Recours pour excès de pouvoir (Moyens d`annulation)

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Recours pour excès de pouvoir (Moyens d`annulation)
Recours pour excès de pouvoir (Moyens d'annulation)
Recours pour excès de pouvoir (Moyens d'annulation)
Fabrice MELLERAY
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
janvier 2007 (dernière mise à jour : octobre 2014)
Table des matières
Généralités, 1 - 11
Section 1 - Constantes du contrôle de l'excès de pouvoir, 12 - 42
Art. 1 - Légalité externe, 13 - 27
§ 1 - Incompétence, 14 - 19
§ 2 - Vice de forme, 20 - 21
§ 3 - Vice de procédure, 22 - 27
Art. 2 - Des éléments de légalité interne, 28 - 42
§ 1 - Violation directe de la règle de droit, 29 - 30
§ 2 - Erreur de droit, 31 - 34
§ 3 - Exactitude matérielle des faits, 35 - 37
§ 4 - Détournement de pouvoir ou de procédure, 38 - 42
Section 2 - Variable du contrôle de l'excès de pouvoir : les degrés du contrôle des motifs, 43 - 55
Art. 1
Art. 2
Art. 3
Art. 4
- Absence de contrôle, 46 - 47
- Contrôle restreint, 48 - 51
- Contrôle entier, 52 - 53
- Contrôle maximum, 54 - 55
Bibliographie
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travaux, AJDA 1978. 82. - G. LEBRETON, L'origine des cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir d'après les
remontrances des Parlements au XVIIIe siècle, RD publ. 1986. 1599. - M. SAUSSEREAU, La cause de la demande a-t-elle
encore une place en contentieux administratif ? L'apport de la procédure civile à la réflexion, RD publ. 2003. 631.
A. CLAEYS, L'évolution de la protection juridictionnelle de l'administré au moyen du recours pour excès de pouvoir, thèse,
Poitiers, 2005, p. 789 et s. - D. RITLENG, Le contrôle de la légalité des actes communautaires par la Cour de Justice et le
Tribunal de première instance des communautés européennes, thèse, Strasbourg III, 1998. - M. SAUSSEREAU, Les
classifications des cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir. Essai d'analyse critique, thèse, Paris I, 2002.
Généralités
1. Le contentieux administratif en général, et le recours pour excès de pouvoir en particulier, ont connu en quelques années
des évolutions considérables. Il n'est ainsi pas excessif de célébrer le « nouveau juge administratif » (R. DRAGO, Un nouveau
juge administratif, in Mélanges Jean Foyer, 1997, PUF, p. 451) et de constater l'émergence et le développement d'un
« nouveau recours pour excès de pouvoir » (V. sur ce thème, not., A. CLAEYS, L'évolution de la protection juridictionnelle de
l'administré au moyen du recours pour excès de pouvoir, thèse, Poitiers, 2005, p. 1112 et s.). La classification de ce que l'on
nomme indifféremment les moyens d'annulation, les cas d'ouverture ou encore les cas de nullité des actes administratifs,
semble pourtant avoir été relativement épargnée par ces évolutions à l'inverse des autres chapitres de la matière. Elle peut
encore, sans grand dommage apparent, être enseignée aujourd'hui comme elle l'était il y a quelques décennies.
2. Il est vrai que le statut juridique de cette question est assez particulier. En effet, comme a pu le souligner le commissaire
du gouvernement THÉRY, « la classification des ouvertures du recours pour excès de pouvoir n'a pas en soi de valeur
normative ; elle ne s'impose pas aux justiciables ; ce n'est qu'un instrument d'analyse que le juge utilise pour dire le droit »
(concl. sur CE 14 nov. 1975, Synd. national de l'enseignement supérieur [FEN], Rec. CE, p. 578). Même si on la retrouve dans
la structuration des tables du Recueil Lebon aussi naturellement que dans la rédaction des différents jugements et autres
arrêts (le cas échéant, rendus par les juridictions judiciaires ; V. ainsi, A. VAN LANG, Juge judiciaire et droit administratif, 1996,
LGDJ, p. 158 et s.), la question est donc une problématique essentiellement doctrinale. Cela n'exclut évidemment pas, loin
s'en faut, qu'elle soit dénuée de toute portée pratique et qu'il s'agisse simplement d'une « distinction de professeurs, c'est-àdire une distinction que nous faisons pour la clarté de l'enseignement, mais qu'en réalité, ces distinctions sont un peu
factices » (M. W ALINE, note sous CE 20 juin 1958, Guimezanes et CE 25 juin 1958, Bilger, RD publ. 1959. 118). Il y a là une
différence notable avec le droit communautaire, les rédacteurs du Traité de Rome de 1957 s'étant, au contraire, efforcés de
codifier la présentation française dominante et d'ainsi lui conférer une valeur juridique solennelle dans l'ordre juridique
communautaire. L'actuel article 230 TCE dispose à cet égard que « la Cour est compétente pour se prononcer sur les recours
pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du présent traité ou de toute règle de droit relative à son
application, ou détournement de pouvoir » (V., sur la mise en oeuvre de cette disposition et sur le manque de formalisme du
juge communautaire en la matière, D. RITLENG, Le contrôle de la légalité des actes communautaires par la Cour de Justice et
le Tribunal de première instance des communautés européennes, thèse, Strasbourg III, 1998, p. 264 et s.). Il n'existe aucune
disposition équivalente dans le code de justice administrative ou dans tout autre texte législatif ou même réglementaire
applicable en droit français. Une telle absence est d'autant plus notable que les législations d'autres États européens, s'étant
inspirés sur ce point du droit français, opèrent une énumération de cas d'ouverture comparables, voire identiques (V. sur les
cas de la Belgique, de la Grèce et de l'Italie, M. FROMONT, Droit administratif des États européens, 2006, PUF, p. 198).
3 . L'objet de cette rubrique est donc, sans rentrer dans le détail technique des différents moyens d'annulation étudiés de
manière approfondie dans le présent Répertoire (V. Détournement de pouvoir et de procédure, Incompétence, Motifs
[contrôle des], Vice de forme, Vice de procédure, Violation de la règle de droit), de tenter de cerner la logique d'ensemble
de leur articulation, de leur agencement et de proposer un certain nombre de définitions afin de faciliter le repérage du lecteur
entre ces différents cas d'ouverture (étant précisé que toute illégalité entraîne une faute quel que soit le cas d'ouverture en
cause ; V. sur ce point, B. DELAUNAY, La faute de l'administration, thèse, Paris II, 2006, n os 189 et s.).
4. La date de naissance du recours pour excès de pouvoir faisant l'objet d'une controverse classique et encore vivace entre
historiens du droit (V., en dernier lieu, la mise au point de J.-L. MESTRE, L'arrêt Landrin, acte de naissance du recours pour
excès de pouvoir ?, RFDA 2003. 211
), celle des différents moyens d'annulation est, par voie de conséquence, tout aussi
incertaine. Suivant que l'on affirme qu'il est apparu sous l'Ancien Régime (V., par ex., P. LAMPUÉ, Le développement historique
du recours pour excès de pouvoir depuis ses origines jusqu'au début du XXe siècle, RISA 1954. 359 ; J.-L. MESTRE, Un droit
administratif à la fin de l'Ancien Régime : le contentieux des communautés de Provence, 1976, LGDJ, p. 61 et s.), en 1818
(P. LANDON, Le recours pour excès de pouvoir sous le régime de la justice retenue, thèse, Paris, 1942, p. 15 et s.) ou en 1826
(P. SANDEVOIR, Études sur le recours de pleine juridiction, 1964, LGDJ, p. 256 et s. ; F. BURDEAU, Histoire du droit
administratif, 1995, PUF, p. 167 et s. ; G. BIGOT, Introduction historique au droit administratif depuis 1789, 2002, PUF, p. 113),
il va de soi que l'on est logiquement amené à également dater différemment la naissance des moyens d'annulation. Seule la
première de ces trois options donne ainsi tout son sens à la recherche de L'origine des cas d'ouverture du recours pour excès de
pouvoir d'après les remontrances des Parlements au XVIIIe siècle (titre d'une étude de G. LEBRETON, RD publ. 1986. 1599) ou à
des développements sur une période encore plus ancienne (K. W EIDENFELD, Les origines médiévales du contentieux
administratif [XIVe-XVe siècles], 2002, de Boccard, p. 47 et s.).
5. Cette intéressante discussion ne doit, toutefois, pas faire oublier ce qui est peut-être l'essentiel. Le recours pour excès de
pouvoir ne s'est véritablement émancipé de ce que l'on nomme désormais indifféremment le recours de plein contentieux ou
de pleine juridiction que sous le Second Empire, le décret du 2 novembre 1864 (qui le dispense du ministère d'avocat)
achevant et précipitant tout à la fois cette autonomisation. Dès lors, il devient moins nécessaire de déterminer avec
exactitude la date d'apparition des différents moyens d'annulation si l'on admet que le recours pour excès de pouvoir ne naît
véritablement dans sa version moderne qu'à cette époque-là. Le juge administratif décide alors pour des motifs politiques
d'abandonner la « théorie du scandale » au profit de la « théorie de la régulation » suivant les formules de Pierre LANDON. Il
transforme ce recours à la nature juridictionnelle incertaine, ne servant jusqu'à ce moment-là qu'à sanctionner les irrégularités
les plus grossières et les plus choquantes, en une action en justice permettant de censurer les actes administratifs
unilatéraux pour des illégalités d'une gravité très variable.
6 . C'est donc fort logiquement à cette époque que sont apparues les premières classifications détaillées des moyens
d'annulation. Et, comme en matière de distinction des contentieux (F. MELLERAY, Essai sur la structure du contentieux
administratif français, 2001, LGDJ, p. 36 et s.), c'est Édouard LAFERRIÈRE qui va développer les analyses d'un autre membre
du Conseil d'État, Léon AUCOC (V. not., les concl. de ce dernier sur CE 23 mars 1867, Bizet, Rec. CE, p. 275 : « L'excès de
pouvoirs résulte donc à vos yeux de l'incompétence, de la violation des formes substantielles, et de l'usage d'un pouvoir dans
un but différent de celui que le législateur se proposait d'atteindre »), et passer à la postérité comme « l'inventeur » de la
première grande typologie (V., pour une étude détaillée, P. GONOD, É. LAFERRIÈRE, Un juriste au service de la République,
1997, LGDJ, p. 209 et s.). Après avoir montré comment les différents cas d'ouverture sont, selon lui, successivement apparus
(l'incompétence, puis le vice de forme, puis la violation de la loi et enfin le détournement de pouvoir, la discussion étant
toutefois ouverte sur l'ordre d'apparition des deux derniers) dans un « historique du recours pour excès de pouvoir en
matière administrative » (Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t. II, 1 re éd., 1888, Berger-Levrault,
p. 372 et s.), LAFERRIÈRE les étudie longuement. Par incompétence, il entend « l'inaptitude légale d'une autorité
administrative à prendre une décision, à faire un acte compris dans ses attributions » (p. 468). Quant au vice de forme, « il
consiste dans l'omission ou dans l'accomplissement incomplet ou irrégulier des formalités auxquelles un acte administratif est
assujetti par les lois et règlements » (p. 492). La violation de la loi est ensuite présentée, LAFERRIÈRE précisant qu'elle « n'est
un moyen d'annulation que si elle constitue en même temps une atteinte à un droit » (p. 506). Quant au détournement de
pouvoir, il « consiste à détourner un pouvoir légal du but pour lequel il a été institué, à le faire servir à des fins auxquelles il
n'est pas destiné » (p. 521).
