qualité de l'auteur de l'acte ; date ; signature ; contreseing…). L'idée générale qui semble sous-tendre les textes constitutionnel, législatifs ou réglementaires prévoyant ces règles de forme est que plus un acte est important (qu'on songe aux hypothèses du contreseing ministériel prévues par les articles 13, 19 et 22 de la Constitution) ou susceptible de porter atteinte à la situation de son destinataire ou des tiers (qu'on songe à l'obligation législative issue de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs suivant laquelle doivent être motivés certains actes individuels défavorables et les actes individuels accordant une dérogation) plus les règles de forme sont nombreuses. On ajoutera que la « transformation de la relation administrative » (J. CHEVALLIER, La transformation de la relation administrative : mythe ou réalité ?, D. 2000, chron. 575 ), la mue progressive de l'usager en citoyen auquel on reconnaît des droits opposables à l'administration, ne peut qu'entretenir le développement des règles de forme. § 3 - Vice de procédure 22. Par procédure on désigne l'ensemble des formalités exigées lors de l'élaboration de l'acte administratif. Ce vice est ainsi le seul à ne pas porter sur l'auteur de l'acte (comme l'incompétence) ou sur l'acte lui-même, qu'il s'agisse du contenant (le vice de forme) ou du contenu (les moyens de légalité interne). 2 3 . Autant les règles de forme sont somme toute encore assez peu nombreuses, autant les règles de procédures sont particulièrement abondantes et il arrive même à l'administration d'en inventer de nouvelles de manière fantaisiste (V. ainsi, CE 5 oct. 2005, Sté Endymis, AJDA 2006. 429, note D. Costa où le juge censure pour vice de procédure le respect par l'administration d'une procédure déterminée par une autorité incompétente). Elles peuvent, toutefois, pour l'essentiel être réunies en trois grandes catégories : la première a trait aux règles de consultation, la deuxième au caractère contradictoire de la procédure et la troisième à l'activité des autorités administratives statuant collégialement. 2 4 . La procédure consultative peut prendre des formes très différentes, que la consultation soit ouverte, comme c'est en particulier le cas des procédures d'enquête publique, ou fermée. La consultation est soit obligatoire, soit facultative. L'avis est, suivant les cas, doté d'une force juridique très variable. Il peut s'agir d'un avis simple (l'autorité compétente demeure entièrement libre de le suivre ou pas), d'un avis conforme (l'autorité ayant sollicité l'avis doit soit le suivre, soit ne prendre aucune décision, le donneur d'avis étant ainsi doté d'une forme de faculté d'empêcher) ou enfin d'une proposition. On distingue classiquement, à la suite de Franck MODERNE (Proposition et décision [Recherches sur le régime juridique des propositions dans la jurisprudence administrative contemporaine], in Mélanges Marcel Waline, t. 2, 1974, LGDJ, p. 595), les « propositions-informations » (sans portée normative) des « propositions-recommandations » (qui sont assimilables aux avis simples) et des « propositions-orientations » (qui sont en principe comparables aux avis conformes). Le déroulement de la procédure consultative est également très variable. 25. Si la procédure administrative ne se confond pas avec la procédure juridictionnelle, les droits de la défense et le principe du contradictoire n'en occupent pas moins une place croissante illustrant la volonté de protéger davantage les intérêts des administrés destinataires d'un acte défavorable à leurs intérêts. On mentionnera ainsi le principe général du droit garantissant le respect des droits de la défense (CE, sect., 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, Rec. CE, p. 133, GAJA, n o 56, Grandes décisions, p. 718 ; A. CLAEYS, L'évolution de la protection juridictionnelle de l'administré au moyen du recours pour excès de pouvoir, préc., p. 814 et s.) qui vaut pour les sanctions et, sauf exception, pour les mesures prises en considération de la personne. De même, au-delà de textes particuliers, parfois très anciens (qu'on songe au célèbre article 65 de la loi du 22 avr. 1905 qui dispose que « tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes les administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardés dans leur avancement à l'ancienneté »), l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration prévoit que les décisions soumises à l'obligation de motivation ne peuvent valablement intervenir « qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites, et, le cas échéant, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou par un mandataire de son choix ». 26. Les modalités d'intervention des organes collégiaux éventuellement consultés sont une question fréquemment invoquée par les requérants devant le juge administratif. Les conditions de constitution de l'organe, ses modalités de réunion et de délibération donnent en effet souvent prise au débat contentieux. 27. Le juge administratif, conscient qu'un formalisme exagéré paralyserait l'action administrative, fait généralement montre d'un certain pragmatisme, ne censurant que la violation des formalités essentielles. Le principe sous-tendant la jurisprudence semble être de vérifier si les irrégularités en cause sont de nature, parce qu'elles ont exercé une influence sur la décision, à vicier la validité de l'acte querellé (CE, sect., 19 mars 1976, Min. de l'Économie et des finances c/ Bonnebaigt, Rec. CE, p. 167, AJDA 1976. 