7. Cette classification quadripartite sera rapidement reprise par les auteurs. Les écrits de Maurice HAURIOU sont à cet égard
très révélateurs (même si une analyse détaillée amènerait à distinguer entre son Précis de droit administratif et ses notes de
jurisprudence), qu'on compare la première édition de son Précis à la dernière publiée de son vivant trente-cinq ans plus tard
(M. HAURIOU, Précis de droit administratif contenant le droit public et le droit administratif, 1892, Larose et Forcel, p. 175 et
Précis de droit administratif et de droit public, 11 e éd., 1927, Sirey, p. 414). Autant la pensée d'HAURIOU s'est avérée
particulièrement mouvante sur nombre de questions, autant elle est ici très largement constante. Et la plupart des auteurs
n'approfondissent pas davantage les problèmes logiques et théoriques inhérents à toute entreprise classificatrice et donc à
celle des moyens d'annulation, se contentant d'offrir un tableau souvent raffiné de la jurisprudence (une version
particulièrement aboutie est proposée par R. ALIBERT, Le contrôle juridictionnel de l'administration au moyen du recours pour
excès de pouvoir, 1926, Payot, p. 191 et s.). Les principales faiblesses de cette construction quadripartite sont toutefois
rapidement apparues. Toute illégalité ne constitue-t-elle pas in fine une forme d'incompétence (cela a notamment été soutenu
avec force à propos du détournement de pouvoir. V. ainsi, l'ouvrage préc. d'ALIBERT, p. 236) ? Ne peut-on mener un
raisonnement comparable au sujet de la violation de la loi (V. en ce sens Maurice HAURIOU, note sous CE 4 avr. 1914, Gomel,
S. 1917. III. 25, « bientôt, si cela continue, le recours pour excès de pouvoir devra changer de nom et s'appeler le recours
pour violation de la loi ou pour contrôle de la légalité, car toutes les variétés de l'excès de pouvoir, l'incompétence, la violation
des formes, le détournement de pouvoir lui-même, auront été ramenées à des variétés de violation de la loi » ; J. APPLETON,
Traité élémentaire du contentieux administratif, 1927, Dalloz, p. 592) ? Cette dernière (la condition d'une atteinte à des droits
acquis sera rapidement abandonnée) présente-elle une véritable unité ou constitue-t-elle simplement une catégorie « fourretout » permettant de réunir toutes les questions ne rentrant pas dans les trois autres catégories (V. G. VEDEL et
P. DELVOLVÉ, Droit administratif, t. 2, 12 e éd., 1992, PUF, p. 312) ? Plus fondamentalement, existe-t-il un critère permettant de
distinguer les différents cas d'ouverture ou sont-ils bien davantage juxtaposés qu'ordonnés logiquement (ce qui aboutirait à
ce qu'il ne s'agisse pas d'une classification au sens le plus strict) ? Bref, et comme le soutiendra François GAZIER en 1951,
« chacun sent, le praticien comme le juge et comme le professeur, combien cette énumération est aujourd'hui imparfaite »
(Essai de présentation nouvelle des ouvertures du recours pour excès de pouvoir en 1950, EDCE, n o 5, 1951, p. 77).
8. C'est donc dans un contexte doctrinal critique que Roger BONNARD, s'inscrivant dans le cadre de la rénovation de la théorie
de l'acte juridique opérée par son maître Léon DUGUIT et plus largement par l'École de Bordeaux, va proposer une
classification de nature plus théorique (V., pour une étude exhaustive de la pensée de BONNARD, B. NOYER, Essai sur la
contribution du doyen Bonnard au droit public français. Étude d'une étape de la participation de l'École de Bordeaux à la
construction de l'État de Droit, thèse, Bordeaux I, 1984). Elle repose en effet sur une décomposition de l'acte administratif
unilatéral. À chaque élément de l'acte administratif correspond une condition de légalité. BONNARD expose tout d'abord sa
conception dans un article publié en 1923 et consacré au pouvoir discrétionnaire et aux conditions de son contrôle (Le pouvoir
discrétionnaire des autorités administratives et le recours pour excès de pouvoir, RD publ. 1923. 363). Tout le problème est
alors, suite à une période de développement du contrôle juridictionnel, de déterminer où se niche le pouvoir discrétionnaire et
de montrer « qu'il n'y a pas dans les récents développements du recours pour excès de pouvoir vis-à-vis du pouvoir
discrétionnaire une déformation de ce recours » (p. 366). Autrement dit, il s'agit de mettre en évidence que l'on reste dans les
limites du contrôle de légalité sans déborder sur le contrôle de l'opportunité. BONNARD va pour ce faire opérer une
décomposition de l'acte juridique en différents éléments (motifs, objet, but) et démontrer, jurisprudence à l'appui, qu'il n'y a, le
cas échéant, de pouvoir discrétionnaire qu'à propos des motifs de l'acte et plus précisément de l'adéquation entre ces
derniers et l'objet de l'acte. Il va ensuite, mais seulement après la mort de son maître DUGUIT dont on sait qu'il était un
détracteur acharné de la notion de droit subjectif, systématiser sa présentation et l'intégrer dans sa théorie des droits publics
subjectifs qui constitue une forme d'adaptation en droit français de problématiques allemandes (V. sur la réception des thèses
subjectivistes en France, N. FOULQUIER, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d'un concept en droit
administratif français du XIXe au XXe siècle, 2003, Dalloz). Son Précis de droit administratif est à cet égard très révélateur
(4 e éd., 1943, LGDJ). Les cas d'ouverture y sont étudiés dans un chapitre consacré aux droits publics subjectifs, plus
précisément dans un article intitulé « les droits subjectifs des administrés à la légalité des actes administratifs ». BONNARD y
distingue cinq droits qui correspondent aux composantes de l'instrumentum (le contenant) et du negotium (le contenu) de
l'acte administratif. Existent ainsi, selon lui : « 1 o Le droit à la compétence qui est le droit à ce que l'acte soit accompli par
l'agent auquel la compétence a été attribuée par la loi ou le règlement ; 2 o Le droit aux formes qui est le droit à ce que les
formes et procédures prescrites soient suivies ; 3 o Le droit au motif qui est le droit à ce qu'un acte ait un motif ayant une
existence à la fois matérielle et légale ; 4 o Le droit à l'objet qui est le droit à ce que l'acte ait un certain contenu pour autant,
tout au moins, qu'il y a compétence liée, car ce droit n'existe pas lorsque la compétence est discrétionnaire ; 5 o Le droit au but
qui est le droit à ce que l'acte poursuive le but qui lui est imposé » (Précis de droit administratif, 4 e éd., op. cit.,p. 97).
BONNARD en déduit alors logiquement qu'« à chaque ordre de condition de légalité correspond une catégorie d'illégalités.
C'est ainsi qu'on trouve comme illégalités : 1 o Les illégalités organiques pour incompétence ; 2 o Les illégalités formelles pour
vice de forme ; 3 o Les illégalités matérielles pour inexistence des motifs ; 4 o Les illégalités matérielles pour méconnaissance
de l'objet prescrit ; 5 o Les illégalités matérielles pour détournement de pouvoir » (Idem, p. 98).
9 . La classification de BONNARD, et plus largement l'idée essentielle qui la sous-tend suivant laquelle la clé de classification
des moyens d'annulation doit être trouvée dans une décomposition de l'acte administratif unilatéral, a marqué les esprits et
se retrouve aujourd'hui dans la structuration des tables du Recueil Lebon. C'est ainsi que les différents cas d'ouverture y sont
présentés sous la rubrique Actes législatifs et administratifs sous les titres Validité des actes administratifs - compétence ; Validité
des actes administratifs - forme et procédure ; Validité des actes administratifs - violation directe de la règle de droit ; Validité des
actes administratifs - motifs ; Validité des actes administratifs - détournement de pouvoir et de procédure. La rubrique Procédure
traite certes des Moyens dans un titre intitulé Pouvoirs et devoirs du juge et comprend un chapitre consacré aux degrés du
contrôle, mais l'essentiel est bien dans les développements relatifs aux composantes de l'acte administratif. Pour autant, il a
rapidement été reproché à la démarche de BONNARD « de faire oeuvre purement normative, ne reflétant plus la réalité
jurisprudentielle de base qu'il s'agissait de mettre en ordre » (F. GAZIER, Essai de présentation nouvelle des ouvertures du
recours pour excès de pouvoir en 1950, op. cit., p. 77). C'est pourquoi François GAZIER, convaincu des faiblesses de la
classification attribuée à LAFERRIERE et du caractère trop dogmatique de celle de BONNARD, va proposer une nouvelle
construction. Alors que LAFERRIERE distinguait quatre cas d'ouverture et BONNARD cinq, GAZIER estime qu'il en existe six. Il
les réunit trois par trois, séparant les moyens de légalité interne et de légalité externe (une telle séparation étant déjà en
germe auparavant. V. J.-M. AUBY et R. DRAGO, Traité de contentieux administratif, t. 2, 3 e éd., 1984, LGDJ, p. 238). Les moyens
de légalité externe sont l'incompétence, le vice de forme et l'irrégularité de procédure. Il distingue ainsi la forme de la
procédure, la première ayant trait aux « caractères externes de l'acte lui-même » alors que la seconde vise les formalités
imposées lors de « l'élaboration de la mesure attaquée » (p. 79). Les moyens de légalité interne sont le défaut de base
légale, la violation d'une disposition légale et le détournement de pouvoir ou de procédure. Le premier de ces moyens de
légalité interne est probablement, avec l'usage de la distinction légalité externe/légalité interne, la principale originalité de
cette construction. Par base légale François GAZIER entend « la conjonction régulière des règles générales qui définissent les
pouvoirs de l'Administration et de la situation de fait particulière à laquelle ces pouvoirs en l'espèce s'appliquèrent. Ce qui
amène le juge à rechercher, d'une part, le fondement juridique de l'acte attaqué, et à dégager, d'autre part, en leur
matérialité et en leur portée, les faits de l'espèce » (p. 80). Même si l'auteur conclut son propos par un plaidoyer plus
empiriste ou existentialiste (pour le dire avec les mots de l'époque) que conceptualiste qui vient affaiblir sa démonstration
(« une théorie générale des ouvertures du recours pour excès de pouvoir énumérant avec rigueur un certain nombre de
moyens d'annulation […] serait […] oeuvre vaine, et même néfaste […] il faut avant tout laisser à la jurisprudence la liberté
d'adapter sans cesse au mieux […] ce très remarquable instrument de technique juridictionnelle », p. 83), sa contribution
inspirera rapidement le droit positif. Il faudra, en effet, attendre quelques années seulement pour que la dichotomie légalité
externe/légalité interne acquiert (dans le contexte de la réforme de l'organisation de l'ordre juridictionnel administratif) une
importance pratique significative au travers de la théorie de la cause de la demande en justice. Et si la jurisprudence dite
Intercopie (CE, sect., 20 févr. 1953, Sté Intercopie, Rec. CE, p. 88, S. 1953. III. 77, note M. L. ; CE, ass., 15 juill. 1954, Sté des
aciéries et forges de Saint-François, Rec. CE, p. 482 ; CE, sect., 26 juin 1959, Synd. algérien de l'éducation surveillée CFTC,
Rec. CE, p. 399, concl. J. Fournier) est désormais contestée, que ce soit par certains auteurs (M. SAUSSEREAU, La cause de la
demande a-t-elle encore une place en contentieux administratif ? L'apport de la procédure civile à la réflexion, RD publ.