413, chron. M. Nauw elaers et L. Fabius). En tout état de cause, un vice de procédure n'est jamais un moyen d'ordre public (CE 15 févr. 1961, Hôpital-hospice de Bayeux c/ Sieur Clisson, Rec. CE, p. 126) sauf dans les hypothèses particulières où il est assimilé à une incompétence (V. supra, n o 18). Art. 2 - Des éléments de légalité interne 28. Le juge de l'excès de pouvoir est susceptible de contrôler à l'occasion de chaque litige un nombre substantiel d'éléments de légalité interne portant sur les motifs de l'acte, son objet ou encore son but. On constate ainsi, en suivant le plan du recueil Lebon, que tel est en effet le cas de la violation directe de la règle de droit (V. infra, n os 29 et s.), de l'erreur de droit (V. infra, n os 31 et s.), de l'exactitude matérielle des faits (V. infra, n os 35 et s.) et du détournement de pouvoir et de procédure (V. infra, n os 38 et s.). § 1 - Violation directe de la règle de droit 29. La notion de règle de droit est ici entendue dans son acception la plus large comme désignant l'ensemble des normes, internes ou d'origine européenne ou internationale, écrites ou jurisprudentielles, s'imposant à l'administration. Le titre du Recueil Lebon consacré à cette question comprend ainsi six chapitres : « Constitution et normes de valeur constitutionnelle » ; « traités et droit dérivé » ; « loi » ; « principes généraux du droit » ; « actes réglementaires » ; « chose jugée ». Et par violation directe on désigne une contrariété frontale avec ladite règle, par exemple, qu'un décret permette ce qu'une loi interdit (CE 28 déc. 2005, Union syndicale des magistrats administratifs, req. n o 274527 , Rec. CE, p. 591, AJDA 2006. 940, note J.-M. Pontier ), qu'un acte individuel prohibe ce qu'un règlement communautaire garantit ou qu'un décret viole un principe général du droit (CE, ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et autres, req. n o 288460 , Rec. CE, p. 154, RFDA 2006. 463, concl. Y. Aguila , p. 483, note F. Moderne , AJDA 2006. 1028, chron. C. Landais et F. Lenica , D. 2006. 1190, chron. P. Cassia ). Lire la mise à jour 29. Principe de sécurité juridique. - Le Conseil constitutionnel n'a pas érigé le principe de sécurité juridique au rang de principe constitutionnel (Cons. const. 11 févr. 2011, n o 2010-102 QPC , AJDA 2011. 303, obs. Brondel ). 3 0 . On affirme régulièrement que ce rapport de norme à norme est d'intensité variable, pouvant soit être de stricte conformité, soit simplement de compatibilité. Cette thèse, développée par Charles EISENMANN (Le droit administratif et le principe de légalité, 1957-1958, EDCE, n o 11, p. 25 et s.) et actuellement utilisée notamment au sujet du contrôle de conventionnalité des lois (présenté comme un contrôle de compatibilité et non de conformité), est discutable comme a rapidement pu le relever Paul AMSELEK. Tout dépend en fait de la précision et du degré d'exigence de la norme de référence du contrôle et « il ne saurait y avoir deux types de rapports entre l'objet et la norme ; ou bien l'objet est conforme au modèle, ou bien il ne l'est pas. Il n'y a pas de demi-mesure » (Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du droit [Essai de phénoménologie juridique], 1964, LGDJ, p. 122 ; V. dans le même sens, G. TIMSIT, Gouverner ou juger. Blasons de la légalité, 1995, PUF, p. 7 et s.). § 2 - Erreur de droit 31. Il s'agit d'un moyen d'annulation portant sur les motifs juridiques de la décision, sur les éléments de droit la justifiant. L'erreur de droit doit être entendue strictement sauf à déborder sur d'autres formes d'illégalité. Faut-il pour autant la distinguer du défaut de base légale à l'instar de nombreux auteurs (V. Motifs [contrôle des]) ou à l'inverse estimer que le défaut de base légale englobe tous les éléments du contrôle relatifs aux motifs de droit et de fait de l'acte (V. F. GAZIER, Essai de présentation nouvelle des ouvertures du recours pour excès de pouvoir en 1950, préc., p. 80) ? Suivant en cela René CHAPUS (Droit administratif général, t. 1, préc., n os 1233 et s.), nous optons pour une solution intermédiaire. Le défaut de base légale est une des trois variantes de l'erreur de droit. 32. L'erreur de droit peut tout d'abord consister en l'application d'une norme qui était inapplicable ou même inexistante (CE 20 avr. 2005, Assoc. « Triangle génération humanitaire », req. n o 267416 , Rec. CE, table, p. 718). Lire la mise à jour 32. Constantes du contrôle de l'excès de pouvoir. Des éléments de légalité interne. Erreur de droit : refus d'inscription à l'université et procédure disciplinaire. - Constitue une erreur de droit le fait pour une université de refuser l'inscription d'un étudiant au seul motif qu'il fait l'objet d'une procédure disciplinaire (CE 6 mars 2009, M. N., req. n o 305338, AJDA 2009. 458). 33. L'erreur de droit peut également consister en la mise en oeuvre d'une norme invalide. Ainsi, lorsqu'un décret est pris sur la base d'une loi contraire au droit européen, il convient d'écarter cette loi et les décisions prises sur la base de ce décret se retrouvent dépourvues de base légale (CE, ass., 30 nov. 2001, Min. de la Défense c/ Diop, req. n o 212179 , Rec. CE, p. 605, concl. Jean COURTIAL, AJDA 2001. 1039, chron. M. Guyomar et P. Collin ; CE 7 juin 2006, Assoc. AIDES et autres, req. n o 285576 , Rec. CE, p. 282, AJDA 2006. 2233, note H. Rihal ). 