2003. 631) ou par quelques juges du fond (TA Lyon, 9 déc. 1998, Masson, AJDA 1999. 448, concl. É. Kolbert
), elle demeure
pour l'instant en vigueur.
10. Force de l'habitude et prestige de son auteur aidant, c'est une version amendée (intégrant en particulier la dichotomie
légalité interne/légalité externe) de la classification de LAFERRIÈRE qui est demeurée la plus usuelle (et qui peut même servir
pour décrire le contrôle de constitutionnalité des lois opéré par le Conseil constitutionnel ; V. not., G. VEDEL, Excès de pouvoir
législatif et excès de pouvoir administratif (II), Cahiers Cons. const., n o 2, 1997, p. 83 et s. ; G. DRAGO, Contentieux
constitutionnel français, 2 e éd., 2005, PUF, p. 388 et s.). Le président ODENT résumait ainsi une opinion sans doute encore
dominante en écrivant dans son célèbre Cours : « Cette distinction des quatre cas d'ouverture du recours pour excès de
pouvoir est classique. Il serait excessif de dire qu'elle rend raison de toutes les illégalités commises ; mais il est vrai de dire
qu'aucune classification n'est entièrement satisfaisante ; les illégalités et les procédés pour les censurer sont trop complexes
pour être rangés dans une catégorie déterminée » (Contentieux administratif, 3 e éd., 1979-1980, Les Cours de droit,
p. 1659). Dans une veine comparable, M.-J. GUÉDON souligne sans trop le regretter qu'« en admettant même une acception
restrictive de la notion de compétence, les cas d'ouverture se présentent comme les anneaux olympiques ; les interférences
sont nombreuses et inévitables car tout élément de la réglementation peut être interprété de diverses façons » (La
classification des moyens d'annulation des actes administratifs : Réflexion sur un état des travaux, AJDA 1978. 85). Guillaume
TUSSEAU nous semble toutefois assez éloigné de la réalité lorsqu'il écrit que « la perméabilité des vices des actes
administratifs constitue […] une ressource argumentative afin de justifier le recours pour excès de pouvoir » (Les normes
d'habilitation, 2006, Dalloz, n o 1017). Pour autant, conscients des limites de cette classification, à la fois faute de mieux et
peut-être avec la conviction que chercher à faire mieux serait une entreprise vouée à l'échec, les auteurs contemporains
opèrent (sans forcément toujours le préciser) une sorte de synthèse entre les vues de LAFERRIERE, BONNARD et GAZIER. Et si
l'on nous permet de filer une métaphore architecturale, le gros oeuvre est du premier et l'intérieur des seconds. Les
tentatives de rénovation théorique plus récentes n'ont par contre pas abouti, qu'on songe à la classification esquissée par
C. EISENMANN (Cours de droit administratif, t. II, 1983, LGDJ, p. 325 et s.) et à celle développée par M. SAUSSEREAU dans sa
belle thèse (Les classifications des cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir ; Essai d'analyse critique, thèse, Paris I,
2002, p. 409 et s.) où elle oppose la « légalité objective » à la « légalité subjective ».
11. De nombreuses présentations combinant les approches traditionnelles sont probablement envisageables, qu'on songe à
l'utilisation de la distinction entre les moyens d'ordre public et ceux qui ne le sont pas. Mais la notion de moyen d'ordre public
étant bien davantage une notion fonctionnelle que conceptuelle (V., en ce sens, la démonstration de Ch. DEBOUY, Les moyens
d'ordre public dans la procédure administrative contentieuse, 1980, PUF), cela reviendrait à offrir un descriptif sans grande
unité. On peut aussi, à l'instar de R. CHAPUS (Droit administratif général, t. 1, 15 e éd., 2001, Montchrestien, n o 1211) et de
nombre d'auteurs contemporains, se servir de la dichotomie légalité externe/légalité interne pour présenter sous une forme à
peu près ordonnée les différents moyens identifiés par les auteurs d'AUCOC jusqu'aux années 1960. Cette présentation,
outre que la frontière entre ces deux sous-ensembles est discutée (M. SAUSSEREAU, thèse précitée, p. 174 et s.), a pour
principal défaut de ne rien apprendre ou presque en elle-même. Si elle est didactique, elle ne présente par contre aucune
valeur heuristique particulière.
C'est pourquoi nous lui préférons (à l'instar de P.-L. FRIER et J. PETIT, Précis de droit administratif, 4 e éd., 2006,
Montchrestien, n os 781 et s.) à titre principal une présentation opposant les constantes du contrôle de l'excès de pouvoir
(V. infra, n os 12 et s.) à l'élément variable du contrôle, autrement dit aux différents degrés du contrôle des motifs de l'acte
querellé (V. infra, n os 43 et s.). S'opposent ainsi, dès lors, naturellement, qu'un moyen n'est pas irrecevable (R. CHAPUS, Droit
du contentieux administratif, 12 e éd., 2006, Montchrestien, n os 917 et s.) ou inopérant (Idem, n os 921 et s.), des moyens qui
sont toujours examinés par le juge de la légalité (ce qui ne signifie pas nécessairement qu'il les examine de la même manière,
V. A. CALOGEROPOULOS, Le contrôle de la légalité externe des actes administratifs unilatéraux, 1983, LGDJ, p. 177 et s.) et
d'autres qui font l'objet d'un contrôle d'intensité très variable révélant la marge d'appréciation que le juge laisse ou ne laisse
pas à l'administration (l'intensité du contrôle sert également, à propos du juge communautaire, de fil directeur à D. RITLENG,
thèse précitée, p. 376 et s.).
Section 1 - Constantes du contrôle de l'excès de pouvoir
1 2 . Afin d'ordonner cette présentation, on distinguera ici entre les éléments relatifs à la légalité externe de l'acte discuté
(V. infra, n os 13 et s.) et ceux portant sur sa légalité interne (V. infra, n os 28 et s.).
Art. 1 - Légalité externe
13. Si AUCOC et LAFERRIÈRE n'en distinguaient que deux, cela fait maintenant près d'un siècle que l'on distingue la forme de
la procédure et que l'on admet que ce que l'on nomme désormais la légalité externe comprend trois types de moyens
logiquement distincts. Il s'agit de l'incompétence (V. infra, n os 14 et s.), du vice de forme (V. infra, n os 20 et s.) et du vice de
procédure (V. infra, n os 22 et s.). Et, dans toutes les espèces, les moyens de légalité externe sont systématiquement
contrôlables par le juge, mais ne seront naturellement contrôlés que si le requérant en fait la demande sauf pour
l'incompétence qui présente un caractère d'ordre public.
§ 1 - Incompétence
14. Nul ne conteste sans doute que ce moyen est le plus ancien et que c'est sur sa base que s'est progressivement construit
le recours pour excès de pouvoir dont on sait qu'il était classiquement dénommé recours pour excès de pouvoirs et
incompétence. Il est également difficile de nier que toute illégalité peut être logiquement ramenée à une forme
d'incompétence lato sensu. La définition de cette dernière n'a guère évolué depuis l'époque de LAFERRIÈRE. Cette notion, qui
ne se confond pas avec la notion de capacité utilisée en droit civil (V. F. LINDITCH, Recherche sur la personnalité morale en
droit administratif, 1997, LGDJ, p. 185 et s.), consiste en l'aptitude (nécessairement prévue par une norme de niveau
supérieure, que cette habilitation soit expresse ou repose sur la théorie des « pouvoirs implicites ») d'une autorité
administrative (notion entendue au sens fonctionnel et non organique et pouvant ainsi englober certaines personnes privées
chargées d'une mission de service public) à édicter des normes sur une matière, un territoire et une période données. On
distingue dès lors logiquement, et tout aussi classiquement, trois formes d'incompétence : l'incompétence matérielle (que l'on
oppose parfois à l'incompétence personnelle) ou ratione materiae ; l'incompétence territoriale ou ratione loci ; l'incompétence
temporelle ou ratione temporis.
15. L'incompétence matérielle, qui est probablement l'hypothèse la plus fréquemment observée car il est souvent plus malaisé
pour une autorité administrative de déterminer les limites exactes de son champ matériel d'attribution que celles de ses
compétences territoriale et temporelle, recouvre de multiples hypothèses. L'administration peut ainsi illégalement empiéter
sur les attributions d'une autre entité administrative, qu'existe ou non un lien de subordination entre elles (un préfet ne peut
en principe agir à la place d'un ministre, CE, sect., 24 oct. 1952, Dlle Thèse, Rec. CE, p. 469 ; un sous-préfet à la place d'un
préfet, CE 10 févr. 1954, Cne de Guénin, Rec. CE, p. 86 ; un ministre à la place du Premier ministre, CE, sect., 4 nov. 1977,
Dame Si Moussa, Rec. CE, p. 417, concl. J. MASSOT ; un ministre à la place d'un de ses collègues, CE 5 déc. 2005, Mann Singh,
req. n o 278133
, Rec. CE, p. 544). La question peut rapidement devenir ardue dans les hypothèses de suppléance,
d'intérim ou encore de délégation. L'administration peut également violer les règles de la séparation des pouvoirs et empiéter
sur la compétence du pouvoir législatif, de l'autorité judiciaire ou des juridictions administratives (dont l'existence, le champ de
compétence minimal et l'indépendance sont certes garanties par la Constitution mais qui n'appartiennent pas à l'autorité
judiciaire au sens du titre VIII de la Constitution), voire exceptionnellement d'une autorité étrangère. On parle alors volontiers
à la suite de LAFERRIÈRE d'« usurpation de pouvoir ».
16. L'incompétence territoriale est souvent aisée à identifier (G. LIET-VEAUX, L'incompétence ratione loci, Rev. adm. 1964. 29).