34. Il peut enfin arriver que la norme servant de motif de droit à l'acte existe, soit valide, mais ait été mal interprétée par l'auteur de l'acte. Il en va ainsi lorsque le garde des Sceaux s'est à tort cru lié par un avis du Conseil supérieur de la magistrature alors même qu'il s'agissait, à propos de la discipline des magistrats du parquet, d'un avis simple (CE, sect., 20 juin 2003, Stilinovic, req. n o 248242 , Rec. CE, p. 258, concl. F. Lamy, AJDA 2003. 1334, chron. F. Donnat et D. Casas ). § 3 - Exactitude matérielle des faits 35. Cet élément du contrôle n'a été consacré de manière solennelle qu'en 1916 (V. sur la situation antérieure, CE 18 mars 1910, Sieur Hubersen, Rec. CE, p. 259) avec l'arrêt Camino où le Conseil d'État censure les décisions de suspension puis de révocation d'un maire au motif qu'« il lui appartient […] de vérifier la matérialité des faits qui ont motivé ces mesures » et que le motif tiré de ce que le maire n'ait pas veillé « à la décence d'un convoi funéraire auquel il assistait, repose sur des faits et des allégations dont les pièces versées au dossier établissent l'inexactitude » (CE 14 janv. 1916, Camino, Rec. CE, p. 15, GAJA, n o 30). Le commissaire du gouvernement L'HÔPITAL estimait déjà plus d'un demi-siècle plus tôt que « si […] le Conseil d'État n'entrait pas dans l'examen du fait, le droit qui appartient à chacun de lui déférer, pour être corrigés, tous les excès sinon tous les abus de pouvoirs en matière administrative, serait illusoire et […] le recours ne s'exercerait pas utilement » (concl. sur CE 19 juill. 1860, Port de Bercy, Rec. CE, p. 563). La vérification de la matérialité des faits est effectivement une véritable nécessité. Sans doute sa consécration a-t-elle été longtemps contrariée par l'idée suivant laquelle le juge de l'excès de pouvoir n'est que le juge du droit à l'inverse du juge de plein contentieux, juge du droit et du fait. 36. L'erreur de fait est rarement constatée par le juge administratif, cette faible fréquence ne signifiant probablement pas qu'il fasse preuve de retenue mais bien davantage que l'administration ne se fonde généralement que sur des faits avérés (V. pour des censures significatives, CE, sect., 27 avr. 1988, Sté Revlon, Rec. CE, p. 169, AJDA 1988. 543, concl. Olivier VAN RUYMBEKE ; CE 7 avr. 1993, Ville de la Courneuve, req. n o 133651 , Rec. CE, p. 100). 37. La frontière entre inexactitude matérielle des faits et défaut de qualification juridique desdits faits est parfois ténue (V. Motifs [contrôle des]). § 4 - Détournement de pouvoir ou de procédure 38. Pour reprendre la définition classique de Maurice HAURIOU (qui n'a d'ailleurs fait que développer celle proposée par Léon AUCOC dès la fin des années 1860), « le détournement de pouvoir est le fait d'une autorité administrative qui, tout en accomplissant un acte de sa compétence, tout en observant les formalités prescrites, tout en ne commettant aucune violation formelle de la loi, use de son pouvoir pour des motifs autres que ceux en vue desquels ce pouvoir lui a été conféré, c'est-àdire autres que la sauvegarde de l'intérêt général et le bien du service » (Précis de droit administratif, 11 e éd., préc., p. 419). HAURIOU y voyait, conception aujourd'hui peu suivie, un contrôle de « moralité administrative » bien plus que de stricte légalité (V. égal., sur ce thème, H. W ELTER, Le contrôle juridictionnel de la moralité administrative. Étude de doctrine et de jurisprudence, thèse, Nancy, 1929). En tout état de cause, le juge y contrôle le but poursuivi par l'administration, les mobiles de l'acte. Et l'on distingue classiquement deux types de détournement de pouvoir : ceux où l'autorité administrative a poursuivi un but d'intérêt privé et ceux où elle a poursuivi un but d'intérêt public différent que celui justifiant le pouvoir qu'elle a mis en oeuvre. 39. La première variante est illustrée par des exemples célèbres, qu'on songe à la fermeture par un maire d'un établissement de danse afin qu'il ne fasse plus concurrence à son débit de boisson (CE 14 mars 1934, Delle Rault, Rec. CE, p. 337) ou encore à l'expropriation destinée à permettre l'installation d'un centre hippique privé (CE 4 mars 1964, Veuve Borderie, Rec. CE, p. 157, AJDA 1964. 624, obs. P. L.). 4 0 . La seconde variante est également richement illustrée. L'arrêt Pariset (CE 26 nov. 1875, Rec. CE, p. 934, GAJA, n o 4, Grandes décisions, p. 724), considéré sans doute à tort comme le premier arrêt de principe en la matière (V. auparavant, CE 25 févr. 1864, Lesbats, Rec. CE, p. 209, concl. L'Hôpital), est à cet égard exemplaire. Le juge y censure la décision préfectorale de fermeture d'une fabrique d'allumettes, cette utilisation des pouvoirs de police des établissements dangereux étant en fait justifiée par des considérations financières (éviter d'user de la procédure d'expropriation afin de tirer toutes les conséquences d'un monopole établi par le législateur). 41. Alors qu'on avait pu lui prédire une grande destinée (HAURIOU écrivait ainsi, sous le titre « puissance de développement du détournement de pouvoir », que ce dernier « en est à ses débuts ; il a devant lui le champ immense du pouvoir discrétionnaire ou du pouvoir d'appréciation de l'administration », Précis de droit administratif, 11 e éd., préc., p. 424), on constate un grand décalage entre la fréquence de l'invocation du détournement de pouvoir par les requérants (très souvent) et celle de sa reconnaissance par le juge de l'excès de pouvoir (très rarement). Cette situation ne s'explique sans doute pas uniquement par une certaine retenue du juge (que l'on peut parfois regretter, V. CE, sect., 5 nov. 2003, Assoc. pour la protection des animaux sauvages et association « Convention vie et nature pour une écologie radicale », req. n os 258777 et 259021, Rec. CE, p. 440, concl. F. Lamy, AJDA 2003. 