Sa forme de très loin la plus courante recouvre les cas où l'administration édicte une norme applicable à une situation
n'entrant pas dans le (ou plutôt n'étant pas rattachable au) champ de sa compétence spatiale (par ex., lorsqu'un inspecteur
des impôts mène une opération de redressement à l'encontre d'un contribuable qui n'est pas domicilié dans sa circonscription,
CE, sect., 6 juill. 1990, Min. du budget c/ Baptiste, req. n o 92330
, Rec. CE, p. 210). Plus rarement, l'incompétence ratione loci
peut être constituée lorsque l'auteur de l'acte a exercé ses attributions en dehors du lieu dans lequel il devait l'exercer. C'est
ainsi que le conseil municipal doit, en principe, délibérer à la Mairie de la commune (CE 1 er juill. 1998, Préfet de l'Isère, req.
n o 187491
, Rec. CE, table, p. 768), mais que rien n'interdit au Président de la République de signer un décret en dehors du
palais de l'Élysée.
1 7 . L'incompétence temporelle (J.-M. AUBY, L'incompétence ratione temporis. Recherches sur l'application des actes
administratifs dans le temps, RD publ. 1953. 5) désigne les hypothèses où l'autorité n'était pas encore compétente et
symétriquement celles où elle ne l'était plus. Ses effets sont toutefois grandement atténués par la théorie dite du
« fonctionnaire de fait » suivant laquelle, pour des raisons tenant à la protection de la sécurité juridique et de la continuité
des services publics, un agent public est réputé occuper valablement son poste tant que l'illégalité de sa situation n'a pas été
constatée par le juge (CE, sect., 16 mai 2001, Préfet de police c/ Ihsen Mtimet, req. n o 231717
, Rec. CE, p. 234, AJDA
2001. 643, chron. M. Guyomar et P. Collin
, p. 672, note A. Legrand
, RD publ. 2001. 645, étude X. Prétot).
18. Il arrive que la frontière entre l'incompétence et le vice de procédure soit brouillée pour des considérations de politique
jurisprudentielle. L'incompétence étant un moyen d'ordre public (CE 15 févr. 1961, Sieur Alfred-Joseph, Rec. CE, p. 114 ; CE
13 sept. 2000, Assoc. des diplômés ICH du Languedoc-Roussillon, req. n o 189178
, Rec. CE, p. 377) à l'inverse du vice de
procédure, le Conseil d'État a choisi d'assimiler certains vices de procédure à l'incompétence afin de pouvoir le cas échéant les
relever d'office. Tel est le cas lorsqu'une autorité administrative ne peut agir que sur avis conforme d'un organe consultatif (CE
29 janv. 1969, Dame veuve Chanebout, Rec. CE, p. 43) ou sur proposition (CE 30 juill. 1997, Confédération nationale de la
production française des vins doux naturels d'appellation d'origine contrôlée, req. n o 147826
, Rec. CE, p. 304). Une telle
assimilation peut se justifier par l'idée suivant laquelle l'auteur de l'avis conforme ou de la proposition sont de véritables « coauteurs » de l'acte administratif (V. P. FERRARI, Essai sur la notion de co-auteurs d'un acte unilatéral en droit administratif
français, in Mélanges Charles Eisenmann, 1975, Cujas, p. 215 ; H. BELRAHLI, Les coauteurs en droit administratif, 2003, LGDJ).
Il est par contre autrement plus discutable, d'un point de vue logique, d'affirmer que les décrets en Conseil d'État (où ce
dernier doit être obligatoirement consulté, mais rend un avis simple) souffrent d'un vice d'incompétence en cas de violation de
cette obligation procédurale. Cette solution (CE ass., 3 juill. 1998, Synd. national de l'environnement CFDT, req. n o 177248
,
Rec. CE, p. 272, AJDA 1998. 780, chron. F. Raynaud et P. Fombeur
) assure un statut protecteur à l'intervention du Conseil
d'État en formation administrative et uniquement à celui-ci, la violation de l'obligation de consultation pour avis simple d'un
autre organe administratif étant considérée comme un vice de procédure (V. pour la protection de l'intervention du Conseil
d'État en matière de projets de loi Conseil constitutionnel, 3 avr. 2003, déc. 2003-468 DC, Rec. CE, p. 325, AJDA 2003. 948,
note G. Drago
et p. 1625, note M.-T. Viel
). Cette jurisprudence pourrait s'avérer problématique du point de vue de
l'article 6 § 1 de la CEDH. En effet, la « théorie des apparences » peut-elle aisément admettre une hypothèse où une
juridiction contrôle la légalité d'un acte dont elle estime qu'elle est (certes dans une formation différente) une sorte de « coauteur » ? En tout état de cause, la question est d'un intérêt pratique réel dans la mesure où comme le souligne le président
Bernard STIRN « chaque année, une cinquantaine de décrets réglementaires sont adoptés en conseil des ministres, dont la
plupart sont des décrets en Conseil d'État, et le Premier ministre signe de son côté environ 500 décrets en Conseil d'État et
700 décrets simples » (B. STIRN, Les sources constitutionnelles du droit administratif. Introduction au droit public, 5 e éd.,
2006, LGDJ, p. 79).
1 9 . On doit également mentionner le cas assez discuté de « l'incompétence négative ». LAFERRIÈRE définissait cette
hypothèse de la manière suivante : il s'agit du « cas où une autorité, au lieu de franchir les limites de sa compétence, reste en
deçà, et refuse de faire un acte de son ressort en déclarant qu'elle n'a pas qualité pour l'accomplir » (Traité de la juridiction
administrative et des recours contentieux, préc., t. II, p. 491). Un tel cas de figure, qui est particulièrement développé en
contentieux constitutionnel où il est fréquemment reproché au législateur de ne pas avoir épuisé sa compétence et d'ainsi
avoir violé ce que l'on nomme en droit comparé la « réserve de loi » (J. TRÉMEAU, La réserve de loi. Compétence législative et
Constitution, 1997, Economica), constitue toutefois bien davantage une illégalité interne qu'une illégalité externe. Comme
l'admettent certains arrêts, il s'agit en fait d'une forme d'erreur de droit (CE, sect., 16 sept. 1983, Min. du travail c/ Mme
Saurin, Rec. CE, p. 390, Dr. soc. 1984. 120, concl. J.-M. Pauti ; CE, sect., 20 juin 2003, Stilinovic, cité infra, n o 34).
§ 2 - Vice de forme
20. La notion de forme n'est désormais plus confondue avec celle de formalité, ce qui permet de bien distinguer la forme d'un
acte de sa procédure d'élaboration. La forme désigne la présentation matérielle de l'acte. Comme le souligne René CHAPUS, la
fonction des exigences formelles « est une fonction de compte rendu. En conséquence de ces règles, l'acte rendra compte par
lui-même du respect de certaines prescriptions et comportera les signes extérieurs de ce respect » (Droit administratif
général, t. 1, préc., n o 1228). Si le droit administratif est, à certains égards, exagérément formaliste (J.-F. LACHAUME, Le
formalisme, AJDA, n o spécial 1995, p. 133), le vice de forme n'est pas un moyen d'ordre public (CE 18 déc. 1991, Min. de la
Coopération et du développement c/ Jelmoni, req. n o 104761
, Rec. CE, p. 452, à propos de la motivation) et seule la
violation des formes obligatoires est en principe censurée par le juge de l'excès de pouvoir (V. sur ce thème, R. HOSTIOU,
Procédure et formes de l'acte administratif unilatéral en droit français, 1975, LGDJ, p. 237 et s. ; A. CLAEYS, L'évolution de la
protection juridictionnelle de l'administré au moyen du recours pour excès de pouvoir, préc., p. 791 et s. ; pour une illustration
où une omission est restée sans incidence sur la régularité d'une enquête publique, CE 3 juill. 1998, Assoc. de défense et de
protection de l'environnement de Saint-Côme-d'Olt, Rec. CE, p. 225).
21. Ces règles de forme sont diversifiées même si leurs champs d'application respectifs sont très variables. On se contentera
ici de mentionner les principales : l'obligation de motivation (le principe demeurant, toutefois, l'absence de motivation, cette
notion étant évidemment à ne pas confondre avec celle de motifs car si tout acte a des motifs de fait et de droit, le cas
échéant illégaux, il n'a pas nécessairement à être motivé, autrement dit l'administration ne doit pas forcément les exposer) ;
la nécessité de comporter certaines mentions (nom et qualité de l'auteur de l'acte ; date ; signature ; contreseing…). L'idée
générale qui semble sous-tendre les textes constitutionnel, législatifs ou réglementaires prévoyant ces règles de forme est
que plus un acte est important (qu'on songe aux hypothèses du contreseing ministériel prévues par les articles 13, 19 et 22
de la Constitution) ou susceptible de porter atteinte à la situation de son destinataire ou des tiers (qu'on songe à l'obligation
législative issue de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs suivant laquelle doivent être
motivés certains actes individuels défavorables et les actes individuels accordant une dérogation) plus les règles de forme
sont nombreuses. On ajoutera que la « transformation de la relation administrative » (J. CHEVALLIER, La transformation de la
relation administrative : mythe ou réalité ?, D. 2000, chron. 575
), la mue progressive de l'usager en citoyen auquel on
reconnaît des droits opposables à l'administration, ne peut qu'entretenir le développement des règles de forme.
§ 3 - Vice de procédure
22. Par procédure on désigne l'ensemble des formalités exigées lors de l'élaboration de l'acte administratif. Ce vice est ainsi le
seul à ne pas porter sur l'auteur de l'acte (comme l'incompétence) ou sur l'acte lui-même, qu'il s'agisse du contenant (le vice
de forme) ou du contenu (les moyens de légalité interne).
2 3 . Autant les règles de forme sont somme toute encore assez peu nombreuses, autant les règles de procédures sont
particulièrement abondantes et il arrive même à l'administration d'en inventer de nouvelles de manière fantaisiste (V. ainsi, CE
5 oct. 2005, Sté Endymis, AJDA 2006. 429, note D. Costa
où le juge censure pour vice de procédure le respect par
l'administration d'une procédure déterminée par une autorité incompétente). Elles peuvent, toutefois, pour l'essentiel être
réunies en trois grandes catégories : la première a trait aux règles de consultation, la deuxième au caractère contradictoire de
la procédure et la troisième à l'activité des autorités administratives statuant collégialement.
2 4 . La procédure consultative peut prendre des formes très différentes, que la consultation soit ouverte, comme c'est en
particulier le cas des procédures d'enquête publique, ou fermée. La consultation est soit obligatoire, soit facultative. L'avis est,
suivant les cas, doté d'une force juridique très variable. Il peut s'agir d'un avis simple (l'autorité compétente demeure
entièrement libre de le suivre ou pas), d'un avis conforme (l'autorité ayant sollicité l'avis doit soit le suivre, soit ne prendre
aucune décision, le donneur d'avis étant ainsi doté d'une forme de faculté d'empêcher) ou enfin d'une proposition. On
distingue classiquement, à la suite de Franck MODERNE (Proposition et décision [Recherches sur le régime juridique des
propositions dans la jurisprudence administrative contemporaine], in Mélanges Marcel Waline, t. 2, 1974, LGDJ, p. 595), les
« propositions-informations » (sans portée normative) des « propositions-recommandations » (qui sont assimilables aux avis
simples) et des « propositions-orientations » (qui sont en principe comparables aux avis conformes). Le déroulement de la
procédure consultative est également très variable.
25. Si la procédure administrative ne se confond pas avec la procédure juridictionnelle, les droits de la défense et le principe
du contradictoire n'en occupent pas moins une place croissante illustrant la volonté de protéger davantage les intérêts des
administrés destinataires d'un acte défavorable à leurs intérêts. On mentionnera ainsi le principe général du droit
garantissant le respect des droits de la défense (CE, sect., 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, Rec. CE, p. 133, GAJA,
n o 56, Grandes décisions, p. 718 ; A. CLAEYS, L'évolution de la protection juridictionnelle de l'administré au moyen du recours
pour excès de pouvoir, préc., p. 814 et s.) qui vaut pour les sanctions et, sauf exception, pour les mesures prises en
considération de la personne. De même, au-delà de textes particuliers, parfois très anciens (qu'on songe au célèbre article 65
de la loi du 22 avr. 1905 qui dispose que « tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes
les administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles
signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un
déplacement d'office, soit avant d'être retardés dans leur avancement à l'ancienneté »), l'article 24 de la loi du 12 avril 2000
relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration prévoit que les décisions soumises à l'obligation de
motivation ne peuvent valablement intervenir « qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des
observations écrites, et, le cas échéant, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou par
un mandataire de son choix ».
26. Les modalités d'intervention des organes collégiaux éventuellement consultés sont une question fréquemment invoquée
par les requérants devant le juge administratif. Les conditions de constitution de l'organe, ses modalités de réunion et de
délibération donnent en effet souvent prise au débat contentieux.
27. Le juge administratif, conscient qu'un formalisme exagéré paralyserait l'action administrative, fait généralement montre
d'un certain pragmatisme, ne censurant que la violation des formalités essentielles. Le principe sous-tendant la jurisprudence
semble être de vérifier si les irrégularités en cause sont de nature, parce qu'elles ont exercé une influence sur la décision, à
vicier la validité de l'acte querellé (CE, sect., 19 mars 1976, Min. de l'Économie et des finances c/ Bonnebaigt, Rec. CE, p. 167,
AJDA 1976. 413, chron. M. Nauw elaers et L. Fabius). En tout état de cause, un vice de procédure n'est jamais un moyen
d'ordre public (CE 15 févr. 1961, Hôpital-hospice de Bayeux c/ Sieur Clisson, Rec. CE, p. 126) sauf dans les hypothèses
particulières où il est assimilé à une incompétence (V. supra, n o 18).
Art. 2 - Des éléments de légalité interne
28. Le juge de l'excès de pouvoir est susceptible de contrôler à l'occasion de chaque litige un nombre substantiel d'éléments
de légalité interne portant sur les motifs de l'acte, son objet ou encore son but. On constate ainsi, en suivant le plan du
recueil Lebon, que tel est en effet le cas de la violation directe de la règle de droit (V. infra, n os 29 et s.), de l'erreur de droit
(V. infra, n os 31 et s.), de l'exactitude matérielle des faits (V. infra, n os 35 et s.) et du détournement de pouvoir et de
procédure (V. infra, n os 38 et s.).
§ 1 - Violation directe de la règle de droit
29. La notion de règle de droit est ici entendue dans son acception la plus large comme désignant l'ensemble des normes,
internes ou d'origine européenne ou internationale, écrites ou jurisprudentielles, s'imposant à l'administration. Le titre du
Recueil Lebon consacré à cette question comprend ainsi six chapitres : « Constitution et normes de valeur constitutionnelle » ;
« traités et droit dérivé » ; « loi » ; « principes généraux du droit » ; « actes réglementaires » ; « chose jugée ». Et par
violation directe on désigne une contrariété frontale avec ladite règle, par exemple, qu'un décret permette ce qu'une loi
interdit (CE 28 déc. 2005, Union syndicale des magistrats administratifs, req. n o 274527
, Rec. CE, p. 591, AJDA 2006. 940,
note J.-M. Pontier
), qu'un acte individuel prohibe ce qu'un règlement communautaire garantit ou qu'un décret viole un
principe général du droit (CE, ass., 24 mars 2006, Sté KPMG et autres, req. n o 288460
, Rec. CE, p. 154, RFDA 2006. 463,
concl. Y. Aguila
, p. 483, note F. Moderne
, AJDA 2006. 1028, chron. C. Landais et F. Lenica
, D. 2006. 1190, chron.
P. Cassia
).
Lire la mise à jour
29. Principe de sécurité juridique. - Le Conseil constitutionnel n'a pas érigé le principe de sécurité juridique au rang de principe
constitutionnel (Cons. const. 11 févr. 2011, n o 2010-102 QPC
, AJDA 2011. 303, obs. Brondel ).
3 0 . On affirme régulièrement que ce rapport de norme à norme est d'intensité variable, pouvant soit être de stricte
conformité, soit simplement de compatibilité. Cette thèse, développée par Charles EISENMANN (Le droit administratif et le
principe de légalité, 1957-1958, EDCE, n o 11, p. 25 et s.) et actuellement utilisée notamment au sujet du contrôle de
conventionnalité des lois (présenté comme un contrôle de compatibilité et non de conformité), est discutable comme a
rapidement pu le relever Paul AMSELEK. Tout dépend en fait de la précision et du degré d'exigence de la norme de référence
du contrôle et « il ne saurait y avoir deux types de rapports entre l'objet et la norme ; ou bien l'objet est conforme au modèle,
ou bien il ne l'est pas. Il n'y a pas de demi-mesure » (Perspectives critiques d'une réflexion épistémologique sur la théorie du
droit [Essai de phénoménologie juridique], 1964, LGDJ, p. 122 ; V. dans le même sens, G. TIMSIT, Gouverner ou juger. Blasons
de la légalité, 1995, PUF, p. 7 et s.).
§ 2 - Erreur de droit
31. Il s'agit d'un moyen d'annulation portant sur les motifs juridiques de la décision, sur les éléments de droit la justifiant.
L'erreur de droit doit être entendue strictement sauf à déborder sur d'autres formes d'illégalité. Faut-il pour autant la
distinguer du défaut de base légale à l'instar de nombreux auteurs (V. Motifs [contrôle des]) ou à l'inverse estimer que le
défaut de base légale englobe tous les éléments du contrôle relatifs aux motifs de droit et de fait de l'acte (V. F. GAZIER, Essai
de présentation nouvelle des ouvertures du recours pour excès de pouvoir en 1950, préc., p. 80) ? Suivant en cela René
CHAPUS (Droit administratif général, t. 1, préc., n os 1233 et s.), nous optons pour une solution intermédiaire. Le défaut de
base légale est une des trois variantes de l'erreur de droit.
32. L'erreur de droit peut tout d'abord consister en l'application d'une norme qui était inapplicable ou même inexistante (CE
20 avr. 2005, Assoc. « Triangle génération humanitaire », req. n o 267416
, Rec. CE, table, p. 718).
Lire la mise à jour
32. Constantes du contrôle de l'excès de pouvoir. Des éléments de légalité interne. Erreur de droit : refus d'inscription à l'université
et procédure disciplinaire. - Constitue une erreur de droit le fait pour une université de refuser l'inscription d'un étudiant au seul
motif qu'il fait l'objet d'une procédure disciplinaire (CE 6 mars 2009, M. N., req. n o 305338, AJDA 2009. 458).
33. L'erreur de droit peut également consister en la mise en oeuvre d'une norme invalide. Ainsi, lorsqu'un décret est pris sur
la base d'une loi contraire au droit européen, il convient d'écarter cette loi et les décisions prises sur la base de ce décret se
retrouvent dépourvues de base légale (CE, ass., 30 nov. 2001, Min. de la Défense c/ Diop, req. n o 212179
, Rec. CE, p. 605,
concl. Jean COURTIAL, AJDA 2001. 1039, chron. M. Guyomar et P. Collin
; CE 7 juin 2006, Assoc. AIDES et autres, req.
n o 285576
, Rec. CE, p. 282, AJDA 2006. 2233, note H. Rihal ).
34. Il peut enfin arriver que la norme servant de motif de droit à l'acte existe, soit valide, mais ait été mal interprétée par
l'auteur de l'acte. Il en va ainsi lorsque le garde des Sceaux s'est à tort cru lié par un avis du Conseil supérieur de la
magistrature alors même qu'il s'agissait, à propos de la discipline des magistrats du parquet, d'un avis simple (CE, sect.,
20 juin 2003, Stilinovic, req. n o 248242
, Rec. CE, p. 258, concl. F. Lamy, AJDA 2003. 1334, chron. F. Donnat et D. Casas
).
§ 3 - Exactitude matérielle des faits
35. Cet élément du contrôle n'a été consacré de manière solennelle qu'en 1916 (V. sur la situation antérieure, CE 18 mars
1910, Sieur Hubersen, Rec. CE, p. 259) avec l'arrêt Camino où le Conseil d'État censure les décisions de suspension puis de
révocation d'un maire au motif qu'« il lui appartient […] de vérifier la matérialité des faits qui ont motivé ces mesures » et que
le motif tiré de ce que le maire n'ait pas veillé « à la décence d'un convoi funéraire auquel il assistait, repose sur des faits et
des allégations dont les pièces versées au dossier établissent l'inexactitude » (CE 14 janv. 1916, Camino, Rec. CE, p. 15,
GAJA, n o 30). Le commissaire du gouvernement L'HÔPITAL estimait déjà plus d'un demi-siècle plus tôt que « si […] le Conseil
d'État n'entrait pas dans l'examen du fait, le droit qui appartient à chacun de lui déférer, pour être corrigés, tous les excès
sinon tous les abus de pouvoirs en matière administrative, serait illusoire et […] le recours ne s'exercerait pas utilement »
(concl. sur CE 19 juill. 1860, Port de Bercy, Rec. CE, p. 563). La vérification de la matérialité des faits est effectivement une
véritable nécessité. Sans doute sa consécration a-t-elle été longtemps contrariée par l'idée suivant laquelle le juge de l'excès
de pouvoir n'est que le juge du droit à l'inverse du juge de plein contentieux, juge du droit et du fait.
36. L'erreur de fait est rarement constatée par le juge administratif, cette faible fréquence ne signifiant probablement pas
qu'il fasse preuve de retenue mais bien davantage que l'administration ne se fonde généralement que sur des faits avérés
(V. pour des censures significatives, CE, sect., 27 avr. 1988, Sté Revlon, Rec. CE, p. 169, AJDA 1988. 543, concl. Olivier VAN
RUYMBEKE ; CE 7 avr. 1993, Ville de la Courneuve, req. n o 133651
, Rec. CE, p. 100).