2253, chron. F. Donnat et D. Casas , RD rur., janv. 2004, p. 32, obs. M. Gautier), une censure pour un tel vice étant infâmante pour l'administration, mais bien davantage par la difficulté d'en apporter la preuve et par le fait que le juge lui préfère souvent des moyens d'annulation plus faciles à justifier. 42. Faut-il faire une place à part au détournement de procédure (pour un exemple, V. CE 29 juin 2005, Cne de Saint-Clémentde-Rivière, req. n o 265958 , Rec. CE, p. 261), hypothèse où l'administration met en oeuvre une procédure plutôt qu'une autre afin d'éviter les contraintes de cette dernière (par exemple lorsqu'elle supprime un emploi pour pouvoir licencier un agent public plutôt que d'engager une procédure disciplinaire afin de le révoquer) ? La question est très controversée et rétive à toute systématisation entièrement satisfaisante, ne serait-ce que parce que comme le relevait le président ODENT on peut soutenir que « le détournement de procédure entache […] à la fois la légalité externe et la légalité interne de la décision prise » (Contentieux administratif, préc., p. 2029). Il nous semble toutefois, même s'il est exact que la jurisprudence use de l'expression détournement de procédure (la chose ayant, comme souvent, précédé le mot et HAURIOU ayant une fois encore scruté la jurisprudence avec attention. V. sa note sous CE 14 févr. 1902, Lalaque, S. 1903. III. 97), que la position défendue par René CHAPUS est intellectuellement la plus satisfaisante : « ou bien l'autorité administrative a cru, à tort mais de bonne foi, qu'elle était en droit de mettre en oeuvre la procédure qu'elle a choisie et sa décision est entachée d'erreur de droit ; ou bien, elle a voulu, grâce à la procédure choisie, se soustraire à ces contraintes auxquelles l'exposait la procédure qu'elle savait être la seule adéquate, et il y a détournement de pouvoir » (Droit administratif général, t. 1, préc., n o 1245). Section 2 - Variable du contrôle de l'excès de pouvoir : les degrés du contrôle des motifs 43. La question ici étudiée a donné lieu à des analyses particulièrement raffinées et souvent très séduisantes (V. ainsi, Motifs [contrôle des]). Y est en cause ce que l'on nomme indifféremment les « niveaux de contrôle du juge de l'excès de pouvoir » (S. DAËL, Contentieux administratif, 2006, PUF, p. 179), « l'étendue du contrôle juridictionnel » (R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, préc., n o 1247) ou encore son « intensité » (B. SEILLER, Droit administratif 2. L'action administrative, 2 e éd., 2005, Flammarion, p. 231). 44. Cette problématique complexe nous semble souvent obscurcie par deux facteurs. Le premier est que les auteurs parlent rarement le même langage, utilisent au contraire régulièrement les mêmes expressions pour désigner des choses différentes, voire usent de formules surprenantes (tel est le cas de l'expression contrôle « infra-minimum » qui est une contradiction terme à terme car comme le souligne Jean-François LACHAUME « en dessous du minimum il n'y a plus rien », Grandes décisions, p. 732). Le second est que l'on s'obstine trop souvent à raisonner sur ce point à l'aide de la dichotomie pouvoir discrétionnaire/compétence liée (peut-être sous l'influence allemande). Or, comme l'a parfaitement démontré Gérard TIMSIT, le pouvoir discrétionnaire s'oppose en fait à la compétence réglementée dont la compétence liée n'est qu'un sous-ensemble somme toute marginal et sans effet majeur sur la question ici étudiée (Compétence liée et principe de légalité, D. 1964, chron. 217). Dès lors, confronté à une question relative aux motifs (il convient d'ailleurs ici de distinguer en toute rigueur la qualification juridique des faits de l'adéquation de l'objet de l'acte à ses motifs), le juge a le choix entre contrôler et ne pas contrôler. Dans le second cas, c'est-à-dire celui de l'absence de contrôle (V. infra, n os 46 et s.), le contrôle sera dit minimum (il ne portera que sur les éléments évoqués dans la Section 1 de cette étude) et c'est seulement dans cette hypothèse que l'on peut, selon nous, parler de pouvoir discrétionnaire. Ainsi, et à partir du moment où l'on considère que le pouvoir discrétionnaire désigne une liberté de décision, l'idée même d'un contrôle du pouvoir discrétionnaire est un non-sens. Soit l'on ne contrôle pas, et le pouvoir est discrétionnaire, soit on contrôle et il ne l'est pas (sans pour autant que l'administration soit en situation de compétence liée). Dans ce dernier cas, existent trois degrés de contrôle : le contrôle restreint (V. infra, n os 48 et s.), le contrôle entier (V. infra, n os 52 et s.) et enfin le contrôle maximum (V. infra, n os 54 et s.). 45. Le choix entre les différents niveaux de contrôle, même s'il est évidemment lié à la rédaction des normes de référence et à leur degré de précision, est aussi, et souvent, surtout un choix jurisprudentiel. Le juge administratif décide, suivant le type de questions, leur technicité ou encore leur caractère plus ou moins sensible, s'il souhaite laisser les coudées franches à l'administration ou au contraire encadrer plus strictement son activité normative. Et il peut, à propos d'un même acte, opérer sur certains points un type de contrôle et sur d'autres un contrôle différent (il réalise, par exemple, un contrôle entier sur le caractère fautif des agissements reprochés aux agents publics et un contrôle restreint sur la sanction qui leur est infligée). Il lui est également loisible de contrôler différemment la réponse à une même question suivant qu'elle est positive ou négative (contrôle entier du refus de permis de construire justifié par le respect du caractère des lieux avoisinants ; contrôle restreint du respect de cette exigence par un permis). Pour le dire avec l'élégance de Bertrand SEILLER, « à l'image du Nautilus pompilius, céphalopode marin disposant de ballasts pour choisir la profondeur où il se laisse dériver, le juge administratif actionne le levier de la qualification juridique pour approfondir son contrôle » (Droit administratif, t. 2, préc., p. 234). La meilleure preuve de la marge de manoeuvre du juge est d'ailleurs fournie par le caractère évolutif de son contrôle (par exemple lorsque le juge décide de substituer le contrôle entier au contrôle restreint). On constate en effet depuis les années 1960 le développement régulier de ce contrôle (B. PACTEAU, Le juge de l'excès de pouvoir et les motifs de l'acte administratif, travaux et recherches de la Faculté de droit et de science politique de l'Université de Clermont I, 1977, p. 135 et s.), évolution désormais stimulée sur de nombreuses questions par le droit européen, qu'il s'agisse du droit européen des droits de l'homme (V. Convention européenne des droits de l'homme et contentieux administratif) ou du droit communautaire (V. Droit de l'Union et des Communautés européennes et contentieux administratif). Art. 1 - Absence de contrôle 46. C'est ici que se niche le pouvoir discrétionnaire de l'administration. Le juge administratif va laisser à cette dernière, sur une question de qualification juridique des faits ou d'adéquation de l'objet de l'acte à ses motifs, une totale liberté. 47. Les exemples les plus connus sont sans doute les suivants. Ne sont pas contrôlés par le juge : l'appréciation faite par le jury d'un examen ou d'un concours de la valeur d'une copie (CE 20 mars 1987, Gambus, Rec. CE, p. 100, AJDA 1987. 550, obs. X. Prétot ; CE 16 mai 2001, De Nale, Rec. CE, p. 236) ; l'appréciation de l'éminence des mérites d'un postulant à la Légion d'honneur (CE 10 déc. 1986, Loredon, Rec. CE table, p. 516, AJDA 1987. 91, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre) ; le choix du mode de gestion d'un service public (CE 27 nov. 2002, Sté d'intérêt collectif agricole d'électricité de la région de Péronne, req. n o 246764 , JCP A, 2003, 1085, note Jacques Moreau) et du délégataire éventuel dudit service public (CE, ass., 16 avr. 1986, Compagnie luxembourgeoise de télévision, Rec. CE, p. 97, RD publ. 1986, p. 847, concl. O. Dutheillet de Lamothe, AJDA 1986. 284, chron. M. Azibert et M. Fornacciari, D. 1987. 97, note F. Llorens, JCP 1986. 20617, note M. Guibal) ; le choix présidentiel d'octroyer une amnistie individuelle (CE 31 janv. 1986, Legrand, Rec. CE, p. 23, AJDA 1986. 396, obs. L. Richer) ou de faire fleurir une tombe (CE 27 nov. 2000, Assoc. Comité Tous Frères, req. n o 188431 , Rec. CE, p. 559). Art. 2 - Contrôle restreint 48. Cette variante du contrôle consiste en la vérification que la qualification retenue par l'administration ou que l'adéquation de l'objet de l'acte à ses motifs n'est pas manifestement erronée ou, pour reprendre une terminologie plus récente et probablement plus explicite, ne souffre pas d'une disproportion manifeste (CE, sect., 1 er févr. 2006, Touzard, req. n o 271676 , Rec. CE, p. 38). L'idée de base est que le juge y opère un contrôle souple de proportionnalité. L'acte n'est sanctionné que s'il apparaît très nettement qu'il est disproportionné. C'est ce que l'on nomme classiquement depuis les années 1960 (CE, sect., 15 févr. 1961, Lagrange, Rec. CE, p. 121) le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, parfait exemple de réception en droit français d'une technique venue d'ailleurs (V. R. ERRERA, The use of comparative law before the french administrative law courts,in G. CANIVET, M. ANDENAS et D. FAIRGRIEVE, dir., Comparative law before the courts,The british institute of international and comparative law, 2004, p. 153). Si la notion d'erreur manifeste d'appréciation est faussement évidente à cerner (ce qui est manifeste pour les uns ne l'étant pas nécessairement pour les autres), on la présente classiquement comme une « une erreur grossière, flagrante, repérable par le simple bon sens, et qui entraîne une solution choquante dans l'appréciation des faits par l'autorité administrative » (A. VAN LANG, G. GONDOUIN et V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif, Armand Colin, 4 e éd., 2005, p. 140 ; pour une illustration jurisprudentielle éclairante, CE 18 oct. 2006, T., req. n o 281970 , AJDA 2006. 2199 ). 49. Le développement de l'erreur manifeste a permis de dépasser l'alternative entre absence de contrôle et contrôle entier qui freinait l'extension du champ d'intervention du juge. Car si ce dernier souhaitait ne pas laisser à l'administration une totale latitude de choix sur un certain nombre de questions, il ne jugeait pas opportun de les contrôler trop en profondeur. L'erreur manifeste d'appréciation est dès lors un bon compromis garantissant une certaine marge de manoeuvre à l'autorité administrative. On ne s'étonnera donc pas qu'elle soit fréquemment utilisée en matière de droit de la fonction publique ou encore en droit de l'urbanisme. 