37. La frontière entre inexactitude matérielle des faits et défaut de qualification juridique desdits faits est parfois ténue (V.
Motifs [contrôle des]).
§ 4 - Détournement de pouvoir ou de procédure
38. Pour reprendre la définition classique de Maurice HAURIOU (qui n'a d'ailleurs fait que développer celle proposée par Léon
AUCOC dès la fin des années 1860), « le détournement de pouvoir est le fait d'une autorité administrative qui, tout en
accomplissant un acte de sa compétence, tout en observant les formalités prescrites, tout en ne commettant aucune violation
formelle de la loi, use de son pouvoir pour des motifs autres que ceux en vue desquels ce pouvoir lui a été conféré, c'est-àdire autres que la sauvegarde de l'intérêt général et le bien du service » (Précis de droit administratif, 11 e éd., préc., p. 419).
HAURIOU y voyait, conception aujourd'hui peu suivie, un contrôle de « moralité administrative » bien plus que de stricte
légalité (V. égal., sur ce thème, H. W ELTER, Le contrôle juridictionnel de la moralité administrative. Étude de doctrine et de
jurisprudence, thèse, Nancy, 1929). En tout état de cause, le juge y contrôle le but poursuivi par l'administration, les mobiles
de l'acte. Et l'on distingue classiquement deux types de détournement de pouvoir : ceux où l'autorité administrative a
poursuivi un but d'intérêt privé et ceux où elle a poursuivi un but d'intérêt public différent que celui justifiant le pouvoir qu'elle
a mis en oeuvre.
39. La première variante est illustrée par des exemples célèbres, qu'on songe à la fermeture par un maire d'un établissement
de danse afin qu'il ne fasse plus concurrence à son débit de boisson (CE 14 mars 1934, Delle Rault, Rec. CE, p. 337) ou encore
à l'expropriation destinée à permettre l'installation d'un centre hippique privé (CE 4 mars 1964, Veuve Borderie, Rec. CE,
p. 157, AJDA 1964. 624, obs. P. L.).
4 0 . La seconde variante est également richement illustrée. L'arrêt Pariset (CE 26 nov. 1875, Rec. CE, p. 934, GAJA, n o 4,
Grandes décisions, p. 724), considéré sans doute à tort comme le premier arrêt de principe en la matière (V. auparavant, CE
25 févr. 1864, Lesbats, Rec. CE, p. 209, concl. L'Hôpital), est à cet égard exemplaire. Le juge y censure la décision préfectorale
de fermeture d'une fabrique d'allumettes, cette utilisation des pouvoirs de police des établissements dangereux étant en fait
justifiée par des considérations financières (éviter d'user de la procédure d'expropriation afin de tirer toutes les conséquences
d'un monopole établi par le législateur).
41. Alors qu'on avait pu lui prédire une grande destinée (HAURIOU écrivait ainsi, sous le titre « puissance de développement
du détournement de pouvoir », que ce dernier « en est à ses débuts ; il a devant lui le champ immense du pouvoir
discrétionnaire ou du pouvoir d'appréciation de l'administration », Précis de droit administratif, 11 e éd., préc., p. 424), on
constate un grand décalage entre la fréquence de l'invocation du détournement de pouvoir par les requérants (très souvent)
et celle de sa reconnaissance par le juge de l'excès de pouvoir (très rarement). Cette situation ne s'explique sans doute pas
uniquement par une certaine retenue du juge (que l'on peut parfois regretter, V. CE, sect., 5 nov. 2003, Assoc. pour la
protection des animaux sauvages et association « Convention vie et nature pour une écologie radicale », req. n os 258777
et 259021, Rec. CE, p. 440, concl. F. Lamy, AJDA 2003. 2253, chron. F. Donnat et D. Casas
, RD rur., janv. 2004, p. 32, obs.
M. Gautier), une censure pour un tel vice étant infâmante pour l'administration, mais bien davantage par la difficulté d'en
apporter la preuve et par le fait que le juge lui préfère souvent des moyens d'annulation plus faciles à justifier.
42. Faut-il faire une place à part au détournement de procédure (pour un exemple, V. CE 29 juin 2005, Cne de Saint-Clémentde-Rivière, req. n o 265958
, Rec. CE, p. 261), hypothèse où l'administration met en oeuvre une procédure plutôt qu'une
autre afin d'éviter les contraintes de cette dernière (par exemple lorsqu'elle supprime un emploi pour pouvoir licencier un
agent public plutôt que d'engager une procédure disciplinaire afin de le révoquer) ? La question est très controversée et
rétive à toute systématisation entièrement satisfaisante, ne serait-ce que parce que comme le relevait le président ODENT on
peut soutenir que « le détournement de procédure entache […] à la fois la légalité externe et la légalité interne de la décision
prise » (Contentieux administratif, préc., p. 2029). Il nous semble toutefois, même s'il est exact que la jurisprudence use de
l'expression détournement de procédure (la chose ayant, comme souvent, précédé le mot et HAURIOU ayant une fois encore
scruté la jurisprudence avec attention. V. sa note sous CE 14 févr. 1902, Lalaque, S. 1903. III. 97), que la position défendue
par René CHAPUS est intellectuellement la plus satisfaisante : « ou bien l'autorité administrative a cru, à tort mais de bonne
foi, qu'elle était en droit de mettre en oeuvre la procédure qu'elle a choisie et sa décision est entachée d'erreur de droit ; ou
bien, elle a voulu, grâce à la procédure choisie, se soustraire à ces contraintes auxquelles l'exposait la procédure qu'elle
savait être la seule adéquate, et il y a détournement de pouvoir » (Droit administratif général, t. 1, préc., n o 1245).
Section 2 - Variable du contrôle de l'excès de pouvoir : les degrés du contrôle des motifs
43. La question ici étudiée a donné lieu à des analyses particulièrement raffinées et souvent très séduisantes (V. ainsi, Motifs
[contrôle des]). Y est en cause ce que l'on nomme indifféremment les « niveaux de contrôle du juge de l'excès de pouvoir »
(S. DAËL, Contentieux administratif, 2006, PUF, p. 179), « l'étendue du contrôle juridictionnel » (R. CHAPUS, Droit administratif
général, t. 1, préc., n o 1247) ou encore son « intensité » (B. SEILLER, Droit administratif 2. L'action administrative, 2 e éd.,
2005, Flammarion, p. 231).
44. Cette problématique complexe nous semble souvent obscurcie par deux facteurs. Le premier est que les auteurs parlent
rarement le même langage, utilisent au contraire régulièrement les mêmes expressions pour désigner des choses différentes,
voire usent de formules surprenantes (tel est le cas de l'expression contrôle « infra-minimum » qui est une contradiction terme
à terme car comme le souligne Jean-François LACHAUME « en dessous du minimum il n'y a plus rien », Grandes décisions,
p. 732). Le second est que l'on s'obstine trop souvent à raisonner sur ce point à l'aide de la dichotomie pouvoir
discrétionnaire/compétence liée (peut-être sous l'influence allemande). Or, comme l'a parfaitement démontré Gérard TIMSIT, le
pouvoir discrétionnaire s'oppose en fait à la compétence réglementée dont la compétence liée n'est qu'un sous-ensemble
somme toute marginal et sans effet majeur sur la question ici étudiée (Compétence liée et principe de légalité, D. 1964,
chron. 217). Dès lors, confronté à une question relative aux motifs (il convient d'ailleurs ici de distinguer en toute rigueur la
qualification juridique des faits de l'adéquation de l'objet de l'acte à ses motifs), le juge a le choix entre contrôler et ne pas
contrôler. Dans le second cas, c'est-à-dire celui de l'absence de contrôle (V. infra, n os 46 et s.), le contrôle sera dit minimum (il
ne portera que sur les éléments évoqués dans la Section 1 de cette étude) et c'est seulement dans cette hypothèse que l'on
peut, selon nous, parler de pouvoir discrétionnaire. Ainsi, et à partir du moment où l'on considère que le pouvoir
discrétionnaire désigne une liberté de décision, l'idée même d'un contrôle du pouvoir discrétionnaire est un non-sens. Soit l'on
ne contrôle pas, et le pouvoir est discrétionnaire, soit on contrôle et il ne l'est pas (sans pour autant que l'administration soit
en situation de compétence liée). Dans ce dernier cas, existent trois degrés de contrôle : le contrôle restreint (V. infra, n os 48
et s.), le contrôle entier (V. infra, n os 52 et s.) et enfin le contrôle maximum (V. infra, n os 54 et s.).
45. Le choix entre les différents niveaux de contrôle, même s'il est évidemment lié à la rédaction des normes de référence et à
leur degré de précision, est aussi, et souvent, surtout un choix jurisprudentiel. Le juge administratif décide, suivant le type de
questions, leur technicité ou encore leur caractère plus ou moins sensible, s'il souhaite laisser les coudées franches à
l'administration ou au contraire encadrer plus strictement son activité normative. Et il peut, à propos d'un même acte, opérer
sur certains points un type de contrôle et sur d'autres un contrôle différent (il réalise, par exemple, un contrôle entier sur le
caractère fautif des agissements reprochés aux agents publics et un contrôle restreint sur la sanction qui leur est infligée). Il
lui est également loisible de contrôler différemment la réponse à une même question suivant qu'elle est positive ou négative
(contrôle entier du refus de permis de construire justifié par le respect du caractère des lieux avoisinants ; contrôle restreint
du respect de cette exigence par un permis). Pour le dire avec l'élégance de Bertrand SEILLER, « à l'image du Nautilus
pompilius, céphalopode marin disposant de ballasts pour choisir la profondeur où il se laisse dériver, le juge administratif
actionne le levier de la qualification juridique pour approfondir son contrôle » (Droit administratif, t. 2, préc., p. 234). La
meilleure preuve de la marge de manoeuvre du juge est d'ailleurs fournie par le caractère évolutif de son contrôle (par
exemple lorsque le juge décide de substituer le contrôle entier au contrôle restreint). On constate en effet depuis les années
1960 le développement régulier de ce contrôle (B. PACTEAU, Le juge de l'excès de pouvoir et les motifs de l'acte administratif,
travaux et recherches de la Faculté de droit et de science politique de l'Université de Clermont I, 1977, p. 135 et s.), évolution
désormais stimulée sur de nombreuses questions par le droit européen, qu'il s'agisse du droit européen des droits de
l'homme (V. Convention européenne des droits de l'homme et contentieux administratif) ou du droit communautaire (V.
Droit de l'Union et des Communautés européennes et contentieux administratif).
Art. 1 - Absence de contrôle
46. C'est ici que se niche le pouvoir discrétionnaire de l'administration. Le juge administratif va laisser à cette dernière, sur
une question de qualification juridique des faits ou d'adéquation de l'objet de l'acte à ses motifs, une totale liberté.
47. Les exemples les plus connus sont sans doute les suivants. Ne sont pas contrôlés par le juge : l'appréciation faite par le
jury d'un examen ou d'un concours de la valeur d'une copie (CE 20 mars 1987, Gambus, Rec. CE, p. 100, AJDA 1987. 550, obs.