50. Les cas de contrôle restreint sont surabondants. On signalera quelques exemples significatifs : les nominations dans la fonction publique au tour extérieur (CE, ass., 16 déc. 1988, Assoc. générale des administrateurs civils c/ Dupavillon, Rec. CE, p. 449, concl. C. Vigouroux, AJDA 1989. 102, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre, RFDA 1989. 522, concl. C. Vigouroux, p. 532, note A. Baldous et J.-P. Négrin, p. 536, note F. Dietsch) ou par voie d'intégration directe (CE, sect., 30 déc. 2003, Mocko, req. n o 243943 , Rec. CE, p. 535, AJDA 2004. 206, chron. F. Donnat et D. Casas ) ; le choix de la sanction infligée à un agent public fautif (CE, sect., 9 juin 1978, Rec. CE, p. 245, AJDA 1978. 573, concl. B. Genevois et note S. S., D. 1978, IR 361, obs. P. Delvolvé, D. 1979. 30, note B. Pacteau, JCP 1979. II. 19159, note S. Rials, Rev. adm. 1978. 634, note F. Moderne, RD publ. 1979. 227, note J.-M. Auby) ; le zonage d'un plan d'urbanisme (CE, sect., 23 mars 1979, Cne de Bouchemaine, Rec. CE, p. 127, concl. D. Labetoulle) ; le choix entre un régime de rejet ou d'acceptation implicite des demandes adressées à l'administration (CE 27 juill. 2005, Sté Arbed, req. n o 264913 , Rec. CE, p. 341) ; la décision préfectorale autorisant la création d'une communauté de communes (CE 9 mai 2005, Min. de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales c/ Cne de SaintCyr-en-Val, req. n o 258441 , Rec. CE, p. 188) ; la fixation d'une limite d'âge pour passer un concours (CE 1 er mars 2006, Synd. parisien des administrations centrales économique et financière, req. n o 268131, Rec. CE, p. 105). Lire la mise à jour 50. Avis non conforme du CSM sur la nomination d'un magistrat. Contrôle du juge. - Le Conseil d'État exerce un contrôle restreint sur un avis non conforme du Conseil supérieur de la magistrature à la nomination d'un magistrat du siège (CE 29 oct. 2013, Vidon, req. n o 346569 , AJDA 2013. 2183, obs. de Montecler ). Contrôle du juge de l'excès de pouvoir sur les fautes reprochées à un agent public et sur les sanctions disciplinaires. Abandon de jurisprudence. - L'assemblée du contentieux du Conseil d'État a abandonné la jurisprudence Lebon (CE, sect., 9 juin 1978, req. n o 05911 , Lebon 245) suivant laquelle le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation sur les sanctions infligées aux fonctionnaires. Le juge doit désormais exercer un contrôle entier sur la proportionnalité de la sanction infligée au fonctionnaire avec la faute commise (CE, ass., 13 nov. 2013, Dahan, req. n o 347704 , AJDA 2013. 2228 ; AJDA 2013. 2432, chron. Bretonneau et Lessi ; D. 2013. 2699, obs. de Montecler ; AJFP 2014. 5, concl. Keller , note Fortier ; RFDA 2013. 1175, concl. Keller ). Révocation pour des actes commis hors du service. Application de la jurisprudence « Dahan ». - Faisant application de la jurisprudence « Dahan » (préc.), le juge d'appel considère qu'un agent peut être révoqué pour des faits commis en dehors de l'exercice de ses fonctions qui, en raison de leur extrême gravité, sont incompatibles avec la qualité de fonctionnaire (CAA Douai, 23 janv. 2014, req. n o 13DA00721 , AJDA 2014. 1469 ; AJFP 2014. 233 ). 51. Contrairement à la plupart des auteurs qui persistent à y voir une hypothèse de « plein contrôle de proportionnalité » (R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, préc., n o 1264), nous considérons que le contrôle dit du « bilan coûtsavantages » est une forme particulière de contrôle restreint. Développée à propos du contrôle des déclarations d'utilité publique exigées en matière d'expropriation, cette technique repose sur l'idée suivant laquelle « une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente » (CE, ass., 28 mai 1971, « Ville Nouvelle Est », Rec. CE, p. 409, concl. G. Braibant, GAJA n o 88, Grandes décisions, p. 749). Il ne s'agit toutefois pas, contrairement aux apparences, d'une exigence de stricte proportionnalité. Autrement dit, l'utilité publique ne sera pas niée si les inconvénients de l'opération sont légèrement supérieurs à ses avantages. Bien au contraire, le juge se contente d'opérer en la matière « un contrôle restreint inavoué » (Patrick W ACHSMANN, Un bilan du bilan en matière d'expropriation. La jurisprudence Ville Nouvelle Est, trente ans après, in Liber amicorum Jean Waline, 2002, Dalloz, p. 733). Le juge ne fait d'ailleurs que suivre la voie prônée par Guy BRAIBANT en 1971 : « c'est seulement au-delà d'un certain seuil, dans le cas d'un coût social et financier anormalement élevé, et dépourvu de justifications, que vous devrez intervenir. Ce qui importe, c'est que votre contrôle permette de censurer les décisions arbitraires, déraisonnables ou mal étudiées, et qu'il oblige des collectivités, à présenter aux administrés d'abord, et ensuite, le cas échéant, au juge, des justifications sérieuses et plausibles de leurs projets » (concl. précitées, p. 422). Dès lors, « il est loisible d'affirmer qu'à la différence du contrôle maximum qui censure tout excès, seul l'excès est illégal dans la théorie du bilan » (B. SEILLER, Droit administratif, t. 2, op. cit., p. 238). On ne s'étonnera donc pas que rares soient les annulations prononcées sur ce fondement lorsque l'opération est de grande ampleur (V. toutefois, CE, ass., 28 mars 1997, Assoc. contre le projet de l'autoroute transchablaisienne, req. n o 170856 , Rec. CE, p. 120, RFDA 1997. 739, concl. M. Denis-Linton et p. 748, note F. Rouvillois , RD publ. 1997. 1433, note J. Waline ; CE, sect., 10 juill. 2006, Assoc. interdépartementale et intercommunale de protection du lac de Sainte-Croix, des lacs et sites du Verdon, JCP,éd. A, 2006. 1256, note P. Billet, RFDA 2006. 990, note M.-F. Delhoste ) et que l'on ait pu se plaider en faveur d'un contrôle beaucoup plus étendu dit de légalité extrinsèque qui intégrerait la comparaison entre la solution retenue par l'administration et les autres options envisageables, qu'on songe à la question du tracé d'une autoroute (B. SEILLER, Pour un contrôle de la légalité extrinsèque des déclarations d'utilité publique, AJDA 2003. 1472 ; pour une analyse nuancée de cette proposition, V. R. HOSTIOU, Théorie du bilan et contrôle de la légalité « extrinsèque » de la déclaration d'utilité publique, in Mélanges Jean-Claude Hélin, Litec, 2004, p. 355). Il nous semble que la retenue actuelle du juge (V. cep., pouvant peut-être s'interpréter comme un premier pas vers un tel contrôle, la rédaction de CAA Nantes, 27 sept. 2005, Savelli, RFDA 2006. 1000, concl. D. Artus et p. 1004, note G. Brovelli) est justifiée, lui évitant d'opérer des choix qui ne relèvent pas de sa compétence, mais de celle du pouvoir politique. Art. 3 - Contrôle entier 5 2 . Ce cas de figure, régulièrement appelé contrôle normal (la formule contrôle entier a notre préférence, le mot normal pouvant introduire l'idée suivant laquelle les autres degrés de contrôle sont « anormaux », ce qui n'est évidemment pas le cas), est utilisé que ce soit pour des questions de qualifications juridique des faits ou d'adéquation entre les motifs de l'acte et son objet (P.-L. FRIER et J. PETIT considèrent pour leur part qu'il n'est exercé qu'en matière de qualification juridique des faits, Précis de droit administratif, préc., n o 811). Le juge s'y assure que la qualification ou le choix de la mesure ont été correctement proportionnés par l'autorité administrative. Autrement dit, « la décision doit être en rapport exact avec les faits, qui doivent être exactement de nature à la justifier juridiquement » (R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, préc., n o 1256). Pour paraphraser la jurisprudence, le juge y vérifie que les faits sont de nature à justifier légalement la décision querellée. 5 3 . Un tel degré de contrôle est extrêmement courant. À titre d'illustrations on peut mentionner le fait de : vérifier si l'emplacement d'une construction projetée est compris dans une perspective monumentale et si cette construction serait de nature à la compromettre (CE 4 avr. 1914, Gomel, Rec. CE, p. 488, GAJA, n o 29, Grandes décisions, p. 743) ; contrôler le caractère fautif de l'agissement d'un fonctionnaire (CE, ass., 13 mars 1953, Teissier, Rec. CE, p. 133, GAJA, n o 71) ; contrôler un refus d'admission à concourir (CE, sect., 10 juin 1983, Raoult, Rec. CE, p. 251, AJDA 1983. 527, chron. B. Lasserre et J.M. DELARUE, RA, 1983. 370, note Bernard PACTEAU) ; vérifier une équivalence d'emploi (CE 29 avr. 1994, Cougrand, req. n o 105961 , Rec. CE, p. 219) ; s'assurer du caractère pornographique d'un film (CE, sect., 30 juin 2000, Assoc. promouvoir et époux Mazaudier, req. n o 222194 , Rec. CE, p. 265, concl. E. Honorat, AJDA 2000. 609, chron. M. Guyomar et P. Collin , RFDA 2000. 1282, note M. Canedo et p. 1311, note J. Morange) ; contrôler le refus d'approuver la convention constitutive d'un groupement d'intérêt public (CE 28 déc. 2005, Synd. mixte intercommunal du bassin de la Vesle, req. n o 268411 , Rec. CE, p. 603). Lire la mise à jour 53. Contrôle sur le report de l'entrée en vigueur d'un règlement de police sanitaire . - Le juge exerce un contrôle normal sur la durée du report de l'entrée en vigueur d'un règlement de police sanitaire (CE 23 oct. 2013, Assoc. Ban Asbestos France, req. n o 360731 , AJDA 2013. 2122 ). Art. 4 - Contrôle maximum 54. Contrairement au contrôle restreint ou au contrôle entier qui peuvent aussi bien porter sur la qualification juridique des faits que sur l'adéquation de l'objet de la décision à ses motifs, le contrôle maximum n'est envisageable qu'au sujet de cette seconde hypothèse. Pour reprendre la terminologie de Bertrand SEILLER, le juge n'y contrôle plus la « légalité intrinsèque » de l'acte mais sa « légalité extrinsèque ». Autrement dit, il vérifie si l'acte était le mieux adapté à la situation litigieuse et si n'existait aucune autre solution plus satisfaisante. La décision ne sera dès lors considérée comme légale que s'il apparaît au juge qu'elle était exactement nécessaire et qu'aucune mesure moins rigoureuse n'aurait suffi. Il s'agit donc bien d'un strict contrôle de proportionnalité. Si l'objet de la décision n'est pas exactement proportionné à ses motifs, l'acte est annulé. 