X. Prétot ; CE 16 mai 2001, De Nale, Rec. CE, p. 236) ; l'appréciation de l'éminence des mérites d'un postulant à la Légion
d'honneur (CE 10 déc. 1986, Loredon, Rec. CE table, p. 516, AJDA 1987. 91, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre) ; le choix du
mode de gestion d'un service public (CE 27 nov. 2002, Sté d'intérêt collectif agricole d'électricité de la région de Péronne, req.
n o 246764
, JCP A, 2003, 1085, note Jacques Moreau) et du délégataire éventuel dudit service public (CE, ass., 16 avr.
1986, Compagnie luxembourgeoise de télévision, Rec. CE, p. 97, RD publ. 1986, p. 847, concl. O. Dutheillet de Lamothe, AJDA
1986. 284, chron. M. Azibert et M. Fornacciari, D. 1987. 97, note F. Llorens, JCP 1986. 20617, note M. Guibal) ; le choix
présidentiel d'octroyer une amnistie individuelle (CE 31 janv. 1986, Legrand, Rec. CE, p. 23, AJDA 1986. 396, obs. L. Richer) ou
de faire fleurir une tombe (CE 27 nov. 2000, Assoc. Comité Tous Frères, req. n o 188431
, Rec. CE, p. 559).
Art. 2 - Contrôle restreint
48. Cette variante du contrôle consiste en la vérification que la qualification retenue par l'administration ou que l'adéquation
de l'objet de l'acte à ses motifs n'est pas manifestement erronée ou, pour reprendre une terminologie plus récente et
probablement plus explicite, ne souffre pas d'une disproportion manifeste (CE, sect., 1 er févr. 2006, Touzard, req. n o 271676
, Rec. CE, p. 38). L'idée de base est que le juge y opère un contrôle souple de proportionnalité. L'acte n'est sanctionné que
s'il apparaît très nettement qu'il est disproportionné. C'est ce que l'on nomme classiquement depuis les années 1960 (CE,
sect., 15 févr. 1961, Lagrange, Rec. CE, p. 121) le contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, parfait exemple de réception
en droit français d'une technique venue d'ailleurs (V. R. ERRERA, The use of comparative law before the french administrative law
courts,in G. CANIVET, M. ANDENAS et D. FAIRGRIEVE, dir., Comparative law before the courts,The british institute of international
and comparative law, 2004, p. 153). Si la notion d'erreur manifeste d'appréciation est faussement évidente à cerner (ce qui est
manifeste pour les uns ne l'étant pas nécessairement pour les autres), on la présente classiquement comme une « une erreur
grossière, flagrante, repérable par le simple bon sens, et qui entraîne une solution choquante dans l'appréciation des faits par
l'autorité administrative » (A. VAN LANG, G. GONDOUIN et V. INSERGUET-BRISSET, Dictionnaire de droit administratif, Armand
Colin, 4 e éd., 2005, p. 140 ; pour une illustration jurisprudentielle éclairante, CE 18 oct. 2006, T., req. n o 281970
, AJDA
2006. 2199
).
49. Le développement de l'erreur manifeste a permis de dépasser l'alternative entre absence de contrôle et contrôle entier
qui freinait l'extension du champ d'intervention du juge. Car si ce dernier souhaitait ne pas laisser à l'administration une totale
latitude de choix sur un certain nombre de questions, il ne jugeait pas opportun de les contrôler trop en profondeur. L'erreur
manifeste d'appréciation est dès lors un bon compromis garantissant une certaine marge de manoeuvre à l'autorité
administrative. On ne s'étonnera donc pas qu'elle soit fréquemment utilisée en matière de droit de la fonction publique ou
encore en droit de l'urbanisme.
50. Les cas de contrôle restreint sont surabondants. On signalera quelques exemples significatifs : les nominations dans la
fonction publique au tour extérieur (CE, ass., 16 déc. 1988, Assoc. générale des administrateurs civils c/ Dupavillon, Rec. CE,
p. 449, concl. C. Vigouroux, AJDA 1989. 102, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre, RFDA 1989. 522, concl. C. Vigouroux, p. 532,
note A. Baldous et J.-P. Négrin, p. 536, note F. Dietsch) ou par voie d'intégration directe (CE, sect., 30 déc. 2003, Mocko, req.
n o 243943
, Rec. CE, p. 535, AJDA 2004. 206, chron. F. Donnat et D. Casas
) ; le choix de la sanction infligée à un agent
public fautif (CE, sect., 9 juin 1978, Rec. CE, p. 245, AJDA 1978. 573, concl. B. Genevois et note S. S., D. 1978, IR 361, obs.
P. Delvolvé, D. 1979. 30, note B. Pacteau, JCP 1979. II. 19159, note S. Rials, Rev. adm. 1978. 634, note F. Moderne, RD publ.
1979. 227, note J.-M. Auby) ; le zonage d'un plan d'urbanisme (CE, sect., 23 mars 1979, Cne de Bouchemaine, Rec. CE, p. 127,
concl. D. Labetoulle) ; le choix entre un régime de rejet ou d'acceptation implicite des demandes adressées à l'administration
(CE 27 juill. 2005, Sté Arbed, req. n o 264913
, Rec. CE, p. 341) ; la décision préfectorale autorisant la création d'une
communauté de communes (CE 9 mai 2005, Min. de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales c/ Cne de SaintCyr-en-Val, req. n o 258441
, Rec. CE, p. 188) ; la fixation d'une limite d'âge pour passer un concours (CE 1 er mars 2006,
Synd. parisien des administrations centrales économique et financière, req. n o 268131, Rec. CE, p. 105).
Lire la mise à jour
50. Avis non conforme du CSM sur la nomination d'un magistrat. Contrôle du juge. - Le Conseil d'État exerce un contrôle restreint
sur un avis non conforme du Conseil supérieur de la magistrature à la nomination d'un magistrat du siège (CE 29 oct. 2013,
Vidon, req. n o 346569
, AJDA 2013. 2183, obs. de Montecler
).
Contrôle du juge de l'excès de pouvoir sur les fautes reprochées à un agent public et sur les sanctions disciplinaires. Abandon de
jurisprudence. - L'assemblée du contentieux du Conseil d'État a abandonné la jurisprudence Lebon (CE, sect., 9 juin 1978, req.
n o 05911
, Lebon 245) suivant laquelle le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation
sur les sanctions infligées aux fonctionnaires. Le juge doit désormais exercer un contrôle entier sur la proportionnalité de la
sanction infligée au fonctionnaire avec la faute commise (CE, ass., 13 nov. 2013, Dahan, req. n o 347704
, AJDA 2013. 2228
; AJDA 2013. 2432, chron. Bretonneau et Lessi
; D. 2013. 2699, obs. de Montecler
; AJFP 2014. 5, concl. Keller
,
note Fortier ; RFDA 2013. 1175, concl. Keller
).
Révocation pour des actes commis hors du service. Application de la jurisprudence « Dahan ». - Faisant application de la
jurisprudence « Dahan » (préc.), le juge d'appel considère qu'un agent peut être révoqué pour des faits commis en dehors de
l'exercice de ses fonctions qui, en raison de leur extrême gravité, sont incompatibles avec la qualité de fonctionnaire (CAA
Douai, 23 janv. 2014, req. n o 13DA00721
, AJDA 2014. 1469
; AJFP 2014. 233
).
51. Contrairement à la plupart des auteurs qui persistent à y voir une hypothèse de « plein contrôle de proportionnalité »
(R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, préc., n o 1264), nous considérons que le contrôle dit du « bilan coûtsavantages » est une forme particulière de contrôle restreint. Développée à propos du contrôle des déclarations d'utilité
publique exigées en matière d'expropriation, cette technique repose sur l'idée suivant laquelle « une opération ne peut être
légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les
inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente » (CE, ass., 28 mai
1971, « Ville Nouvelle Est », Rec. CE, p. 409, concl. G. Braibant, GAJA n o 88, Grandes décisions, p. 749). Il ne s'agit toutefois
pas, contrairement aux apparences, d'une exigence de stricte proportionnalité. Autrement dit, l'utilité publique ne sera pas
niée si les inconvénients de l'opération sont légèrement supérieurs à ses avantages. Bien au contraire, le juge se contente
d'opérer en la matière « un contrôle restreint inavoué » (Patrick W ACHSMANN, Un bilan du bilan en matière d'expropriation. La
jurisprudence Ville Nouvelle Est, trente ans après, in Liber amicorum Jean Waline, 2002, Dalloz, p. 733). Le juge ne fait
d'ailleurs que suivre la voie prônée par Guy BRAIBANT en 1971 : « c'est seulement au-delà d'un certain seuil, dans le cas d'un
coût social et financier anormalement élevé, et dépourvu de justifications, que vous devrez intervenir. Ce qui importe, c'est
que votre contrôle permette de censurer les décisions arbitraires, déraisonnables ou mal étudiées, et qu'il oblige des
collectivités, à présenter aux administrés d'abord, et ensuite, le cas échéant, au juge, des justifications sérieuses et
plausibles de leurs projets » (concl. précitées, p. 422). Dès lors, « il est loisible d'affirmer qu'à la différence du contrôle
maximum qui censure tout excès, seul l'excès est illégal dans la théorie du bilan » (B. SEILLER, Droit administratif, t. 2, op. cit.,
p. 238). On ne s'étonnera donc pas que rares soient les annulations prononcées sur ce fondement lorsque l'opération est de
grande ampleur (V. toutefois, CE, ass., 28 mars 1997, Assoc. contre le projet de l'autoroute transchablaisienne, req.
n o 170856
, Rec. CE, p. 120, RFDA 1997. 739, concl. M. Denis-Linton
et p. 748, note F. Rouvillois
, RD publ. 1997. 1433,
note J. Waline ; CE, sect., 10 juill. 2006, Assoc. interdépartementale et intercommunale de protection du lac de Sainte-Croix,
des lacs et sites du Verdon, JCP,éd. A, 2006. 1256, note P. Billet, RFDA 2006. 990, note M.-F. Delhoste
) et que l'on ait pu se
plaider en faveur d'un contrôle beaucoup plus étendu dit de légalité extrinsèque qui intégrerait la comparaison entre la
solution retenue par l'administration et les autres options envisageables, qu'on songe à la question du tracé d'une autoroute
(B. SEILLER, Pour un contrôle de la légalité extrinsèque des déclarations d'utilité publique, AJDA 2003. 1472
; pour une
analyse nuancée de cette proposition, V. R. HOSTIOU, Théorie du bilan et contrôle de la légalité « extrinsèque » de la
déclaration d'utilité publique, in Mélanges Jean-Claude Hélin, Litec, 2004, p. 355). Il nous semble que la retenue actuelle du
juge (V. cep., pouvant peut-être s'interpréter comme un premier pas vers un tel contrôle, la rédaction de CAA Nantes, 27 sept.