55. Un tel contrôle est en particulier exercé en matière de police administrative générale et repose sur une logique clairement libérale. Puisque la liberté est la règle et la restriction de police l'exception selon la célèbre formule du commissaire du gouvernement CORNEILLE (concl. sur CE 17 août 1917, BALDY, Rec. CE, p. 637), une telle mesure n'est légale que si elle est indispensable. Dès lors qu'une solution moins liberticide aurait suffi pour garantir l'ordre public, la mesure est annulée. On cite souvent comme arrêt de principe l'arrêt Benjamin (CE 19 mai 1933, Rec. CE, p. 541, GAJA, n o 47, Grandes décisions, p. 324) où le Conseil d'État annule l'interdiction de conférences dans la mesure où « il résulte de l'instruction que l'éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l'ordre en édictant des mesures de police qu'il lui appartenait de prendre ». Il est intéressant de constater que cet arrêt n'avait pas en son temps été perçu comme une preuve de libéralisme, Achille MESTRE estimant au contraire qu'il pouvait »être versé au dossier de la crise du libéralisme » (S. 1934. III. 3). Lire la mise à jour 5 5 . Interdiction de stade à des supporters. Contrôle du juge. - Un arrêté interdisant l'accès au stade ne peut être fondé exclusivement sur l'appartenance à une association sans tenir compte du comportement des supporters (CE 8 nov. 2013, Olympique lyonnais, req. n o 373129 , AJDA 2013. 2472 ). Index alphabétique Avis 24, 34 conforme 18, 24 simple 18, 24 Co-auteur 19 Compétence liée 8, 44 Contrôle de conventionnalité 30 Contrôle entier V. Motifs (contrôle) Contrôle maximum V. Motifs (contrôle) Contrôle minimum V. Contrôle restreint Contrôle normal V. Contrôle entier Contrôle de proportionnalité V. Contrôle maximum Contrôle restreint Bilan coûts-avantages V. Motifs (contrôle) 51 Convention européenne des droits de l'homme Déclaration d'utilité publique (DUP) Défaut de base légale Délégation 31 15 Détournement de pouvoir V. Légalité interne Détournement de procédure V. Légalité interne Droits subjectifs 8 Erreur de droit V. Légalité interne Erreur de fait V. Exactitude matérielle des faits Erreur manifeste d'appréciation 51 45 V. Motifs (contrôle) Exactitude matérielle des faits V. Légalité interne Fonctionnaire de fait (théorie du) 17 Incompétence matérielle 15 moyen d'ordre public négative 19 temporelle 17 territoriale 16 Intérim 18 15 Légalité externe 13 s. incompétence 14 s. vice de forme 20 s. vice de procédure 22 s. Légalité interne 28 s. détournement de pouvoir 38 s. détournement de procédure 38 s., 42 erreur de droit 31 s. exactitude matérielle des faits 35 s. violation directe de la règle de droit 29 s. Motifs (contrôle) 43 s. absence 46 s. contrôle entier 52 s. contrôle maximum 54 s. contrôle restreint 48 s. erreur manifeste d'appréciation Police administrative 55 Pouvoir discrétionnaire Proposition 8, 41, 44, 46 24 Qualification juridique des faits Suppléance 48 s. 37, 44 s., 52, 54 15 Théorie des apparences 18 Vice de forme contreseing 21 motivation 21 moyen d'ordre public (absence) signature 21 27 Vice de procédure contradictoire 25 droits de la défense 25 moyen d'ordre public (absence) procédure collégiale 26 procédure consultative 24 27 Violation directe de la règle de droit V. Légalité interne Mise à jour 29. Principe de sécurité juridique. - Le Conseil constitutionnel n'a pas érigé le principe de sécurité juridique au rang de principe constitutionnel (Cons. const. 11 févr. 2011, n o 2010-102 QPC , AJDA 2011. 303, obs. Brondel ). 32. Constantes du contrôle de l'excès de pouvoir. Des éléments de légalité interne. Erreur de droit : refus d'inscription à l'université et procédure disciplinaire. - Constitue une erreur de droit le fait pour une université de refuser l'inscription d'un étudiant au seul motif qu'il fait l'objet d'une procédure disciplinaire (CE 6 mars 2009, M. N., req. n o 305338, AJDA 2009. 458). 50. Avis non conforme du CSM sur la nomination d'un magistrat. Contrôle du juge. - Le Conseil d'État exerce un contrôle restreint sur un avis non conforme du Conseil supérieur de la magistrature à la nomination d'un magistrat du siège (CE 29 oct. 2013, Vidon, req. n o 346569 , AJDA 2013. 2183, obs. de Montecler ). Contrôle du juge de l'excès de pouvoir sur les fautes reprochées à un agent public et sur les sanctions disciplinaires. Abandon de jurisprudence. - L'assemblée du contentieux du Conseil d'État a abandonné la jurisprudence Lebon (CE, sect., 9 juin 1978, req. n o 05911 , Lebon 245) suivant laquelle le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation sur les sanctions infligées aux fonctionnaires. Le juge doit désormais exercer un contrôle entier sur la proportionnalité de la sanction infligée au fonctionnaire avec la faute commise (CE, ass., 13 nov. 2013, Dahan, req. n o 347704 , AJDA 2013. 2228 ; AJDA 2013. 2432, chron. Bretonneau et Lessi ; D. 2013. 2699, obs. de Montecler ; AJFP 2014. 5, concl. Keller , note Fortier ; RFDA 2013. 1175, concl. Keller ). Révocation pour des actes commis hors du service. Application de la jurisprudence « Dahan ». - Faisant application de la jurisprudence « Dahan » (préc.), le juge d'appel considère qu'un agent peut être révoqué pour des faits commis en dehors de l'exercice de ses fonctions qui, en raison de leur extrême gravité, sont incompatibles avec la qualité de fonctionnaire (CAA Douai, 23 janv. 2014, req. n o 13DA00721 , AJDA 2014. 1469 ; AJFP 2014. 233 ). 53. Contrôle sur le report de l'entrée en vigueur d'un règlement de police sanitaire . - Le juge exerce un contrôle normal sur la durée du report de l'entrée en vigueur d'un règlement de police sanitaire (CE 23 oct. 2013, Assoc. Ban Asbestos France, req. n o 360731 , AJDA 2013. 2122 ). 55. Interdiction de stade à des supporters. Contrôle du juge. - Un arrêté interdisant l'accès au stade ne peut être fondé exclusivement sur l'appartenance à une association sans tenir compte du comportement des supporters (CE 8 nov. 2013, Olympique lyonnais, req. n o 373129 , AJDA 2013. 2472 ). 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