2005, Savelli, RFDA 2006. 1000, concl. D. Artus
et p. 1004, note G. Brovelli) est justifiée, lui évitant d'opérer des choix qui
ne relèvent pas de sa compétence, mais de celle du pouvoir politique.
Art. 3 - Contrôle entier
5 2 . Ce cas de figure, régulièrement appelé contrôle normal (la formule contrôle entier a notre préférence, le mot normal
pouvant introduire l'idée suivant laquelle les autres degrés de contrôle sont « anormaux », ce qui n'est évidemment pas le
cas), est utilisé que ce soit pour des questions de qualifications juridique des faits ou d'adéquation entre les motifs de l'acte
et son objet (P.-L. FRIER et J. PETIT considèrent pour leur part qu'il n'est exercé qu'en matière de qualification juridique des
faits, Précis de droit administratif, préc., n o 811). Le juge s'y assure que la qualification ou le choix de la mesure ont été
correctement proportionnés par l'autorité administrative. Autrement dit, « la décision doit être en rapport exact avec les faits,
qui doivent être exactement de nature à la justifier juridiquement » (R. CHAPUS, Droit administratif général, t. 1, préc.,
n o 1256). Pour paraphraser la jurisprudence, le juge y vérifie que les faits sont de nature à justifier légalement la décision
querellée.
5 3 . Un tel degré de contrôle est extrêmement courant. À titre d'illustrations on peut mentionner le fait de : vérifier si
l'emplacement d'une construction projetée est compris dans une perspective monumentale et si cette construction serait de
nature à la compromettre (CE 4 avr. 1914, Gomel, Rec. CE, p. 488, GAJA, n o 29, Grandes décisions, p. 743) ; contrôler le
caractère fautif de l'agissement d'un fonctionnaire (CE, ass., 13 mars 1953, Teissier, Rec. CE, p. 133, GAJA, n o 71) ; contrôler
un refus d'admission à concourir (CE, sect., 10 juin 1983, Raoult, Rec. CE, p. 251, AJDA 1983. 527, chron. B. Lasserre et J.M. DELARUE, RA, 1983. 370, note Bernard PACTEAU) ; vérifier une équivalence d'emploi (CE 29 avr. 1994, Cougrand, req.
n o 105961
, Rec. CE, p. 219) ; s'assurer du caractère pornographique d'un film (CE, sect., 30 juin 2000, Assoc. promouvoir
et époux Mazaudier, req. n o 222194
, Rec. CE, p. 265, concl. E. Honorat, AJDA 2000. 609, chron. M. Guyomar et P. Collin
,
RFDA 2000. 1282, note M. Canedo
et p. 1311, note J. Morange) ; contrôler le refus d'approuver la convention constitutive
d'un groupement d'intérêt public (CE 28 déc. 2005, Synd. mixte intercommunal du bassin de la Vesle, req. n o 268411
, Rec.
CE, p. 603).
Lire la mise à jour
53. Contrôle sur le report de l'entrée en vigueur d'un règlement de police sanitaire . - Le juge exerce un contrôle normal sur la
durée du report de l'entrée en vigueur d'un règlement de police sanitaire (CE 23 oct. 2013, Assoc. Ban Asbestos France, req.
n o 360731
, AJDA 2013. 2122
).
Art. 4 - Contrôle maximum
54. Contrairement au contrôle restreint ou au contrôle entier qui peuvent aussi bien porter sur la qualification juridique des
faits que sur l'adéquation de l'objet de la décision à ses motifs, le contrôle maximum n'est envisageable qu'au sujet de cette
seconde hypothèse. Pour reprendre la terminologie de Bertrand SEILLER, le juge n'y contrôle plus la « légalité intrinsèque »
de l'acte mais sa « légalité extrinsèque ». Autrement dit, il vérifie si l'acte était le mieux adapté à la situation litigieuse et si
n'existait aucune autre solution plus satisfaisante. La décision ne sera dès lors considérée comme légale que s'il apparaît au
juge qu'elle était exactement nécessaire et qu'aucune mesure moins rigoureuse n'aurait suffi. Il s'agit donc bien d'un strict
contrôle de proportionnalité. Si l'objet de la décision n'est pas exactement proportionné à ses motifs, l'acte est annulé.
55. Un tel contrôle est en particulier exercé en matière de police administrative générale et repose sur une logique clairement
libérale. Puisque la liberté est la règle et la restriction de police l'exception selon la célèbre formule du commissaire du
gouvernement CORNEILLE (concl. sur CE 17 août 1917, BALDY, Rec. CE, p. 637), une telle mesure n'est légale que si elle est
indispensable. Dès lors qu'une solution moins liberticide aurait suffi pour garantir l'ordre public, la mesure est annulée. On cite
souvent comme arrêt de principe l'arrêt Benjamin (CE 19 mai 1933, Rec. CE, p. 541, GAJA, n o 47, Grandes décisions, p. 324) où
le Conseil d'État annule l'interdiction de conférences dans la mesure où « il résulte de l'instruction que l'éventualité de
troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence,
maintenir l'ordre en édictant des mesures de police qu'il lui appartenait de prendre ». Il est intéressant de constater que cet
arrêt n'avait pas en son temps été perçu comme une preuve de libéralisme, Achille MESTRE estimant au contraire qu'il
pouvait »être versé au dossier de la crise du libéralisme » (S. 1934. III. 3).
Lire la mise à jour
5 5 . Interdiction de stade à des supporters. Contrôle du juge. - Un arrêté interdisant l'accès au stade ne peut être fondé
exclusivement sur l'appartenance à une association sans tenir compte du comportement des supporters (CE 8 nov. 2013,
Olympique lyonnais, req. n o 373129
, AJDA 2013. 2472
).
Index alphabétique
Avis
24, 34
conforme 18, 24
simple 18, 24
Co-auteur
19
Compétence liée
8, 44
Contrôle de conventionnalité
30
Contrôle entier
V. Motifs (contrôle)
Contrôle maximum
V. Motifs (contrôle)
Contrôle minimum
V. Contrôle restreint
Contrôle normal
V. Contrôle entier
Contrôle de proportionnalité
V. Contrôle maximum
Contrôle restreint
Bilan coûts-avantages
V. Motifs (contrôle)
51
Convention européenne des droits de l'homme
Déclaration d'utilité publique (DUP)
Défaut de base légale
Délégation
31
15
Détournement de pouvoir
V. Légalité interne
Détournement de procédure
V. Légalité interne
Droits subjectifs
8
Erreur de droit
V. Légalité interne
Erreur de fait
V. Exactitude matérielle des faits
Erreur manifeste d'appréciation
51
45
V. Motifs (contrôle)
Exactitude matérielle des faits
V. Légalité interne
Fonctionnaire de fait (théorie du)
17
Incompétence
matérielle 15
moyen d'ordre public
négative 19
temporelle 17
territoriale 16
Intérim
18
15
Légalité externe
13 s.
incompétence 14 s.
vice de forme 20 s.
vice de procédure 22 s.
Légalité interne
28 s.
détournement de pouvoir 38 s.
détournement de procédure 38 s., 42
erreur de droit 31 s.
exactitude matérielle des faits 35 s.
violation directe de la règle de droit 29 s.
Motifs (contrôle)
43 s.
absence 46 s.
contrôle entier 52 s.
contrôle maximum 54 s.
contrôle restreint 48 s.
erreur manifeste d'appréciation
Police administrative
55
Pouvoir discrétionnaire
Proposition
8, 41, 44, 46
24
Qualification juridique des faits
Suppléance
48 s.
37, 44 s., 52, 54
15
Théorie des apparences
18
Vice de forme
contreseing 21
motivation 21
moyen d'ordre public (absence)
signature 21
27
Vice de procédure
contradictoire 25
droits de la défense 25
moyen d'ordre public (absence)
procédure collégiale 26
procédure consultative 24
27
Violation directe de la règle de droit
V. Légalité interne
Mise à jour
29. Principe de sécurité juridique. - Le Conseil constitutionnel n'a pas érigé le principe de sécurité juridique au rang de principe
constitutionnel (Cons. const. 11 févr. 2011, n o 2010-102 QPC
, AJDA 2011. 303, obs. Brondel ).
32. Constantes du contrôle de l'excès de pouvoir. Des éléments de légalité interne. Erreur de droit : refus d'inscription à l'université
et procédure disciplinaire. - Constitue une erreur de droit le fait pour une université de refuser l'inscription d'un étudiant au seul
motif qu'il fait l'objet d'une procédure disciplinaire (CE 6 mars 2009, M. N., req. n o 305338, AJDA 2009. 458).
50. Avis non conforme du CSM sur la nomination d'un magistrat. Contrôle du juge. - Le Conseil d'État exerce un contrôle restreint
sur un avis non conforme du Conseil supérieur de la magistrature à la nomination d'un magistrat du siège (CE 29 oct. 2013,
Vidon, req. n o 346569
, AJDA 2013. 2183, obs. de Montecler
).
Contrôle du juge de l'excès de pouvoir sur les fautes reprochées à un agent public et sur les sanctions disciplinaires. Abandon de
jurisprudence. - L'assemblée du contentieux du Conseil d'État a abandonné la jurisprudence Lebon (CE, sect., 9 juin 1978, req.
n o 05911
, Lebon 245) suivant laquelle le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation
sur les sanctions infligées aux fonctionnaires. Le juge doit désormais exercer un contrôle entier sur la proportionnalité de la
sanction infligée au fonctionnaire avec la faute commise (CE, ass., 13 nov. 2013, Dahan, req. n o 347704
, AJDA 2013. 2228
; AJDA 2013. 2432, chron. Bretonneau et Lessi
; D. 2013. 2699, obs. de Montecler
; AJFP 2014. 5, concl. Keller
,
note Fortier ; RFDA 2013. 1175, concl. Keller
).
Révocation pour des actes commis hors du service. Application de la jurisprudence « Dahan ». - Faisant application de la
jurisprudence « Dahan » (préc.), le juge d'appel considère qu'un agent peut être révoqué pour des faits commis en dehors de
l'exercice de ses fonctions qui, en raison de leur extrême gravité, sont incompatibles avec la qualité de fonctionnaire (CAA
Douai, 23 janv. 2014, req. n o 13DA00721
, AJDA 2014. 1469
; AJFP 2014. 233
).
53. Contrôle sur le report de l'entrée en vigueur d'un règlement de police sanitaire . - Le juge exerce un contrôle normal sur la
durée du report de l'entrée en vigueur d'un règlement de police sanitaire (CE 23 oct. 2013, Assoc. Ban Asbestos France, req.
n o 360731
, AJDA 2013. 2122
).
55. Interdiction de stade à des supporters. Contrôle du juge. - Un arrêté interdisant l'accès au stade ne peut être fondé
exclusivement sur l'appartenance à une association sans tenir compte du comportement des supporters (CE 8 nov. 2013,
Olympique lyonnais, req. n o 373129
, AJDA 2013. 2472
).
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